SEANCE DU 6 JUIN 2001
M. le président.
« Art. 9 - I. - L'article 442-5 du code pénal est ainsi rédigé :
«
Art. 442-5
. - La fabrication, l'emploi ou la détention sans
autorisation des matières, instruments, programmes informatiques ou de tout
autre élément spécialement destinés à la fabrication ou à la protection contre
la contrefaçon ou la falsification des billets de banque ou des pièces de
monnaie sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende. »
« II. - Après l'article 442-14 du même code, il est inséré un article 442-15
ainsi rédigé :
«
Art. 442-15
. - Les dispositions des articles 442-1, 442-2 et 442-5 à
442-14 sont applicables lorsque sont en cause les billets de banque et pièces
de monnaie qui, bien que destinés à être mis en circulation, n'ont pas été
encore émis par les institutions habilitées à cette fin et n'ont pas encore
cours légal. »
« III. - A l'article 113-10 du même code, après la référence : "442-1", sont
insérées les références : ", 442-2, 442-5, 442-8, 442-15". »
« IV. - Le fait de mettre à disposition des euros sous quelque forme que ce
soit, lors d'une opération d'échange de pièces et billets en francs effectuée
entre le 1er décembre 2001 et le 30 juin 2002 pour un montant égal ou inférieur
à 10 000 EUR, ne constitue pas, au sens du deuxième alinéa de l'article 324-1
du code pénal, l'apport d'un concours susceptible d'être reproché aux
établissements de crédit, aux institutions et services mentionnés à l'article
L. 518-1 du code monétaire et financier et aux changeurs manuels mentionnés à
l'article L. 520-1 du même code, ainsi qu'à leurs représentants, agents et
préposés.
« Ces dispositions ne dispensent pas les personnes qui y sont soumises du
respect des obligations de vigilance mentionnées au titre VI du livre V du code
monétaire et financier. »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
avec l'examen du titre III et de l'article 9, nous abordons des dispositions
visant à faciliter le passage à l'euro fiduciaire et ayant trait, en
particulier, à la lutte contre la contrefaçon.
Cette question m'amène à soulever la situation des deux établissements
publics, la Banque de France et les Monnaies et Médailles, chargés en France de
la production des billets et des pièces et dont l'action contre la contrefaçon
constitue l'une des misions régaliennes.
Les choix structurels de gestion adoptés par le Gouvernement, en particulier à
l'occasion de l'introduction de l'euro fiduciaire, font en effet peser des
risques majeurs sur l'avenir de ces entreprises publiques et sur leurs missions
de service public.
Les organisations syndicales et les salariés fortement mobilisés, comme vient
de le montrer la grève de l'établissement des Monnaies et Médailles de Pessac,
soulignent la gravité des menaces. La pérennité de la maîtrise nationale de
l'impression des billets et de la frappe des pièces circulant sur le territoire
national pourrait être remise en cause à court terme.
M. Fabius vient de faire connaître son refus de rouvrir l'atelier de
fonderie-laminage à Pessac. Cet arbitrage prive l'entreprise nationale de son
indépendance vis-à-vis du marché des matières premières et altère les
conditions de fiabilité, de sécurité, de souplesse et de réactivité dans
lesquelles elle assure sa mission de service public. Ce choix est clairement
placé dans la perspective de la mise en concurrence des instituts de frappe
monétaire en Europe dans laquelle le Gouvernement s'inscrit de concert avec la
Banque centrale européenne, la BCE.
La séparation dans le dernier budget annexe des Monnaies et Médailles - je
rappelle que les députés et les sénateurs communistes ont voté contre - des
activités industrielles et commerciales des missions dites régaliennes
correspond à la même logique : à terme, une privatisation, que la disparition
du budget annexe envisagée par la réforme de l'ordonnance de 1959 viendrait
renforcer.
La même évolution est programmée pour l'impression des billets. Si le quota
initial d'euros par pays a été imprimé par les banques centrales nationales, la
BCE ne cache pas son intention, à terme, de lancer des appels d'offres et de ne
retenir que quelques unités de production, en mettant en concurrence les
instituts nationaux entre eux et avec des producteurs privés. Dans un premier
temps, les instituts nationaux ne produiraient plus qu'une ou deux coupures
destinées à l'ensemble de la zone euro.
Les groupes privés multinationaux sont déjà à l'affût. Par exemple, un groupe
britannique vient de fonder un
joint venture
avec la Banque du Portugal,
ce qui lui ouvrirait déjà la porte de la fabrication de l'euro.
Cette perspective de privatisation du marché de l'impression des billets remet
directement en cause à moyen terme les missions, le statut et même l'existence
de l'imprimerie de la Banque de France de Chamalières. On évoque déjà la
suppression de quatre cent cinquante à cinq cents emplois dès la fin du
boom
de l'impression des premiers euros.
L'inquiétude est d'autant plus forte que l'investissement en équipement
compétitif dit de « feuille à feuille », en remplacement des chaînes
d'impression atypiques et moins performantes en « continu », n'est pas
budgétisé.
Le Gouvernement doit s'exprimer clairement, monsieur le secrétaire d'Etat.
Est-il partisan, comme tous ses choix semblent l'indiquer, que la France perde
la capacité technique nationale de frapper les pièces et d'imprimer les billets
qui ont et auront cours sur son territoire ? C'est ce que pensent les salariés
!
Cela rejoint l'enjeu véritable du passage à l'euro fiduciaire. Cette opération
n'a pas un objectif économique et monétaire puisque le passage à l'euro a déjà
eu lieu le 1er janvier 1999, que le franc n'est plus qu'une subdivision de
l'euro et que la BCE contrôle de la façon antidémocratique que l'on sait la
politique monétaire de l'Euroland.
Le passage à l'euro fiduciaire a un but essentiellement politique : faire
disparaître « physiquement », aux yeux des peuples, les monnaies nationales et
le symbole d'indépendance nationale qu'elles représentent. Il s'agit, après le
coup de force du passage à l'euro, sur lequel, malgré les engagements,
notamment du Président de la République, le peuple français n'a pas été
consulté, d'atteindre un point de non-retour vers la souveraineté monétaire des
Etats.
La voie dans laquelle le Gouvernement est en train d'engager la Banque de
France et les Monnaies et Médailles suit la même démarche : atteindre un point
de non-retour et priver la France des technologies, toujours plus complexes, de
fabrication de la monnaie fiduciaire. J'ai entendu sur les ondes ou lu dans la
presse certaines déclarations du Gouvernement. Si vous me dites, monsieur le
secrétaire d'Etat, que telle n'est pas l'intention du Gouvernement, pourquoi ne
pas inscrire dans la loi une disposition précisant que la Banque de France est
seule habilitée à imprimer ou à sous-traiter, en partenariat avec les autres
banques centrales nationales, les billets circulant sur le territoire national
? De la même façon, il faudrait indiquer que l'administration des Monnaies et
Médailles est seule habilitée à fabriquer les monnaies métalliques circulant
sur le territoire national.
Cette revendication va dans le sens d'une véritable construction européenne :
la coopération, dans le respect de la souveraineté des peuples, d'entreprises
publiques nationales chargées de produire leurs quotas d'euros nationaux.
Elle va dans le sens de ce qu'exigent les salariés européens de tous les
instituts nationaux unis pour refuser la mise en compétition de leur entreprise
et le
dumping
social et économique.
Ce sera d'ailleurs l'un des thèmes majeurs du rassemblement syndical qui est
prévu à Francfort le 19 juin prochain.
M. le président.
Sur l'article, la parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
depuis 1999, l'euro, avec ses avantages et ses inconvénients, est devenu la
monnaie commune des Européens. En effet, les monnaies nationales ne sont plus
que des subdivisions de la monnaie unique et sont organisées dans un système de
parité fixe.
Depuis cette période, nous fonctionnons dans un système qui permet aux
monnaies nationales, ces repères indispensables, de circuler aux côtés de
l'euro. En effet, chacun est libre, pour régler ses achats, d'utiliser des
francs ou son chéquier en euros. De même, pour les déplacements à l'intérieur
de la zone euro, nous pouvons utiliser la monnaie nationale ou recourir à notre
chéquier en euro, s'il est accepté.
Ce système offre à nos yeux un intérêt évident. En premier lieu, il donne une
réalité internationale à l'Europe et permet à nos entreprises et aux banques de
déployer leurs activités à l'intérieur de la zone euro, tout comme dans le
reste du monde.
En second lieu, il garantit le maintient des monnaies nationales à l'intérieur
de chaque Etat. Il s'agit là d'un élément important, car la monnaie n'est pas
simplement un instrument pour faciliter les transactions ou un instrument de
réserve : elle symbolise la relation de confiance multiséculaire entre le
citoyen et l'Etat.
La monnaie est le symbole même du lien social, vecteur de la confiance, de la
solidarité et de l'attente de garantie sans lesquelles aucune société ne peut
fonctionner.
Pourtant, dans moins de deux cent cinquante jours, on s'apprête à bouleverser
la vie quotidienne de nos concitoyens en supprimant, en quelques jours, de
manière brutale et obligatoire, le franc au profit de l'euro, du moins en
matière fiduciaire.
Cette perte d'un repère aussi fondamental que notre monnaie nationale ne va
pas sans poser de graves problèmes. De plus en plus de voix s'élèvent, en
effet, pour dénoncer l'impréparation des entreprises, en particulier des PME :
à peine une PME sur deux a décidé de désigner, en son sein, un responsable pour
assurer le passage à l'euro.
Certains responsables de la grande distribution craignent un véritable bogue
avec leurs fournisseurs, et des économistes estiment que ce séisme monétaire
pourrait coûter un point de croissance à notre économie du fait de la baisse de
la consommation.
En effet, nos concitoyens auront peu de temps pour s'accoutumer à la nouvelle
monnaie. Je pense, notamment, aux personnes âgées, qui auront à jongler
quotidiennement avec des divisions et des multiplications par 6,55957 pour
déchiffrer un prix désormais libellé en euros.
De même, comment ne pas partager l'inquiétude des transporteurs de fonds et
des responsables de la sécurité, qui auront à assurer, en quelques semaines
seulement, la diffusion des pièces et billets dans tous les établissements
bancaires et les distributeurs de billets ?
Au-delà de la question de la charge de travail, c'est aussi le problème
fondamental de la sécurité qui se trouve posé, ainsi que celui de la
mobilisation de la police et de la gendarmerie.
Le plus grave, c'est que ce chamboulement monétaire, en fait, ne sert à rien.
En effet, le franc, subdivision de l'euro, peut parfaitement subsister comme
monnaie fiduciaire, c'est-à-dire sous forme de billets, dans la vie quotidienne
des Français, les banques et les entreprises continuant d'utiliser la monnaie
commune qu'est devenu l'euro scriptural.
C'est le cas depuis plus de deux ans, et - reconnaissez-le ! - il n'y a pas eu
de manifestations, de la Bastille à République, pour réclamer à cor et à cri le
basculement immédiat dans l'euro.
Au contraire, à en croire les dernières statistiques sur l'utilisation de
l'euro par nos concitoyens, on peut légitimement parler d'une véritable
défiance vis-à-vis de la monnaie unique.
Malgré les campagnes de matraquage médiatique et les moyens colossaux mis en
oeuvre, on constate qu'en volume à peine 2,5 % des opérations effectuées en
2000 ont été réglées en euros.
Dans ces conditions, il n'existe aucun argument technique, économique ou
politique pour justifier ce chambardement dans un domaine aussi sensible que la
monnaie, et ce à quelques semaines d'une échéance aussi fondamentale que
l'élection présidentielle.
Seuls des motifs idéologiques, dogmatiques ou technocratiques peuvent
expliquer cette volonté de faire ce saut dans le vide à ce moment-là.
S'agit-il d'effacer jusqu'au souvenir même du franc, avec l'arrière-pensée
d'effacer la France ?
Ce n'est pas rendre service à l'Europe que de prétendre la construire par une
sorte de ruse s'exerçant aux dépens des peuples et visant à faire disparaître
les nations. C'est une perspective historique qui mérite bien mieux, en
particulier un véritable débat, clair, transparent sur l'Europe et sur ce que
les citoyens veulent vraiment.
Pour notre part, nous persistons à penser que l'Europe de l'euro, l'Europe
fédérale, n'est pas l'Europe des citoyens que nous souhaitons.
Aussi, nous demandons, au travers de cette intervention sur l'article 9, le
report de la mise en place de l'euro fiduciaire, sous forme de billets,
personne n'ayant encore été capable de nous expliquer ses « bienfaits » pour
les citoyens, si ce n'est celui de perturber leur vie quotidenne !
M. le président.
Par amendement n° 12, M. Jarlier, au nom de la commission des lois, propose,
dans le III de l'article 9, de supprimer la référence : « 442-8, ».
La parole est à M. Jarlier, rapporteur pour avis.
M. Pierre Jarlier,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Cet amendement de nature juridique porte sur un sujet
complexe.
L'article 9 du projet de loi prévoit, conformément à des textes
communautaires, la compétence des juridictions françaises pour certaines
infractions de faux-monnayage commises à l'étranger, mais pas pour toutes les
infractions prévues par le chapitre du code pénal sur le faux-monnayage.
En revanche, le texte vise l'article 442-8 sur la tentative des infractions
prévues dans le chapitre sur le faux-monnayage, article qui, lui, fait
référence à toutes les infractions du chapitre.
Dans ces conditions, le texte proposé prévoit la compétence des juridictions
françaises pour la tentative de certaines infractions sans prévoir cette même
compétence pour les infractions elles-mêmes, ce qui est absurde.
Par conséquent, la commission des lois propose de supprimer la référence à
l'article 442-8, qui est juridiquement inutile. Dès lors que les juridictions
françaises sont compétentes pour une infraction commise à l'étranger, elles le
sont également pour la tentative de cette infraction.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La commission est très favorable à cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement de
nature technique, qui va dans le sens de ce que souhaitent la Chancellerie et
le Gouvernement pour pouvoir lutter contre toute forme de fraude avant le
passage à l'euro fiduciaire.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, accepté par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 40, M. Marini, au nom de la commission des finances,
propose, dans le premier alinéa du IV de l'article 9, de remplacer les mots : «
1er décembre 2001 » par les mots : « 1er septembre 2001 ».
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 142, présenté par M.
Charasse, et tendant :
I - A faire précéder le texte de l'amendement n° 40 par la mention : « I. -
»
II. - A compléter cet amendement par le II suivant :
« II. - Le IV de cet article est complété par les dispositions suivantes :
« A compter de la date de promulgation de la présente loi et jusqu'au 30 juin
2002, les particuliers peuvent :
« - soit ouvrir dans l'agence bancaire ou postale qui tient leur principal
compte un compte de dépôt de fonds à vue et anonyme sur lequel ils peuvent
déposer, dans la limite de deux millions de francs, afin de favoriser leur
conversion en euros en toute sécurité, tous les billets et toutes les pièces
qui n'auront plus cours légal en 2002 du fait de l'entrée en vigueur de
l'euro.
« L'ouverture de ce compte anonyme ne donne lieu à aucun frais, ni à la
délivrance d'aucun moyen de paiement. Il ne peut être fait sur ce compte aucune
opération en débit ou en crédit par son titulaire. Ce compte ne donne lieu au
versement d'aucun intérêt ou rémunération au bénéfice de son titulaire.
« L'ouverture de ce compte anonyme ne donne lieu à aucune formalité
particulière, ni à aucune déclaration au titre des articles L. 562-2 et L.
563-3 du code monétaire et financier. L'ouverture et le fonctionnement de ce
compte anonyme ne constituent pas, au sens du deuxième alinéa de l'article
324-1 du code pénal, l'apport d'un concours susceptible d'être reproché aux
établissements de crédit ou aux services financiers de La Poste, ainsi qu'à
leurs représentants, agents et préposés. L'existence de ce compte et son
contenu ne peuvent donner lieu à aucune vérification fiscale.
« Ce compte anonyme dispose d'un numéro confidentiel qui n'est communiqué qu'à
son titulaire. Les valeurs déposées sur ce compte ne peuvent donner lieu qu'à
la délivrance, à son titulaire exclusivement, de billets et de pièces de
monnaie libellés en euros.
« Ce compte est automatiquement clôturé au plus tard le 1er juillet 2002 s'il
n'a pas donné lieu à clôture avant cette date. La clôture, constatée par
l'établissement de crédit ou La Poste, entraîne le virement automatique du
contenu du compte sur le compte bancaire habituel du déposant, et
l'établissement de crédit ou La Poste procède alors le cas échéant aux
déclarations visées par les articles L. 562-2 et L. 563-3 du code monétaire et
financier.
« - soit ouvrir dans n'importe quelle autre agence bancaire ou postale du
territoire de la République un compte anonyme fonctionnant comme il est décrit
ci-dessus. Toutefois, l'agence bancaire ou postale procède alors à l'ouverture
du compte anonyme après que le demandeur a fourni tous les renseignements
nécessaires relatifs à son identité et à son principal compte bancaire. En
outre, si le total des versements opérés sous cette forme sur l'ensemble des
comptes anonymes de l'intéressé, y compris auprès de l'agence bancaire ou
postale qui tient son principal compte de dépôt, dépassent 500 000 francs, les
dispositions du titre VI du livre V du code monétaire et financier sont
applicables à la diligence de l'établissement qui tient son compte principal.
»
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n°
40.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il s'agit là de faciliter la gestion des files
d'attente aux guichets bancaires, et donc d'avancer au 1er septembre 2001 la
date d'entrée en vigueur du dispositif exceptionnel que vous nous proposez,
monsieur le secrétaire d'Etat, pour rendre plus facile l'échange de pièces et
de billets de banque de francs en euros.
Ce dispositif exceptionnel doit, à notre avis, commencer dès le 1er septembre,
sachant qu'à partir de cette date les espèces converties le seront contre des
euros scripturaux, ce qui, par nature, ne saurait présenter de risque du point
de vue fiscal ni du point de vue de l'origine des fonds.
M. le président.
La parole est à M. Charasse, pour présenter le sous-amendement n° 142.
M. Michel Charasse.
Jusqu'à présent, mes chers collègues, le Gouvernement, en ce qui concerne le
changement des signes monétaires, billets et pièces, a porté une attention
particulière à la sécurité des transports de fonds, c'est-à-dire aux véhicules
et aux transferts de fonds importants, ce qui est tout à fait normal.
En revanche, un aspect ne me semble pas avoir été traité, comme je l'ai
constaté récemment à l'occasion d'une réunion tenue à la préfecture de mon
département, sur l'initiative du préfet, où les élus parlementaires étaient
invités et qui concernait les modalités concrètes du passage à l'euro et du
changement monétaire : la sécurité dans les agences bancaires et les bureaux de
poste pendant les quinze jours ou les trois semaines du mois de février au
cours desquels les clients vont se présenter pour changer les billets et les
pièces, autrement dit leur argent liquide.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez - nous nous connaissons assez
pour savoir que nous sommes en phase sur ce sujet au moins, car nous sommes
tous deux des élus ruraux - dans les petites villes et les zones rurales ou
semi-rurales, on a l'habitude d'avoir des économies dans le fond de la
lessiveuse.
(Exclamations diverses.)
Oh ! pas beaucoup, mais parfois 30 000..., 40
000... ou 50 000 francs.
M. Michel Mercier.
Dans les départements riches, parce que, dans les autres... Il n'y a même pas
de lessiveuse !
(Sourires.)
M. Michel Charasse.
Mon cher collègue, la notion de richesse n'a rien à voir dans l'affaire. Même
dans des endroits très pauvres, on a parfois des surprises !
Par conséquent, il y a des économies, et des braves dames vont donc venir avec
leur petit sac à main serré contre elles à la banque, le 17 ou le 18 février,
pour changer leurs sous.
Et comme le Gouvernement ne dispose pas de forces de police et de gendarmerie
suffisantes pour affecter au moins un policier par agence bancaire ou par
bureau de poste, et comme le nombre de vigiles dans les banques est inférieur
au nombre d'agences bancaires, il suffira d'acheter un pistolet à eau au
supermarché du coin pour « ramasser » au total 200 000, 300 000, 400 000 ou 500
000 francs, et ce, croyez-le bien, monsieur le secrétaire d'Etat, tous les
jours pendant quinze jours ou trois semaines.
J'ai donc essayé de trouver une solution.
Au fond, ce sous-amendement peut, techniquement, être très critiqué - vous
vous préparez peut-être à le faire, monsieur le secrétaire d'Etat. Mais ce
n'est pas tant le fond qui m'intéresse, dans cette affaire, que le sujet de la
discussion, c'est-à-dire ce que le Gouvernement a prévu concrètement.
Je ne vous cache pas que, compte tenu de ce qui se passe dans mon secteur, qui
n'est pas plus en insécurité qu'un autre, mais qui ne l'est pas moins,
j'envisage, comme maire, de prendre un arrêté pour interdire le change dans ma
commune à cette époque.
(Mme Marie-Claude Beaudeau s'exclame.)
Car je n'ai pas les moyens d'assurer la sécurité ! Dans mon canton, comme dans
bien d'autres, il y a sept gendarmes. Je ne peux pas demander qu'on en affecte
la moitié à l'agence du Crédit agricole et l'autre moitié au bureau de poste !
Or je sais, compte tenu des exactions diverses qui sont commises dans mon coin
- je l'ai dit, elles ne sont ni plus graves ni plus nombreuses qu'ailleurs -
qu'il pourra y avoir des attaques fréquentes - comme ailleurs ! - et que
personne n'y pourra rien.
Voilà pourquoi j'ai proposé un système qui permettrait à tous ces citoyens
d'aller dès maintenant déposer sur un compte ouvert anonymement dans leur
agence bancaire habituelle, c'est-à-dire celle où ils sont connus, les quelques
milliers de francs d'argent liquide, étant entendu qu'ils ne pourraient
récupérer leur dépôt, le moment venu, qu'en billets et pièces en euros, le
compte ne donnant lieu à aucune autre transaction.
J'ai prévu un plafond de deux millions de francs. Cela peut paraître très
élevé, et on peut donc prévoir moins ; je n'en fais pas une affaire. Ce qui
m'intéresse surtout, mes chers collègues, c'est la réponse du Gouvernement,
c'est-à-dire savoir ce qu'on fait et comment on fait. Sinon, je le répète, en
plein mois de février, il y aura dix, vingt, cinquante petits hold-up par jour,
et on ne pourra rien faire. Par conséquent, il faut prévoir dès maintenant les
mesures nécessaires.
L'amendement de la commission qui vient d'être exposé anticipe la date,
puisqu'il la ramène au 1er septembre. Mais ce qui importe, c'est surtout de
permettre dès maintenant aux citoyens de mettre leur argent à l'abri en toute
sérénité.
Nous ne pouvons pas empêcher que les Français aient des petites lessiveuses et
que, dans ces petites lessiveuses, il y ait quelque monnaie. La plupart du
temps, les sommes ne sont pas astronomiques, et mon amendement ne vise
évidemment pas les plus riches, qui se débrouillent autrement !
Ce que je propose, en fait, c'est que l'on transfère ce contenu de la petite
lessiveuse individuelle à la grande « lessiveuse » des banques pendant quelques
mois pour le mettre à l'abri. Ce n'est pas plus compliqué que cela.
Si l'on a un meilleur système, qu'on me le dise ! Ce que je souhaite savoir,
en tout cas, c'est comment on va faire pour que, dans les communes moyennes et
petites ou dans les quartiers difficiles, on ait l'assurance que ces
transactions ne feront pas l'objet de tentations ou de tentatives qui
conduiraient à accumuler les vols et les exactions pendant les quinze jours ou
trois semaines où se dérouleront les opérations de change.
M. le président.
Je note que, pour M. Charasse, deux millions de francs, c'est de la menue
monnaie dans une lessiveuse !
M. Michel Charasse.
Je l'ai dit, le plafond est peut-être trop élevé !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il serait trop facile d'ironiser sur la proposition
qui vient d'être faite.
Pour ma part, j'estime qu'elle a le grand mérite de mettre l'accent sur un
sujet très concret que nous allons tous rencontrer au fur et à mesure de cette
période de changement concret de la monnaie, sur le passage à ce que votre
collègue Christian Pierret appelait hier, monsieur le secrétaire d'Etat, l'euro
concret, l'euro que l'on va tâter, l'euro que l'on aura dans sa poche ou dans
son portefeuille, après avoir, pendant une période transitoire, réfléchi à un
euro virtuel ou théorique.
Il est clair que nombre de problèmes se posent et que le dispositif qui nous
est soumis est loin de les résoudre en totalité.
Il est également clair que le passage à l'euro pourrait tourner à la
catastrophe dans l'opinion publique si des personnes âgées se faisaient
agresser dans les files d'attente, d'autant que le dispositif proposé - c'est
une de ses conséquences ! - permet aux agresseurs de blanchir instantanément le
fruit de leur rapine pour peu qu'il n'excède pas 10 000 euros...
En tout cas, après ce débat au Sénat - j'espère qu'il sera quelque peu
médiatisé, car nous sommes parfois, de ce point de vue, les parents pauvres,
même s'il est vrai qu'il nous appartient aussi de faire savoir à l'extérieur ce
que nous faisons - personne ne pourra dire que nous n'avons pas anticipé les
problèmes concrets qui vont se poser.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais d'abord savoir ce que le
Gouvernement prévoit, dès aujourd'hui, pour assurer la sécurité physique des
particuliers lors des opérations de conversion des pièces et billets en
euros.
Ensuite, il me semble qu'il faut réfléchir à des dispositifs - je ne sais pas
s'ils doivent prendre exactement la forme préconisée par notre collègue Michel
Charasse - de nature à permettre à ces opérations de change de se dérouler en
toute sécurité et sans soulever de problèmes dans l'opinion publique.
Je souhaite, sur le fond, monsieur le secrétaire d'Etat, insister sur les
questions que la commission des finances s'est posée en examinant ce texte.
Il convient de rappeler que les établissements de crédit et les changeurs
manuels sont aujourd'hui soumis, au titre de la lutte contre le blanchiment, à
deux types d'obligations : d'abord, les obligations de vigilance prévues par le
code monétaire et financier ; ensuite, tout comme leurs représentants et leurs
employés, les obligations de vigilance encore plus générales découlant du code
pénal.
En ce qui concerne le code monétaire et financier, il s'agit de l'obligation
de déclarer, à partir du premier franc, à TRACFIN, les sommes inscrites dans
les livres ou les opérations portant sur des sommes qui paraissent provenir du
trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles. Il s'agit
encore de l'obligation de s'assurer de l'identité de tout client désirant
ouvrir un compte ou de tout client occasionnel « demandant de faire des
opérations dont la nature et le montant sont fixés par décret en Conseil d'Etat
». Sont actuellement concernées par cette disposition les opérations portant
sur une somme supérieure à 50 000 francs ou le fait de louer un coffre. Il
s'agit, enfin, de l'obligation de se renseigner sur la véritable identité des
personnes au bénéfice desquelles un compte est ouvert ou une opération est
réalisée lorsqu'il apparaît à l'établissement bancaire que les personnes qui
demandent l'ouverture du compte ou la réalisation de l'opération pourraient ne
pas agir pour leur compte.
Je rappelle que ces obligations sont assorties de tout un régime de sanctions
professionnelles et administratives, sans préjudice des obligations plus
générales découlant du code pénal qui interdisent aux établissements de crédit
d'apporter leur concours à la conversion de sommes d'argent liquide provenant
directement ou indirectement de la fraude fiscale. La méconnaissance de cette
obligation plus générale est passible de cinq ans d'emprisonnement et 2 500 000
francs d'amende.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il faut nous expliquer très clairement ce qui
va se passer, parce qu'il y a conflit entre différents impératifs : l'impératif
de lutte contre le blanchiment, qui fonde tout cet arsenal du code monétaire et
financier et du code pénal, et l'impératif de bonne réalisation, dans le
public, du passage à l'euro, qui fonde sans doute l'organisation d'une espèce
de parenthèse. Seulement, il faut être très explicite et dire très précisément
à l'opinion publique ce qui va se passer pour ne pas prendre les gens en
traître.
M. Michel Charasse.
Voilà !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Dès lors, avant d'exprimer un avis qui, je l'espère,
sera suffisamment documenté sur le sous-amendement n° 142 deM. Charasse, je
voudrais, à ce stade, m'arrêter, monsieur le président, pour connaître l'avis
du Gouvernement.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 142 et sur
l'amendement n° 40 ?
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Je voudrais auparavant répondre à Mme Beaudeau et à
M. Loridant.
Madame Beaudeau, il n'a jamais été question de supprimer la production de la
Banque de France ou des Monnaies et Médailles : aujourd'hui, c'est une question
de marché qui fait que les pièces et les billets sont fabriqués dans les
conditions que vous avez évoquées, mais elles ne sont nullement menacées
aujourd'hui.
Monsieur Loridant, j'ai bien entendu votre argumentation. Quand on a voulu
faire la France, on a fait le franc ; si l'on veut faire l'Europe, il faut
faire l'euro. Et la démarche n'est pas sournoise, car voilà deux ans - depuis
le 1er janvier 1999 - que les Français se préparent intellectuellement et
moralement à l'euro. De surcroît, nous n'avons pas choisi la voie brutale que
d'autres pays ont retenue pour opérer ce passage. Nous procédons sur un temps
suffisamment long, et la période utile pour changer a déjà été étendue par le
Gouvernement.
Puisque vous pensez à tous les citoyens, pensez à ceux qui sont aujourd'hui
frontaliers et qui supportent tous les jours des frais de change. Pensez à ce
secrétaire d'Etat qui, la semaine dernière, à Bruxelles, s'est vu refuser, dans
un taxi, un billet de cent francs, alors que nous vivons à l'époque de l'euro
!
M. Michel Charasse.
Cent francs français ?
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Oui, cent francs français.
M. Bernard Murat.
Ils ne refusent pas les dollars !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Tout de même, exiger des euros d'un taxi !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Pensez que tout cela va dynamiser l'économie. Je
rappelle que l'euro a d'ores et déjà permis de créer des emplois, de stimuler
l'économie et de créer cet environnement favorable qui caractérise la période
que nous connaissons.
J'en viens maintenant aux problèmes du blanchiment de l'argent, du dépôt de
l'argent liquide et de la thésaurisation.
En premier lieu, je voudrais rappeler que le Gouvernement n'entend en aucun
cas relâcher son action contre le blanchiment de l'argent sale.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas le sujet !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
En second lieu, il entend prendre toutes les
dispositions nécessaires pour que les habitants de Puy-Guillaume, de Compiègne
ou d'ailleurs puissent changer leur argent liquide dans les meilleures
conditions de sécurité et de tranquillité.
M. Michel Charasse.
Ah !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Je m'explique : le Premier ministre a arrêté un plan
de sécurité qui s'étend, monsieur Charasse, jusqu'aux agences bancaires, plan
qui comprend des mises à disposition et des mesures spécifiques des agences
bancaires.
Donc, un plan sécurité du Gouvernement est mis en place tant par les pouvoirs
publics que par les banques elles-mêmes, qui vont se doter de moyens
supplémentaires de contrôle et de surveillance.
M. Michel Charasse.
Lesquels ?
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Je l'ai dit : il s'agit de moyens techniques de
surveillance tels que des caméras, des dispositifs de vidéosurveillance et
autres.
M. Michel Charasse.
Il nous faut des flics !
M. Bernard Murat.
Des flics et des gendarmes !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Des policiers et des gendarmes, voilà ce qu'il nous faut !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Si vous n'y croyez pas, c'est votre problème !
Mais, monsieur Charasse, j'en viens au dispositif retenu.
A l'origine, il était prévu que l'on ne pouvait changer l'argent liquide qu'à
partir du 1er janvier pour une période allant jusqu'au 30 juin pour les banques
et qui s'étendait jusqu'à trois ans pour les pièces et dix ans pour les billets
à la perception. Et j'imagine qu'à Puy-Guillaume, il y a une perception !
Pourquoi les habitants de telle ou telle commune, y compris ceux de
Rambouillet, monsieur Larcher, se précipiteraient-ils tous en même temps le 1er
décembre pour changer leur argent et faire la queue devant les banques, alors
que le temps ne leur est pas compté, pas plus que les moyens techniques ?
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Ceux qui ne veulent pas attendre pour changer leur
argent ont tout loisir d'aller dans leur banque de proximité pour ouvrir un
coffre et pour déposer leur argent de façon anonyme et ensuite, à leur
convenance, jusqu'au 30 juin de l'année prochaine - ils auront donc sept mois -
éventuellement faire passer l'argent du coffre, sous la surveillance du
directeur de l'agence, sur le compte en euros...
M. Michel Charasse.
Il n'y aura jamais assez de coffres ! A Puy-Guillaume, il n'y en a que deux
!
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Mais si !
Enfin, je me demande tout de même quelles sont ces personnes qui, par
dizaines, se précipiteront avec deux millions de francs, ou même un million de
francs dans leur sac à main ou leur portefeuille pour changer leur argent dans
les banques !
Le Gouvernement a déjà proposé d'avancer au 1er décembre la date à compter de
laquelle il sera possible de changer les francs en euros, et ce jusqu'à
concurrence de 10 000 euros. Pendant tout le mois de décembre, donc, les
Français pourront procéder au change. Nous pensons que ce délai est suffisant
et que tout allongement serait injustifié.
M. Philippe Marini
rapporteur général.
Ah bon ?
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement est donc défavorable à cette
proposition.
En conclusion, monsieur Marini, il y a ceux qui, comme on l'a vu pour le
bogue, jouent le catastrophisme en prétendant que les Français seront
mécontents, qu'ils se feront agresser. Et puis il y a ceux qui, comme moi, en
ma qualité de secrétaire d'Etat, assistent chaque jour à une montée en
puissance de l'euro, que ce soit dans les PME, chez les commerçants, les
artisans, dans les entreprises de services, et même dans la population, tout
simplement.
Et n'oubliez pas l'aspect ludique de l'affaire, que vous ne pouvez pas nier.
Il suffit de regarder aujourd'hui le nombre de moyens techniques mis à la
disposition du grand public, l'engouement que cela produit - j'ai pu le
vérifier, ce week-end, dans mon propre département - pour s'en convaincre.
Oui, monsieur Marini, il y a ceux qui rêvent et qui pensent que le passage se
fera simplement, tout seul ; je ne le crois pas pour ma part ; il y a ceux qui
dramatisent et qui pensent qu'il y aura des hold-up partout, tous les jours, et
que les gens vivront dans l'insécurité la plus totale,...
M. Michel Charasse.
C'est la vérité ! Comme à Paris !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Et il y a ceux qui pensent que, compte tenu de la
démarche entreprise avec détermination par le Gouvernement pour sensibiliser et
sécuriser, le passage devrait se dérouler tout à fait normalement.
Le Gouvernement est donc défavorable au sous-amendement n° 142 ainsi qu'à
l'amendement n° 40.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 142 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le sous-amendement de M. Charasse a le mérite de
proposer une méthode concrète pour que le niveau de sécurité à tous égards
puisse progresser. Car nous sommes nombreux ici, monsieur le secrétaire d'Etat,
à ne pas partager votre optimisme - un optimisme de commande, allais-je dire -
sur un dispositif qui n'est pas techniquement tout à fait convaincant.
Certes, les craintes que nous exprimons ici ne sauraient être interprétées
comme une attitude frileuse envers l'euro lui-même. Je pense, d'ailleurs, que
vous ne vous êtes pas mépris sur ce point et que vous n'assimilez pas les
avertissements que nous nous permettons d'exprimer à des positions de fond que
l'on pourrait avoir ou ne pas avoir, ou que l'on aurait pu avoir ou ne pas
avoir en 1992 et depuis.
Notre propos se situe beaucoup plus « à ras de terre ». Il est basique et
s'appuie sur l'expérience que nous croyons avoir de la manière dont les choses
se passent réellement dans nos communes.
Mais je me tourne vers M. Charasse.
Mon cher collègue, accepteriez-vous, le cas échéant, de diminuer quelque peu
les seuils que vous avez fixés ?
(M. Michel Charasse opine.)
Ils me
semblent en effet un peu élevés. Cela étant, si le mécanisme est perfectible,
et la navette y pourvoira, il a au moins valeur de signal.
Moyennant, donc, cette révision à la baisse des seuils, pour qu'ils atteignent
un niveau raisonnable, je serais tenté de donner, au nom de la commission, un
avis de sagesse.
M. le président.
Monsieur Charasse, acceptez-vous de modifier les seuils fixés dans votre
sous-amendement ? Vous avez vous-même estimé tout à l'heure la somme de deux
millions de francs excessive.
M. Michel Charasse.
J'ai effectivement proposé moi-même d'abaisser ce seuil. Je serais prêt à
descendre jusqu'à 500 000 francs.
M. Joël Bourdin.
Très bien !
M. Michel Charasse.
J'avais fixé volontairement le chiffre à deux millions de francs pour faire
réagir.
(Sourires.)
Mais je pensais bien qu'on soulèverait la question
!
Donc, je suis prêt à descendre jusqu'à 500 000 francs. Mais, étant donné que
mon dispositif est fondé sur un double seuil, je précise que c'est le seuil qui
s'applique quand on ouvre un compte dans sa propre agence.
En revanche, lorsque l'on ouvre le compte ailleurs que dans sa propre agence,
j'avais proposé que le total des sommes déposées ne puisse dépasser 500 000
francs. Si vous voulez, ce seuil peut être fixé à 200 000 francs. Ce second
seuil vous conviendrait-il, monsieur le rapporteur général ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Parfaitement, mon cher collègue.
M. Bernard Murat.
C'est le dernier prix ?
M. le président.
Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 142 rectifié, présenté par M.
Charasse, et tendant :
I. - A faire précéder le texte de l'amendement n° 40 par la mention « I. -
».
II. - A compléter cet amendement par le II suivant :
« II. - Le IV de cet article est complété par les dispositions suivantes :
« A compter de la date de promulgation de la présente loi et jusqu'au 30 juin
2002, les particuliers peuvent :
« - soit ouvrir dans l'agence bancaire ou postale qui tient leur principal
compte un compte de dépôt de fonds à vue et anonyme sur lequel ils peuvent
déposer, dans la limite de 500 000 francs, afin de favoriser leur conversion en
euros en toute sécurité, tous les billets et toutes les pièces qui n'auront
plus cours légal en 2002 du fait de l'entrée en vigueur de l'euro.
« L'ouverture de ce compte anonyme ne donne lieu à aucun frais, ni à la
délivrance d'aucun moyen de paiement. Il ne peut être fait sur ce compte aucune
opération en débit ou en crédit par son titulaire. Ce compte ne donne lieu au
versement d'aucun intérêt ou rémunération au bénéfice de son titulaire.
« L'ouverture de ce compte anonyme ne donne lieu à aucune formalité
particulière, ni à aucune déclaration au titre des articles L. 562-2 et L.
563-3 du code monétaire et financier. L'ouverture et le fonctionnement de ce
compte anonyme ne constituent pas, au sens du deuxième alinéa de l'article
324-1 du code pénal, l'apport d'un concours susceptible d'être reproché aux
établissements de crédit ou aux services financiers de La Poste, ainsi qu'à
leurs représentants, agents et préposés. L'existence de ce compte et son
contenu ne peuvent donner lieu à aucune vérification fiscale.
« Ce compte anonyme dispose d'un numéro confidentiel qui n'est communiqué qu'à
son titulaire. Les valeurs déposées sur ce compte ne peuvent donner lieu qu'à
la délivrance, à son titulaire exclusivement, de billets et de pièces de
monnaie libellés en euros.
« Ce compte est automatiquement clôturé au plus tard le 1er juillet 2002 s'il
n'a pas donné lieu à clôture avant cette date. La clôture, constatée par
l'établissement de crédit ou La Poste, entraîne le virement automatique du
contenu du compte sur le compte bancaire habituel du déposant, et
l'établissement de crédit ou La Poste procède alors le cas échéant aux
déclarations visées par les articles L. 562-2 et L. 563-3 du code monétaire et
financier ;
« - soit ouvrir dans n'importe quelle autre agence bancaire ou postale du
territoire de la République un compte anonyme fonctionnant comme il est décrit
ci-dessus. Toutefois, l'agence bancaire ou postale procède alors à l'ouverture
du compte anonyme après que le demandeur a fourni tous les renseignements
nécessaires relatifs à son identité et à son principal compte bancaire. En
outre, si le total des versements opérés sous cette forme sur l'ensemble des
comptes anonymes de l'intéresé, y compris auprès de l'agence bancaire ou
postale qui tient son principal compte de dépôt, dépassent 200 000 francs, les
dispositions du titre VI du livre V du code monétaire et financier sont
applicables à la diligence de l'établissement qui tient son compte principal.
»
Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 142 rectifié ?
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
La démonstration du sénateur Michel Charasse m'invite
à émettre un avis encore plus défavorable !
Pouvoir ouvrir un compte dans une banque où l'on en a déjà un et, de plus,
pouvoir déposer des fonds dans d'autres banques me semble une incitation
terrible au blanchiment de l'argent. Le Gouvernement ne peut l'accepter.
M. Michel Charasse.
Il y a un total de 200 000 francs !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
En plus, on peut parvenir très facilement à 1 million
de francs, avec 500 000 francs dans sa banque et 200 000 francs dans plusieurs
autres banques autour.
M. Michel Charasse.
Non ! Et le seuil de 200 000 francs ?
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
S'il s'agit de sommes en liquide, comment
contrôlez-vous ?
De plus, la reprise en compte n'est pas limitée : on peut dépenser la somme
d'argent que l'on veut au-delà de 10 000 euros sur son compte bancaire, la
reprise en euros se fait sans aucun problème.
L'avis du Gouvernement est donc tout à fait défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 142 rectifié.
M. Thierry Foucaud.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Je suis plutôt enclin à partager l'avis de M. le secrétaire d'Etat en ce qui
concerne le blanchiment d'argent.
Sur la sécurité des fonds que peuvent détenir certains Français, je partage à
100 % l'avis de notre collègue Michel Charasse. Cela étant, je constate que
nous sommes partis de 2 millons de francs, pour arriver très vite à 200 000
francs...
M. Michel Charasse.
Non, 500 000 francs !
M. Thierry Foucaud.
Bien, 500 000 francs. On se croirait dans une salle de vente !
Là encore, on peut discuter.
Mais je lis, dans le sous-amendement, que « l'ouverture de ce compte anonyme
ne donne lieu à aucun frais », plus loin, que « et l'existence de ce compte et
son contenu ne peuvent donner lieu à aucune vérification fiscale ». Pour moi,
cela sent un peu la Suisse.
(M. Charasse s'exclame.)
Mes chers collègues, si je comprends parfaitement vos préoccupations en
matière de sécurité s'agissant du vidage des lessiveuses et des bocaux
hermétiquement fermés et enterrés dans les jardins, je ne m'explique pas
comment on peut arriver à de belles sommes. Tout de même, 500 000 francs...
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il ne faut pas faire dire à ce sous-amendement ce qu'il ne dit pas, et il ne
faut pas se tromper.
Ce que je propose, c'est que les personnes qui possèdent jusqu'à 500 000
francs en liquide, qui ne sont que le fruit de leurs économies personnelles et
qui ne résultent pas d'une fraude fiscale - cela existe, notamment dans les
campagnes où des petites gens gardent quelques sous ; j'en connais ; pourtant,
mon coin n'est pas le plus riche de France - puissent les déposer sur un compte
anonyme dans leur banque habituelle.
En revanche, s'ils veulent s'adresser à une banque qui n'est pas la leur, ils
ne pourront déposer que 200 000 francs, et ce, monsieur le secrétaire d'Etat,
au total et en une ou plusieurs fois. En effet, les banques pourront faire des
recoupements pour savoir si vous êtes titulaire d'un autre compte bancaire, à
quel endroit, et si vous y avez déjà déposé des fonds.
Parlons net : cet argent n'est pas le fruit de la fraude fiscale ; ce sont
généralement les économies de petites gens qui possèdent 200 000, 100 000, 50
000 francs ou moins.
M. Thierry Foucaud.
Voyons !
M. Michel Charasse.
Certains ont peut-être plus !
Un ancien combattant de la guerre de 1914-1918 que je connaissais et qui est
mort voilà sept ou huit ans d'une crise cardiaque avait, chez lui, 6 millions
de francs d'économies en liquide...
M. Thierry Foucaud.
C'est très rare !
M. Michel Charasse.
Peut-être, mais cela existe, et on légifère pour tout le monde !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il s'est privé toute sa vie !
M. Michel Charasse.
Je ne vais pas jusqu'à des sommes pareilles ! Mais 500 000 francs, c'est plus
que convenable pour les catégories sociales que je vise.
Vous savez bien pourquoi ces citoyens souvent âgés gardent cet argent : c'est
pour qu'il échappe aux droits de succession !
Puisque vous voulez que l'on vous dise la vérité, je vais vous la dire : c'est
parce qu'ils veulent laisser 40 000, 50 000, 60 000 francs en liquide à leurs
héritiers !
(Un commissaire du Gouvernement sourit.)
Vous riez, madame, sur le banc des commissaires du Gouvernement ! Mais la
direction du Trésor ne connaît pas la France ! Elle ne connaît pas les Français
! Elle ne connaît rien ! Vous et vos collègues, vous être complètement
ignorants de tout.
(« Bravo » ! et applaudissements sur les travées du
RPR.)
Vous pouvez faire dire au ministre n'importe quoi et lui passer des papiers
débiles. Mais les Français sont comme ça depuis toujours et ce n'est pas
Charasse qui les a fabriqués !
En bref, je veux donner dès maintenant la possibilité d'aller mettre à l'abri
jusqu'à 500 000 francs à sa banque - si vous trouvez que cette somme est trop
élevée, baissez-la - et 200 000 francs quand ce n'est pas dans sa propre
banque. Les citoyens veulent pouvoir disposer à tout moment de leur argent
liquide.
M. le secrétaire d'Etat me dit : « Il y a les coffres ». Mais, à La Poste, il
n'y en a pas et au Crédit Agricole de Puy-Guillaume, il doit y en avoir deux ou
trois qui sont libres.
Et imaginez ce qu'il adviendrait si tout le monde ouvrait un coffre pour y
déposer 30 000 francs ou 40 000 francs !...
De plus, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne sais pas comment cela se passe
en Bourgogne, mais, en Auvergne, un coffre, c'est payant.
Par ailleurs, le jour où l'on meurt, le contenu du coffre est bloqué et il
rentre dans la succession.
M. Gérard Larcher.
Eh oui !
M. Michel Charasse.
Si des membres de la direction du Trésor vous ont dit autre chose, monsieur le
secrétaire d'Etat, ne les écoutez plus, parce qu'ils ne savent pas de quoi ils
parlent !
J'ajoute à votre intention, monsieur le secrétaire d'Etat, que 90 % des
Français ne se sont absolument pas préparés à l'euro et qu'ils vont attendre le
dernier moment.
Plusieurs sénateurs du RPR.
C'est sûr !
M. Michel Charasse.
Les deux tiers des PME, la totalité des petits commerçants, des épiciers de
quartier, etc., ne se sont pas préparés du tout. Ils s'y prépareront le 1er
février, en traînant les pieds.
Or, parce que je suis attaché à l'Europe, je pense que cette opération ne doit
pas se traduire par un échec épouvantable et par un rejet absolu. J'ai fait
partie de ceux qui ont négocié Maastricht avec le Président Mitterrand, pour la
partie qui me concernait ; j'ai fait partie de ceux qui ont porté la création
de la monnaie unique sur les fonts baptismaux ; j'y suis attaché. Je n'ai pas
envie que cela échoue, que cela échoue petitement, dans des clapotis minables,
parce qu'on n'aura pas un gendarme ou un policier pour protéger trois vieilles
dames qui vont changer 30 000 francs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous pouvez vous occuper autant que vous
voudrez des transports de fonds et des gros camions. Mais, croyez-moi, les
malfrats, les petits casseurs, sont bien organisés ; ils ont parfaitement
compris que cela n'avait aucun intérêt de s'attaquer aux gros camions, qu'il
suffisait de passer chaque matin pendant quinze jours dans une ou plusieurs
agences bancaires pour rafler tranquillement 300 000 ou 400 000 francs !
Voilà, monsieur le président, l'objet de ce sous-amendement.
Si vous trouvez le dispositif mal ficelé, monsieur le rapporteur général -
c'est possible ; je l'ai fait dans la plus grande humilité, parce que je
voulais surtout poser le problème - qu'on profite de la navette pour trouver
une autre solution.
Si le Gouvernement, cher François Patriat, peut nous proposer quelque chose
d'autre, tant mieux.
Dans cette affaire, je n'ai aucune vanité d'auteur. Il faut simplement essayer
de rassurer les gens avant et prendre des mesures efficaces de sorte qu'il n'y
ait pas d'incident, ou le moins possible. Voilà mon objectif.
Vous trouvez que c'est trop ? Baissez les chiffres. Vous trouvez que c'est mal
ficelé ? Proposez un autre système ! Si le Gouvernement a son système à lui, si
l'on peut éviter de passer par la loi, qu'il le dise.
Mais, en attendant, à titre de précaution, je vais voter mon propre
sous-amendement, monsieur le président.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Paul Loridant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ne vous méprenez pas sur ma proposition :
l'euro existe, il a des avantages. Il a aussi des inconvénients.
Mon intention est simplement d'attirer l'attention du Gouvernement sur la mise
en place de l'euro fiduciaire, c'est-à-dire sous forme de billets. Nous
persistons à dire qu'il est déraisonnable de vouloir procéder à cette mise en
place dans un laps de temps aussi court, même si cette opération découle de
négociations internationales. D'autant plus qu'elle aura lieu à deux mois des
élections présidentielles.
Tout cela va mettre le bazar dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Je ne
suis pas sûr que le Gouvernement ait besoin de cela à ce moment-là. Voilà le
fond de ma pensée.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants
et du RPR.)
Selon moi, il est nécessaire de bien réfléchir et de différer de quelques
mois, ou de quelques semaines, la diffusion de l'euro fiduciaire. Il n'est
nullement question d'y renoncer. Je vous dis simplement : soyons à l'écoute de
nos concitoyens.
J'en viens à l'amendement de la commission et au sous-amendement de M.
Charasse.
Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, on peut être critique à
l'égard de notre collègue Michel Charasse, il n'empêche que la préoccupation
qu'il soulève repose sur une réalité et qu'il a bien décrit ce qui va se passer
dans nos communes.
Je regrette toutefois que, comme d'habitude, il s'en soit tenu aux communes
rurales.
M. Michel Charasse.
Non !
M. Paul Loridant.
Dans les banlieues, il y a tout autant de risques !
M. Michel Charasse.
C'est vrai !
MM. Jacques Chaumont et Gérard Larcher.
Mais oui !
M. Paul Loridant.
Nous savons très bien que la préoccupation de nos concitoyens dans les
banlieues, c'est la sécurité.
Alors, n'en rajoutons pas à deux mois d'élections présidentielles ! Et, par
réalisme, étalons la mise en place de l'euro.
L'amendement de la commission est intéressant parce qu'il avance la date.
Quant au sous-amendement de M. Charasse, je trouve que le système qu'il prévoit
n'est pas inintéressant : il faut effectivement poser des verrous pour qu'il
n'y ait pas de blanchiment.
Personnellement, je dois dire que je suis plutôt satisfait de la discussion
qui vient d'avoir lieu et je souhaiterais que le Gouvernement entende les
membres de sa majorité qui attirent son attention sur ce qui se passe dans nos
villes, dans nos campagnes et dans nos banlieues, sur les difficultés
quotidiennes de nos concitoyens, que l'on va accroître.
J'ajoute à votre intention, monsieur le secrétaire d'Etat, vous qui êtes en
charge du commerce, que cela tombe en pleine période des soldes. Je ne sais pas
si vous y avez pensé, mais il y aura le prix initial en francs, puis le prix
soldé en francs, puis le prix initial en euros et, enfin, le prix soldé en
euros... Si ces complications n'engendrent pas une baisse de la consommation au
mois de février, vous aurez de la chance, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Gérard Larcher.
Il a raison !
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