SEANCE DU 2 MAI 2001
M. le président.
Par amendement n° 131, Mme Bocandé, au nom de la commission des affaires
sociales, propose d'insérer, avant l'article 40, un article additionnel ainsi
rédigé :
« Dans la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article L. 900-1 du code du
travail, après les mots : "changement des techniques et des conditions de
travail", sont insérés les mots : "de développer leurs compétences
professionnelles". »
La parole est à Mme Bocandé, rapporteur.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Nous allons aborder le
volet du texte qui concerne la formation professionnelle et notamment la
validation des acquis de l'expérience.
J'ai déjà indiqué, lors de la discussion générale, que ce volet me paraît
intéressant, même s'il est nécessaire de le préciser et de l'encadrer sur
certains points. J'ai surtout signalé que le projet de loi se contentait de
fixer un cadre et que ce serait aux acteurs sociaux de s'en saisir. Or un
récent sondage publié dans un grand hebdomadaire à la fin de la semaine
dernière laisse craindre qu'une telle appropriation ne soit difficile. En
effet, 72 % des personnes interrogées n'ont pas entendu parler du dispositif
dont nous allons débattre et ce pourcentage est encore bien plus élevé chez les
employés et les ouvriers, qui sont pourtant les premiers visés.
Il me semblait important d'apporter cette précision avant d'aborder l'examen
d'un dispositif dont la notoriété est pour l'instant faible et dont la portée
risque d'être, en l'état des choses, très mesurée.
S'agissant de l'amendement n° 131, il a pour objet de redéfinir les finalités
de la formation professionnelle continue pour prendre en compte le nouveau
dispositif de validation des acquis de l'expérience.
Jusqu'à présent, le code du travail assigne une double fonction à la formation
professionnelle continue : permettre l'adaptation du salarié aux évolutions du
marché du travail et favoriser l'acquisition de qualifications.
Or le projet de loi modifie cet équilibre. Il prévoit, en effet, une prise en
compte des compétences professionnelles comme fondement à la validation. Il
prévoit également, dans ses articles 29 et 30, une incitation à l'élaboration
de plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
En conséquence, il convient de préciser que la formation professionnelle
continue a également pour objet de développer ces compétences professionnelles,
afin de pouvoir déboucher sur une validation ultérieure.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Je serai très brève. En effet, j'ai déjà eu l'occasion
de m'exprimer sur le fond devant votre Haute Assemblée à deux reprises : dans
un premier temps, en répondant à deux rapporteurs ; dans un second temps, en
intervenant à la fin de la discussion générale. Par conséquent, ce qui
m'importe maintenant, c'est plutôt de préciser que je me présente devant vous
avec un esprit d'ouverture.
Un grand nombre d'amendements viennent enrichir ce texte - sans d'ailleurs le
dénaturer - et l'on peut le comprendre dans la mesure où un certain temps s'est
écoulé entre la présentation de la première mouture de ce texte et la première
lecture au Sénat, temps pendant lequel les négociations sur l'ensemble de la
réforme de la formation professionnelle se sont, bien sûr, poursuivies.
Ces négociations ont porté ainsi sur la clarification du rôle des acteurs en
instances régionales, sur la qualité de l'offre, sur le contrôle de la
formation, autant de sujets qui s'inscrivent à l'évidence dans la réforme, mais
qui ne figuraient pas dans la première version de la loi de modernisation
puisque les négociations n'avaient pas été menées à leur terme.
Ma seconde observation a trait au mot « professionnel », et je parle là sous
le contrôle de mon ami le ministre de l'enseignement professionnel. Ce mot
apparaît en effet dans nombre d'amendements émanant de toutes les travées de
cet hémicycle, et cela mérite de ma part une brève explication sur le fond.
La validation des acquis de l'expérience, ou VAE, ne peut être proposée
aujourd'hui comme un droit nouveau que parce que la validation des acquis
professionnels, ou VAP, avait eu lieu en 1992, et je continue à dire que les
acquis professionnels sont évidemment le coeur de la validation des acquis de
l'expérience. Certains d'entre vous proposent d'ailleurs de jumeler les deux en
parlant de « validation des acquis professionnels et de l'expérience ». Cela me
gêne quelque peu, car on laisse à penser, ce faisant, que les acquis
professionnels ne seraient pas l'essentiel des acquis de l'expérience !
Je vous aurai ainsi fait part de ma démarche intellectuelle et politique sur
ce sujet. La validation des acquis de l'expérience - vous l'avez bien noté,
c'est son aspect le plus novateur - reconnaît l'expérience au-delà même de
l'expérience professionnelle, en tenant compte des compétences que l'on a pu
acquérir au travers d'un engagement syndical, associatif, citoyen dans sa vie
d'adulte.
Enfin, madame Bocandé, s'agissant du sondage très intéressant qui vient de
paraître dans un hebdomadaire, je déduis
a contrario
des chiffres que
vous avez cités que 28 % des Français connaissent ce projet de loi. Certes,
c'est une minorité, mais je note que le projet est encore en discussion en
première lecture devant le Sénat.
J'en conclus aussi que tout ce que nous pourrons faire, les uns et les autres,
pour favoriser la communication sur ce sujet sera utile, d'autant que je me
permettrai d'ajouter deux chiffres à ceux que vous avez évoqués : 88 % des
Français estiment que ce nouveau droit des acquis de l'expérience est une bonne
chose et 66 % d'entre eux se disent prêts à l'exercer.
Au vu de ce sondage, qui m'apparaît donc très positif, il est de notre devoir
de faire connaître très largement ce droit nouveau, ce droit novateur.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
J'ai été sensible, madame le secrétaire d'Etat, au fait que vous ayez reconnu
que de nombreux amendements déposés par les sénateurs apportaient un
enrichissement au texte du Gouvernement.
C'est tout simplement parce que la plupart d'entre eux, pour ne pas dire tous,
ont beaucoup d'expérience.
(Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon,
ministre délégué à l'enseignement professionnel.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon,
ministre délégué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je m'en remettrai en tous points aux avis politiques que Mme le
secrétaire d'Etat donnera au fur et à mesure de la lecture de ce texte, puisque
c'est elle qui en a eu l'initiative. Il est d'ailleurs de mon devoir de saluer
l'oeuvre qui a été accomplie à cet égard et le progrès qui va bientôt être
enregistré, si la représentation nationale y consent.
Mais, avant d'intervenir sur ce point particulier - je le ferai à l'article
40, avec votre permission - je souhaite m'exprimer sur l'amendement n° 131 pour
y apporter, ainsi que vous le devinez, l'éclairage particulier des
préoccupations qui sont celles de la grande et vieille maison de l'éducation
nationale quant à l'emploi des mots, afin d'éclairer la décision libre que vous
aurez à prendre, ainsi que vous y a invités Mme Péry.
Mesdames, messieurs les sénateurs, agissant sur la consigne du Gouvernement
auquel j'ai l'honneur d'appartenir, j'ai, à l'occasion de la dernière rencontre
des ministres de l'éducation nationale de l'OCDE, représentant en cela le point
de vue traditionnel républicain de l'éducation, proposé, chaque fois que le mot
« compétence » apparaissait dans le texte soumis par les ministres de l'OCDE
dans une traduction littérale du terme correspondant anglo-saxon, que l'on
parle plutôt de « qualification ».
C'est vrai, les deux mots ont leur efficacité dans les domaines particuliers
de compétence des deux ministères ! Il est inutile d'aller chercher querelle là
où il n'y en a pas. Toutefois, il peut parfois y avoir grand intérêt à la
précision des mots.
Les Français, dans la définition des diplômes professionnels, reconnaissent
des qualifications, lesquelles sont garanties dans la valeur d'échange que
représente la certification d'un titre par les conventions collectives. Il est
donc d'une extrême importance, du point de vue de la transmission de cet
héritage gratuit que représentent la formation et l'enseignement professionnels
donnés à chaque jeune Français, qu'il soit sans cesse rappelé qu'il est battu
dans la monnaie diplômante garantie par l'Etat, garante de la liberté du
travailleur et garante pour l'employeur des savoir-faire dont il acquiert
l'usage dans l'entreprise.
Le mot « compétence » est inclus dans le mot « qualification », et je veux ici
en donner, de la manière la plus claire, toute la garantie du ministère de
l'éducation nationale.
Nous n'avons cessé de dire aux représentants patronaux - avec lesquels nous
travaillons au demeurant en fort bonne intelligence dans les commissions
professionnelles consultatives, qui, vous le savez, établissent les
référentiels de diplômes professionnels - que, dès lors qu'une compétence
serait un savoir-faire professionnel incontournable et indispensable à
l'exercice d'un métier, nous étions partisans de la manière la plus claire qui
soit de l'inclure dans la qualification et dans la description du référentiel
de diplôme lui-même.
Dès lors, qu'est-ce qu'une compétence qui ne serait pas une qualification du
point de vue particulier qui est celui de l'éducation nationale ? La question
reste posée.
Aussi, madame le rapporteur, comprenant parfaitement l'intention qui sous-tend
l'amendement de la commission, connaissant aussi le soin que le Sénat met
toujours, sur toutes les travées, à donner à ce qu'il écrit la plus grande
perfection législative, je souhaite, s'agissant de l'amendement n° 131, où les
mots « compétence » et « qualification » ne soulèvent pas de difficulté
particulière - plus loin, hélas ! ils ne voudront plus dire la même chose -
qu'à la place du mot « compétence » on inscrive le mot « qualification ».
Dès lors, sachant que « qualification » implique « compétence », nous
n'utiliserons pas un vocabulaire qui n'est pas le nôtre, qui n'a pas cours à
l'échelon international et qui, vous le savez, dans l'arène nationale, donne
lieu à bien des débats. Je pense, en particulier, au processus dit de «
compétence » mis en oeuvre par Usinor, qui a maintenant dix ans d'existence et
dont on s'aperçoit, au bout du compte, qu'il soulève parfois bien plus de
difficultés qu'il n'en règle.
Voilà, madame le rapporteur, la suggestion que je voulais vous faire, pour
autant que Mme Péry y consente elle-même.
M. le président.
Acceptez-vous la suggestion de M. le ministre, madame le rapporteur ?
Mme Annick Bocandé,
rapporteur.
Si j'apprécie la qualité et la finesse des propos de M. le
ministre, je ne peux cependant pas accepter sa proposition.
D'abord, je note que le mot « qualification » figure déjà dans le texte. Il y
aurait donc redondance.
Ensuite, s'il y a validation des acquis de l'expérience, c'est précisément, si
j'ai bien compris, parce que l'on veut reconnaître des compétences
professionnelles qui n'ont pu encore être validées par une qualification.
Pour ces raisons, je maintiens l'amendement en l'état.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 131, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 40.
Article 40