SEANCE DU 21 JUIN 2001


M. le président. « Art. 3. - Après l'article 767-2 du même code, il est inséré un paragraphe 2 ainsi rédigé :
« 2. - Du droit au logement et du mobilier le garnissant.
« Art. 767-3 . - Si, à l'époque du décès, le conjoint survivant non divorcé et contre lequel n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée occupe effectivement à titre d'habitation principale un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, il a, pendant une année, la jouissance gratuite de ce logement et du mobilier qui le garnit, compris dans la succession.
« Si son habitation était assurée au moyen d'un bail à loyer, les loyers lui en seront remboursés par la succession pendant l'année, au fur et à mesure de leur acquittement.
« Les droits prévus au présent article sont réputés effets directs du mariage et non droits successoraux.
« Le présent article est d'ordre public.
« Art. 767-4 . - Sauf volonté contraire du défunt exprimée dans les conditions de l'article 971, le conjoint qui occupait effectivement, à l'époque du décès, à titre d'habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, a sur ce logement, jusqu'à son décès, un droit d'habitation et un droit d'usage sur le mobilier le garnissant, compris dans la succession.
« Ces droits d'habitation et d'usage s'exercent dans les conditions prévues aux articles 627, 631, 634 et 635.
« Le conjoint successible, les autres héritiers ou l'un d'eux peuvent exiger qu'il soit dressé un inventaire des meubles et un état de l'immeuble soumis aux droits d'usage et d'habitation.
« Par dérogation aux articles 631 et 634, le conjoint survivant peut donner à bail à usage exclusif d'habitation le logement sur lequel il dispose d'un droit d'habitation lorsque l'évolution de son état de santé ne lui permet plus de rester dans les lieux et justifie son hébergement dans un établissement spécialisé.
« Art. 767-5 . - La valeur des droits d'habitation et d'usage s'impute sur la valeur des droits successoraux recueillis par le conjoint.
« Si la valeur des droits d'habitation et d'usage est inférieure à celle de ses droits successoraux, le conjoint peut prendre le complément sur la succession.
« Si la valeur des droits d'habitation et d'usage est supérieure à celle de ses droits successoraux, le conjoint n'est pas tenu de récompenser la succession à raison de l'excédent.
« Art. 767-6 . - Le conjoint successible dispose d'un an à partir du décès pour manifester sa volonté de bénéficier de ces droits d'habitation et d'usage.
« Art. 767-7 . - Le conjoint successible et les héritiers peuvent, d'un commun accord, convertir les droits d'habitation et d'usage en une rente viagère ou en un capital.
« Art. 767-8 . - Lorsque le logement faisait l'objet d'un bail à loyer, le conjoint survivant qui, à l'époque du décès, occupait effectivement les lieux à titre d'habitation principale bénéficie du droit d'usage sur le mobilier le garnissant, compris dans la succession. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 5, M. About, au nom de la commission, propose de rédiger ainsi cet article :
« Les dispositions des articles 763 à 766 du code civil sont remplacées par les dispositions suivantes :

« Paragraphe 3
« Du droit au logement temporaire
et du droit viager au logement

« Art. 763. - Si, à l'époque du décès, le conjoint occupe effectivement, à titre d'habitation principale, un logement dépendant en tout ou partie de la succession, il a de plein droit, pendant une année, la jouissance gratuite de ce logement, ainsi que du mobilier, compris dans la succession, qui le garnit.
« Si son habitation était assurée au moyen d'un bail à loyer, les loyers lui en seront remboursés par la succession pendant l'année, au fur et à mesure de leur acquittement.
« Les droits prévus au présent article sont réputés effets directs du mariage et non droits successoraux.
« Le présent article est d'ordre public.
« Art. 764. - Le conjoint qui occupait effectivement, à l'époque du décès, à titre d'habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, a sur ce logement, jusqu'à son décès, un droit d'habitation et un droit d'usage sur le mobilier, compris dans la succession, le garnissant.
« Ces droits d'habitation et d'usage s'exercent dans les conditions prévues aux articles 627, 631, 634 et 635.
« Le conjoint, les autres héritiers ou l'un d'eux peuvent exiger qu'il soit dressé un inventaire des meubles et un état de l'immeuble soumis aux droits d'usage et d'habitation ».
« Par dérogation aux articles 631 et 634, lorsque l'état du conjoint fait que le logement grevé du droit d'habitation n'est plus adapté à ses besoins, le conjoint ou son représentant peut le louer à usage exclusif d'habitation afin de dégager les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d'hébergement.
« Art. 765 . - Le défunt peut prévoir que les droits d'habitation et d'usage visés à l'article précédent porteront sur un logement de son choix adapté aux besoins du conjoint.
« Art. 765-1 . - La valeur des droits d'habitation et d'usage s'impute sur la valeur des droits successoraux recueillis par le conjoint.
« Si la valeur des droits d'habitation et d'usage est inférieure à celle de ses droits successoraux, le conjoint peut prendre le complément sur les biens existants.
« Si la valeur des droits d'habitation et d'usage est supérieure à celle de ses droits successoraux, le conjoint n'est pas tenu de récompenser la succession à raison de l'excédent, sauf si l'importance du logement dépasse de manière manifestement excessive ses besoins effectifs.
« Art. 765-2 . - Le conjoint dispose d'un an à partir du décès pour manifester sa volonté de bénéficier de ces droits d'habitation et d'usage.
« Art. 765-3 . - Lorsque le logement faisait l'objet d'un bail à loyer, le droit au bail, réputé appartenir aux deux époux selon l'article 1751, est attribué au conjoint survivant s'il en fait la demande, à l'exclusion de tous autres éventuels ayants droit.
« Art. 765-4 . - Lorsque le logement faisait l'objet d'un bail à loyer, le conjoint qui, à l'époque du décès occupait effectivement les lieux à titre d'habitation principale, bénéficie du droit d'usage sur le mobilier, compris dans la succession, le garnissant.
« Art. 765-5 . - Le conjoint successible et les héritiers peuvent, par convention, convertir les droits d'habitation et d'usage en une rente viagère ou en un capital.
« S'il est parmi les successibles parties à la convention un mineur ou un majeur protégé, la convention doit être autorisée par le juge des tutelles.
« Art. 766 . - Lorsque le conjoint a, durant le mariage, manqué gravement à ses devoirs envers le défunt, le juge pourra, à la demande de l'un des héritiers, exonérer la succession de la charge du droit d'habitation et d'usage. »
Cet amendement est affecté d'un sous-amendement n° 60, présenté par MM. Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à compléter le troisième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 5 pour l'article 765-1 du code civil par les mots : « et sauf à l'égard des enfants propres au de cujus ».
Par amendement n° 53, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit le premier alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article 767-4 du code civil :
« Le conjoint qui occupait effectivement, à l'époque du décès, à titre d'habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession a, sur ce logement, jusqu'à son décès, un droit d'habitation et un droit d'usage sur le mobilier le garnissant, compris dans la succession. »
Par amendement n° 59, MM. Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le troisième alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article 767-5 du code civil par les mots suivants : « sauf à l'égard des enfants propres au de cujus ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 5.
M. Nicolas About, rapporteur. Il s'agit du droit au logement temporaire et du droit viager au logement.
Cet amendement reprend, sous des numéros d'articles du code civil différents, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale.
Sur le fond, quelques modifications sont apportées. Ainsi, le défunt ne pourrait pas priver son conjoint de son droit d'habitation ; il pourrait cependant aménager ce droit dans un autre local que celui dans lequel le conjoint avait sa résidence principale à l'époque du décès. Les conditions dans lesquelles le conjoint pourrait louer le logement seraient assouplies.
Bien sûr, est visé non plus uniquement l'hébergement dans un centre spécialisé mais, d'une manière générale, l'état du conjoint faisant que le logement ne répond plus à ses besoins et l'oblige à financer de nouvelles conditions d'hébergement.
Par ailleurs, le conjoint devrait récompenser la succession si, par son importance, le logement dépassait de manière manifestement excessive ses besoins effectifs.
De plus, s'il existe, parmi les successibles, un mineur ou un majeur protégé, la convention de conversion du droit d'habitation en rente ou en capital devrait être autorisée par le juge des tutelles.
Un article est introduit pour préciser que le bail du logement qui servait de domicile aux deux époux et dont ils sont cotitulaires en application de l'article 1751 du code civil serait attribué de plein droit de manière exclusive au conjoint survivant.
Enfin, un autre article est ajouté pour prévoir une clause d'ingratitude exonérant la succession de la charge du droit d'habitation si le conjoint a gravement manqué à ses devoirs envers le défunt.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour présenter le sous-amendement n° 60.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je souhaite tout d'abord rectifier ce sous-amendement afin de supprimer la conjonction « et ».
M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 60 rectifié, présenté par MM. Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à compléter le dernier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 5 pour l'article 765-1 du code civil par les mots : « sauf à l'égard des enfants propres au de cujus ».
Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le système proposé par l'Assemblée nationale avait sa logique, à savoir ne pas faire de différence entre les enfants selon qu'ils sont communs ou, au contraire, nés d'un premier lit, dans la mesure où le de cujus garde la possibilité de prendre des dispositions contraires.
En revanche, la disposition qui nous est proposée par la commission des lois tend à empêcher le de cujus de refuser l'existence d'un droit d'usage et d'habitation, mais lui permet de prévoir qu'il soit différent de celui qui est prévu par la loi. En somme, on « serre les boulons », mais d'une manière contraire à la liberté du testateur de disposer de ses propres biens, sauf réserve - pour ma part, je ne verrais aucun inconvénient à prévoir une réserve pour le conjoint survivant.
On est bien obligé, en l'espèce, de faire la différence, car, s'il est tout à fait normal que les enfants communs laissent leur auteur survivant dans l'appartement commun, avec disposition et usufruit de l'ensemble des meubles, en revanche, s'il existe des enfants d'un premier lit, le moins que l'on puisse demander est que, dans la mesure où la valeur de ce droit d'usage et d'habitation dépasse le montant de la part du conjoint survivant, ce dernier paie une récompense aux enfants du premier lit. Voilà très exactement ce que nous proposons.
On me rétorquera que M. le rapporteur a fait un effort en ce sens en proposant une récompense lorsque « l'importance du logement dépasse de manière manifestement excessive ses besoins effectifs ».
J'émets deux critiques sur cette proposition.
Premièrement, cette formule est tellement vague et floue qu'il faudra sans doute avoir recours à la justice pour savoir s'il y a dépassement ou non des besoins effectifs.
Deuxièmement, on fait ainsi une différence parfaitement anticonstitutionnelle entre des enfants qui sont très exactement dans la même situation en fonction des besoins du conjoint survivant, ce qui ne me paraît pas possible non plus.
M. le président. La parole est à Mme Borvo, pour défendre l'amendement n° 53.
Mme Nicole Borvo. Je ne serais pas opposée au sous-amendement s'il affectait notre propre amendement ! (Sourires.)
Avec cet amendement n° 53, nous proposons de rendre intangible le droit au logement dans l'habitation commune des époux.
Dès lors que l'on n'opte pas pour l'usufruit du conjoint sur la totalité des biens, ce droit à l'habitation dans la résidence des époux, assorti du droit d'usage sur le mobilier, apparaît, seul susceptible d'assurer la protection du conjoint survivant.
Il apparaît d'autant plus essentiel que l'on doit tenir compte de deux données sociologiques : l'âge moyen des veufs et veuves, dont la moitié a plus de soixante-quinze ans, d'une part ; la composition du patrimoine, en majeure partie constitué du logement principal, d'autre part.
Aussi, il nous semble qu'il faut garantir la réalité de ce droit en ne le faisant pas dépendre de la volonté discrétionnaire du conjoint prédécédé. Comme le souligne le professeur Catala, celle-ci « dénature la finalité majeure de la réforme, qui est d'assurer, dans tous les cas, un toit jusqu'à sa mort et une subsistance ».
Cette solution semble d'ailleurs en partie contradictoire avec la disposition adoptée parallèlement, qui prévoit la transmission automatique du bail d'habitation au conjoint survivant.
La commission des lois nous propose une rédaction transactionnelle, qui laisse au défunt la possibilité de faire désigner un logement d'habitation pour le conjoint survivant qui soit autre que le logement commun. Cette disposition serait de nature à préserver la liberté testamentaire.
Pour notre part, cette rédaction ne nous semble ni logique ni cohérente. D'une part, en instituant une possibilité d'aménagement, on altère la portée du principe posé. D'autre part, cette disposition est en contradiction avec le fondement de ce droit au logement, prolongement des effets du mariage et destiné à préserver le cadre de vie habituel du conjoint, et donc son attachement affectif à son logement.
Voilà pourquoi nous ne sommes pas favorables à la rédaction de la commission des lois.
Nous nous sommes également interrogés sur la question du reversement dans la succession lorsque le droit d'habitation dépasse de façon manifeste les besoins du conjoint survivant.
Cette disposition risque d'être source de contentieux. Qu'est-ce que les « besoins effectifs » du conjoint ? Faut-il croiser cette notion avec la consistance de la succession ?
Par surcroît, elle risque, là encore, de priver le droit au logement de son sens : dans les successions consistantes, il y a fort à parier que la situation sera réglée à l'avance, comme nous l'avons dit et redit ; en revanche, dans le cas d'un bien d'habitation de valeur moyenne ou faible, elle risque de déposséder le conjoint survivant de son logement sans garantie de relogement décent ou équivalent.
Aussi estimons-nous que, dans le système imaginé par l'Assemblée nationale, la liberté testamentaire doit céder le pas sur le droit au logement du conjoint survivant.
C'est la raison pour laquelle nous demandons au Sénat, sans grand espoir, de bien vouloir adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 59.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement a le même objet que le sous-amendement n° 60 rectifié, étant entendu qu'il se rattache non pas à l'amendement de la commission mais au texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 60 rectifié et sur les amendements n°s 53 et 59 ?
M. Nicolas About, rapporteur. En ce qui concerne le sous-amendement n° 60 rectifié, nous considérons que les craintes de M. Dreyfus-Schmidt devraient être levées par les dispositions proposées par la commission.
Nous avons en effet prévu, dans le cas où le maintien dans les lieux du conjoint survivant n'est pas souhaité, que le prédécédé puisse, par voie testamentaire, lui attribuer un autre logement, ce qui le mettrait à l'abri sans priver les autres héritiers des biens familiaux.
Il faut savoir, par ailleurs, que, le droit d'usage étant très souvent extrêmement faible en valeur, cela ne créera pas de difficultés particulières.
Au surplus, le fait qu'un bien soit occupé n'empêche pas de le vendre, même avec un droit d'usage.
Très honnêtement, je considère donc que ce problème est réglé et qu'il convient de repousser le sous-amendement n° 60 rectifié.
S'agissant de l'amendement n° 53, la commission en demande le retrait, faute de quoi elle en demandera le rejet.
Enfin, sur l'amendement n° 59, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 5, le sous-amendement n° 60 rectifié et les amendements n°s 53 et 59 ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. J'adhère à la technique proposée par l'Assemblée nationale en matière de droit au logement au bénéfice du conjoint survivant, je l'ai déjà dit. La commission des lois du Sénat entend lui apporter des aménagements qui ne peuvent emporter mon adhésion.
L'amendement n° 5 risque en effet de multiplier les occasions de contentieux, au risque d'envenimer la situation entre héritiers, qui déjà n'est souvent pas très simple.
Par ailleurs, la possibilité pour le défunt de choisir un autre logement que celui qu'occupe son conjoint au jour du décès pour l'exercice du droit d'habitation est délicate, cette disposition étant contradictoire avec les fondements logiques du droit d'habitation, qui est d'éviter au conjoint d'avoir à quitter son logement au moment du décès.
Enfin, l'amendement entend conférer au droit au logement le caractère d'une quasi-réserve tout en ouvrant largement au défunt la possibilité de modifier la consistance de ce droit. Je préfère, pour ma part, reconnaître une vraie liberté testamentaire.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 60 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est évident que nous sommes parfaitement d'accord avec ce que vient de dire Mme le garde des sceaux : nous préférons, nous aussi, de beaucoup la liberté testamentaire prévue par l'Assemblée nationale.
Mais, pour le cas où, par impossible, l'amendement du rapporteur serait adopté non seulement au Sénat mais également à l'Assemblée nationale, notre devoir est d'essayer de le corriger, d'où le dépôt de notre sous-amendement, sur lequel, madame la ministre, vous ne vous êtes pas prononcée.
M. le rapporteur nous adresse des reproches que je ne comprends pas. Il dit que le problème ne se posera pas souvent, qu'il faudra que la femme soit très jeune. Soit, mais cela dépendra aussi, bien entendu, de l'importance du logement.
Il évoque toutefois le cas où il pourrait y avoir droit à récompense, lorsque le logement est manifestement démesuré par rapport aux besoins du conjoint survivant.
Cette solution me semble quelque peu floue. Ensuite, elle opère une distinction anticonstitutionnelle entre les enfants du premier lit et les autres puisque cette distinction tiendrait non pas à leur situation, qui est la même, mais à celle du conjoint.
Nous vous proposons donc une autre formule, qui devrait vous paraître préférable à vous aussi et qui consiste à dire qu'il y a récompense à l'égard des enfants propres au de cujus.
Je ne comprends pas bien vos critiques, monsieur le rapporteur, je ne comprends pas, surtout, que vous ne compreniez pas les miennes, qui sont d'ailleurs également celles de Mme Borvo.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Au travers du débat qui s'est ouvert sur ces amendements, nous voyons bien qu'il existe une contradiction entre mariage et lignage.
En réalité, ceux que défend M. Dreyfus-Schmidt, ce sont les enfants du de cujus qu'il n'a pas eus avec l'épouse survivante... ou avec l'époux survivant. Il ne faut, en effet, pas oublier qu'il n'y a pas que des veuves, qu'il y a aussi parfois quelques veufs. (Sourires.)
Alors que le texte de M. le rapporteur est équilibré, avec le sous-amendement proposé, il ne le serait plus. Cela montre bien la contradiction entre le travail de l'Assemblée nationale et celui du Sénat.
Cela m'inquiète d'autant plus - mais j'aurais dû poser la question tout à l'heure - que je me demande si le texte proposé par l'Assemblée nationale n'est pas dirigé contre le mariage et s'il ne risque pas de décourager certains de se marier.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Celui du Sénat aussi !
M. Patrice Gélard. Mettons-nous dans la peau des Français, pas des 5 % ou 6 % qui ont des fortunes colossales et qui savent prévoir en matière de succession, dans celle de l'immense majorité de nos concitoyens.
D'abord, il ne faut pas oublier qu'un très grand nombre de nos concitoyens ne font jamais de testament. Ils font une donation au dernier vivant - c'est le cas de 80 % d'entre eux - donation qui peut d'ailleurs être retirée à tout moment.
Mais le testament, c'est quelque chose que l'on n'aime pas, surtout dans ma province, qu'évoquait tout à l'heure M. Hyest. On n'aime pas tester, parce que tester, c'est un peu comme recevoir les derniers sacrements. (Rires.) On n'aime pas cela, et donc un grand nombre de gens ne testent pas.
Or le montant de la plupart des successions en France ne dépasse pas 1 million de francs et correspond à l'épargne d'une vie.
Je me permettrai d'ailleurs d'ouvrir tout de suite une parenthèse en m'adressant à Mme la ministre : l'Etat, en matière de succession, est un voleur ! (Mme le garde des sceaux s'exclame.)
Je le précise, car, si nous transposions les taux de succession applicables en 1945, la part totalement exonérée en matière de succession serait, à l'heure actuelle, non pas de 300 000 francs, mais de 1,5 million de francs. Tous les gouvernements sont coupables dans ce domaine, car jamais nous n'avons réévalué en fonction du coût de la vie la part non imposable des successions. C'est un vrai problème qu'il faut soulever ici et qui se posera s'agissant du conjoint survivant.
Telles sont les quelques remarques que je voulais formuler. En conséquence, je me rallie, bien sûr, pleinement à la position de M. le rapporteur.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Je ne suis pas sûr que le texte de la commission soit le meilleur possible, pour la bonne raison qu'aucun texte ne peut tout prévoir.
Pour le même motif, je suis encore moins sûr qu'il soit le moins bon possible, d'où une certaine perplexité, que Mme le garde des sceaux a voulu lever en se disant finalement partisane de la liberté testamentaire.
Je suis d'accord avec elle, mais à la condition - je frappe sur le même clou que tout à l'heure - que la liberté testamentaire s'exerce vraiment.
A cet égard, j'ai été quelque peu stupéfait d'entendre une ministre appartenant à un gouvernement de gauche se satisfaire de ce que, là où il y a de l'argent, il y ait toujours un testament et, par conséquent, pas de problème. Là où il y a moins d'argent, voire un peu seulement, le problème peut être aussi crucial, voire davantage.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je me suis sûrement très mal exprimée, monsieur le sénateur ! Je pense en effet que notre rôle est de protéger les petites successions, en particulier les conjoints qui seraient dans des situations difficiles s'il fallait partager le logement ou quelques petits biens. Nous sommes donc bien dans la même épure.
Ceux qui possèdent beaucoup de biens propres ont généralement pris leurs dispositions avec leur notaire. Mon objectif, c'est de protéger ceux qui n'ont presque rien.
M. Nicolas About, rapporteur. Le nôtre aussi !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 60 rectifié.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé et les amendements n°s 53 et 59 n'ont plus d'objet.

Article 3 bis