SEANCE DU 2 MAI 2001
M. le président.
« Art. 50
quater.
- Après l'article L. 122-48 du même code, sont
insérés trois articles ainsi rédigés :
«
Art. L. 122-49.
- Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés
de harcèlement moral d'un employeur, de son représentant ou de toute personne
abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, qui ont pour objet ou
pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer des conditions de
travail humiliantes ou dégradantes.
« Aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir témoigné des
agissements définis à l'alinéa précédent ou pour les avoir relatés.
« Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou
tout acte contraire est nul de plein droit.
«
Art. L. 122-50.
- Est passible d'une sanction disciplinaire tout
salarié ayant procédé aux agissements définis à l'article L. 122-49.
«
Art. L. 122-51.
- Il appartient au chef d'entreprise de prendre
toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes visés aux articles
L. 122-49 et L. 122-50. »
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le harcèlement moral au travail n'est pas un phénomène
nouveau. Les brimades, particulièrement de la part des « petits chefs », ont
été le lot de nombreux travailleurs depuis les débuts de l'ère industrielle.
Mais, aujourd'hui, un phénomène nouveau apparaît : la société ne considère plus
ces comportements comme légitimes, voire acceptables. Il est intéressant de
comprendre par quel cheminement.
Ces dernières années, avec la montée du chômage, il faut bien reconnaître que
les conditions de travail sont parfois passées au second plan dans l'ordre des
préoccupations des salariés. Mais, dans le même temps, l'aspiration à un
meilleur traitement, au respect de la dignité et des droits inhérents à la
personne ont pénétré en profondeur la société. Cela est dû sans doute à
plusieurs facteurs, au nombre desquels il faut compter la montée de l'exclusion
dans nos sociétés et la volonté d'agir comme le font, par exemple, les
militants associatifs pour aider les gens à ne pas « couler ».
Dans le monde du travail, cette prise de conscience s'est corrélée avec le
durcissement des conditions de travail en raison des exigences nouvelles de
compétitivité invoquées par les employeurs. Cela touche aussi bien les grandes
que les petites entreprises, l'industrie que les services.
Aujourd'hui, les employeurs sont conduits à exiger des rendements
difficilement réalisables, la sous-traitance à flux tendus s'est développée,
l'échelle hiérarchique s'est resserrée du fait des nouvelles méthodes de
management.
Les cadres et agents de maîtrise sont directement aux prises
avec la direction générale quand ce n'est pas avec le client. La pression
morale est devenue pour beaucoup insupportable, surtout avec le développement
de la flexibilité et de la précarité.
Le livre remarquable de Christophe Dejours intitulé
Souffrance en France,
la banalisation de l'injustice sociale
est à cet égard très éclairant. Il
décrit comment, dans ce contexte très dur sur le plan économique, le
harcèlement moral peut se développer, comment le salarié qui ne parvient pas à
suivre ou qui prend une certaine distance critique par rapport à cette
organisation du travail et à l'idéologie guerrière qui la sous-tend risque
d'être rejeté, de faire l'objet parfois collectivement d'un processus
d'élimination. Il décrit en fait la souffrance engendrée par la peur, chez
celui qui est harcelé, comme au fond chez celui qui harcèle.
Les conditions du harcèlement moral, outre une forme de perversité inhérente à
la personne du ou des harceleurs, ne peuvent donc être envisagées séparément de
l'organisation des rapports humains et sociaux sur le lieu de travail.
L'ouvrage relève à cet égard trois facteurs : l'absence de valeurs éthiques
exprimées par la direction de l'entreprise, la mise à mal des solidarités
professionnelles, délibérément ou non, par la hiérarchie, alors que ces
solidarités permettent de supporter la dureté du travail, et l'absence ou la
difficulté d'accès à des recours extérieurs.
Contre le discours purement intellectuel et hors des réalités des années
quatre-vingt-dix sur la fin du travail, Christophe Dejours réaffirme que le
travail occupe une place centrale dans l'équilibre psychique de la plupart
d'entre nous. Le fait de déclencher un processus destructeur à l'intérieur du
monde du travail, là où l'on espère précisément une reconnaissance, aura des
répercussions considérables sur la santé physique et psychique de la
personne.
Mais si le harcèlement moral peut être lié à l'organisation du travail, il
n'en est pas moins et d'abord le fait d'individus qui s'y livrent jusqu'à ce
jour presque impunément, sauf quelques cas emblématiques qui ont donné lieu à
des procès médiatisés.
Le harceleur est à 90 % un supérieur hiérarchique, mais il peut exister une
sorte de coalition contre une victime. Quant aux personnes harcelées, ce sont
majoritairement des femmes ayant dépassé la quarantaine, et pas forcément des
personnes en situation précaire comme on pourrait,
a priori,
le
penser.
Comme l'on peut s'y attendre, les personnes harcelées ne rencontrent que peu
de solidarité chez leurs collègues, soit qu'ils entrent eux-mêmes dans le
processus agressif, soit qu'ils fassent semblant de ne rien voir.
Faut-il légiférer sur ce problème ? Comme je le disais au début de mon
intervention, l'esprit public a changé sur ces matières. L'esprit de soumission
qui prévalait dans le monde du travail voilà encore quelques décennies a
quasiment disparu.
On veut bien s'investir, mais pas se détruire ou être détruit.
Par un long détour, nous retrouvons l'idée du début des années quatre-vingts,
selon laquelle le citoyen ne cesse pas d'être citoyen parce qu'il est au
travail.
On attend de nous que nous légiférions, et il ne s'agit pas d'un effet de
mode. Au-delà du seul harcèlement, c'est le sentiment profond de l'opinion sur
le droit au respect et à l'intégrité de l'être humain en toutes circonstances
et en tous lieux qui est concerné.
Or, pour le moment, rien dans notre corpus juridique ne peut répondre au
problème.
Dans la législation actuelle, un droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits
des personnes et aux libertés individuelles est inscrit à l'article L. 422-1-1
du code du travail, mais il exige l'intervention d'un délégué du personnel ; ce
n'est donc pas exactement la réponse au problème posé. La jurisprudence, quant
à elle, est embarrassée, ne disposant pas de base légale pour juger.
Notre intervention - et comme notre rapporteur je crois que sur ce point un
consensus se dégage - est donc indispensable. A l'examen des amendements, il
est manifeste que nous allons tous dans le même sens, à quelques nuances près.
Je pense, notamment, à la charge de la preuve. Il est vrai que nous avons pour
nous aider le précédent de la loi réprimant le harcèlement sexuel.
Le groupe socialiste exprime sa satisfaction que nous puissions aborder ce
thème douloureux et parfois tragique dans un tel esprit. Il apportera sa
contribution au débat de la manière la plus positive et la plus précise
possible. C'est dans ce sens que nous proposerons une série d'amendements
visant à bâtir un dispositif de protection des victimes.
M. le président.
Sur l'article 50
quater
, je suis saisi de quatre amendements qui
peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 173, M. Gournac, au nom de la commission des affaires
sociales, propose de rédiger comme suit le premier alinéa du texte présenté par
cet article pour l'article L. 122-49 du code du travail :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral
d'un employeur, de son représentant ou de toute personne abusant ou non de
l'autorité que lui confèrent ses fonctions, qui ont pour objet ou pour effet
une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à sa
dignité, d'altérer gravement son intégrité physique ou morale ou de
compromettre son avenir professionnel. »
Par amendement n° 387, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit le premier alinéa du
texte présenté par l'article 50
quater
pour l'article L. 122-49 du code
du travail :
« Aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral
d'un employeur, de son représentant ou de toute personne visant à dégrader les
conditions humaines, relationnelles, matérielles de son travail, de nature à
porter atteinte à ses droits et à sa dignité, pouvant altérer gravement son
état de santé et pouvant compromettre son avenir professionnel. »
Par amendement n° 247, Mme Dieulangard, MM. Cazeau, Chabroux, Mme Printz et
les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le premier
alinéa du texte présenté par l'article 50
quater
pour l'article L.
122-49 du code du travail, de remplacer les mots : « subir les » par les mots :
« être victime des ».
Par amendement n° 427, le Gouvernement propose, après les mots : « harcèlement
moral », de rédiger ainsi la fin du premier alinéa du texte présenté par
l'article 50
quater
pour l'article L. 122-49 du code du travail : « qui
ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou d'altérer sa
santé physique ou mentale en créant des conditions de travail humiliantes ou
dégradantes ».
La parole est à M. Gournac, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 173.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Cet amendement vise à proposer une nouvelle définition du
harcèlement moral.
La définition adoptée à l'Assemblée nationale sur l'initiative des membres du
groupe socialiste s'avère, en effet, imparfaite. Elle s'inspire à la fois de la
définition du harcèlement sexuel issue de la loi du 2 novembre 1992 et de la
définition du harcèlement proposée par les directives européennes relatives à
l'égalité de traitement.
Mais, à l'évidence, harcèlement sexuel, discrimination et harcèlement moral ne
peuvent recouvrir une même réalité.
La définition proposée souffre de deux limites.
D'une part, elle restreint le harcèlement moral aux agissements de la
hiérarchie. Or on constate en pratique, et c'est l'un des enseignements majeurs
du dernier ouvrage de Marie-France Hirigoyen, que ce sont souvent des collègues
de travail, voire des subordonnés qui sont les auteurs du harcèlement.
D'autre part, la définition proposée introduit une confusion entre les
manifestations et les buts du harcèlement moral, tout en limitant à l'excès ses
conséquences éventuelles.
Le harcèlement moral, comme l'avait d'ailleurs bien souligné la proposition de
la loi communiste, se traduit par une dégradation délibérée des conditions de
travail. Les conséquences, quant à elles, ne se limitent pas à la seule
atteinte à la dignité humaine. Il faut, en effet, également tenir compte de
l'altération de l'intégrité physique ou morale du salarié et de la
fragilisation de son avenir professionnel.
Cet amendement cherche donc à corriger les lacunes de la définition proposée.
La commission a tenté de retenir la définition la plus large et la plus
consensuelle possible. Elle s'inspire largement du récent avis très complet du
Conseil économique et social, de l'étude très intéressante réalisée par
l'association nationale des cadres et directeurs de la fonction personnel,
ainsi que de l'avis rendu l'an passé par la Commission consultative des droits
de l'homme, mais aussi de la proposition de loi de nos collègues du groupe
communiste républicain et citoyen.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau, pour défendre l'amendement n° 387.
M. Roland Muzeau.
Comme je l'ai souligné dans la discussion générale, les sénateurs du groupe
communiste républicain et citoyen accordent une importance particulière à la
question de la reconnaissance des souffrances liées au travail, en raison
notamment de la gravité des nouvelles pathologies liées aux faits de
harcèlement moral.
Loin d'être nouveau, le phénomène de harcèlement moral au travail fait l'objet
depuis une dizaine d'années d'une prise de conscience qui aboutit aujourd'hui à
un quasi-consensus quant à la nécessité d'appréhender législativement, de
manière spécifique, de tels agissements afin, non seulement de les prévenir,
mais également de les réprimer.
Un premier pas a été franchi à l'Assemblée nationale, où, sur l'initiative
d'amendements communistes, tirés d'ailleurs d'une proposition de loi déposée en
termes identiques par les deux groupes, la notion même de harcèlement moral a
été introduite dans le code du travail.
La majorité sénatoriale fait preuve sur ce sujet d'une attitude constructive,
et tout le monde s'en félicite.
A priori,
il semble que la lecture du
texte au Sénat permette de parfaire cet embryon de législation sur la base de
l'avis présenté par M. Michel Debout devant le Conseil économique et social.
Avant tout, il convient de s'entendre sur la définition du harcèlement moral,
ce qui est loin d'être aisé. A la « dégradation délibérée des conditions de
travail », définition que nous proposions et qui avait le mérite de recouvrir
les atteintes à la dignité ou à l'intégrité psychique, ainsi que les pressions
psychologiques, a été préférée une définition plus étroite se référant aux
seuls agissements émanant d'un supérieur hiérarchique ou de son
représentant.
Madame la ministre, votre allocution devant le Conseil économique et social
témoignait déjà de votre ralliement à une définition qui ne fasse plus
référence à la relation hiérarchique, à la notion d'abus d'autorité. Les
amendements présentés le confirment.
Au lieu d'établir une liste des types d'agissements mis en oeuvre - injures,
brimades, propos calomnieux, imposition de conditions de travail humiliantes,
stressantes, anormalement pénibles - nous avons choisi de retenir la remise en
cause des conditions de travail, des conditions humaines, relationnelles et
matérielles du travail.
Conformément à la jurisprudence amorcée, la définition proposée par notre
amendement reprend deux critères essentiels : le caractère répétitif et
renouvelé du harcèlement, l'atteinte à la dignité de la personne.
De la définition retenue dépend le niveau de protection des salariés victimes
de harcèlement. C'est pourquoi je réitère le souhait de voir notre amendement
adopté. Si cela s'avérait impossible, compte tenu de la teneur des amendements
dont nous avons pris connaissance, nous sommes prêts à donner notre aval à une
autre proposition, à condition toutefois qu'elle soit à la hauteur des
enjeux.
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard, pour présenter l'amendement n° 247.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Notre amendement n° 247 est un amendement de précision, qui vise à mettre
l'accent sur le caractère de victime de la personne harcelée.
Cette notion de victime induira l'insertion de mesures spécifiques et précises
dans cet article. Nous venons de développer longuement notre vision du
harcèlement moral et les mesures que nous entendons proposer pour intervenir
tant sur le plan de la prévention qu'en termes de sanctions.
Ce soir, nous limiterons donc nos explications au contenu des amendements que
nous allons présenter.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre, pour défendre l'amendement n° 427.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Sur cette très importante
question de la définition du harcèlement moral, au nom du Gouvernement, je
propose un amendement qui vise à supprimer la référence à la notion d'abus
d'autorité afin de viser l'ensemble des situations de harcèlement quelle que
soit la nature des relations hiérarchiques entre auteurs et victimes.
Cet amendement transpose ainsi les directives communautaires 2000/48 du 29
juin 2000 et 2000/73 du 27 novembre 2000 relatives à l'égalité de traitement.
Il sépare nettement l'objet et l'effet du harcèlement moral, à savoir
l'atteinte à la dignité, du moyen d'y parvenir : la création de conditions de
travail humiliantes et dégradantes. Il met aussi l'accent sur l'un des effets
du harcèlement moral, l'altération de la santé physique et mentale du
travailleur.
Cette définition plus précise me semble répondre à un grand nombre des
questions qui ont été posées et elle permettra justement d'éviter des
contentieux et des hésitations dans l'application de la loi.
Les amendements n°s 173 et 387 visent à donner une nouvelle définition du
harcèlement moral.
La définition adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale a déjà été
améliorée, par rapport aux propositions initiales. Je ne crois pas possible de
retenir la rédaction de M. le rapporteur parce qu'elle met à mon avis
inutilement l'accent sur les détenteurs d'autorité, alors que le Gouvernement
entend viser tout auteur d'agissements.
En outre, si l'altération de la santé du salarié est évoquée à bon droit, la
cohérence avec l'ensemble du texte conduit à préférer l'objectif « mental » à
l'objectif « moral » et à écarter l'adverbe « gravement », qui prêtera à des
difficultés d'interprétation.
Enfin, la compromission de l'avenir professionnel est un critère hypothétique
; son appréciation par le juge risque d'être source de difficultés.
Je ne suis donc pas favorable à cette rédaction.
Je ne suis pas davantage favorable à l'amendement n° 387, qui appelle
certaines des critiques que je viens de faire à propos de l'amendement n°
173.
J'ajoute que dans la mesure où la définition s'insère dans un titre du code du
travail consacré aux contrats de travail, il faut qu'elle ait un lien avec
l'exécution du contrat de travail, en particulier avec les conditions de
travail.
En revanche, je suis favorable à l'amendement n° 247, car il apporte au texte
une précision que je crois utile.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 387, 247 et 427 ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
L'amendement n° 387 reprend la définition du harcèlement
moral proposée par le Conseil économique et social. Elle est très proche de la
définition de la commission et, curieusement, assez éloignée de la proposition
de loi de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen.
La commission préfère toutefois sa propre définition, qui apparaît plus large
sur un plan pratique et plus précise sur un plan juridique. Elle tente, en
outre, de faire la synthèse des propositions avancées par l'Assemblée
nationale, le Conseil économique et social, les DRH, le groupe communiste
républicain et citoyen et les diverses associations que nous avons rencontrées
Aussi, l'avis de la commission ne peut être favorable à l'amendement n° 387.
Je tiens toutefois à signaler que la commission, sur un sujet aussi grave,
cherche à aboutir à la définition la plus consensuelle. J'espère que la navette
permettra d'arriver à un compromis équilibré. Je souhaite donc le retrait de
l'amendement n° 387.
L'amendement n° 247 est incompatible avec le nôtre. Sur le fond, la notion de
victime pourrait par ailleurs être interprétée de manière restrictive. Le terme
« subit » est plus large et, en définitive, plus protecteur. Enfin, cet
amendement n'intègre aucun des élargissements de la commission. L'avis est donc
défavorable à l'amendement n° 247.
S'agissant de l'amendement n° 427, je constate avec satisfaction que le
Gouvernement, qui a évolué depuis le débat à l'Assemblée nationale, soutient
désormais une définition beaucoup moins restrictive du harcèlement moral. Si
son amendement est proche de celui de la commission, il est cependant
incompatible avec ce dernier.
La proximité des définitions proposées laisse supposer qu'un accord pourrait
intervenir au cours de la navette. Pour l'instant, l'avis est défavorable à
l'amendement n° 427.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 173.
M. Gilbert Chabroux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Notre débat montre qu'il est difficile de donner une définition juridique
précise du harcèlement moral tant les faits qui le constituent peuvent être
variés. Il arrive, hélas, que les ressources de l'esprit humain aillent très
loin en matière de perversité et de cruauté.
Il n'existe pas de différence conceptuelle importante entre les termes qui
nous sont proposés dans les différents textes.
Néanmoins, nous souhaiterions évoquer deux points
Le premier point a trait aux limites du harcèlement moral. Sera-t-il possible
entre collègues ou sera-t-il limité, comme nous l'avions décidé pour le
harcèlement sexuel, à la relation hiérarchique ? Nous savons bien que, en
réalité, le harcèlement moral peut être le fait de collègues, voire de
subordonnés, même si cela est plus rare. Le Conseil économique et social
partage ce point de vue, puisqu'il recommande de ne pas limiter la définition
du harcèlement moral à l'intérieur de la seule relation hiérarchique.
Il convient toutefois de noter que si l'on n'est plus dans le cadre
hiérarchique, on s'éloigne quelque peu du ressort du code du travail. Il s'agit
alors d'une relation interpersonnelle sur le lieu de travail, ce qui n'est plus
tout à fait la même chose.
Nous pensons qu'il faut quand même élargir la définition et retenir le
harcèlement moral entre collègues, voire exercé par des subordonnés.
Nous pensons, en outre, qu'il faudrait, au cours des lectures suivantes, par
souci de cohérence intellectuelle et juridique, établir un parallèle entre le
harcèlement moral et le harcèlement sexuel.
Le second point concerne les conséquences possibles du harcèlement et
l'atteinte éventuelle à la santé physique et mentale de la victime.
Le mot « santé » n'a évidemment pas les mêmes implications que le mot «
intégrité ». Qui dit atteinte à la santé dit maladie.
La question du harcèlement moral comme origine possible d'une maladie
professionnelle est donc posée. Il s'agit là de l'ensemble des troubles
physiques et psychiques consécutifs à un état d'angoisse et de stress prolongé
- fatigue excessive, troubles alimentaires, troubles du sommeil, perte de
l'estime de soi et dépression ou, à l'inverse, développement d'une paranoïa,
etc.
En ces matières, il est néanmoins difficile de discerner ce qui peut provenir
de multiples causes et ce qui résulte d'un harcèlement moral. Bien évidemment,
l'établissement des faits de harcèlement apporte un éclairage décisif.
Si la nécessité de la prise en charge de la victime est une évidence, la prise
en charge du coût des soins ne fait pas l'unanimité. Le groupe socialiste est,
à cet égard, avant tout soucieux des intérêts de la victime, comme l'a indiqué
Mme Dieulangard.
A l'instar de M. Debout, il nous paraît nécessaire d'aller vers la
reconnaissance du harcèlement moral comme origine d'une maladie
professionnelle, en s'entourant toutefois de précautions suffisantes.
Il nous semble que c'est l'amendement n° 427 qui correspond le mieux à notre
conception du harcèlement moral. Nous le voterons donc.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 173, repoussé par le Gouvernement.
M. Roland Muzeau.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence les n°s 387, 247 et 427 n'ont plus d'objet.
Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une
discussion commune.
Par amendement n° 248 Mme Dieulangard, MM. Cazeau, Chabroux, Mme Printz et les
membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le texte
présenté par l'article 50
quater
pour l'article L. 122-49 du code du
travail par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de litige relatif à l'un des alinéas précédents, le salarié présente
des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral. Au
vu des éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que les
éléments constitutifs du harcèlement moral ne sont pas réunis. Le juge forme sa
conviction après avoir ordonné, en tant que de besoin, toutes les mesures
d'instruction qu'il estime utiles. »
Par amendement n° 428, le Gouvernement propose de compléter le texte présenté
par l'article 50
quater
pour l'article L. 122-49 du code du travail par
un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de litige relatif à l'aplication des alinéas précédents et de
l'article L. 122-46 du code du travail, le salarié concerné présente des
éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces
éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne
sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et, le cas échéant, que sa décision
est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral ou
sexuel. »
La parole est à M. Chabroux, pour défendre l'amendement n° 248.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, nous retirons cet amendement au bénéfice de
l'amendement n° 428 du Gouvernement qui propose à la fois la même rédaction sur
la charge de la preuve et une fusion sur ce problème du harcèlement moral et du
harcèlement sexuel. C'est ce que nous souhaitions.
M. le président.
L'amendement n° 248 est retiré.
La parole est à Mme le ministre, pour défendre l'amendement n° 428.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je remercie M. Chabroux d'avoir
retiré l'amendement n° 248 au bénéfice de l'amendement n° 428.
En effet, la preuve du harcèlement moral et sexuel constitue une des
difficultés auxquelles sont confrontées les victimes lorsqu'elles agissent en
justice.
A l'instar de ce qui est proposé en matière de discriminations et afin
d'assurer la transposition des exigences communautaires, les règles de la
charge de la preuve doivent être aménagées.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Cet amendement est incompatible avec l'amendement n° 175 de
la commission, qui vise à aménager de manière différente la charge de la
preuve. Nous y sommes donc défavorables.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 428, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 174, M. Gournac, au nom de la commission des affaires
sociales, propose, à la fin du texte présenté par l'article 50
quater
pour l'article L. 122-51 du code du travail, de remplacer les mots : « actes
visés aux articles L. 122-49 et L. 122-50 », par les mots : « agissements visés
à l'article L. 122-49 ».
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
C'est un amendement de précision. Il est en effet inutile de
faire référence à l'article L. 122-50 du code du travail, qui concerne les
sanctions.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je suis favorable à cette
précision qui me paraît bienvenue.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 174, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 175, M. Gournac, au nom de la commission des affaires
sociales, propose :
A. - Après le texte présenté par l'article 50
quater
pour l'article L.
122-51 du code du travail, d'ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. L. 122-52. -
En cas de litige relatif à l'application de
l'article L. 122-49, le salarié concerné établit des faits qui permettent de
présumer l'existence d'un harcèlement moral. Au vu de ces éléments, il incombe
à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne relèvent pas du
harcèlement moral. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de
besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »
B. - En conséquence, dans le premier alinéa de cet article, de remplacer le
chiffre : « trois », par le chiffe : « quatre ».
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Cet amendement vise à aménager pour deux raisons les règles
de charge de la preuve en cas de litiges relatifs au harcèlement moral.
D'une part, les victimes de harcèlement moral éprouvent souvent des
difficultés pour prouver devant le juge la réalité du harcèlement.
D'autre part, le droit européen - les directives des 29 juin et 27 novembre
2000 - assimile le harcèlement à une forme de discrimination. Or, en cas de
litiges relatifs à une discrimination, le droit européen impose un tel
aménagement de la charge de la preuve.
Cet amendement s'inscrit dans la logique du récent rapport de notre collègue
Louis Souvet sur la proposition de loi relative à la lutte contre les
discriminations.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Là, nous ne sommes pas
d'accord. Je crois avoir exposé, en présentant l'amendement n° 428, les
formulations que je préfère.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 175, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 388, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent :
A. - Après le texte présenté par l'article 50
quater
pour l'article L.
122-51 du code du travail, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. L. ...
- En l'absence d'institution représentative dans
l'entreprise, le salarié victime des agissements visés à l'article L. 122-49
peut faire appel au conseiller figurant sur la liste prévue à l'article L.
122-14, alinéa 2, du code du travail, le conseiller du salarié a, dans ce sens,
les mêmes prérogatives que celles du délégué du personnel telles que définies à
l'article L. 422-1-1 de ce même code. »
B. - En conséquence, dans le premier alinéa de cet article, de remplacer le
chiffre « trois », par le chiffre « quatre ».
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
En vertu de l'article 422-1-1 du code du travail, les délégués du personnel
constatant une atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles
dans l'entreprise peuvent saisir directement l'employeur, qui est tenu de
répondre.
En cas de carence de ce dernier, il appartient au délégué du personnel, avec
l'accord écrit du salarié, de déclencher une procédure devant le bureau du
jugement du conseil des prud'hommes statuant en référé, afin de faire cesser
cette atteinte à la dignité de la personne.
Nous considérons que cette procédure, applicable en cas de harcèlement moral
et pouvant être mise en oeuvre dès la connaissance d'un fait de harcèlement
moral, est effectivement de nature à prévenir et à traiter en interne le
harcèlement, avant de lourds contentieux de requalification de la rupture du
contrat de travail.
Nous proposons donc que les salariés de très petites entreprises ou dépourvues
de représentant du personnel puissent aussi en bénéficier.
Pour rompre l'isolement dans lequel se trouve bien souvent le salarié victime
et pour permettre la médiation au sein de l'entreprise, nous proposons
l'intervention d'une personne extérieure à l'entreprise, c'est-à-dire d'un
conseiller du salarié, doté de prérogatives identiques à celles du délégué du
personnel.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Cet amendement vise à prendre en compte la particularité des
entreprises sans représentants du personnel.
Il risque, toutefois, d'introduire une confusion regrettable quant au rôle du
conseiller du salarié qui intervient, pour l'instant, en matière de
licenciement. J'aimerais d'abord entendre l'avis du Gouvernement.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je voudrais d'abord rappeler
que la mission dévolue au conseiller du salarié est strictement définie par la
loi. Elle consiste à assister le salarié lors de l'entretien préalable au
licenciement. D'ailleurs, le conseiller du salarié n'est pas formé pour
d'autres missions. Dans la pratique, si le salarié a le choix du conseiller,
c'est l'employeur qui fixe la date et le lieu de l'entretien.
Il faut rappeler aussi que le conseiller du salarié, contrairement au délégué
du personnel, n'est pas salarié de l'entreprise. Il n'a pas vocation non plus à
faire des enquêtes dans l'entreprise.
On dénombre actuellement plus de 5 700 conseillers du salarié inscrits sur les
listes départementales, pour un budget de plus de 8 millions de francs. Vous
proposez d'accroître leur mission. Il faut réfléchir à cette question dans un
cadre plus large, car beaucoup d'autres sujets peuvent être concernés. Cela
exigerait en tout cas une réforme de leur statut et, de toute façon, il nous
faut une réflexion d'ensemble sur les missions et les moyens qui leur seraient
alloués. C'est la raison pour laquelle je ne peux, à ce stade, être favorable à
cet amendement.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
La commission émet un avis défavorable.
M. le président.
Monsieur Muzeau, l'amendement n° 388 est-il maintenu ?
M. Roland Muzeau.
Compte tenu des explications fournies par Mme le ministre, je préciserai que
cet amendement concerne également les entreprises de petite taille, dans
lesquelles la représentation syndicale ou la représentation des salariés est
absente ou très délicate à assurer dans la durée, et vous voyez tous à quoi je
fais référence. Il n'est en effet pas aisé d'être représentant syndical dans
une entreprise en général, mais c'est encore plus difficile dans une petite
entreprise.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen souhaitaient attirer
l'attention du Gouvernement et de notre assemblée sur cette question
essentielle qui, j'en conviens, madame le ministre, va bien au-delà du problème
que nous examinons en l'instant. Nous l'avons vu à travers un dispositif qui,
certes, n'est pas similaire mais qui a prouvé l'aspect positif d'un
élargissement à partir du mandatement, prévu dans la loi sur les 35 heures.
L'ensemble de ce dispositif a montré que l'appui extérieur dans les entreprises
qui ne possédaient pas d'institution représentative du personnel avait permis
de résoudre nombre de difficultés.
Cela étant dit, compte tenu de vos explications, madame le ministre, nous
retirons notre amendement, tout en souhaitant que cette question fasse l'objet
d'une réflexion approfondie de vos services.
(Mme le ministre fait un signe
d'assentiment.)
M. le président.
L'amendement n° 388 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 50
quater,
modifié.
(L'article 50
quater
est adopté.)
Articles additionnels après l'article 50 quater