SEANCE DU 9 MAI 2001
M. le président.
Je suis saisi par M. Giraud, au nom de la commission, d'une motion n° 1
tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que la persistance d'un nombre élevé d'IVG révèle les carences
des politiques menées depuis trente ans en faveur d'une éducation responsable à
la sexualité et de l'information sur la contraception ; qu'il est aujourd'hui
de la responsabilité du Gouvernement de définir une politique ambitieuse dans
ces domaines, qui mobilise autant le corps enseignant que le corps médical et
ouvre le dialogue au sein des familles ;
« Considérant que notre pays ne s'est pas davantage donné les moyens
d'appliquer correctement la loi Veil ; que les nombreux dysfonctionnements que
connaissent les structures chargées d'accueillir les femmes et de pratiquer les
IVG ne sont pas étrangers aux difficultés fréquemment rencontrées par les
femmes pour accéder à l'IVG dans les délais légaux ; que si ces moyens en
personnels formés et disponibles, en structures proches et accessibles, avaient
pu être dégagés ou pouvaient l'être aujourd'hui, le présent projet de loi
perdrait sa raison d'être dans ses dispositions essentielles ;
« Considérant que le présent projet de loi, qui se limite à allonger de dix à
douze semaines le délai légal pour bénéficier d'une IVG, constitue, dans ce
contexte, une fuite en avant ; que l'allongement du délai légal n'apporte pas
de véritable réponse à la situation des quelque 5 000 femmes qui, chaque année,
sont contraintes de se rendre à l'étranger pour obtenir une IVG dans des pays
où le terme légal est plus éloigné ;
« Considérant, en effet, que seule la moitié des femmes concernées, 2 000 à 3
000 selon les estimations les plus fiables, serait susceptible de bénéficier de
ces deux semaines supplémentaires ; que l'autre moitié dépasse de toute façon
le délai de douze semaines de grossesse ; que le projet de loi reste muet sur
le sort réservé à ces femmes ;
« Considérant, en outre, que l'allongement du délai comporte un certain nombre
de risques qui sont loin d'être négligeables ; que l'intervention devient ainsi
plus difficile tant d'un point de vue technique que psychologique entre la
dixième et la douzième semaine de grossesse ; que deux semaines supplémentaires
changent la nature de l'acte médical ; qu'elles impliquent un effort
considérable de formation et la mise en place de moyens techniques garantissant
la sécurité des interventions ;
« Considérant dès lors que l'allongement du délai risque de dégrader encore le
fonctionnement quotidien du service public ; qu'il est probable que l'accès à
l'IVG restera toujours aussi difficile pour certaines femmes ; qu'il est à
craindre que ces difficultés soient encore accrues ;
« Considérant, en outre, que, si l'on ne peut pas parler d'eugénisme, le
risque existe de pratiques individuelles de sélection du foetus au vu des
éléments du diagnostic prénatal ;
« Considérant, en définitive, que l'allongement du délai légal revient à
déplacer les frontières de l'échec ;
« Considérant qu'en première lecture, le Sénat a profondément modifié le
projet de loi tel que présenté par le Gouvernement et adopté par l'Assemblée
nationale ;
« Considérant que, donnant la priorité à l'impératif de santé publique, il a
fait le choix de s'opposer à l'allongement du délai légal et de formuler
parallèlement un certain nombre de propositions de nature à apporter une
solution effective aux difficultés rencontrées ;
« Considérant que tout en proposant de maintenir le délai légal de l'IVG à dix
semaines de grossesse, il a ainsi souhaité apporter une réponse à la détresse
des femmes qui dépassent le délai légal en permettant la prise en charge des
situations les plus douloureuses dans le cadre de l'interruption médicale de
grossesse ;
« Considérant qu'en examinant le dispositif du projet de loi, le Sénat a
souhaité certes en limiter les dangers mais que, loin de rejeter l'ensemble du
texte, il en a amélioré sensiblement la teneur sur de nombreux points et
amplifié la portée ;
« Considérant qu'en première lecture il a ainsi adopté sans modification huit
articles et qu'il en a amendé douze ;
« Considérant qu'il a notamment rétabli le contenu du dossier-guide, tel qu'il
était prévu par la loi Veil, dont les éléments n'ont pas pour vocation de
dissuader la femme de recourir à l'IVG, mais simplement de s'assurer qu'elle
prend sa décision en toute connaissance de cause et en disposant de
l'information la plus complète possible ;
« Considérant qu'il a souhaité maintenir, pour les mêmes raisons, le caractère
obligatoire de l'entretien social préalable à l'IVG ;
« Considérant, en outre, que, s'agissant de la difficile question de l'accès
des mineures à l'IVG, il a souhaité que cette possibilité soit entourée de
garanties ; qu'il a en conséquence prévu que l'adulte référent ne se limiterait
pas à accompagner la mineure, mais l'assisterait ; qu'il a de surcroît précisé
que cette personne serait soit un membre majeur de la famille de la mineure,
soit une personne qualifiée, c'est-à-dire compétente et formée ;
« Considérant qu'il a porté de trois à cinq le nombre minimum des séances
annuelles d'éducation à la sexualité et d'information sur la contraception dans
les collèges et lycées, et étendu ces séances aux écoles primaires ; qu'il a
prévu que des réunions associant les parents d'élèves seraient organisées pour
définir des actions menées conjointement ; qu'il a également créé un Conseil
supérieur de l'éducation sexuelle ;
« Considérant qu'il a souhaité réaffirmer la nécessité d'un suivi médical de
la contraception hormonale ; qu'il a considéré que l'obligation de prescription
permettait un bilan et un suivi médical de la femme et un dépistage précoce de
certaines pathologies ;
« Considérant qu'il a également souhaité encadrer la pratique de la
stérilisation à visée contraceptive afin de protéger la santé des personnes et
d'éviter que des excès ne puissent être commis ;
« Considérant qu'il a prévu, s'agissant de la stérilisation des majeurs sous
tutelle, que celle-ci ne pourrait être pratiquée qu'à la demande des parents et
que, si la personne concernée était apte à exprimer sa volonté, son
consentement devait être systématiquement recherché ;
« Considérant que le Sénat a tenu également à enrichir et à compléter le
projet de loi ;
« Considérant qu'il a ainsi solennellement rappelé que la réduction du nombre
des IVG était une priorité de santé publique et que le Gouvernement mettrait en
oeuvre, à cette fin, les moyens nécessaires à la conduite d'une véritable
politique d'éducation à la sexualité et d'information sur la contraception ;
« Considérant qu'il a de même introduit des dispositions importantes
protégeant la femme enceinte contre toute forme de pression destinée à la
contraindre à une interruption de grossesse, prévoyant qu'une information et
une éducation à la sexualité seraient dispensées dans toutes les structures
accueillant des personnes handicapées, et précisant que nul n'est fondé à
demander une indemnisation du seul fait de sa naissance ;
« Considérant que l'Assemblée nationale en nouvelle lecture a non seulement
rétabli l'intégralité des dispositions contestées par la Haute Assemblée mais
qu'elle a écarté l'essentiel des améliorations et corrections apportées par le
Sénat, de même que la quasi-totalité des articles additionnels dont il avait
souhaité enrichir le projet de loi ;
« Considérant que l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a ainsi entendu
signifier qu'elle avait dit son dernier mot dès sa première lecture ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de
loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture,
relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement
du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative
ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour
quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie
au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une
durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Monsieur le président, je n'utiliserai pas les quinze minutes
qui me sont imparties pour présenter cette motion, car, chacun l'aura compris,
dans le rapport que j'ai présenté à la tribune après votre intervention, madame
la secrétaire d'Etat, étaient exposées les raisons qui ont conduit la
commission des affaires sociales au dépôt de cette motion.
Une fois de plus, mon collègue et ami Lucien Neuwirth a démontré - il l'avait
déjà fait à l'occasion de la première lecture - ce que pouvait être la force
d'une conviction, et nous sommes ici nombreux, je crois, à partager entièrement
ses préoccupations, en particulier sur les problèmes de l'information des
jeunes et de l'éducation à la sexualité. Par conséquent, nous continuerons à
défendre avec force ces idées, qu'il est indispensable de transmettre à la
jeunesse de notre pays.
Voilà ce que je tenais à vous dire, mes chers collègues, en présentant cette
question préalable, qui est le résultat d'un constat d'échec et la conséquence
d'un défaut de communication entre les deux assemblées, car, du fait de
l'urgence déclarée sur ce projet de loi, le dialogue n'a pu s'établir.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade, contre la motion.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après
l'échec de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 4 avril dernier -
échec parfaitement prévisible au demeurant, tant étant manifeste la volonté de
la commisison des affaires sociales d'amputer le texte initial de ses
principales dispositions - l'Assemblée nationale est, pour l'essentiel, revenue
à la version du projet de loi qu'elle avait adopté en première lecture ; nous
ne pouvons que nous en réjouir.
Ce projet de loi - avec ses deux principaux volets : IVG et contraception -
est une actualisation nécessaire des lois Neuwirth et Veil, et marque une
avancée essentielle pour les droits des femmes.
M. Alain Gournac.
Pas du tout !
Mme Odette Terrade.
En effet, la commission des affaires sociales avait élaboré un contre-projet
inspiré par une vision complètement différente de celle qui avait prévalu lors
de la conception du projet gouvernemental.
M. Jean Chérioux.
Et bien meilleure !
Mme Odette Terrade.
Oh ça, non !
Qu'on en juge !
La majorité sénatoriale s'est tout d'abord opposée à la mesure phare du projet
de loi, à savoir l'allongement de deux semaines de la durée légale du délai
pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse.
Sous l'impulsion de la commission, nos collègues ont refusé de porter ce délai
de dix à douze semaines, mettant en avant l'augmentation des risques médicaux
pour les femmes qu'entraînerait une intervention plus tardive, alors que de
nombreux spécialistes nous ont affirmé le contraire.
M. Yves Rispat.
Ce n'est pas vrai !
M. Jean Chérioux.
Quels spécialistes ?
Mme Odette Terrade.
En outre, des IVG plus tardives sont pratiquées dans plusieurs pays européens
sans aucune complication.
M. Alain Gournac.
Et alors ?
Mme Odette Terrade.
Avec un délai légal de dix semaines - l'un des plus courts d'Europe - notre
pays est aussi l'un de ceux où les IVG sont les plus nombreuses : 220 000 par
an.
En fait, pour tenter d'apporter une réponse aux 5 000 femmes qui sont, chaque
année, obligées de se rendre à l'étranger pour y subir une interruption
volontaire de grossesse, parce qu'elles ont dépassé le délai légal en vigueur
dans notre pays, nos collègues de la majorité sénatoriale, soucieux de prendre
en compte cette réalité, ont préféré proposer une mesure visant à faire entrer
les interruptions volontaires de grossesse pratiquées au-delà de dix semaines
dans le cadre de l'interruption médicale de grossesse.
M. Alain Gournac.
C'est très bien !
Mme Odette Terrade.
Oui, mais cela ne fait que renforcer le pouvoir médical au détriment de la
liberté de choix des femmes concernées, liberté qui, pour nous, reste
essentielle !
Le fait de décider de recourir à une IVG ou y être contrainte n'est jamais un
acte banal ni une décision prise à la « légère » par les femmes. C'est pourquoi
nous pensons que, dans ce genre de situations, il n'est en aucun cas nécessaire
d'entraver la liberté de décision des femmes en les obligeant à être entendues
par une commission d'experts médicaux.
Nous tenons à réaffirmer que la décision du recours à l'interruption
volontaire de grossessse appartient à la femme et à elle seule. C'est pourquoi,
à la différence de la droite sénatoriale, nous sommes là encore totalement en
accord avec la disposition du projet de loi issu des débats à l'Assemblée
nationale supprimant le caractère obligatoire de l'entretien social préalable à
une interruption volontaire de grossesse. Comme nous l'avions longuement
rappelé en première lecture, cet entretien est en effet le plus souvent vécu
comme une contrainte, comme une obligation de se justifier, par les femmes qui
ont pris la décision d'interrompre leur grossesse. On peut même dire que, dans
beaucoup de cas, il revêt un caractère dissuasif, voire infantilisant.
Nous sommes toutefois parfaitement conscients que ce moment de dialogue,
lorsqu'il est bien conduit, peut permettre de déceler certaines difficultés
sociales ou des violences subies par les femmes. Précisément, le texte de
l'Assemblée nationale instaure les conditions d'une écoute de meilleure qualité
en laissant aux femmes la liberté d'avoir recours à l'entretien préalable, si
elles le souhaitent.
Il va même plus loin puisqu'il est proposé la possibilité d'avoir un dialogue
avec une personne qualifiée avant et après l'interruption volontaire de
grossesse.
Nous sommes très attachés à ce caractère facultatif de l'entretien social
préalable...
M. Alain Gournac.
Pas nous !
Mme Odette Terrade.
... car il est, selon nous, de nature à responsabiliser la femme et à
dédramatiser la démarche conduisant à l'IVG.
M. Jean Chérioux.
C'est ignorer de la réalité des choses et la souffrance de certaines femmes
!
Mme Odette Terrade.
Absolument pas, mon cher collègue, et je vous prie de croire que les
nombreuses femmes concernées - je l'ai dit en première lecture - et les
nombreuses conseillères conjugales qui pratiquent ces entretiens préalables ont
témoigné du besoin de dialogue et de justification qu'éprouvent ces femmes en
situation de grande détresse.
En proposant systématiquement cet entretien, en lui donnant un caractère
facultatif, nous aboutirons à ce que vous souhaitez : à savoir assurer une
écoute de meilleure qualité, un dialogue et un suivi médico-psychologique.
M. Jean Chérioux.
On refuse de leur venir en aide !
Mme Odette Terrade.
Je rappelle que l'entretien demeure obligatoire pour les mineures. Il est
clair que, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, deux conceptions
radicalement opposées s'affrontent.
Mes chers collègues, pour nous, ce projet de loi n'est pas une « fuite en
avant » ; c'est une actualisation nécessaire prenant en compte la réalité
d'aujourd'hui.
Il en est de même pour ce qui concerne l'aménagement de l'obligation
d'autorisation parentale pour les mineures confrontées à une interruption
volontaire de grossesse. Le texte permet à une mineure d'avoir recours à l'IVG
lorsqu'elle désire garder le secret ou que le dialogue avec sa famille se
révèle impossible, mais il continue d'affirmer que le consentement parental
doit être recherché dans la mesure du possible.
En cela, la rédaction nous paraît parfaitement équilibrée et en phase avec la
réalité des situations vécues par nombre de jeunes filles pour qui il est
impossible de parler de sexualité avec leur famille. Il est bien clair que pour
une grande majorité de notre assemblée cette dérogation à l'autorité parentale
n'a pas lieu d'être. C'est très regrettable.
Le texte aborde aussi le problème de la clause de conscience pour les médecins
: désormais, un chef de service opposé à l'IVG sera tenu de mettre en place les
moyens nécessaires à cette pratique dans son service. C'est un point très
positif, tout comme la pénalisation plus importante des entraves à l'IVG. Les
commnados anti-IVG n'ont que trop sévi dans notre pays !
Le droit à l'IVG a été conquis grâce à la lutte des femmes et il est encore
trop souvent remis en question.
La grande force de ce projet de loi réside dans sa capacité à apporter des
réponses concrètes aux problèmes des femmes confrontées à une interruption
volontaire de grossesse car, faut-il le rappeler, l'IVG est toujours le dernier
recours. C'est pourquoi le rapport de la délégation aux droits des femmes
insistait sur la contraception et les moyens à mettre en oeuvre pour une
information efficace dès l'école.
Sur ce dernier point, les avancées sont notables et prennent notamment en
compte la nécessité de mettre sur pied une éducation à la santé et à la
sexualité dans les établissements scolaires, et ce dès l'école primaire, même
si nous regrettons que, sur ce thème, les amendements que notre Haute Assemblée
avait votés à l'unanimité n'aient pas été retenus par nos collègues de
l'Assemblée nationale.
Une autre avancée importante a trait à la libéralisation de la prescription,
de la délivrance et de l'administration de la contraception aux mineures.
Cette mesure s'inscrit dans la lignée des dispositions introduites par le
texte relatif à la contraception d'urgence.
Tout doit être mis en oeuvre pour élargir au maximum l'accès à la
contraception et favoriser le développement de l'éducation sexuelle.
Nous sommes à cet égard très satisfaits que l'Assemblée nationale ait maintenu
la disposition que le groupe communiste républicain et citoyen avait introduite
au Sénat...
M. Alain Gournac.
Pas nous !
Mme Odette Terrade.
... prévoyant qu'une éducation à la sexualité soit dispensée dans toutes les
structures accueillant des personnes handicapées.
Nous pensons que ce projet de loi constitue un volet important de la lutte des
femmes pour la maîtrise de leur fécondité, complète efficacement notre
législation en termes d'interruption volontaire de grossesse et de
contraception et que ses articles 19 et 20 concernant la stérilisation à visée
contraceptive comblent un vide juridique qui, jusqu'à ce jour, laissait les
professionnels seuls face à cette responsabilité.
Ce texte n'est en aucun cas une « fuite en avant » comme le prétend la
commission des affaires sociales ; il représente une réelle avancée pour les
femmes. Il s'inscrit dans la continuité de la loi Veil, qui l'a précédé en
1975.
Il est vraiment dommage que la majorité sénatoriale se replie sur ses
positions idéologiques et refuse toute évolution du droit des femmes. Une
nouvelle fois, force est de constater que vous vous opposez, systématiquement,
messieurs de la majorité, à toute avancée permettant d'actualiser notre
législation dès qu'il s'agit de sujets de société « sensibles », comme celui
qui nous occupe aujourd'hui.
Mes chers collègues, ne craignez pas l'augmentation du nombre d'IVG, ni leur
banalisation ; misez plutôt sur la responsabilité des femmes et des générations
à venir. La maîtrise de la fécondité aura été une grande avancée de ce siècle.
Conquise par la lutte, elle demeure un des éléments marquants du combat des
femmes pour l'égalité, question toujours d'actualité !
Nous attendons avec confiance la lecture définitive à l'Assemblée nationale,
qui permettra à notre pays d'avoir à sa disposition un cadre législatif
cohérent et complet concernant l'IVG et la contraception.
Pour l'heure, nous appelons tous les sénateurs et sénatrices soucieux de
faire progresser le droit des femmes à repousser, avec la plus grande fermeté,
la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission des
affaires sociales.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame le ministre, mes chers collègues, je tiens à dire quelques mots après
l'intervention de Mme Terrade.
Prétendre, madame, que la majorité sénatoriale s'oppose à une amélioration du
choix des femmes, c'est oublier que le Sénat a été bien souvent en avance par
rapport à l'Assemblée nationale.
Ce fut le cas à plusieurs reprises, notamment lorsqu'il a suivi les
propositions de notre collègue Lucien Neuwirth, mais aussi lorsqu'il s'est agi
de faciliter la distribution du NorLévo aux jeunes filles en difficulté.
Mme Odette Terrade.
J'en ai donné acte.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
J'ai été navré de
constater que, pour justifier ce que vous appelez la « mesure phare » du projet
de loi - l'augmentation du délai d'IVG de deux semaines - vous invoquiez le
fait que nous serions à la traîne par rapport à d'autres pays, notamment les
Pays-Bas. Comme je l'ai déjà dit, ce qui nous intéresse, c'est de faire une loi
qui soit non pas politiquement correcte mais médicalement correcte pour la
santé des femmes.
Et puisque, finalement, vous en êtes à vouloir faire une loi par imitation, je
vous signale - et j'en terminerai par là - que les Pays-Bas viennent d'adopter
un texte relatif à l'euthanasie. A quand, chez nous, la loi d'imitation sur
l'euthanasie ?
(Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Guy Fischer.
C'est de l'amalgame !
M. le président.
Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question
préalable.
M. Claude Huriet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous dire que je suis en accord
avec vous lorsque vous regrettez qu'on ne puisse poursuivre le dialogue. Mais
laissez-moi vous dire aussi que nous avons surtout déploré l'absence de
dialogue.
Dès les premières minutes de la commission mixte paritaire, nous avons fort
bien décelé une volonté de la faire échouer, une volonté déterminée devant
laquelle, hélas ! nous avons dû nous incliner. Ce refus du débat peut
d'ailleurs fort bien s'expliquer par le dogmatisme et le mensonge que nous
avons vu apparaître à plusieurs reprises au cours des discussions.
A vrai dire, mes chers collègues, le point de départ de ce débat est à
rechercher en juillet 2000, lorsque le Premier ministre a refusé d'élargir une
proposition de loi sur la contraception d'urgence à une révision de la loi
Veil.
Il a été mis en cause très sévèrement par la commission nationale des femmes
du parti socialiste, qui, le 8 juillet, avait adopté une motion réclamant la
prise de mesures sur cinq points particuliers, dont nous avons trouvé mention
dans le texte finalement adopté par l'Assemblée nationale. Pour en arriver là,
il aura fallu la parution dans un hebdomadaire féminin d'un article très dur à
l'encontre du chef du Gouvernement, article qui s'intitulait :
Les
fourberies de Jospin,
retenant une formule qu'aucun d'entre nous, membres
de la majorité sénatoriale, n'aurions osé utiliser à l'encontre du Premier
ministre.
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
Vous avez de bonnes lectures !
M. Claude Huriet.
Voilà bien le point de départ du texte, sur lequel, dès l'origine, la marge de
discussion était inexistante.
Ce projet de loi nous revient donc totalement inchangé. Notre collègue vient
de dire à l'instant que certains amendements pourtant adoptés à l'unanimité par
la Haute Assemblée n'ont même pas été retenus par l'Assemblée nationale.
Comment ne pas le regretter avec elle ?
Les dispositions concernant le contenu du livre, qui avaient recueilli un
large consensus au sein de la commission des affaires sociales, ont été rayées
du texte. Pourquoi ?
Les dispositons concernant l'arrêt Perruche, qui apportaient une réponse
considérée comme urgente ont été également écartées, comme si l'on pouvait
s'interroger pour savoir s'il était ou non licite d'accorder à un handicapé une
indemnité parce qu'il était né ! Y a-t-il vraiment là matière à réflexion, à
discussion, à temporisation ?
Il en résulte que la loi qui sera finalement adoptée, et ce malgré nous, ne
sera plus la loi Veil. Vous venez de dire, madame, que le présent texte
garantissait une continuité. C'est inexact.
Les deux points fondamentaux de la loi Veil consistaient l'un à introduire une
dépénalisation, l'autre à donner une réponse à l'état de détresse de la femme.
Or, par la volonté de l'Assemblée nationale, à laquelle vous souscrivez, ces
deux points essentiels de la loi de 1975 ont été écartés.
Désormais, c'est le droit de la femme sur son propre corps qui l'emporte.
D'ailleurs, permettez-moi de vous dire, madame, que j'ai été peiné que vous,
une femme, n'ayez à aucun moment, dans votre intervention, évoqué l'enfant à
naître. Vous avez parlé de la femme, du droit de la femme sur son corps, mais
vous avez totalement passé sous silence que la femme enceinte porte en elle un
germe de vie. J'aurais aimé que vous le mentionniez, sans faire référence à une
quelconque idéologie.
J'ai dit « mensonge » tout à l'heure. Pour utiliser un terme un peu moins
fort, je parlerai de contre-vérités, le sens étant d'ailleurs à peu près
identique.
En ce qui concerne la prolongation du délai légal, à de nombreuses reprises,
nous avons entendu dire qu'il n'y avait pas de différence quant au geste
médical pratiqué avant ou après la dixième semaine. Mais c'est faux ! La
référence qui a été donnée est celle de l'Agence nationale d'accréditation et
d'évaluation en santé, l'ANAES, qui est une agence officielle et qui, à
l'évidence, a souligné qu'il fallait un environnement technique et médical
particulier. En aucun cas, vous n'en avez fait état. Est-ce une omission
volontaire ou non ?
Et puis, il y a le rapport Nisand, qui a été demandé par le Gouvernement et
dont on n'a pratiquement plus parlé au cours de la discussion au Sénat et pas
davantage, me semble-t-il, à l'Assemblée nationale. Pourquoi ? Parce que ce
rapport, qui ne pouvait pas être critiqué pour son engagement idélogogique
partisan, faisait état de quelques réserves. A aucun moment, ces réserves n'ont
été évoquées. S'agit-il, là encore, d'un mensonge par omission ou d'un oubli
involontaire ?
Il y a eu, nous ont affirmé les ministres qui sont venus défendre le texte,
une concertation avec les acteurs de l'IVG, qui sont pour la plupart des
militants de la première heure, qui ne sont donc pas anti-IVG, mais qui, dans
leur pratique quotidienne, savent quelles sont les conséquences d'une IVG et
dans quel climat, dans quel contexte psychologique et humain elle doit
intervenir. Or, ayant adressé 220 questionnaires à 700 centres d'IVG et ayant
reçu 140 réponses, je puis vous assurer qu'aucune de ces réponses ne fait la
moindre mention de contacts et d'interrogations qui auraient été adressés aux
militants de l'IVG pour savoir quel était leur point de vue sur l'évolution de
la loi. Pour toutes ces raisons, monsieur le président, madame le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, nous voterons la question préalable, mais ce avec
regret, car le débat aurait dû s'engager en tenant compte à la fois des
évolutions de la société et de ce qui en est le fondement, c'est-à-dire une
certaine conception de la vie, le respect de la liberté, tout en prenant en
considération la détresse des femmes, dont la gauche n'est pas le seul
défenseur.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR,
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Lucien Neuwirth.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Une fois de plus, il est mis en évidence que, s'agissant d'un problème de
société, l'urgence n'est pas acceptable.
Dans notre groupe, sur ces problèmes de société, la liberté de vote est la
règle : chacun d'entre nous votera en son âme et conscience.
Désormais, pour ce qui est de ce texte, tout est scellé. Heureusement, il nous
reste l'initiative des propositions loi, et je ne tarderai pas, dès la
promulgation de ce texte, à faire usage de ce pouvoir.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
crois que notre souci commun est d'être utile aux femmes, aux couples et aux
familles. Cela suppose que nous donnions aux femmes la possibilité de mettre au
monde, dans les conditions qu'elles estiment convenables, un enfant désiré.
Cela correspond aussi bien à un droit de l'enfant qu'à un droit de la femme,
l'un et l'autre n'ayant pas à être opposés.
Il arrive que des femmes souhaitent interrompre une grossesse non désirée.
Elles ont le droit, ne l'oublions pas, de faire ce choix, qu'elles font en
fonction de leur situation particulière et de leur propre projet de vie.
Il se produit, à cet égard, des choses curieuses dans cette enceinte : on y
entend les mêmes tantôt s'opposer aux lois portées par le Gouvernement sous
prétexte qu'elles heurtent la diversité des situations, alors que, disent-ils,
il faut savoir faire preuve de libéralisme. tantôt prétendre faire obstacle à
la possibilité qui est demandée par les femmes de pouvoir choisir à propos de
ce qui les concerne plus que quiconque.
Nous pensons que la suppression du caractère obligatoire de l'entretien
préalable correspond à la liberté de la femme. Ce qui est important, c'est que
les femmes qui le souhaitent puissent se voir proposer cet entretien : or ce
sera le cas.
Concernant l'allongement du délai de dix semaines à douze semaines, pesons les
arguments contradictoires.
De votre côté, chers collègues de la majorité sénatoriale, beaucoup avancent
des arguments idéologiques. Même s'ils sont l'expression de sentiments et de
convictions que je veux croire sincères, ils n'ont pas à être imposés à
d'autres.
Le risque d'eugénisme est également évoqué et, c'est vrai, il faut être
vigilant à cet égard. Mais, là encore, l'argument ne tient pas, car les
diagnostics pourront se faire de plus en plus tôt. Surtout, il est absurde de
comparer les femmes à des consommatrices qui feraient leur marché dans leur
ventre !
Le dernier argument avancé contre l'allongement est que celui-ci ne réglerait
pas tous les cas. Cet argument est fallacieux : faut-il ne pas lever les
difficultés entre dix et douze semaines sous prétexte qu'on ne les règle pas
au-delà de douze semaines ?
Nous avions proposé que l'IVG soit possible au-delà de douze semaines pour les
femmes qui en ont fait la demande dans le délai légal. Auriez-vous été d'accord
? A la place, vous proposiez d'étendre le champ de l'IMG. Il se serait agi
d'une mesure purement théorique : pas plus qu'aujourd'hui, la femme n'aurait eu
la possibilité de choisir, passé le délai de dix semaines.
Pourtant, ce délai est souvent trop juste. Il bouscule nombre de femmes et de
médecins, notamment lorsque ceux-ci doivent compter avec la difficulté, pour
certaines femmes, d'accomplir les démarches. C'est la raison pour laquelle il
faut introduire plus de souplesse dans les délais. Où y a-t-il le plus
d'inconvénients pour le corps médical ? Dans le fait de se former à pratiquer
quelques IVG après dix semaines, ou bien dans la hantise du délai que plusieurs
patientes risquent de dépasser ? Certains médecins, conscients de leur devoir,
se mettent parfois hors la loi. Ce n'est pas normal ! Et le départ de femmes
pour l'étranger après dix semaines n'est pas normal non plus.
Autre point : l'autorisation parentale pour les mineures. Là encore, il faut
tenir compte des situations où la jeune fille ne peut pas parler de sa
grossesse à ses parents. Nous ne devons pas fermer les yeux sur ces situations,
de même que nous ne voulons pas faire semblant de ne pas voir les femmes qui
partent à l'étranger pour une IVG au-delà de dix semaines.
Quant à la contraception, nous souhaitons en faire un véritable enjeu de santé
publique, pleinement assumé, et non un prétexte à une remise en cause de l'IVG.
Les Pays-Bas, qui ont une politique très en pointe en matière de contraception,
ont aussi une attitude beaucoup plus ouverte à l'égard de l'IVG. D'ailleurs, la
majorité des IVG ont pour origine une mauvaise connaissance des moyens de
contraception.
Dans ce domaine aussi, ce sont souvent les personnes les plus défavorisées qui
se retrouvent les plus exposées. Il y a là un enjeu de justice sociale. Plutôt
que de prétendre aider des femmes à mener à terme une grossesse alors qu'elles
n'en veulent pas, ne faut-il pas chercher à améliorer la situation des femmes,
afin qu'elles aient suffisamment confiance en elles-mêmes, en leur avenir, en
la qualité des liens sociaux dans lesquels elles sont engagées ? C'est là, nos
concitoyennes et nos concitoyens le savent, tout ce à quoi tend la politique du
Gouvernement.
Nous avions soulevé le point délicat de la prévention de la stérilisation des
personnes handicapées mentales. Il faut protéger ces personnes, ce que tend à
faire le projet de loi. Ces dernières semaines, un nouveau moyen de
contraception est apparu, sous forme d'implant se glissant sous la peau du bras
et étendant ses effets sur plusieurs années. Il devrait éviter le recours à la
stérilisation, y compris pour les personnes qui ne sont pas handicapées
mentales, puisqu'il est spécifié que la question de la stérilisation ne peut se
poser que dans les cas où les autres méthodes de contraception ne sont pas
susceptibles d'être mises en oeuvre efficacement.
Eviter le risque d'une mutilation ne doit cependant pas nous exonérer d'un
débat sur la sexualité des personnes handicapées mentales. Dans ce domaine, des
crimes doivent être empêchés et des bonheurs légitimes doivent être rendus
possibles. Le sujet est grave.
S'agissant toujours de la stérilisation, l'Assemblée nationale n'a pas rejeté
toutes les modifications apportées par le Sénat. Elle a au moins maintenu
l'extension du délai de réflexion à quatre mois pour les personnes capables
demandant une stérilisation, mesure que nous avions proposée.
Ce texte apporte, sur de vraies questions, des solutions de bon sens. Il prend
en compte la diversité des situations, diversité dont nous devons reconnaître
la réalité. C'est pourquoi nous voterons contre la question préalable.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je ne pensais pas intervenir à
nouveau, ayant dit, dans mon propos introductif, l'essentiel de ce que je
souhaitais exprimer. Cependant, je voudrais répondre en quelques mots à M.
Huriet, qui doute de la conviction du Premier ministre sur le sujet dont nous
débattons.
Monsieur le sénateur, je ne peux pas vous laisser dire des choses inexactes. A
mon sens, ceux qui, au sein des gouvernement successifs, ont été en charge des
droits des femmes, n'ont peut-être pas toujours eu la chance d'oeuvrer sous
l'autorité d'un Premier ministre animé d'une réelle conviction et d'une réelle
volonté politique en ce domaine comme l'est Lionel Jospin. Je tenais à apporter
cette précision avec force.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de
loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des
affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ? ...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 216 |
Contre | 100 |
(Le Sénat a adopté.)
En conséquence, le projet de loi est rejeté.
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