SEANCE DU 10 OCTOBRE 2001
SÉANCE EXCEPTIONNELLE
SUR LA SITUATION CONSÉCUTIVE
AUX ATTENTATS
PERPÉTRÉS LE 11 SEPTEMBRE 2001
AUX ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
M. le président.
L'ordre du jour appelle la séance exceptionnelle sur la situation consécutive
aux attentats perpétrés le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis d'Amérique.
J'indique d'emblée au Sénat que cette séance est organisée de la manière
suivante : M. le Premier ministre va intervenir, puis M. le président de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées prendra
la parole. Leur succéderont les différents orateurs de chacun des groupes
composant notre assemblée. Enfin, M. le Premier ministre répondra aux
intervenants.
Cette organisation a été conçue avec l'accord de tous les présidents des
groupes de notre assemblée.
Monsieur le Premier ministre, au nom du Sénat tout entier, je vous remercie
vivement d'avoir accepté de venir devant nous, en ce moment de forte tension
internationale.
Je salue également la présence au banc du Gouvernement de MM. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et
Alain Richard, ministre de la défense.
Monsieur le Premier ministre, j'ai eu avec vous des contacts directs grâce
auxquels nous avons pu organiser cette séance exceptionnelle.
Le débat que nous allons avoir doit permettre au Sénat de disposer
d'informations claires et aussi précises que possible. Chaque groupe pourra,
bien évidemment, exprimer son point de vue.
En vous donnant la parole, je tiens à vous remercier encore une fois, monsieur
le Premier ministre, d'être venu devant le Sénat.
(Applaudissements sur les
travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union
centriste.)
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Monsieur le président du Sénat, mesdames les
sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais vous dire le plaisir que j'ai
à venir devant vous.
Je tiens, d'abord, à féliciter les sénatrices et les sénateurs qui ont été
réélus, puisque j'interviens aujourd'hui après le renouvellement partiel du
Sénat, et à saluer naturellement les nouveaux sénateurs et, parmi eux, les
nouvelles sénatrices.
Je félicite, de même, M. Christian Poncelet pour sa réélection à la présidence
de votre Haute Assemblée.
Les ministres qui m'accompagnent et moi-même avons tenu à venir en personne
répondre à vos questions, participer à un débat sur la situation créée par les
attentats du 11 septembre et examiner avec vous l'attitude de la France.
Nous en avons parlé effectivement avec le président du Sénat qui, après avoir
consulté les différents groupes, a considéré que la séance telle qu'elle est
organisée cet après-midi était la formule qui vous convenait le mieux : une
intervention relativement brève de ma part, suivie de celle du président de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. de
Villepin, que je salue, précéderont les exposés et les questions des orateurs
des groupes, auxquels je répondrai moi-même. Je me prête volontiers à cette
organisation.
Pour ne pas reprendre les propos déjà tenus devant l'Assemblée nationale ni
même redire ce qui fait objet de débats depuis plusieurs semaines, maintenant
je crois préférable, dans cette intervention liminaire, de me limiter à une
synthèse des éléments principaux qui sont apparus après ce drame du 11
septembre et à un rappel de ce qui guide l'attitude de la France.
Lorsque ces attentats meurtriers ont frappé New York et Washington, tuant tant
de victimes innocentes, provoquant d'abord l'incrédulité puis l'horreur, les
Français dans leur ensemble ont exprimé spontanément leur émotion et leur
solidarité à l'égard des Etats-Unis.
Le Président de la République, qui devait se rendre dans ce pays ami, a
naturellement, conformément au souhait du président Bush, maintenu son voyage
et a pu exprimer, sur place, l'émotion des Français.
Nous-mêmes, nous étions partagés entre l'incrédulité, l'horreur, l'indigation
et, dans le même temps, la volonté absolument déterminée de lutter contre le
terrorisme.
La solidarité qui s'est exprimée à l'égard de nos alliés et amis américains ne
tenait pas simplement à l'horreur des actes qui les frappaient, ni aux liens
historiques qui nous liaient à ce pays ; elle tenait également au sentiment que
nous étions, nous aussi, potentiellement menacés par le terrorisme et que cette
lutte qu'il fallait entreprendre était également la nôtre.
C'est pourquoi nous avons engagé immédiatement des actions de coopération
judiciaire et policière avec les Etats-Unis, au coeur et au sein de l'Union
européenne.
C'est pourquoi nous avons immédiatement accru notre collaboration en matière
de renseignement avec nos partenaires.
C'est pourquoi, dès que nous avons été saisis par les Etats-Unis d'une liste
de groupes ou de personnes susceptibles de financer, par des comptes ouverts
dans notre pays, des activités criminelles, nous avons pris la décision de
geler ces comptes et ces avoirs. Nous avons été les premiers à le faire après
les Etats-Unis et, pendant quelques jours au moins, les seuls, puisque c'est
uniquement lundi dernier, à l'issue d'un Conseil, que ces mesures prises par la
France ont été étendues aux autres pays d'Europe, qui n'avaient peut-être pas
les mêmes facilités au point de vue législatif.
Lors du G7 de samedi dernier, dont le ministre de l'économie, des finances et
de l'industrie, M. Laurent Fabius, a rendu compte ce matin même en conseil des
ministres, la plupart des propositions que la France formulait souvent depuis
longtemps dans les enceintes internationales, qu'il s'agisse de limiter les
centres
offshore
ou d'introduire plus de lumière dans des circuits
opaques qui permettent le financement du crime organisé, de la prostitution,
d'activités terroristes, ou le blanchiment de l'argent de la drogue, la plupart
de ces propositions, donc, ont été reprises par nos partenaires.
Nous avons immédiatement mené une action policière plus ferme et plus incisive
au plan interne pour arrêter des individus dangereux, démanteler des réseaux
dont nous pouvions connaître l'existence, même si, parfois, nous avons dû le
faire d'une façon précipitée que nous n'avions pas souhaitée ; nous aurions
peut-être été plus efficaces encore si tel ou tel ébruitement ne s'était pas
produit.
Nous avons pris également des mesures, comme il était normal, pour assurer au
mieux la sécurité des Français.
Non seulement nous avons remis en oeuvre le plan Vigipirate, et au degré
renforcé, mais nous avons commencé à examiner systématiquement des axes et des
pistes sur lesquels nous avions déjà commencé à travailler dans toute une série
de domaines - je les ai évoqués à l'Assemblée nationale - pour tenter d'évaluer
les risques auxquels nous pouvions faire face et déterminer les points
sensibles que nous devions protéger.
Je veux vous dire que ce travail précis se poursuit, régulièrement et à tous
les niveaux, non seulement lors des réunions de ministres que j'organise mais
aussi à travers l'action des services de l'Etat, en particulier celle du
Secrétariat général de la défense nationale.
Aujourd'hui, à la suite des frappes américaines, alors que Ben Laden et un
certain nombre de ses lieutenants se sont exprimés, il me semble que ce travail
de coopération tant judiciaire et policière que financière, ce travail de
renseignement, ce travail en matière de sécurité doit être activement poursuivi
car, à l'évidence, les menaces existent toujours.
Dans le même temps que nous engagions cette lutte contre le terrorisme,
l'ensemble des autorités françaises - le Président de la République comme
moi-même, les membres du Gouvernement qui se sont exprimés ainsi que plusieurs
personnalités politiques - ont marqué clairement que cela ne nous conduisait
pas à amalgamer le terrorisme s'inspirant frauduleusement de l'islam et l'islam
en tant que religion ; que nous comptions continuer à avoir des relations
d'estime, d'amitié et de dialogue avec le monde arabo-islamique ; que nous
rejetions la vision ou la tentation d'un conflit de civilisation dans lequel
certains voudraient nous entraîner ; que nous devions aussi prendre en compte
dans nos actions, dans notre engagement, dans notre langage, le fait que nous
avons, sur notre territoire, des citoyens français ou des hôtes qui nourrissent
des liens forts avec le monde arabe et avec l'islam.
De la même manière, si, à nos yeux, et aux miens en particulier, aucun
désordre du monde ne saurait servir de justification aux actes terribles des
terroristes, si aucun conflit de civilisation ne saurait prétendre les
inspirer, car leurs actes, en réalité, ne se réclament d'aucune civilisation,
nous devons en même temps être conscients du fait qu'il existe dans le monde
des conflits non résolus, un malheur et des frustrations chez certains peuples,
notamment dans le monde arabo-musulman, ainsi que des inégalités multiples de
développement. Si nous n'y prenions garde, cela pourrait souder ces mouvements
ultra-minoritaires, destructeurs, animés seulement par la haine de l'autre et
l'instinct de mort, et des groupes plus larges, des opinions publiques, parfois
des foules marchant dans les rues, qui croyaient pouvoir trouver là, sur tel ou
tel sujet, des liens, liens qu'il nous faut absolument couper.
C'est pourquoi nous avons constamment pensé que nous devions être capables de
poser les questions cruciales, comme celle du dialogue entre Palestiniens et
Israéliens, tout en continuant à proposer les réponses de la France aux grandes
interrogations de la globalisation.
Un mois après les attentats, les Etats-Unis ont lancé leur réplique militaire.
Les frappes ont été limitées à l'Afghanistan. Elles visent des infrastructures
militaires, des centres de commandement, certains symboles du pouvoir, aussi.
Ces frappes, telles que nous les analysons, notamment à l'échelon de
l'état-major des armées, ne sont pas massives. Elles semblent témoigner d'une
volonté d'éviter, du moins de limiter les dommages civils. Elles sont presque
exclusivement américaines et même, pour les dernières, totalement américaines.
Elles constituent sans doute une première phase.
Au-delà de ces frappes, une action de caractère humanitaire a été engagée. Je
sais qu'elle provoque un débat, dans la mesure où le largage de ces tonnes de
vivres ou de produits, qui tombent en même temps que les bombes et dans des
conditions aléatoires, soulève, au sein d'un certain nombre d'organisations non
gouvernementales, des interrogations.
J'ai d'ailleurs l'intention de nouer avec les ONG françaises un dialogue, qui
sera d'autant plus utile qu'elles ont depuis longtemps une expérience concrète
de la situation en Afghanistan. Cela étant, il faut bien être conscient du fait
que, à l'heure actuelle, il n'est pas possible d'agir sur le plan humanitaire
sur l'ensemble du territoire afghan. Les actions entreprises, quoi que l'on
puisse en penser, sont donc utiles du point de vue symbolique, et c'est
seulement si la situation militaire sur le terrain le permet et si une
situation politique nouvelle se fait jour en Afghanistan que l'aide humanitaire
pourra reprendre sous une forme plus efficace, plus humaine, plus discrète et
plus systématique. Je suis sûr que les organisations non gouvernementales
françaises s'illustreront alors, mais cela suppose - M. le ministre des
affaires étrangères insiste sur ce point - une bonne coordination des
organismes compétents, qu'il s'agisse du Haut-Commissariat des Nations unies
pour les réfugiés ou du Programme alimentaire mondial.
Il faut, simultanément, rechercher une solution politique en Afghanistan. Nous
y travaillons, et M. le ministre des affaires étrangères a proposé un plan pour
ce pays, à nos partenaires non seulement européens - ceux-ci ont commencé à en
discuter - mais aussi non européens, afin non pas d'imposer de l'extérieur une
solution aux Afghans - solution qu'ils n'accepteraient pas - mais de tenter
avec eux, grâce à un dialogue interethnique, de ramener la paix civile.
Vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, la nature de notre
engagement : nous avons accepté des survols de notre territoire, nous avons
accordé un soutien logistique, notamment naval, et nous menons avec nos alliés
une activité de renseignement. J'ai dit hier à l'Assemblée nationale que,
depuis mes précédentes interventions, les dispositifs de soutien à l'opération
avaient été entièrement déployés sous la forme que je viens d'indiquer, et
même, dans certains cas, renforcés : je pense ici à l'accès à nos ports ou aux
modalités de la coopération navale. D'autres types de concours sont
actuellement à l'étude, qui pourraient concerner, pour des actions ponctuelles,
des forces aériennes et d'autres unités d'intervention. Cela relève cependant
d'un examen précis de la situation, qui est mené en collaboration avec nos
partenaires américains, ainsi bien sûr que des demandes que ceux-ci peuvent
formuler.
C'est dans cette perspective qu'une équipe militaire de liaison a rejoint hier
l'état-major de commandement américain de l'opération à Tampa, en Floride. En
effet, c'est seulement si nous sommes correctement informés et si nous sommes,
dans certains cas, associés que le Président de la République, le Gouvernement
et les autorités françaises peuvent déterminer pleinement les formes
éventuelles de notre participation, ce que nous ferons ou ce que nous ne ferons
pas. Comme je l'ai dit hier encore, si, dans le cadre d'un processus qui évolue
et qui suppose qu'un certain nombre de conditions soient remplies pour que des
actions soient éventuellement menées, des décisions devaient être prises, le
Parlement serait informé et consulté.
La définition des modalités de notre participation et l'examen des demandes
américaines, dès lors que ces dernières sont officialisées ou certaines, sont
préparés en comité restreint, à Matignon, sous ma présidence, et les décisions
sont prises en conseil restreint de défense, regroupant les mêmes participants
sous la présidence du Président de la République.
Nous sommes tout à fait attentifs aux objectifs que se fixent les Etats-Unis.
A cet égard, certaines déclarations politiques récentes émises dans ce pays,
qui n'engagent d'ailleurs pas le président des Etats-Unis lui-même, semblent
indiquer que d'autres cibles que celles qui sont visées aujourd'hui - pour
lesquelles le droit de légitime défense des Etats-Unis, à nos yeux, ne fait pas
de doute et a d'ailleurs été reconnu par une résolution du Conseil de sécurité
des Nations unies - pourraient être retenues. Sachez, mesdames, messieurs les
sénateurs, que nous gardons notre liberté d'appréciation.
J'ai déclaré que j'avais l'intention, avec les membres du Gouvernement,
d'informer en temps réel le Parlement de l'évolution de la situation et des
décisions que le Président de la République et le Gouvernement pourraient être
amenés à prendre. C'est d'ailleurs dans cet esprit que je réunirai tout à
l'heure à Matignon les présidents des commissions compétentes et les présidents
de tous les groupes de l'Assemblée nationale et du Sénat : le conflit du Kosovo
a démontré que ce cadre est adéquat pour une information précise, confiante et
discrète.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, en conclusion, réaffirmer
notre solidarité avec les Américains, notre détermination à lutter aussi
longtemps qu'il le faudra contre les terroristes, au moyen de toutes les formes
que j'ai indiquées tout à l'heure de coopération en matière judiciaire,
policière, financière et de renseignement, notre volonté de veiller à la
protection de notre territoire et à la sûreté de nos concitoyens.
Nous souhaitons que, dans ce conflit, les réactions restent proportionnées aux
objectifs. Nous voulons affirmer notre capacité à poursuivre le dialogue avec
les pays arabes, non seulement avec leurs dirigeants, mais aussi avec leurs
populations. Nous entendons maîtriser les formes de la participation de la
France et continuer à développer pleinement, sur la scène internationale, ces
grands thèmes de la diplomatie française que sont la réduction des inégalités
entre le Nord et le Sud, l'affirmation que les problèmes seront résolus par le
multilatéralisme et non par l'unilatéralisme et que la complexité du monde
implique que celui-ci soit multipolaire, la volonté d'entreprendre un effort de
régulation, et donc d'organisation, de la globalisation en cours et,
naturellement, en pleine liaison avec nos partenaires européens, l'idée que la
France continue à avoir un message à délivrer dans les crises
internationales.
Nous insisterons sur la nécessité de retrouver le chemin de la paix au
Proche-Orient. Il nous apparaît sage, encore aujourd'hui, d'opérer un
changement dans les résolutions du Conseil de sécurité concernant l'Irak. Nous
avons un ennemi : le terrorisme, le fanatisme ; nous avons de nombreux amis et
alliés, à condition que nous soyons capables de les rassembler autour des
valeurs qui sont les nôtres et qu'il nous reste souvent à répandre à travers le
monde, dans le respect de la diversité des cultures, des civilisations
composant l'immensité de ce monde complexe qui aborde le xxie siècle dans des
circonstances plus dramatiques encore que nous ne l'avions pensé.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur de nombreuses
travées du groupe communiste républicain et citoyen, du RDSE, de l'union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre,
messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis trois jours, une action
militaire est en cours en Afghanistan, en réponse aux attentats du 11 septembre
dernier. Ce jour-là, nous sommes entrés dans une nouvelle phase des relations
entre Etats. La première puissance de la communauté internationale, cruellement
atteinte, l'a été également, et nous tous avec elle, dans ce que nous croyions
être son invulnérabilité, qui était aussi la nôtre.
Face au terrorisme, la communauté internationale s'est mobilisée : au Conseil
de sécurité de l'ONU, qui a mis en oeuvre l'article 51 de la charte prévoyant
la légitime défense d'un Etat agressé, ou encore à l'OTAN, qui a décidé
d'appliquer la clause d'assistance mutuelle prévue à l'article 5 du traité de
Washington. Au demeurant, cette dernière clause se révèle, pour l'instant, plus
politique qu'opérationnelle, compte tenu de la nature que les Etats-Unis
semblent vouloir donner à leur riposte légitime. Celle-ci, comme les premières
informations le démontrent, privilégie des objectifs très ciblés. Elle prend en
compte - et on ne peut que l'approuver - l'ensemble des contraintes et tous les
paramètres d'un environnement régional complexe, qu'il importe de ne pas
déstabiliser davantage.
Cette alliance globale contre le terrorisme, présentant de multiples fronts,
devra être durable. Si l'on veut que les nouveaux équilibres internationaux
qu'elle laisse entrevoir constituent un progrès par rapport au passé, c'est à
l'ONU que doit revenir la tâche de définir les objectifs, la méthode et les
moyens, autres que militaires, à mettre en oeuvre dans la lutte contre le
terrorisme. La multiplicité des enjeux justifie qu'il revienne à cette
organisation de fédérer, dans la durée, les actions des Etats. On ne peut
d'ailleurs que se féliciter du fait que les Etats-Unis eux-mêmes, longtemps
défiants envers l'ONU, en viennent à percevoir les possibilités qu'elle offre,
au bénéfice de tous, pour cimenter la communauté des Etats contre une menace
commune.
Le Conseil de sécurité, depuis le 11 septembre, a déjà édicté des règles,
notamment en matière de lutte contre le financement du terrorisme, venant après
l'adoption, en son sein, de quelque douze conventions liées à la lutte
antiterroriste.
C'est aussi à l'ONU qu'il reviendra sans doute, en Afghanistan, après un
remplacement rapide du régime taliban, d'oeuvrer à la reconstruction d'un Etat
structuré sur le fondement d'un arrangement politique élargi à l'ensemble des
composantes et des ethnies du pays. La tâche sera difficile : les imbrications
ethniques, les enjeux régionaux que l'Afghanistan représente pour ses voisins
rivaux resteront des ferments durables de déséquilibre. La France a, pour sa
part, proposé à l'Union européenne - vous l'avez souligné, monsieur le Premier
ministre - un plan d'action destiné à la réhabilitation de l'Afghanistan. Vous
pourrez nous indiquer, monsieur le Premier ministre, quel accueil nos
partenaires européens ont réservé à cette proposition du Gouvernement.
Par ailleurs, sur le plan diplomatique, même s'il convient de se garder
d'établir un lien de cause à effet entre les attentats du 11 septembre et la
crise proche-orientale, la solution de celle-ci n'en est que plus urgente. La
communauté internationale ne peut rester éternellement en position de
spectatrice inquiète. Le terrorisme n'est pas plus justifiable là-bas
qu'ailleurs et la violence contre les civils doit être condamnée.
Le temps est venu, pour la communauté internationale, de s'impliquer de
nouveau dans cette partie du monde, en recherchant l'instauration de la paix
dans des frontières sûres et reconnues. Les récentes déclarations du président
des Etats-Unis sur ce sujet laissent augurer d'une unanimité nouvelle au
Conseil de sécurité.
La solidarité avec les Etats-Unis a été aussi européenne.
Quelques jours après les attentats, l'Union européenne a pris des décisions
importantes pour répondre à l'urgente nécessité de mettre en oeuvre des moyens
de protection adaptés. Dans des domaines relevant du troisième pilier, des
avancées sont intervenues en vue d'accélérer l'adoption de textes spécifiques
relatifs au financement du terrorisme. Vous nous direz, monsieur le Premier
ministre, si les délais très brefs légitimement impartis à l'Union et à ses
membres pour traduire ces engagements dans les faits pourront être tenus.
Mais les ambitions de l'Europe s'étendent au-delà.
C'est l'originalité de notre Union de fonder son action extérieure sur les
divers volets que sont l'aide économique et financière, l'assistance civile et
la diplomatie, voire l'action militaire. L'Union doit poursuivre ses efforts,
ne serait-ce que pour consolider durablement l'indispensable coalition contre
la menace terroriste. C'est notamment le cas vis-à-vis de nombreux Etats arabes
modérés dont les opinions publiques pourraient, avec le temps, faire un accueil
favorable aux justifications cyniques d'Oussama Ben Laden. Dans le dialogue
plus que jamais nécessaire avec de nombreux pays arabes, l'Europe a sa
contribution propre à apporter.
J'évoquerai enfin le rôle de nos armées.
Le Président de la République et vous-même, monsieur le Premier ministre, avez
défini le cadre de leur action : une solidarité totale avec les Etats-Unis, une
éventuelle implication de nos forces sur des objectifs ciblés, définis en
concertation.
Dans la lutte contre le terrorisme, le rôle des armées peut être double.
Premièrement, la riposte militaire contre les bases des auteurs de
l'agression. Cette action repose sur une combinaison de capacités proches de
celles requises pour la gestion des crises extérieures : projection de forces
et de puissance, capacité à se déployer durablement loin du territoire.
C'est vers cet objectif que tendent les réformes qui ont reconfiguré la
structure de nos forces. Elles sont cependant, monsieur le Premier ministre, je
veux le souligner, dans l'attente d'un renouvellement de notre flotte de
transport aérien et d'une permanence de notre groupe aéronaval, ainsi que de
certaines capacités de frappes en profondeur.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Au niveau européen, la force de réaction rapide n'est encore qu'en voie de
constitution. Vous avez, monsieur le Premier ministre, à la suite du Conseil
européen de Bruxelles, appelé à une implication et à une accélération accrues
de l'Europe de la défense. Pouvez-vous nous dire si les premières réflexions
menées sur ce sujet ont conduit à réévaluer notre besoin en capacités
spécifiquement dédiées à la lutte contre le terrorisme ?
Deuxièmement, la protection préventive de notre territoire. Les forces de
police y jouent un rôle prépondérant, avec la gendarmerie et, on le voit bien
dans le cadre du plan « Vigipirate renforcé », d'autres unités des forces
armées. Les plans de protection accrue du territoire national sur une longue
période pourraient nécessiter des effectifs supplémentaires que nos armées ne
sont pas nécessairement à même de fournir, compte tenu de leurs autres
engagements extérieurs.
M. Serge Vinçon.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Cela pose, notamment,
la question de la mise en place de la réserve opérationnelle, prévue dans le
cadre de la professionnalisation.
M. Gérard Larcher.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Les effectifs de
cette réserve en militaires du rang sont aujourd'hui loin de nos objectifs.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pourriez-vous, monsieur le Premier ministre, nous apporter des précisions sur
ce point ?
Face à la menace terroriste, il n'y a pas lieu de remettre en cause la
configuration actuelle de nos forces ; il convient plutôt de bien prendre
conscience qu'une menace nouvelle n'écarte en rien les menaces plus
traditionnelles. Il y a, en ce domaine, non pas substitution, mais accumulation
des risques.
Nous voyons ainsi la nécessité de ne pas relâcher nos efforts budgétaires pour
nos armées. Il importe tout au contraire - j'y insiste, monsieur le Premier
ministre - de leur donner les ressources supplémentaires nécessaires à
l'exercice de leurs missions.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, bien des certitudes sont aujourd'hui ébranlées. La
nouvelle donne des rapports internationaux pourra avoir, à terme, des
conséquences positives. Il s'agit cependant de contrer une menace durable,
imprévisible, face à laquelle l'invulnérabilité totale est difficile.
Notre action diplomatique, la concertation internationale, l'aide au
développement, la défense du territoire, se trouvent replacées au premier rang
des priorités pour réduire les facteurs de tension et anticiper les risques. Ce
sont autant de sujets qui doivent trouver leur juste place dans les débats
politiques à venir. J'espère que nous saurons faire preuve de la cohésion et de
la solidarité nécessaires entre nous tous.
(Applaudissements sur les travées
de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants ainsi que sur
certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, M. le ministre de l'intérieur est dans l'ogligation de
nous quitter pour recevoir, à l'Elysée, aux côtés de M. le Président de la
République, les membres de la Consultation musulmane.
La parole est à M. Estier.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Claude Estier.
Je voudrais vous dire d'emblée, monsieur le Premier ministre, combien nous
apprécions votre présence ici pour nous donner les dernières informations sur
la situation internationale, sur l'action de la France au cours des dernières
semaines et recueillir l'avis des groupes de notre assemblée, en particulier
sur la participation française à la lutte entreprise contre le terrorisme.
Nous prenons acte avec satisfaction de votre souci d'informer le Parlement en
temps réel. Vous le ferez encore ce soir même en conviant les présidents des
groupes et des commissions concernées à Matignon.
Prévu depuis plusieurs jours, ce débat au Sénat prend évidemment un tout autre
sens depuis le déclenchement, dimanche soir, des opérations militaires
américaines sur l'Afghanistan.
Cette riposte aux actions terroristes qui ont si douloureusement frappé les
Etats-Unis était attendue. Elle était nécessaire. Elle est légitime. Elle n'en
pose pas moins de graves questions quant à son ampleur, à sa durée, à son
efficacité et à ses conséquences.
Nous sommes tous d'accord pour considérer que, depuis le 11 septembre, le
monde se trouve dans une situation nouvelle. Au-delà de l'émotion unanimement
éprouvée et de la solidarité exprimée avec le peuple américain, du plus haut
niveau de l'Etat jusqu'aux simples citoyens, nous n'avons pas fini d'analyser
les répercussions des événements survenus voilà juste un mois.
L'effondrement des deux tours du
World Trade Center
et l'attaque contre
le Pentagone ont mis fin à ce qui paraissait être un dogme : l'invulnérabilité
des Etats-Unis sur leur propre territoire.
On s'est étonné aussitôt que leurs puissants services de renseignements aient
pu être ainsi pris au dépourvu. Comment les terroristes chargés d'effectuer ces
attaques meurtrières ont-ils pu monter sans encombre à bord d'avions de ligne
après avoir, pour plusieurs d'entre eux, séjourné longtemps sur le sol
américain ?
Quoi qu'il en soit, il était normal que les Etats-Unis, se considérant en état
de légitime défense au regard même de la Charte des Nations unies, préparent
une riposte à laquelle notre pays, comme l'ensemble des nations occidentales, a
déjà commencé à prendre sa part.
Il est bien vrai en effet que si le terrorisme islamiste a frappé
spectaculairement les Etats-Unis, ses coups sont dirigés contre toutes les
sociétés démocratiques. Nous sommes donc tous concernés. Le démantèlement de
réseaux effectué ces dernières semaines, chez nous comme dans d'autres pays de
l'Union européenne, prouve, s'il en était besoin, que l'Europe elle-même n'est
pas hors d'atteinte.
Nous ne devons pas pour autant tomber dans le piège tendu par les terroristes
qui prétendent opposer, en faisant appel à de fausses références religieuses,
une civilisation à une autre.
A cet égard, il était particulièrement mal venu d'employer le terme « croisade
» ou de vouloir réduire le problème à une lutte du Bien contre le Mal, sans
même parler des propos scandaleux du président du conseil italien vantant la
prétendue supériorité de l'Occident sur l'Islam !
Nous ne le répèterons jamais assez, nous ne sommes pas en guerre avec l'Islam.
Nous devons lutter avec force contre tout amalgame visant à assimiler
l'ensemble des musulmans aux terroristes de Ben Laden.
Nous pouvons d'ailleurs être rassurés par les réactions de la communauté
musulmane de France, qui a condamné clairement les attentats perpétrés à New
York et à Washington. J'ai apprécié les propos tenus hier par le recteur de la
mosquée de Paris invitant les imams à prêcher la paix dans les mosquées.
Cette communauté le sait fort bien, chaque fois que, sous couvert d'islamisme,
les terroristes déclenchent des actions meurtrières, ce sont des musulmans qui
en paient le prix : combien d'Afghans ont été tués par les talibans ? Combien
d'Algériens ont été massacrés par les hommes du GIA ?
Nous sommes donc devant une situation nouvelle, même si les désordres qui
sèment la guerre et la misère sur la planète existaient déjà avant le 11
septembre.
Nous savons bien qu'il existe une fracture économique, culturelle, politique
dans notre monde dit globalisé. La mondialisation libérale aggrave les
différences sociales et facilite l'existence de vastes zones de non-droit dans
le monde. Alors que la pauvreté augmente, la fuite ou la violence sont souvent
les seules issues qui apparaissent à des populations désespérées.
Mais il ne faut jamais laisser croire que les terroristes qui ont frappé
lâchement à Washington et à New York et le milliardaire Ben Laden représentent
« les pauvres du Sud contre les nantis du Nord ». Il n'en est rien ! Ils ne
sont porteurs ni de liberté, ni de démoratie, ni de générosité, ils ne portent
que la mort avec eux !
(Applaudissements.)
La « guerre » - s'il faut maintenant employer ce mot -, déclenchée dimanche
par les bombardements américains sur l'Afghanistan, ne ressemble à aucun des
conflits, même récents, que nous avons connus. Nous voyons aujourd'hui les
Etats-Unis déployer un imposant arsenal militaire visant, non pas une armée
adverse, mais des cibles dispersées afin de détruire les camps d'entraînement
des terroristes et les installations militaires des talibans qui les
protègent.
Compte tenu de la configuration géographique de l'Afghanistan, c'est une tâche
difficile, surtout si l'on veut éviter d'atteindre des populations civiles déjà
victimes de guerres successives et d'une dictature impitoyable.
Nous avons raison d'être aux côtés des Américains dans leur volonté
d'éradiquer le terrorisme de masse. Mais tout en sachant que c'est une oeuvre
de longue haleine, nous devons souhaiter que l'intervention militaire
proprement dite, aussi brève que possible, provoque un minimum de « dommages
collatéraux », c'est-à-dire la mort de civils innocents.
Il faut aussi y veiller, l'action militaire entreprise ne doit pas déborder de
son cadre actuel. Nous approuvons quant à nous, monsieur le Premier ministre,
votre volonté affirmée de ne pas nous laisser entraîner dans un engrenage dont
les conséquences pourraient être dramatiques. Cela veut bien dire, vous venez
de le répéter, que notre pays doit garder la maîtrise de ses décisions.
L'action contre le terrorisme ne se limite pas à des frappes militaires, aussi
ciblées soient-elle. Elle se situe ainsi sur le plan diplomatique, dans la
lutte contre les paradis fiscaux, dans la coopération policière et judiciaire,
et, bien sûr, dans le domaine du renseignement. C'est sans doute dans cette
matière que l'apport de la France peut être le plus important.
Mes chers collègues, quelle que soit la gravité de la situation, je voudrais
terminer par des considérations un peu plus optimistes. En effet, comme il
arrive souvent, de cette crise peuvent aussi émerger des éléments positifs.
Un premier élément est que le monde a enfin pris conscience de ce qu'est le
régime des talibans et de la tragédie que vit le peuple afghan sous
l'oppression de ce régime. Certes, nous avons entendu ici même, voilà quelques
mois, des femmes afghanes nous parler de leurs horribles conditions de vie.
Certes, nous avons entendu le commandant Massoud, dont je salue la mémoire,
quand il est venu à Paris, mais nous n'avons pas assez pris en considération
ses avertissements.
M. Roland Courteau.
Très bien !
M. Claude Estier.
Le régime des talibans est aujourd'hui fragilisé. Du drame que vit
présentement l'Afghanistan, un nouvel avenir plus démocratique pourrait surgir
pour ce pays héritier d'une longue histoire. La France, vous l'avez rappelé,
monsieur le Premier ministre, vient de proposer à ce sujet un plan d'action
fort intéressant.
Un second élément positif est la prise de conscience, en Europe comme aux
Etats-Unis, qu'il est plus que temps de mettre fin au conflit
israélo-palestinien qui, non seulement fait chaque jour des morts et des
blessés, mais maintient un foyer de grande tension et une menace de contagion
dans toute la région. Le réengagement américain dans ce domaine est une bonne
chose et même si cela ne plaît pas à Ariel Sharon, le fait que le président
Bush ait évoqué pour la première fois la création d'un Etat palestinien est
d'une grande importance et devrait permettre de relancer un processus de paix.
Je sais que la France s'y emploie quant à elle, comme l'a prouvé le récent
séjour sur place du ministre des affaires étrangères, M. Hubert Védrine.
Je m'arrête là puisque le temps m'est compté, non sans vous dire, monsieur le
Premier ministre, que le groupe socialiste du Sénat soutient totalement
l'action du Gouvernement, tant en ce qui concerne l'engagement de la France
dans la riposte contre le terrorisme que s'agissant des mesures nouvelles que
vous proposez - et dont nous discuterons ici mardi prochain - pour mieux
assurer la sécurité des Français dans cette période troublée.
A cet égard, la grande majorité d'entre eux vous fait confiance. La nôtre,
vous le savez, vous est acquise.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur plusieurs travées du groupe communiste républicain et
citoyen. - MM. Hoeffel et Fauchon applaudissent également.)
M. le président.
M. Estier ayant fait allusion au commandant Massoud, je rappelle que le Sénat
a reçu ce dernier lors de sa visite en France.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, dès que furent connus dans leur réalité terrifiante les
événements du 11 septembre dernier, il fut évident qu'une riposte s'imposait,
une riposte de la nation agressée, une riposte à la hauteur de la tragédie.
Personne au monde ne pouvait imaginer le contraire, pas même les instigateurs
du crime qui se voulait clairement une provocation à la guerre par son horreur
délibérée.
Les Etats-Unis devaient se défendre, en trouvant la riposte appropriée, qui
soit, d'une part, à la hauteur de la tragédie quant à la force et, d'autre
part, à l'opposé de la barbarie quant à la méthode.
Cette nécessité se pose dans une situation inédite.
La justice véritable exige une identification personnelle des coupables.
On peut admettre que les propres déclarations d'Oussama Ben Laden sont
largement suffisantes pour justifier son arrestation. Sommer l'Afghanistan de
le livrer était donc logique et un préalable indispensable. Le refus de livrer
l'inspirateur des actions terroristes a fait de cet Etat souverain un complice
de l'acte de guerre du 11 septembre. La France a bien fait d'affirmer dans ce
contexte sa solidarité avec les Etats-Unis. Mais il faut désormais contrôler et
maîtriser l'affrontement, particulièrement les risques intempestifs de réaction
en chaîne étendant le champ géographique de l'intervention. Une déflagration
mondiale doit être évitée, contrairement à ce que la première appellation
envisagée pour la riposte américaine, « Justice sans limite », pouvait laisser
craindre.
La capture d'Oussama Ben Laden reste l'objectif exclusif à ce jour des
interventions militaires et fonde leur légitimité.
Si la riposte est appelée à durer, comme le martèle le président américain,
une précipitation dans l'escalade serait contradictoire et fautive.
Les opérations actuellement cantonnées sur l'Afgha-nistan, au niveau tant de
la frappe aérienne que de l'infiltration des commandos, respectent le cadre de
la légitime défense des Etats-Unis et de leurs alliés également menacés.
Oussama Ben Laden cherche évidemment à élargir le champ d'intervention en
appelant à multiplier les agressions, pour embraser le monde entier dans un
engregnage suicidaire, dont les commandos suicides ne sont que les
détonateurs.
Par ailleurs, la puissance de la riposte des Américains et de leurs alliés de
l'Est comme de l'Ouest, du Nord comme du Sud doit symboliser l'anti-barbarie, à
l'écart de toute coalition d'inspiration ethnique, raciale ou religieuse.
La précision, qualifiée de chirurgicale, des bombardements et la
multiplication d'interventions humanitaires en faveur des réfugiés et des
populations innocentes doivent offrir l'image diamétralement opposée de la
fascination morbide de la mort véhiculée par le terrorisme. C'est l'imagination
qui doit être sans limite en faveur de l'aide humanitaire. L'exode des réfugiés
et les drames humains facilement imaginés risquent de culpabiliser les opinions
publiques des nations engagées.
Il faut intégrer cette donnée d'un conflit inédit, et bien mettre en lumière
l'enjeu de la capture de l'agresseur caché. Le terrorisme est en effet
potentiellement destructeur de la planète entière. Cela doit être compris par
ceux qui seraient abusivement impressionnés. Cette mise en évidence constitue
une deuxième dimension de la riposte. C'est une indispensable opération-vérité.
Le terrorisme est un mensonge.
On juge l'arbre à ses fruits. Le terrorisme diffère toujours les récoltes et
les lendemains qu'il promet. Oussama Ben Laden a déjà pris le chemin suivi par
les grands mythomanes purificateurs de l'Histoire, qui ont prétendu recréer
l'humanité en l'exterminant, comme le firent Hitler, Staline ou Pol Pot.
Oussama Ben Laden n'a que des morts à son actif. Il s'inscrit dans cette
généalogie criminelle. Il annonce d'ailleurs à l'avance ce qu'il va faire,
comme Hitler le fit dans
Mein Kampf.
Cela dit, il ne suffit pas de dénoncer l'imposteur et de le capturer. Il faut
poursuivre notre oeuvre civilisatrice. La riposte au terrorisme et aux
attentats contre les Etats-Unis comporte nécessairement des réponses nouvelles
aux exigences de la justice au sein de notre commune humanité, et une lucidité
sans cynisme sur nos véritables alliés dans le monde entier pour la cause de la
liberté.
Le premier impératif face à l'utopie idéaliste est de rompre avec l'utopie
idéaliste, véritable désarmement unilatéral dont profite le terrorisme. Le
spectacle du Stade de France le 5 octobre doit nous réveiller.
Les Américains nous ont donné l'exemple de la cohésion nationale et
patriotique dans l'épreuve. Les nations exigent pour durer des communautés
vivantes, libres et cohérentes, sinon le champ est libre pour les
communautarismes antagonistes. Les forces intellectuelles et morales,
nécessaires à la construction de la paix, s'enracinent et se cultivent à partir
des patrimoines culturels et politiques nationaux, et du patriotisme qui s'en
inspire.
A l'heure des réseaux terroristes internationaux, articulés sur des
communautarismes locaux exacerbés, notre République est en danger. La négation
de la réalité nationale favorise le pacifisme démobilisateur et fait le lit du
terrorisme destructeur. Retrouvons les impératifs élémentaires de l'éducation
nationale permettant à nouveau l'intégration par l'école et ceux de la défense
nationale mobilisant effectivement tous ses jeunes citoyens pour défendre d'une
manière ou d'une autre la fécondité de notre culture. Refusons l'existence de
zones de non-droit sur notre territoire. Nos engagements internationaux auront
d'autant plus de poids qu'ils s'appuieront sur une politique enracinée dans des
valeurs propres revendiquées sans honte et sans agressivité, sachant même
s'ouvrir, mais avec discernement, à des apports nouveaux.
La meilleure riposte aux agressions terroristes commandées par Oussama Ben
Laden s'appuie d'abord sur notre volonté d'exister en tant que nation
organisée. L'avons-nous vraiment ?
La réponse se joue d'abord sur notre territoire, avec notre Constitution et au
coeur de notre patrimoine culturel et spirituel. Croyons-nous encore dans
l'alliance possible bien qu'exigeante de la compassion et de la vérité ?
Avons-nous encore confiance dans la force de l'intelligence ? Sinon le
terrorisme nous détruirait facilement, parce que notre âme serait déjà morte.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Raincourt.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR. - M. Pelletier applaudit
également.)
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous
connaissons tous la difficulté d'évoquer des événements à chaud, surtout
lorsqu'ils sont dramatiques, que des opérations militaires sont en cours et que
des vies humaines sont en jeu.
Monsieur le Premier ministre, si nous apprécions votre présence parmi nous cet
après-midi pour ce débat qui revêt effectivement à nos yeux une grande
importance, je me permets néanmoins de regretter que le Parlement français soit
plus largement tenu à l'écart de la situation que ses homologues américain,
britannique et allemand.
(M. Biarnès applaudit).
Si certaines
informations, tout à fait légitimement d'ailleurs, ne peuvent être divulguées
par le Gouvernement, nous pouvons en avoir connaissance, soit sous la forme que
vous avez choisie, monsieur le Premier ministre, soit, comme le prévoit notre
règlement, en nous réunissant en comité secret.
Entre ceux qui savent mais se taisent et ceux qui parlent sans savoir, nous
avons le devoir de tenir un langage de vérité, de solidarité et de
responsabilité.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Tenir un langage de vérité, c'est d'abord ne pas se tromper d'adversaire ni de
combat.
Ne pas se tromper d'adversaire, c'est refuser d'opposer les civilisations, les
religions, le Nord et le Sud, le Bien et le Mal. C'est refuser tout
manichéisme. C'est bien faire la différence entre islam et islamisme, entre
religion et intégrisme, entre Afghans et talibans.
Mais encore faut-il se respecter les uns les autres. Quand
la Marseillaise
est conspuée, comme elle l'a été samedi dernier au Stade de France, cela,
je crois avoir le droit de le dire, blesse notre légitime fierté nationale et
le respect dû à notre patrie.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé.
Cela n'a rien à voir !
M. Henri de Raincourt.
Une fois encore, monsieur Signé, vous vous trompez !
Ne pas se tromper de combat, c'est reconnaître la nature particulière de la
menace, une menace à la fois plus vaste, plus diffuse et plus complexe, une
menace qui dépasse les frontières géographiques et idéologiques.
Depuis le déclenchement des opérations, dimanche, il nous semble que les
Etats-Unis et leurs alliés agissent avec discernement sur les plans tant
militaire que diplomatique et humanitaire.
Mais tenir un langage de vérité, c'est aussi reconnaître humblement que
personne ne sait comment évoluera la situation.
Tout dépendra de l'efficacité des opérations militaires et antiterroristes
ainsi que de la réaction des opinions publiques, notamment au sein du monde
musulman.
Actuellement, nous sommes sûrs de deux choses : la lutte sera longue et
complexe ; ce combat ne sera pas celui d'un seul Etat.
Pour vaincre le terrorisme, les nations devront faire preuve de détermination
et de solidarité.
Tenir un langage de solidarité, c'est rappeler que cette solidariré doit
s'exercer à l'égard des victimes américaines et de leurs familles comme de
l'ensemble des victimes du terrorisme.
Elle doit se manifester dans la riposte, une riposte qui ne peut qu'être
adaptée, mesurée et coordonnée.
La France doit soutenir sans états d'âme les Etats-Unis dans l'épreuve. Nous
sommes alliés, appartenant, depuis longtemps, au même camp, celui de la
démocratie. A cet égard, nous approuvons tout à fait les déclarations et les
démarches de M. le Président de la République, comme nous approuvons ce qu'il a
annoncé avec vous-même, monsieur le Premier ministre, au sujet de la
participation des forces françaises aux actions militaires menées contre les
terroristes et ceux qui les soutiennent. Mais nous aimerions savoir comment
cela va se traduire en fonction des dernières conversations qu'ont nos
responsables avec les autorités américaines. Quel devrait être le degré
d'implication de nos forces ?
La solidarité doit également s'exprimer sur le plan diplomatique. A ce sujet,
nous approuvons tout à fait les résolutions des Nations unies ainsi que les
déclarations de l'Union européenne, du très récent G7 et d'un très grand nombre
de pays à travers le monde musulman, modérés en particulier.
Il faudra veiller à ce que les bonnes volontés affichées se traduisent
concrètement. La route sera longue avant de pouvoir priver les réseaux
terroristes de soutien financier et logistique.
La solidarité doit enfin s'exercer à l'égard de l'Afgha-nistan. Ne pas se
tromper d'adversaire, c'est reconnaître que son peuple est lui aussi victime du
régime des talibans. Nous approuvons l'aide humanitaire qui lui est apportée,
même si, quelque part, nous avons aussi un peu mauvaise conscience de ne pas
avoir sans doute suffisamment entendu les appels à l'aide que lançait à
l'Occident le commandant Massoud, dont je veux, comme le président Estier,
saluer la mémoire.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur les travées du RDSE
et sur plusieurs travées socialistes.)
Enfin, tenir un langage de responsabilité, c'est, pour les femmes et les
hommes politiques, ne pas se contenter de soutenir les opérations en cours.
Nous devons faire face aux conséquences économiques inévitables des attentats,
dans un contexte qui est marqué par une conjoncture est moins bonne que ce que
l'on aimerait qu'elle fût, conjoncture qui est d'ailleurs antérieure au 11
septembre dernier.
Ne rien faire serait irresponsable. Nous avons bien entendu l'appel au «
patriotisme économique », mais nous pensons que ce patriotisme économique doit
se différencier de l'aveuglement budgétaire, parce que cela ne va pas ensemble
!
(Murmures sur les travées socialistes.)
Dans le même esprit de responsabilité, nous devons réexaminer notre politique
de défense et de sécurité intérieure.
Sur le plan national, la menace terroriste, par sa nature, nous impose de
réfléchir à l'adéquation de nos moyens militaires, policiers et judiciaires.
Notre politique de défense - M. Villepin y faisait allusion - est-elle toujours
adaptée à cette forme moderne de guerre qu'est le terrorisme ?
Des mesures de protection intérieure ont été annoncées. Le Parlement, et tout
particulièrement le Sénat, en discutera dans les prochains jours et nous
saurons, là aussi, assumer nos responsabilités aux côtés des pouvoirs publics,
c'est-à-dire aux côtés du Gouvernement.
Il nous apparaît vital et urgent que l'Etat puisse se doter des moyens
juridiques, humains et financiers nécessaires non seulement pour démanteler au
plus vite les réseaux terroristes mais aussi pour assurer la sécurité de nos
compatriotes.
En parallèle, sur les plans européen et international, nous devons favoriser
la mise en place d'une véritable co-opération en matière de lutte contre le
terrorisme.
Enfin, la situation doit nous conduire à reconsidérer peut-être nos relations
avec certains pays qui continuent à entretenir des relations troubles avec les
milieux extrémistes.
Le temps est venu de s'interroger sur ce que nous avons fait, sur ce que nous
avons ou non réussi, et de regarder vers l'avenir. Il faut construire un nouvel
ordre mondial fondé sur les valeurs de la démocratie, des valeurs de
solidarité, de tolérance et de liberté qui peuvent sûrement être partagées bien
au-delà des différences religieuses ou culturelles.
C'est une tâche évidemment ambitieuse et de longue haleine. Mais nous devons,
à notre avis, l'entreprendre avec détermination, car c'est ainsi que nous
parviendrons de proche en proche à réduire les inégalités insoutenables de plus
en plus fortes qui nourrissent les haines, berceau de l'extrémisme et du
terrorisme.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, je tiens tout d'abord à souligner la qualité de
l'accueil que vous aviez réservé au commandant Massoud lors de sa venue à
Paris, le soutien que vous lui aviez apporté, et à rappeler que vous lui aviez
fait envoyer une grande quantité de médicaments.
Je voudrais également saluer la présence d'un compagnon d'Ahmed Shah Massoud,
qui m'a conduit dans le Panshir où j'ai eu l'honneur d'être reçu par le
commandant.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, la riposte américaine autorisée par les Nations unies
était inéluctable : que nous soyons solidaires de la réponse armée ciblée est
nécessaire, même si cette solidarité demeure encore à ce jour vraiment
symbolique. Que notre effort porte essentiellement sur l'aide humanitaire est
un objectif indispensable pour l'avenir de l'Afghanistan. Ce sera ensuite au
peuple afghan de choisir son régime politique, sans ingérence de puissances
étrangères.
La date du 11 novembre ouvre une ère nouvelle. Elle a révélé des menaces d'une
ampleur insoupçonnée. Nous sommes horrifiés, révulsés, révoltés par
l'assassinat de plus de 6 000 civils innocents. Ces événements tragiques nous
conduisent à revoir certains aspects de notre défense et la réorganisation de
notre sécurité intérieure, à proposer un renforcement des moyens juridiques, à
redéfinir des zones prioritaires pour notre diplomatie et, en amont, à lutter
contre les causes de l'islamisme et du terrorisme.
Tout d'abord, il nous faut repenser notre système de défense face à des
menaces diffuses et inhabituelles. La redéfinition des risques potentiels nous
aidera à arbitrer entre toutes les mesures, dont les coûts cumulés
deviendraient rapidement himalayens. Seule une défense européenne plus intégrée
peut apporter une réponse crédible et donner un peu de souplesse budgétaire,
par des économies d'échelle.
Notre pays doit réorienter ses efforts vers ses services de sécurité
extérieure. Dans le budget de la défense, les crédits de la direction générale
de la sécurité extérieure, la DGSE, s'élevaient l'an dernier à 900 millions de
francs en crédits de fonctionnement et à 722 millions de francs en dépenses
d'équipement : c'est beaucoup trop peu. Les crédits de la direction du
renseignement militaire représentent seulement la moitié de ceux de son
équivalent britannique et sont près de six fois inférieurs à ceux de son
équivalent américain. L'Allemagne vient de voter un crédit de 1,5 milliard
d'euros pour sa sécurité. Monsieur le Premier ministre, vous engagez-vous à
faire voter les crédits nécessaires dans le projet de loi de finances pour 2002
afin de rassurer la population française ? Nous devons aussi absolument
renforcer la coopération européenne plutôt que de nous replier sur nous-mêmes
en remettant en cause l'espace Schengen.
Au niveau de la sécurité intérieure, le renseignement est une donnée
indispensable. Une absence de coordination entre la police, la gendarmerie et
les douanes ne sera plus acceptée par la population. Les agents de
renseignements généraux devraient être affectés à la sécurité, en particulier
dans les zones dites « de non-droit », plutôt qu'à des sondages politiques
inutiles.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou.
Pour l'avenir, il est indispensable que chaque Etat, individuellement et
collectivement, se dote des instruments juridiques appropriés pour prévenir et
pour punir sans faiblesse ces actes criminels et injustifiables.
La France s'apprête à ratifier, comme cela a été souligné, la convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme, texte à
l'initiative duquel elle est. Mais elle doit encore améliorer son dispositif
législatif sur deux points.
Elle doit rendre les crimes terroristes imprescriptibles : par leur nature,
ces crimes sont des actes d'une gravité telle que cette imprescriptibilité est
légitime, au même titre que pour les crimes contre l'humanité.
Elle doit rendre incompressibles les peines prononcées pour ces crimes
terroristes. Aucune diminution de la durée ne serait donc envisageable. Le
groupe du RDSE a déposé le 20 septembre une proposition de loi en ce sens.
Nous devons intégrer les nouvelles tensions mondiales et redéfinir nos zones
d'action prioritaire grâce à des crédits supplémentaires pour les affaires
étrangères, dont le budget insuffisant ne permet pas d'utiliser le potentiel
culturel, économique et politique de notre pays.
Il nous faut renforcer, en particulier, notre appareil diplomatique en Asie
centrale, où nos ambassades,lorsqu'elles existent, ne disposent pas toutes
d'attachés militaires. Cette zone, extrêmement sensible, travaillée par les
mouvements islamiques, est au carrefour de quatre grandes civilisations :
chinoise, russe, turque et perse. Parmi ces pays, le Kazakhstan, qui deviendra,
au cours de cette décennie, le cinquième exportateur de pétrole, n'a reçu
aucune visite officielle majeure depuis celle du Président Mitterrand en
1993.
Nous devons aussi développer nos contacts avec l'Iran chiite, qui apparaît
soudain en première ligne comme un allié potentiel contre cet islamisme, avec
la Syrie, qui lutte aussi contre le fondamentalisme, et avec la Russie, dont le
huitième de la population est musulman et qui doit être considérée comme un
partenaire privilégié.
Enfin, il faut traiter l'islamisme en essayant d'atténuer les sentiments
d'injustice qui en sont la cause.
Au Proche-Orient - vous l'avez suggéré, monsieur le Premier ministre -, il
faut nous désolidariser plus clairement des bombardements des Etats-Unis et de
la Grande-Bretagne sur l'Iraq
(Applaudissements sur certaines travées du
groupe communiste républicain et citoyen. - M. Pelchat applaudit
également),
qui renforcent Saddam Hussein, frappent la population civile et
alimentent le ressentiment de tous les musulmans.
La plus grande de nos préoccupations doit être la situation catastrophique en
Palestine. Osons déclarer que l'humiliation et le désespoir, donc la révolte,
dans lesquels Israël plonge les Palestiniens alimentent le fondamentalisme
islamique international !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Non !
M. Aymeri de Montesquiou.
Osons dire que la présence des colons, mais encore plus l'augmentation de leur
nombre accroissent les tensions. Reprochons à Israël ses ripostes aveugles qui
tuent des civils ! Autrement, les candidats au suicide seront de plus en plus
nombreux, ils seront vénérés comme des héros et engendreront des émules, malgré
l'horreur de leur acte.
(Murmures d'approbation sur certaines travées du
RPR.)
Bien souvent, la diplomatie française a déclaré vouloir se cantonner au rôle
d'arbitre ; mais le rôle d'un arbitre est aussi de dénoncer les fautes et non
de conserver ce mutisme résigné. En tant que membre permanent du Conseil de
sécurité, exigeons que les résolutions votées soient enfin appliquées !
Notre diplomatie doit surtout exprimer plus clairement ses choix. Que
n'a-t-elle su prendre position lors de la venue du commandant Massoud en avril
dernier ! Comment avons-nous pu rester à ce point atteints de cécité et de
surdité ? La solution du problème afghan serait plus facile si le commandant
Massoud était encore vivant.
On peut comprendre que les populations aient été saisies par les attentats du
11 septembre, mais la surprise des gouvernants est beaucoup plus inquiétante.
Nous n'avons pas su prévoir ces attaques, alors même que les talibans
énonçaient de manière claire que le terrorisme serait utilisé pour combattre
les démocraties, que ce soit les Etats-Unis, la France coupable d'aider le
gouvernement algérien contre le GIA, ou la Russie, en raison de sa lutte contre
les Tchétchènes.
Interrogeons-nous : imaginons que ces attentats n'aient pas eu lieu et que le
monde occidental ait poursuivi cette politique et de « neutralité active »,
qualifiée ainsi par un haut responsable du Quai d'Orsay au cours d'une
conférence sur l'Afghanistan organisée par le groupe du RDSE au Sénat le 15
décembre 1999.
Imaginons que les talibans, comme ils l'avaient clairement exprimé, aient
converti l'Afghanistan tout entier en émirat. Que ferions-nous ?
Imaginons que, comme ils l'ont annoncé, ils aient développé leurs réseaux dans
les pays voisins, en particulier en Asie centrale, et renversé ou déstabilisé
les régimes. Que ferions-nous ?
C'est parce que les Etats-Unis ont été très cruellement touchés que nous
réagissons. Mais peut-on admettre qu'un gouvernement puisse dire : « je ne
savais pas », alors que des dizaines de milliers d'Afghans étaient victimes des
mêmes commanditaires ? Depuis dix ans, en Afghanistan, les manquements aux
droits de l'homme sont évidents et même proclamés par leurs auteurs,
l'obscurantisme s'est développé, le patrimoine mondial a été frappé, une
nouvelle étoile jaune a été apposée sur les poitrines des non-musulmans, et
l'exportation de l'héroïne a augmenté. Qu'avons-nous fait ?
Tout cela se déroulait fort loin de notre Europe prospère et indifférente.
Cette indifférence ou, plus, cette passivité qui côtoie la lâcheté soulignent
l'imprévoyance de nos démocraties. L'honneur, les intérêts de la France et,
au-delà, de l'Europe sont confondus dans cette lutte contre l'obscurantisme qui
nous menace ouvertement. Il est grand temps de mettre en application les
principes dont nous nous réclamons.
Nous sommes un pays laïc attaché à l'expression de toutes les religions qui
respectent la République. Il est donc exclu de faire reposer la responsabilité
de ces attentats sur une religion, plus précisément d'assimiler islam et
islamisme. Cela serait injuste, provoquerait une réaction de solidarité de la
part des musulmans du monde entier et dégénérerait en un affrontement
Nord-Sud.
La parade à l'extrémisme est certainement très difficile, mais nous pouvons
déjà commencer par adopter une attitude simple : croyons ceux qui déclarent
nous vouloir du mal.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
(Applaudissements sur les travées du RPR
ainsi que sur celles des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Caldaguès.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes
chers collègues, l'action militaire engagée le 7 octobre constitue la réponse
logique à l'odieuse attaque du 11 septembre, dès lors que les Américains et les
Britanniques avaient acquis les preuves établissant les responsabilités
engagées et que leurs avertissements n'avaient pas été entendus.
A l'évidence, la déclaration faite par le Président de la République, Jacques
Chirac, aussitôt après le déclenchement des opérations se situe dans la même
logique, puisqu'il avait pris position, et le Gouvernement avec lui, dès
l'agression et qu'il avait même été le premier chef d'Etat - nous nous en
sommes félicités - à pouvoir exprimer sur place au président des Etats-Unis
ainsi qu'au peuple américain, notamment aux habitants de New York, l'entier
soutien de notre pays.
Faut-il ajouter que cette attitude s'inscrivait expressément dans une
tradition solidement établie puisque déjà, en son temps, lorsque les Etats-Unis
avaient vu se profiler à deux reprises le spectre de la guerre, à l'occasion de
la crise de Berlin et lors de celle des fusées soviétiques à Cuba, le général
de Gaulle avait été le premier homme d'Etat à proclamer avec force son soutien
à nos alliés américains ?
On n'est pas encore en mesure aujourd'hui - en tout cas pas publiquement - de
définir de manière exhaustive les tenants et les aboutissants de l'entreprise
de terrorisme qui menace notre monde de libertés. Dans ces conditions, comment
pourrait-on prévoir avec précision l'étendue des mesures de rétorsion
indispensables et donc la définition des moyens à mettre en oeuvre pour assumer
ces mesures et par là même la nature et le degré d'engagement qui pourront être
demandés à la France ? L'essentiel est qu'une ligne de conduite soit adoptée.
Or celle-ci a été clairement tracée par le Président de la République dans les
termes suivants : « On ne doit jamais céder au chantage ou à la peur. »
Le groupe du Rassemblement pour la République souscrit sans réserve à ce
principe, cela n'excluant nullement l'autonomie d'appréciation et de décision -
vous y avez fait référence, monsieur le Premier ministre - qui préside aux
déterminations prises ou à prendre par notre pays, cette autonomie étant
elle-même parfaitement compatible avec notre fidélité totale à nos alliances et
peut-être même valorisante à leur égard, comme je le rappelais voilà un
instant.
Ne pas céder au chantage, cela signifie aussi ne pas se contenter d'y résister
avec des restrictions mentales en fonction du temps ou de l'espace. Nous avons
retiré de votre déclaration liminaire, monsieur le Premier ministre, le
sentiment que telle était bien votre façon de voir.
Il est bon aussi d'avoir clairement exclu l'idée que l'action humanitaire n'a
pas la même valeur lorsqu'elle est pratiquée par les militaires. Il y a de par
le monde des soldats qui en font tous les jours ; c'est le cas des nôtres.
En effet, contrairement à une idée que l'on voit sourdre ici et là, le
terrorisme est indivisible. Il n'y a pas d'exclusivité du terrorisme. S'il ne
faut pas faire d'amalgame, il ne faut pas non plus faire de discriminations
subtiles. Il n'y a pas de terrorisme plus ou moins condamnable : une bombe à
Londres, c'était du terrorisme, n'eût-elle pas été posée par les mêmes auteurs
qu'à Paris ; une bombe à Madrid, c'est du terrorisme. L'assassinat d'un préfet
de la République, c'est du terrorisme
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, du RDSE, ainsi
que sur certaines travées socialistes.)
Et nous n'en croyons pas nos
oreilles d'avoir entendu dire, voilà quelques jours, que, si telle ou telle
condition n'était pas remplie à propos d'une partie du sol national, on verrait
reprendre les « désordres », c'est-à-dire, pour parler clairement, le
terrorisme. Prétendre peser sur les décisions du Parlement français par des
désordres, c'est aussi du terrorisme et nous ne l'acceptons pas.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
A ce propos et pour écarter des références abusives que l'on entend parfois,
il faut rappeler aux Français d'aujourd'hui que jamais la Résistance française
ne s'est livrée au moindre acte de terrorisme tendant à prendre pour cible des
innocents. N'en déplaise à quiconque, cela fait partie des raisons qui nous
autorisent à être fiers de nos propres valeurs.
Une autre idée est à écarter : le terrorisme serait la réponse du faible au
tout-puissant. Cette idée est particulièrement pernicieuse d'autant qu'on la
voit parfois transparaître dans des propos publics. Or elle est à rejeter car
nous la tenons pour un pavillon qui cache une autre marchandise. Oserait-on
prétendre que la France, qui n'a que trop subi d'attentats terroristes, était
ainsi punie pour sa toute-puissance ? Où donc la France a-t-elle exercé je ne
sais quel impérialisme pour mériter les bombes de la rue de Rennes ou de la
station de métro Saint-Michel ?
Que l'on ne vienne donc pas nous susurrer, comme le font certains, que le
profil bas serait une bonne recette pour nous faire oublier quand règne la
tourmente.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
C'est pourquoi il faut faire face à toute éventualité. Or l'un des atouts de
notre pays est d'être muni d'un dispositif spécialisé d'investigation en
matière de terrorisme et donc d'une grande expérience dans ce domaine, ce qui
lui a permis de prodiguer des avertissements ou des renseignements des plus
sérieux à plusieurs de nos alliés, notamment aux Etat-Unis.
Faut-il rappeler que cette spécialisation judiciaire est due à une initiative
du gouvernement de Jacques Chirac en 1986 et qu'elle, a depuis lors, rendu
d'immenses services ? Il me semble que le moment est venu de rendre un
chaleureux hommage à nos magistrats antiterroristes pour les résultats qu'ils
ont obtenus et pour les riques qu'ils ont courus et courent encore, notamment
le premier d'entre eux, M. Bruguière, qui, dans les débuts de sa mission, a
échappé à l'explosion d'un engin piégé qui aurait pu le déchiqueter. Voilà la
réalité !
On voudrait savoir si certains, qui ne dissimulaient guère, avant le 11
septembre dernier, leur souhait de voir disperser les magistrats
antiterroristes, ont enfin changé d'avis.
Dans ce domaine comme dans d'autres, il faut dissiper les illusions
démobilisatrices car, hélas ! l'esprit de Munich n'est pas mort.
Certes, notre contribution à la défense mutuelle est déjà le fait de nos
magistrats spécialisés, comme je viens de le dire, sans doute aussi de nos
services de renseignement. Mais nous savons que notre appareil militaire se
doit de répondre à des nécessités incontournables et nous approuvons
entièrement le président Xavier de Villepin lorsqu'il évoque le besoin d'une
disponibilité permanente de notre groupe aéronaval ainsi que la nécessaire
adaptation de notre calendrier de commandes et de mise en service des missiles
de croisière. Et n'oublions pas les précautions à prendre pour ne pas être
accaparés par la multiplication excessive des opérations extérieures !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Pour terminer, tournons-nous vers le présent.
Compte tenu de tout ce que je viens d'avancer, les membres du groupe du RPR
ont décidé d'adopter la ligne de conduite suivante.
Nous prenons acte, pour nous en féliciter, de ce que, dans les circonstances
graves que nous traversons, la France, par-delà les confrontations du
quotidien, s'exprime d'une seule voix. Les considérations de politique
intérieure doivent céder le pas à l'intérêt national. Et nous nous retrouvons
pour l'essentiel, monsieur le Premier ministre, dans les orientations générales
que vous avez énoncées en traduisant les déterminations de l'exécutif.
Nous ne nous en référons pas moins à l'esprit de nos institutions et à leur
clé de voûte pour assurer le Président de la République de notre entier soutien
et de notre totale disponibilité.
Nous condamnons avec force et sans aucune discrimination non seulement le
terrorisme dans son expression hideuse, mais aussi les calculs politiques
fondés sur le terrorisme. Car le poison du terrorisme est en nous lorsque nous
prêtons la moindre écoute aux explications qu'il prétend avancer.
Nous approuvons la disponibilité de la France et de ses armées pour contribuer
à sanctionner les auteurs des attentats et à éradiquer si possible ce type de
comportement.
Cependant, nous invitons le Gouvernement à un examen de conscience sur le
budget de nos forces armées, pour le niveau duquel les événements actuels
seront un révélateur.
Nous ne nous déroberons pas lorsqu'on nous présentera des mesures que nous
jugerons aptes à prévenir les actes terroristes, à commencer par le texte qu'on
nous annonce en vue d'habiliter les policiers et gendarmes à ouvrir les coffres
des véhicules privés, d'autant que plusieurs d'entre nous avions déjà proposé
cette mesure voilà quelque temps.
M. Eric Doligé.
Exact !
M. Michel Caldaguès.
Quoi qu'il en soit, et ce sera ma conclusion, vous pouvez aussi compter sur
nous, monsieur le Premier ministre, pour être des plus exigeants comme nous
avons coutume de l'être chaque fois qu'il s'agit du bien de la France, de sa
sécurité et de sa dignité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes
chers collègues, le choc consécutif à la tragédie qui s'est déroulée le 11
septembre nous saisit encore, et ce d'autant plus fortement que les opérations
militaires de riposte engagées par les Etats-Unis et soutenues par leurs alliés
ont débuté le week-end dernier.
Ne cédons cependant ni à la naïveté ni à l'indifférence : c'est à l'unité
nationale, et même internationale, que ce combat nous appelle. Ce qui s'est
passé à New York et à Washington n'est pas américain ; ce qui se passe en
Afghanistan n'est pas américain ; c'est bien de l'engagement de toutes les
démocraties contre la barbarie que nous parlons aujourd'hui. Il est temps d'en
débattre, il est temps que le Gouvernemnt informe le Parlement. Et si la France
augmente sa contribution aux opérations de riposte, il sera bientôt temps,
monsieur le Premier ministre, que le Parlement se prononce par un vote
solennel.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
Je ne reviendrai pas sur ces images de violence aveugle, qui ont repoussé
encore plus loin les frontières de l'horreur et de l'insoutenable. Si les mots
paraissent dérisoires, voire impuissants, devant ces attentats, ils sont aussi
nécessaires afin d'affirmer haut et fort notre condamnation du terrorisme sous
toutes ses formes et de rappeler notre profonde compassion à l'égard des
victimes et du peuple américain tout entier.
Le message des démocraties est donc extrêmement claire : c'est un message de
refus de la haine ; c'est un message de solidarité envers ceux qui en
souffrent. C'est pourquoi la France, qui a légitimement apporté son soutien aux
actions lancées par les Etats-Unis, ne pourra que s'engager plus avant dans
cette lutte, et ce d'autant mieux que les pouvoirs exécutif et législatif
français - c'est-à-dire le chef de l'Etat, le Gouvernement et le Parlement -
sont informés et associés à la prise de décision.
La France sait être un allié loyal tout en conservant sa liberté
d'appréciation. Elle a commencé d'apporter sa contribution à travers deux
navires mis à disposition des Etats-Unis dans l'océan Indien, effort sans doute
prolongé par l'appui des forces aéroterrestres présentes à Djibouti. Le geste
paraîtrait presque pathétique si le sujet n'était grave : il démontre
malheureusement que la France n'a plus les moyens militaires de ses ambitions.
S'il est clair que notre pays pourra néanmoins envisager une contribution plus
approfondie, notamment grâce à la remarquable qualité de ses forces spéciales,
il s'avère que c'est désormais à l'Europe, et non plus à chaque Etat en ordre
dispersé, de répondre positivement à de telles demandes. Nous attendons sur ce
point, monsieur le Premier ministre, des informations.
Face à ces actes de terrorisme, la lutte sera longue et difficile. Cela
signifie que les grandes nations devront accepter et respecter un véritable
principe de solidarité, y compris au sein des instances internationales ; cela
signifie que les pays de l'Union européenne devront accélérer la construction
de l'Europe politique ; cela signifie enfin que la France devra être, dans son
organisation politique et administrative, au meilleur de son efficacité.
Malheureusement, notre pays connaît déjà le terrorisme depuis plus de quinze
ans, à la différence sans doute des Etats-Unis. Il a eu à en souffrir à
plusieurs reprises, et ces plaies sanglantes ne se referment jamais
complètement.
Avant toute chose, il nous faut affirmer de nouveau, immédiatement,
distinctement, que l'islam n'est pas l'extrémisme et que l'extrémisme n'est pas
l'islam, qu'il ne s'agit ni de lutte de races ni de lutte de religions. Le
Gouvernement devra veiller avec fermeté, sur ce point, à stopper tous
débordements éventuels.
Notre pays a su développer des moyens et prendre des mesures pour lutter
contre le terrorisme, contre les terrorismes. L'expérience et la compétence de
nos forces armées, de nos services de police, de gendarmerie ou de
renseignement sont, je le crois, unanimememnt reconnues, comme le sont celles
de nos juridications spécialisées.
Il demeure que l'inquiétude de nos concitoyens, qui s'était peu à peu
estompée, s'est ravivée après les attentats du 11 septembre. Le Gouvernement a,
à cet égard, une lourde responsabilité : celle de rassurer et de protéger au
mieux, sans restreindre de manière inique les libertés individuelles. Si l'état
de droit doit être respecté - et nous y veillerons - il n'est pas tolérable de
laisser perdurer encore des zones de violence latente ou déclarée, des espaces
de non-droit où l'autorité de l'Etat est bafouée ; il ne peut donc être
question de refuser
a priori
des dispositions, transitoires, pouvant
faciliter le travail des services de sécurité. La situation est exceptionnelle
et la responsabilité politique en est accrue.
Monsieur le Premier ministre, nous le voyons, le terrorisme est aujourd'hui
protéiforme : la plus grande crainte des Français, comme d'ailleurs des autres
peuples, concerne les menaces invisibles, c'est-à-dire chimiques et
bactériologiques. Nous souhaiterions que vous puissiez apporter à nos
concitoyens des explications complémentaires sur les dispositifs Biotox et
Piratox. Les laboratoires français ont-ils la capacité de produire rapidement
des vaccins ou des antibiotiques, et les circuits de distribution à la
population sont-ils en état de fonctionner ?
Loin de verser dans le catastrophisme, le message des autorités publiques se
doit d'être rassurant par l'efficacité même qu'il implique. A cet égard,
j'espère que la politique budgétaire conduite depuis cinq ans ne nous ôtera pas
les marges de manoeuvre dont la France va évidemment avoir besoin...
Pouvons-nous, monsieur le Premier ministre, rendre compatibles votre ambition
coûteuse de réduire la durée du temps de travail et la nécessité d'assurer la
sécurité et la défense des valeurs de la République ?
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. -
Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Masseret.
Cela n'a rien à voir !
M. Jean Arthuis.
Plus globalement, force est de constater que la lutte contre le terrorisme
dépasse le cadre des Etats. C'est aussi à l'échelle européenne que doit se
développer la solidarité entre pays membres et à l'égard des pays victimes de
la barbarie. Les Quinze disposent aujourd'hui d'outils et de moyens performants
: il existe déjà une réelle coordination des services de police, de
renseignement et des douanes au sein de l'espace Schengen.
Mais il reste des lacunes à combler lorsque la volonté politique fait défaut
ou ne s'exprime pas clairement. Faut-il donc inventer une instance de décision
européenne active dans le seul domaine de la lutte contre la criminalité,
qu'elle soit liée à la drogue, aux manipulations financières ou au terrorisme ?
Ou bien peut-on considérer qu'Eurojust va être, enfin, très prochainement
opérationnel et se rapprochera d'Europol ? Nous appelons en effet toujours de
nos voeux l'espace judiciaire européen. Que faut-il de plus pour en améliorer
la mise en place, tout comme, d'ailleurs, pour créer le mandat d'arrêt européen
? La répression de toutes les formes de criminalité, y compris contre le
financement du terrorisme, peut incontestablement être communautarisée.
Sur toutes ces questions, les Français attendent des réponses. Je note
cependant que nous débattrons demain, dans cette enceinte, du projet de loi
autorisant la ratification de la convention internationale pour la répression
du terrorisme, cette dernière étant issue d'ailleurs d'une proposition
française. C'est un pas en avant important.
Plusieurs sénateurs socialistes.
Eh oui !
M. Jean Arthuis.
Enfin, la lutte qui vient de s'engager souligne la modestie - pour ne pas dire
la virtualité - de l'Europe de la défense. A nouveau, nous constatons avec
regret que l'Europe est loin d'avoir achevé sa construction, que seule l'Europe
économique et monétaire fonctionne, qu'il n'y a toujours pas d'Europe politique
décidant et parlant d'une seule voix.
Pour exister, l'Europe de la défense doit accélérer l'intégration de ses
forces terrestres, aériennes et navales. Elle doit aussi intégrer en amont ses
industries d'armement comme ses services de renseignement, notamment ceux qui
sont liés au contre-terrorisme. Mais cela implique aussi le maintien à niveau
de nos propres moyens militaires.
Ce besoin d'une volonté politique de l'Europe est d'autant plus vrai que
celle-ci doit également se pencher sur d'autres conséquences du combat contre
le terrorisme. Il paraît difficile de séparer les attentats du 11 septembre du
sort des populations civiles d'Afghanistan. Le désastre humanitaire n'est pas
loin du fanatisme étouffant ce pays, un fanatisme qui se cultive sur un terreau
de désespoir. Notre responsabilité d'Européens existe : elle consiste à
préparer l'après-talibans, l'après-Ben Laden. Les quelques dizaines de milliers
de rations larguées par les avions américains ne suffiront évidemment pas à
enrayer la misère dans ce pays.
La France a proposé la semaine dernière à ses partenaires de l'Union
européenne un plan d'action en faveur de l'Afghanistan, incluant une aide
humanitaire d'urgence : prévoit-on d'utiliser les excédents agro-alimentaires
de l'Union européenne ? L'Europe compte-t-elle effectivement, en concertation
avec les Nations unies, se préparer à apporter un appui, non seulement
financier mais surtout humain et en matériels, afin d'aider l'Afghanistan à
emprunter le chemin de la démocratie ? L'Union européenne s'attachera-t-elle
enfin à jouer un rôle dans l'établissement d'une administration de transition
dans ce pays meurtri ?
Notre défi commun consiste aussi à évoluer vers une Europe humaine et
solidaire.
Dernier point : la France fait partie de l'OTAN et, à ce titre, remplit ses
obligations en tant qu'alliée. La clause 5 du traité de l'OTAN, dite de
solidarité mutuelle, a été activée et va se traduire dans les actes, ce dont
personne ne doute. Mais au-delà, et cette fois à l'échelon international, la
voix originale et mesurée de la France doit se faire entendre afin d'encourager
les autres démocraties à agir, toutes ensemble, pour humaniser et réguler la
mondialisation.
Cela nous oblige probablement à réexaminer le fonctionnement des grandes
instances internationales et les rapports de forces existant en leur sein. Sous
l'égide des Nations unies, n'est-il pas temps que la communauté internationale
se mobilise, en cohérence, pour faire progresser la paix au Moyen-Orient ?
(Ah ! sur les travées socialistes.)
Au sein de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, dont les membres
doivent se retrouver dans un mois à la conférence de Doha, au Qatar, ne doit-on
pas rechercher de nouvelles règles d'équilibre et de justice entre pays
industrialisés et pays en voie de développement ? Au FMI, ne doit-on pas
renforcer encore la coopération entre Etats afin de lutter plus efficacement
contre la corruption financière et les réseaux de financement du terrorisme
?
M. le président.
Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean Arthuis.
Le récent G 7 me semble à cet égard avoir évolué dans la bonne direction.
La Banque mondiale ne doit-elle pas revoir certains de ses programmes de
développement ? Car, ne nous y trompons pas : lorsque les démocraties se
replient sur elles-mêmes ou sombrent dans la récession, ce sont les pays
pauvres qui souffrent et voient leur misère s'aggraver. C'est une vision
inacceptable.
Le groupe de l'Union centriste proclame que, devant l'horreur, devant la
barbarie, devant la misère, la grande force des démocraties réside dans leur
capacité de réponse et d'union. Elles disposent de la volonté politique. A
elles de l'exercer !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées
socialistes.)
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, je le dis solennellement, l'opération militaire engagée
depuis trois jours en Afghanistan constitue un fait nouveau considérable. La
teneur de notre débat en est modifiée.
Nous sommes la représentation nationale : nous devons répondre à l'inquiétude
de nos concitoyens, une inquiétude qui, au demeurant, gagne des peuples entiers
et que nous ressentons au plus profond de nous.
Les attentats effroyables qui ont frappé New York et Washington le 11
septembre dernier et tué 6 000 personnes ont tétanisé l'humanité, informée en
direct, chacun sentant la portée historique de cet événement.
M'exprimant au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen,
je rappellerai que nous avons condamné sans appel ces actes de barbarie
qu'aucune cause ne saurait justifier et qui sont à l'opposé des valeurs que
nous défendons.
Notre groupe soutient sans réserve la volonté de mettre hors d'état de nuire
le terrorisme, ses réseaux, ses moyens de fonctionnement, ses dirigeants et
acteurs, qui doivent être recherchés, jugés et châtiés. L'usage responsable de
la force - un usage qui implique le discernement, - est bien entendu nécessaire
dans cette lutte.
Comment ne pas être saisi d'effroi par les propos guerriers, d'un autre âge,
d'un Ben Laden ? Cet homme doit être poursuivi sans relâche afin qu'il soit
amené à répondre de ses crimes.
L'objectif de celui qui se veut le leader d'un islamisme conquérant et vengeur
est clair : il cherche l'engrenage, il cherche à pousser l'Occident dans un
combat qui prétend opposer une civilisation à une autre.
Hélas ! depuis trois jours, nous pressentons qu'il y a là un risque réel.
Malgré la faiblesse des informations dont nous disposons - nous,
parlementaires, mais aussi, semble-t-il, l'exécutif français -, il nous
apparaît qu'une grave crise menace le monde musulman.
Tout doit être fait, monsieur le Premier ministre, pour éviter le piège tendu
par Ben Laden. Les pays occidentaux doivent chercher à s'appuyer sur les
peuples concernés pour mieux combattre le terrorisme.
Des liens nouveaux doivent être créés. Des coopérations fructueuses et une
action résolue tendant à résoudre le conflit palestinien seront les meilleurs
moyens d'isoler le fondamentalisme religieux et son expression violente.
Combattre le terrorisme, cela signifie mener une action résolue contre ses
moyens de financement. Il faut mettre un terme aux paradis fiscaux où mafias et
organisations terroristes se retrouvent pour blanchir l'argent du trafic
d'armes et de la drogue.
Combattre le terrorisme, c'est balayer devant sa propre porte, chez nous, en
Occident, où, trop longtemps, des réseaux ont agi à visage découvert, notamment
en Grande-Bretagne.
(M. About applaudit.)
Combattre le terrorisme, c'est mettre en cause des régimes soutenus par les
Etats-Unis et qui constituent le réservoir financier et humain du
fondamentalisme religieux. Je pense notamment au Pakistan, à l'Arabie Saoudite
et aux émirats féodaux.
Combattre le terrorisme, enfin, c'est mettre sur pied une coopération
internationale prévue dans la durée. C'est l'ONU qui doit, selon nous, encadrer
cet effort gigantesque pour les années à venir.
Les opérations militaires déclenchées sur l'initiative des Etats-Unis en
Afghanistan s'inscrivent-elles dans ces exigences ? Correspondent-elles à
l'objectif affiché par les Américains et leurs alliés, c'est-à-dire mettre hors
d'état de nuire les réseaux impliqués dans les attentats du 11 septembre ?
N'enferment-elles pas les peuples dans une logique de vengeance plutôt que de
justice ?
Il n'y a pas de peuple terroriste. Le peuple afghan a droit à la paix et à la
vie. Attention à l'engrenage !
Face à ces événements considérables, la France, quatrième puissance mondiale,
membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, a une responsabilité
essentielle pour l'avenir.
Nous souhaitons, monsieur le Premier ministre, que notre pays mette tout en
oeuvre pour replacer l'ONU au centre des relations internationales. Est-il
acceptable d'écarter ainsi la représentation collective des Etats ?
Nous préconisons l'adoption de résolutions, si possible dans le cadre de
l'assemblée générale, pour décider des actions contre le terrorisme. C'est
seulement si la collectivité mondiale s'engage, est actrice, que ce combat
pourra être couronné de succès.
Et l'Europe ? Quel silence, alors que les capitales européennes semblaient se
prononcer pour un monde multipolaire !
La crise terrible qui secoue aujourd'hui le monde peut, paradoxalement, offrir
une chance de rétablissement de normes internationales régissant les rapports
entre les Etats.
Elle renforce - dramatiquement, hélas ! - la nécessité d'un nouvel ordre
international qui puisse assurer une plus juste répartition des richesses sur
une planète où, chaque année, le fossé s'agrandit entre une immense majorité
qui souffre de faim, de maladie, qui subit les guerres, les violences, et une
infime minorité qui prospère.
La coexistence des bombes et des sacs de riz illustre cruellement le désordre
mondial actuel.
Nous souhaitons, monsieur le Premier ministre, que la France porte haut ces
discours de fraternité, de développement harmonieux de l'humanité.
Cette dernière a un passé. La situation que nous vivons aujourd'hui est le
résultat d'une histoire qui a généré, au cours des décennies, d'énormes
frustrations et des haines. Se tourner vers l'avenir, c'est construire un autre
monde. La France, avec ses valeurs, peut et doit y participer, et ce d'autant
plus que notre propre histoire nous confère une responsabilité toute
particulière à l'égard des pays musulmans.
Notre pays possède une force : celle du métissage de cultures différentes. Ce
message de dialogue entre communautés, nous devons le porter hors de nos
frontières.
Monsieur le Premier ministre, nous souhaitons savoir aujourd'hui où nous en
sommes dans ce conflit, quelles sont les conséquences des actions militaires
engagées sur l'activité des réseaux terroristes basés en Afghanistan et sur la
population civile.
Peut-on toujours parler de riposte ciblée quand les bombardements
s'intensifient jour et nuit ? Nous souhaitons connaître votre opinion sur
l'efficacité de l'intervention en cours.
Bien entendu, monsieur le Premier ministre, nous partageons votre souci, que
vous avez affirmé tant hier à l'Assemblée nationale qu'aujourd'hui ici même, de
refuser l'engrenage dans un conflit incertain tout en affichant votre volonté
déterminée d'abattre le terrorisme.
Mais cet engrenage est devant nous. La région concernée est particulièrement
sensible et instable. Les pays musulmans ont condamné quasi unanimement les
attentats du 11 septembre mais, par la voix de nombre de responsables, ils
appellent à ne pas élargir le conflit, attitude confirmée aujourd'hui par
l'organisation de la Conférence islamique, regroupant cinquante-sept pays.
Quelles indications pouvez-vous nous donner sur la volonté des Etats-Unis de
frapper d'autres pays supposés soutenir ou abriter le terrorisme ? Comment
comptez-vous faire primer la coopération internationale dans le cadre de l'ONU
sur l'action solitaire ou presque des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, aux
contours et au devenir incertains ?
En tout état de cause, monsieur le Premier ministre, je réaffirme à cette
tribune notre exigence d'une information complète et permanente du Parlement
durant cette crise.
Je vous demande solennellement d'envisager une consultation de la
représentation nationale lorsque des décisions seront prises - et si elles sont
prises - d'un engagement renforcé de la France.
J'ajoute que, de la même manière, les mesures exceptionnelles qui
s'avéreraient nécessaires pour la sécurité des Français ne peuvent qu'être
limitées dans le temps et soumises au contrôle régulier du Parlement.
Comment pourrait-on comprendre qu'une démocratie comme la nôtre s'engage
progressivement sans écouter et prendre l'avis, y compris par le vote si la
situation l'exige, des représentants du peuple ?
Faire vivre pleinement la démocratie, même dans ce contexte dramatique, ne
peut être qu'un signe adressé à tous les démocrates, à tous ceux qui
continuent, au sein même de l'obscurité, à croire en l'avenir de l'humanité et
à son épanouissement.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, vous comprendrez que je ne puisse répondre à chacune de vos
interpellations, interrogations et suggestions, car ce débat nous entraînerait
trop loin et je lasserais peut-être votre patience, d'autant que je m'exprime
en cet instant pour la seconde fois devant vous cet après-midi.
Je n'engagerai pas non plus le débat général de politique internationale
auquel certains nous ont presque conviés - je pense, notamment, à M. Arthuis -
et je laisserai les discussions budgétaires se dérouler le moment venu.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé.
Ils se sont trompés de débat !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Je me contenterai donc de dire tout d'abord que, si
chacun s'est exprimé avec sa conviction, avec sa sensibilité - parfois même
avec sa vision de la République, qui nous est commune -, j'ai quand même
personnellement ressenti - et j'espère ne pas interpréter trop largement vos
expressions et vos propos - que, sur l'essentiel de l'analyse de l'après-11
septembre ou sur la position qui doit être, selon vous, celle de la France, il
y avait entre tous ceux qui se sont exprimés une grande convergence de vues, ce
dont je me félicite. C'est cette même convergence de vues que nous faisons
prévaloir au sein de l'exécutif.
Je répondrai cependant à un certain nombre de questions qui ont été posées et
je dirai d'abord, en réponse au président de votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, M. Xavier de Villepin, que vous
savez bien, comme l'a d'une autre façon rappelé Mme Borvo, que, pour la France,
pour la diplomatie française, le rôle des Nations unies reste tout à fait
essentiel.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Les Nations unies ont pris sur le terrorisme des
positions qui résultent directement de propositions de la France. Nous nous
sommes efforcés, chaque fois que c'était possible - notamment quand l'emploi de
la force pouvait être invoqué -, de faire en sorte qu'une telle décision soit
prise dans le cadre des Nations unies. Nous nous réjouissons, d'ailleurs, que
ce soit sur la base d'une résolution du Conseil de sécurité, considérant que la
paix était menacée et reconnaissant aux Etats-Unis un droit de légitime
défense, que l'intervention en Afghanistan ait finalement eu lieu.
Soyez donc persuadés que toutes les initiatives tendant à ce que l'ONU joue
pleinement son rôle, par exemple dans la recherche d'une solution politique en
Afghanistan, recevront l'appui de la France et, en tout cas, de son
Gouvernement et de sa diplomatie.
De la même manière, monsieur de Villepin, vous savez bien que, sur la question
israélo-palestinienne, la position de la France - celle du Président de la
République, la mienne, celle du ministre des affaires étrangères, qui s'est
rendu à plusieurs reprises dans la région - a toujours été une position active
et déterminée en faveur de la paix. Chaque fois que nous avons pu faciliter le
dialogue, chaque fois que nous avons pu modérer les différents acteurs
lorsqu'ils se laissaient emporter par la passion, nous l'avons fait. Nous
l'avons fait à l'époque de François Mitterrand, nous le faisons encore
maintenant.
Nous nous sommes, évidemment, efforcés de faire partager notre position
constante par nos partenaires européens et, aujourd'hui, on peut dire qu'une
conviction européenne commune se fonde sur une approche qui était au départ
plutôt celle de la France, les ministres des affaires étrangères européens se
succédant à Jérusalem ou dans les territoires palestiniens l'ont démontré.
L'évolution qui peut paraître se dessiner du côté des Etats-Unis, après une
période de retrait, est positive et nous invitons à nouveau tous les acteurs -
et, c'est vrai, en particulier le Premier ministre Sharon - à retrouver la voie
du dialogue, par la recherche du cessez-le-feu et par la reprise du dialogue
politique.
A propos de l'Afghanistan, le plan proposé par la France s'adresse non
seulement à nos partenaires européens, mais aussi à l'ensemble de la communauté
internationale. Il vise à susciter une coordination des efforts tant sur le
plan humanitaire qu'en vue d'une solution politique, et d'une solution
politique qui ne soit pas préfabriquée mais qui parte de la réalité très
particulière de l'Afghanistan et qui permette enfin au peuple afghan, à ce
peuple effectivement martyrisé, de reprendre le contrôle de son destin.
Ce plan a été présenté au Conseil des affaires générales le 8 octobre et il a
été reçu avec un vif intérêt par nos partenaires européens, qui sont déterminés
à agir afin que l'Europe joue tout son rôle dans la mobilisation
internationale.
En ce qui concerne la coopération policière et judiciaire en Europe, vous avez
raison d'insister sur le fait qu'il est essentiel que les décisions prises par
le Conseil extraordinaire des chefs d'Etat et de Gouvernement qui s'est tenu à
Bruxelles le 21 septembre afin de renforcer la lutte contre le terrorisme
puissent produire des effets le plus rapidement possible.
Les négociations pour que l'Union adopte une définition commune du terrorisme
et se dote d'un mandat d'arrêt européen - certains d'entre vous ont évoqué ce
point - ont commencé et un conseil des ministres européens de la justice a été
convoqué spécialement à cet effet le 16 octobre prochain. Les Quinze se sont
fixé comme objectif de parvenir à un accord sur ces deux instruments au début
du mois de décembre, et j'ai bon espoir que notre volonté d'efficacité
permettra de parvenir à ce résultat.
Je ne reviens pas sur le gel des avoirs, que nous avons décidé immédiatement.
Lundi, les Quinze ont décidé de rejoindre la France et de procéder également à
un gel immédiat de ces avoirs.
Vous savez par ailleurs que nous nous sommes engagés dans la ratification de
la convention des Nations unies sur la répression du financement du terrorisme
- nous en sommes même à l'origine - et ce débat sera d'ailleurs inscrit à
l'ordre du jour de votre assemblée dès demain.
Vous avez évoqué de nombreux problèmes, monsieur de Villepin, et c'est bien
légitime compte tenu de vos responsabilités.
En ce qui concerne les capacités de transport aéroporté de la France, je
voudrais vous dire que la négociation relative à l'avion de transport futur A
400 M, de même que celle qui concerne un éventuel grand avion de transport
civil, n'a été possible que parce que nous avons réussi à faire émerger au
niveau européen, après avoir opéré les restructurations et les rapprochements
nécessaires en France, la très grande entreprise de l'aéronautique et de
l'espace qu'est EADS, seule à même de porter ce type de projet. Voilà donc un
domaine dans lequel, je le crois, nous avons bien travaillé.
Quoi qu'il en soit, la négociation sur l'A 400 M a franchi un pas important
lors du
round
qui s'est tenu ces jours derniers, puisque nous pouvons
espérer, s'agissant des discussions sur les prix, que le Gouvernement allemand
est maintenant à même de considérer que les questions qu'il avait soulevées ont
obtenu réponse et qu'il donnera son accord définitif. En tout cas, sachez que
nous travaillons dans cette direction.
Quant à l'Europe de la défense, sous la présidence belge, les travaux de
perfectionnement de la force de réaction rapide avancent bien et doivent
déboucher, lors du Conseil européen de Laeken en décembre, sur une déclaration
constatant que l'Union européenne est opérationnelle pour gérer une crise. Au
demeurant, le fait que les Etats-Unis aient indiqué officiellement qu'ils
jugaient approprié que l'Union européenne conduise les opérations de maintien
de la paix en Macédoine et, dans un proche avenir, en Bosnie montre bien que
leurs dirigeants sont plus conscients que certains ici - si j'en juge par les
interventions que je viens d'entendre, mais je ne pense pas à vous, monsieur de
Villepin, en disant cela ! - de la réalité des progrès accomplis depuis
plusieurs mois par la France, Président de la République et Gouvernement
réunis, dans la construction d'une Europe de la défense.
Enfin, évoquant la question de la réserve opérationnelle, vous avez soulevé un
véritable problème, monsieur de Villepin. Nous en parlions d'ailleurs encore
tout récemment avec le ministre de la défense.
La loi du 22 octobre 1999 est venue consacrer la création et la montée en
puissance d'une réserve militaire, reconstituée en raison de la suppression du
service militaire. Cette réserve sera composée, d'une part, d'anciens
militaires d'active assujettis pendant cinq ans à une obligation de
disponibilité et, d'autre part, de militaires ayant souscrit un contrat
d'engagement spécial dans la réserve.
A terme, vous le savez, la réserve doit compter 100 000 personnels, dont la
moitié au sein de la gendarmerie nationale. Il est vrai que, malgré la montée
en puissance actuelle, nous sommes loin de cet objectif, puisque nous ne
dénombrons actuellement que 22 000 réservistes.
Il est prévu d'accélérer le rythme de constitution de la réserve afin
d'atteindre 50 % de l'effectif théorique pour l'ensemble des forces armées
d'ici à trois ans. Mais je vous rappelle que ce n'est pas un simple problème de
volonté politique de la part du Gouvernement, ni un problème de moyens
budgétaires - encore que certains puissent être nécessaires - car c'est aussi
un travail de persuasion que, les uns et les autres, nous devons mener auprès
de nos compatriotes, auprès de tous ceux qui sont susceptibles de s'engager
dans cette réserve.
Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Claude Estier lorsqu'il a rappelé la
légitimité de l'intervention des Etats-Unis.
Cette légitimité a été affirmée par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
C'est là une dimension de droit international.
Cette légitimité est évidente aussi, le peuple américain, l'Etat américain,
ayant été frappés en leur coeur même, de façon terrifiante, par ces attentats
terroristes.
Nous ne pouvions donc pas nous attendre à autre chose qu'à une réaction des
Américains. Cette réaction, nous jugeons qu'elle est légitime, notamment dans
la forme qu'elle prend aujourd'hui. Je reviendrai peut-être sur ce point dans
ma réponse à d'autres intervenants.
Il est vrai, monsieur Estier, que nous assistons sans doute à la fin du mythe
de l'invulnérabilité du territoire des Etats-Unis, même si, déjà, des attentats
l'avaient frappé.
Nous pouvons espérer que nos amis américains en tirent la leçon que, même
lorsqu'on est la première puissance mondiale - et surtout, peut-être, dans ce
cas - on ne peut faire abstraction du reste du monde et qu'on peut craindre que
le monde, en retour, ne vienne exercer son influence sur votre territoire.
Je ne sais pas quelle leçon l'administration américaine tirera de cette
expérience tellement dramatique. J'estime cependant que cette expérience
pourrait montrer à nos amis américains que c'est bien en ayant la vision d'un
monde multipolaire, en prenant toute leur place au sein du multilatéralisme
devant présider à l'organisation du monde qu'ils pourront être pleinement
entendus comme puissance et assumer leur devoir de responsabilité.
Je n'ai pas le temps de développer plus avant ces réflexions, mais je crois
que l'après-11 septembre soulèvera une série d'interrogations sur l'évolution
du monde.
Ce conflit - comme vous l'avez dit, monsieur Estier - ne ressemble pas à ceux
qui l'ont précédé. C'est pourquoi - j'y reviendrai tout à l'heure -,
l'engagement de notre pays prendra des formes diverses, de même que les
modalités de votre information et de votre consultation.
Je suis également d'accord avec M. Bernard Seillier lorsqu'il exprime le
souhait que le champ de notre intervention telle qu'elle est cadrée aujourd'hui
ne soit pas étendu.
Je partage aussi - peut-être pas tout à fait avec la même définition de la
nation, peut-être pas exactement avec les accents qui ont été les siens -
l'idée que la France doit rester non seulement une nation, un partenaire de la
communauté internationale, un pays profondément européen dans sa culture et
dans ses engagements, mais aussi un pays qui n'a renoncé ni à son identité
nationale, ni à ses choix de politique économique et sociale, ni à son modèle
de fonctionnement, ni à sa vision de la République.
M. de Raincourt a abordé la question de l'association du Parlement aux
décisions que prend l'exécutif. Il a affirmé notamment : je regrette que le
Parlement français soit plus largement tenu à l'écart que ses homologues.
J'ai à cet égard pu constater, notamment après mon intervention hier à
l'Assemblée nationale, qu'en effet cette question du vote avait quelque peu
polarisé le point de vue d'un certain nombre d'observateurs et de
commentateurs. Je vais donc revenir sur ce point qui pose un problème de forme
et un problème de fond.
En ce qui concerne la forme, oui, notre Parlement est quelque peu différent
des parlements d'autres pays européens dans la mesure où le régime de la Ve
République n'est pas un régime exclusivement parlementaire, ce qui est le cas,
par exemple, en Grande-Bretagne, en Allemagne fédérale et en Suède. C'est un
régime qui est à la fois présidentiel et parlementaire. Faut-il le rappeler à
des parlementaires ?
Je ne suis pas de ceux qui ont bâti le système de la Ve République, mon ami de
Rohan-Chabot le sait très bien. Nous n'avons pas non plus révisé la
Constitution ! Or, quelles possibilités offre-t-elle ?
Avec le Gouvernement, je suis en quelque sorte chargé de la relation avec le
Parlement. Je ressens les interrogations des parlementaires et j'y réponds.
C'est à moi de régler ces problèmes. Par conséquent, je le fais tant à
l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Mais, puisque l'on aborde la question, soyons très clairs : le Président de la
République ne considère pas qu'il soit possible - je ne dirai pas « souhaitable
» parce que j'interpréterais peut-être sa pensée - de voter sur ces questions
telle qu'est la Constitution.
M. Alain Gournac.
Il a raison !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Il a quelques arguments.
L'article 35 de la Constitution précise en effet que « la déclaration de
guerre est autorisée par le Parlement ». Voudriez-vous que nous vous
consultions pour vous demander si nous devons déclarer la guerre à
l'Afghanistan ? Mais nous ne faisons la guerre ni à l'Afghanistan ni au peuple
afghan, des opérations sont menées en Afghanistan contre un certain nombre
d'objectifs !
Il existe une autre possibilité. Il s'agit de l'article 49-4, qui donne la
faculté au Premier ministre de demander l'approbation du Sénat sur une
déclaration de politique générale, et de l'article 49-1, qui permet au Premier
ministre de solliciter la confiance de l'Assemblée nationale, d'engager la
responsabilité du Gouvernement sur une déclaration de politique générale.
Cet article 49-1 a d'ailleurs été employé par Michel Rocard au moment de la
guerre du Golfe. Mais la décision concernant la guerre du Golfe était une
décision globale, immédiate, qui entraînait tout le reste, dans un conflit
global.
Allons-nous utiliser cette possibilité ? Mesdames et messieurs les
parlementaires et peut-être aussi mesdames et messieurs de la presse, cela ne
me gênerait nullement.
Mais la confiance qu'obtiendrait le Gouvernement lors du vote sur une
déclaration de politique générale - je suis convaincu que, telle que je la
rédigerais, elle recevrait l'approbation de l'ensemble de la majorité et
peut-être même de l'opposition - répondrait-elle à la question qui nous est
posée ? Par ailleurs, l'opposition ne me dirait-elle pas : « Lionel Jospin, ne
cherchez-vous pas un autre avantage ? »
Il est donc bien évident que l'article 49-1 n'est pas directement fait pour
autoriser ou pour ne pas autoriser, pour donner son point de vue sur un
engagement de la France dans des opérations.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je ne comprends donc pas très bien pourquoi certains se focalisent sur cette
question
(Murmures sur les travées du RPR),
d'autant que la forme
rejoint le fond.
Sur ce sujet, si c'est à cela que vous pensez, j'ai trouvé que Mme Borvo s'est
exprimée de façon plus nuancée que M. Arthuis, par exemple.
(Nouveaux
murmures sur les mêmes travées.)
M. Philippe Marini.
De façon plus nuancée que ses camarades à l'Assemblée nationale !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
J'en viens à la question de fond.
Au moment de la guerre du Golfe, il s'agissait de savoir si la France
participerait à une opération, sous l'égide des Nations unies d'ailleurs, qui
était une véritable opération de guerre dans un conflit frontal et où nous
étions prêts à engager l'ensemble de nos moyens.
Pour ce qui est du Kosovo, il s'est également agi de décider si, oui ou non,
nous participerions au conflit. Le Parlement a alors été informé et consulté,
comme je l'avais moi-même suggéré, et nous avons accepté de nous engager dans
ce conflit.
Aujourd'hui, le problème est le suivant : nous sommes d'ores et déjà
sollicités et nous pouvons l'être encore pour intervenir de façons diverses,
ponctuelles, changeantes. Il serait dès lors très difficile que le Parlement se
prononce par un vote - et alors que nous ne disposons pas de l'outil
constitutionnel - qui reviendrait à une sorte de tout ou rien, tendant à vous
associer vraiment à des prises de décisions précises qui, par ailleurs, nous
incombent.
C'est bien pourquoi, au-delà d'un débat de principe, je préfère de beaucoup
vous associer de façon aussi précise que possible, notamment en donnant à tous
les présidents de groupes parlementaires et à tous les présidents de commission
les informations dont ils ont besoin sur ce qui nous est demandé et sur ce que
nous sommes prêts à faire. Si, à partir de ces éléments, tel ou tel débat de
principe s'engageait, il serait toujours temps de l'organiser.
Je voudrais vraiment que l'on comprenne bien la manière dont cette question se
pose, quelles sont l'attitude du Président de la République et celle du chef du
Gouvernement.
Je suis chargé des relations avec le Parlement et qu'on ne croie pas que
j'éprouve sur cette question, ni sur le fond ni sur la forme, le moindre
embarras.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
Je répondrai maintenant à M. de Montesquiou que notre diplomatie se conçoit
non pas comme un arbitre, mais bien plutôt comme un acteur et, par ailleurs,
comme un bon partenaire de la communauté internationale.
Je rappelle à propos de l'Afghanistan que M. le ministre des affaires
étrangères a reçu le commandant Massoud à Paris et que nous sommes certainement
l'un des pays et l'une des diplomaties qui a gardé le contact le plus grand
avec l'Alliance du Nord.
(M. de Montesquiou fait un geste dubitatif.)
Monsieur de Montesquiou, c'est parce que les responsables de l'Alliance du
Nord et le commandant Massoud lui-même lorsqu'ils ont rencontré M. Hubert
Védrine nous ont dit que nous ne pouvions ni ne devions couper tout lien avec
le régime des talibans - sinon nos organisations non gouvernementales ne
pourraient plus intervenir en Afghanistan et la souffrance du peuple serait
plus grande - que nous avons maintenu nos liens avec un régime qui par ailleurs
n'est pas reconnu.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Enfin, monsieur de Montesquiou, la France n'a jamais, particulièrement mon
gouvernement, manifesté la moindre complaisance à l'égard des talibans, pas
plus d'ailleurs, à quelque époque que ce soit, qu'à l'égard de M. Ben Laden.
Donc, pour ce qui nous concerne, nous sommes clairs.
(Très bien ! sur les
travées socialistes.)
Je répondrai maintenant à M. Caldaguès qu'il ne faut avoir aucune complaisance
à l'égard du terrorisme et que la France n'a jamais été un sanctuaire. Elle a
pu parfois abriter sur son sol, et c'est peut-être encore le cas, des «
éléments dormants », comme l'on dit. Elle ne saurait se sentir à l'abri ou
épargnée par le terrorisme ; en tout cas, elle mène une lutte constante,
déterminée contre lui.
Comme on l'a vu ces dernières semaines, cette lutte est efficace grâce à la
coopération entre la justice et la police. Elle a en effet permis de démanteler
des réseaux, de renseigner nos partenaires ; ils en ont d'ailleurs témoigné, y
compris le FBI.
Enfin, sans faire allusion à d'autres sujets de l'actualité, comme vous le
savez, monsieur le sénateur, tous les magistrats qui ont à mener une lutte
contre le terrorisme - qu'ils soient spécialisés ou non - peuvent accomplir
leurs tâches totalement, en toute indépendance, avec le concours plein et
entier - et c'est d'ailleurs la loi - de la police. Le Gouvernement veille à
leur en donner les moyens.
Des éléments de la politique de défense ont été évoqués par plusieurs d'entre
vous, notamment par M. Arthuis. Peut-être pourrais-je ajouter quelques
remarques sur ce thème.
Les principes et les options stratégiques de notre politique de défense
restent solides, comme l'a dit M. de Villepin. Même si la réflexion doit rester
ouverte, il ne faut pas que, en fonction des événements, de façon trop
impulsive, trop impressionniste, on donne des à-coups trop violents, on modifie
les priorités. Cela avait d'ailleurs été l'un des thèmes de mon intervention à
l'Institut des hautes études de défense nationale, l'IHEDN.
Les réponses cohérentes à la menace terroriste reposent sur la protection
intérieure et le renseignement. Le Gouvernement y a déjà travaillé dans la
durée et il continue à le faire sur tous les terrains. Dans cette optique,
l'Europe de la défense - j'ai essayé d'en donner quelques preuves - se justifie
plus que jamais !
J'avais annoncé que je n'aborderai pas les questions budgétaires. Je dirai
seulement que la loi de programmation militaire 1997-2002 a été, pour les
effectifs, pleinement respectée et, pour l'équipement, réalisée à 94 % sur six
budgets successifs. C'est, je crois, un pourcentage sans précédent depuis
trente ans !
Un sénateur socialiste.
Eh oui !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Pour 2002, nous maintenons donc le cap et nous avons la
volonté de faire face aux besoins nouveaux qui sont avérés.
Je ne reviendrai pas sur la réserve, mais je dirai un mot des missiles de
croisière. Les commandes sont confirmées et en cours de réalisation, les
financements ont été mis en place durant ces dernières années et les livraisons
à l'armée de l'air sont prévues en 2003 ; c'est ce que me confirmait le
ministre de la défense. C'est un programme franco-britannique d'un niveau
technique supérieur au Tomahawk, qui a été conçu dans une période
précédente.
Je terminerai par Mme Borvo. Naturellement, je suis totalement d'accord avec
elle pour que soit conduite une action résolue, constante, contre les circuits
financiers. Nous avons été heureux de constater que, dans des circonstances
qui, elles, étaient au contraire presque celles du désespoir, des changements
d'attitude s'opèrent sur un certain nombre de dossiers, et nous veillerons à ce
que la lutte contre les paradis fiscaux, les centres
offshores
et les
circuits financiers opaques, lutte destinée à réduire l'empire du secret
bancaire, soit poursuivie dans la durée.
Il n'y a pas de peuple terroriste et le peuple afghan n'est pas un peuple
terroriste.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Mais il y a des systèmes oppresseurs et le système des
talibans est un système oppresseur.
M. Jean-Pierre Masseret.
Très bien !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Il y a en Afghanistan des bases terroristes qui sont
sanctuarisées.
Outre que nous ne doutions pas un instant que les Etats-Unis, frappés comme
ils l'ont été, répliqueraient - ils en avaient le droit et ils ont pris, plus
qu'en d'autres circonstances, leur temps pour le faire, mesurant peut-être la
difficulté de la tâche - nous pensons que cette action en Afghanistan, telle
qu'elle est menée, est non seulement légitime, mais aussi justifiée.
Si elle est maîtrisée, bien ciblée, si elle frappe les réseaux, les
désorganise dans ce qui est quand même un de leurs noyaux essentiels, et si,
dans le même temps, elle disloque le système des talibans et donne l'espoir, si
nous agissons ensuite avec intelligence, de restaurer la paix civile en
Afghanistan, de parvenir à un consensus qui sera forcément, on le sait,
inter-ethnique, car nous n'allons pas leur imposer notre modèle démocratique,
et, enfin, si cette action permet que ce peuple cesse d'être martyrisé, je
pense que, quelles que soient les conditions dans lesquelles la décision aura
été prise, elle sera juste.
L'alternative de la non-frappe, en l'espèce, assurerait simplement l'impunité
de Ben Laden et le maintien de l'oppression des talibans sur le peuple afghan,
en particulier, madame, sur les femmes afghanes.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Je n'ai pas d'interrogations sur cette action telle
qu'elle est menée. Mais - je reviens sur ce qui a été dit sur plusieurs travées
tant de la majorité que de l'opposition - je l'ai précisé moi-même et nous
devons veiller à ce que cette réplique soit maîtrisée et conçue en ayant à
l'esprit que nous avons en face de nous un adversaire fanatique certes, mais
intelligent et doté d'une vision qui lui est propre.
S'agissant de l'intervention elle-même - vous m'avez interrogé sur ce point -
je pense qu'elle est jusqu'ici efficace. Contrairement à ce que vous pensez,
madame Borvo, son intensité ne s'accroît pas, elle décroît, puisqu'elle est
reprise avec des moyens moins importants. Nous fournirons des indications tout
à l'heure si c'est nécessaire.
Sachez aussi que nous veillerons à vous donner une information complète et
permanente qui vous permettra de nous faire connaître votre sentiment sur tel
ou tel engagement qui pourrait être celui de la France dans des conditions
concrètes à un moment ou à un autre.
Vous pouvez faire confiance à la volonté des autorités publiques et, pour ce
qui me concerne, à la mienne et à celle du Gouvernement de conduire cette
affaire avec maîtrise.
Pardonnez-moi d'avoir peut-être été à nouveau un peu long, mais sans doute
n'ai-je pas répondu à toutes vos questions...
M. Josselin de Rohan.
Il faudra revenir !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Merci, monsieur le sénateur. Chaque fois que vous
m'accueillerez de cette façon, ce sera un plaisir !
(Sourires.)
M. Patrick Lassourd.
Il faudra faire l'expérience !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Vous m'accueillez d'ailleurs toujours très
courtoisement
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)
, mais ce n'est pas toujours aussi consensuel !
M. le président.
Le sujet s'y prête, monsieur le Premier ministre !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Il s'y prête en effet.
Je conclurai en disant que rien ne doit nous faire oublier le sentiment
d'horreur et de compassion que nous avons éprouvé le 11 septembre lorsque nous
avons assisté, pratiquement en direct, aux attentats sur New York et
Washington. Rien ne doit faire retomber l'indignation que nous avons éprouvée
et notre détermination absolue à combattre, dans la durée, le fanatisme et le
terrorisme. Mais nous devons en même temps garder la tête froide et avancer,
comme je le disais hier, « les yeux ouverts ». Nous devons agir avec force,
conformément à nos valeurs. Si tous, nous restons unis, tout en restant chacun
nous-mêmes, si nous cherchons l'efficacité tout en admettant que, dans des
situations complexes, face à des menaces obscures, il y a place pour le débat
et l'interrogation, nous parviendrons, j'en suis convaincu, à isoler le
terrorisme et à le battre.
Je ne crois pas que, face à ces groupes, les démocraties soient faibles. Elles
ont leur mode de fonctionnement. Certes, ce sont des sociétés ouvertes et, de
ce fait, elles s'exposent parfois aux coups, mais, parce qu'elles sont
démocratiques, elles ont aussi la force que donne la légitimité des pouvoirs
accordés par le peuple. Parce qu'elles ont l'habitude de la souplesse, de la
mobilité, du débat, elles ont elles-mêmes, face aux épreuves, une plasticité,
une capacité d'adaptation que n'ont pas les dictatures, qui sont dures maisqui
cassent quand vient le temps des épreuves.
Face à cette épreuve, nous ne casserons pas ; nous défendrons nos valeurs,
nous serons avec nos alliés tout en conservant le libre arbitre respecté de ce
grand pays qu'est la France, et nous le ferons ensemble !
(Applaudissements
sur l'ensemble des travées.)
M. le président.
Monsieur le Premier ministre, au nom de tous mes collègues et en mon nom
personnel, je tiens à vous remercier d'avoir accepté ce débat devant le Sénat,
qui s'est déroulé dans la sérénité et le sérieux.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept
heures quarante.)