SEANCE DU 20 JUIN 2001
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 43 rectifié, MM. Pelletier, Paul Girod, Joly, Mouly,
Demilly, Vallet et Guichard proposent :
I. - Dans l'intitulé du texte présenté par cet article pour le chapitre II du
titre V du livre VII du code rural, après les mots : "accidents du travail",
d'insérer les mots : "et de la vie privée".
II. - En conséquence, de procéder à la même insertion dans le texte présenté
par l'article 1er pour les articles L. 752-1, L. 752-3, L. 752-6, L. 752-7 et
L. 752-16 du code du rural.
Par amendement n° 95, MM. Vasselle, Murat, Cazalet, Flandre, Ostermann,
Leclerc, Hugot, Descours, Vial, François, César, Souvet, Eckenspieller, Doublet
et de Richemont proposent :
I. - Dans l'intitulé du texte présenté par l'article 1er pour le chapitre II
du titre V du livre VII du code rural, après les mots : "accidents du travail",
d'insérer les mots : "et de la vie privée".
II. - En conséquence, de procéder à la même insertion dans le texte présenté
par l'article 1er pour les articles L. 752-1, L. 752-3, L. 752-6, L. 752-7, L.
752-16 et L. 752-17-1 du code rural.
La parole est à M. Joly, pour défendre l'amendement n° 43 rectifié.
M. Bernard Joly.
Cet amendement vise à modifier le chapitre II du titre V du livre VII du code
rural et les articles L. 752-1, L. 752-3, L. 752-6, L. 752-7 et L. 752-16 du
code rural, afin de maintenir les accidents de la vie privée dans le champ de
l'AAEXA.
La distinction entre vie privée et vie professionnelle étant impossible pour
les exploitants agricoles, nous le savons, il n'est pas opportun de prévoir une
indemnisation différenciée.
Le maintien des accidents de la vie privée dans le champ de l'AAEXA permet une
meilleure indemnisation des assurés que celle qui est prévue dans le cadre de
l'assurance maladie des exploitants agricoles, l'AMEXA : prise en charge à 100
% des frais de soins au lieu de l'application d'un ticket modérateur, rentes
d'un montant supérieur servies de façon viagère et non jusqu'à la liquidation
de la retraite.
Ce maintien évite enfin une majoration à terme, pour les assurés, des
cotisations d'AMEXA, conséquence de l'augmentation des dépenses du régime
maladie, ainsi qu'une augmentation des charges publiques.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle, pour présenter l'amendement n° 95.
M. Alain Vasselle.
Cet amendement ayant le même objet, j'ajouterai seulement quelques éléments
pour plaider en faveur d'une telle disposition.
Comme l'ont très justement souligné MM. Paul Girod et Michel Souplet à
l'occasion de la discussion générale, il est difficile de faire une distinction
nette entre les activités liées à la vie privée et celles qui sont liées à la
vie professionnelle, en l'occurrence à l'agriculture. Plusieurs exemples
peuvent en faire foi.
M. Paul Girod a cité le cas d'un accident de la route survenu alors qu'un
agriculteur ou une agricultrice emmène ses enfants à l'école et en profite pour
acheter une pièce détachée pour un engin agricole.
Qu'en sera-t-il de l'accident survenu à l'exploitant qui scie du bois pour
chauffer son habitation ou débiter des piquets pour réaliser une clôture de
pâture ?
Lorsqu'un exploitant a un accident de la circulation en se rendant à une
foire, va-t-on considérer qu'il s'agissait d'un déplacement récréatif ou d'un
déplacement lié à son activité professionnelle ?
Qu'en sera-t-il pour un accident de chasse, activité destinée autant à se
distraire qu'à détruire les nuisibles s'attaquant aux récoltes de l'exploitant
?
Ces exemples, que l'on pourrait multiplier à l'infini, montrent bien qu'il est
difficile de faire la distinction. Or, monsieur le ministre - permettez-moi de
relever votre propos - vous avez dit que l'on ne pouvait pas mesurer le risque
de la même manière pour les salariés agricoles et pour les salariés non
agricoles.
Sa résidence étant située sur le site de son exploitation et l'agriculteur
commençant son activité très tôt le matin et la terminant très tard le soir,
ses activités privées et ses activités professionnelles sont intimement
liées.
Je ne vois donc pas pourquoi on ne joindrait pas les deux risques, d'autant
qu'un salarié est dans son entreprise de huit heures du matin jusqu'à dix-huit
heures le soir, y compris pendant le temps du déjeuner ou lorsqu'il se rend aux
toilettes, et que, d'après la jurisprudence, quand un accident se produit
pendant de telles coupures ou à l'occasion de ce type de déplacement, on entre
dans le champ de l'accident du travail. Pourquoi en irait-il différemment pour
les non-salariés agricoles ? Voilà pourquoi je considère qu'il faut adopter cet
amendement.
Quant à l'argument selon lequel cette distinction est nécessaire car,
actuellement, l'AMEXA ne mène pas d'action de prévention en faveur des
agriculteurs, je suis désolé de vous dire, monsieur le ministre, que ce que
vous proposez n'apportera rien de plus !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Bien sûr que si !
M. Alain Vasselle.
Prenons l'exemple de la société d'assurance mutuelle Groupama, que vous avez
citée, et qui représente les deux tiers du marché. Ce groupe consacre 30
millions de francs par an aux actions de prévention. S'il couvrait l'ensemble
de la profession, cela représenterait un fonds de 90 millions de francs. Vous
ne ferez pas plus dans le cadre de la MSA.
Quant à la prévention, je vous signale que la société Groupama mène des
actions liées aux maladies professionnelles, aux engins agricoles, notamment
pour ce qui concerne les arceaux de sécurité et les gaz d'échappement, à la
contention et la manipulation des animaux, au maniement des produits
phytosanitaires et, également, aux vêtements de sécurité.
Ne faisons donc pas de faux procès d'intention à l'égard des assurances
privées, qui mènent déjà des actions de prévention et pour des sommes très
importantes ! Il s'agit de faux arguments avancés pour demander la séparation
entre les activités liées à la vie privée et celles qui sont liées à l'activité
professionnelle.
Mes chers collègues, je vous demande par conséquent d'adopter l'amendement n°
95 ou l'amendement n° 43 rectifié.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
Ces deux amendements tendent à réintégrer les accidents de la
vie privée dans le champ de l'assurance accident. J'ai bien entendu les
arguments de nos collègues. Mais il convient de ne pas exagérer les
inconvénients résultant d'une séparation.
Le maintien des accidents de la vie privée dans le champ de l'assurance
accidents des exploitants agricoles permet incontestablement une meilleure
indemnisation que celle qui est prévue dans le cadre de l'assurance maladie, du
fait de l'existence d'un ticket modérateur. Toutefois, ce dernier ne s'applique
qu'aux soins légers.
Par ailleurs, certaines dépenses sont déjà prises en charge en assurance
maladie des exploitants agricoles alors qu'elles devraient relever de
l'assurance accident. Si elles n'atteignent pas le montant de 2 milliards de
francs, peut être imprudemment annoncé, elles représentent un montant non
négligeable, et ce transfert montre bien que la prise en charge assurance
maladie des exploitants agricoles n'est pas aussi pénalisante pour les
agriculteurs que ne le prétendent les auteurs de ces amendements.
Dans un sens inverse, le transfert des accidents de la vie privée en assurance
maladie des exploitants agricoles a été chiffré à environ 300 millions de
francs ; les deux types de transfert devraient ainsi au moins s'équilibrer.
L'existence de rentes inférieures à 24 000 francs annuels en assurance maladie
pose, de toute façon, un problème, indépendamment de la réforme de l'assurance
accident.
La situation des exploitants agricoles a changé depuis les années soixante :
il y a de plus en plus dissociation du domicile privé et du lieu de travail. Je
sais que cette réalité diffère, comme toujours, selon les régions et les
professions agricoles exercées. Il s'agit tout de même d'une tendance de fond,
pour au moins deux raisons majeures : premièrement, de plus en plus de femmes
d'agriculteurs travaillent en dehors de l'exploitation ; deuxièmement, la
pluriactivité est un phénomène croissant.
La distinction entre les accidents du travail et les accidents de la vie
privée sera, dans la plupart des cas, aisée à faire. Vous conviendrez avec moi
que la situation d'un exploitant agricole qui se brûle avec une machine à café
dans sa cuisine n'est pas celle d'un exploitant dont le tracteur se retourne !
En cas de doute, des dispositions sont prévues pour éviter que l'exploitant ne
soit pénalisé.
J'indique qu'un accident de la vie privée n'arrive pas tous les jours : ce
serait tous les dix-huit ans, si l'on en croit les statistiques disponibles
pour les assurés du régime général.
J'ajoute enfin que cette distinction existe dans tous les régimes de sécurité
sociale.
Je voudrais insister sur l'avantage décisif de la séparation des risques. Elle
permettra, comme pour les autres régimes de sécurité sociale, de mieux
connaître le risque accidents du travail et maladies professionnelles. Cette
meilleure connaissance du risque, qui fait aujourd'hui cruellement défaut, est
le seul moyen de développer une véritable politique de prévention, ce qui est
l'un des objectifs, affirmé, depuis de nombreuses années, objectif central de
la réforme.
Depuis trente-deux ans existe ce mélange entre accidents de la vie privée et
accidents du travail. A partir du moment où nous avons un consensus sur la
situation actuelle, peu satisfaisante, du régime d'assurance accidents, nous
devons prendre des décisions pour faire évoluer ce régime. Il est illusoire de
croire qu'il évoluera tout seul, puisqu'il ne l'a pas fait depuis trente-deux
ans.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Très bien !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
Pour cette raison, je souhaite vivement, parce que c'est un
point central du dispositif de cette proposition de loi, le retrait de ces deux
amendements.
J'indique par avance que les amendements n°s 2 et 3 permettront de préciser et
de simplifier les déclarations concernant les accidents de trajet, et ma
proposition est peut-être perfectible. J'insiste donc pour que ces amendements
soient retirés.
Dans le cas contraire, je serais obligé d'émettre un avis défavorable,
d'autant qu'ils constituent pour la commission des affaires sociales, qui s'est
prononcée à leur sujet par un vote, un point de rupture. Autant décider de
refuser dans son intégralité le texte en provenance de l'Assemblée nationale
!
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 43 rectifié et 95 ?
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
La position de M. le rapporteur
est celle de la sagesse, et il a parfaitement saisi l'essence même de la
réforme, qui impose en effet, si l'on veut être efficace, de faire la
distinction entre accidents de la vie privée et accidents du travail, pour les
raisons qu'il a exposées.
Selon M. Vasselle, il faut tenir compte de la spécificité de la situation des
agriculteurs. A l'appui de son argumentation, il a donné l'exemple de
l'agriculteur qui, le matin, dépose les enfants à l'école en allant acheter une
pièce pour son tracteur. Ne croyez-vous pas, monsieur Vasselle, que les
millions de salariés qui déposent leurs enfants en se rendant à leur travail
sont exactement dans la même situation ? Les assureurs tranchent, si
nécessaire, les tribunaux interviennent et une jurisprudence s'établit.
N'amplifions pas la spécificité des agriculteurs au-delà de ce qui est
raisonnable.
Je ne dis pas qu'il n'y aura pas de problème. Il faudra du temps, sans doute,
avant que la frontière soit délimitée et que la jurisprudence s'éclaircisse,
mais c'est le lot de tous les projets de ce type !
Je suis donc défavorable à ces amendements et je souhaite, moi aussi, qu'ils
soient retirés.
M. le président.
Monsieur Joly, l'amendement n° 43 rectifié est-il maintenu ?
M. Bernard Joly.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 43 rectifié est retiré.
Monsieur Vasselle, l'amendement n° 95 est-il maintenu ?
M. Alain Vasselle.
J'ai bien entendu les arguments développés par notre rapporteur et par M. le
ministre sur ces amendements. Permettez-moi de relever dans leurs
argumentations deux ou trois points.
D'abord M. le ministre a touché du doigt un point sensible, puisqu'il
reconnaît lui-même que nous risquons d'aller vers des contentieux qui, à mon
avis, ne seront pas négligeables du fait de la nouvelle situation dans laquelle
nous allons nous trouver.
Ensuite, je me permets d'insister sur la nature des risques dont on a déjà
parlé dans la discussion générale. Les risques auxquels sont confrontés les
non-salariés agricoles n'ont rien à voir avec ceux auxquels sont confrontés les
salariés agricoles ou les salariés d'une autre entreprise ! Ils sont d'une
nature très différente. En effet, les exploitants agricoles sont beaucoup plus
exposés, de par leur activité, que les salariés agricoles eux-mêmes, d'autant
que leurs activités privées et professionnelles sont étroitement liées.
Je regrette, monsieur le ministre, que les reproches qui vous ont été faits
tant par M. le rapporteur que par un certain nombre de membres de la Haute
Assemblée n'aient pas été pris en compte en amont. Si vous aviez en effet
procédé à des simulations de ce qu'aurait représenté à terme ces risques, cela
nous aurait donné une idée du montant, à terme, des cotisations.
Je crains que ce transfert ne se traduise inévitablement pour les exploitants
agricoles par une augmentation très importante des cotisations qui viendront de
la MSA et de l'AMEXA. Vous n'y échapperez pas. Si l'on arrivait au même
résultat, cela voudrait dire que le risque des agriculteurs est identique à
celui des salariés agricoles, et chacun sait que ce n'est pas le cas.
Enfin, je terminerai mon argumentation par la séparation qui doit être faite,
quant au risque, entre la vie privée et la vie professionnelle.
M. le rapporteur nous dit que cette distinction va permettre de mieux
déterminer ce qui est du ressort de la maladie professionnelle, d'une part, des
accidents du travail, d'autre part. Permettez-moi d'en douter : je ne suis pas
persuadé que nous arrivions à ce résultat, surtout, monsieur le rapporteur,
lorsque vous faites valoir comme argument qu'un accident dans la vie privée ne
se produit qu'une fois tous les dix-huit ans.
En fait, ce serait un élément supplémentaire en faveur de cet amendement.
Au demeurant, j'ai bien entendu que M. le rapporteur souhaite demeurer dans
l'économie générale du texte qu'il a élaboré. Je suis donc prêt, au nom de mes
collègues cosignataires, à retirer cet amendement, mais nous attendons avec
impatience de voir ce que donnera la deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Nous nous réservons la possibilité de revenir à la charge si besoin est, et
j'encourage M. le rapporteur et M. le ministre à procéder à une approche
beaucoup plus fine des conséquences de ce choix en termes de cotisations.
M. le président.
L'amendement n° 95 est retiré.
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
Je remercie mes deux collègues d'avoir retiré leurs
amendements, car il s'agissait vraiment d'un point central. A l'occasion de
l'examen des autres amendements, je pense que je pourrai confirmer la cohérence
du dispositif présenté par la commission.
ARTICLE L. 752-1 DU CODE RURAL