SEANCE DU 20 JUIN 2001
ORIENTATION BUDGÉTAIRE
Débat sur une déclaration du Gouvernement (suite)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite du débat d'orientation budgétaire.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, «
maintenir le cap », tel est l'objectif que le Gouvernement se fixe dans le
rapport déposé à l'occasion de ce débat. Je sens dans cette formule une
inquiétude certaine, celle du navigateur encore vent arrière qui voit venir la
bourrasque avant son entrée au port électoral de 2002.
Inquiétude face à la dégradation de la conjoncture américaine, en passe de
traverser l'Atlantique.
Inquiétude face à la persistance d'un déficit de l'ordre de 200 milliards de
francs, qui limite singulièrement toute possibilité de manoeuvre en cas de
retournement conjoncturel.
Inquiétude aussi quant au discours à tenir, après avoir prétendu quatre années
durant que la croissance était principalement l'oeuvre du Gouvernement et le
résultat de « l'excellence » de sa politique volontariste.
Quoi qu'en dise officiellement le Gouvernement, l'économie française est en
position vulnérable face à un risque de retournement de la conjoncture
internationale. Tel sera le premier point de mon propos.
Avec l'atterrissage périlleux de l'économie américaine, ce n'est pas une «
bulle » financière qui éclate, comme en 1999 ; il s'agit bien, malheureusement,
d'un retournement classique de conjoncture qui se produit outre-Atlantique, à
la suite d'un surinvestissement et qui risque fort de se propager dans le
monde. Le Gouvernement fait le pari d'un maintien du rythme de la consommation
; il s'accélérerait même en 2001, pour atteindre 3,5 %, contre 2,2 % en 1999 et
2,7 % l'an passé.
Il s'agit là du maillon le plus faible du raisonnement de nos gouvernants. On
peut craindre, en effet, que le freinage de la croissance de l'emploi qui se
profile ne réduise le dynamisme du pouvoir d'achat et de la consommation. A cet
égard, une récente enquête de l'INSEE, parue le 1er juin dernier, me paraît
particulièrement significative. Elle montre que le moral des ménages français,
au zénith à la fin de l'année 2000, est en train de chuter de façon fort
inquiétante.
Que ce soit sur leur situation financière, sur leur niveau de vie ou sur
l'opportunité d'acheter, les Français sont de plus en plus pessimistes. Cette «
déprime » est sans doute accentuée par la prise de conscience, par nos
compatriotes, de fragilités économiques nouvelles : je pense aux plans de
licenciements annoncés au premier trimestre. C'est un signe que l'euphorie
toute relative que notre pays a connue ces dernières années est à présent
derrière nous, et que le réveil des Français risque d'être très dur à la veille
de certaines échéances électorales !
Ce que montrent notamment les études d'opinion, c'est que la crainte
récurrente du chômage reprend le dessus, une crainte que ne sera pas parvenu à
dissiper un gouvernement qui, pourtant, se targue d'avoir durablement réduit le
chômage. Il suffit d'étudier de façon précise les statistiques de l'emploi pour
s'apercevoir que la baisse du nombre des demandeurs d'emploi depuis 1997 est
beaucoup plus modeste que ne l'indiquent les chiffres retenus par le ministère
du travail.
S'en tenir, comme le fait le Gouvernement, aux seuls chômeurs dits « de
catégorie 1 » revient à exclure plus d'un million de Français de la perspective
d'un retour à l'emploi, parce qu'ils ne recherchent pas un emploi à durée
indéterminée à temps plein ou parce qu'ils sont en activité réduite. Si l'on
ajoute les personnes les plus démunies, que ce soient les RMIstes non inscrits
à l'ANPE ou les « sans domicile fixe », ce sont plus de quatre millions de
Français qui seraient actuellement exclus du marché du travail !
Face à toutes ces incertitudes, il faut malheureusement constater que après
les efforts méritoires accomplis par le précédent gouvernement entre 1995 et
1997 en faveur de la qualification de notre pays pour l'euro, nous nous
trouvons en présence de finances publiques fragilisées, et ce à quelques mois
de la mise en circulation de ce même euro.
Ce sera le deuxième point de mon intervention.
Dans un contexte incertain, le débat d'orientation budgétaire se déroule
suivant un rite dépourvu de toute surprise, le rapport d'information est,
certes, devenu beaucoup moins prolixe et un peu moins triomphant, mais la
doctrine est réaffirmée sur un mode devenu quelque peu incantatoire : la baisse
volontariste des impôts sera poursuivie, car elle est nécessaire au soutien de
la croissance ; les dépenses seront maîtrisées dans le cadre d'un budget
dynamique favorisant certains secteurs prioritaires, et le déficit du secteur
public sera réduit, conformément à la discipline imposée par la coordination
budgétaire européenne.
Tout cela est bien dit, mais tout l'art est dans l'exécution, et le
Gouvernement ne nous dit nullement ce que pourraient être, dans un contexte de
croissance incertaine, ses préférences dans la pondération qu'il accordera à
ces trois objectifs, évidemment interdépendants.
S'agissant de la maîtrise de la dépense, les résultats du Gouvernement
augurent mal du futur. Faute de véritables réformes de structures, le solde
structurel du budget de l'Etat reste encore beaucoup trop déficitaire.
Conscient de son incapacité à respecter ses objectifs, le Gouvernement n'a-t-il
d'ailleurs pas revu à la hausse les perspectives d'évolution des dépenses de
2002 à 2004 ?
S'agissant des prélèvements obligatoires, avec un taux de 45,5 % du produit
intérieur brut, la France est l'un des pays les plus imposés d'Europe.
Rappelons que cette situation s'est particulièrement accentuée depuis 1997, le
taux de prélèvement passant de 44,9 % du produit intérieur brut en 1997 à 45,7
% en 1999. Comme le note très justement dans son rapport notre collègue
Philippe Marini, de mai 1997 à juillet 2000, le Gouvernement a réduit le
déficit non pas grâce à une maîtrise des dépenses publiques, mais par un
relèvement des impôts pesant sur les Français. C'est l'impôt sur les sociétés
qui a connu, depuis 1997, la plus forte augmentation, croissant de 72 %. En
outre, les recettes fiscales et non fiscales de l'Etat affectées à la sécurité
sociale ont plus que doublé pendant la même période.
C'est d'ailleurs ce que reconnaît, entre les lignes, le rapport préparatoire
du Gouvernement pour ce débat d'orientation budgétaire : la France se trouve
aujourd'hui particulièrement exposée aux effets de la concurrence fiscale. Les
récents plans de licenciements en sont, malheureusement, l'un des symptômes. Et
le tout récent et excellent rapport de la mission du Sénat présidée par mon
collègue et ami Denis Badré sur la mondialisation nous apporte, à cet égard,
des éléments d'analyse très instructifs.
J'en viens à la dernière partie de mon intervention : comment peut-on
favoriser la création d'emplois durables, en particulier dans le secteur dit de
la « nouvelle économie » ? Je centrerai mon propos sur une « nouvelle économie
» qui suscite ces derniers mois un certain scepticisme et qui est pourtant plus
que jamais indispensable à la vitalité de notre économie et au retour vers le
plein emploi.
La fiscalité, à cet égard, peut constituer un levier très efficace, la
fiscalité des sociétés, mais aussi celle des ménages, afin d'orienter l'épargne
vers la création d'entreprises et la prise de risques.
Parmi les mesures envisageables, certaines figurent dans la proposition de loi
que j'ai cosignée avec mon collègue Jean-Pierre Raffarin en faveur de la
création et du développement des entreprises sur les territoires.
Au sein du dispositif adopté par le Sénat le 10 février 2000, je citerai
trois mesures majeures : la création de fonds communs de placement de
proximité, FCPP, dont la détention de parts par les particuliers serait
assortie d'avantages fiscaux, sur le modèle des fonds communs de placement dans
l'innovation ; l'institution d'une aide aux créateurs d'entreprises, d'un
montant de l'ordre de 60 000 francs, remboursable en cinq ans ; enfin, le
développement d'incitations fiscales encourageant des particuliers ou
business angels
à consolider les fonds propres des créateurs et à offrir
un accompagnement fondé sur l'expérience et la proximité.
S'agissant d'entreprises à forte valeur ajoutée du secteur de la nouvelle
économie, sans doute faut-il songer également à réformer l'impôt de solidarité
sur la fortune, l'ISF.
Les règles de cet impôt paraissent inadaptées à la situation des associés
dirigeants de start-up, dont les parts sont actuellement imposées si elles
représentent moins de 25 % du capital.
Une modernisation s'impose également quant aux modalités de taxation des
stock-options. Celles-ci doivent être conçues comme une nouvelle façon de voir
le partage de la valeur ajoutée. Elles ont vocation à être diffusées le plus
largement possible afin de toucher tous les salariés qui exercent une influence
sur les performances de l'entreprise.
L'amélioration du régime fiscal des stock-options prévue par la loi sur les
nouvelles régulations économiques constitue une avancée réelle, mais encore
insuffisante, vers une simplification et un allègement de la fiscalité prônée
depuis plusieurs années par la majorité sénatoriale, en particulier par mon
groupe parlementaire, l'Union centriste.
La fiscalité des revenus doit être aujourd'hui repensée en fonction du
nécessaire développement d'entreprises dont la philosophie est de promouvoir un
nouveau partage de la valeur ajoutée, à travers, notamment, les stock-options.
Si les taxations des revenus et des plus-values ne sont pas liées et pensées en
fonction du développement de projets entreprenariaux fondés sur le risque, ces
entreprises risquent de ne pas pouvoir fidéliser leurs salariés en France et,
par voie de conséquence, de transférer leurs centres de décision à
l'étranger.
Telles sont, brièvement exposées, des propositions qui favoriseraient des
créations d'emplois durables dans des secteurs de pointe. Nous aurons sans
doute l'occasion de revenir sur ces différents thèmes lors du prochain débat
budgétaire.
Madame le secrétaire d'Etat, le groupe de l'Union centriste ne pourra pas
cautionner globalement les orientations que vous nous présentez. Cela étant,
nous vous remercions par avance des réponses que vous apporterez à nos
interrogations et des commentaires que vous ferez sur nos suggestions.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ainsi
donc le Sénat poursuit la pratique du débat d'orientation budgétaire. Je note
les perspectives d'institutionnalisation de cette « bonne habitude » que
contient la proposition de loi organique relative aux lois de finances dont la
discussion est en cours entre les deux assemblées.
Ce prélude à la préparation du budget pour 2002 nous permet de rappeler que la
situation des finances publiques en général et celle des finances des
collectivités locales en particulier se sont notablement améliorées depuis
1997.
Nos orientations générales sur le budget pour 2002 ont été largement
développées, et de façon fort brillante, par mon ami Bernard Angels. Je veux
insister, quant à moi, sur la situation des collectivités locales, qui sont le
principal investisseur public et qui, comme d'autres secteurs de la vie
nationale, ont tout lieu d'être satisfaites de la politique qui a été menée
depuis quatre ans.
En 2000, les finances des collectivités locales ont continué à se redresser.
Nous avons bien noté qu'elles sont « au large » ou, plutôt, moins à l'étroit
qu'auparavant. Cette situation, jointe à une rigueur de gestion assez bien
partagée, a permis le désendettement et l'allégement de la pression fiscale.
Les dépenses des collectivités ont progressé, en raison, notamment, de
l'accroissement de la masse salariale et des investissements, qui, après avoir
progressé en 1999 et en 2000, devraient se maintenir à un rythme soutenu en
2001 et 2002.
En 2000, les dépenses d'investissement - 220 milliards de francs - ont
progressé de 10,5 % par rapport à 1999. Ce phénomène est lié à la montée en
puissance des structures intercommunales à fiscalité propre. En effet, ces
groupements représentent aujourd'hui 12 % des dépenses des collectivités
locales, soit une hausse de 57 % par rapport à 1999. Cette progression de leurs
dépenses d'équipement est deux fois supérieure à celle des dépenses des
communes, qui sont pourtant déjà élevées.
Certains se sont plaints de la prise en charge par l'Etat d'une trop grande
part des ressources fiscales locales. Quelles polémiques sur la vignette
automobile de la part de départements « compensés », certes, mais hurlant à
l'atteinte à la liberté fiscale ! Que n'avaient-ils augmenté davantage leur
produit fiscal : ils auraient été « compensés » à due concurrence ! Et ils
oubliaient de dire qu'ils sont désormais assurés d'une recette certaine !
Les recettes des collectivités locales font donc une large part aux concours
de l'Etat. Ces concours, qui représentent au moins 40 % de leurs ressources et
qui sont composés à plus de 60 % par des prélèvements sur recettes - le reste
étant constitué de dotations budgétaires - ont progressé nettement, du fait de
l'indexation du contrat de solidarité et de croissance, des abondements
exceptionnels, ainsi que des compensations par l'Etat des allégements de
fiscalité locale effectués par le Gouvernement depuis 1997.
Depuis cette date, les concours de l'Etat aux collectivités locales ont
progressé de 7 % par an en volume. Si, plus précisément, on ne tient compte que
de l'effet du contrat de solidarité et de croissance, ainsi que de celui des
abondements exceptionnels, ces concours ont augmenté de 1,3 % par an en volume,
alors même que les dépenses de l'Etat progressaient, toujours à structure
constante, de 0,4 % seulement par an en moyenne. Les concours de l'Etat aux
collectivités locales ont donc progressé trois fois plus vite que le budget de
l'Etat. La situation ne serait évidemment pas la même si les « bases Juppé » du
pacte de stabilité avaient été maintenues !
Il est certain que cette progression joue un rôle déterminant dans la
situation financière actuelle des collectivités locales.
Le mandat des élus issus des toutes récentes élections municipales et
cantonales débute sur des bases solides, puisque les dépenses de l'Etat en
faveur des collectivités locales ont augmenté de plus de 15 % par rapport aux
crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000. Elles progressent
de plus de 44 milliards de francs, passant de 293 milliards à 337 milliards de
francs, soit une augmentation de 6,4 milliards de francs pour les dotations, de
31,6 milliards de francs pour les compensations et de 6 milliards de francs en
faveur des dégrèvements.
Il n'en reste pas moins que le mode de financement des collectivités locales
devrait faire l'objet d'une meilleure répartition, tout le monde en convient,
et qu'il doit continuer à tenir compte du développement rapide de
l'intercommunalité.
Il faut en effet reconnaître que le développement des communautés
d'agglomération se traduit par des transferts financiers au détriment des
communautés de communes, qui ont enregistré, notamment en milieu rural, une
moindre progression de leur dotation globale de fonctionnement. Du fait de
l'appel des compensations négatives, chacun sait que la TPU a peu d'attrait
pour les petites communes rurales, même au sein des communautés de communes à
fiscalité additionnelle.
Enfin, les grands concours de l'Etat pourraient faire l'objet d'une plus
grande péréquation, à l'instar de la dotation de fonctionnement minimale des
conseils généraux, car la solidarité n'est pas à la charge de l'Etat seul. Les
collectivités doivent elles aussi la mettre en pratique. Tel est le rôle des
communautés de communes.
C'est dire que les élus locaux attendent de connaître les projets du
Gouvernement en matière de réforme des finances locales, projets qui doivent
être présentés au Parlement à la fin de cette année. En attendant, nous nous
félicitons de la reconduction du contrat de solidarité et de croissance
annoncée pour 2002.
Nous croyons à la réforme de l'Etat. Ce n'est pas, de notre part, un acte de
foi. Nous considérons qu'il s'agit d'une nécessité. Mais nous croyons aussi
qu'elle doit s'accomplir dans la concertation.
Le but du Gouvernement étant de faire en sorte que la croissance soit au
service de l'emploi et de la cohésion sociale, les services assurés par les
collectivités locales ne doivent pas cesser d'être confortés dans cette
optique.
A cette fin, nous souhaitons poursuivre notre action dans les trois axes
suivants : instauration d'un nouveau contrat entre l'Etat et les collectivités
locales sur les bases du contrat de croissance et de solidarité ; meilleure
répartition des ressources locales au sein d'une intercommunalité améliorée ;
modernisation des finances locales par une refonte d'ensemble du système, dans
la ligne du rapport Mauroy, avec une fiscalité locale plus juste, en
simplifiant les dotations et en permettant une péréquation améliorée et plus
volontariste, et ce dans l'esprit d'efficacité et de solidarité que M. Laurent
Fabius a évoqué hier devant le Sénat.
Vous nous trouverez, madame, à vos côtés, car vous répondez ainsi aux attentes
de nos concitoyens et à celles des collectivités locales.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Bernard.
M. Jean Bernard.
Monsieur le président, madame « le » secrétaire d'Etat - je ne cède pas à la
mode actuelle, ce qui n'enlève rien à la considération et au respect que je
vous porte, madame -, mes chers collègues, l'année 2002 est importante, sinon
essentielle, pour la défense nationale puisqu'elle correspond à la fin de la
loi de programmation militaire pour 1997-2002.
La conjoncture internationale fait naître quelques inquiétudes quant à la
pérennité de notre croissance.
Nous sommes d'ores et déjà touchés par le ralentissement de l'économie
américaine. Nous n'ignorons pas qu'il affecte déjà l'Allemagne, notre
partenaire, dont le marché contribue pour un tiers à la croissance française.
Nous pouvons dès lors être inquiets quant à notre taux de croissance en
2002.
Si nous comprenons fort bien que les priorités du Gouvernement soient
l'éducation, la sécurité, la justice et l'environnement, nous insistons sur la
nécessité que le projet de budget de la défense nationale pour 2002 ne soit pas
pénalisé, et nous demandons qu'il soit suffisamment important pour que la
réussite de la réforme engagée en 1996 par le Président de la République ne
soit pas compromise. Il en va de la crédibilité de notre défense autant que du
moral des personnels qui la composent.
Non, madame le secrétaire d'Etat, les dépenses militaires ne sont pas du
gaspillage. Elles sont un investissement à court terme pour notre industrie,
elles sont un moyen pour les militaires d'exercer leur métier et elles sont un
investissement à long terme pour notre sécurité, la défense de nos intérêts
vitaux et la participation de notre pays à la défense de l'Union européenne.
Force est de constater, depuis trois ans, que les armées n'ont jamais profité
des fruits de la croissance. Leur budget n'a pratiquement pas augmenté, loin
s'en faut, et celui de leur équipement a baissé.
La loi de programmation initiale prévoyait que les crédits des titres V et VI
devaient s'élever à 90,3 milliards de francs. Quant à l'annuité fixée à l'issue
de la modification du programme de 1998, elle était de 86,1 milliards de
francs. Or, nous avons pu constater que l'engagement du Gouvernement n'avait
été tenu qu'en 1999. En 2000, les crédits d'équipement n'étaient que de 82,9
milliards de francs, accusant une baisse de 4 % par rapport à l'année
précédente et, en 2001, ils ne s'élevaient qu'à 83,4 milliards de francs.
Depuis 1996, les personnels de notre défense ont parcouru un chemin
gigantesque pour se restructurer, se professionnaliser et, ainsi, mener à bien
la réforme engagée.
Cette réforme structurelle importante a exigé une évolution des mentalités en
même temps qu'une grande capacité d'adaptation. Les efforts fournis ont été de
taille et il ne faudrait pas, madame le secrétaire d'Etat, que les hommes et
les femmes qui composent les éléments de notre défense aient le sentiment
aujourd'hui que la communauté nationale ne les reconnaît pas.
Ils se sont adaptés sans bruit et sans état d'âme, démontrant ainsi que leur
motivation fondamentale restait le service rendu à la nation. Encore faut-il
que cette dernière leur donne les moyens d'exercer leur profession et de
remplir leurs missions.
Or ils constatent aujourd'hui qu'ils restent pour ainsi dire les parents
pauvres des choix budgétaires puisque, systématiquement, les arbitrages
financiers du Gouvernement leur sont défavorables, le budget de la défense ne
représentant plus que 1,96 % environ du produit intérieur brut de la nation.
Les crédits du titre III doivent donc augmenter en 2002, d'une part, pour
améliorer les conditions de vie et de travail des militaires, en particulier
dans l'armée de terre, et, d'autre part, pour leur permettre d'exercer leur
activité et de poursuivre un entraînement nécessaire.
Nous estimons également qu'une plus grande attention doit être portée aux
conditions de vie et au pouvoir d'achat des personnels, à l'heure où se
développe, dans la communauté militaire, le sentiment que les efforts
considérables de restructuration n'ont pas été récompensés par des avantages
comparables à ceux qui ont été accordés à la société civile.
Une revalorisation de la condition militaire est indispensable car celle-ci
n'est pas à la hauteur de l'engagement fourni.
Si le titre III a, jusqu'à ce jour, garanti la réussite de la
professionnalisation, il n'a, en revanche, pas pris en compte l'effet des 35
heures.
Cette idée gagne les esprits, tant la vie familiale actuelle, sortie des
casernes, est immergée dans la société civile. La rémunération, les conditions
de logement et de garde des jeunes enfants ne compensent en rien les sujétions
qui sont imposées aux militaires. De surcroît, le célibat géographique, qui
découle essentiellement de l'absence d'emploi pour les conjointes, ajoute au
malaise existant dans l'armée de terre, comme dans la gendarmerie
d'ailleurs.
En outre, à l'heure où les contraintes liées aux opérations extérieures n'ont
jamais été aussi fortes, j'attire votre attention, madame le secrétaire d'Etat,
sur l'impact qu'ont eu certaines mesures, telles que la non-prise en charge
d'un accident survenu hors service ou, pire, l'interruption de solde locale
lorsque le militaire est en permission. Ces dispositions nous semblent tout à
fait vexatoires et injustes.
Les militaires ont exprimé à plusieurs reprises leur inquiétude de voir la
professionnalisation banaliser leur métier et, dans une certaine mesure,
restreindre leur couverture sociale et leur protection juridique.
Il ne faudrait pas que les personnels des armées, qui côtoient en permanence
des civils, qui sont immergés dans la société civile, aient l'impression qu'on
leur supprime des avantages sociaux, qu'ils n'ont pas droit, sous prétexte
qu'ils sont discrets et pudiques, à vivre et à travailler dans des conditions
décentes.
Nous craignons, si ces sentiments perdurent, qu'ils ne contribuent à l'échec
de la réforme de nos armées.
Puisque nous estimons que les militaires, en tant que salariés, doivent avoir
exactement les mêmes droits que les agents publics, nous demandons que l'effort
financier soit accru, de façon à attirer, conserver et renouveler les
personnels, pour que les effectifs soient suffisants tant en quantité qu'en
qualité.
S'agissant plus particulièrment des militaires de l'armée de terre, le budget
2002 devrait intégrer les exigences imposées par le nouveau système. Outre
l'allégement des charges de travail, il est nécessaire de faciliter la vie
quotidienne des unités et de leur personnel, et de leur offrir un cadre de vie
décent. Faute de cette adaptation, il sera complètement illusoire d'espérer
recruter et conserver une ressource de qualité. C'est à ce prix, madame le
secrétaire d'Etat, que le modèle d'armée professionnelle sera atteint et
consolidé en 2002. Nous craignons déjà la fuite de nos meilleurs éléments vers
le secteur civil en même temps que la rupture de la dynamique de l'engagement,
et ce d'autant plus que l'attractivité des postes est moindre que celle des
emplois civils.
Avant de passer aux crédits d'équipement, il nous paraît important d'insister
sur le point suivant : s'il est vrai que, depuis plusieurs années, les dépenses
de fonctionnement ont progressé, il n'en demeure pas moins que cette
progression est uniquement liée à celle des rémunérations et des charges
sociales, tandis que les autres dépenses de fonctionnement ont fortement
diminué, essentiellement au détriment de l'entretien programmé des matériels.
Ces crédits n'étaient que de 1,1 milliard de francs en 2001.
Afin que le modèle d'armées 2015 prévu par la programmation soit réalisé, il
est nécessaire que les crédits d'équipement du titre V se situent au-dessus de
la barre des 85,9 milliards de francs fixés en 1998. En conséquence, nous
estimons qu'ils doivent atteindre, au minimum, 87 milliards de francs en 2002,
notre souhait étant qu'ils s'élèvent à terme à 90 milliards de francs par
annuité.
Pour 2002, les autorisations d'engagement doivent augmenter. Il est en effet
nécessaire que la dotation permette de couvrir la totalité des commandes
globales dès leur passation, ce principe devant en particulier être appliqué
aux programmes menés en coopération. Leur niveau doit également être majoré
pour permettre, comme nous l'avons déjà signalé à maintes reprises, une
croissance nette au bénéfice de deux domaines, généralement sacrifiés en cas de
contraintes budgétaires, l'infrastructure et l'entretien programmé des
matériels.
Les commandes globales étant le gage d'économies et de baisses de prix
significatives, il convient non seulement d'avoir une dotation en autorisations
d'engagement suffisante, mais également de mettre fin aux aléas budgétaires qui
remettent chaque année en cause les programmes. Sur ce dernier point, nous
déplorons que, par l'arrêté du 21 mai dernier, 300 millions de francs aient été
ponctionnés sur le budget de la défense, dont 285 millions de francs sur le
tite V. Nous ne le dirons jamais assez : l'expérience a bien montré que, pour
les programmes majeurs, tout étalement se traduit mécaniquement et
inéluctablement par des dépenses supplémentaires, tandis que le saupoudrage des
commandes se traduit par des coûts de revient unitaires élevés.
Quant aux crédits de paiement, ils doivent permettre, en 2002, de rattraper
les retards enregistrés en début d'exécution de la loi de programmation, en
particulier ces trois dernières années.
Sans une hausse significative des crédits du titre V, madame le secrétaire
d'Etat, le maintien de la capacité opérationnelle de nos matériels ne sera pas
assuré.
En ce qui concerne la marine, nous avons noté, depuis plusieurs années, une
décroissance continue des moyens d'investissement, laquelle a influé
directement sur les programmes de cohérence opérationnelle et les soutiens. De
ce fait, la situation de notre flotte est devenue préoccupante.
En conséquence, le budget pour 2002 devra confirmer le renouvellement des
composantes majeures de projection et de dissuasion, qu'il s'agisse des
frégates Horizon, du quatrième sous-matin nucléaire lance-engins de nouvelle
génération ou du lancement du projet de frégates multifonctions.
En ce qui concerne l'armée de l'air, le budget pour 2002 devra tenir compte
des tendances constatées chez nos partenaires européens. Nous le savons, la
part des forces aériennes dans les budgets de la défense diffère entre la
Grande-Bretagne et la France ; elle représente respectivement 30 % contre 21 %
du budget global. La
Royal Air Force
risque de supplanter à court terme
notre aviation de combat. Par ailleurs, le budget pour 2002 doit pouvoir
assurer le passage d'une loi de définition à une loi de fabrication et prendre
enfin en compte le coût des programmes Rafale et A 400 M.
En ce qui concerne l'armée de terre, il ne faut pas négliger le coût que
représentent les entrées en phase de fabrication de l'hélicoptère Tigre et le
poids financier du programme Leclerc. Si l'on ajoute l'indispensable prise en
compte de la protection du combattant, les crédits du titre V doivent excéder
les 16,9 milliards de francs alloués en 2001.
Indispensables au soutien des forces, les infrastructures et l'entretien
programmé des matériels devront connaître une augmentation importante de leurs
moyens.
S'agissant de l'entretien programmé des matériels, nous avions noté l'année
dernière que les armées ne pourraient y faire face en 2001 dans la mesure où
les crédits étaient tout à fait insuffisants, en baisse de 4 % par rapport au
budget précédent. Ils s'élevaient en 2001 à 14 885 millions de francs
seulement.
Les chiffres sont là, madame le secrétaire d'Etat, pour illustrer nos propos.
La disponibilité technique opérationnelle des matériels majeurs de l'armée de
terre n'est que de 21 % pour les chars AMX 10, de 34 % pour les chars Leclerc
et de 66 % pour l'hélicoptère Puma. Quant à la marine, il est regrettable de
constater qu'environ 20 % de ses bâtiments restent à quai et que 60 avions de
l'armée de l'air sont dans l'impossibilité d'effectuer les entraînements
nécessaires.
Par ailleurs, l'armée de terre souffre de grands retards dans la réalisation
des infrastructures. Le plan Vivien de modernisation des logements pour les
engagés est loin d'être achevé, si bien que ces derniers ont le sentiment que
les armées n'ont pas tenu les promesses qui leur avaient été faites. Un effort
devra donc être consacré à cette activité pour éviter d'accentuer le malaise
existant.
Pour en terminer avec le titre V, sachant que l'inscription de dépenses indues
diminue d'autant la réalité des crédits effectivement consacrés à l'équipement
militaire, nous nous permettons d'émettre deux souhaits pour 2002.
Nous aimerions vivement, en effet, que les crédits du titre V ne soient pas
utilisés pour financer le surcoût important des opérations extérieures, comme
c'est le cas depuis trois ans, et ce à concurrence d'une somme non négligeable
de 2,5 milliards de francs par an.
Nous souhaitons également que le budget civil de recherche et de développement
ne bénéficie plus d'un prélèvement sur le titre VI. Nous n'ignorons pas que, de
façon paradoxale et strictement contraire à la loi de programmation, les
crédits du BCRD représentent une ponction de 4,15 milliards de francs pour le
budget de la défense depuis 1997. Cela n'était pas prévu et ce n'est pas
acceptable. En 2001, l'activité « recherche et technologies » disposait d'un
budget de 4,4 milliards de francs sur les 5,6 milliards de francs prévus et
théoriquement alloués. Nous estimons que la recherche doit pouvoir disposer en
2002 de davantage de moyens financiers si nous voulons garder une avancée que
nous assuraient notre recherche et nos techniciens.
Enfin, lors du sommet de Nice, l'identification des forces nationales,
susceptibles d'être mobilisées dès 2003 dans le cadre de la force européenne de
réaction rapide, a été approuvée. Il faut donc d'ores et déjà prendre en compte
les conséquences financières de l'engagement français. Pour avoir une force
européenne efficace, il faut en outre que la France dispose de systèmes de
commandement, de conduite, de communication et de renseignement adaptés.
Madame le secrétaire d'Etat, nous vous rappelons que le succès de la mise en
oeuvre de la force européenne dépend en grande partie de la convergence des
choix budgétaires des pays membres. Or, comme nous l'avons constaté, les
divergences se font d'année en année plus criantes entre le Royaume-Uni et la
France, je termine ce propos par une interrogation. Pourrons-nous, dans ces
conditions, garder notre rôle prépondérant en Europe ?
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
m'exprime aujourd'hui dans ce débat d'orientation budgétaire en qualité de
rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale.
L'année dernière, intervenant au même titre, je regrettais l'absence du
ministre chargé de la sécurité sociale lors d'un débat d'orientation
budgétaire. Considérant que les comptes - si nous réformions l'ordonnance de
1959 - devraient être agrégés, nous estimons que les deux ministres devraient
être au banc.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout à fait !
M. Charles Descours.
Je n'exprimerai pas aujourd'hui le même regret, non que la compagnie de Mme
Guigou ne nous soit pas agréable,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Au contraire !
M. Charles Descours.
... mais parce que l'actualité de ces dernières semaines a montré que c'était
vous, madame le secrétaire d'Etat, qui, avec M. Fabius, étiez les véritables
patrons de la sécurité sociale et des comptes sociaux.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est rassurant !
M. Charles Descours.
Ça... nous allons voir, monsieur le rapporteur général !
Dans son rapport sur l'exécution des lois de finances de 2000, la Cour des
comptes, constatant que vos marges de manoeuvre budgétaire se réduisaient,
s'interroge sur les tentations qui, je la cite, « pour être assez
traditionnelles, doivent être évitées ». La Cour des comptes relève ainsi « que
l'Etat peut vouloir bénéficier implicitement du potentiel de hausse de la
capacité de financement de la sécurité sociale, assise sur des recettes
sociales considérées comme plus indolores et en hausse sensible, en
débudgétisant des prestations sans dégager sur son budget des moyens
correspondants. »
Quand on connaît la prudence avec laquelle la Cour des comptes s'exprime, tout
cela explique la suite.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Charles Descours.
Or, confronté à l'impossibilité, voire à la non-volonté, de dégager, sur le
budget de l'Etat, les moyens nécessaires au financement de la politique du
Gouvernement, et, plus particulièrement, des 35 heures, à l'évidence le
Gouvernement n'a pas résisté à la tentation ! Les excédents des organismes
sociaux fournissent désormais à l'Etat les « recettes de poche » - il me semble
tout de même qu'il faut avoir une grande poche ! - qui lui sont nécessaires
pour boucler ses fins de mois. Dès lors, on peut s'interroger à juste titre sur
la réalité même des comptes budgétaires que vous nous présentez aujourd'hui.
Certes, je vous reconnais, madame le secrétaire d'Etat, ainsi qu'à votre
ministère, le mérite de la persévérance.
En 1999, je le rappelle, lorsque s'était posée la question du financement des
35 heures, le projet initial du Gouvernement, sans doute largement inspiré par
Bercy, était d'y faire participer la sécurité sociale et l'assurance
chômage.
En effet, selon la loi de 1994, que nul n'ignore dans cette enceinte, et donc
en l'absence de modifications du cadre légal, la compensation des exonérations
de cotisations accordées dans le cadre des 35 heures aurait dû faire l'objet
d'une dotation budgétaire, inscrite sur les crédits du ministère de l'emploi.
Cette compensation se serait traduite par une augmentation importante des
dépenses publiques. Le coût supplémentaire représenté par les 35 heures, en sus
de la ristourne bas salaires, dite ristourne Juppé, était ainsi estimé, à
l'époque, à quelque 65 milliards de francs.
Mais, bien entendu, comme cela était prévisible, le ministère des finances -
où vous n'étiez pas encore en qualité de secrétaire d'Etat, madame - a usé de
toute son influence, à l'époque, pour éviter l'inscription de ces dépenses
supplémentaires au budget de l'Etat. A l'occasion de mon récent contrôle, sur
pièces et sur place, des comptes du Fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, j'ai pris connaissance
d'une note de la direction du budget en date du 15 février 1999.
Cette note précise que « le dispositif permanent d'aide à la réduction du
temps de travail ne doit pas représenter un surcoût net pour les finances
publiques ». Je comprends très bien cette volonté. Invoquant alors la théorie
selon laquelle les créations d'emplois résultant des 35 heures génèrent des
recettes supplémentaires de cotisations pour la sécurité sociale, le
Gouvernement avait donc présenté un premier projet de FOREC qui mettait
directement à contribution la sécurité sociale et l'UNEDIC. La commission des
comptes de la sécurité sociale avait d'ailleurs, par anticipation, «
provisionné » 5,5 milliards de francs au titre de la contribution du régime
général pour l'année 2000. Toutefois, face à l'opposition unanime des
partenaires sociaux, le Gouvernement avait dû finalement renoncer à ce projet
de financement.
Le FOREC « première manière » était enterré, si je puis dire, mais le problème
demeurait entier. Pour que les charges supplémentaires résultant des
exonérations de cotisations ne viennent pas s'imputer au budget de l'Etat, il
fallait trouver une autre solution pour maintenir le volontarisme budgétaire,
comme M. Fabius l'a dit hier.
Est alors apparu le FOREC « deuxième manière », créé par la loi de financement
de la sécurité sociale pour 2000, sous la forme d'un établissement public.
Désormais, la sécurité sociale allait bien participer au financement des 35
heures, mais de manière indirecte et opaque, et par l'intermédiaire d'un
système de « tuyauteries » compliqué - je croyais avoir inventé le terme, mais
je l'ai lu dans une note que la direction de la sécurité sociale adressait à
son ministre.
Le régime général n'a pas récupéré les 5,5 milliards de francs déjà
provisionnés par la commission des comptes. En effet, le Gouvernement a réduit
les recettes du régime général à due concurrence afin de les affecter en
ressources au FOREC nouvellement constitué, si l'on peut dire, parce que nous
verrons par la suite qu'il ne l'est toujours pas.
En revanche, l'analyse du dernier rapport de la commission des comptes de la
sécurité sociale permet d'établir que la création du FOREC s'est traduite, en
2000, par une économie de l'ordre de 6 milliards de francs pour le budget de
l'Etat, le montant des recettes fiscales affectées étant inférieur au montant
des charges transférées.
En 2001, afin de faire face à l'augmentation prévisible des dépenses du FOREC,
ce « réseau de tuyauteries » fut perfectionné afin d'augmenter le prélèvement
opéré sur les recettes de la sécurité sociale. Toujours selon la commission des
comptes, sa mise en place s'est ainsi traduite, pour la seule année 2001, par
une perte de 4,4 milliards de francs pour la branche famille, de 1 milliard de
francs pour l'assurance maladie du régime général et de 1,7 milliard de francs
pour le fonds de solidarité vieillesse.
En d'autres termes, et avant le prélèvement dont je vais parler ensuite, les
excédents de la sécurité sociale résultant d'une conjoncture économique
exceptionnelle ont été captés pour assurer le financement des 35 heures.
Ce FOREC « deuxième manière », même indirectement financé par la sécurité
sociale, présentait toutefois, pour votre ministère, madame, un grave vice de
conception. En effet, lors de sa création, le Parlement avait prévu un verrou
légistatif afin de garantir, en cas de déficit, la compensation intégrale par
le budget de l'Etat, le FOREC ne devant pas être présenté en déficit selon la
loi.
Cela explique la « crampe administrative » qui s'ensuivit : pas moins de
trente notes furent échangées entre les deux directions, celle du ministère des
finances et celle du ministère des affaires sociales, au sujet du décret créant
le FOREC. Cela a duré au moins six ou huit mois.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas le fait du hasard !
M. Charles Descours.
Le décret n'a toujours pas été signé alors que nous étions parvenus, après
avis du Conseil d'Etat, à un quasi-accord.
Jusqu'à aujourd'hui, le déficit des 35 heures a été supporté par la trésorerie
du régime général. Le président du conseil d'orientation et de surveillance que
je suis est bien obligé de le constater. En effet, ce FOREC virtuel reposait
sur une fiction, à savoir l'équilibre affecté des dépenses et des recettes. Ce
point d'équilibre avait été fixé à 67 milliards de francs pour 2000 et à 85
milliards de francs pour 2001. En réalité, selon la commission des comptes de
la sécurité sociale, qui s'est réunie voilà quelques jours, le déficit du FOREC
s'établit, malgré la ponction sur la sécurité sociale que j'ai déjà dénoncée, à
13,3 milliards de francs.
Selon les lois en vigueur, ce déficit aurait dû être intégralement compensé à
la sécurité sociale par le budget de l'Etat, mais Mme Guigou a indiqué que la
sécurité sociale, puisqu'elle était excédentaire, permettait « de prendre en
charge l'écart de compensation - c'est joli, tous ces termes - en 2000 tout en
maintenant son excédent ». Les partenaires sociaux se sont prononcés contre à
l'unanimité et, si cette décision allait jusqu'à son terme, la parité de la
gestion de la sécurité sociale, qui existe depuis cinquante-cinq ans,
risquerait d'être mise en jeu.
Ainsi, en 2000, le coût total de la création virtuelle du FOREC a été de 18
milliards de francs pour la sécurité sociale ! A la lumière des chiffres que
j'ai cités tout à l'heure, nous voyons que l'excédent du régime général aurait
été de près de 24 milliards de francs si les 35 heures n'avaient pas été
financées par la sécurité sociale.
On nous annonce - mais je ne suis pas d'accord avec ce chiffre - qu'en 2001 le
déficit du FOREC s'élèverait « seulement » à 3,3 milliards de francs à la
charge de la sécurité sociale. Je n'y crois pas, dans la mesure où les dépenses
évaluées à 92 milliards de francs me semblent à nouveau sous-évaluées. Nous
verrons bien !
C'est donc un FOREC « troisième manière » que vous allez mettre au point dans
le projet de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, puisqu'il
faut que désormais la sécurité sociale participe au financement du surcoût des
35 heures, au nom d'une théorie des retours particulièrement discutable.
Ces errements rappellent une situation passée que nous avons essayé de
clarifier pour tenter de simplifier les relations financières entre l'Etat et
la sécurité sociale. Les termes « charges indues » auraient dû sortir de notre
vocabulaire. Malheureusement, je crains qu'ils n'y reviennent.
Je n'engagerai pas de polémique pour savoir combien d'emplois ont été créés
grâce aux 35 heures, malgré la publication, intervenue hier de façon
pertinente, du rapport du Plan. On peut considérer que, sur plus de 500 000
emplois créés en 2000, 100 000 à 150 000 sont dus aux 35 heures, les autres
résultant de la conjoncture.
Je voudrais dénoncer une nouvelle fois ces tours de passe-passe entre le
budget de l'Etat et les comptes sociaux qui tendent à devenir systématiques.
J'aurais pu évoquer l'allocation d'autonomie, dont nous avons parlé hier, au
sujet de laquelle l'Etat ne fait aucun effort puisque, sur les 17 milliards de
francs qu'elle coûtera cette année, 5,5 milliards de francs proviennent de la
sécurité sociale, 500 millions de francs des fonds d'action sociale et 11
milliards de francs des départements.
Ces « tuyauteries » deviennent donc de vrais
pipelines
entre la
sécurité sociale et le budget de l'Etat. Tout cela n'est pas sain, tout cela
n'est même pas démocratique puisque nous ne pouvons plus expliquer à nos
collègues, d'abord, à nos concitoyens, ensuite, ce qu'est aujourd'hui le budget
social.
De même, ces excédents auraient pu alimenter le fonds de réserve des
retraites. Je n'y reviendrai pas, la commission des affaires sociales du Sénat
ayant rédigé des rapports sur tous ces problèmes.
Pour respecter un affichage budgétaire conforme à ses prévisions et en
contribuant à l'équilibre des 35 heures par une ponction considérable sur la
sécurité sociale, le Gouvernement a placé une véritable bombe à retardement au
coeur de nos finances sociales.
Ce cumul explosif des 35 heures, des échéances démographiques de l'assurance
vieillesse et donc du déficit des retraites, de la dérive des dépenses maladie
est d'ores et déjà en place.
Après avoir écouté, hier, M. Fabius, qui a longuement insisté sur la prudence
avec laquelle il fallait considérer les comptes 2001 parce que le freinage de
la croissance est plus fort que prévu, je crains que cette machine infernale
n'explose bientôt aux yeux de tous. Si cela devait arriver, j'espère que ce
sera avant les échéances électorales et que l'opinion s'apercevra ainsi que
l'on a masqué la réalité des comptes sociaux.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce sera à la charge des successeurs, comme d'habitude
!
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
voudrais aborder deux points : le premier, que j'évoquerai en tant que
rapporteur spécial du budget des affaires sociales à la commission des
finances, concerne les finances sociales - il a déjà été largement traité et
fort bien ; le second, que je traiterai en tant que rapporteur de la délégation
à l'aménagement et au développement durable du territoire, des schémas de
services collectifs de transports de voyageurs et de marchandises, concerne la
politique des transports.
Je commence donc par les finances sociales.
Comme cela a été dit, l'examen des comptes fait apparaître un résultat
vertueux pour la deuxième année consécutive. Mais, quand on creuse le problème,
la réalité apparaît quelque peu différente.
Tout d'abord, on se rend compte que l'avenir n'est pas assuré - M. Descours
vient de le montrer ramarquablement. Ensuite, cet excédent excite les
convoitises de l'Etat, qui ponctionne nos comptes sociaux pour financer
d'autres actions comme les 35 heures ; cela a été déjà souligné par la Cour des
comptes.
La capacité de financement dégagée par les administrations de la sécurité
sociale est de 54,5 milliards de francs, c'est considérable. Le solde du régime
général est de 5,2 milliards de francs, dont acte au Gouvernement. Toutefois,
cela résulte essentiellement, d'abord, de facteurs conjoncturels - nous nous en
félicitons - mais surtout de la persistance des prélèvements obligatoires pour
le domaine social qui sont et qui demeurent exorbitants.
Les prélèvements sociaux atteignent, en 2000, 21,4 % du PIB. Ils ont augmenté
d'un point en quatre ans, passant de 20,5 milliards de francs à 21,4 milliards
de francs ; rien que pour 2000, l'augmentation est de 6,7 % par rapport à
1999.
Effectivement, avec de tels chiffres, on peut obtenir des résultats
intéressants. Mais le plus inquiétant c'est qu'aucune réduction à terme de ces
niveaux de prélèvement n'est envisagée.
L'examen des dépenses appelle de ma part cinq observations.
La première de ces observations concerne la dette sociale, qui est toujours
préoccupante. Les encours de la caisse d'amortissement de la dette sociale - la
CADES - s'élèvent à 200 milliards de francs, auxquels il faut ajouter 100
milliards de francs à rembourser à l'Etat, d'où une question naïve, madame la
secrétaire d'Etat : les excédents de la sécurité sociale ne pourraient-ils pas
permettre d'accélérer le remboursement de la dette sociale ? C'est une question
que je pose depuis longtemps sans avoir, bien entendu, jamais obtenu de
réponse.
Deuxième observation : le Gouvernement s'est fait une spécialité de mettre en
place des mesures sociales non financées, comme M. le président de la
commission, M. le rapporteur général et Charles Descours l'ont souligné. Il
doit alors se livrer à des acrobaties budgétaires invraisemblables, que tout le
monde d'ailleurs dénonce en vain, telles que le montage d'usines à gaz pour
financer les 35 heures ou l'allocation personnalisée d'autonomie.
Ma troisième observation a trait aux retraites.
Nous dénonçons tous l'absence totale d'anticipation du Gouvernement pour faire
face au choc financier inéluctable que causeront les retraites.
Le conseil d'orientation des retraites, qui a été mis en place tardivement,
l'année dernière, ne dit rien d'autre dans tous ses rapports que ce qui est
déjà annoncé depuis dix ans, depuis le premier livre blanc sur les
retraites.
Le fonds de réserve des retraites, qui devait être doté de 1 000 milliards de
francs ne dispose actuellement que de 20 milliards de francs. Je poserai donc,
une fois de plus, une question naïve, madame le secrétaire d'Etat : est-ce que
l'Etat est en mesure de nous dire de quelles ressources ce fonds disposera au
31 décembre 2002, et, puisque nous sommes dans un débat d'orientation
budgétaire, à la fin de 2003 ou de 2004 ? Là encore, nous sommes certains que,
la question étant posée, la réponse ne nous arrivera pas de sitôt.
Ma quatrième observation est relative au déficit structurellement persistant
de notre régime d'assurance maladie.
La branche maladie est déficitaire de 6,1 milliards de francs. Les prévisions
pour 2001, qui ont été présentées récemment à la commission des comptes de la
sécurité sociale, ne sont, en fait, guère crédibles compte tenu de l'absence de
réforme.
Ainsi, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, qui doit
figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale, n'a absolument plus
aucune signification. Nous votons des objectifs qui sont calculés de façon
biaisée, à partir de réalisations ayant elles-mêmes dépassé les objectifs
précédents. Nous avons voté pour 2000 un ONDAM de 658 milliards de francs ; il
a été réalisé à 675 milliards de francs, soit un dépassement de 17 milliards de
francs !
C'est ainsi chaque année : le taux que l'on demande au Parlement de voter est
en fin de compte totalement fictif. Pourquoi ? Parce que les réformes
structurelles ne débouchent pas et que les incohérences se multiplient.
Le Gouvernement a présenté un schéma de services sanitaires que la délégation
à l'aménagement du territoire a examiné hier. Paradoxalement, ce document n'a
fait l'objet d'aucune consultation des principaux opérateurs. Je sais que ce
n'est pas forcément de votre responsabilité, madame la secrétaire d'Etat !
La restructuration hospitalière est en panne, la coordination entre les soins
de ville et l'hôpital est déficiente. Tout cela augure mal de l'avenir et du
rééquilibrage de notre branche maladie.
Ma cinquième observation concerne les excédents des branches accidents du
travail et famille, qui sont réels.
Il y a des excédents. Mais que prouvent-ils ?
Le premier excédent, celui de la branche accidents du travail, souligne la
surtaxation des entreprises. On n'y peut rien, c'est mathématique !
Le second excédent met en évidence l'insuffisance de la politique familiale,
laquelle ne saurait se résumer au seul congé de paternité - projet au demeurant
excellent, nous n'en disconvenons pas. Nous aurions souhaité depuis longtemps,
nous l'avons souvent dit, une politique familiale d'une autre envergure qui ait
une autre ambition pour la France.
Je viens au deuxième point sur lequel je veux insister : le financement de la
politique des infrastructures de transports, qui mobilise des montants
financiers aussi considérables que la sécurité sociale et suscite un diagnostic
tout aussi pessimiste.
J'ai présenté hier devant la délégation du Sénat à l'aménagement et au
développement durable du territoire mon rapport sur les schémas de services
collectifs de transports collectifs, voyageurs et de marchandises, lequel a été
adopté à l'unanimité des membres présents.
J'avais auparavant présenté deux autres rapports, l'un, devant la commission
des finances, sur le financement des infrastructures de transport, l'autre,
devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, sur la politique
européenne des transports, le tout faisant un ensemble relativement
cohérent.
Cela m'autorise à vous dire, madame la secrétaire d'Etat, que le budget que
vous nous présentez cette année, comme celui que vous nous présenterez l'année
prochaine n'anticipent en rien les besoins importants de financement que
requiert une politique de transports cohérente, qui corresponde d'abord à
l'évolution de la demande, ensuite au rôle que la France doit jouer comme
plaque tournante des transports en Europe, notre position géographique nous
autorisant, bien sûr, des ambitions dans ce domaine.
Je formulerai trois observations.
D'abord, la demande en matière de transport ne cessera de croître, comme elle
croît depuis quarante ans. Je me souviens qu'au Club de Rome, dans les années
soixante, soixante-dix, on dissertait sur la « croissance zéro ». Bien entendu,
c'était une idée fausse, et la croissance continue de la demande en matière de
transport provoque maintenant, un peu partout, des phénomènes de congestion ou
de saturation.
Or il y a quelque chose d'inexorable dans la croissance de la demande en
matière de transport : son taux est systématiquement à peu près du même niveau
que celui de la croissance du PIB, affichant même parfois jusqu'à un point de
plus. Cela vaut surtout pour certains modes de transport, comme la route ou la
voie aérienne.
Les projections pour 2010 ou 2020 sont connues. La constitution et
l'élargissement de l'espace européen sont des facteurs d'accélération de cette
croissance, car on ne crée pas un vaste espace économique si ce n'est pas pour
développer les échanges, et donc les transports.
Comme je l'ai indiqué, la place de la France est celle d'une plaque tournante
et, compte tenu de la croissance plutôt forte que connaissent les pays du Sud,
qu'il s'agisse de l'Espagne, du Portugal ou de l'Italie, mais aussi, à terme,
des pays du Maghreb, nous aurons encore un rôle majeur à jouer dans les
transports européens. Nous devons donc nous y préparer.
Or nous observons actuellement des phénomènes de saturation et de congestion
pour tous les modes de transport. En matière autoroutière, j'évoquerai, à titre
d'exemples, le sillon rhodanien, la liaison entre Paris et Lille, la région
parisienne, la traversée des massifs montagneux : qu'on songe au tunnel du
Mont-Blanc. Les capacités de transport de fret par rail sont elles aussi
saturés. Le ciel européen est congestionné. Quant à la desserte des ports, ceux
d'Europe du Nord - Anvers, Amsterdam ou Rotterdam, qui sont aussi « nos » ports
- comme les ports strictement français, elle n'est pas assurée dans des
conditions satisfaisantes.
J'en viens à ma deuxième observation. Une des solutions possibles pour
conduire une politique des transports plus dynamique consiste à transférer une
part du trafic de fret de la route vers la voie ferrée. L'orientation est
louable, intéressante, et nous y souscrivons.
Cependant, un tel choix emporte quelques exigences, et d'abord celle de la
cohérence avec nos voisins européens. En effet, développer le fret ferroviaire
est pertinent pour les grandes distances. Par conséquent, si l'on veut expédier
par cette voie, à travers la France, des marchandises de Madrid à Berlin ou
même de Marseille à Amsterdam, il faut que nos voisins aient eux-mêmes
développé leurs équipements de fret ferroviaire.
Or que constatons-nous ? Le fret ferroviaire diminue dans tous les pays
d'Europe ; seule la France s'en tire un peu mieux. Il y a là un obstacle
sérieux au développement du fret ferroviaire.
Bien sûr, dans le domaine ferroviaire, le TGV constitue un grand succès et
l'inauguration de la ligne Lyon-Marseille a été un couronnement de la politique
menée en la matière. Mais le TGV ne transporte pas de marchandises !
La réflexion est d'autant plus urgente que la politique du fret ferroviaire
engagée au cours des dernières années a été un échec, et même un échec
cinglant. Les grèves de 1995, comme celles du printemps dernier, ont eu des
effets dramatiques pour tous les chargeurs et, bien entendu, pour les
opérateurs ferroviaires.
Chacun le sait, une politique de développement du fret ferroviaire nécessite
des investissements colossaux : des dizaines de milliards. Qui paiera ? Réseau
ferré de France est actuellement paralysé par une dette de 150 milliards de
francs, dont personne ne sait comment elle peut être remboursée. La SNCF est
étranglée par l'effort financier du TGV - lequel est toutefois nécessaire - et
par des charges de personnel qui dépassent les recettes commerciales.
La sphère ferroviaire a besoin, pour fonctionner chaque année, d'une somme
comprise entre 65 et 70 milliards de francs, à la charge des finances
publiques, tant nationales que régionales.
Mais, là encore, les comptes sont opaques et l'avenir est inconnu. Or l'avenir
du transport ferroviaire ne doit pas être sacrifié et il ne passe pas par
l'étranglement de la route ; il passe par un effort d'investissement.
Ma troisième observation concerne le plan de financement prévisionnel de la
politique des transports du Gouvernement. Ayant vainement cherché les chiffres
dans le schéma de services collectifs de transport, j'ai été amené à élaborer
moi-même ce plan de financement prévisionnel. Un tableau figure dans mon
rapport, et il est très inquiétant, madame la secrétaire d'Etat.
Pour l'ensemble des réseaux de transport, la moyenne annuelle des
investissements a été, de 1990 à 1994, de 45,3 milliards de francs et, de 1995
à 1998, de 45 milliards de francs. C'était certes insuffisant, mais c'était à
peu près étal. Pour la période 2000-2020, la moyenne annuelle, telle qu'elle
ressort du schéma de services de transport, est de 30,5 milliards de francs, ce
qui représente une diminution d'un tiers par rapport aux périodes
précédentes.
Sur quoi porte cette diminution ?
Le réseau routier national - routes et autoroutes -, qui a bénéficié
respectivement de 24 milliards de francs et de 27 milliards de francs par an au
cours des deux périodes précédentes, chute à 11,5 milliards de francs par
an.
Le réseau ferroviaire, qui s'est vu attribuer 16,2 milliards de francs par an,
puis 12 milliards de francs, recevrait 13,4 milliards de francs par an entre
2000 et 2020, ce qui est totalement insuffisant par rapport à nos objectifs.
Quant aux voies navigables, elles bénéficient d'une progression, mais les
volumes sont marginaux : on passe de 0,7 milliard de francs à 0,9 milliard,
puis à 1,7 milliard. On a abandonné Rhin-Rhône, Seine-Est et on a quasiment
abandonné Seine-Nord, et les financements sont dramatiquement insuffisants.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
S'agissant de Seine-Nord, on ne nous a jamais dit
qu'on l'avait abandonné ! Mais, dans les faits, c'est vrai !
M. Jacques Oudin.
De toute façon, avec 1,7 milliard de francs par an, il est impossible de
financer Seine-Nord.
S'agissant des ports maritimes, la baisse des dotations annuelles est
constante : 1,6 milliard de francs, puis 1,3 milliard et finalement 0,9
milliard pour la période 2000-2020. C'est absurde !
Quant aux aéroports, les chiffres sont respectivement de 2,7 milliards de
francs, 3,1 milliards et 3,3 milliards. Je pense que, si l'on fait un effort en
faveur de Roissy et des aéroports de la périphérie, on pourra éventuellement
s'en sortir.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La troisième aéroport n'est pas urgent !
M. Jacques Oudin.
Quoi qu'il en soit, madame la secrétaire d'Etat, ce plan de financement à long
terme est de la même veine que les dépenses civiles en capital, qui ne font que
décroître en valeur relative. Quel est le poste qui augmente le moins dans le
budget de 2001 ? C'est celui des dépenses civiles en capital, donc les dépenses
liées aux transports.
Au total, à l'issue de ce bilan, après de si sévères constats, que faut-il
retenir quant à la politique du Gouvernement ? Je note une politique sanitaire
mal maîtrisée, une politique familiale déficiente, une politique des retraites
irresponsable et une politique des transports irréaliste. Ce n'est pas ainsi,
madame le secrétaire d'Etat, que nous préparerons l'avenir de la France !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Roland du Luart.
L'alternance risque d'être difficile à gérer !
(M. Jean Faure remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette
discussion fort intéressante nous permet de mesurer le décalage entre le
discours et les actes du Gouvernement.
Voilà moins d'une semaine, nous avons consacré le principe de sincérité des
lois de finances dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique du 2
janvier 1959.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est pour l'avenir !
M. Roland du Luart.
Nous avons également voté une disposition qui institutionnalise le débat
d'orientation budgétaire.
Nous avons enfin amélioré l'information du Parlement en enrichissant le
contenu du rapport déposé par le Gouvernement au cours du dernier trimestre de
la session ordinaire.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est également pour l'avenir !
M. Roland du Luart.
Madame la secrétaire d'Etat, vous avez approuvé ces initiatives, soulignant
que le Parlement devait disposer, au moment opportun, d'une vision cohérente de
l'ensemble des finances publiques et des choix qui les sous-tendent.
Pourtant, la bonne volonté affichée par le Gouvernement ne l'a pas empêché de
déposer un rapport d'orientation budgétaire qui, cette année encore, manque
cruellement de sincérité.
Ce document se fonde en effet sur des hypothèses économiques auxquelles plus
personne ne croit, y compris à Bercy.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Roland du Luart.
Surtout, il présente les informations de manière biaisée, voire
contestable.
Je ne prendrai qu'un exemple, et je vous invite, madame la secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, à vous reporter à la page 8 du rapport présenté par le
Gouvernement. Y figure en effet un tableau comparatif des taux de croissance du
PIB dans les pays du G7. Le Gouvernement l'utilise pour démontrer que la France
devrait connaître une croissance plus forte que ses principaux partenaires en
2001 et en 2002.
Ce type de tableau n'a rien de contestable en soi, d'autant que les données
comparatives sont fournies par le Fonds monétaire international, institution
éminemment respectable.
J'attire néanmoins votre attention sur l'indication qui figure en tout petits
caractères sous le tableau des taux de croissance. Il y est en effet
discrètement précisé que les prévisions sont celles du FMI, sauf dans le cas de
notre pays.
Ainsi, le FMI prévoit 2,6 % de croissance en France en 2001 et 2002, mais ce
sont les prévisions gouvernementales de 2,9 % et 3 % qui figurent dans le
tableau comparatif !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La main dans le sac !
M. Roland du Luart.
Or, madame le secrétaire d'Etat, vous savez bien qu'en matière économique on
ne peut comparer que des données déterminées selon une même méthode de calcul,
selon les mêmes critères. Nous avons tous appris cela à Sciences-Po ou ailleurs
!
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est la « permanence des méthodes » !
M. Roland du Luart.
Vous citez les prévisions du FMI dans le rapport d'orientation budgétaire, ce
qui montre que vous les considérez comme fiables. Mais alors, pourquoi
seraient-elles fiables pour tous les pays, sauf pour la France ?
Que pensez-vous de cette méthode qui consiste à fausser la comparaison en
changeant les chiffres sous prétexte qu'ils sont moins favorables ? Pensez-vous
qu'il s'agit là d'une présentation sincère ?
N'aurait-il pas été plus simple de regarder la réalité en face, plutôt que de
chercher à la travestir ?
Nous savons tous que le contexte économique s'est fortement dégradé : c'est un
fait.
Le prix du pétrole reste, hélas ! à un niveau élevé. L'atterrissage « en
douceur » de l'économie américaine se révèle de moins en moins « doux ».
Mais il y a plus inquiétant encore : la croissance des principaux pays de la
zone euro marque le pas, surtout en Allemagne.
La France n'est pas épargnée : selon l'INSEE, notre croissance a été nettement
plus faible que prévu au premier trimestre de 2001. En outre, de nouvelles
inquiétudes ont fait leur apparition en matière d'investissement des
entreprises, d'inflation, de création d'emplois et de consommation
intérieure.
Nous venons même d'apprendre que notre commerce extérieur avait renoué avec un
solde négatif au mois d'avril - 483 millions d'euros - alors même que le poids
de la facture énergétique tend à se réduire, mais de manière insuffisante.
Enfin, le taux d'inflation annuel de la zone euro a atteint 3,4 % en mai, et
M. Trichet, devant notre commission des finances, s'en est ému. Ce chiffre,
rendu public lundi, est en effet particulièrement préoccupant, même si la
France fait mieux que la moyenne de ses partenaires et même si ce mauvais
résultat s'explique par des facteurs conjoncturels.
Il tombe à un très mauvais moment : l'économie confirme son ralentissement et
aurait bien besoin d'une nouvelle baisse des taux d'intérêt.
Le « socle de croissance » évoqué par le Gouvernement est donc en train de se
fissurer.
S'il est difficile de dire avec précision quelle sera la situation économique
dans ou ou deux ans, nous devons au moins reconnaître que les incertitudes sont
nombreuses et en tirer les conséquences.
Mes chers collègues, le débat d'orientation budgétaire est non un débat
économique mais un débat politique. Nous devons faire preuve de responsabilité,
sans nous voiler la face. Le problème est que le Gouvernement continue à faire
comme si de rien n'était.
Certes, madame la secrétaire d'Etat, vous avez admis, avec M. Fabius, que la
croissance en 2001 se situerait dans le bas de votre fourchette de prévisions,
soit 2,7 %. Cependant, vous n'en avez tiré aucune conséquence budgétaire,
c'est-à-dire en termes politiques. Vous considérez que la demande intérieure
demeurera suffisamment solide pour soutenir la croissance, grâce aux baisses
d'impôts. C'est un peu vite oublier que la pression fiscale en France a atteint
des records.
Lors de la dernière discussion budgétaire, notre groupe avait dénoncé la «
mystification fiscale » qui consiste à faire croire aux Français que l'on va
baisser les impôts alors que ceux-ci ont fortement augmenté depuis 1997.
De surcroît, le programme fiscal du Gouvernement s'apparente plus à un
saupoudrage électoraliste qu'à une réforme structurelle de nos prélèvements
obligatoires. Il risque donc de ne pas avoir l'effet d'entraînement
recherché.
Notre groupe estime qu'il est urgent d'adopter des mesures ciblées, notamment
en faveur des familles et de certains secteurs économiques, en particulier
celui de la restauration.
Alors que certains semblent remettre en cause les baisses d'impôt, nous
pensons qu'il faut au contraire aller plus loin et plus vite en la matière.
Toutefois, cela n'est possible que si nous parvenons véritablement à
maîtriser, voire à réduire les dépenses publiques.
Là encore, nous pouvons constater le décalage entre le discours et la réalité
de la politique gouvernementale. En théorie, les dépenses de l'Etat
progresseraient en volume de 0,3 % en 2001 et de 0,5 % en 2002.
Officiellement, le programme pluriannuel de finances publiques 2002-2004
affiche une réduction progressive du poids des dépenses publiques dans le
produit intérieur brut.
En réalité, le Gouvernement ne se donne pas les moyens d'atteindre ses
objectifs. Il entretient l'illusion de la rigueur tout en créant les conditions
d'un dérapage. La charge de la dette reste considérable, le poids des dépenses
de la fonction publique ne cesse de croître, les réformes de structures
susceptibles de générer des économies ont été quasiment abandonnées ou
différées.
Surtout, les finances publiques sont sous la menace des bombes à retardement
que constituent les retraites des fonctionnaires, les emplois-jeunes et les 35
heures.
Je constate, par exemple, que le Gouvernement impose la réduction du temps de
travail au secteur privé, alors qu'il est incapable de se l'appliquer à
lui-même financièrement à moyens constants. Il suffit, d'ailleurs, d'en parler
dans chaque département avec les préfets, qui nous annoncent des tensions
extrêmement vives dans ce domaine d'ici à la fin de l'année, tant les choses
sont mal préparées.
Le Gouvernement menace la compétitivité des entreprises en augmentant leurs
charges et met à contribution la sécurité sociale, ce qui est plus que
contestable, mais, surtout, il se garde bien d'expliquer comment sera financé
le passage aux 35 heures dans la fonction publique nationale, territoriale et
hospitalière.
A l'automne dernier, j'ai eu l'occasion de souligner que les dépenses accrues
dans une conjoncture favorable constituaient une espèce de « prion budgétaire
», qui demeure invisible en période de hautes eaux économiques, mais qui
s'active en cas de coup de tabac. J'ai bien peur que ce coup de tabac ne soit
plus très loin !
La rigidité du budget est telle que le Gouvernement ne dispose plus de réelles
marges de manoeuvre, à moins d'engager des réformes structurelles ambitieuses,
ce qu'il s'est toujours refusé à faire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce seront des vaches maigres !
M. Roland du Luart.
Il ne faudrait pas qu'il recoure de nouveau à des artifices comptables pour
dissimuler les difficultés que notre ami Jacques Oudin évoquait tout à
l'heure.
Je ne souhaite pas non plus que certains budgets, comme celui de la défense,
soient encore utilisés comme des « variables d'ajustement ».
La politique du Gouvernement nous place en effet dans une situation
paradoxale. Les dépenses augmentent beaucoup trop dans leur ensemble mais
certains postes essentiels sont sacrifiés. Le fonctionnement continue d'évincer
l'investissement et les mesures d'affichage politques se multiplient, au
détriment des missions régaliennes de l'Etat.
Je tiens notamment à souligner que le coût des 35 heures devrait s'établir à
près de 100 milliards de francs en 2001. A titre de comparaison, les budgets
cumulés de la justice et de la sécurité n'atteignent que 62,6 milliards de
francs.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout à fait !
M. Roland du Luart.
On constate le gâchis !
Je cite mes sources : il s'agit du rapport de notre éminent collègue M.
Descours sur le coût des 35 heures, dans lequel il précisait que la somme de 96
milliards annoncée passait à plus de 100 milliards de francs. Or, dans le
projet de loi de finances pour 2001, le budget de la justice s'élevait à 29
milliards de francs, celui de la sécurité à 33,6 milliards de francs, au total
62,6 milliards de francs, contre, je le répète, 100 milliards de francs pour
financer les 35 heures.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Lumineuse démonstration ! On voit bien où sont les
priorités !
M. Roland du Luart.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur général !
Cette situation me paraît inacceptable à un moment où nos concitoyens
souffrent d'une justice trop lente et d'une insécurité grandissante.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela ne s'arrange pas !
M. Roland du Luart.
Un Etat omnipotent est un Etat impotent ! Nous devons recentrer ses missions
et lui donner les moyens de sa politique régalienne.
De même, nous devons avoir conscience que la réduction des dépenses militaires
a des conséquences directes sur l'activité et le moral des armées.
Si nous voulons réussir la professionnalisation, enjeu essentiel pour
l'avenir, nous devons, là encore, nous en donner les moyens.
Je souhaiterais, enfin, vous faire part de mes inquiétudes au sujet de
l'équilibre des comptes publics. La réduction du déficit budgétaire a été
insuffisante au cours de ces dernières années. Elle est surtout fragile, car
essentiellement conjoncturelle.
Le Gouvernement l'avoue lui-même à demi-mot dans son rapport, puisqu'il
reconnaît que l'amélioration du solde des administrations publiques entre 1997
et 2002 tient « pour un peu moins des deux tiers au regain de croissance
économique et pour un peu moins des deux tiers au regain de croissance
économique et pour un peu plus d'un tiers à des facteurs structurels ».
Ce demi-aveu ne dissipe pas les inquiétudes pour l'avenir. En effet, j'ai noté
que le Gouvernement restait très flou sur ses engagements pour 2002.
Il ne faudrait pas que le déficit redevienne une variable d'ajustement
budgétaire. La France a pris des engagements devant ses partenaires européens.
Elle doit les respecter.
Mes chers collègues, le Gouvernement se trouve aujourd'hui à la croisée des
chemins.
Il est encore temps d'éviter une impasse budgétaire grave comme celle de
1992-1993. Bien entendu, les conditions économiques sont différentes, me
direz-vous. Mais la politique des gouvernements socialistes est toujours aussi
laxiste en ce qui concerne le fonctionnement.
Les semaines à venir seront cruciales pour l'avenir de nos finances
publiques.
Je souhaite que le Gouvernement et sa majorité plurielle entendent la voix de
la raison et de la responsabilité.
Il est grand temps de faire taire les cigales, avant qu'il ne soit trop tard !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Excellent ! Ce sont des cigales folles !
(Rires.)
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
budget de l'Etat est la résultante de la politique que conduit le
Gouvernement.
Certains gouvernements déterminent d'abord leurs politiques en fonction des
promesses qui sont lancées ou des situations politiques auxquelles ils décident
de faire face. Ils constatent ensuite la traduction comptable ou renvoient aux
exercices ultérieurs les conséquences ou inconséquences budgétaires.
D'autres gouvernements commencent par mettre au point un cadrage budgétaire
volontariste avant d'arbitrer entre le souhaitable et le possible.
Selon que l'on applique telle ou telle méthode, l'exercice est plus ou moins
périlleux sur le plan politique, en tout cas à court terme.
J'ai le sentiment que le Gouvernement auquel vous appartenez, madame le
secrétaire d'Etat, appartient clairement à la première catégorie, à tel point
qu'en pleine période de croissance internationale et de sur-recettes fiscales,
il n'a pas été capable de commencer à inverser les tendances lourdes qui
hypothèquent l'avenir des finances publiques de notre pays.
Quelles sont ces tendances ? Augmentation préoccupante, parce que
structurelle, de l'endettement ; absence de politique d'investissements qui,
seuls, préparent l'avenir ; frais de fonctionnement galopants.
Oui, l'endettement de notre pays est préoccupant. En vingt ans, il est passé
de quelques centaines de milliards de francs, à peine supérieur au budget de
l'Etat, à plus de 5 000 milliards de francs représentant 300 % du budget.
Si mes recherches sont exactes, en 1980, le budget de la France était d'un peu
plus de 540 milliards de francs et l'endettement de 420 milliards de francs.
Et, en l'an 2000, le budget était d'un peu plus de 1 500 milliards de francs et
l'endettement de 5 300 milliards de francs.
M. Bernard Angels.
Merci Sarkozy !
M. Alain Joyandet.
Ces quatre chiffres à eux seuls en disent long sur la dérive. Quel que soit le
ratio utilisé, ils sont édifiants : cette dette est passée de 25 % du PIB à 45
% du PIB entre 1986 et 2001.
Si mes recherches sont toujours exactes, au cours de ces mêmes vingt ans, vous
avez exercé, vous-mêmes ou vos amis, la responsabilité du Gouvernement pendant
environ quinze ans.
Je souhaiterais, madame la secrétaire d'Etat, que vous nous donniez votre
sentiment sur cette dette. J'ajoute immédiatement - cela me paraît évident,
mais cela va mieux en le précisant - que votre gouvernement n'est pas le seul
responsable de cette situation qui dure depuis bien longtemps.
Qu'y a-t-il en contrepartie dans les actifs susceptibles d'être convertis ?
Nous ne le savons pas !
Est-il normal, face à une telle situation, de continuer à emprunter pour
fonctionner ?
Va-t-on encore longtemps et d'une manière chronique, emprunter chaque année
plus que l'équivalent de notre désendettement ?
A ce rythme, que lirons-nous dans le budget de la France en 2005... en 2010...
? Et comment fait-on pour rembourser, alors qu'en même temps on annonce des
baisses d'impôts ?
Cette situation - qui, encore une fois, n'est pas de votre seul fait -
n'est-elle pas très préoccupante, tout particulièrement en cas de fléchissement
de la croissance ? N'est-il pas temps de l'expliquer aux Français ?
S'agissant des frais de fonctionnement, on voit bien qu'ils sont devenus
incontrôlables et que la totalité de la progression annuelle de la charge est
absorbée par l'augmentation des coûts de la fonction publique et la charge de
la dette.
Il n'y a donc plus aucune marge de manoeuvre. Dans un tel contexte budgétaire,
les annonces de politiques nouvelles venant non pas remplacer d'autres
politiques, mais s'ajouter à celles qui existent déjà, démontrent une
inconséquence dont, il est vrai, M. Fabius et sans doute vous-même, madame la
secrétaire d'Etat, vous êtes désolidarisés mais que vous allez pourtant devoir
comptabiliser, ruinant du même coup les ambitions de réduction des déficits,
donc de l'endettement.
Je ne nie pas l'existence d'une volonté de Bercy de ralentir l'augmentation de
la dépense publique. Mais force est de constater qu'une seule fourmi, même
entêtée, ne pourra faire face au bataillon de cigales qui siègent autour de la
table du conseil des ministres. Si, en plus, le premier d'entre eux se range du
côté des plus nombreux, alors, le pire est à venir !
Dans ces conditions, l'objectif de diminution du déficit ne pourra pas être
atteint. Du même coup, le recours à l'emprunt sera augmenté d'autant, c'est
inéluctable.
La conséquence, madame la secrétaire d'Etat, se lit au chapitre des
investissements : l'Etat français n'investit plus. Les transferts de nos
capacités d'investissement vers le fonctionnement ne cessent d'augmenter. A
peine 80 milliards de francs ont été consacrés aux investissements civils en
2000 et l'ordre de grandeur sera sans doute la même en 2001.
Pour ma part, je ne crois pas à la fongibilité fonctionnement-investissement
que certains techniciens s'efforcent de défendre. A part pour quelques lignes
budgétaires qui nécessitent sans doute d'être analytiquement réaffectées, pour
l'essentiel, l'investissement reste l'investissement et le fonctionnement reste
le fonctionnement.
C'est fort de cette conviction, madame le secrétaire d'Etat, que j'ai défendu
ici, dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959
relative aux lois de finances, l'idée de réinscrire ou d'inscrire la règle d'or
dans la loi fondamentale.
Si j'ai finalement retiré cet amendement, j'ai le sentiment que cette idée
continue son chemin, même si je sais combien il est difficile, lorsque l'on est
au Gouvernement, d'avoir les mains liées par des règles trop rigides.
A tout le moins pourrait-on demander au ministre de l'économie et des
finances, lorsqu'il est obligé d'emprunter pour fonctionner, de venir s'en
expliquer devant la représentation nationale.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est indispensable, et il faudra y venir !
M. Alain Joyandet.
Nous ne pouvons donc pas être en accord avec ces orientations budgétaires, qui
sont les conséquences de la politique conduite par votre Gouvernement.
En réalité, nous ne discutons d'ailleurs pas d'orientations budgétaires. Nous
faisons des commentaires sur la situation financière de notre pays, plus que
sur des orientations budgétaires puisque nous ne savons pas encore très bien
comment vous avez l'intention de « cadrer » les choses dans l'avenir.
Nous pourrions pourtant utilement avoir ce débat sur les orientations
budgétaires, sur les besoins de nos concitoyens et sur les moyens
correspondants dans le budget.
Notre collègue Roland du Luart a tout à l'heure illustré d'un exemple ce que
pourrait être cette volonté politique et ce que devraient être ces orientations
budgétaires, en comparant à juste titre, comme je l'avais fait, les budgets de
la défense et de la sécurité au coût du passage aux 35 heures.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est ce que j'appelle les vraies priorités !
M. Alain Joyandet.
Voilà l'exemple d'une orientation budgétaire que nous n'approuvons pas.
En tout cas, madame la secrétaire d'Etat, nous sommes confrontés à un mélange
dangereux de tendances lourdes.
Je sais très bien, je le répète, que le gouvernement auquel vous appartenez
n'est pas seul responsable de ce bilan, puisque c'est le résultat de vingt ans
d'exercices budgétaires. Toujours est-il que nous sommes placés devant ce
constat en matière de grands équilibres. C'est un mélange dangereux de
tendances lourdes que vous confirmez, dans un contexte de fin de cycle vertueux
pour l'économie internationale. Et c'est en ce sens que le gouvernement actuel
porte une part de responsabilité particulière par rapport à ses
prédécesseurs.
Ce mélange dangereux vous conduira inéluctablement soit à constater un déficit
plus élevé que ne le permettent les règles européennes, alors que nous sommes
déjà le dernier de la classe, ou presque, soit à repousser des baisses d'impôts
significatives devenues pourtant urgentes dans un climat de concurrence
internationale, soit à renoncer à doter notre territoire des équipements
publics nécessaires. On peut d'ailleurs réellement craindre que ce chapitre des
investissements publics ne serve de variable d'ajustement à la suite de
l'évolution du contexte que nous constaterons.
Voilà donc dans quel état se trouvent les finances de notre pays, et il ne
sera pas facile de sortir de cette situation.
Je sais bien, madame la secrétaire d'Etat, qu'aucune politique budgétaire ne
peut être fortement modifiée de façon brutale et rapide. Mais ne vous
semble-t-il pas urgent de rechercher les voies et moyens pour commencer, ne
serait-ce que légèrement, à inverser ces tendances lourdes et très dangereuses
à terme ?
M. Jacques Chaumont.
Très bien !
M. Alain Joyandet.
N'est-il pas venu, le temps du courage, le temps d'expliquer à nos concitoyens
que l'Etat vit au-dessus de ses moyens, que la France vit au-dessus de ses
moyens,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... Le temps de la transparence !
M. Alain Joyandet.
... qu'elle emprunte sur le marché financier français, ou, pis encore, à
l'étranger, pour financer les 35 heures et les emplois jeunes, ou tout
simplement, pour partie encore dans le budget actuel, pour financer le salaire
des fonctionnaires ?
Je ne suis pas un adepte du catastrophisme ni de la sinistrose. Mais, vous
l'avez compris, mon inquiétude, sincère, madame la secrétaire d'Etat, a été
encore renforcée par l'analyse des documents que vous avez bien voulu vous-même
nous adresser. Peut-être ai-je une lecture budgétaire insuffisamment adaptée à
la nature même des fonctions de l'Etat. Je sais bien que celui-ci a des
contraintes particulières. Je sais aussi qu'il n'est ni une entreprise ni une
collectivité locale et qu'il est soumis à ces contraintes. Cependant, il existe
tout de même, madame la secrétaire d'Etat, un certain nombre de fondamentaux de
bonne gestion communs à toute collectivité publique ou privée pour assurer son
avenir. Force est de constater que l'Etat, qui devrait donner l'exemple, ne
respecte plus depuis longtemps ces règles de base.
Certes, le gouvernement auquel vous appartenez n'est pas seul en cause, mais
vous auriez pu commencer à redresser la situation pendant les dernières années,
grâce à une conjoncture internationale exceptionnelle, qui, hélas ! donne des
signes sinon de retournement du moins de fléchissement. Au lieu de cela, il a
été question de « cagnotte ». Et je fais le pari que le Gouvernement va
continuer encore à sacrifier à la démagogie jusqu'en juin 2002. Je suis
cependant persuadé que, après, le Gouvernement, quel qu'il soit, devra se doter
de véritables orientations budgétaires, fondées sur la sincérité, la
responsabilité et sans doute la rigueur.
Pour préparer son avenir et celui des générations futures, notre pays a besoin
d'une toute autre politique budgétaire. Contrairement à ce que disait M. Fabius
ici même hier, nous ne demandons pas tout et son contraire, nous ne demandons
pas une rigueur budgétaire et des augmentations de crédits partout. Mais il y a
d'autres orientations à prendre, et ce sera difficile.
Ceux qui seront contraints de mettre en oeuvre ces nouvelles orientations
devront s'armer de patience et faire preuve d'une très grande pédagogie auprès
de nos concitoyens. Quels que soient les chemins empruntés, après une période
aussi longue de laisser-aller, je crains fort que l'addition ne soit salée pour
ceux qui devront la payer.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes de la nation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, je souhaite me livrer à un bref commentaire à la suite des
échanges de propos intervenus hier soir avec M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie. Nous avons beaucoup parlé de dette publique, mais,
étant donné l'heure tardive et la documentation nécessitant d'être réexaminée,
je n'ai pas réagi sur l'instant et j'ai réservé quelques observations pour la
fin de cette matinée, madame le secrétaire d'Etat, en votre présence.
Dans la colonne 115 du compte rendu analytique de la séance d'hier, M. Fabius
déclare : « Le poids de la dette publique dans le produit intérieur brut, de
1980 à 1993, soit en treize ans et sous des gouvernements différents, a
augmenté de 20 points, ce qui est considérable. De 1993 à 1997, soit en
seulement quatre ans et sous des gouvernements qui trouvaient grâce auprès du
rapporteur général, il a encore augmenté de 20 points... »
J'ai effectué des recherches dans les documents de l'INSEE, des comptes
nationaux, de la Banque de France et de la direction de la prévision. Mes chers
collègues, j'ai constaté - je parle de la dette publique au sens du traité de
Maastricht - que la dette publique représentait 21 points de produit intérieur
brut en 1980 et 45,6 points en 1993 : l'augmentation est donc de 24,6 points,
et non de 20 points ! Par ailleurs, elle est passée de 45,6 points en 1993 à
59,3 points en 1997, soit une augmentation de 13,7 points. Ce n'est pas tout à
fait 20 points ! Les arrondis sont généreux, madame le secrétaire d'Etat.
Espérons que les commerçants, lorsqu'ils passeront à l'euro, n'agiront pas de
même.
(Sourires.)
Cela étant dit, arrêtons-nous un instant sur la succession des chiffres. Que
constatons-nous ? Nous constatons que le saut essentiel a été fait au cours de
l'année 1993, monsieur le président de la commission des finances. Or si une
telle constatation peut être faite sur l'année 1993, c'est pour une raison tout
à fait mécanique, qui tient à l'alternance de 1993.
Souvenez-vous, mes chers collègues : 1993 - première année de récession,
l'année record de l'erreur budgétaire ! - le déficit budgétaire initial qui
avait été voté par le Parlement - la majorité à l'Assemblée nationale était
socialo-communiste, n'est-ce pas ? - ...
M. Roland du Luart.
On dit maintenant « plurielle » !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... s'élevait à 165 milliards de francs et le déficit
de réalisation assumé par le « pauvre » M. Balladur atteignait 315 milliards de
francs. Voilà la réalité ! Et on voudrait travestir les chiffres pour reporter
sur de malheureux gouvernements du passé les turpitudes d'aujourd'hui ! Ce
n'est absolument pas acceptable !
A contrario,
le commentaire que je m'étais permis de faire dans mon
rapport, tant écrit qu'oral, était dépourvu de toute intention polémique, il
s'inscrivait sur une longue période et appelait à la responsabilité de tous. Je
faisais valoir que l'emprunt et la poursuite de la progression de la dette,
c'est la facilité générale à laquelle nous sommes enclins, les uns et les
autres, et dont il faut nous prémunir. Tout à l'heure, lorsque notre collègue
Joyandet disait, comme un certain nombre d'entre nous, qu'il faut faire de la
pédagogie en ce domaine et éviter de retomber dans les facilités parce qu'elles
se paient très cher, il avait infiniment raison. C'est le message de
responsabilité que la commission des finances du Sénat s'efforce de
diffuser.
Je voudrais revenir sur un second propos tenu hier par l'excellent ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie - je dis « excellent » car nous
apprécions toujours ses développements et le ton de nos échanges.
Il a indiqué, colonne 116 du compte rendu analytique de notre séance d'hier :
« Enfin, entre 1999 et 2001, soit en seulement deux ans, le poids de cette
dette a diminué de trois points ! » De quelle dette parle-t-on ? Il faut faire
preuve de transparence, M. Roland du Luart nous y a incités tout à l'heure. Il
faut bien lire les tableaux, même ce qui est écrit en petits caractères sous
les tableaux, et s'assurer que les chiffres sont homogènes et cohérents, et
peuvent donc faire l'objet de commentaires corrects du point de vue
méthodologique.
Dans mon commentaire et dans le rapport écrit, je disais que, de 1997 à 2001,
la dette négociable de l'Etat, madame le secrétaire d'Etat, avait augmenté en
valeur absolue de 1 000 milliards de francs. La dette de l'Etat, ce n'est pas
la dette publique. M. le ministre m'a répondu avec des chiffres qui concernent
la dette publique. Or la dette publique, c'est la dette de l'ensemble : Etat,
sécurité sociale, cher collègue Descours, et collectivités territoriales. Nous
savons que, grâce aux prélèvements supplémentaires de ces dernières années, les
comptes de la sécurité sociale se sont beaucoup améliorés. Les collectivités
territoriales, elles, sont vertueuses. L'Etat, lui, est le mauvais élève dans
cette « classe à trois ». C'est ce que nous constatons. D'ailleurs, ce n'est
pas moi qui le dis, madame le secrétaire d'Etat, c'est le Livre de Poche.
En effet, dans l'édition en livre de poche de
L'Economie française, INSEE,
édition 2001-2002, c'est-à-dire dans la publication, pour l'ensemble de nos
concitoyens, du rapport sur les comptes de la nation de 2000, on peut lire, à
la page 222, premier paragraphe : « La part de la dette de l'Etat dans la dette
brute est prépondérante et continue à progresser : elle en représente 79,4 % à
la fin de 2000 après 74,6 % à la fin de 1997. » Qui dit cela ? Des théoriciens
ultralibéraux à la solde des Américains ?
(Sourires sur les travées du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
Des suppôts du baron Seillière ?
(Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
Pas du tout ! C'est l'INSEE,
dans un livre distribué quasiment à tous les Français !
Je poursuis ma citation : « En matière d'endettement, la France occupe une
position médiane au sein de l'Union européenne, dont le ratio moyen est passé
de... »
Il est bien clair qu'il faut distinguer, d'une part, l'Etat, qui n'est pas
vertueux, qui continue à se laisser aller à la facilité, même si la conjoncture
a rendu jusqu'à présent toute chose indolore et presque invisible et, d'autre
part, la dette publique qui, grâce à la consolidation des comptes des
organismes sociaux et des collectivités territoriales, affiche une assez nette
amélioration.
Hier soir, M. le ministre a choisi les indicateurs qui l'arrangeaient. Mais la
présentation qui avait été faite par la commission, sous votre égide, monsieur
le président Lambert, est une présentation globale, objective et, je le répète,
non polémique. C'est la réalité des choses ! Notre collègue du Luart parlait
d'or voilà quelques instants en indiquant que, dans le cadre qui sera le nôtre
avec la nouvelle loi organique, ces jongleries ne seront plus possibles.
M. Roland du Luart.
Espérons-le !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quel que soit le gouvernement en place, il faudra
respecter une terminologie et des méthodes permanentes, un même référentiel, et
lorsqu'on en changera il faudra s'expliquer devant la représentation nationale
et l'opinion publique.
M. Roland du Luart.
Excellente intervention !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En d'autres termes, madame le secrétaire d'Etat,
profitez bien des facilités actuelles ! Profitez-en bien pour nous présenter
dans quelques mois le budget pour 2002, budget qui, nous sommes nombreux ici à
en être persuadés, sera, comme celui de 1993, un budget électoral pour six mois
et pour camoufler la réalité !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste.)
M. Roland du Luart.
Excellente démonstration !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Au terme de ce long débat, entamé hier en présence de
M. Fabius, vous comprendrez que je réponde peut-être plus brièvement qu'il ne
l'a fait lui-même après avoir entendu les orateurs qui s'étaient exprimés au
cours de la soirée.
M. Grignon a souligné que la croissance française est en phase de
ralentissement. C'est un fait : elle est affectée par le ralentissement
américain et par le ralentissement allemand. Ni M. Fabius ni moi-même ne
l'avons nié. Nous avons dit que, par rapport à la fourchette de croissance que
nous avons envisagé et qui se situe entre 2,7 % et 3,1 %, nous serions plutôt
dans le bas de la fourchette. Mais nous avons dit aussi - j'aurai l'occasion
d'y revenir dans un instant pour répondre à M. du Luart - que, cette année, la
croissance française sera la plus forte au sein des pays du G7 et la plus forte
d'Europe. Sans négliger les évolutions qui sont en cours, nous pensons
raisonnablement que la France devrait mieux tirer son épingle du jeu que la
plupart de ses partenaires européens.
Je tiens à souligner un autre point : depuis 1997, la croissance est fondée
sur la vigueur de la demande intérieure. En 2001, cette demande intérieure
restera forte, ce qui n'est pas contradictoire avec les éléments qui ont été
cités de l'enquête effectuée par l'INSEE relative au moral des ménages. Par
rapport à une période récente, à savoir le début de l'année, le moral des
ménages est en baisse, mais il reste malgré tout beaucoup plus élevé qu'il ne
l'a jamais été au cours des dix dernières années, puisqu'il demeure encore
trente points au-dessus de ce qu'il fut en 1995. En ces matières, il faut se
garder des caricatures et regarder les chiffres de près - je reviendrai dans un
instant sur l'analyse de M. Marini.
En ce qui concerne le chômage, vous avez indiqué que des manipulations
statistiques étaient à l'oeuvre. Je n'ai qu'une seule réponse à vous donner :
le taux de chômage, au sens du Bureau international du travail, le BIT, est
fondé sur une enquête menée directement auprès des ménages. Cette enquête
confirme bien la baisse puisque, au mois d'avril, le taux de chômage, au sens
du BIT, s'établit à 8,7 %. Autrement dit, c'est le chiffre le plus bas que nous
ayons connu depuis 1983.
M. Grignon s'est inquiété de l'évolution des déficits publics. Il a, par
ailleurs, proposé des exonérations fiscales. Il est un peu comme ceux qui,
nombreux dans cet hémicycle, ne se considèrent peut-être pas comme des cigales,
mais qui, en semaine, demandent des baisses de dépenses et, le dimanche,
préconisent de nouvelles dépenses.
M. Grignon a également regretté de ne pas disposer de plus d'informations sur
les arbitrages qui devront être effectués entre les trois pôles que constituent
les dépenses, les recettes et le déficit. A l'évidence, cela fait partie des
arbitrages qui seront rendus dans le courant de l'été et qui vous seront
présentés lors de l'examen du projet de loi de finances.
Il a également été fait allusion à la fiscalité relative aux entreprises qui
se développent dans le secteur de la nouvelle économie, notamment en ce qui
concerne les stock-options. Dans ce domaine, le Gouvernement ne reste pas
inactif. J'ai eu moi-même l'occasion d'être entendue par la commission présidée
par Denis Badré. Le Gouvernement attend les propositions de Michel Charzat,
puisque celui-ci s'est vu confier une mission de réflexion sur les
améliorations qui pourraient être apportées à notre dispositif fiscal en faveur
de ces entreprises innovantes.
M. Moreigne a souligné l'évolution très favorable des finances des
collectivités locales. Il a bien voulu rappeler que celles-ci contribuent en
effet fortement à l'excédent de nos comptes publics. Il a également rappelé
que, depuis quatre ans, les concours de l'Etat aux collectivités locales
avaient été dynamiques : si nous avions été sous le régime du pacte de
stabilité du précédent gouvernement, en 2001, les concours des collectivités
locales eussent été de 6 milliards de francs inférieurs à ce qu'ils sont. En
effet, depuis 1999, nous sommes passés dans un système de contat de croissance
et de solidarité, qui permet une indexation plus favorable, notamment en
fonction de la croissance.
M. Moreigne a aussi rappelé la nécessaire péréquation entre les collectivités
locales. Nous aurons évidemment l'occasion d'en reparler de manière très
approfondie non seulement lors du débat sur le projet de loi de finances, mais
aussi lors des échanges que nous aurons lorsque le rapport sur la réforme de la
fiscalité locale sera présenté au Parlement. Je crois que chacun ici peut
partager ce point de vue. Mais nous sommes bien conscients - je pense que M.
Fabius a eu l'occasion de le dire hier soir - que cette péréquation ne peut pas
reposer uniquement sur l'Etat. Désormais, nous devons rechercher au sein des
collectivités locales elles-mêmes des facultés de péréquation accrues.
M. Bernard a longuement évoqué la politique de défense et les budgets qui sont
accordés à ce secteur. Si l'on compare l'effort de défense de la France avec
celui des Etats-Unis et de Grande-Bretagne depuis 1990, il est évident que nous
avons adapté notre appareil de défense de manière beaucoup moins brutale que
ces deux pays à la suite de la fin de la guerre froide. C'est le premier
constat.
M. Bernard a par ailleurs longuement développé la nécessité de mener à bien le
processus de professionnalisation engagé depuis 1996, ce à quoi je souscris
tout à fait et ce que le Gouvernement s'est efforcé de faire, je crois, avec
succès, budget après budget.
S'agissant de l'équipement, M. Bernard a mis en avant le fait que la loi de
programmation militaire n'aurait pas été respectée. Sans être véritablement
facétieuse, j'aimerais qu'il me cite une loi de programmation militaire qui
l'ait été. Ce que je peux dire, c'est que jamais une loi de programmation
militaire n'aura été mieux respectée que celle qui est actuellement en vigueur.
Le meilleur exemple est tout récent : nous avons, au-delà même de la loi de
programmation militaire, pris de nouveaux engagements, ne serait-ce qu'hier, en
signant le contrat portant sur l'A 400 M, le nouvel avion de transport
militaire qui a vocation à équiper les armées françaises. Cela montre que le
budget de la défense préserve l'avenir de nos armées.
J'ajouterai une dernière information. Le projet de budget allemand pour 2002,
qui est en cours d'élaboration et de discussion, prévoit une réduction, en
termes nominaux, tant sur les personnels que sur les équipements, des crédits
de la défense.
Nous ne sommes donc pas, comme j'ai pu l'entendre au travers des propos de M.
Bernard, dans une situation où les intérêts vitaux de la France seraient mis à
mal, bien au contraire ! La France entend tenir toute sa place au sein de la
défense européenne.
M. Descours nous a fait un savant exposé de la situation des finances
sociales, qu'il connaît évidemment parfaitement bien. Il a dit, en tout cas,
c'est ce que j'ai cru comprendre - des choses assez contradictoires : d'une
part, la sécurité sociale irait très bien si l'Etat ne la ponctionnait pas sans
cesse ; d'autre part, bien qu'en excédent, la sécurité sociale irait très
mal.
M. Charles Descours.
Ce n'est pas ce que j'ai dit !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Vous vous êtes plaint, monsieur le sénateur, du fait
que les excédents de la sécurité sociale soient agrégés, de même que les
excédents des collectivités locales, au déficit de l'Etat. C'est une règle de
présentation comptable qui est habituelle, que tous les pays pratiquent, et
c'est ainsi que nous présentons nos comptes à Bruxelles. Nous ne cachons rien,
puisque nous « décontractons », si je puis utiliser cette expression, chaque
élément du solde entre l'Etat, les collectivités locales et la sécurité
sociale.
S'agissant du financement des allégements de charges liés aux 35 heures, vous
avez dit beaucoup de choses. Je rappellerai tout d'abord qu'en 2000, sur les 70
milliards de francs d'allégements de charges qui auront été consentis, plus de
la moitié correspondent à ce que l'on appelle traditionnellement la « ristourne
Juppé ».
M. Charles Descours.
Sans oublier les allégements de la loi de Robien !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Absolument !
En 2000, les créations d'emploi liées aux 35 heures ont été de l'ordre de 150
000. Ce chiffre n'est pas d'une précision absolue, mais je pense que personne
ne s'engagerait à quelques unités près ; ce n'est qu'un ordre de grandeur.
Ces 150 000 emplois représentent environ 10 milliards de francs de cotisations
supplémentaires. C'est cela qu'il faut prendre en compte, sans balayer d'un
revers de main, comme j'ai cru que vous le faisiez, monsieur le sénateur, la
notion de retour. Car la baisse de la durée du travail et les allègements de
charges qui l'ont accompagnée ont créé des emplois, lesquels ont généré
eux-mêmes des ressources, qui sont revenues dans les caisses de la sécurité
sociale.
M. Charles Descours.
Ce n'est pas ce que le Gouvernement avait promis, c'est tout ce que je dis
!
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
L'Etat, joue tout son rôle puisque, d'ores et déjà, il
assure le financement des 35 heures à hauteur de 80 %
Je souhaite insister par ailleurs sur les allégements de charges sociales ; je
réponds ainsi, en quelque sorte, par anticipation à M. du Luart.
J'entends souvent que les 35 heures ont un coût élevé. Vous-même, monsieur du
Luart, avez dit que ce gouvernement avait accru les charges qui pèsent sur les
entreprises. Je me demande véritablement sur quoi reposent de tels propos !
Les 35 heures, ce sont des allégements de charges, plus précisément - disons
les choses comme elles sont - des allégements de cotisations patronales, qui,
par conséquent, bénéficient aux entreprises. Je ne vois donc pas comment ce
gouvernement pourrait être accusé d'accroître les charges sur les entreprises !
J'aimerais qu'au moins l'on reconnaisse que les 35 heures s'accompagnent d'une
politique d'allégement substantiel des charges au profit des entreprises.
M. Roland du Luart.
C'est le coût que je critique !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Dans ce cas, monsieur du Luart, il ne faut pas dire
que ce gouvernement accroît les charges qui pèsent sur les entreprises !
M. Oudin s'est interrogé sur l'augmentation des prélèvements sociaux. Il faut
faire attention à ne pas commettre de confusion, car, pour moitié ou à peu
près, cette augmentation provient d'un transfert de recettes des droits sur les
tabacs, qui ont été affectés par l'Etat à la sécurité sociale. Il s'agit donc,
en quelque sorte, d'une augmentation comptable. Pour le reste, effectivement,
la hausse des prélèvements sociaux par rapport à la richesse nationale provient
bien d'une augmentation de la masse salariale, qui est plus rapide que la
croissance du PIB : c'est la résultante des créations d'emplois que nous avons
enregistrées au cours de cette période.
Vous vous êtes également interrogé, monsieur le sénateur, sur le remboursement
de la dette sociale et sur le fonds de réserve pour les retraites.
L'apparition, depuis trois ans, d'excédents importants pour les régimes de
sécurité sociale signifie tout simplement que ces régimes accumulent des
réserves. En d'autres termes, leurs actifs nets s'améliorent. Par conséquent,
sur le plan économique, le fait d'avoir des actifs nets en accroissement est
équivalent à un remboursement de la dette.
(M. Jacques Oudin
s'exclame.)
Que cet excédent soit inscrit dans les comptes des régimes de sécurité sociale
ou au fonds de réserve pour les retraites est équivalent sur un plan
économique. Je conçois - et je partage ce point de vue - que vous préfériez
qu'il figure au fonds de réserve pour les retraites. C'est ce que nous sommes
en train de faire !
Par ailleurs, M. Oudin, avec d'autres orateurs, a déploré, dans un certain
nombre de domaines - il a cité la politique familiale et les transports - ce
qu'il a appelé l'irréalisme du Gouvernement, ce que je traduirai en disant que,
au fond, le Gouvernement ne dépense pas assez. Finalement, ce qui est assez
surprenant, c'est que, dans cette Haute Assemblée, on entend beaucoup d'appels
à dépenser plus.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Non !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
J'ai donc bien entendu cet appel à dépenser plus en
faveur des familles...
M. Jacques Oudin.
Pas à dépenser plus ! A dépenser mieux !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... et en faveur des transports, comme je l'avais
entendu en matière militaire. Mais je crois aussi - et ce n'est pas la Haute
Assemblée qui me contredira - qu'il est important de maîtriser la dépense
publique, et tout particulièrement celle de l'Etat. C'est ce que ce
Gouvernement s'efforce de faire, monsieur le rapporteur général ! Dans un
instant, j'aurai l'occasion de revenir sur la dette.
S'agissant des déficits publics, du déficit de l'Etat et de la dépense de
l'Etat, jusqu'à présent, nous nous sommes toujours efforcés de respecter les
objectifs que nous nous étions fixés.
Monsieur du Luart, vous m'avez en quelque sorte interpellée sur les hypothèses
économiques qui sous-tendent le rapport d'orientation budgétaire.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement, de manière officielle, ne prévoit pas
mensuellement la croissance. Nous avons deux rendez-vous dans l'année à
l'occasion desquels nous produisons un nouveau jeu d'hypothèses économiques,
notamment sur la croissance, qui nous permettent également de réviser nos
évaluations de recettes fiscales. Si nous n'avons pas procédé à cet exercice,
dont j'ai compris que vous auriez souhaité qu'il fût réalisé à l'occasion de ce
débat d'orientation budgétaire, c'est tout simplement parce que nous sommes
entre ces deux rendez-vous, le prochain se situant à la fin de l'été, comme
tous les ans. C'est la raison pour laquelle nous pourrons présenter un projet
de loi de finances qui sera fondé sur un nouveau jeu d'hypothèses que nous
souhaitons aussi proches de la réalité que possible.
Prendre le risque de refaire une prévision qui n'aurait pas été réalisée dans
des conditions de sérieux suffisantes et en tirer des conclusions sur ce que
devraient être nos recettes fiscales en 2001 eût été extrêmement hasardeux.
Cela étant, cet exercice, qui est nécessaire, aura lieu à bonne date,
c'est-à-dire à la fin de l'été prochain.
S'agissant des prévisions du FMI, je vous en donne acte, il s'agit d'une
erreur matérielle, la correction n'ayant pas pu être effectuée. Vous avez
l'oeil, monsieur du Luart, et je vous en félicite.
(Sourires.)
Sur le fond, monsieur du Luart, si nous avions pu rectifier le chiffre et
fournir la prévision du FMI de manière homogène, comme nous aurions sans doute
dû le faire, cela n'aurait rien changé au sens du tableau qui figure à la page
8 et le classement de la France par rapport aux autres pays n'aurait en rien
été modifié.
(M. du Luart s'étonne.)
J'ajoute que ce tableau a deux vocations : d'une part, fournir une indication
sur l'avenir et, d'autre part, donner une vision rétrospective de ce qu'a été
la croissance française depuis quatre ans par rapport à ses principaux voisins
ou compétiteurs, croissance dont je répète qu'elle a été non seulement solide
mais régulière et à haut niveau.
M. Joyandet a taxé de laxisme la politique budgétaire du Gouvernement. Je ne
rappellerai que deux données, en espérant ne pas être soumise à la vindicte de
M. le rapporteur général.
(Sourires.)
Sur toute la période allant de
1997 à 2002, la croissance moyenne des dépenses de l'Etat aura été de 1,8 % ;
de 1993 à 1997, cette croissance a été également de 1,8 %, mais par an ! Les
laxistes ne sont pas forcément ceux que vous dénoncez sans cesse, tout en
réclamant d'ailleurs, sans cesse également, avec d'autres, de nouvelles
dépenses.
S'agissant de la dette publique, monsieur le rapporteur général, je reprends
les chiffres que vous avez cités et qui sont extraits de l'édition de poche du
rapport sur les comptes de la nation : de 1980 à 1993, la dette publique est
passée de 21 % à 45,6 % du produit intérieur brut, soit, en effet, plus de 20
points ; de 1993 à 1997, elle est passée de 45,6 % à 59,3 % du PIB, soit près
de 14 points. Ce qui compte, c'est la durée respective des périodes considérées
: quatorze ans pour 24 points, d'un côté, et quatre ans pour 14 points, de
l'autre.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Les arrondis généreux !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le rapporteur général, nous avons eu, ici
même, de très longs débats sur la dette publique voilà moins d'une semaine.
Je crois avoir dit que je souscrivais pleinement à l'objectif consistant à
enrichir l'information du Parlement s'agissant de la dette publique. Nous
n'attendrons pas la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique qui, me
semble-t-il, est en bonne voie entre les deux assemblées, pour procéder à cette
amélioration. Nous le ferons dès le projet de budget pour 2002. Il faudra
effectivement attendre que la nouvelle loi organique entre en application pour
que le Parlement puisse se prononcer par un vote sur ce sujet extrêmement
important.
Quant à la « cagnotte », dont il a été question, mesdames, messieurs les
sénateurs, je souhaite apaiser vos craintes : il n'y aura pas, en 2002, de
nouvelle cagnotte !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Sur ce point, nous sommes parfaitement d'accord !
(Sourires.)
M. le président.
Je constate que le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n°
392 et distribuée.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quinze heures cinq,
sous la présidence de M. Christian Poncelet.)