SEANCE DU 11 OCTOBRE 2001
CONVENTION INTERNATIONALE POUR LA RÉPRESSION DU FINANCEMENT DU TERRORISME
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 259, 2000-2001)
autorisant la ratification de la convention internationale pour la répression
du financement du terrorisme. [Rapport n° 355 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est dans un
contexte exceptionnel que je vous présente le projet de loi autorisant la
ratification de la convention internationale pour la répression du financement
du terrorisme. Il y a aujourd'hui un mois jour pour jour que les Etats-Unis ont
été frappés. Ces attentats monstrueux illustrent - on ne peut plus tragiquement
- l'actualité de la menace terroriste et la nécessité absolue pour la
communauté internationale de la prévenir et de la combattre.
Comme l'a souligné le Premier ministre devant les députés le 3 octobre, et
hier devant vous, l'ambition du Gouvernement est de donner à l'union contre le
terrorisme un caractère universel.
La lutte contre le terrorisme est un impératif commun à toutes les démocraties
et elle doit le devenir pour toutes les nations. La lutte contre le terrorisme
doit non pas diviser, mais unir. Elle doit mobiliser la communauté
internationale tout entière, non pas dresser les peuples les uns contre les
autres.
Dans un climat d'interrogations et d'inquiétudes propice aux simplifications
et aux amalgames de toutes sortes - je ne pense pas seulement aux opinions
publiques européennes, mais je pense aussi aux réactions que suscitent chez nos
amis arabes et musulmans le lancement des opérations en Afghanistan, sur
lesquelles je reviendrai -, nous nous refusons à voir dans les événements du 11
septembre les prémices d'un conflit de civilisations, encore moins d'une guerre
de religion.
L'islamisme radical est une réalité que nous devons analyser sans
complaisance. Ses manifestations meurtrières sont un fléau qu'il faut combattre
sans merci, mais nous ne tomberons pas dans le piège de ceux qui croient
pouvoir invoquer l'islam, ou plutôt une vision dévoyée de l'islam, pour
justifier l'injustifiable.
Rien - car, j'y insiste, face aux inégalités qui divisent le monde, aux
conflits qui le traversent, à l'injustice et à la pauvreté que crée une
mondialisation non maîtrisée, certains pourraient avoir la tentation d'y
trouver ne serait-ce qu'un début d'explication aux attentats qui ont endeuillé
le monde le 11 septembre - rien ne saurait justifier l'horreur absolue que
constitue le terrorisme.
Il faut donc le combattre, avec détermination, avec discernement, avec
obstination, tant la lutte contre le terrorisme est un combat complexe et de
longue haleine qui se joue sur plusieurs fronts.
Un nouveau front a été ouvert dimanche dernier. Le refus du régime taliban de
livrer les auteurs des attentats du 11 septembre a conduit les Etats-Unis et
leurs alliés à engager des opérations militaires en Afghanistan. Ces
opérations, dont le Conseil de sécurité des Nations unies a reconnu la
légitimité, étaient devenues inévitables.
Elles sont ciblées - nous l'avions souhaité et les Etats-Unis semblaient
d'ailleurs l'envisager depuis le début. Ce ne sont pas des opérations contre
l'Afghanistan, encore moins contre le peuple afghan. Ce sont des actions contre
les infrastructures terroristes en Afghanistan, ce qui n'est pas la même
chose.
A cet égard, la convention internationale pour la répression du financement du
terrorisme, que j'ai l'honneur de vous présenter, constitue un instrument
précieux, voire indispensable.
A la différence des onze conventions internationales contre le terrorisme qui
existent déjà, le texte qui vous est soumis aujourd'hui s'attaque directement,
et pour la première fois, à la question centrale du financement du terrorisme.
Commettre un acte terroriste suppose en effet, dans la plupart des cas, des
moyens importants pour organiser des réseaux clandestins, entretenir des
équipes, se procurer des armes, acheter des complicités.
S'attaquer au financement du terrorisme, c'est donc prévenir et combattre, «
en amont », l'acte terroriste. Tel est l'objet de cette convention, qui permet
d'incriminer directement tous ceux qui financent, et pas seulement ceux qui
commettent les attentats.
C'est notre pays qui est à l'origine de ce texte à la fois novateur et
nécessaire. Peu après les attentats qui avaient frappé les ambassades
américaines à Nairobi et à Dar El Salam et qui avaient souligné, bien avant la
tragédie de New York et de Washington, les menaces de la nébuleuse terroriste,
la France avait proposé, en 1998, de négocier une convention spécifique sur le
financement.
Cette convention a été élaborée très rapidement et a pu être adoptée par
l'Assemblée générale des Nations unies, le 9 décembre 1999. La France a été
l'un des premiers pays à la signer, le 10 janvier 2000.
Permettez-moi de vous rappeler brièvement ses principales dispositions.
L'infraction de financement est définie de manière très large puisqu'elle
recouvre l'acte de fournir ou de collecter des fonds en vue d'un acte
terroriste et que les fonds en question peuvent être de toute nature et avoir
une origine légale.
En outre, si la convention vise d'abord les « donneurs d'ordre », elle
concerne également les complices et les autres contributeurs, y compris les
personnes morales comme les associations ou les entreprises.
La convention comporte des dispositions novatrices, aussi bien pour la
prévention que pour la répression du financement du terrorisme. Elle prévoit un
régime de sanctions efficace et oblige les Etats à adopter les mesures
nécessaires à l'identification, au gel, à la saisie, voire à la confiscation
des fonds utilisés, qui peuvent servir à indemniser les victimes des attentats
et leur famille.
Les mécanismes de coopération judiciaire sont renforcés. Ni le secret bancaire
ni le caractère fiscal d'une infraction ne pourront être invoqués par un Etat
pour refuser une demande d'entraide ou d'extradition.
Enfin, pour lutter contre les circuits de financement du terrorisme, la
convention prévoit un ensemble de dispositions directement inspirées des
recommandations du groupe d'action financière internationale, le GAFI, créé,
vous le savez, sur l'initiative de la France pour lutter contre le blanchiment
de l'argent sale. Ces mesures reposent pour l'essentiel sur la coopération des
institutions financières, incitées à surveiller plus étroitement et à signaler
sans délai toute opération suspecte.
La convention donne aussi compétence aux Etats pour poursuivre toute
infraction présentant un élément international, y compris celles qui ne sont
pas commises sur leur territoire. Ce point très important permettra aux
juridictions de bénéficier d'une compétence quasi universelle.
Toutes ces dispositions constituent un moyen efficace de combattre le
terrorisme, en s'attaquant à ceux qui le soutiennent et le financent. La
France, qui a joué un rôle moteur dans la genèse et la négociation de cette
convention, se doit d'être parmi les premiers pays à la ratifier et à la
transposer.
J'évoquais, en commençant mon intervention, le contexte singulier et tragique
dans lequel se déroule cette procédure de ratification.
Ce sont les circonstances exceptionnelles que nous vivons depuis cette
terrible journée du 11 septembre qui ont conduit le Gouvernement à proposer
d'insérer, par voie d'amendement, dans le projet de loi autorisant la
ratification de la convention, des dispositions modifiant divers textes de
droit interne, en vue de renforcer la lutte contre le terrorisme.
Tout à l'heure, je vous présenterai en détail ces propositions qui visent,
pour l'essentiel, à créer un délit spécifique de financement des actes de
terrorisme et à prévoir un nouveau cas de compétence universelle.
Comme nous le souhaitions, toutes les précautions possibles ont été prises
pour que les frappes atteignent des cibles militaires et épargnent les
populations civiles et le peuple afghan, déjà durement éprouvés par de longues
années de guerre civile.
La France est engagée, ainsi que le Président de la République et le Premier
ministre l'ont indiqué, d'une façon qui pourra s'accroître selon les besoins
des opérations. A chaque étape, notre pays décidera, souverainement, de son
engagement.
Si nous souscrivons pleinement à l'objectif de détruire les bases terroristes
nous refuserons tout engrenage. Nous entendons ne pas perdre de vue l'un des
buts de l'action en cours, libérer l'Afghanistan de ce régime taleb qui
l'opprime et l'affame.
Nous avons fait il y a quelques jours à nos partenaires de l'Union européenne
des propositions en ce sens qui comportent, vous le savez, un important volet
humanitaire. Tout en luttant contre le terrorisme, il nous faut penser au
peuple afghan et lui donner les moyens d'engager la reconstruction de son pays,
les moyens de reconstruire son avenir, librement et en paix, sans solution
imposée de l'extérieur.
Comme le Premier ministre l'a indiqué mardi, le Gouvernement entend informer
le Parlement de manière complète et régulière sur l'évolution de la situation
internationale. Dès hier, les présidents des groupes de la majorité et de
l'opposition, ainsi que les présidents des commissions ont été reçus à l'hôtel
Matignon.
Au-delà de l'action militaire qui se révélera peut-être plus longue que prévu,
la lutte contre le terrorisme se joue aussi - et j'aurais tendance à dire
surtout - sur d'autres fronts.
Le monde du terrorisme international est, par définition, opaque et secret.
Mais il a aussi pleinement intégré la logique de réseaux de notre monde
globalisé. Transnational par nature, il sait tirer profit des failles
juridiques résultant de la juxtaposition des systèmes nationaux.
A la suite des attaques du 11 septembre, l'enquête en cours - la plus vaste
jamais lancée en matière de lutte antiterroriste - a d'ores et déjà montré que
le terrorisme sait utiliser les techniques financières les plus
sophistiquées.
L'éradication de ce fléau est une oeuvre de longue haleine, car il nous faut
atteindre tout ce qui l'alimente, démanteler ses réseaux, dévoiler ses
complicités et assécher ses circuits de financement.
Cette action ne peut, à l'évidence, être conduite à la seule échelle
nationale. Seule une coopération internationale renforcée dans les domaines du
renseignement, de la justice, de la police, des finances, sera en mesure de
combattre le terrorisme.
Cette lutte est d'ores et déjà engagée. La réaction de l'Union européenne,
vous le savez, a été, à cet égard, exemplaire : immédiate, concertée et
empreinte d'une solidarité sans faille envers nos alliés et amis américains.
Surtout, elle s'est exprimée par une série de décisions très concrètes de la
part des chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze, lors de leur réunion
extraordinaire du 21 septembre à Bruxelles, décisions qui couvrent tous le
champ d'action de l'Union, en particulier, la coopération policière et
judiciaire.
La lutte contre le terrorisme doit être universelle. C'est pourquoi les
Nations unies demeurent l'enceinte en mesure de mobiliser l'ensemble de la
communauté internationale, sur le plan politique et diplomatique, sur le plan
humanitaire, bien sûr, mais aussi dans le domaine du droit international.
Le Gouvernement a pleinement conscience du caractère très inhabituel de la
procédure qu'il propose, avec le dépôt de cet amendement ; nous aurons
l'occasion d'en débattre.
Mais, serais-je tenté de dire - et c'est ce qui a fondé notre choix - à
circonstances exceptionnelles, procédure exceptionnelle. Face à une menace
terroriste d'une telle violence, le Gouvernement et la représentation nationale
ont le devoir et la responsabilité d'agir vite, et même très vite.
La solution que préconise le Gouvernement est incontestablement la plus rapide
pour intégrer de nouvelles incriminations dans l'ordre juridique interne et
pour améliorer la procédure pénale de façon à accroître l'efficacité des
services de l'Etat dans leur lutte contre le terrorisme.
Le recours à un projet de loi autonome aurait, en effet, pour conséquence de
retarder considérablement ce travail de transposition. Une telle perspective ne
serait pas convenable ; elle serait même difficilement admissible dans les
circonstances actuelles.
Je rappelle qu'il s'agit non seulement de nous mettre en conformité avec les
obligations découlant de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme, mais aussi d'appliquer la résolution adoptée le 28
septembre par le Conseil de sécurité, résolution obligatoire, car fondée sur le
chapitre VII de la Charte des Nations unies. Cette résolution exige d'ailleurs
une application très rapide.
Je suis convaincu, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous saurez tenir
compte de ce contexte d'urgence au moment où vous vous prononcerez le projet du
Gouvernement. Il y va de la sécurité de nos concitoyens.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. André Rouvière,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, les odieux attentats du 11 septembre n'ont pas fini de modifier nos
comportements et notre vision du monde. Ils influencent également notre vision
du terrorisme.
En effet, outil de déstabilisation et de destruction, le terrorisme était
traditionnellement considéré comme « l'arme du pauvre ». Dans la lutte menée
contre le terrorisme, le volet financier apparaissait comme de moindre
importance par rapport aux moyens d'investigation et de répression des services
judiciaires.
A ce titre, la liste des conventions internationales édictées depuis 1970, que
vous avez rappelée, est édifiante. La communauté internationale ne s'est
trouvée d'accord que pour condamner des actes de terrorisme bien déterminés, en
réaction à des événements ayant eu un grand retentissement médiatique, par
exemple, les détournements d'avions en 1970, 1971 et 1988, les infractions
contre les agents diplomatiques en 1973, la prise d'otages en 1979, une
éventuelle capture de matières nucléaires en 1980, les actions terroristes en
mer à l'encontre de la navigation ou de plates-formes en 1988 et, enfin, les
actes terroristes à l'explosif en 1997.
Ce n'est qu'à la suite des attentats perpétrés contre les ambassades
américaines en Tanzanie et au Kenya en juillet 1998 que la communauté
internationale a pris conscience, à l'instigation de la France, de la nécessité
de lutter contre le financement du terrorisme, car, pour les terroristes aussi,
l'argent est devenu indispensable, comme il l'est d'ailleurs dans tous les
domaines.
En effet, à l'exemple de l'organisation d'Oussama Ben Laden, le terrorisme
semble en passe de changer d'échelle et de devenir un « terrorisme de masse »,
faisant hélas ! des victimes en très grand nombre, sans commune mesure avec le
passé, et s'appuyant, sans doute pour l'une des premières fois, sur des réseaux
réellement internationaux recrutant, s'installant et levant des fonds dans de
nombreux pays, et non plus seulement dans une zone géographique donnée, comme
les mouvements terroristes d'inspiration nationaliste ou révolutionnaire. Il a
également montré que des terroristes préalablement formés et prêts à agir au
mépris de leur vie et, bien sûr, de celle des autres pouvaient causer des
dommages bien supérieurs s'ils acquéraient la maîtrise d'armes de destruction
massive, chimiques, biologiques ou mêmes nucléaires et, ce qui est nouveau, une
arme à laquelle on n'avait pas pensé : la maîtrise du pilotage d'avions de
ligne.
On comprend mieux, dans ces conditions, la nécessité de connaître les réseaux
de financement du terrorisme et de les démanteler grâce à un outil juridique
international adapté.
La connaissance des réseaux de financement du terrorisme paraît être une étape
indispensable. Pour financer leurs actions, les terroristes utilisent plusieurs
méthodes, des méthodes illégales mais aussi des méthodes légales.
Ils peuvent tout d'abord avoir recours à des moyens illégaux relativement
classiques et bien rodés relevant du grand banditisme - la frontière entre
terrorisme et grand banditisme paraît d'ailleurs difficile à préciser -, comme
le braquage ou le trafic de drogue. Je rappellerai, pour mémoire, que celui-ci
est évalué à près de 2 500 milliards de francs par an par le programme des
Nations unies pour le contrôle international des drogues, soit presque autant
que l'industrie automobile. Si, bien entendu, toutes ces sommes ne viennent pas
financer des activités terroristes, elles donnent une idée de l'importance des
« fonds gris » circulant dans l'économie.
Ces fonds, une fois rassemblés, sont soit directement utilisés par des groupes
terroristes, soit réintroduits dans les circuits financiers légaux afin de
pouvoir être transférés à d'autres groupes ou investis dans l'attente
d'opérations futures. Il est alors nécessaire de le « blanchir », c'est-à-dire
de faire disparaître son origine douteuse en le faisant transiter par des
réseaux complexes de sociétés-écrans et de banques, le plus souvent installées
dans des « paradis fiscaux
offshore
».
Or cette activité de blanchiment, qui n'est pas uniquement liée au terrorisme,
est extrêmement importante, les sommes « blanchies » chaque année dans le monde
sont évaluées à 1 000 milliards de dollars. Par rapport au budget de la France
qui représente l'équivalent de quelque 250 milliards de dollars, c'est quatre
fois le montant de ce budget. Si l'on considère les sommes réservées à la
défense aux Etats-Unis, qui s'élèvent à 300 milliards de dollars par an, c'est
plus de trois fois ce montant qui est utilisé pour des actes terroristes. Dès
lors, on comprend mieux qu'aucun pays, quel qu'il soit, même le plus puissant
du monde, ne puisse, seul, entreprendre une lutte efficace contre le
terrorisme. En effet, le terrorisme est international ; seule une mobilisation
internationale peut l'affronter avec quelques chances de succès.
Les terroristes mobilisent également des fonds dont l'origine est parfaitement
légale. Ce n'est que par leur utilisation, par leur finalité, qu'ils deviennent
illégaux. C'est ainsi que les terroristes trouvent fréquemment des soutiens
financiers volontaires ou parfois imposés, auprès d'expatriés dans le cas des
groupes nationalistes ou auprès des sympathisants sous couvert d'organisations
politiques ou humanitaires. Dans le cas d'Oussama Ben Laden, il semble établi
qu'il finance son action grâce, d'une part, à sa fortune personnelle, dont il a
hérité dans une large proportion et, d'autre part, à des soutiens provenant de
pays ou de fidèles musulmans, dans certains cas par la voie d'associations
d'entraide.
Or cet argent ne peut être directement et ouvertement employé à des fins
terroristes. Il est nécessaire d'en cacher l'origine pour assurer la sécurité
des donateurs et des groupes qui reçoivent et font fructifier ces financements.
Pour cela, les groupes terroristes opèrent ce qu'on peut appeler un «
blanchiment à l'envers » par les circuits classiques servant au blanchiment.
Cette opération est particulièrement difficile à détecter puisque,
contrairement au blanchiment, c'est l'intention qui la rend criminelle, et non
l'origine des fonds. Ils utilisent par ailleurs des réseaux qui ne leur sont en
rien spécifiques, que ce soit ceux de la finance internationale ou de la «
hawala » traditionnelle des pays d'Asie du Sud. Ces transferts de fonds peuvent
d'ailleurs s'effectuer sans que l'intermédiaire soit un complice des
terroristes, ce qui complique les choses bien sûr, que ce soit dans le cas d'un
courtage oral, selon la méthode de la hawala, ou par le mécanisme des banques
correspondantes.
Face à cette menace, il est devenu indispensable pour la communauté
internationale de disposer d'un outil juridique adapté pour lutter contre le
terrorisme dès le stade du financement afin de s'assurer de la coopération des
Etats et des établissements financiers. C'est à ce besoin que répond la
convention adoptée le 9 décembre 1999 par l'Assemblée générale des Nations
unies et dont nous devons aujourd'hui autoriser la ratification.
Sans revenir sur l'ensemble du dispositif de la convention, que vous avez
excellemment exposé, monsieur le ministre, je souhaiterais insister sur deux
éléments qui me semblent être les apports les plus importants.
Tout d'abord, ce n'est pas une nouvelle convention qui vient s'ajouter aux
onze conventions adoptées précédemment à la suite d'attentats particulièrement
sanglants. Pour la première fois, c'est une convention qui a une portée globale
contre le terrorisme et permet non seulement d'agir après coup mais aussi de
prévenir l'acte terroriste. En effet, première disposition importante, toute
action visant à soutenir financièrement de quelque manière que ce soit le
terrorisme pourra être réprimée. Donc il ne s'agit pas seulement de réprimer
l'acte terroriste, il s'agit aussi de réprimer la préparation financière de
l'acte terroriste. Surtout, cette convention vise non seulement les actes
terroristes définis dans les précédentes conventions, mais également, et c'est
à mon avis, l'élément essentiel et le plus novateur, toute une série d'actes
permettant d'esquisser pour la première fois une définition internationale du
terrorisme. Ainsi, un attentat comme celui qui a eu lieu à Louxor en 1997,
commis à l'arme blanche ou à l'arme automatique, n'entrait dans aucune
catégorie d'acte terroriste reconnue par les conventions internationales.
Désormais, le financement de tels actes pourra donner lieu à des poursuites. A
mes yeux, c'est l'élément le plus important de cette convention.
Ensuite, la convention engage les Etats à prendre toutes les mesures
nationales nécessaires pour mettre en oeuvre la lutte contre le financement du
terrorisme et devrait permettre de surmonter un certain nombre d'obstacles qui,
jusqu'à présent, empêchaient une lutte efficace. Elle autorise les poursuites
contre les personnes morales aussi bien que contre les personnes privées et
elle permet ainsi d'agir juridiquement contre tous les acteurs de la chaîne du
blanchiment de l'argent. Elle autorise toutes les mesures utiles à la
détection, au gel et à la saisie, éventuellement au profit des victimes
d'attentats, des fonds concernés.
La convention précise également que les Etats ne pourront plus invoquer le
secret bancaire ou le caractère fiscal d'une infraction pour refuser de
coopérer. Elle devrait enfin permettre d'interdire les comptes numérotés et
d'obliger les différents Etats à se conformer aux recommandations du GAFI.
Toutefois, vous le savez, monsieur le ministre, cette convention ne constitue
pas une panacée. Aucun outil de lutte contre le terrorisme ne sera suffisant.
Seul un ensemble de moyens permettra d'agir efficacement. Cette convention
n'est qu'un outil dans le cadre global de la lutte contre le terrorisme.
Tout d'abord, une convention internationale, comme une loi d'ailleurs, n'est
réellement utile et efficace que lorsqu'elle est appliquée ; M. de la Palice
n'aurait pas mieux dit ! Or, à ce jour, la convention pour la répression du
financement du terrorisme n'a été ratifiée que par quatre Etats, dont la
Grande-Bretagne - vous le constatez, il ne suffit pas de ratifier pour être
efficace - alors que ce texte devra être ratifié par vingt-deux Etats pour
entrer en vigueur. Il paraît donc indispensable que la France, qui a été à
l'initiative de cette convention, incite ses partenaires, à commencer par les
pays européens, à la signer et à la ratifier. Or, selon les informations qui
m'ont été transmises, le Luxembourg, le Danemark, la Belgique et la Suède au
sein de l'Union européenne, mais également la Pologne, la Hongrie, la Norvège,
la Suisse, Monaco, Andorre, le Liechtenstein, la Slovénie et la Croatie ne
l'auraient pas encore signée.
En revanche, Chypre qui avait été montré du doigt, l'a signée, et
l'ambassadeur de Chypre à Paris, lors d'un déplacement récent d'une délégation
de parlementaires chypriotes en France, m'a indiqué sans ambiguïté la volonté
de son pays de ratifier rapidement la convention et de se conformer aux
recommandations du GAFI.
Il en est de même des Etats-Unis. Cette semaine, j'ai posé la question à un
secrétaire d'Etat américain qui m'a répondu que le Congrès allait très
rapidement ratifier cette convention et que les Etats-Unis allaient inciter ses
partenaires à la signer et à la ratifier.
Ces signatures et ratifications sont en effet indispensables, car l'entrée en
vigueur de la convention, instrument juridique précis et détaillé, est
nécessaire au-delà des mesures prises par le Conseil de sécurité dans le cadre
de la résolution 1373 du 28 septembre.
Il faudra également prendre garde à ce que, une fois la convention ratifiée,
les Etats parties en tiennent réellement compte dans leur législation et en
fassent une application sincère. Pour n'en donner qu'un exemple, l'interdiction
des comptes numérotés, prévue par l'article 18 de la convention, nécessite une
adaptation des réglementations internes. Il faudra donc veiller à ce que cette
disposition ne soit pas qu'un voeu pieux.
En outre, la lutte contre le terrorisme ne sera réellement efficace que si, en
plus de la convention, la communauté internationale s'organise pour mieux
connaître les réseaux de financement du terrorisme à travers la création ou le
renforcement d'organes spécialisés comme le GAFI. D'ailleurs, on parle de plus
en plus d'un « super GAFI ». Au niveau européen, la progression vers la
construction d'un espace judiciaire commun et la récente décision d'instituer
un mandat d'arrêt européen vont dans le bon sens.
La lutte contre le terrorisme gagnera en légitimité si la communauté
internationale parvient enfin à s'entendre sur les dispositions d'une
convention globale contre le terrorisme le mettant hors la loi à l'exemple de
la piraterie ou des crimes contre l'humanité. L'adoption d'une telle
convention, dont l'Inde a relancé le projet avec le soutien de la France,
continue d'achopper sur le problème de la rédaction d'une définition du
terrorisme qui serait reconnue par tous. Ainsi, les Etats arabes refusent
qu'elle puisse englober la lutte du peuple palestinien pour la reconnaissance
de ses droits. Il apparaît donc clairement que la lutte contre le terrorisme,
si elle doit s'appuyer sur des outils juridiques et des moyens adaptés, doit
prendre place dans une action diplomatique d'ensemble, concertée et non pas
unilatérale, visant à résoudre les tensions internationales qui, nous le savons
tous, sont le terreau sans cesse renouvelé du terrorisme.
Mes chers collègues, je vous invite donc, au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, à voter ce projet de loi qui
constitue un outil juridique indispensable et une étape importante vers la
condamnation globale et sans équivoque du terrorisme.
Il est important que la France, qui a été à l'origine de cette convention,
soit l'un des premiers Etats à la ratifier et puisse ainsi encourager ses
partenaires à faire de même.
Je me réjouis également que, sans attendre, le Gouvernement ait décidé le gel
des avoirs des réseaux Ben Laden. J'espère aussi que, dans ce domaine, la
France sera suivie par la totalité de ses partenaires.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union
centriste.)
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lecture
de l'excellent rapport qui vient d'être présenté au nom de la commission des
affaires étrangères fait apparaître le caractère tout à fait prémonitoire,
hélas ! de certains de ses paragraphes. Mais l'extrême actualité de ce texte et
de la ratification à laquelle nous sommes conviés nous incitent bien sûr à un
examen particulièrement attentif de cette convention.
Cette convention résulte d'une initiative française. Elle a été élaborée en un
laps de temps exceptionnel pour un texte multilatéral. Il faut tout d'abord
saluer les efforts réalisés pour convaincre de très nombreux gouvernements et
diplomates de par le monde entier de la nécessité de ce texte. Si cette
initiative française a pu ainsi aboutir aussi rapidement, c'est en particulier
grâce à l'implication personnelle du Président de la République.
Monsieur le ministre, la commission des finances du Sénat ne peut évidemment
être indifférente à une telle avancée. Ces dernières années, nous avons à
plusieurs reprises exprimé notre souci d'une plus grande efficacité et d'un
combat plus réel et plus actif contre les instruments financiers de la grande
délinquance, du banditisme et naturellement du terrorisme organisé. La
commission des finances a, en particulier, pris l'initiative, ces dernières
années, de constituer en son sein un groupe de travail sur la régulation
financière et monétaire internationale. Ce groupe, que j'avais l'honneur de
présider, a rendu très récemment un rapport mettant précisément l'accent sur
l'impérieuse nécessité pour nos pays de travailler en vue d'un renforcement de
la régulation financière internationale et d'une réduction corrélative de ce
que l'on appelle « les trous noirs » du système financier international. M. le
rapporteur y a fait allusion, et j'y reviendrai dans quelques instants.
Par ailleurs, la commission des finances, saisie au fond du texte qui a abouti
à la récente loi sur les nouvelles régulations économiques, a travaillé
activement à mettre au point, avec les services du ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie, la partie de ce texte relative au blanchiment des
capitaux.
Actuellement, nous voyons le terrorisme s'alimenter des outils de la
globalisation et de la modernité. La globalisation des marchés financiers,
l'usage de toutes les techniques les plus complexes qui ont permis le
développement de ces marchés financiers, l'expansion remarquable de leur
volume, la communication immédiate de place à place sont mis à profit par
l'ensemble des opérateurs, et notamment par les opérateurs travaillant
consciemment pour des intérêts terroristes.
Ce n'est nullement le fait du hasard si le régulateur boursier américain et
d'autres régulateurs boursiers dans le monde ont déclenché des enquêtes au
lendemain du 11 septembre. Des mouvements anormaux portant sur certaines
catégories de titres avaient en effet été observés. Nous ne connaissons pas
encore les conclusions des enquêtes qui ont été lancées, mais il est plus que
vraisemblable que des informations ont été diffusées pour permettre à des
personnes initiées de tirer le maximum de profits des actes de terrorisme et
des discontinuités financières auxquelles ces actes devaient conduire.
C'est bien là, mes chers collègues, un fait susceptible de retenir notre
attention : non seulement, cher collègue rapporteur, le terrorisme s'alimente
de tous les canaux de la finance moderne et suppose, pour organiser des
initiatives un peu partout simultanément dans le monde entier, des
infrastructures, des investissements, des dépenses de toute nature visant à
acquérir et à corrompre, et donc des budgets extrêmement importants, mais, de
plus, les commandataires, avant toute intervention, pensent très probablement à
laisser les bonnes instructions à ceux qui agissent pour leur compte, à la fois
pour que les actes de terrorisme soient réalisés et pour que le profit maximum
en soit tiré. Ce sont là des éléments qui nécessitent, de la part de la
communauté internationale, une réaction efficace et à la mesure du danger.
Je voudrais tout d'abord rappeler, mes chers collègues, l'importance qui
s'attache, en particulier aux yeux de la commission des finances, à une
attitude active et coordonnée visant à identifier les trous noirs de la
régulation financière internationale et à les réduire autant qu'il est
possible.
Il est clair qu'existent des territoires conçus de manière à retirer le
maximum de profit économique de l'absence de règles du jeu pour ce qui est des
transactions financières, de l'implantation des banques et du développement de
leurs activités. Ces territoires
offshore
sont des points de passage de
nombre de transactions et de beaucoup de choses, même si un grand nombre de ces
transactions n'ont pas, Dieu merci ! un caractère délictueux. Mais les facteurs
de facilité qu'apportent ces territoires peuvent être utilisés, voire détournés
pour toutes sortes d'objectifs extrêmement différents les uns des autres.
Je prendrai simplement un exemple qui est bien connu de l'Organisation
mondiale du commerce, l'OMC, et du ministre délégué chargé des affaires
européennes ici présent : la pratique américaine pour encourager financièrement
les exportations des grandes sociétés a, jusqu'à une période très récente,
utilisé de manière systématique les facturations intermédiaires grâce à
l'existence de certains territoires
offshore
de la zone des Antilles en
particulier. Ce système d'encouragement aux exportations américaines
bénéficiant aux très grands groupes, aux très grandes corporations américaines,
a été attaqué par l'Union européenne devant l'organe de règlement des
différends de l'OMC qui l'a condamné, ce qui est un succès à la fois juridique,
économique et diplomatique pour l'Union européenne. Nos excellents amis
américains devront trouver d'autres procédures qui ne tomberont pas dans les
mêmes travers tout en ayant les mêmes effets économiques et financiers. Il est
clair que la communauté internationale doit avoir une attitude coordonnée
vis-à-vis de ces centres
offshore
. Il ne faut pas les critiquer d'un
côté et être heureux de s'en servir de l'autre.
Il importe que les principaux Etats de l'Union européenne - commençons à
parler de ce qui nous concerne plus directement - aient une vision plus
volontariste des objectifs à atteindre. Il faut naturellement, tout d'abord,
que chacun balaie devant sa propre porte. Certes, monsieur le rapporteur, vous
avez totalement raison, nos amis britanniques ont probablement beaucoup à
balayer devant leur porte. Mais la France elle-même n'est pas complètement
indemne, et peut-être y a-t-il lieu d'analyser les transactions qui se font du
côté de Saint-Martin et Saint-Barthélemy...
Peut-être y a-t-il aussi lieu, toujours en ce qui nous concerne, d'examiner
comment se sont déroulées certaines des opérations que la commission des
finances a examinées récemment, et notamment celles qui mettent en cause la
Russie.
Nous nous situions dans la période qui a juste précédé les mouvements
financiers de 1998. Vous vous souvenez, monsieur le ministre, de l'affaire de
la FIMACO : un établissement bancaire français, soumis au régulateur français,
a sans doute servi de plaque tournante ou de donneur d'ordres pour des
opérations qui ont ensuite transité par Guernesey avant de refluer vers le
marché russe des titres d'Etat.
Nous avons décortiqué ces opérations et nous avons observé que, si chacun, à
son niveau, faisait sans doute ce qu'il pouvait administrativement, il le
faisait sans trop de coordination, si bien que les résultats pouvaient susciter
beaucoup de questions.
Je n'en dirai pas plus sur ce thème. Il ne s'agit que d'un des exemples
relevés par la commission des finances ; mais il montre, monsieur le ministre,
qu'en ce domaine et sur des affaires de cette nature personne n'est jamais
complètement indemne et personne n'est jamais ni complètement efficace ni
complètement vertueux, il faut le reconnaître.
Rechercher dans les enceintes internationales le moyen de contrôler les
activités des centres
offshore
et de réduire leur volume d'activité est
donc un impératif pour les principaux gouvernements d'Europe et du monde
occidental. Le chemin risque, bien entendu, d'être long et semé d'embûches.
Je voudrais enfin indiquer que tous les efforts doivent être poursuivis afin
de lutter contre le couple blanchiment-terrorisme.
La convention qui nous est soumise traite du terrorisme, mais le blanchiment
est un tronc commun à de nombreuses opérations à finalité délictueuse ou
criminelle. Et nous ne devons pas oublier, parmi nos préoccupations, l'urgente
nécessité de lutter contre le trafic international de stupéfiants, puisqu'il
est à l'origine d'une très grande partie, probablement de la majorité en
volume, des flux de nature délictueuse dans le monde et, en particulier, de
ceux qui relèvent du terrorisme.
Dans la récente loi sur les nouvelles régulations économiques, différentes
mesures ont été prises qui vont, de notre point de vue, dans le bon sens - nous
les avons d'ailleurs soutenues - qu'il s'agisse de l'extension de la liste des
professions soumises à l'obligation de déclaration ou de la définition des
types d'opération qui doivent faire l'objet d'une déclaration systématique, à
savoir les opérations dont le donneur d'ordre ou le bénéficiaire restent d'une
identité douteuse, les opérations qui sont réalisées avec des personnes
agissant à travers des fonds fiduciaires ou autres instruments de gestion dont
l'identité des constituants ou des bénéficiaires n'est pas établie, les
opérations mentionnées par décret et visant les flux touchant des personnes
physiques ou morales installées dans un certain nombre d'Etats ou de
territoires considérés comme ne respectant pas toutes les règles du jeu.
Je le répète, tout cela va dans le bon sens, étant précisé que, bien sûr, dans
l'application juridique des intentions ainsi exprimées, il faut se référer aux
principes généraux de notre droit et, en particulier, faire jouer leur rôle aux
critères de l'intentionnalité. Je note d'ailleurs que l'amendement du
Gouvernement au présent texte de ratification fait à ces notions
d'intentionnalité une place logique, conforme à notre droit.
On y relève plusieurs expressions : « dans l'intention de », « en sachant que
», « en connaissance de cause », ce qui est conforme, je le répète, au respect
des principes de notre droit pénal et rendra ce texte plus efficace et plus
équitable que ne le sont certaines des dispositions actuellement en vigueur en
matière de lutte contre le blanchiment.
Je voudrais encore insister, monsieur le ministre, sur ce qui me semble être
une lacune.
La loi sur les nouvelles régulations économiques a prévu un comité de liaison
réunissant les autorités de contrôle, les services de l'Etat impliqués dans la
lutte contre le blanchiment et les professionnels soumis à l'obligation de
déclaration. A ma connaissance, ce comité ne s'est pas encore réuni, n'a pas
été « activé », et le décret devant préciser ses conditions de fonctionnement
n'est pas élaboré. Je me permets de le souligner afin que l'administration
fasse diligence.
Il convient d'être particulièrement vigilant sur l'utilisation de tous les
moyens dont nous disposons contre le blanchiment et contre le terrorisme. En
particulier, monsieur le ministre, la commission des finances souhaiterait que
vous transmettiez à votre collègue de Bercy notre souci de voir renforcer les
équipes de TRACFIN, car les flux d'informations, pour être traités, demandent
une certaine technicité. Il n'est pas certain que l'on soit en mesure
aujourd'hui, avec les moyens existants, de prendre en compte toutes les
informations susceptibles d'aboutir à ce service.
Je voudrais enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, insister sur une
remarque que nous avions faite, lors de l'examen du projet de loi sur les
nouvelles régulations économiques, à propos du groupe d'action financière
internationale, le GAFI, instance informelle, instance diplomatique qui devait
élaborer une liste des pays non coopératifs. Je ne crois pas que l'efficacité
du système ait été parfaite ; M. le rapporteur y faisait allusion tout à
l'heure. Je ne crois pas que le Gouvernement doive tout attendre d'organismes
internationaux aussi informels que celui-ci. Il est des prudences diplomatiques
bien compréhensibles, mais dont la lutte contre le terrorisme s'accommodent
mal, comme, d'ailleurs, la lutte contre les opérations de blanchiment ou la
lutte contre les flux issus du trafic de stupéfiants.
Le Gouvernement et les pouvoirs publics français, appliquant des mesures
particulières à certaines catégories d'opérations, voire aux opérations menées
avec certains territoires, doivent prendre la responsabilité de publier la
liste qui, à leurs yeux, semble être la plus pertinente.
Peut-être est-ce une suggestion que les diplomates n'apprécieront pas, mais à
chacun son rôle ! Il n'est pas possible, dans ce domaine, de se lier les mains
en fonction des recommandations d'une instance internationale informelle. Si
l'on veut aller plus loin, plus vite, plus efficacement, il ne faut pas en
rester aux listes issues d'un consensus international qui forcément, sauf
peut-être dans les périodes de crise, est un consensus mou.
La lutte contre le terrorisme s'accommode mal de la mollesse. Peut-être la
période dramatique que nous vivons depuis un mois a-t-elle, paradoxalement,
l'avantage et l'intérêt de susciter une prise de conscience et de permettre aux
Etats qui en ont le souci, au premier rang desquels se situe la France,
d'apporter aux menaces pesant sur nous la réponse ferme et volontariste qui
s'impose.
La convention dont vous nous proposez ce matin la ratification, monsieur le
ministre, va dans le bon sens, mais il serait évidemment excessif de penser
qu'une fois cette convention ratifiée tout sera satisfaisant. Bien au contraire
! C'est une pièce du puzzle parmi d'autres. D'autres pièces devront s'y
ajouter. Beaucoup de ténacité, beaucoup d'énergie sont nécessaires au quotidien
pour gagner des points dans cette guerre mondiale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque le
projet de loi portant ratification de la convention internationale pour la
répression du financement du terrorisme a été examiné en juin dernier par la
commission des affaires étrangères du Sénat, nul n'aurait pu imaginer que sa
discussion en séance plénière se déroulerait dans des circonstances aussi
dramatiques.
Je pense, bien sûr, aux six mille victimes des attentats perpétrés le 11
septembre sur le sol américain.
Je pense également au peuple afghan, victime d'un islamisme radical, aveugle,
et principalement aux femmes, dont on sait le lourd tribut qu'elles payent au
régime des talibans.
L'horreur de ces derniers mois était inconcevable, inimaginable, et
pourtant...
Et pourtant, le rapport de notre collègue Rouvière nous le rappelle dès la
première page, l'identification d'Oussama Ben Laden en tant que commanditaire
et financier du terrorisme international était connue.
A-t-on sous-évalué la capacité d'action et la détermination des terroristes,
négligé les menaces ? Nous aurions besoin d'explications et d'éclaircissements,
mais là n'est pas l'objet du présent débat.
Pour l'heure, je rappellerai, après d'autres orateurs, que la convention
signée en mai 2000, à la suite des attentats de 1998 contre les intérêts
américains en Afrique, présente une réelle originalité par rapport aux onze
autres conventions internationales signées en matière de terrorisme depuis
trente ans. En effet elle se situe en amont de l'acte terroriste même, pour se
concentrer sur les moyens financiers destinés à le rendre possible.
Et je crois que c'est bien là que se trouve l'apport de la France dans la
lutte contre le terrorisme, car notre pays a très tôt oeuvré contre les
circuits financiers de la grande criminalité. La France est notamment à
l'origine de la création du groupe d'action financière internationale
spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d'argent, le GAFI. Elle a
d'ailleurs, je le rappelle, d'ores et déjà intégré une large part de
recommandations du GAFI dans son droit interne : je pense à la loi relative à
la lutte contre la corruption et surtout aux dispositions antiblanchiment
contenues dans la loi sur les nouvelles régulations économiques.
J'ajoute que, dès le mois d'avril 2001, le gouvernement français avait entamé
le processus de ratification de la convention. Il a, en outre, été l'un des
premiers à ordonner le gel des avoirs financiers des sociétés liées à Ben
Laden.
Peut-être notre pays a-t-il en effet plus rapidement pris conscience des
ramifications financières du terrorisme international. Nos concitoyens en ont
été les victimes directes : souvenons-nous des attentats de la rue de Rennes et
de la Défense en 1986 ou des attentats des stations Saint-Michel et Port-Royal
en 1995.
Les liens intrinsèques qu'entretiennent les trafiquants de drogue, les réseaux
mafieux et les réseaux terroristes - sans même parler des réseaux sectaires -
ne sont un mystère pour personne. Nombreuses ont été les dispositions prises à
l'échelon international ou européen pour contrer la grande criminalité, qu'il
s'agisse de la convention de Vienne de 1985 ou de la directive européenne
anti-blanchiment de 1991.
La question de l'application de cette législation reste cependant posée.
Robert Hue avait souhaité insister, dans son intervention à l'Assemblée
nationale, sur la nécessité de mettre hors d'état de nuire le terrorisme
partout où il se trouve, y compris dans nos grandes métropoles. Je ne peux
oublier, en effet, que les rapports parlementaires de la mission de l'Assemblée
nationale sur le blanchiment soulignent que ces pratiques se déroulent à nos
portes et que l'opacité n'est pas l'apanage des centres
offshore.
Qu'il
s'agisse de la Suisse, de Monaco, du Lichtenstein ou de la Grande-Bretagne,
tous ces pays ont été remarqués pour leur tolérance à l'égard de l'argent
sale.
Notre propre système de lutte, le TRACFIN, cellule de coordination chargée du
traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers
clandestins, doit être évalué afin de tester son efficacité et son adaptation
aux problèmes qui nous sont posés : je pense notamment au rapport remis l'année
dernière au ministre de l'intérieur qui pointait la perméabilité de notre
système et montrait que la France présentait « toutes les caractéristiques d'un
pays attrayant pour l'argent préblanchi ».
La création d'une nouvelle cellule FINTER, chargée de la lutte contre le
financement du terrorisme, réunissant les différents acteurs de la lutte contre
les grands trafics, pour la transparence des comptes et la lutte contre le
blanchiment d'argent, est, de ce point de vue, une initiative intéressante.
Car nous savons aussi que le terrorisme emprunte des réseaux légaux pour son
financement et que tous les « trous noirs du système financier international »,
pour reprendre l'expression employée par M. le Premier ministre, donnent la
mesure de l'ampleur et de la complexité de la lutte.
C'est sur ce plan que la convention ouvre les perspectives les plus
novatrices, en appréhendant la question du financement du terrorisme non sur
l'origine - légale ou illégale - des fonds, mais exclusivement sur leur
destination.
Cette « infraction de financement » est par ailleurs conçue de manière très
large puisque la simple connaissance de l'utilisation potentielle des fonds à
des fins terroristes suffit à la constituer, de même que la tentative. Le
régime des sanctions est également particulièrement efficace dans la mesure où
sont prévus la responsabilité des personnes morales ainsi que le gel et la
confiscation des fonds utilisés.
Mais il est évident que le travail lent et minitieux contre le financement du
terrorisme international devra nous mener plus loin. On ne pourra pas faire
l'impasse d'une réflexion plus approfondie sur le fonctionnement du
libéralisme, qui, loin de combler les fractures, accroît les inégalités tant
économiques qu'humaines.
Il est clair que le monde a changé depuis le 11 septembre, et ce changement
appelle de nouvelles réponses. J'en veux pour preuve l'évolution radicale du
gouvernement américain en faveur de la transparence des transactions
financières internationales : alors que celui-ci était, jusqu'à présent,
particulièrement réticent à l'égard des initiatives tendant au contrôle des
paradis fiscaux
offshore
et dubitatif sur le rôle du GAFI, nous
entendons aujourd'hui George W. Bush se prononcer en faveur d'une coopération
et d'une réglementation internationale renforcées.
La coopération internationale constitue, c'est l'évidence, une des clés de la
lutte contre le financement du terrorisme. Il est clair, en particulier, que
l'entraide doit être renforcée ; de ce point de vue, les textes élaborés
doivent être discutés, ratifiés et appliqués.
Cependant, cette coopération ne sera productive qu'à condition que la
détermination ne soit pas circonstancielle, qu'elle se maintienne dans tous les
secteurs et qu'elle ne s'exerce pas à sens unique.
Plus encore, nous avons besoin d'une nouvelle réglementation économique. J'ai
évidemment en tête quelques-unes des avancées de la loi sur les nouvelles
régulations économiques, la loi NRE, notamment le placement sous surveillance
des transactions réalisées avec des personnes utilisant des techniques opaques
- sociétés écrans, voire fonds fiduciaires - ou des services offerts avec les
centres
offshore
non coopératifs, ainsi que la restriction des
opérations financières en direction comme en provenance des territoires non
coopératifs désignés par le GAFI.
Je pense également aux procédures d'identification des actionnaires dont la
loi NRE a renforcé le mécanisme en décidant la suppression du droit de vote et
des dividendes pour les actionnaires préférant l'obscurité à la
transparence.
D'autres mesures, plus radicales, doivent être engagées : malgré les
résistances de certains, nous continuons de plaider pour la suppression pure et
simple des paradis fiscaux et l'institution de la taxe Tobin. De telles
mesures, en effet, en privilégiant la transparence, permettraient une «
traçabilité » des capitaux financiers dont on mesure bien l'enjeu
aujourd'hui.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
La remise à plat du droit international des sociétés doit être mis à l'ordre
du jour ; le travail sera long, il devra être minutieux et persévérant ; il
dépendra avant tout d'une volonté politique forte ; mais il est nécessaire.
Cette volonté politique, le Gouvernement l'a : l'amendement qu'il a déposé le
montre, car les dispositions qu'il contient vont dans le sens d'un renforcement
de la réglementation, qui, outre le délit de financement du terrorisme, vise
également le délit d'initié ou de blanchiment terroriste et prévoit de
renforcer les moyens d'instruction des pôles spécialisés.
Notre approbation au fond ne doit pas cependant nous dispenser d'une réflexion
sur la forme. Je crois que, symboliquement, il nous faut rester très
strictement dans le cadre de l'état de droit. D'ailleurs, la navette
parlementaire, avec un examen approfondi de l'Assemblée nationale, permettra
probablement d'améliorer le texte.
C'est la force de la démocratie que de se soumettre au droit, de privilégier,
en tous lieux et en toutes circonstances, le droit sur la force. C'est pourquoi
je ne puis qu'être extrêmement réservée sur le recours à des procédures et des
mesures d'exception.
C'est sous cette seule réserve que le groupe communiste républicain et citoyen
approuvera le projet de loi de ratification qui va dans le sens d'une lutte
efficace et réelle contre le terrorisme.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes. - M. Hamel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de
ce projet de loi s'inscrit opportunément dans le contexte international actuel.
Outre la riposte armée, la répression du financement du terrorisme est en effet
une des réponses indispensables aux attentats effrayants et inacceptables
perpétrés le 11 septembre dernier aux Etats-Unis. J'y ajouterai l'attentat du 9
septembre qui a coûté la vie au commandant Massoud, les commanditaires étant
les mêmes. Ces derniers disposaient évidemment des moyens financiers
nécessaires pour frapper les intérêts américains.
Cette convention internationale constituait à l'origine une réponse aux
attentats de juillet 1998 contre les ambassades américaines de Dar es-Salam et
Nairobi, dans lesquels Oussama Ben Laden était déjà directement impliqué.
Le calendrier démontre la forte mobilisation de la communauté internationale
sur ce sujet. Les délais très courts - moins d'un an et demi s'est écoulé entre
l'initiative française et la signature de la convention - témoignent de la
volonté politique internationale de lutter contre le terrorisme.
La variété des sources de financement est indispensable pour cette forme de
guerre ; la lutte contre le financement du terrorisme devra s'inscrire dans la
durée.
Je ne développerai pas les dispositions contenues dans cette convention mais
mentionnerai simplement qu'elles peuvent être efficaces pour deux raisons :
elles sanctionnent les donneurs d'ordre comme les complices, à tous les
niveaux, et mettent en place un mécanisme d'entraide judiciaire le plus large
possible. En particulier, le secret bancaire ne pourra plus être invoqué.
L'Europe, parce qu'elle dispose de places boursières reconnues
internationalement et de réseaux bancaires prestigieux, a une obligation
d'exemplarité. En effet, ces établissements, qui ont une excellente réputation,
peuvent tout à fait être instrumentalisés par les réseaux terroristes.
Un pays comme la Suisse, même s'il ne postule pas à l'Union européenne, doit
être ouvert à toute demande d'informations bancaires.
L'Union, en cours d'élargissement, doit se montrer particulièrement vigilante.
Il faut ainsi que Chypre, pays candidat qui compte de nombreux établissements
bancaires, applique scrupuleusement l'acquis communautaire en matière de
transparence financière.
En votant ce projet de loi, le Sénat permettra à la France d'être le quatrième
Etat du monde à ratifier la présente convention, gardant ainsi sa position
d'initiateur.
Les Etats-Unis, eux, ne l'ont pas encore ratifiée. Ils savent pourtant que
c'est leur intérêt et leur devoir à l'égard des victimes du 11 septembre.
Espérons qu'ils le feront dans les meilleurs délais.
Le choix, par un Etat, de ratifier ou non cette convention sera un test de sa
volonté de travailler de manière effective, au-delà des mots, à l'éradication
du terrorisme international.
En mémoire de toutes les victimes du terrorisme aux Etats-Unis, mais aussi en
France, fixons-nous comme objectif la mise en oeuvre de cette convention au 1er
janvier 2002. Et puisque, pour cela, la ratification par vingt-deux Etats
signataires est nécessaire, la France pourrait utilement lancer une campagne
d'adhésion et de ratification, afin que la lutte contre le terrorisme atteigne
une dimension véritablement internationale.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique