SEANCE DU 28 JUIN 2001
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à la santé.
Récemment, les Pays-Bas ont définitivement adopté une loi légalisant, sous
conditions, l'euthanasie. Le Sénat belge, quant à lui, travaille à une
proposition de loi qui va dans le même sens. Ces évolutions législatives
intervenues dans des pays voisins et l'évolution même de l'opinion publique
française sur cette question mériteraient que le tabou de l'euthanasie soit
levé.
La presse s'est fait l'écho de la journée d'étude qui s'est tenue sur ce thème
au début du mois de juin dans votre ministère avec des représentants des
différentes professions soignantes, des associations et des spécialistes de
bioéthique. Cet été, vous avez prévu de vous rendre aux Pays-Bas pour y étudier
les principes d'application de l'euthanasie.
En France, l'application stricte de la loi amène à qualifier l'euthanasie
d'homicide volontaire, d'assassinat ou de non-assistance à personne en
danger.
Or, l'euthanasie se pratique dans de nombreux établissements de soins après
une décision parfois collégiale, mais assez souvent solitaire, toujours dans le
non-dit et dans le non-droit, même si la volonté du patient a pu être nettement
exprimée préalablement auprès, soit de la famille, soit des médecins.
En 1998, le Comité consultatif national d'éthique, tout en refusant la
dépénalisation, a reconnu qu'il n'est jamais sain pour une société de vivre un
décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue. Il
s'est prononcé pour une sorte d'exception d'euthanasie qui pourrait être prévue
par la loi et qui permettrait d'apprécier tant les circonstances
exceptionnelles pouvant conduire à des arrêts de vie que les conditions de leur
réalisation.
Le Parlement est prêt à engager ce débat. Une proposition de loi de notre
collègue M. Pierre Biarnès a été déposée depuis longtemps au Sénat.
Depuis de nombreuses années également, l'Association pour le droit de mourir
dans la dignité se bat pour la dépénalisation de l'euthanasie parce que, comme
l'affirme son président Henri Caillavet, une fin de vie digne est un droit
absolu qui, exprimé en toute volonté, consacre une liberté fondamentale : le
droit de disposer de sa vie.
Les Français sont également prêts à avoir ce débat. Ces dernières années,
plusieurs enquêtes ont montré qu'une majorité de nos concitoyens se
prononçaient en faveur du droit à mourir dans la dignité. Il est donc grand
temps que l'euthanasie sorte de la clandestinité.
Le Gouvernement est-il prêt à inscrire un tel débat à l'ordre du jour du
Parlement ?
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Monsieur le sénateur, l'euthanasie - mais je
déteste ce mot ! - est déjà sortie de la clandestinité. J'en veux pour preuve
le fait que vous en parlez et que nous en débattons.
Sur ce problème dont il n'est pas simple de débattre, le Sénat a apporté une
réponse partielle en votant, en avril 1999, un texte sur l'amélioration de la
prise en charge des soins palliatifs, prise en charge de cette mort qui nous
attend tous, dans des conditions différentes.
M. Jacques Machet.
C'est vrai !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Des équipes ont été créées, d'autres vont l'être. Cent
équipes nouvelles...
M. Jean Chérioux.
Il serait temps !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
S'il est temps, il fallait le faire plus tôt !
Il s'agit d'un sujet grave, de grâce, ne polémiquez pas à ce propos, monsieur
le sénateur !
Je crois que nous pouvons certes faire mieux, mais pas dans la précipitation.
Il est vrai que les expériences hollandaise, belge et suisse montrent une
partie de la voie.
Si je crois que, dans 95 %, voire dans 98 % des cas, le problème peut être
résolu grâce aux soins palliatifs, j'ai également conscience qu'il faut faire
beaucoup plus.
La journée que vous avez mentionnée, qui a réuni les représentants de toutes
les religions - de Mgr Lustiger au Dr Boubakeur, tout le monde était là -, des
philosophes et, surtout, des spécialistes de cette fin de vie que sont les
réanimateurs - pédiatriques ou adultes - a illustré la complexité du problème.
Pour le moment, à les écouter, le moins que l'on puisse dire, c'est que la
dépénalisation est en question.
Mais que faire ? Il y a des euthanasies dites « actives » et des euthanasies
dites « passives ».
Lorsqu'un homme ou une femme en fin de vie est sous assistance respiratoire,
oui, à un moment donné, les équipes - mais c'est toujours une réflexion qui,
comme toute réflexion médicale, est, hélas ! un peu solitaire - accomplissent
parfois - souvent, si l'on en croit les statistiques - ce geste. Il nous faudra
donc certainement y réfléchir.
Et puis il y a le geste, beaucoup plus grave, de mettre fin à une vie parce
que, dans sa lucidité, un homme ou une femme nous l'aura demandé. On appelle
cela aussi « le testament de vie ». Il est très difficile d'y réfléchir quand
on est malade, et il est très facile d'y réfléchir quand on est bien
portant.
Tels sont les problèmes qui se posent, avec certainement beaucoup d'acuité
mais que nous devons aborder avec une grande dignité. Une réunion vous sera
proposée. Des textes vous seront transmis dans quelques semaines.
Je ne veux pas agir dans la précipitation mais je sais qu'il faudra nous
pencher sur le problème. Le Gouvernement vous fera une proposition. Laquelle ?
Honnêtement, je ne le sais pas.
L'exemple hollandais est un exemple parmi d'autres, il n'est pas forcément à
suivre, car il traite les choses
a posteriori.
Est-ce la solution ? En
tout cas, si nous en venons à légiférer, je suis d'accord avec Robert Badinter
sur le fait qu'il faudra plutôt rassurer les malades qui, en entrant à
l'hôpital, ne doivent pas craindre qu'on leur vole leur mort.
(Très bien !
et applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président.
Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse qui a été écoutée avec
toute l'attention qu'elle méritait.
Comme vous le savez, le Sénat, en matière de soins palliatifs, a fait des
propositions, sur l'initiative de M. Neuwirth, propositions qui ont été prises
en considération par le Gouvernement. Une excellente coopération a ainsi été
enregistrée sur un sujet particulièrement délicat.
Mes chers collègues, ainsi s'achève la dernière séance de questions au
Gouvernement de cette session. Au nom du Sénat, je tiens à vous remercier pour
la qualité et la pertinence des questions que vous avez posées aux différents
ministres. Cet exercice, qui s'est déroulé régulièrement au cours des neuf mois
de cette session, est, je vous le rappelle, un moment extrêmement important de
notre vie démocratique, car il participe de l'indispensable contrôle que le
Parlement doit exercer sur l'action du Gouvernement.
Je remercie M. le Premier ministre et les membres du Gouvernement de s'être
prêtés à ce dialogue républicain entre le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif.
A ceux qui vont prendre quelques jours de repos, je souhaite d'agréables et
enrichissantes vacances.
Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures dix, sous la
présidence de M. Jean Faure.)