SEANCE DU 17 MAI 2001
M. le président.
« Article 2. - Le second alinéa de l'article L.O. 131 du même code est ainsi
rédigé :
« Les sous-préfets, les secrétaires généraux de préfecture, les directeurs de
cabinet de préfet, les directeurs des services du cabinet du préfet, les
secrétaires généraux ou chargés de mission pour les affaires régionales ou pour
les affaires de Corse et les directeurs et chefs de service des préfectures et
sous-préfectures sont inéligibles dans toutes les circonscriptions du
département dans lequel ils exercent ou dans lequel ils ont exercé leurs
fonctions depuis moins d'un an. »
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Mon intervention portera sur
les articles 2 et 3 de la proposition de loi organique ainsi que sur les
dispositions similaires de la proposition de loi ordinaire.
Comme le montrent les propos de M. de Rohan, avec ces textes, il s'agit non
pas d'actualiser les dispositions relatives aux inéligibilités, mais bien
d'étendre des restrictions dans un domaine très vaste.
Tout à l'heure, j'ai entendu M. de Rohan, lancer une attaque contre des
fonctionnaires et contre leurs privilèges, fait politique, que a d'ailleurs
revendiquée en tant que telle, mais qui avait parfois des accents de populisme.
(M. de Rohan et plusieurs sénateurs du RPR s'exclament.) C'était haro sur
les fonctionnaires, haro sur ces privilégiés dans l'accès à des fonctions
électives.
M. Josselin de Rohan.
C'est de la caricature !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Monsieur de Rohan, sur ce plan, et je vais en faire la
démonstration à travers le texte qui nous est proposé, ce qui est important -
et c'est un point que vous retrouverez dans le projet de loi sur la démocratie
de proximité - c'est de favoriser l'accès d'autres catégories aux mandats
électifs. Notre souhait, c'est de rendre certaines activités professionnelles
compatibles avec l'exercice de mandats électifs, en accordant par exemple un
congé électif, des crédits d'heures, ou en compensant des pertes de revenu. Je
pense que la solution réside dans de telles dispositions plutôt que dans la
multiplication des interdictions.
Prenons l'article 2 de la proposition de loi organique. Il prévoit que les
sous-préfets et les secrétaires généraux de préfecture sont inéligibles. Et
votre texte descend jusqu'aux directeurs et chefs de service des préfectures et
des sous-préfectures. Admettez que c'est aller bien loin dans le régime des
inéligibilités !
Allons plus loin : dans l'article 3, paragraphe 8, est prévue l'inéligibilité
d'un certain nombre d'agents de l'équipement, et l'on descend, s'agissant de
ces agents, et uniquement eux, jusqu'aux techniciens supérieurs principaux et
aux techniciens supérieurs en chef !
Voilà donc, là aussi, des catégories entières de fonctionnaires à qui est ôtée
la capacité de se présenter - bien sûr dans la circonscription où ils exercent
- aux élections nationales de députés ou de sénateurs. Admettez que le régime
de restriction à la capacité d'être candidat en démocratie, se trouve par là
étendu de façon tout à fait excessive à des catégories de fonctionnaires qui
n'ont pas des fonctions d'autorité, tout à fait n'exerçant pas une influence
prépondérante sur les électeurs.
J'en viens au quatorzième alinéa, qui montre, lui aussi, la volonté de limiter
la capacité des fonctionnaires à être candidat.
Certes, les directeurs généraux des communes de plus de 100 000 habitants, des
communautés urbaines, des communautés d'agglomération, des conseils généraux,
des conseils régionaux exercent bien une fonction d'autorité. Mais faut-il
descendre jusqu'aux chefs de service et adjoints des chefs de service ? C'est
vouloir viser une part importante de la fonction publique territoriale.
A travers ces dispositions, monsieur Gélard, vous allez au-delà du toilettage
et de l'actualisation. S'y manifeste une véritable volonté politique, que M. de
Rohan a d'ailleurs exprimée avec une grande sincérité. Il s'agit, avez-vous
déclaré dans votre intervention, monsieur le sénateur, de mettre des « bornes
aux ambitions électorales des fonctionnaires ». En prenant connaissance de
telles déclarations, les fonctionnaires concernés pourront vraiment avoir le
sentiment d'être victimes d'une solide discrimination de la part de la majorité
sénatoriale !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Il est des jours où les bornes ont besoin de limites !
(Rires.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'article 2.
M. Josselin de Rohan.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le ministre, si vous aviez écouté avec toute l'attention qu'elle
méritait l'intervention faite par M. le rapporteur voilà quelques instants,
vous auriez, comme moi, apprécié l'hommage qu'il a rendu à la fonction
publique. En effet, si l'on souhaite réglementer l'inéligibilité, c'est
justement par égard pour l'Etat et ses serviteurs, qu'il faut mettre à l'abri ;
alors qu'ils sont les défenseurs de l'intérêt général - c'est ce que je me suis
efforcé d'être quand j'étais dans la fonction publique - de tout soupçon d'abus
d'autorité ou d'exercice d'une influence excessive à des fins personnelles.
L'idée que nous nous faisons de l'Etat, monsieur le ministre, est très élevée.
C'est pourquoi nous voulons qu'aucun soupçon ne puisse peser sur des agents qui
exercent des fonctions importantes.
S'ils ont l'intention, tout à fait légitime, d'accéder un jour à des fonctions
électives, nous voulons que tout soit mis en oeuvre pour qu'ils ne puissent
être accusés, pendant l'exercice de leurs fonctions au nom de l'Etat, de
détourner celles-ci à des fins personnelles. Il est parfaitement normal de
prendre des précautions à cet égard. Il ne s'agit pas du tout d'une défiance à
l'égard des fonctionnaires.
Maintenant, je vais vous demander, monsieur le ministre, de faire preuve d'un
peu de cohérence.
En effet, on nous a fait voter des textes relatifs aux fonctionnaires et aux
directeurs de cabinet des conseils régionaux ou conseils généraux qui étaient
très restrictifs pour nos collaborateurs ou pour les chefs de services.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Exactement !
M. Josselin de Rohan.
Vous voulez donc de la rigueur pour les conseils généraux et les conseils
régionaux, mais, lorsqu'il s'agit de l'Etat, vous criez au scandale et vous
nous accusez d'être hostiles à la fonction publique ! En fait, vos propos sont
beaucoup moins dictés par une indignation à l'égard de prétendues et attaques
contre la fonction publique, qui n'existent pas, que par le souci de défendre
une clientèle, clientèle que vous défendez d'ailleurs très mal !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Je souhaiterais formuler deux remarques.
Tout d'abord, il s'agit non pas d'une inéligibilité absolue mais d'une
inéligibilité dans une circonscription donnée. Par conséquent, l'intéressé, a
le droit d'être candidat dans les communes ou circonscriptions voisines du
ressort d'exercice de ses fonctions d'autorité. Il faut avoir cet élément à
l'esprit.
Ensuite, il faut prendre en compte la défense de l'usager de la fonction
publique : le citoyen.
Qu'est-ce que cet agent public d'autorité qui décidera un an à l'avance d'être
candidat à tel endroit tout en restant fonctionnaire ! Il n'est pas possible
d'agir ainsi. A un moment donné, il faut qu'il choisisse car le fait d'être
candidat à une élection, ce qui requiert une préparation certaine, l'empêchera
de remplir pleinement sa mission de fonctionnaire également s'il n'est pas
dégagé de ses obligations de service-là où il va se présenter. Il faut avoir
également cette logique à l'esprit.
Nous n'avons rien contre les fonctionnaires. Je le répète : lorsque nous avons
auditionné les représentants des fonctionnaires, des associations
professionnelles, du corps préfectoral, de la chambre des comptes, du Trésor,
des travaux publics, tous nous ont affirmé qu'ils étaient favorables à ces
règles qui garantissent leur indépendance. Grâce à elles ils ne risqueront pas
d'être gênés par des pressions qu'ils pourraient subir du fait de leur
candidature à tel ou tel endroit.
Si vous avez pu trouver dans nos propositions, monsieur le ministre, des
dispositions visant jusqu'à l'adjoint de chef de service, c'est que nous avons
transposé le système des fonctionnaires d'Etat dans les préfectures à
l'administration territoriale. Cette transposition a été réalisée à la demande
du corps préfectoral, qui trouve anormal que des personnes qui ont le même
statut que des agents préfectoraux dans une région, un département ou une
grande ville ne soient pas frappées de la même inégibilité.
De toute façon, monsieur le ministre, au cours de la navette, je serai ouvert
à toute discussion et à tout approfondissement avec vos services et avec
l'Assemblée nationale. Ce que je souhaite, c'est que ce problème soit réglé et
qu'il ne passe pas aux oubliettes du Gouvernement qui avait l'air de considérer
que le problème était de peu d'importance. Au contraire, il est essentiel de
toiletter des textes devenus illisibles et obsolètes.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Guy Allouche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Je souhaite revenir sur l'exemple qu'a évoqué M. de Rohan, à savoir la
situation des directeurs de cabinet des présidents de conseils régionaux et de
conseils généraux par rapport à celle des fonctionnaires d'Etat.
Monsieur de Rohan, vous savez mieux que quiconque qu'il existe une différence
fondamentale entre les deux : un directeur de cabinet de président de conseil
régional ou de conseil général est partie prenante de la politique mise en
oeuvre, je dirai même qu'il l'impulse, tandis qu'un adjoint au directeur d'un
service de l'équipement applique une politique définie à un autre niveau.
M. Josselin de Rohan.
Vous voulez rire !
M. Guy Allouche.
C'est un exécutant...
M. Josselin de Rohan.
Vous plaisantez !
M. Guy Allouche.
Ce n'est pas le cas de tous les fonctionnaires puisque nous admettons que,
dans certains cas,...
M. Josselin de Rohan.
J'ai des exemples à vous donner !
M. Guy Allouche.
En tout cas, le dernier exemple que vous avez donné ne plaide pas en faveur de
ce que vous voulez démontrer.
Je le répète : le directeur de cabinet d'un président de conseil général ou de
conseil régional n'est certes pas pas l'acteur principal, mais il est fortement
impliqué dans les décisions politiques qui sont prises, tandis qu'un haut
fonctionnaire de l'équipement est un exécutant au service d'une politique
définie par d'autres. Telle est la différence qui justifie un traitement
différent.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
M. Allouche a une conception du fonctionnement des collectivités territoriales
bien étrange !
Probablement n'a-t-il pas participé à des réunions de négociation de contrat
de plan, dans lesquelles, au nom de l'Etat, ce sont des chefs de service de
l'équipement qui évaluent le coût d'une déviation, le calendrier de sa
réalisation, par exemple, et qui, par les contraintes techniques qu'ils
invoquent inspirent finalement la décision politique.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Exactement !
M. Jean-Pierre Raffarin.
En revanche, dire que les directeurs de cabinet - Dieu sait si ce sont des
gens respectables ! - inspirent les politiques, c'est aussi excessif ! Il y a
un exécutif dans les collectivités territoriales et il y a des gens qui sont là
pour exécuter les décisions de l'exécutif ; il n'y a en aucune façon une
responsabilité de type stratégique.
M. Guy Allouche.
Je plains votre directeur de cabinet !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Ce que je voudrais dire, c'est qu'au fond nous nous battons pour la dignité en
politique.
Nous voyons que, dans notre pays, le citoyen s'éloigne de la politique parce
qu'il n'y trouve pas ce qu'il attend.
Et cette dignité, sur quoi peut-on la fonder ? On ne peut la fonder que sur la
liberté, sur le libre-arbitre.
C'est parce que nous sommes responsables que le mandat politique est quelque
chose de très grand. Et cette responsabilité-là est valable pour le
fonctionnaire dans l'exercice de sa mission, qu'il soit d'Etat ou de
collectivité territoriale ; elle est aussi valable pour le maire, qui a besoin,
lui aussi, d'affirmer son indépendance vis-à-vis de ses électeurs.
Je connais des agglomérations urbaines où le maire de la ville centre a envoyé
ses collaborateurs devenir maires des collectivités périphériques. En
l'occurrence, on se trouve dans la situation où un maire est le salarié d'un
autre. Et l'on va dire que ce maire-là peut défendre l'autonomie des
collectivités territoriales !
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de la liberté, du libre-arbitre de l'élu. Mais,
je le crois vraiment - et j'adhère profondément aux propos qu'a tenus M. de
Rohan -, il s'agit aussi de la liberté du fonctionnaire qui prend toute sa
dignité dans cette liberté. S'il entre dans le champ politique, il est menacé
de perdre cette liberté, tout comme le maire peut la perdre s'il est soupçonné
d'être un agent du recteur, un agent du préfet, un agent du maire de la ville
centre. Il est le maire, c'est-à-dire qu'il doit être libre, qu'il ne doit
rendre des comptes qu'à ses électeurs.
(Bravo ! et applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. André Bohl.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl.
Dans cette discussion j'aurais souhaité qu'on favorise la promotion des
non-fonctionnaires parmi les élus, car c'est bien là qu'est le vrai problème
!
M. Guy Allouche.
Oui, exactement.
M. André Bohl.
Je me souviens d'avoir été confronté à une situation comparable à celles qui
sont évoquées : on m'a demandé de démissionner.
Il faut voir les choses telles qu'elles sont : on ne peut pas à la fois
décider d'une chose et être chargé de son exécution.
Il existe un problème fondamental que nous n'avons pas le courage d'aborder.
Nos textes contiennent une quantité d'inéligibilités concernant les
fonctionnaires ; existe-t-il des inéligibilités applicables aux simples
salariés ? Non, parce que ce n'est pas nécessaire.
Mais il faudra bien un jour prendre conscience du fait qu'on ne peut à la fois
être fonctionnaire et élu. Et il faudra, pour les salariés, prévoir une
meilleure coordination entre la fonction d'élu et le statut de salarié.
En tout cas, il est impossible de continuer ainsi, avec des gens qui ont du
pouvoir, qui se font élire et qui, alors, continuent à pratiquer un
conservatisme de fonctionnaire.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste et du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3