SEANCE DU 13 JUIN 2001


M. le président. « Art. 52. - A défaut de dispositions législatives particulières, les taxes régulièrement perçues au cours de l'année suivant celle de la publication de la présente loi organique en application de l'article 4 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 précitée peuvent être perçues, jusqu'au 31 décembre de cette année, selon l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement en vigueur à la date de leur établissement. »
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 222 rectifié bis est présenté par MM. Vinçon, Le Grand, Valade, Trégouët, Murat, Cornu, Darcos, Neuwirth et Schosteck.
L'amendement n° 242 est déposé par MM. Humbert et Carle.
L'amendement n° 279 est présenté par MM. Badré et Monory.
Tous trois tendent à supprimer l'article 52.
Par amendement n° 165 rectifié, M. Lambert, au nom de la commission, propose, dans l'article 52, de remplacer les mots : « au cours de l'année » par les mots : « au cours de la deuxième année ».
La parole est à M. Vinçon, pour présenter l'amendement n° 222 rectifié bis.
M. Serge Vinçon. Cet amendement, qui vise à supprimer l'article 52 de la proposition de loi organique, est un amendement de cohérence avec l'amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 2, en vue de maintenir les taxes parafiscales prévues à l'article 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
Cet amendement a suscité une discussion jeudi dernier. J'ai lu et relu les propos de M. Lambert et je comprends bien la démarche de la commission des finances. Il n'en reste pas moins vrai que, pour un certain nombre de professions, le financement de centres de recherche ou de ressources passe par ces taxes parafiscales. Nous avons donc le devoir de nous poser la question de la pérennité de ces centres ou de ces moyens professionnels mis à la disposition de certains types de professions, comme l'horlogerie ou la joaillerie.
M. Jacques Chaumont. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 242 est-il soutenu ?...
L'amendement n° 279 est-il soutenu ?...
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 165 rectifié et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 222 rectifié bis.
M. Alain Lambert, rapporteur. Il est vrai que la chronologie de nos travaux, comme vous venez de le souligner, monsieur Vinçon, fait que le débat a quasiment déjà eu lieu. Certains collègues ont en effet déposé, dès le début du texte, des amendements tendant à insérer des articles additionnels, afin de ne pas attendre l'examen de l'article 52. Vous êtes infiniment plus constant qu'eux ! Toutefois vous comprendrez qu'entre jeudi dernier et aujourd'hui il ne s'est produit aucun événement de nature à bouleverser le point de vue de la commission, qui est extrêmement modéré et fondé sur le bon sens, puisque l'article vise à faire revenir la parafiscalité dans le droit commun des impositions de toute nature.
J'ai reçu beaucoup de lettres - j'ai même été privilégié en la matière !
M. Michel Charasse. Nous avons été inondés de lettres !
M. Alain Lambert, rapporteur. C'est une façon de le dire ! J'ai lu les argumentations qu'elles contenaient, argumentations inégales pour certaines, traduisant les craintes légitimes, voire les incompréhensions, des professionnels qui sont actuellement bénéficiaires du produit d'une taxe parafiscale.
Les explications que j'ai déjà données devraient être de nature à apaiser leurs craintes, si toutefois ils les ont écoutées. J'ai lu en effet des argumentations qui ne tenaient pas compte des réponses que nous avions fournies !

Vivons-nous dans un pays définitivement figé ? Il ne nous suffit pas de dénoncer le fait que le Gouvernement veuille parfois s'en tenir aux dispositions actuelles et refuse d'en changer ; il est aussi nécessaire que les professionnels qui sont, c'est vrai, à l'épreuve dans leur vie économique acceptent de voir leur propre financement se moderniser, ce qui ne veut pas dire être supprimé.
La suppression de la parafiscalité, c'est-à-dire d'une fiscalité qui échappe à l'autorisation de la représentation du peuple français, va permettre de faire apparaître deux types de taxes parafiscales : celles qui correspondent à des missions d'intérêt général qu'elles servent à financer et celles qui sont des impositions de toute nature et qui vont passer du régime réglementaire au régime législatif.
J'ai tendance à penser qu'il est beaucoup plus confortable de relever du régime législatif que du régime réglementaire. Je m'étonne donc que, dans leur lettre, certains fassent état du contraire. Je trouve en effet curieux que l'on écrive aux parlementaires pour leur dire qu'on a si peu confiance en eux qu'on préfère que les taxes restent du domaine réglementaire !
Le fait que le Parlement connaisse, comme le prévoit l'article 34 de la Constitution, des impositions de toute nature ne peut être contesté par personne.
Je regarde du côté de la tribune, car mes propos ne manqueront pas d'être sous-pesés ! C'est pourquoi je m'exprime avec une certaine solennité.
Il suffirait que des dispositions législatives interviennent pour faire basculer le régime du domaine réglementaire vers le domaine législatif. Il devrait s'agir de dispositions ad hoc, chaque taxe faisant séparément l'objet d'une « législativisation », si vous me permettez ce barbarisme.
S'il existe des taxes parafiscales qui ne sont pas reconnues, comme je viens de l'indiquer, des taxes visant à servir le caractère d'intérêt général des missions, alors, celles-ci devront faire l'objet d'un aménagement, soit d'une subvention budgétaire, qui sera négociée avec le Gouvernement, soit de l'établissement d'une cotisation volontaire. Ceux qui redoutent, dans des cas particuliers, la cotisation volontaire sont ceux qui n'ont pas spécialement confiance dans leurs ressortissants, ce sont ceux qui doutent du fait que la qualité des services rendus ne justifie pas les cotisations qui sont levées.
Mes chers collègues, nous devons tout dire ! Je veux bien recevoir des centaines de lettres me rappelant à mes devoirs, mais il ne faut pas avoir peur de légitimer les impôts qu'on lève, fût-ce au moyen de cotisations, et de dire que cela est justifié.
M. Michel Charasse. Exactement !
M. Alain Lambert, rapporteur. Je tiens à apporter deux précisions pour l'avenir.
Pour les taxes qui seront transformées, rien n'empêche, me semble-t-il, de conserver le système actuel de recouvrement. C'est un élément qui est de nature à apaiser les tourments.
Il existe des impositions de toute nature - je pense au domaine social - recouvrées pour d'autres personnes que l'Etat. Le système de recouvrement des taxes parafiscales donnant satisfaction, j'engage le Gouvernement à le conserver dans la mesure du possible.
Je voudrais simplement maintenant en appeler à la responsabilité du Sénat.
Si l'article 52 est supprimé, les taxes disparaîtront à la promulgation de la loi organique de même que le délai supplémentaire.
Je demande donc à chacun de bien méditer son vote, car ceux qui poussent dans le mauvais sens pourraient venir à le regretter ultérieurement. Je veux donc insister sur ce point : il faudra que nous prenions, les uns et les autres, nos responsabilités.
MM. Michel Charasse et Philippe Marini. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 222 rectifié bis et 165 rectifié ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. La suppression des taxes parafiscales est tout à fait souhaitable car, comme l'a rappelé à l'instant M. le rapporteur, il n'est pas normal que cette parafiscalité échappe pour une très large partie au législateur, comme c'est actuellement le cas.
J'insiste, moi aussi, sur l'un des éléments importants de cet amendement n° 165 rectifié, qui prévoit de prolonger un peu le délai correspondant à la phase transitoire entre le régime que nous connaissons actuellement et le régime futur prévu par la proposition de loi organique, au terme de laquelle il n'y aura plus de taxes parafiscales.
Ces organismes sont très variés par essence, et il convient donc, pour ceux d'entre eux qui bénéficient de ces 43 taxes parafiscales, d'examiner, je dirais presque au cas par cas, de quelle façon nous pouvons passer du système actuel au système futur. En effet, il faudra apporter chaque fois des solutions de substitution qui pourront nécessiter des textes.
En conséquence, la solution retenue par la commission des finances qui consiste à reporter ce délai à la fin de l'année 2003 me paraît tout à fait opportune, car elle garantit la transition « en douceur » vers le système qui est prévu dans la présente proposition de loi organique, système dont je crois la mise en place tout à fait souhaitable.
C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à l'amendement n° 222 rectifié bis. M. le président. Monsieur Vinçon, l'amendement n° 222 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Serge Vinçon. J'ai entendu les explications de M. le rapporteur et de Mme la secrétaire d'Etat. Pour tout dire, je suis satisfait de la prorogation jusqu'à la fin de l'année 2003 du texte actuel pour trouver une solution. Je souhaite évidemment que le Gouvernement s'engage à négocier la sortie du système parafiscal avec les chambres professionnelles et les professions de telle sorte que la pérennité de leurs investissements soit assurée dans le moyen terme et le long terme. Il en va de l'activité et du dynamisme d'industries parmi les plus prestigieuses de notre pays.
M. le président. Vous retirez donc votre amendement.
M. Serge Vinçon. Je n'avais pas dit cela. (Sourires.)
Je suis très attaché à ce que la sortie du système parafiscal soit négociée avec les professions et j'espère que nous aurons l'occasion d'aborder à nouveau cette question sous un angle législatif. Aussi, dans cette perspective et devant l'insistance manifestée, j'accepte de retirer mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 222 rectifié bis est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 165 rectifié.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.

M. Philippe Marini. Il est bien compréhensible que les professions directement intéressées s'inquiètent. Il faut que le délai que nous proposons d'instituer permette à la concertation nécessaire de se réaliser. Comme le disait très justement M. le rapporteur, lorsqu'il s'agit de faire vivre des outils communs à ces professions, quand il s'agit de questions d'intérêt commun, il est tout à fait logique que l'on trouve un système de contribution volontaire exprimant la réalité de cet intérêt commun et la stratégie que les professions concernées souhaitent conduire.
Il ne s'agit surtout pas de penser que le vote du Sénat sur la proposition de loi organique vise à mettre de côté les outils de recherche, de mise au point, de développement nécessaires à ces professions.
Dans mon département, je connais bien le centre technique des industries mécaniques - CETIM - dont on a déjà eu l'occasion de parler dans cet hémicycle. Il me semble qu'avec un pacte renouvelé, avec un système de contribution volontaire, des organismes de ce genre trouveraient encore plus d'autonomie et bénéficieraient, si l'on veut bien s'en donner la peine, d'une visibilité encore meilleure qu'avec le système des taxes parafiscales.
Encore faut-il, madame le secrétaire d'Etat, que, par une approche réaliste, l'administration accompagne cette évolution juridique, qui est nécessaire à une meilleure clarté de nos finances publiques et qui, naturellement, ne doit pas nous conduire à mettre de côté des formules qui ont fait leurs preuves.
MM. Gérard Braun et Serge Vinçon. Très bien !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, l'intervention de notre collègue Marini, dont je partage les considérants ou les conclusions, comme on voudra, voire les deux, me conduit à faire quelques observations.
Il faut bien voir dans quelle situation nous sommes. En effet, nous avons tous été inondés de courriers émanant de toutes les professions, ou presque, qui bénéficient à l'heure actuelle du produit des taxes parafiscales.
Cette affaire est une invention de la IVe République, qui, comme vous le savez, avait un régime dans lequel la loi était omnipotente. Le Parlement ne pouvait jamais déléguer son droit de faire la loi au Gouvernement - article 13 de la Constitution de 1946. Cela ne l'a pas empêché d'accorder un très grand nombre de délégations, dont celle de régler par voie réglementaire les contributions sous forme de taxes parafiscales pour financer des actions communes à l'intérieur d'un certain nombre de professions.
Il se trouve, mes chers collègues, que, en 1958, la nouvelle Constitution a introduit de nouvelles règles et, en particulier, l'interdiction de déléguer autrement que par la voie des ordonnances ; surtout, il est écrit clairement dans son article 34, qui limite avec précision mais qui précise clairement le domaine de la loi, que la loi fixe les règles concernant les impositions de toute nature : l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement.
Mes chers collègues, on a dit depuis le début de ce débat que l'ordonnance de 1959, qui est une ordonnance organique prise dans le cadre de l'article 92 de la Constitution relatif à la période transitoire, n'avait jamais été soumise au Conseil constitutionnel, et pour cause, puisque, à l'époque, il n'était pas encore installé.
Il est certain, mes chers collègues, et nous ne pouvons pas avoir de doutes à cet égard, que si le Conseil constitutionnel avait été saisi de l'ordonnance de 1959, il aurait déclaré son article 4 non conforme en ce sens qu'il prévoyait que certaines impositions pouvaient continuer d'être établies par décret, en ce qui concerne tant leur création, leur assiette, leur taux que leurs modalités de recouvrement, le Parlement n'intervenant qu'une fois par an dans la loi de finances pour autoriser la poursuite de la perception au-delà du 31 décembre. Cela est parfaitement inconstitutionnel.
M. Lambert a raison de le souligner : si nous devions supprimer l'article 52 c'en serait terminé, maintenant ou le plus vite possible, et, s'il était amendé dans le sens proposé par M. Vinçon le Conseil constitutionnel ferait certainement « sauter » la disposition et, dans ce cas-là, du jour au lendemain, il n'y aurait plus de taxes parafiscales.
Je suis donc très reconnaissant à la commission des finances, mes amis également, d'avoir su ménager un processus qui maintienne une irrégularité constitutionnelle, mais pour des raisons pratiques, le temps nécessaire de trouver la solution de remplacement.
Je suis également reconnaissant à M. le rapporteur de la commission des finances de prolonger le système d'un an parce qu'il faudra bien deux ans pour en sortir.
Je suis persuadé, mes chers collègues - je le dis aussi à l'intention de l'Assemblée nationale, où nos collègues ont du être sollicités autant que nous - que, si nous allions au-delà de deux ans, le Conseil constitutionnel risquerait de ne pas l'accepter, puisque ce serait prolonger trop longuement un système qui est contraire à l'article 34, et ce de façon criante et évidente.
Nous disposons donc de deux ans pour trouver la solution.
Après tout, mes chers collègues, certaines professions se financent en vertu des règles propres à l'organisation des professions par des contributions qui n'ont pas de caractère fiscal.
Prenons l'exemple des ordres professionnels, notamment de médecins ou de pharmaciens : ils perçoivent une cotisation obligatoire, qui n'a pas de caractère fiscal.
Le problème peut donc être réglé assez facilement. Il faut simplement sortir de la situation actuelle. C'est la raison pour laquelle je suis très heureux que M. Vinçon ait renoncé à son amendement.
L'amendement n° 165 rectifié doit nous permettre, aux uns et aux autres, de trouver la solution de remplacement la plus élégante, celle qui répond aux souhaits des professions. Cela ne signifie pas qu'on soit à leur remorque ni à leurs ordres, mais, dans la mesure où elles souhaitent maintenir le système actuel et disposer de sommes qui leur permettent d'agir d'une façon utile dans le domaine qui est le leur, laissons leur cette opportunité. Au fond, qu'elles perçoivent leurs fonds grâce à une cotisation ou à un impôt, la chose est indifférente. L'essentiel est qu'elles gardent les moyens nécessaires pour poursuivre des actions qui, la plupart du temps, sont très intéressantes.
MM. Gérard Braun et Philippe Marini. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 165 rectifié, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 52, ainsi modifié.

(L'article 52 est adopté.)

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