SEANCE DU 12 JUIN 2001


M. le président. Par amendement n° 221, M. Joyandet propose d'insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« Toute loi de finances doit être présentée à l'équilibre, c'est-à-dire les recettes ordinaires doivent couvrir les dépenses courantes. S'il n'en est pas ainsi pour des raisons conjoncturelles, il convient d'assortir la loi de finances d'un plan précisant dans quel délai et selon quelles modalités le retour à l'équilibre est prévu. »
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Cet amendement est l'occasion pour nous de parler de la dette du pays. Quand on regarde les chiffres du budget de la nation depuis une vingtaine d'années, on s'aperçoit que l'endettement de la France a augmenté d'une manière exponentielle, que ce soit en valeur absolue, que ce soit par rapport au PIB ou tout simplement, par rapport au budget de l'Etat.
Donc, la dette augmente de manière particulièrement inquiétante, tranquillement, sans que, semble-t-il, nos concitoyens en soient alertés, faute de pédagogie sur le sujet.
Et notre pays continue d'emprunter pour payer les dépenses de fonctionnement, pour payer ses fonctionnaires. C'est ainsi, et les Français ne le savent pas. Ils ne cessent de réclamer des mesures sociales, mais ils seraient sans doute incités à réfléchir si on leur expliquait que c'est l'endettement de la France qui les finance et que ce sont leurs petis-enfants qui paieront.
Je suis d'autant plus inquiet de l'augmentation de cette dette, madame le secrétaire d'Etat, quand je rapproche son ampleur de la capacité du pays à la rembourser. Et là encore, on ne voit rien venir : nous n'avons aucune information précise sur les capacités de la France à rembourser cette dette, aucune information sur ce qu'il y a en face de cette dette.
Je suis très satisfait, monsieur le rapporteur, qu'à l'occasion de la discussion de ce texte, déjà un premier pas important soit fait en termes d'information. En effet, un certain nombre d'amendements ont été adoptés en ce sens, de surcroît, avec l'avis favorable du Gouvernement, ce qui milite bien en faveur d'une meilleure information à la fois de la représentation nationale et de nos concitoyens sur l'évolution et sur l'état de la dette. Toutefois, nous n'allons pas assez loin, me semble-t-il. Nous pourrions envisager de poser un « verrou », au reste progressif, puisque cette ordonnance « rénovée » n'entrera en vigueur qu'en 2006, ce qui nous laisse cinq ans devant nous. Nous pourrions poser comme préalable à tout établissement du budget que ce dernier soit en équilibre. Cela nous éviterait d'avoir recours à l'emprunt pour financer des dépenses courantes, des dépenses de fonctionnement, et nous permettrait de réserver la totalité de l'emprunt à l'investissement qui, par définition, procure des recettes en retour.
Je sais bien, pour l'avoir entendu ici, que l'Etat n'est ni une collectivité locale ni une entreprise et qu'il lui faut donc un peu de souplesse. Il y a aussi la fongibilité des dépenses. Reste que, depuis vingt ans, nous avons emprunté pour financer des dépenses de fonctionnement et que nous pourrions essayer de trouver une rédaction nous permettant, à terme, d'éviter cette procédure, qui n'est pas de bonne gestion.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Nous sommes à un moment important de notre discussion, la réforme de l'ordonnance organique étant au croisement des chemins de la démocratie et de l'efficacité de l'Etat et de ses administrations. Aussi mon propos sera-t-il empreint d'une certaine gravité.
Et si la démocratie était un mode d'organisation de la société qui permette aux générations présentes d'arbitrer leur intérêt en ignorant totalement celui des générations futures ?
Chers collègues, si la démocratie se résumait à cela, nous n'aurions pas la dignité requise pour représenter le peuple français.
Alain Joyandet pose une question fondamentale : est-il légitime que ceux qui assument la responsabilité souveraine arbitrent en laissant la facture aux générations futures ? Ma réponse sera claire : je crois que c'est l'une des pires indignités dont nous pouvons être capables, d'ailleurs sans bien nous en rendre compte.
Nous devons, les uns et les autres, nous interroger sur ce que cette dernière décennie aura produit comme dette. Espérons qu'elle sera assumée, du moins en partie par les générations présentes. A cet égard, votre âge, cher Alain Joyandet nous rassure, car il nous autorise à penser que, naturellement, vous participerez au remboursement de cette dette. (Sourires.)
Il n'en demeure pas moins que nous sommes actuellement en train de rédiger la loi organique de laquelle résulteront les lois de finances.
Faut-il introduire la règle d'or ? Telle est la question. Pour avoir pensé un temps qu'il fallait l'introduire, pour y avoir cru, je dois avoir la loyauté de vous dire que, personnellement, je ne le recommande plus aujourd'hui.
D'abord, vieille réminiscence de droit civil, j'ai la conviction que la vertu n'est pas affaire de loi. D'une certaine manière, celui qui veut graver la vertu dans la loi, celui-là a des doutes sur sa capacité à être vertueux.
En outre, pour que la règle, si c'est bien une règle, puisse être mise en oeuvre, encore faut-il que les modalités de son application soient incontestables. Or, vous-même, membre de la commission des finances, vous connaissez parfaitement le sujet et vous avez déjà jeté quelques lumières sur la réponse qu'il convient d'apporter à la question posée.
Des progrès ont déjà été réalisés, puisque dorénavant le budget de l'Etat sera présenté en fonction de la distinction entre une section de fonctionnement et une section d'investissement et que les informations portant sur les ressources et les charges de l'Etat à moyen terme seront introduites dans la loi de finances. Cela nous paraît indispensable, à nous qui, pour la plupart, sommes des gestionnaires locaux.
Cela permettra au Parlement de porter un regard plus précis sur l'évolution du budget et sur l'endettement de l'Etat.
En revanche, inscrire une règle d'or dans la loi organique, c'est ajouter une règle supplémentaire à celles qui ont déjà été introduites. Je pense en particulier aux engagements de discipline budgétaire qui ont été pris à l'échelon européen, en raison de notre appartenance à la zone euro ainsi qu'aux problèmes techniques d'application de la règle d'or. En effet, vous le savez bien, il faut que les imputations budgétaires soient arbitrées une fois pour toutes, sinon, comment cette règle s'appliquera-t-elle ?
Dans les amendements qui vont suivre, déposés sur l'initiative de Philippe Marini, rapporteur général, et de votre serviteur, vous verrez qu'en plus des informations dont je viens de parler nous proposons une règle relative au plafond d'endettement supplémentaire autorisé par le Parlement pour l'exercice de l'année considérée : ce serait sans doute la solution qui répondrait le mieux à votre préoccupation, mon cher collègue.
Donc, après avoir, sans ambiguïté, je l'espère, redit à quel point il me semblait que la règle que vous proposez d'introduire, qui est celle à laquelle nous devons tous souscrire, devrait peut-être être formulée autrement - en l'état, elle serait d'une application difficile - après avoir marqué, par la solennité du ton, l'importance du principe que vous posez, je vous invite à soutenir les propositions alternatives qu'avec le rapporteur général nous avons conçues pour répondre à votre préoccupation.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Beaucoup de choses viennent d'être dites et fort bien dites, et nous arrivons, en effet, à un moment important de notre discussion, puisqu'il s'agit, comme Alain Lambert l'a rappelé, de la question de la règle d'or.
Faut-il que des dépenses de fonctionnement soient financées par l'emprunt ? Cette question de bon sens, monsieur le sénateur, suscite immédiatement une réponse elle-même de bon sens : a priori non, ce n'est pas de bonne gestion. Si c'est ce que vous voulez me faire dire, je le dis volontiers.
Cela étant dit, le texte organique dont nous discutons a vocation à déterminer les règles d'élaboration des lois de finances et non pas à se substituer aux choix de politique budgétaire qui sont faits année après année.
Autant je considère que le principe que vous énoncez est de bonne gestion, et le Gouvernement le fait sien en présentant, dans le cadre d'un programme pluriannuel, un cheminement de résorption des déficits publics jusqu'à l'horizon 2004, autant il ne me semble pas souhaitable d'entrer dans un processus de transposition d'une règle qui a été élaborée pour les besoins des collectivités locales donc, vous en conviendrez, de plus petite taille que l'Etat.
Je ne comprends pas bien comment nous pourrions intelligemment transposer cette règle à l'Etat, qui est, qu'on le veuille ou non, un acteur économique tout à fait particulier : l'Etat n'est ni un agent de droit privé, ni un ménage, ni une collectivité locale ; l'Etat a des devoirs particuliers vis-à-vis de nos concitoyens ; il a même des droits à garantir et il a aussi, du point de vue des cycles économiques, à jouer le rôle de régulateur.
Au surplus, ce texte se voulant respectueux des droits du Parlement, je ne voudrais pas que l'adoption d'une règle de ce type au cours de l'examen d'un texte organique prive le Parlement d'un débat auquel il a droit sur les grandes lignes de la politique budgétaire.
Je peux entendre la préoccupation qui est la votre d'une bonne information du Parlement. D'ailleurs, sans vouloir anticiper sur la suite de notre discussion, j'indique que l'article 48 quinquies apporte une première réponse à votre interrogation, puisqu'il y est prévu qu'est jointe au projet de loi de finances une présentation des recettes et des dépenses budgétaires en une section de fonctionnement et une section d'investissement. Par conséquent, le souci de bien informer le Parlement est très largement satisfait par l'article 48 quinquies .
Sur le plan des principes, je ne saurais mieux dire que le rapporteur s'agissant de la transposition dans une loi organique d'une règle qui est adaptée aux collectivités locales, mais qui poserait un certain nombre de difficultés si elle devait être transposée à l'Etat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 221.
M. Bernard Angels. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Les propos tant de M. le rapporteur que de Mme la secrétaire d'Etat illustrent les différences d'analyse que nous pouvons avoir, et ce au-delà de l'habituel clivage droite-gauche, sur la manière de gérer ce pays.
Personnellement, comme vous, Alain Joyandet, je préférerais, pour les raisons que vous avez exposées, que notre budget soit équilibré et qu'il ne soit pas besoin de recourir à l'emprunt pour financer les dépenses de fonctionnement. Ce doit d'ailleurs être notre ambition à tous. Néanmoins, la gestion d'un pays, ne peut être comparée à celle des collectivités territoriales. Il est des facteurs spécifiques importants qu'il faut prendre en compte.
Il existe malheureusement des cycles économiques contre lesquels il faut absolument lutter, comme on a pu le constater ces dernières années. Vaut-il mieux recourir à l'emprunt ou avoir 100 000 chômeurs supplémentaires ? Faut-il faire un effort financier au titre de la formation professionnelle ou condamner le savoir-faire de notre main-d'oeuvre ? Et que dire des crises qui peuvent survenir à tout moment : faut-il laisser toutes les épidémies se propager ou bien investir massivement dans la recherche ?
A certains moments, on le voit, il faut non pas enfermer les politiques dans un carcan mais leur laisser la possibilité de résoudre les problèmes importants pour l'équilibre d'un pays. Car un pays n'est pas une entreprise, il se compose d'êtres humains dont il faut également construire l'avenir.
Je dis oui à la réforme, oui à l'établissement de règles de transparence et d'équilibre entre le Parlement et l'exécutif, mais je ne veux pas et je ne suis pas, le seul dans cette enceinte, que l'exécutif n'ait plus les moyens de gouverner !
M. Alain Joyandet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Monsieur le président, je vais retirer cet amendement car j'ai bien entendu la position de M. le président de la commission, que j'approuve, et les explications de Mme la secrétaire d'Etat. J'ai bien compris que nous étions en train de mettre en place une mécanique, mais non la manière de s'en servir.
J'ai voulu vous alerter sur ce point, car, contrairement à ce qui vient d'être dit, on ne se sert pas de l'augmentation du déficit budgétaire, du recours à l'emprunt, pour intervenir dans l'économie lorsqu'elle va mal. Depuis vingt ans, je constate au contraire, pendant les périodes de vaches maigres comme pendant les périodes de vaches grasses, et tous gouvernements confondus que le déficit budgétaire n'a cessé d'augmenter et l'endettement du pays également.
Je me demande dès lors comment nous ferons pour réduire l'endettement de la France et rembourser la dette alors que, dans les années récentes, avec une progression de notre économie de 3 %, nous n'avons pas pu le faire. Le débat qui aura lieu ici même la semaine prochaine devrait également montrer qu'en 2002 la dette va encore augmenter beaucoup plus que les remboursements en capital.
Structurellement, chaque année, l'endettement de la France augmente, y compris dans les années où la croissance internationale « porte » l'économie française. Il y a de quoi être inquiet pour nos enfants.
On m'a fait certaines objections sur le dispositif que je propose, mais je constate que la mécanique européenne interdit à l'Etat français un certain nombre d'interventions financières qu'il pratiquait auparavant, y compris en termes de soutien de l'économie et d'aménagement du territoire. Si l'Etat français se plie aux directives européennes et aux règles imposées par la mécanique financière internationale, il peut bien respecter la mécanique que je propose.
Je souhaitais soulever cette question importante. En deuxième lecture, je présenterai peut-être une autre formule. Il faudrait réfléchir sur ce point, cela rendrait d'ailleurs peut-être service à nos gouvernants que de leur donner un outil qui leur permette d'expliquer à nos concitoyens qu'à un moment donné, quand il n'y a plus d'argent, il n'y a plus d'argent.
La situation devient gravissime, et je crains que l'on ne sous-estime la capacité financière de l'Etat. En tout cas, je défendrai ma position jusqu'à ce que l'on m'ait démontré que l'Etat sera capable de rembourser la dette dans l'avenir.
Cela dit, à titre personnel, cher président de la commission, je suis tout à fait prêt à payer mon tribut jusqu'à la fin de ma vie professionnelle. Mais je ne voudrais pas, comme vous l'avez si bien dit, que nous puissions être acccusés par nos enfants et nos petits-enfants de leur avoir laissé une situation tellement difficile.
M. le président. L'amendement n° 221 est retiré.

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