SEANCE DU 12 JUIN 2001


M. le président. « Art. 33. - L'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'Etat ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances. »
Par amendement n° 207, M. Charasse propose de compléter cet article par les mots : « d'initiative gouvernementale ».
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement vise simplement à préciser qu'une affectation à l'intérieur du budget ne peut pas résulter d'une disposition d'initiative parlementaire, qu'elle peut seulement résulter d'une initiative gouvernementale - c'est l'article 40 de la Constitution.
Mais si M. le rapporteur me dit que cela va de soi, je n'insisterai pas. Les travaux préparatoires feront foi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur. J'avais indiqué à M. Charasse que l'amendement semblait motivé par l'impossibilité pour le Parlement de créer ou d'augmenter une dépense, alors que l'article 33 ne concerne que les affectations de recettes.
Je pense donc que M. Charasse devrait retirer son amendement.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur Charasse ?
M. Michel Charasse. C'est de façon erronée - M. le président Lambert, qui est mon mentor, mon tuteur dans cette affaire, voit tout - que j'ai fait référence, dans l'exposé des motifs de mon amendement, aux dépenses, alors qu'il s'agit bien de recettes.
Mais cela veut dire que, dans ce cas, on peut faire l'opération si elle est gagée. En effet, en matière de recettes, si l'on affecte une recette, cela veut dire qu'on l'enlève de quelque part pour la transporter ailleurs, et on est donc obligé de gager.
Sous réserve de cette précision - et je pense que M. le rapporteur est d'accord avec cette interprétation - je pourrais ne pas maintenir l'amendement.
M. Alain Lambert, rapporteur. Je suis d'accord.
M. Michel Charasse. Dans ce cas, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 207 est retiré.
Par amendement n° 268 rectifié, MM. Fréville, Arthuis et Badré proposent de compléter l'article 33 par une phrase ainsi rédigée : « Il en est de même pour tout changement d'affectation. »
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. L'article 33 est en effet d'une grande importance. Il règle un problème, celui de l'affectation externe des ressources, qui avait été mal réglé dans l'ordonnance organique.
Nous avons discuté, il y a déjà quelque temps, des affectations internes au budget de l'Etat ; ici, il s'agit de transférer des impositions de toute nature, par exemple, de l'Etat vers un autre agent. Nous connaissons quantité d'exemples récents d'utilisation de cette procédure.
Je constate d'abord que, selon l'article 33, ce type de transfert « ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances ». Il s'agit donc d'une compétence exclusive et non pas d'une compétence partagée.
Le problème que je soulève est complémentaire. Supposez qu'une ressource, par exemple une partie des impositions sur les tabacs, ait été affectée au fonds de solidarité vieillesse, le FSV. Puis, un beau jour, on créée un autre organisme ; un autre fonds. Il y a, là encore, des exemples.
Dans l'état actuel des choses, le Conseil constitutionnel considère que les changements d'affectation d'un fonds à un autre sont autorisés par la loi. La loi détermine les caractéristiques des impositions de toute nature.
Mon amendement est très simple. Il consiste à établir le parallélisme des formes : seule la loi de finances peut affecter une imposition de toute nature, plus généralement une ressource à un autre organisme, s'il y a un changement d'affectation proposé par quiconque, seule la loi de finances pourra consentir ce changement d'affectation.
Cette application du principe général du parallélisme des formes a une certaine importance dans le contexte actuel.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Cet amendement est peut-être un peu audacieux, mais il est très intéressant. En effet, il est particulièrement peu satisfaisant, aujourd'hui, de voir des affectations de ressources hors du budget de l'Etat varier parfois plusieurs fois au cours de la même année - je pense notamment aux droits sur les tabacs, qui ont été « véhiculés » de fonds en fonds.
Cela étant dit, j'aimerais entendre l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Cet amendement est effectivement intéressant. Il mérite un débat important.
Sur le plan du droit, il me paraît clair qu'une telle règle, qui consiste à réserver aux lois de finances tout changement d'affectation d'une imposition de toute nature, outrepasserait largement le domaine de la loi organique, car, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat, la loi organique ne doit contenir que des dispositions spécifiquement liées aux conditions dans lesquelles sont déterminées les ressources et les charges de l'Etat ou dans lesquelles sont votées les lois de finances.
Compte tenu de ce rappel, je ne peux qu'être défavorable à l'amendement.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur. En fait, je voulais savoir si la crainte qui était la mienne, mais que je n'avais pas exprimée, était partagée par le Gouvernement.
Je ne suis donc pas surpris de l'observation de Mme le secrétaire d'Etat, et j'invite, dès lors, notre collègue Yves Fréville à en tirer les conclusions et à retirer son amendement.
M. le président. L'amendement est-il retiré, monsieur Fréville ?
M. Yves Fréville. Non, monsieur le président, je le maintiens.
Il y a donc une crainte que la disposition ne soit anticonstitutionnelle. Mais quel serait le résultat si le Conseil constitutionnel l'acceptait - et il y a de bonnes raisons pour qu'il le fasse ? La disposition serait votée, et ce serait très bien.
A l'inverse, supposez que le Conseil constitutionnel considère que la phrase que je propose, à savoir : « Il en est de même pour tout changement d'affectation », ne doit pas être retenue. Quelles en seraient les conséquences ? La phrase tomberait, mais le reste de l'article 33 demeurerait intact.
Par conséquent, il n'y a absolument aucun inconvénient pour les dispositions générales que nous votons à ce que le Conseil constitutionnel reconnaisse cette anticonstitutionnalité.
Sur le fond maintenant, je considère, au surplus, que ce n'est pas une disposition anticonstitutionnelle, et pour le démontrer j'en reviens à la discussion que nous avons eue les premiers jours sur la notion de ressources de l'Etat.
C'est à nous qu'il appartient de définir les ressources de l'Etat. Je considère - vous avez vous-même évoqué l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme, monsieur le rapporteur - que les citoyens ont tout à fait le droit, par leurs représentants, de contrôler les impositions de toute nature. Puisque nous nous donnons le droit de contrôler en loi de finances, de façon exclusive, l'affectation, traitons de la même façon les changements d'affectation !
M. Jacques Chaumont. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur. On peut, certes, braver un risque d'inconstitutionnalité, car cet amendement est sympathique. Il était toutefois de mon devoir de mentionner les risques qu'il encourait.
J'ai cru comprendre qu'Yves Fréville ne serait pas blessé à mort si cet amendement venait à être frappé d'inconstitutionnalité ! (Sourires.)
M. Yves Fréville. Il ne le sera pas !
M. Alain Lambert, rapporteur. En tout état de cause, puisqu'il ne gêne en rien la logique du texte, la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 268 rectifié, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 33, ainsi modifié.

(L'article 33 est adopté.)

Article 34