SEANCE DU 17 MAI 2001
BARÈME DE RÉMUNÉRATION APPLICABLE AUX DISCOTHÈQUES
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 307,
2000-2001) de Mme Danièle Pourtaud, fait au nom de la commission des affaires
culturelles, sur la proposition de loi (n° 244, 2000-2001) de Mme Danièle
Pourtaud et des membres du groupe socialiste et apparentés, tendant à prévoir
un barème de rémunération équitable applicable aux discothèques et activités
similaires.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Danièle Pourtaud,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition
de loi que j'ai l'honneur de rapporter devant vous a pour objet de combler un
vide juridique.
Depuis le 1er janvier 2001, en effet, plus aucun texte n'autorise la
perception de la rémunération équitable due aux artistes-interprètes et aux
producteurs des phonogrammes du commerce par les discothèques et établissements
similaires qui les diffusent.
Permettez-moi de vous rappeler brièvement qu'en 1985, par dérogation aux
droits exclusifs reconnus par la loi « Lang » aux artistes-interprètes et aux
producteurs de phonogrammes, le législateur avait prévu un régime de licence
légale applicable à certaines utilisations publiques des enregistrements qui
avaient été mis dans le commerce.
Cette dérogation, sans laquelle chaque radio, chaque discothèque, chaque
magasin ou restaurant diffusant de la « musique d'ambiance » aurait dû demander
une autorisation pour chaque diffusion d'un enregistrement, devait avoir pour
contrepartie une « rémunération équitable » due par les utilisateurs.
Malheureusement, le dispositif prévu à cet effet en 1985, et désormais codifié
aux articles L. 214-1 à L. 214-5 du code de la propriété intellectuelle, a
connu quelques difficultés d'application.
Si le législateur a fixé l'assiette, les modalités de perception et de
répartition de la rémunération équitable, il s'en est remis, pour la
détermination des barèmes et les modalités de versement, à la négociation entre
les parties intéressées.
Ces barèmes et modalités de versement doivent donc être établis par des
accords spécifiques à chaque branche d'activité, entre les organisations
représentatives des ayants droits et des utilisateurs.
Ces accords de branche peuvent être conclus pour une durée de un à cinq ans.
Ils peuvent aussi être étendus par arrêté du ministre de la culture.
A défaut de leur conclusion ou de leur renouvellement en temps utile, c'est à
une commission, prévue par l'article L. 214-4 du code de la propriété
intellectuelle, qu'il revient de fixer les barèmes et les modalités de
versement de la rémunération équitable.
Cette commission, présidée par un magistrat, a également été conçue comme un
instrument de dialogue, puisqu'elle comporte essentiellement, en nombre égal,
des représentants des ayants droits et des utilisateurs.
Mais, comme je le disais tout à l'heure, ce système n'a pas très bien
fonctionné.
Les parties en présence n'ont pas toujours réellement fait la preuve, surtout
dans certains secteurs, de leur volonté et de leur capacité de négociation.
Quant à la commission, elle n'a pas non plus parfaitement joué son rôle de «
filet de sécurité » pour assurer que les barèmes soient fixés ou renouvelés en
temps utile, faute d'avoir toujours été réunie quand il le fallait.
De plus, ses décisions ont fait l'objet d'actions contentieuses qui ont
contraint le législateur à intervenir, par deux fois déjà, pour assurer la
continuité de la perception de la rémunération équitable.
En 1993 - vous vous en souvenez, mes chers collègues -, le Sénat avait été
saisi d'une proposition de loi de notre collègue Jean-Paul Hugot, qui avait
pour objet de pallier les conséquences de l'annulation, par le Conseil d'Etat,
des barèmes et des conditions de versement de la rémunération équitable due par
les radiodiffuseurs privés.
La loi du 20 juillet 1993, issue de cette proposition de loi, avait donc fixé
ces barèmes et conditions de versement pour une période allant du 1er janvier
1988 au 31 décembre 1993.
C'est ensuite une décision de la commission de 1996, relative aux
discothèques, qui a été menacée d'annulation par un recours. Cette fois, c'est
le Gouvernement qui a demandé au Parlement de valider cette décision, par
amendement au projet de loi transposant les directives « câble et satellite »
et « durée des droits d'auteur ».
Afin de préserver le droit à rémunération des auteurs, la commission des
affaires culturelles avait accepté cette validation. Elle avait cependant exigé
qu'elle soit, comme en 1993, limitée dans le temps, exigence dont le
Gouvernement avait reconnu le bien-fondé. Le barème applicable aux discothèques
a donc été validé pour cinq ans, du 1er janvier 1996 au 1er janvier 2001, par
l'article 18 de la loi du 27 mars 1997.
Le rapporteur de la commission des affaires culturelles, notre collègue Pierre
Laffitte, avait alors espéré que les parties concernées parviendraient
désormais à fixer elles-mêmes les barèmes et conditions de versement de la
rémunération équitable, sans contraindre le Parlement à le faire à leur
place.
Malheureusement, ce n'est pas ce qui s'est produit. Certes, pour les radios
privées, en 1993, le délai accordé par le législateur avait été respecté, et un
nouveau barème applicable aux radios privées, à compter du 1er janvier 1994,
avait pu être décidé avant la fin de 1993. Mais il n'en a pas été de même dans
le secteur des discothèques. Au 1er janvier 2001, aucun accord n'était
intervenu, ni aucune décision de la commission, qui ne semble pas, par
ailleurs, avoir été réunie.
Ce nouvel « accident de parcours » interdit donc de nouveau, depuis le début
de cette année, la perception de la redevance due par les discothèques.
La commission a pris acte, monsieur le secrétaire d'Etat, de la volonté du
Gouvernement de veiller à un meilleur fonctionnement du dispositif adopté en
1985. Elle a noté, en particulier, qu'il se préoccupait de reconstituer la
commission chargée, à titre subsidiaire, de fixer les barèmes et les modalités
de versement de la rémunération équitable.
La commission des affaires culturelles souhaite elle aussi, mes chers
collègues, inciter les parties en présence à exercer les responsabilités qui
leur incombent dans l'application du régime de la rémunération équitable.
C'est pourquoi, tout en acceptant, pour préserver les droits des artistes et
producteurs, de combler le vide juridique qui fait obstacle depuis le 1er
janvier 2001 à la perception de la rémunération équitable, elle souhaite fixer
aux parties en présence un délai de négociation à l'issue duquel un nouveau
barème devra avoir été déterminé.
Elle a donc adopté, à l'unanimité des commissaires présents, un dispositif
consistant à prolonger d'une année, jusqu'au 1er janvier 2002, l'application de
l'article 18 de la loi du 23 mars 1997.
Tel est, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, l'objet de l'article unique de la proposition de loi que la
commission des affaires culturelles vous demande d'adopter.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs,
cette proposition de loi revêt une importance particulière, de même que la
suivante. Elle concerne un mode de rémunération des auteurs qui est spécifique
par rapport au mode général de rémunération proportionnelle des titulaires de
droits.
La rémunération équitable, mais aussi, comme nous le verrons ensuite, la
rémunération pour copie privée, sont établies de manière forfaitaire en raison
des caractères originaux des modes d'exploitation. Quelles que soient les
caractéristiques de ces modes de rémunération, il s'agit bien de rémunérations
dues aux titulaires de droits pour l'exploitation de leurs droits exclusifs. Je
me félicite d'ailleurs de ce que la Haute Assemblée reconnaisse pleinement la
légitimité de ces rémunérations, qui sont parfois mal connues, en proposant
d'en modifier, à la marge, les régimes juridiques.
Comme vient de l'expliquer Mme Pourtaud, la proposition de loi qui est soumise
au Sénat vise la rémunération équitable des interprètes et des producteurs de
phonogrammes. Celle-ci est due pour l'utilisation publique et la radiodiffusion
des phonogrammes publiés à des fins de commerce. Le texte prévoit de repousser
d'une année le terme de la validité législative du barème de rémunération
équitable établi pour les années 1996 à 2000, qui expirait au 31 décembre
2000.
Je rappelle que ce barème résulte d'une négociation entre les professionnels
et les ayants droit au sein d'une commission réunie en application de l'article
L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle. Cette commission en fixe
également la durée de validité.
L'arrêt du 13 septembre 2000 du Conseil d'Etat « Syndicat national des
discothèques et lieux de loisirs et autres » précise que le barème s'appliquait
du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000. Dès lors, à défaut de nouveau barème,
cette décision faisait apparaître que le précédent barème n'était plus
applicable. Depuis cette date, la rémunération due aux artistes-interprètes et
aux producteurs de phonogrammes n'est plus versée.
A l'instar de la commission des affaires culturelles, du Sénat, le
Gouvernement souhaite toujours que ces rémunérations fassent l'objet d'une
concertation entre les parties prenantes. Il convient donc d'assurer une
prolongation de la validité du précédent barème, pendant que se forme la
commission instituée par l'article L. 214-4 du code de la propriété
intellectuelle, seule compétente pour fixer un nouveau barème.
Le ministère de la culture et de la communication, en relation avec le
secrétariat d'Etat au tourisme, s'efforce de réunir à nouveau cette commission
dans des délais aussi brefs que possible et de faire en sorte que sa
composition soit représentative de tous les acteurs concernés.
Le Gouvernement ne peut donc qu'être favorable à la présente proposition de
loi, qui vise à donner aux différentes parties concernées par cette question un
délai pour se réunir et négocier. Elle permettra de remédier provisoirement à
l'impossibilité actuelle de percevoir la rémunération due par les exploitants
de discothèques.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, madame le rapporteur,
mes chers collègues, la mise en oeuvre du principe de la rémunération équitable
due aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes par les
exploitants de discothèques tel que celui-ci résulte de l'application des
articles L. 214-1 et L. 214-5 du code de la propriété intellectuelle connaît,
dans la pratique, bien des déboires, clairement rappelés par notre collègue
Danièle Pourtaud dans son rapport.
Si nul ne remet en cause, du moins explicitement, l'esprit de la loi de 1985
quant à la rémunération équitable, la fixation des barèmes et des modalités de
versement de cette dernière, qui doit résulter d'une négociation entre les
parties, soulève, dans les faits, bien des difficultés.
La commission prévue à l'article L. 214-4 du code de la propriété
intellectuelle n'a pas rempli sa mission de dialogue et de concertation avec
les parties, faute notamment de s'être réunie, et, au 1er janvier 2001, aucun
accord de branche n'était intervenu.
De fait, il n'existe plus aujourd'hui de disposition législative permettant de
percevoir la rémunération équitable due par les discothèques et établissements
similaires.
Le texte proposé par Mme Pourtaud et les membres du groupe socialiste vient
donc combler un vide juridique.
Notre groupe votera cette proposition de loi, en souhaitant toutefois que le
ministère de la culture et de la communication pèse de tout son poids, dans les
toutes prochaines semaines, afin qu'un accord intervienne et qu'un nouveau
barème de rémunération équitable entre en vigueur.
(Applaudissements sur les
travées du groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
présente proposition de loi vise à prolonger l'application d'une disposition
devenue caduque au 1er janvier 2001, afin que les artistes-interprètes et les
producteurs de disques puissent bénéficier d'une rémunération dite « équitable
» à l'occasion de la diffusion de leurs enregistrements dans les
discothèques.
Ce droit à la rémunération équitable pour ces catégories de personnes est
inscrit dans le code de la propriété intellectuelle ; il concerne les
diffusions d'enregistrements, aussi bien à la radio que dans les cafés, les
restaurants ou les autres commerces, ainsi, bien sûr, que dans les
discothèques, qui nous intéressent cet après-midi. La rémunération est perçue
par les sociétés de perception et de répartition des droits et est ensuite
redistribuée aux différents ayants droit.
Comme l'a rappelé Mme le rapporteur, les modalités de perception de cette
rémunération sont prévues par une décision réglementaire du 28 juin 1996 qui
établit un barème applicable pour cinq ans et demeurant valide à l'expiration
de ce délai à défaut d'entrée en vigueur d'un nouveau barème.
Mais le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 13 septembre 2000, pris sur requête
en annulation, a jugé que la loi du 27 mars 1997 portant transposition de deux
directives du Conseil des Communautés européennes dans le code de la propriété
intellectuelle avait limité la durée d'application du barème de rémunération
équitable à la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000.
Les conséquences de cet arrêt sont déjà lourdes pour le secteur concerné ; de
nombreux redevables du secteur des discothèques considèrent ainsi qu'il
n'existe plus de barème de rémunération équitable depuis le 1er janvier 2001 et
surtout qu'il n'en a jamais existé pour les années 1993, 1994 et 1995.
Plusieurs procédures sont actuellement en cours devant la Cour de cassation.
Selon la principale intéressée, l'ADAMI, si la Cour de cassation devait faire
sienne l'analyse des plaignants, les conséquences seraient les suivantes :
privation de base légale pour les perceptions facturées par elle aux
établissements concernés ; impossibilité de percevoir les arriérés de
rémunération équitable, pour certaines périodes, pour les discothèques mais
aussi pour l'ensemble des secteurs concernés par une rémunération équitable -
radios, télévisions ; obligation, pour les sociétés de perception et de
répartition des droits, d'attendre que la commission statue sur les barèmes
applicables aux redevables concernés, sans possibilité de rétroactivité.
Le Conseil constitutionnel n'est généralement guère favorable aux validations
législatives rétroactives de décisions administratives annulées. Il existe
cependant des précédents, comme le rappelait tout à l'heure Mme le rapporteur :
en 1993, le Sénat a ainsi été à l'origine de la validation législative d'une
décision réglementaire du même ordre relative aux modalités de versement de la
rémunération équitable due par certains services de radio-diffusion et qui
avait été annulée par le Conseil d'Etat ; en 1997 avait été adopté un
amendement présenté par le ministre de la culture de l'époque, M. Douste-Blazy,
et visant à valider une décision de la commission fixant le barème de la
rémunération équitable due par les discothèques qui avait été annulée.
Cet après-midi, il nous est encore une fois demandé de valider une décision
réglementaire annulée par le Conseil d'Etat.
Néanmoins, je salue la sagesse de Mme le rapporteur, qui, au lieu de maintenir
son texte initial, qui visait à prévoir la prorogation de l'ancien barème sans
limitation dans le temps, sauf entrée en vigueur d'un nouveau barèle, a
finalement opté pour une solution qui devrait, je l'espère, mettre les parties
concernées devant leurs responsabilités et les inciter à la négociation.
Avec la prolongation de quelques mois seulement de l'application du barème
validé par la loi du 27 mars 1997, on peut souhaiter que, dès à présent, les
parties concernées entameront des négociations afin d'établir un nouveau
barème.
Au nom de mon groupe, j'indique donc que nous voterons la proposition de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. -
Dans l'article 18 de la loi n° 97-283 du 27 mars
1997 portant transposition dans le code de la propriété intelectuelle des
directives du Conseil des Communautés européennes n°s 93/83 du 27 septembre
1993 et 93/98 du 29 octobre 1993, les mots "cinq ans" sont remplacés par les
mots "six ans". »