SEANCE DU 10 MAI 2001
MAGISTRATS DE LA COUR DES COMPTES
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 297, 1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions statutaires
relatives aux magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des
comptes et modifiant le code des juridictions financières. [Rapport n° 298
(2000-2001).]
Nous avons le plaisir de saluer la présence dans nos tribunes de M. le Premier
président de la Cour des comptes, à qui je souhaite la bienvenue.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet
de loi qui est aujourd'hui soumis à la Haute Assemblée tend à reconnaître sur
le plan statutaire le rôle joué par les magistrats des chambres régionales des
comptes.
Comme vous le savez, ce texte trouve son origine dans l'adoption par le
Parlement de la loi du 25 mars 1997, qui a refondu le statut des conseillers
des tribunaux administratifs. Compte tenu de la similitude des carrières et des
modes de recrutement, il était légitime que les magistrats des chambres
régionales des comptes bénéficient du même traitement.
Le Gouvernement s'est donc attaché à mettre en oeuvre la réforme du statut des
magistrats de chambre régionale des comptes, qui a été présentée en conseil des
ministres le 29 décembre 1999 et adoptée en première lecture par l'Assemblée
nationale le 30 mars 2000. Le présent projet de loi modifie donc la partie
législative du code des juridictions financières afin de réformer les
dispositions statutaires régissant le corps des conseillers de chambre
régionale des comptes et de compléter celles qui sont applicables aux
magistrats de la Cour des comptes. Cette modification statutaire permet de
prendre en compte l'évolution de la charge et des procédures des chambres
régionales des comptes depuis leur création.
Souvent, on ne mesure pas à quel point la charge des chambres régionales des
comptes a évolué.
Depuis 1988, le nombre de comptabilités publiques relevant de ces chambres a
constamment augmenté, à la fois en raison du franchissement du seuil de
compétences par des organismes qui relevaient auparavant du système de
l'apurement administratif et du fait de la création de nouveaux établissements
publics de coopération intercommunale, consécutive à la mise en oeuvre de la
loi du 6 février 1992. L'augmentation de leur nombre a été d'un peu plus de 7 %
entre 1991 et 1998, ce qui représente plus de 4 500 organismes
supplémentaires.
Or les moyens de contrôle affectés à ces collectivités et établissements
publics, de taille souvent modeste, réduisent d'autant les moyens disponibles
pour la vérification d'organismes plus importants, aux enjeux tout autres.
Par ailleurs, les procédures que les chambres régionales des comptes ont à
mettre en oeuvre ont été sensiblement modifiées. Au-delà de l'aspect
quantitatif que je viens d'évoquer, les conditions dans lesquelles les chambres
régionales des comptes exercent leur mission ont été modifiées par les nombreux
textes intervenus au cours des dix dernières années. Ceux-ci vont tous dans le
même sens : un accroissement du rôle des juridictions régionales et un
perfectionnement de leurs procédures, dont le caractère contradictoire a été
accru.
C'est vrai, tout d'abord, de la loi du 15 janvier 1990, relative à la
limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des
activités politiques, qui a rendu communicables les observations définitives
formulées par les chambres régionales des comptes.
C'est vrai aussi de la loi du 6 février 1992, qui a notamment ouvert la
possibilité pour le représentant de l'Etat et pour les ordonnateurs de demander
à une chambre régionale un examen de gestion.
C'est vrai également de la loi de janvier 1993, qui a inclus les chambres
régionales des comptes dans le dispositif de prévention de la corruption et
institué une procédure d'audition.
C'est vrai encore de la loi du 8 février 1995, qui a renforcé leurs moyens
d'investigation pour le contrôle des délégations de service public.
C'est vrai, enfin, du décret du 23 août 1995, qui a introduit l'audience
publique pour les condamnations définitives à l'amende.
En un mot, le contrôle des chambres régionales des comptes est donc devenu en
quelques années plus large dans son champ et plus approfondi dans son contenu.
Cette nouvelle donne éclaire le contenu de la réforme du statut des magistrats
des chambres régionales des comptes qui vous est aujourd'hui proposée.
Celle-ci s'articule autour de trois axes.
Premier axe : assurer la pérennité d'un recrutement de qualité.
La qualité du recrutement des magistrats des chambres est indispensable, cela
va sans dire, à la qualité des contrôles qu'ils effectuent. Cette exigence
justifie de garantir aux magistrats un déroulement de carrière attractif et
linéaire par une réduction du nombre des grades et par la revalorisation de
leur grille indiciaire. De ce point de vue, la réforme tend à leur transposer,
pour l'essentiel, la nouvelle grille indiciaire dont bénéficient les
conseillers des tribunaux administratifs depuis l'entrée en vigueur de la loi
du 25 mars 1997.
Dans le même temps, ce recrutement se doit d'être plus diversifié. C'est
pourquoi il vous est proposé d'élargir les possibilités d'accueil en
détachement et d'intégration dans le corps, notamment en provenance des corps
équivalents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique
hospitalière. Cette ouverture du corps devrait permettre aux chambres
régionales de s'attacher la collaboration d'agents aux parcours professionnels
diversifiés, mieux adaptés aux besoins fonctionnels des juridictions.
Deuxième axe : accroître, dans les deux sens, les liens entre les magistrats
de la Cour des comptes et ceux des chambres régionales des comptes.
Le renforcement de la cohérence de l'action des juridictions financières doit
s'accompagner d'une plus grande osmose entre le corps des magistrats de la Cour
des comptes et celui des conseillers des chambres régionales.
Ainsi, d'un côté, le projet de loi tend à instituer, en faveur des magistrats
des chambres régionales, des voies spécifiques d'accès au corps de la Cour des
comptes : au grade de conseiller référendaire de deuxième classe, à raison
d'une nomination par an, et au grade de conseiller maître, à raison d'une
nomination sur dix-huit.
De l'autre côté, le projet tend à favoriser l'accès des conseillers à la
présidence d'une chambre régionale, qui est statutairement confiée à un membre
du corps de la Cour des comptes, par l'effet conjugué de plusieurs dispositions
: le nombre minimal des présidences revenant aux conseillers de chambre
régionale serait porté d'un tiers à la moitié ; l'âge minimum requis pour être
nommé en cette qualité serait ramené de quarante-cinq ans à quarante ans ; les
fonctions de président de chambre régionale des comptes et le nouvel emploi de
vice-président de la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France seraient
dotés d'un statut d'emploi ; enfin, la durée des fonctions de président dans
une même chambre régionale serait limitée à sept ans, afin de favoriser la
mobilité.
Troisième axe : renforcer l'indépendance des chambres régionales des comptes
et mettre en place une gestion plus concertée.
Un ensemble de modifications touche à la composition et aux compétences du
Conseil supérieur des chambres régionales des comptes et tend à la mise en
place d'une gestion plus concertée.
A cet effet, le nombre de représentants des magistrats de chambre régionale
des comptes au Conseil supérieur serait porté de quatre à six.
Quant à la compétence du Conseil, elle serait étendue aux propositions de
nomination à l'emploi de président de chambre régionale ainsi qu'aux
propositions de nomination de magistrats de chambre régionale au tour extérieur
de la Cour des comptes.
Dans la même optique, la réforme prévoit, pour ce qui concerne les magistrats
de la Cour, l'institution d'une commission consultative de la Cour des comptes.
Ce nouvel organe, créé par la loi, aurait à connaître des questions de
compétence, d'organisation, de fonctionnement et d'avancement des magistrats de
la Cour. Il serait également consulté sur les propositions de nomination à
l'emploi de président de chambre régionale et de nomination de magistrats de
chambre régionale des comptes au tour extérieur de la Cour des comptes.
Tels sont, rapidement présentés, les principaux enjeux et objectifs du présent
projet de loi.
Au cours de l'examen de ce texte par votre assemblée, le Gouvernement vous
proposera cinq amendements destinés à compléter les aménagements qui ont été
apportés en première lecture par l'Assemblée nationale.
Le premier est relatif à la mobilité. Je redis ici que le Gouvernement partage
la volonté de nombreux élus de développer la mobilité dans les chambres
régionales des comptes.
Il faut souligner que cette mobilité concerne chaque année près du cinquième
de l'effectif du corps. Les magistrats des chambres régionales, en particulier
ceux qui sont recrutés par la voie de l'ENA, sont d'ores et déjà soumis à une
obligation statutaire de mobilité qui les amène à diversifier leur expérience
professionnelle en exerçant des fonctions dans une autre administration.
En revanche, le Gouvernement ne souhaite pas retenir le texte adopté en
première lecture par l'Assemblée nationale qui, en limitant à sept ans
l'exercice des fonctions d'un magistrat au sein d'une même chambre, poserait de
grandes difficultés à un corps qui ne compte que 328 membres. L'amendement qui
vous est proposé tend donc à restreindre cette obligation de mobilité qui ne
s'appliquerait que lors de l'accès au grade de président de section. Il s'agit
dans les faits de la reprise du dispositif existant dans le statut des
conseillers de tribunal administratif pour l'accès au grade de président.
Un autre amendement introduit un article additionnel après l'article 1er
tendant à étendre l'accès aux fonctions de rapporteur à la Cour des comptes aux
fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction
publique hospitalière, à l'instar de ce qui est déjà prévu pour les chambres
régionales des comptes.
Deux amendements modifient l'article 16, relatif aux présidents de chambre
régionale. Il s'agit, d'une part, de fermer l'accès à ces fonctions aux
premiers conseillers, les nominations étant, à l'heure actuelle, de fait déjà
réservées aux seuls présidents de section, et, d'autre part, de permettre aux
présidents qui seront désormais détachés dans un statut d'emploi de participer
aux formations et aux travaux de la Cour des comptes.
Enfin, un amendement a pour objet de prendre en compte, en ce qui concerne le
régime des incompatibilités applicables aux magistrats des chambres régionales
des comptes, l'évolution du rôle dévolu aux établissements publics de
coopération intercommunale depuis la loi de 1982, qui a créé les chambres
régionales des comptes.
Avant de conclure, je souhaiterais évoquer un point qui, je le sais, sera
régulièrement soulevé au cours du débat.
Beaucoup d'entre vous ont travaillé sur les procédures applicables devant les
chambres régionales : votre commission des lois, tout d'abord, le groupe
socialiste, ensuite, et, à titre individuel, certains sénateurs.
Voilà tout juste un an, lorsque je m'étais exprimée devant votre assemblée sur
la proposition de loi de MM. Oudin et Amoudry, j'avais indiqué, comme le
rappelle M. Hoeffel dans son rapport, que le projet de loi statutaire pouvait
apparaître comme un bon vecteur pour évoquer ces questions. Pourtant, j'y avais
mis, à l'époque, une condition expresse, à savoir que l'élargissement du projet
de loi statutaire aux questions de procédure ne puisse conduire à reporter
l'adoption du nouveau statut, à laquelle les magistrats des chambres régionales
des comptes, le Gouvernement et je le sais, le Parlement, sont particulièrement
attachés.
Aujourd'hui, malheureusement, cette condition ne peut plus être remplie. En
effet, il apparaît que, sur ce qui constitue l'essentiel du texte, c'est-à-dire
les dispositions à caractère statutaire, un accord entre les deux assemblées
peut aisément être trouvé, de sorte qu'elles devraient être rapidement
adoptées. A l'inverse, sur ce qui a trait aux procédures et à l'exercice des
compétences locales, la discussion doit encore être approfondie, et j'ai
parfaitement conscience de l'importance et de la sensibilité des questions qui
sont soulevées par les uns et par les autres.
L'Assemblée nationale, en première lecture, a adopté des dispositions dont
l'esprit recueille, je crois, votre assentiment. Sur les autres sujets que vous
évoquez, il m'apparaît indispensable de leur trouver un autre cadre d'examen
que le projet de loi statutaire.
Le défaut d'adoption de celui-ci de manière définitive avant la fin de cette
année empêcherait, en effet, que les mesures importantes qu'il comporte pour la
carrière des magistrats concernés puissent entrer en application de manière
rétroactive au 1er janvier de l'année 2000, comme le prévoit le texte. Or un
report d'entrée en vigueur aurait pour conséquence de placer les magistrats des
chambres régoinales des comptes dans une situation défavorable par rapport à
l'ensemble des corps de la haute fonction publique. Cela ne peut être justifié
et, partant, ne serait pas compris.
Pour terminer, je souhaite redire à la Haute Assemblée que nous nous attachons
à rechercher un texte d'accueil en vue de l'examen d'ici à la fin de la
législature des questions procédurales que vous mettez en exergue. En
conséquence, je ne pourrai, vous le comprendrez, me déclarer favorable aux
amendements qui seront présentés au cours de ce débat pour des raisons de
stricte cohérence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne saurais être plus longue. Je vous
remercie de votre attention.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un an après son
adoption par l'Assemblée nationale le 30 mars 2000, nous sommes saisis en
première lecture du projet de loi portant diverses dispositions statutaires
relatives aux magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des
comptes et modifiant le code des juridictions financières.
Ce projet de loi vise trois objectifs : assurer la pérennité d'un recrutement
de qualité et renforcer les moyens des chambres régionales des comptes ;
accroître les liens entre les magistrats de la Cour et ceux des juridictions
régionales ; mettre en place une gestion plus concertée du corps.
Le retard pris par le Gouvernement dans l'inscription à l'ordre du jour du
présent projet de loi est regrettable - même si nous sommes heureux qu'il
vienne en discussion maintenant - car il a incontestablement conduit à une
situation de malaise dans les chambres régionales des comptes.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Et chez les
élus !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Je présenterai mon propos en trois points.
J'évoquerai d'abord le contexte dans lequel travaillent actuellement les
magistrats financiers, et qui leur est défavorable.
Je décrirai ensuite le projet de loi, qui ne répond pas à l'ensemble des
difficultés aujourd'hui rencontrées dans les juridictions financières,
puisqu'il s'attaque au seul problème statutaire.
Je présenterai enfin la position de la commission des lois, qui vous proposera
d'adopter le présent projet de loi, très attendu par les magistrats financiers,
tout en l'enrichissant des dispositions contenues dans la proposition de loi
adoptée par le Sénat le 11 mai 2000.
Est-il, en effet, meilleur texte d'accueil que celui-ci pour répondre à cette
attente ?
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Le fonctionnement actuel des chambres régionales des comptes
suscite un certain malaise, chez les magistrats comme chez les élus.
Un triple constat l'explique, que vous avez d'ailleurs analysé, madame la
secrétaire d'Etat.
Le premier constat est celui de l'extension des compétences des chambres
régionales des comptes, laquelle s'est traduite par un net alourdissement de
leur charge de travail.
Faut-il rappeler que la loi du 2 mars 1982 avait confié trois grandes missions
aux chambres régionales des comptes : le jugement des comptes, qui est leur
seule attribution juridictionnelle ; le contrôle des actes budgétaires ; enfin,
l'examen de la gestion, donnant lieu à des observations qui, en l'état actuel
du droit, sont réputées ne pas faire grief.
A la suite d'évolutions législatives successives, les chambres régionales des
comptes ont connu un accroissement sensible de leur charge de travail.
Le deuxième constat concerne le corps des magistrats des chambres régionales
des comptes. Celui-ci, constitué essentiellement au moyen de recrutements
exceptionnels, connaît aujourd'hui un véritable blocage de l'avancement.
Je rappellerai ici que les membres des chambres régionales des comptes
constituent un corps de magistrats inamovibles, structuré en quatre grades. Les
présidents de chambre régionale des comptes ont, par ailleurs, un statut
spécifique puisqu'ils sont ès qualités membres de la Cour des comptes.
Au total, au 31 décembre 2000, les chambres régionales des comptes
comprenaient trois cent neuf magistrats, auxquels il convient d'ajouter les
vingt-six présidents de chambre, qui sont membres de la Cour des comptes.
Quatre-vingt-six autres magistrats, soit 22 % du corps, n'étaient pas en
service dans les chambres régionales.
En principe, les conseillers de deuxième classe sont recrutés par la voie de
l'Ecole nationale d'administration, un accès au corps par le biais du tour
extérieur étant également prévu. En pratique, le corps des magistrats des
chambres régionales des comptes a été très largement constitué par des
procédures de recrutement exceptionnel, dictées par la nécessité de donner
rapidement une consistance à ces nouvelles juridictions.
Les recrutements, plus importants dans les grades d'avancement que par la voie
de l'Ecole nationale d'administration, et le vieillissement démographique du
corps ont progressivement déséquilibré la répartition des magistrats par
grades. La pyramide du corps s'est ainsi retrouvée inversée. Dès lors, nombre
de magistrats des chambres régionales des comptes souffrent d'un blocage de
leur avancement.
Le troisième et dernier constat est celui du retard accusé - vous l'avez
rappelé, madame la secrétaire d'Etat - par les magistrats financiers par
rapport aux magistrats administratifs.
Jusqu'en 1997, le statut du corps des magistrats des chambres régionales des
comptes était assez largement comparable à celui des membres des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel. Cependant, la loi du 25
mars 1997 a restructuré le corps des magistrats administratifs et,
parallèlement à la réforme législative, un rééchelonnement indiciaire a été
effectué.
Un rapprochement des deux statuts, sous réserve de la reconnaissance de
spécificités propres aux magistrats des chambres régionales des comptes,
apparaît donc indiscutablement nécessaire.
Le projet de loi restructure le corps des magistrats financiers, tandis que la
proposition de loi du Sénat réforme les procédures applicables devant les
chambres régionales des comptes.
Comme vous avez présenté, madame la secrétaire d'Etat, le projet de loi
aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat, je ne reprendrai pas la présentation de
ses différentes dispositions, lesquelles présentent un caractère exclusivement
statutaire. Je concentrerai donc mon propos, d'une part, sur les ajouts
apportés par l'Assemblée nationale, d'autre part, sur les dispositions de la
proposition de loi adoptée par le Sénat le 11 mai 2000, tendant à réformer les
conditions d'exercice des compétences locales et les procédures applicables
devant les chambres régionales des comptes.
Je présenterai tout d'abord les principaux ajouts de l'Assemblée nationale en
matière statutaire.
L'Assemblée nationale a renforcé les liens entre la Cour des comptes et les
chambres en instituant en faveur des présidents de section des chambres
régionales des comptes un accès spécifique au grade de conseiller maître à la
Cour des comptes.
Elle a institué une mobilité obligatoire tous les sept ans pour l'ensemble des
magistrats des chambres régionales des comptes, alors que le projet de loi
originel réservait aux seuls chefs de juridiction l'interdiction d'exercer
leurs fonctions plus de sept années au sein d'une même chambre régionale.
L'Assemblée nationale a tiré les conséquences du statut d'emploi des
présidents de chambre régionale des comptes en étendant le principe du
détachement à l'ensemble des Chefs de juridiction nommés dans les emplois de
président de chambre régionale des comptes, qu'ils soient issus de la cour ou
des chambres régionales.
Enfin, elle a élargi les possibilités de recrutement au tour extérieur de
conseillers de chambre régionale des comptes aux agents titulaires de la
fonction publique hospitalière.
Etendant le champ du projet de loi, à l'origine exclusivement statutaire,
l'Assemblée nationale a aussi modifié les procédures applicables devant les
chambres régionales des comptes afin d'en renforcer le caractère
contradictoire, estimant elle-même qu'il s'agissait par excellence d'un texte
d'accueil pour modifier un certain nombre de dispositions relatives aux
procédures.
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
D'une part, l'Assemblée nationale a institué un délai de deux
mois pour adresser une réponse écrite aux lettres d'observations provisoires
des chambres régionales des comptes.
D'autre part, elle a prévu que les observations définitives arrêtées par les
chambres régionales des comptes seraient adressées sous la forme d'un rapport
d'observation, comportant la réponse écrite de la personne mise en cause et
faisant l'objet d'une diffusion auprès de l'assemblée délibérante
intéressée.
Ces nouvelles dispositions m'amènent maintenant à présenter la proposition de
loi du Sénat, dont le double objectif est de renforcer la sécurité juridique
des actes des collectivités locales et d'améliorer les procédures applicables
devant les chambres régionales des comptes.
Je rappelle que, lors de la séance publique du 11 mai 2000, le Sénat a adopté
la proposition de loi de MM. Jacques Oudin, Jean-Paul Amoudry, Philippe Marini,
Patrice Gélard, Joël Bourdin, Paul Girod et Yann Gaillard. Au nom de la
commission des lois, notre collègue Jean-Paul Amoudry avait présenté le rapport
sur cette proposition de loi.
A travers les dix-neuf articles de cette proposition de loi, le Sénat a
d'abord souhaité définir dans la loi l'objet de l'examen de la gestion par les
chambres régionales des comptes.
Il a prévu que les observations que la chambre régionale des comptes
formulerait à cette occcasion devraient être hiérarchisées selon leur
importance relative.
La procédure de l'apurement administratif serait étendue aux communes de moins
de 2 500 habitants et aux groupements de moins de 10 000 habitants dont les
recettes ordinaires n'excéderaient pas 7 millions de francs, contre 2 millions
de francs actuellement.
La proposition de loi du Sénat tend ensuite à améliorer les procédures
applicables devant les chambres régionales des comptes.
La Cour des comptes se verrait confier le soin d'homogénéiser les procédure
mises en oeuvre par les différentes chambres régionales.
La règle de non-communication, déjà en vigueur pour les documents provisoires
de la Cour des comptes, serait étendue à ceux des chambres régionales des
comptes.
La présentation de ses conclusions par le ministère public avant l'arrêt par
la chambre régionale des comptes des observations définitives sur la gestion
serait systématisée.
L'ordonnateur mis en cause dans une lettre d'observations définitives devrait
être en mesure de présenter une réponse écrite ; il disposerait d'un délai d'un
mois pour le faire. Cette réponse serait annexée aux observations définitives
de la chambre régionale des comptes. Une mesure comparable figure d'ailleurs à
l'article 32 du texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale.
La proposition de loi tend à suspendre la publication et la communication des
observations définitives sur la gestion pendant une période de six mois
précédant les élections, dite « délai de neutralité ».
Les dirigeants des personnes morales contrôlées ou de toute autre personne
nominativement ou explicitement mise en cause pourraient demander la
rectification d'observations définitives sur la gestion par une chambre
régionale des comptes.
Par ailleurs, la proposition de loi reconnaît aux observations définitives sur
la gestion le caractère d'actes faisant grief, susceptibles d'être déférés
devant la juridiction administrative.
Enfin, la proposition de loi tend à aménager le régime de la gestion de fait.
Le régime des inéligibilités serait notamment modifié afin de supprimer la
démission d'office de l'élu déclaré gestionnaire de fait.
Telle est, brièvement résumé, le contenu de cette proposition de loi.
J'en viens, pour terminer, à la position prise par la commission des lois.
La commission se félicite de l'adoption du présent projet de loi et du
rapprochement qu'il opère avec le statut des magistrats administratifs.
Cependant, l'amélioration du fonctionnement des chambres régionales des
comptes et le rétablissement ou la consolidation de la confiance entre élus
locaux et magistrats financiers exigent également de rénover les conditions
d'examen de la gestion locale.
En premier lieu, la commission des lois vous propose d'approuver la réforme du
statut des magistrats de chambre régionale des comptes, sous réserve de
certaines modifications, d'ailleurs mineures.
En effet, il lui semble opportun de saisir l'occasion de l'examen au
Parlement, à des dates rapprochées, des trois statuts des magistratures
françaises pour tenter de les rapprocher, plutôt que pour en accentuer les
divergences.
En particulier, l'obligation de mobilité tous les sept ans, prévue par
l'Assemblée nationale pour l'ensemble des magistrats des chambres régionales
des comptes, ne nous paraît pas applicable. Vous l'avez rappelé, madame la
secrétaire d'Etat, elle ne trouve d'équivalent dans aucun autre corps de
fonctionnaires en général ou de magistrats en particulier. Une telle obligation
statutaire de mobilité générale et systématique pourrait entraîner de graves
difficultés de gestion, s'agissant, en l'occurrence, d'un corps relativement
restreint. Il convient d'ajouter que les conseillers ne sont pas dans la même
situation que les présidents de juridiction, qui exercent des fonctions et des
responsabilités spécifiques, en particulier les contacts avec les élus
locaux.
La commission des lois vous proposera donc de remplacer l'obligation
statutaire de mobilité, introduite par l'Assemblée nationale, par un avancement
sous condition de mobilité au grade de président de section.
En deuxième lieu, la commission des lois souhaite attirer l'attention du
Gouvernement sur la nécessité d'un statut des magistrats de la Cour des
comptes.
En effet, les magistrats de la Cour des comptes constituent sans doute le seul
corps de fonctionnaires français n'aant pas de statut global. A titre
d'exemple, les règles d'avancement n'étant pas écrites, la Cour n'a ni comité
ni tableau d'avancement.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Et elle s'en porte très bien !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
La commission des lois saisit l'occasion de l'examen du
présent projet de loi pour vous proposer d'introduire une disposition relative
aux sanctions disciplinaires applicables aux magistrats de la Cour des comptes,
par analogie avec le régime applicable aux conseillers d'Etat.
Selon les informations que nous avons pu recueillir, la Cour travaille
actuellement à l'élaboration d'un projet de texte statutaire, de nature
législative, qu'elle devrait vous soumette prochainement, madame la secrétaire
d'Etat. La commission des lois s'en félicite et souhaite être saisie rapidement
d'un tel texte.
En troisième lieu, enfin, la commission des lois vous proposera d'enrichir le
contenu du projet de loi statutaire par les dispositions de la proposition de
loi qui a été votée par le Sénat le 11 mai 2000.
L'existence d'un contrôle financier est la contrepartie de l'autonomie et des
responsabilités des collectivités locales. Ce principe ne saurait être mis en
cause, mais chacun, magistrat comme élu, s'accorde à reconnaître la nécessité
d'une réforme des procédures des chambres régionales des comptes et des
conditions d'examen de la gestion des collectivités locales et de leurs
établissements publics. L'urgence d'une telle réforme est d'ailleurs accentuée
par les évolutions jurisprudentielles récentes.
Force est cependant de constater que la proposition de loi, adoptée par le
Sénat voilà un an, après de nombreuses consultations et un travail approfondi,
n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Lors de la discussion de ce texte au Sénat, vous aviez, madame la secrétaire
d'Etat, indiqué, et vous l'avez rappelé tout à l'heure, que le projet de loi
statutaire, qui venait alors d'être débattu à l'Assemblée nationale, pouvait
apparaître comme « le meilleur vecteur » d'une réforme des missions et des
procédures des chambres régionales des comptes. Je ne répéterai pas les propos
que j'ai tenus voilà quelques instants. Le texte d'accueil est là. Profitons-en
naturellement pour essayer de faire avancer l'examen de cette question.
Le Gouvernement avait d'ailleurs donné un avis favorable aux deux articles
introduits par l'Assemblée nationale dans le présent projet de loi, tendant à
accentuer le caractère contradictoire de la procédure applicable devant les
chambres régionales des comptes et dont l'un s'inspire incontestablement d'un
article de la proposition de loi du Sénat.
Dès lors, la commission des lois vous propose de compléter le projet de loi
par le dispositif de la proposition de loi votée le 11 mai 2000, et de modifier
en conséquence l'intitulé du projet de loi.
Sous réserve de ces observations et des modifications qu'elle vous soumet, la
commission des lois vous suggère d'adopter le projet de loi « relatif aux
chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes ».
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Madame le secrétaire d'Etat, votre
propos liminaire me préoccupe quelque peu.
Vous nous avez indiqué, en substance, que vous n'étiez pas d'accord sur
l'essentiel des dispositions que la commission des lois a adoptées. Celles-ci
résultent du travail extrêmement approfondi du groupe qui avait été constitué
entre la commission des lois et la commission des finances, et qui avait abouti
à un texte voté par le Sénat. Nous souhaitons le reprendre. Vous y semblez
hostile.
Pour justifier votre position, vous avez avancé non pas de véritables raisons
mais plutôt un prétexte. En effet, vous nous aviez dit vous-même, et M. le
rapporteur l'a excellemment rappelé, que vous attendiez un texte d'accueil. Or
le texte d'accueil est là : il s'agit du présent projet de loi. Nous pouvons le
compléter par des amendements, et croyez bien que nous le ferons. Nous verrons
bien ce que vous ferez vous-même par la suite et quelle sera votre position au
cours du débat.
Le prétexte, même si vous ne l'avez pas dit aussi nettement, c'est que les
magistrats sont pressés de voir amélioré leur statut. Pourquoi pas ? Mais il en
est d'autres qui sont pressés, madame le secrétaire d'Etat, ce sont les élus
locaux, qui attendent de profondes modifications du fonctionnement des chambres
régionales des comptes. En effet, ce dispositif n'a pas donné entièrement
satisfaction jusqu'à présent. Ce n'est d'ailleurs pas anormal. C'était une
expérience, ô combien novatrice, qui a été instituée dans les années 1982-1985.
Il a fallu la mettre au point, parvenir à des aménagements ; ces derniers sont
souhaitables, et nous les demandons.
Madame le secrétaire d'Etat, ne croyez pas que vous allez gagner du temps en
refusant nos propositions. En raison de l'encombrement du travail parlementaire
d'ici à la fin de la législature, c'est-à-dire, compte tenu des échéances
électorales, d'ici à décembre prochain à peu près, vous ne pourrez pas, et vous
le savez bien, faire adopter un texte. Vous ne parviendrez donc pas à
l'amélioration souhaitable.
Votre comportement me rappelle un précédent assez fâcheux. Vous êtes à bonne
école, puisque ce précédent concerne M. Jospin. Alors ministre de l'éducation
nationale, il avait eu l'ambition - extrêmement légitime - de procéder à une
revalorisation des traitements, mais en contrepartie d'un aménagement
substantiel du fonctionnement du corps enseignant, des techniques
d'enseignement.
Que s'est-il passé alors ? Ceux qui sont chargés de l'enseignement de nos
jeunes enfants manifestaient dans les rues en réclamant la « revalo ». Ils
l'ont obtenue, mais le corps enseignant n'a pas bougé... Nous avons donc
assisté, à cette occasion, au déroulement du scénario que vous nous proposez
maintenant, c'est-à-dire un aménagement statutaire et financier substantiel -
nous en sommes d'accord - à la condition que l'on ne touche pas au fond des
choses.
Nous ne pouvons pas vous suivre sur ce point. Nous persistons dans notre
intention de traduire dans le présent projet de loi ce qui a déjà été élaboré
par le Sénat et excellemment repris et exposé voilà un instant par M. le
rapporteur.
Par ailleurs, je veux bien qu'il y ait des statuts partout. J'ai eu l'honneur
d'appartenir à un grand corps qui vivait très bien sans statut. Nous ne savions
pas si nous étions des magistrats ou des fonctionnaires et je dois dire que
parfois c'est bien commode. Pour la Cour des comptes, la situation est la même.
Elle veut un statut, elle l'aura, mais je ne sais pas si elle y gagnera !
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
adopté par l'Assemblée nationale l'an dernier, le présent projet de loi devait
initialement s'attacher essentiellement à répondre aux revendications
statutaires des magistrats financiers, mises en lumière lors de leur mouvement
de grève d'octobre 1999.
Ainsi était-il prévu d'assurer la pérennité d'un recrutement de qualité,
d'accroître les liens entre les magistrats de la Cour des comptes et ceux des
chambres régionales des comptes, enfin, de mettre en place une gestion plus
concertée du corps et de renforcer l'indépendance des chambres régionales des
comptes.
Ce texte
a priori
technique et d'ordre purement statutaire, qui ne
posait aucun problème dans cette forme-là, aurait dû normalement être adopté
définitivement depuis longtemps et satisfaire ainsi la profession.
Tel n'a pas été le cas, et pour cause !
Dès son examen par la commission des lois de l'Assemblée nationale, certains
députés ont jugé le texte de portée trop limitée parce qu'il ne s'attaquait pas
au cadre juridique dans lequel les chambres régionales des comptes exercent
leurs missions.
Craignant de se faire damer le pion par les sénateurs, à l'aube des échéances
locales, les députés ont changé l'objet du texte en introduisant des
modifications touchant à la procédure applicable devant les cours régionales
des comptes et renforçant principalement son caractère contradictoire.
Aujourd'hui, c'est la commission des lois du Sénat qui remet au goût du jour
toute une batterie d'amendements visant à réinsérer dans le texte les
dispositions de la proposition de loi de nos collègues Jacques Oudin et
Jean-Paul Amoudry, examinée et adoptée en mai 2000 - M. le rapporteur l'a
rappelé - texte qui avait suscité à l'époque l'opposition du groupe communiste
républicain et citoyen.
Je rappelle que, si certains mesures, telles l'instauration d'un véritable
droit de réponse des élus aux lettres d'observation dans un délai d'un ou de
deux mois, l'annexion de la réponse écrite à la lettre d'observation ou la
présentation par le ministère public de ses conclusions avant l'arrêt des
observations définitives sur la gestion par la chambre régionale des comptes,
nous paraissent intéressantes, en revanche, nous demeurons hostiles à une
remise à plat du contrôle de gestion, comme le propose une fois encore la
majorité de la commission.
Les amendements de la commission des lois tendent plus à restreindre les
compétences des chambres régionales des comptes qu'à répondre aux difficultés
réelles que celles-ci peuvent rencontrer dans l'accomplissement de leurs
missions.
En effet, en proposant une définition beaucoup trop restrictive du champ et de
la nature de l'examen de la gestion, en prévoyant la possibilité d'un recours
contentieux devant les juridictions administratives contre les observations des
chambres permettant d'en retarder la publication et donc d'en diminuer la
portée ainsi que l'intérêt, en interdisant la publication d'observations
définitives six mois avant toute élection générale, c'est l'existence même du
contrôle financier que la commission persiste à voir remise en cause.
Ajoutons à cela la mobilité géographique que les députés ont voulu imposer aux
magistrats, et la boucle est bouclée !
Cette obligation de mobilité, que la commission des lois propose de réécrire,
appelle de ma part certaines critiques.
En effet, alors que le principe de l'inamovibilité des magistrats du siège,
gage de leur indépendance, est consacré dans l'article 64 de la Constitution,
alors que le législateur de 1982 a clairement exprimé sa volonté de respecter
ce principe au sein du code des juridictions financières, la disposition
introduite par M. Dosière vient singulièrement en réduire la portée.
Cette mesure non seulement porte atteinte à un principe fondamental du
fonctionnement de notre justice, mais va également à l'encontre du renforcement
de l'indépendance, qui a pourtant présidé à l'élaboration du projet
gouvernemental.
Cette obligation de mobilité, juridiquement fragile, associée au régime
d'incompatibilité et d'inéligibilité déjà très sévère auquel sont soumis les
magistrats, aurait été difficilement applicable en pratique. De surcroît, elle
aurait eu comme conséquence de porter atteinte à l'attractivité de ce corps
pourtant recherchée par le projet de loi, risquant par là même d'entraîner un
immobilisme qui n'est pas souhaitable. Et je ne parle pas des lourdes charges
financières qui auraient découlé de cette mobilité forcée !
La rédaction proposée par la commission des lois tend à instituer une mobilité
sous condition d'avancement, qui nous semble plus appropriée en ce qu'elle
encourage une certaine mobilité des magistrats des chambres régionales des
comptes sans pour autant tomber dans les excès du dispositif précédent.
Je crois savoir que les professionnels concernés ne sont pas hostiles à cette
mesure qui a été transmise par le Premier président de la Cour des comptes à M.
le rapporteur. Toutefois, pourquoi ne pas avoir été jusqu'au bout de la logique
en incluant la mobilité fonctionnelle, à l'instar du dispositif en vigueur pour
les énarques ? Nous avons déposé un amendement dans ce sens.
Sans nier ni les difficultés existant au sein des chambres régionales des
comptes, institutions encore jeunes qui demeurent parfois dans l'incertitude
quant à leur rôle et à leurs moyens, ni les difficiles relations entre juges et
élus qui souffrent d'un manque de dialogue confiant, de concertation en amont
des procédures, j'estime cependant que ce n'est pas au détour d'un texte
portant diverses dispositions statutaires que cette question, qui nécessite une
réflexion d'ensemble déconnectée du statut des magistrats financiers, pourra
être réglée.
Nous avons déjà abordé pour partie, l'année dernière, la question des
relations entre les élus et les chambres régionales des comptes, avec le débat
sur la proposition de loi de nos collègues Jacques Oudin et Jean-Paul Amoudry,
laquelle a été adoptée. On peut regretter, à l'instar de M. le rapporteur, que
ce texte n'ait pas suivi son cours en étant inscrit à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale. Fallait-il pour autant hypothéquer le sort d'une
revalorisation statutaire attendue par la profession et qui s'inscrit dans un
mouvement général, souligné avec raison par M. le rapporteur, de rapprochement
des trois magistratures françaises ?
J'ajoute qu'une telle manière de procéder a tout lieu d'être perçue par les
magistrats comme une sorte de chantage ou de donnant, donnant : « d'accord pour
revaloriser votre statut, mais, en contrepartie, les compétences des chambres
régionales des comptes seront restreintes ».
On voit également que, avec de tels motifs, la réforme statutaire a peu de
chance d'aboutir dans un proche avenir.
Or, il revient au Parlement de donner des signes forts et clairs en direction
des magistrats financiers des chambres régionales des comptes pour les
confirmer dans leur rôle d'acteur de la démocratie locale dont, comme l'a
souhaité le législateur en 1982, chaque chambre régionale des comptes est
l'instrument indispensable pour aider le Parlement dans son contrôle des
finances publiques et pour assurer la transparence de la vie publique.
Les chambres régionales des comptes issues des lois de décentralisation de
1982, corollaires indispensables de la disparition de la tutelle
administrative, indépendantes de l'Etat, ont, après quelques difficultés
pratiques dues à leur installation, atteint aujourd'hui leur vitesse de
croisière et ont su, au fil des ans, démontrer leur utilité ainsi que leur
efficacité.
C'est sans doute d'ailleurs pour cette raison qu'elles font depuis plusieurs
années l'objet de toutes les attentions, notamment de la part du Sénat, qui
semble pousser jusqu'à l'obsession son désir de les réformer.
Il faut dire que le rôle des chambres régionales des comptes est d'autant plus
important que les collectivités locales qu'elles contrôlent sont devenues, avec
des dépenses représentant plus de la moitié du budget national et des
investissements égaux à 70 % de l'investissement public total, un acteur
essentiel de l'économie. De plus, les chambres régionales des comptes ont vu
leur charge s'alourdir au cours des dix dernières années avec l'entrée en
vigueur de nouvelles lois.
Il serait tout à fait possible, à mon avis, sans remettre en cause les
compétences des chambres régionales des comptes, d'opérer des aménagements
simples, voire des modifications d'ordre réglementaire, attendus par les élus
locaux, qui permettraient une amélioration sensible des conditions du contrôle
de gestion.
Madame la secrétaire d'Etat, vous vous êtes engagée, voilà un instant, à
présenter rapidement un texte d'accueil. C'est la bonne voie et la sagesse. Il
est en effet nécessaire de mener, en association avec tous les protagonistes,
une réflexion d'ensemble sous l'angle de la démocratie locale pour mieux
définir encore les objectifs des chambres régionales des comptes et les moyens
pour y parvenir, sans pour autant réduire le contrôle à une simple vérification
de l'application des textes, en oubliant ce qui a trait à l'efficience et à
l'efficacité.
Or, c'est dans cette voie, chers collègues de la majorité sénatoriale, que
vous vous dirigez en voulant réduire les missions et les moyens des chambres
régionales des comptes au risque de dévaloriser le métier de magistrat, de
nuire à son attractivité et, par là même, à la qualité du recrutement, alors
que c'est précisément tout le contraire que nous étions censés faire avec le
projet de loi initial.
La qualité des contrôles risque également de pâtir de cette situation. De
plus, si le rôle du juge financier est amoindri, c'est le juge pénal qui
risquera alors d'occuper le terrain, ce qui, vous l'avouerez, est loin d'être
souhaitable.
Enfin, en légiférant de la sorte, ne risque-t-on pas de passer finalement à
côté de mesures essentielles ?
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen étaient déjà quelque
peu réticents face à la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
Vous comprendrez donc aisément que, après l'examen de ce texte dans cette
enceinte, nous y soyons maintenant clairement hostiles.
En effet, les mesures préconisées par nos collègues de la majorité
sénatoriale, loin de permettre un quelconque rééquilibrage des chambres
régionales des comptes, déboucheront sur un nouveau déséquilibre dont personne
ne pourra se satisfaire : ni les élus ni les citoyens, qui ont pourtant le
droit de demander compte à tout agent public de son administration.
Mes chers collègues, la sagesse voudrait que les deux textes restent
disjoints, car ils n'ont pas la même portée. Ne prenons pas le risque,
aujourd'hui, de modifier l'équilibre même de la décentralisation ! Sachons
créer des liens de confiance entre élus et chambres régionales des comptes, cet
outil indispensable dont dispose l'Etat de droit pour assurer une saine gestion
du secteur public local.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on ne
soulignera jamais assez combien le processus de décentralisation engagé par le
gouvernement de Pierre Mauroy a modifié le paysage institutionnel français.
Parmi les innovations issues des célèbres lois de 1982, les chambres
régionales des comptes, installées l'année suivante, atteignent aujourd'hui
l'âge de la majorité, ce qui ne les empêche pas d'être encore perfectibles.
L'objet
a priori
peu polémique du projet de loi fort technique que nous
examinons ce matin est de transposer sur le plan statutaire l'évolution des
procédures et la montée en puissance du rôle des chambres régionales des
comptes dans l'esprit de la récente réforme du statut des conseillers des
tribunaux administratifs.
L'harmonisation statutaire est d'autant plus attendue des magistrats
intéressés que ces derniers souhaitent cette réforme depuis la refonte du
statut des magistrats administratifs adoptée en mars 1997 ; le précédent
gouvernement n'avait en effet pas profité de l'examen de ce texte pour régler
parallèlement le sort des magistrats financiers.
Les chambres régionales des comptes méritent notre attention, car elles
participent de la transparence, qui est l'un des principes essentiels du
Gouvernement. Elles assument avec succès une triple mission, évoquée par M. le
rapporteur : le contrôle juridictionnel des comptes, le contrôle budgétaire et
l'examen de la gestion des collectivités territoriales.
Les différents travaux des chambres régionales des comptes offrent aux
collectivités locales, comme à l'administration d'Etat, de précieux
enseignements qui contribuent à éclairer leurs décisions, à corriger des
irrégularités et à prévenir des erreurs de gestion.
Les rapports, qui sont publics, concourent à l'information des citoyens et
servent donc la démocratie dans le droit-fil de l'article 15 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, laquelle proclame le droit de la société «
de demander compte à tout agent public de son administration ».
Dès lors, la place des chambres régionales des comptes dans nos institutions
constitue l'un des aspects du débat sur la modernisation de l'Etat. Impartiales
et indépendantes tant du pouvoir exécutif que du pouvoir législatif, ces
juridictions financières fondent leur légitimité sur la transparence qu'une
démocratie est en droit d'exiger quant à l'utilisation des deniers publics.
Toutefois, à la suite de nombreux ajustements, ces instances de régulation ont
reçu du législateur des missions dont la charge s'est constamment accrue depuis
1982 sur le plan tant quantitatif que qualitatif. Elles sont amenées à
contrôler des sommes tout à fait considérables, qui s'élèvent à 10 % du produit
intérieur brut - pas moins de la moitié du budget de l'Etat ! - et 70 % des
investissements publics. Champ étendu, contenus de plus en plus complexes,
l'ampleur des tâches désormais dévolues aux chambres régionales des comptes
impose à elle seule une rationalisation du statut des magistrats. C'est ce à
quoi nous nous attelons aujourd'hui.
Le dispositif qui nous est soumis s'articule selon trois axes.
Il s'agit d'abord d'assurer la pérennité d'un recrutement de qualité et de
rendre plus attractif le déroulement de carrière, en procédant à une réduction
du nombre des grades et, ainsi, à une revalorisation de la grille indiciaire.
Ce premier point emporte notre complète adhésion.
Il s'agit ensuite de consolider encore les liens qui unissent les magistrats
de la Cour des comptes à ceux des chambres régionales des comptes.
Il s'agit enfin de renforcer l'indépendance des chambres régionales des
comptes et d'accentuer l'intervention d'instances consultatives dans la gestion
des carrières.
Je ne détaillerai pas le contenu de ce projet de loi, sur lequel tout a été
dit et qui, d'ailleurs, ne pose pas de problème particulier. Je dirai seulement
un mot sur l'article 9
bis
, introduit par l'Assemblée nationale et
tendant à imposer une mobilité obligatoire tous les sept ans à l'ensemble des
magistrats financiers, pour me réjouir qu'une solution plus adaptée et plus
réaliste soit proposée par le biais d'un amendement gouvernemental.
J'en viens maintenant à la partie additionnelle de ce projet de loi introduite
par l'Assemblée nationale. En effet, celle-ci a complété le dispositif
statutaire par deux dispositions importantes concernant le fonctionnement même
des chambres régionales des comptes.
S'agissant de la procédure applicable devant les chambres en matière de
contrôle de gestion, il convient d'améliorer le régime de publicité des lettres
d'observation définitives et de conforter le principe du contradictoire. La
réponse écrite à une lettre d'observation provisoire doit être produite dans un
délai de deux mois. Les observations définitives des chambres régionales des
comptes seront ensuite communiquées aux personnes concernées sous forme de
rapport d'observation. Les ordonnateurs mis en cause pourront formuler une
réponse écrite qui, à condition d'être adressée dans un délai de deux mois,
sera alors jointe au rapport. La publication, dans les mêmes conditions, des
observations des chambres et de la réponse qui leur est faite permettra la
confrontation équilibrée des points de vue et offrira aux citoyens les éléments
nécessaires à la formation de leur jugement.
Les deux articles nouveaux introduits à l'Assemblée nationale avec l'accord du
Gouvernement, sont une invitation, pour le Sénat, à reprendre certaines
dispositions de la proposition de loi déposée par MM. Oudin et Amoudry et
adoptée le 11 mai dernier. Il est avéré que le fonctionnement des chambres
régionales des comptes, après presque vingt ans d'exercice, mérite d'être
adapté. Il s'agit d'une demande unanime des élus locaux, toutes tendances
politiques confondues, et c'est pourquoi, madame la secrétaire d'Etat, le
groupe socialiste a repris, lui aussi, un certain nombre d'amendements déjà
présentés lors de l'examen de la proposition de loi précitée.
A cet égard, je crois me rappeler que, sur plusieurs d'entre eux, nous
n'avions pas de désaccord de fond et que les divergences portaient davantage
sur le calendrier. Citons, parmi ces propositions, la prescription pour gestion
de fait, fixée à trente ans contre dix ans en matière criminelle : nous
suggérons de retenir un délai plus raisonnable, prenant en considération le
rythme et les charges de travail imposés par le contrôle ; citons encore une
mesure prévoyant que les lettres d'observation n'interféreront pas avec une
campagne électorale et, enfin, les amendements relatifs à la déclaration
d'utilité publique ou à la suppression de la démission d'office de l'élu
déclaré gestionnaire de fait.
Toutefois, madame la secrétaire d'Etat, à la suite de votre intervention et de
l'engagement que vous avez pris de rechercher un texte d'accueil d'ici à la fin
de la législature,...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
C'était une plaisanterie !
M. Jacques Mahéas.
J'estime pour ma part que l'engagement pris par Mme la secrétaire d'Etat n'est
pas une plaisanterie, mais je pense que ce n'est pas ce que vous avez voulu
dire, monsieur le président de la commission !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Absolument !
M. Jacques Mahéas.
L'engagement pris par Mme la secrétaire d'Etat de rechercher un texte
d'accueil d'ici à la fin de la législature me paraît être un élément positif.
En effet, des navettes pourront alors être évitées, ce qui permettra une
application rapide de ce texte.
Par conséquent, tout en soutenant les propositions que je viens de formuler et
en approuvant un certain nombre de dispositions de la proposition de loi «
Oudin-Amoudry », le groupe socialiste est prêt à examiner le texte présenté par
le Gouvernement.
Cependant, en tant que cartésien, je souhaiterais un statut unifié pour la
fonction publique, sans dispositions trop spécifiques pour tel ou tel corps,
observation qui vaut, bien évidemment, pour les magistrats de la Cour des
comptes et des chambres régionales des comptes.
J'aimerais enfin relayer le souhait exprimé par bien des élus locaux soucieux
de faire reculer l'insécurité juridique qu'ils peuvent ressentir devant
l'octroi aux chambres régionales des comptes d'une mission de conseil aux
collectivités locales. A cet égard, je suis parfaitement conscient du fait que
les chambres ne sauraient être à la fois juge et partie. Néanmoins, elles sont
encore trop souvent considérées comme un organe de censure. Il reste certes
possible de dégager, au travers des remarques contenues dans leurs lettres
d'observation, les éléments d'une bonne pratique, mais leur participation à des
pôles de compétence préfectoraux pourrait être garante d'un équilibre plus
serein entre élus et instances de contrôle.
Ces considérations ouvrent bien des perspectives. Pour intéressantes qu'elles
soient, elles nous éloignent cependant d'un texte dont la portée devait être
exclusivement statutaire. Il est à craindre que le retard, déjà accusé, ne
s'aggrave, alors que certaines dispositions contenues dans le projet de loi
sont applicables à compter du 1er janvier 2000, avec effet rétroactif.
Pour autant, les questions soulevées au sujet du fonctionnement des chambres
régionales des comptes doivent être rapidement résolues. C'est pourquoi nous
serons très attentifs aux réponses que vous nous apporterez, madame la
secrétaire d'Etat, notamment lors de la discussion des amendements.
En ce jour anniversaire de l'accession au pouvoir de François Mitterrand,
comment ne pas saluer les lois de décentralisation, dont il fut l'auteur avec
Pierre Mauroy et Gaston Defferre ? A l'époque, en tant que député, j'avais
suivi de très près leur élaboration, qui nous avait occupés de longues nuits.
Je vous assure que se manifestait alors, dans l'hémicycle, une forte opposition
!
Ces lois ont permis la mise en place d'une architecture institutionnelle
complexe, nécessitant des instances de régulation efficaces dont les chambres
régionales des comptes constituent l'un des rouages principaux et novateurs.
Celles-ci restent néanmoins une institution jeune. Nous réformons aujourd'hui
le statut des magistrats financiers, qu'il convient d'harmoniser avec celui des
magistrats administratifs : ce projet de loi ne pose pas en lui-même de
problème particulier, mais nous sentons tous la nécessité d'un texte plus
global.
En conséquence, le groupe socialiste soutiendra votre projet de loi, madame la
secrétaire d'Etat, et votera les amendements du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme
vous le savez, le Sénat a toujours été particulièrement attentif au bon
fonctionnement des collectivités locales et aux garanties de procédure dont
celles-ci doivent pouvoir bénéficier.
Considérant que le renforcement du contrôle financier des collectivités
locales constitue le corollaire indispensable et incontestable de la
décentralisation et de la libre administration des collectivités, mais aussi
que les relations entre les chambres régionales des comptes et les élus locaux
ne présentent pas toujours le degré de sérénité souhaitable, MM. Jacques
Larché, président de la commission des lois, et Christian Poncelet, qui était
alors président de la commission des finances, avaient décidé, en avril 1997,
de constituer un groupe de travail commun en vue de dresser le bilan de
l'action des chambres régionales des comptes et des modalités d'exercice du
contrôle financier. Tout le monde, à l'époque, s'accordait sur le fait qu'il
fallait améliorer le dispositif existant.
Le 23 juin 1998, le groupe de travail mixte, composé de sept représentants de
la commission des lois et de sept représentants de la commission des finances,
présidé par M. Amoudry et dont j'étais le rapporteur, a déposé son rapport
intitulé : «
Chambres régionales des comptes et élus locaux, un dialogue
indispensable au service de la démocratie locale
». Je crois que le titre
reflète bien l'esprit dans lequel ce travail a été effectué.
Loin de remettre en cause la nécessité d'un contrôle
a posteriori
des
collectivités locales, qui s'inscrit dans le droit fil de l'article XV de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, lequel dispose
que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son
administration », ce document contient les grands principes devant guider notre
réflexion sur une amélioration du fonctionnement des chambres régionales des
comptes et la clarification nécessaire de leurs relations avec les
collectivités locales.
C'est donc dans cette optique que nous avons déposé, le 18 novembre 1999, la
proposition de loi qui a été évoquée et qui a été adoptée par notre assemblée
le 11 mai 2000 : cela fera exactement un an demain.
Madame le secrétaire d'Etat, vous n'aviez pas approuvé ce texte à l'époque, et
vous venez de nous indiquer que, un an plus tard, votre position n'avait pas
varié. C'est assez surprenant, et MM. Jacques Larché et Daniel Hoeffel ont dit
très exactement ce qu'il fallait en penser.
Ainsi, vous affirmez rechercher un texte d'accueil. Mais ce texte, il existait
déjà voilà un an, et il existe toujours ! Vous pouvez y souscrire et vous
l'avez d'ailleurs fait, à l'Assemblée nationale, en acceptant un certain nombre
d'amendements. Vous comprendrez donc que nous pensions que votre position n'est
malheureusement pas crédible.
Cela étant, je me bornerai à formuler trois remarques.
Première remarque, la revalorisation du statut des magistrats des chambres
régionales des comptes est certes indispensable. Nous l'avions préconisée dans
notre rapport, car une différence injustifiée existe entre les magistrats des
chambres régionales des comptes et ceux des tribunaux administratifs.
Ce texte vient donc à son heure, et notre groupe y est favorable. Toutefois,
comment ne pas estimer que cette occasion était la meilleure qui s'offrait au
Gouvernement pour approfondir sa réflexion sur le fonctionnement des chambres
régionales des comptes et tenir compte, même partiellement, du travail
approfondi effectué par la Haute Assemblée ? Voyez-vous, madame le secrétaire
d'Etat, quand le Sénat évoque les problèmes des collectivités territoriales,
tout gouvernement, quel qu'il soit, a intérêt à écouter les suggestions qu'il
formule ou les orientations qu'il suggère. M. le président de la commission des
lois l'a parfaitement dit : là encore, une attitude négative de votre part
entraînera un retard dans l'adoption de ce texte, voire empêchera celle-ci, ce
qui sera préjudiciable aux magistrats de la Cour des comptes et à ceux des
chambres régionales des comptes, ainsi qu'aux élus locaux.
Ma deuxième remarque portera sur le contenu de la proposition de loi tendant à
réformer les procédures applicables devant les chambres régionales des comptes,
que le Sénat avait donc adoptée voilà très exactement un an.
Ce texte comportait un ensemble de dispositions cohérentes et coordonnées.
Elles étaient cohérentes, car le dispositif adopté permettait de répondre aux
difficultés rencontrées tant par les élus locaux, qui sont à la recherche d'une
plus grande sécurité juridique de leurs actes, que par les magistrats
financiers, qui doivent pouvoir travailler dans un cadre bien défini. Le texte
apportait des garanties aux élus locaux contrôlés, dont les droits doivent être
respectés, comme à tous les stades de la procédure, conformément aux principes
généraux de notre droit. Pourquoi, en effet, les grands principes de notre
droit qui régissent les autres juridictions ne s'appliqueraient-ils pas
pleinement aux juridictions financières régionales ?
Outre qu'il était cohérent, notre dispositif était aussi mesuré. En effet, à
l'exception d'une ou deux questions de fond telles que le contenu de l'examen
de la gestion et la possibilité de recours pour excès de pouvoir, nous avions
adopté des mesures avant tout techniques qui étaient soit demandées, soit
préconisées par les diverses personnes que nous avions auditionnées. Et ce qui
était vrai il y a un an, je vous l'assure, l'est encore aujourd'hui.
A titre d'exemple, l'aménagement du régime de la gestion de fait est ardemment
souhaité par les magistrats eux-mêmes, qui, compte tenu du contexte actuel,
hésitent parfois à déclarer certains élus comptables de fait, car cela
reviendrait à rendre inéligibles des personnes qui n'ont manifestement rien
commis de véritablement répréhensible.
Au total, il s'agissait d'un texte qui permettait de normaliser les relations
entre les chambres régionales des comptes et les élus locaux, mais également de
moderniser les conditions d'exercice du contrôle financier.
Le Gouvernement aurait tiré un grand avantage à s'inspirer de notre
dispositif, qui était guidé par le souci d'améliorer le fonctionnement de nos
institutions, et donc de notre démocratie.
Certes, le Gouvernement ne s'est pas totalement désintéressé des missions et
des procédures des chambres régionales des comptes puisque, je l'ai dit, il a
accepté l'introduction de certains articles dans le projet de loi relatif à la
réforme des procédures. D'autres amendements seront de nouveau introduits. Nous
ne saurions cependant nous satisfaire de cette trop modeste avancée.
C'est pourquoi nous vous proposerons, madame la secrétaire d'Etat, de
compléter votre projet de loi par des mesures que le Sénat a adoptées l'année
dernière, mesures qui, par leur pertinence et leur sérieux, peuvent contribuer
à améliorer l'état de droit, ce à quoi nous aspirons tous légitimement.
Il vous revient donc aujourd'hui d'accepter que le contrôle financier puisse
permettre, enfin, un véritable dialogue constructif entre les collectivités
territoriales et les organismes chargés de leur contrôle.
Seul l'établissement de relations de confiance entre les contrôleurs et les
contrôlés conférera, en effet, au contrôle financier toute sa légitimité
démocratique et, partant, toute son efficacité au service de la transparence de
la gestion publique locale.
Sans entrer dans le détail de toutes les mesures proposées et adoptées, je
souhaite rappeler rapidement les trois grandes orientations qui avaient guidé
notre réflexion et justifié les mesures adoptées.
Le premier objectif - d'autres collègues l'ont dit avant moi - était
d'accroître la sécurité juridique des actes des collectivités territoriales.
La mise en place d'un droit d'alerte sur les difficultés de gestion les plus
fréquemment rencontrées par les collectivités nous paraît nécessaire. Les
chambres régionales des comptes et la Cour des comptes seraient susceptibles,
par le recensement de ces difficultés, d'orienter les réflexions du
Gouvernement et du Parlement pour l'amélioration future du cadre législatif et
réglementaire des collectivités locales.
Le deuxième objectif était d'améliorer les conditions dans lesquelles les
magistrats financiers exercent leur mission. A part la revalorisation du
statut, le Sénat avait souhaité réviser le partage entre l'apurement
administratif et la compétence des chambres régionales des comptes - je crois
que vous n'échapperez pas à cette modification, car c'est le bon sens - mieux
définir le champ de compétence des chambres en matière d'examen de la gestion -
c'est nécessaire - et renforcer la légitimité des observations formulées par
les chambres régionales des comptes par un rappel précis et systématique des
dispositions qui auraient été méconnues par les élus locaux - c'est à la fois
nécessaire et pédagogique.
Le troisième objectif consistait à renforcer le droit des personnes
contrôlées. Garantir le respect des règles de procédure, renforcer leur
caractère contradictoire, limiter l'instrumentalisation des chambres régionales
des comptes, tout cela nous paraissait correspondre à des mesures de bon sens
conformes à nos traditions juridiques et au respect des garanties des personnes
contrôlées.
Dans ces conditions, je me félicite que la commission des lois ait repris,
sous forme d'amendement, la totalité des dispositions adoptées par le Sénat le
11 mai 2000. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, à la satisfaction, sans
doute, de M. le rapporteur, je retirerai tous mes amendements, puisque ce sont
les mêmes. Nous avons voté un texte ensemble et il est donc normal que les
amendements de la commission aient la priorité.
Ma troisième remarque porte sur le contexte dans lequel évoluent nos
collectivités territoriales.
Le mouvement de décentralisation, engagé depuis le discours du général de
Gaulle à Quimper, en 1966, développé en 1982 par les lois Defferre, auxquelles
nous reconnaissons, chers collègues socialistes, des qualités évidentes,
accentué, dans les années 1990 par Edouard Balladur et Alain Juppé, va
probablement connaître dans les mois et les années qui viennent de nouvelles
avancées.
Le rapport de Jean-Paul Delevoye comme celui de Pierre Mauroy nous tracent une
partie du cheminement à suivre. Certes, tout ne sera pas repris, mais je crois
que la direction est inéluctable.
Le président Jacques Chirac, à Rennes, le 4 décembre 1998, a défini les
contours d'une nouvelle ambition pour la réorganisation territoriale de notre
pays.
Dans ce contexte, tout le monde comprend que les chambres régionales des
comptes auront un rôle accru, un rôle majeur à jouer. Encore faut-il qu'elles
puissent disposer d'un cadre juridique adapté.
Madame le secrétaire d'Etat, je crois qu'il était temps de modifier ce cadre
juridique. Je regrette de nouveau que vous n'ayez pas saisi l'opportunité qui
vous était offerte de le faire.
Sans cadre juridique clair, il n'y a pas de contrôle financier efficace. Or
force est de constater que notre environnement juridique local est complexe et
parfois incertain. L'inflation normative ne connaît plus de limite ; 8 000
lois, 90 000 décrets, 20 000 circulaires, 25 000 règlements européens, c'est
déjà beaucoup, mais on n'en voit pas la fin !
Cette augmentation du nombre de règles applicables et leur fréquente
modification ont plusieurs conséquences.
D'abord, une grande insécurité juridique, que tout le monde dénonce.
Ensuite, une complexité accrue dans l'application des règles. Quel parcours
que le calcul et la notification de la DGF ! Quel casse-tête que l'application
de l'instruction comptable M 14 ! Le comité des finances locales adopte une
nomenclature ; deux ans plus tard, il la réforme complètement. Où allons-nous ?
Et tout cela, les collectivités locales l'assument avec tranquillité, parfois
avec sérénité, souvent aussi avec difficulté.
Enfin, dernière conséquence, on constate une juridiciarisation des
comportements. L'inflation normative a conduit à modifier les comportements,
notamment ceux des services de l'Etat et des magistrats financiers, qui
semblent désormais considérer, en quelque sorte, que « tout ce qui n'est pas
autorisé est interdit ». C'est inacceptable, en démocratie. Il faut donc
réformer le dispositif.
Enfin, je veux conclure en soulignant que la gestion financière des
collectivités territoriales est vertueuse, hautement vertueuse, par rapport à
celle de l'Etat.
L'Etat impose aux collectivités territoriales des règles financières qu'il est
incapable de s'appliquer à lui-même donnerai quelques exemples que vous
connaissez parfaitement, madame le secrétaire d'Etat, au poste que vous
occupez.
Les budgets locaux sont en équilibre, et même globalement en excédent au
regard des règles de la comptabilité nationale. La fiscalité locale est
maîtrisée. Les dépenses d'investissement et d'infrastructure comblent désormais
les insuffisances de l'Etat - elles ont quasiment doublé. Les collèges, les
lycées, les routes, les autres équipements, tel est le lot des collectivités
locales ! Notre endettement se réduit, comme l'a montré largement la dernière
étude de Dexia, ex-Crédit local de France. Les dépenses de fonctionnement
progressent moins vite que le produit intérieur brut. Enfin, notre comptabilité
patrimoniale se met en place.
Pour toutes ces raisons, l'Etat aurait intérêt à prendre exemple sur les
collectivités territoriales.
Il est vrai que ce constat vous incite à tranférer davantage de charges aux
collectivités territoriales. Nous n'y sommes pas opposés, dans le cadre de la
décentralisation. Mais encore faut-il que nous puissions avoir les ressources
correspondante !
Ce paradoxe que je viens d'évoquer méritait d'être souligné au moment où, sous
la pression du Parlement, les réflexions ont commencé sur la refonte des
dispositions de l'ordonnance de janvier 1959 portant loi organique relative aux
lois de finances.
A cet égard, vous avez tenu hier, devant nous, madame le secrétaire d'Etat, un
excellent propos. J'aimerais toutefois que les bonnes dispositions que vous
avez manifestées en faveur de cette réforme de l'ordonnance, vous puissiez
également en faire preuve pour la réforme de la chambre régionale des
comptes.
En guise de conclusion, j'émettrai trois souhaits.
Le premier, c'est que le Gouvernement écoute le Parlement. Il peut paraître
curieux de le dire dans cette enceinte, mais je crois que c'est nécessaire.
Le deuxième souhait, c'est que, du sommet à la base, la même rigueur de
gestion financière s'applique. Ne donnez pas aux collectivités des leçons dont
vous ne voulez pas tenir compte vous-même.
Enfin, le troisième souhait, c'est que les contrôles financiers, ceux de la
Cour des comptes comme ceux des chambres régionales des comptes, s'effectuent,
dans la sérénité, avec impartialité et équité, et surtout que les observations
qu'elles formulent soient écoutées et suivies d'effet. C'est un vieux
leitmotiv.
Le groupe du RPR votera le texte tel qu'amendé par la commission des lois, car
il nous paraît à la fois raisonnable, cohérent et efficace.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je veux d'abord dire à M. le rapporteur, dont je
partage nombre de points de vue, combien j'ai été intéressée par son rapport,
qui est de grande qualité.
Pour ne pas être trop longue, je répondrai globalement à l'ensemble des
orateurs, en concentrant mon propos sur la question principale qui nous a
occupés, puisque, au fond, j'ai pu constater que, sur les questions
statutaires, il régnait au sein de cet hémicycle un très large consensus,
consensus auquel je m'attendais un peu, je dois le dire, mais que j'ai été
heureuse de voir confirmer par les uns et par les autres.
Le débat porte donc, d'un côté, sur la réforme du statut des magistrats des
chambres régionales des comptes et, de l'autre, sur des propositions de
modification des procédures qui sont en vigueur dans lesdites chambres, et je
ne voudrais pas que l'on soit amené à opposer de manière caricaturale les deux
sujets.
Ceux d'entre vous avec qui j'ai la chance de travailler plus fréquemment,
notamment sur les questions relatives aux collectivités locales, savent combien
je suis attentive aux problèmes que celles-ci rencontrent.
En cette matière, je partage, en fait, l'opinion de M. Bret. Il ne faut pas
lier ces deux questions. Il n'y a pas de négociation à opérer entre les deux.
Le rôle que jouent les chambres régionales des comptes dans la vie locale est
indissociablement lié à cette grande avancée démocratique, soulignée très
justement par M. Mahéas, que constitue la décentralisation.
L'éminence de ce rôle, voulue par le législateur, implique une réflexion
approfondie quant à ses ajustements éventuels. Des modifications de procédure
qui interviendraient de manière trop rapide et quelque peu intempestive
seraient, je le crains, mal comprises.
Si, comme je le souhaite, nous achevons au plus vite l'examen de ce projet de
loi portant réforme du statut des magistrats des chambres régionales des
comptes et si nous mettons à profit collectivement les garanties qui seront
ainsi offertes en matière de contrôle, nous aurons d'autant plus de facilité à
organiser, ensuite, de manière claire et non suspicieuse, les compétences de
ceux qui représentent quotidiennement nos concitoyens, à savoir les élus, et
les rapports qu'ils entretiennent avec le juge des comptes.
Ce que je vous propose, ce n'est donc pas du tout un marché de dupes. Nous
avons une contrainte, qui est de faire en sorte que la réforme statutaire voie
le jour le plus rapidement possible. Aussi je crois que nous pouvons faire de
cette contrainte de calendrier un élément dynamique pour régler de façon
pacifiée, sur le long terme, des questions qui sont, il est vrai, au coeur du
débat démocratique.
Donc, en réponse à l'interrogation répétée du président de la commission des
lois, je répondrai non pas sur la forme, mais sur le fond. Comme je l'ai
indiqué, le Gouvernement s'attache à trouver un vecteur législatif pour aborder
ces questions qu'il n'entend pas laisser de côté. Cependant, au stade où nous
en sommes, je ne saurais vous dire si le moyen le plus rapide pour parvenir à
ce résultat consiste à inscrire à l'ordre du jour la proposition de loi que
vous avez évoquée au cours de la matinée.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
M. Oudin m'a fait savoir qu'il retirait tous ses amendements au profit de ceux
de la commission des lois.
Division additionnelle avant l'article 1er