SEANCE DU 25 OCTOBRE 2001


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Publication du rapport d'une commission d'enquête (p. 1 ).

3. Demande de consultation d'une assemblée territoriale (p. 2 ).

4. Candidatures à des organismes extraparlementaires (p. 3 ).

5. Communication (p. 4 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 5 )

6. Instruments de l'Union européenne nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme. - Discussion d'une question orale européenne avec débat. (Ordre du jour réservé.) (p. 6 ).
MM. Pierre Fauchon, auteur de la question ; Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne ; François Zocchetto, Mme Nicole Borvo, MM. Serge Lagauche, Bernard Plasait, Aymeri de Montesquiou.

7. Souhaits de bienvenue à un parlementaire du Kirghizistan (p. 7 ).

8. Instruments de l'Union européenne nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme. - Suite de la discussion d'une question européenne avec débat. (Ordre du jour réservé.) (p. 8 ).
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.
Clôture du débat.

9. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires (p. 9 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 10 )

PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

10. Commission mixte paritaire (p. 11 ).

11. Renforcement des mesures de sécurité autour des sites Seveso. - Discussion d'une question orale avec débat. (Ordre du jour réservé.) (p. 12 ).
MM. Yves Coquelle, auteur de la question ; Patrice Gélard, Serge Lagauche, François Trucy, Thierry Foucaud, Mmes Gisèle Printz, Marie-Christine Blandin.
MM. le président, Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Clôture du débat.

12. Dépôt d'un projet de loi (p. 13 ).

13. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 14 ).

14. Ordre du jour (p. 15 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures quarante.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

PUBLICATION DU RAPPORT
D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le président. J'informe le Sénat que, ce matin, a expiré le délai de six jours net pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d'enquête sur les inondations de la Somme afin d'établir les causes et les responsabilités de ces causes, d'évaluer les coûts et de prévenir les risques d'inondation, créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 9 mai 2001.
En conséquence, ce rapport a été imprimé sous le n° 34 et mis en distribution aujourd'hui jeudi 25 octobre 2001.

3

DEMANDE DE CONSULTATION
D'UNE ASSEMBLÉE TERRITORIALE

M. le président. Je vous informe que M. le président du Sénat a saisi, le 17 octobre 2001, M. le Premier ministre d'une demande de consultation, en application de l'article 74 de la Constitution, de l'Assemblée de la Polynésie française sur la proposition de loi organique n° 443 (2000-2001) de M. Gaston Flosse portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française.

4

CANDIDATURES À DES ORGANISMES
EXTRAPARLEMENTAIRES

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de plusieurs organismes extraparlementaires.
La commission des affaires économiques a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Jean-Pierre Vial pour siéger au sein du Conseil national de la montagne.
La commission des affaires étrangères propose la candidature de M. Robert Del Picchia pour siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.
La commission des affaires sociales propose les candidatures de M. Paul Blanc, pour siéger au sein du Conseil national de la montagne, et de M. Jean-René Lecerf, pour siéger au sein du Haut conseil du secteur public.
La commission des finances propose la candidature de M. Yves Fréville pour siéger au sein du Haut conseil du secteur public.
La commission des lois propose les candidatures de Mme Michèle André, pour siéger au sein du Conseil national de la montagne, de M. Jean-Paul Virapoullé, pour siéger au sein du Haut conseil du secteur public, et de M. Lucien Lanier, pour siéger au sein du Conseil national de la sécurité routière.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

5

COMMUNICATION

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que toutes les discussions inscrites à la séance d'aujourd'hui interviennent dans le cadre de l'ordre du jour réservé.
Mme le garde des sceaux étant actuellement retenue par la réunion de la commission des finances, la séance est suspendue pour quelques instants.

(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

6

INSTRUMENTS DE L'UNION EUROPÉENNE
NÉCESSAIRES À UNE LUTTE EFFICACE
CONTRE LE TERRORISME

Discussion d'une question orale européenne
avec débat
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec débat, n° QE-13.
Cette question est ainsi libellée :
A la suite des attentats survenus aux Etats-Unis, M. Pierre Fauchon interroge Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les initiatives que le Gouvernement compte prendre afin de hâter la mise en place par l'Union européenne des instruments nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme.
Il lui demande si les propositions actuellement en discussion, notamment les propositions de décision-cadre relatives à l'harmonisation des législations antiterroristes et au mandat d'arrêt européen, lui paraissent à la hauteur du défi auquel les Etats membres sont confrontés depuis le 11 septembre dernier.
La parole est à M. Fauchon, auteur de la question.
M. Pierre Fauchon. Madame la ministre, ma question aurait pu avoir pour objet de vous demander des nouvelles de M. Solana, mais ce ne sera pas le cas puisque, depuis hier, grâce à M. Moscovici, nous savons qu'il va bien, ce dont je me réjouis. Il est cependant permis de s'inquiéter du silence quasi absolu de l'homme qui devait être la cheville ouvrière, l'image, l'expression de la politique européenne en matière de relations extérieures et de sécurité. Son absence quasi totale, depuis des mois, confirme qu'il n'y a pas véritablement de politique extérieure commune, à l'heure où elle serait particulièrement souhaitée.
La création du poste de Haut représentant, chargé officiellement de donner à l'action extérieure de l'Union - je cite les traités - « visibilité, efficacité, cohérence et continuité », et présenté par la presse en octobre 1999 comme le ministre des affaires étrangères de l'Europe, n'a été qu'un leurre, comme nous l'avions diagnostiqué ici même dès l'origine. Je me permets de souhaiter que M. Solana, dont les mérites personnels ne sont nullement en cause, ait la dignité de démissionner de ses fonctions pour dénoncer l'inconséquence de ceux qui les lui ont confiées.
Tel est « l'état de l'Union » et les déclarations plus ou moins enflammées de quelques leaders nationaux ne sauraient cacher le caractère dramatique de cette carence. L'histoire, qui n'oublie rien, surtout dans les grands moments comme ceux que nous vivons, se souviendra de cette absence de l'Europe !
Reste à savoir si l'Europe est prête à prendre en commun les dispositions juridiques et judiciaires nécessaires pour faire face à toutes les formes de délinquance transfrontalière qui minent sa société et notamment le terrorisme, dont il n'est sans doute pas nécessaire de rappeler l'actualité et la gravité. C'est là, à proprement parler, l'objet de ma question.
Je suis de ceux qui réclament depuis de nombreuses années la création d'un véritable « espace judiciaire européen unifié ». Je dis bien « unifié », car je fais d'ores et déjà une très grande différence entre la notion d'unité et celle de coordination.
C'est dire mon intérêt à l'écoute des annonces faites au lendemain des attentats du 11 septembre dernier. Or je dois dire que ma désillusion, notre désillusion, est à la hauteur de notre espoir. Non seulement les textes proposés par la Commission européenne sont très en deçà des objectifs fixés, mais, en outre, les négociations actuelles entre les représentants des Etats membres, pour autant que nous en soyons informés, tendent encore à en réduire la portée.
Les deux seuls objectifs retenus dans l'immédiat, parmi la gamme des mesures qu'il conviendrait de prendre et qui font l'objet de deux projets de directives-cadres, sont, d'une part, l'harmonisation des législations répressives en matière de terrorisme et, d'autre part, l'institution d'un mandat d'arrêt européen.
Sur le premier point, ma question est simple : croyez-vous sérieusement, madame la ministre, qu'en matière de lutte contre le terrorisme la simple harmonisation des législations permette de faire un pas décisif dans la voie de l'efficacité alors qu'en matière pénale la moindre différence de texte fournit les échappatoires, les motifs de résistance et les occasions de nullité de procédure que l'on devine ? Tout juriste sérieux vous dira que seul un texte unique et commun, ne présentant que des difficultés de traduction, ce qui déjà, en matière européenne, n'est pas si simple, peut fournir une base immédiatement opérationnelle aux actions judiciaires antiterroristes.
Sur le second point, celui du mandat d'arrêt européen, la question est de savoir si l'on va, ou non, sortir des difficultés des procédures d'extradition.
Question préalable : comment expliquer que la France n'a toujours pas ratifié les conventions de 1995 et de 1996, qui prévoient justement de faciliter l'extradition entre les Etats membres ?
Au-delà de cette question, on se plaît à dénoncer l'attitude des autres Etats membres en matière d'extradition. Mais il faut bien voir que la France ne fait pas beaucoup mieux. Je suis obligé de l'admettre.
Ainsi, la France refuse toujours d'extrader ses nationaux, y compris vers les pays de l'Union européenne. Estimons-nous qu'ils seront moins bien traités ailleurs que dans nos propres prisons ?
La procédure d'extradition française n'est ni plus rapide ni plus efficace que les autres. Non seulement elle mêle le judiciaire, l'administratif et le politique, mais elle décourage bien souvent tous les intervenants, y compris parfois les « extradables » eux-mêmes. Il n'est pas rare que, lorsqu'une personne consent, demande même à être extradée pour aller s'expliquer au plus vite devant son juge, elle doive séjourner plusieurs mois en prison. J'ai eu connaissance de cas où l'intéressé a dû subir plus de six mois de détention préventive avant de pouvoir faire le voyage et voir son juge !
La création d'un mandat d'arrêt européen serait donc incontestablement une avancée majeure, à condition toutefois que l'on remplace réellement l'actuelle procédure d'extradition par une simple remise entre Etats membres, comme le prévoient les conclusions du Conseil européen de Tampere, et comme l'ont demandé les chefs d'Etat et de gouvernement.
Or le texte en discussion va beaucoup moins loin. En caricaturant un peu, je n'hésite pas à dire qu'on en reste pratiquement à la bonne vieille extradition !
Ainsi, à l'article 5 du projet, est instituée une autorité centrale non judiciaire, dotée des plus grands pouvoirs puisqu'il est dit que c'est sur la base de ses appréciations que se poursuivra la procédure d'extradition.
Je crois savoir qu'on serait en train de renoncer à l'institution de cette autorité centrale. J'espère que vous pourrez nous le confirmer tout à l'heure, madame le garde des sceaux.
Mais je vois bien d'autres motifs d'inquiétude. Passons sur les multiples exceptions, comme les immunités ou l'amnistie, qui se justifient parfois, mais qui constituent souvent des échappatoires et, à l'occasion, des méconnaissances du principe de reconnaissance mutuelle.
Venons-en au point central, à la question la plus délicate : quelle sera la nature du contrôle juridictionnel dans l'Etat qui est saisi d'une demande d'extradition ?
Tout l'intérêt d'un mandat d'arrêt européen réside en réalité, d'une part, dans l'allégement du contrôle étendu et tatillon du juge de l'Etat saisi de la demande et, d'autre part, dans la suppression du contrôle de la double incrimination, selon laquelle un pays peut refuser l'extradition si l'infraction en cause n'est pas incriminée de manière comparable dans sa propre législation.
Que lit-on à l'article 18 du texte proposé par la Commission, qui est le seul dont nous disposions actuellement, qui est tout de même la base des négociations et qui, venant de la Commission, devrait pouvoir bénéficier d'une présomption favorable ? « Un tribunal de l'Etat membre d'exécution décide s'il y a lieu d'exécuter le mandat d'arrêt européen... » Autrement dit, ce tribunal a purement et simplement le pouvoir d'apprécier s'il y a lieu d'exécuter ou non ; cette faculté de décision laisse pratiquement l'efficacité du mandat d'arrêt à l'appréciation souveraine de la juridiction de l'Etat membre.
En outre, l'article 14 autorise la même autorité judiciaire d'exécution à remettre en liberté la personne arrêtée dans les termes suivants, qui sont d'ailleurs admirables : « Si l'autorité judiciaire d'exécution a des raisons de penser que la personne arrêtée ne s'échappera pas... elle peut décider de la remettre en liberté... » Je vous laisse imaginer ce qu'implique cette formule : « si elle a des raisons de penser... ». Il est simplement précisé qu'on pourra « la remettre en liberté jusqu'à une date fixée d'un commun accord avec l'Etat membre d'émission ». Le rôle de ce dernier est donc limité à la fixation de la date à laquelle la personne devra se présenter.
Vous pensez bien que, entre le moment où l'on aura considéré qu'on a de bonnes raisons de la remettre en liberté et la date à laquelle elle devra se présenter, la personne en question, surtout s'il s'agit d'un terroriste, aura eu tout le temps de prendre le large ! On pourra toujours courir pour la rattraper ! (Sourires.) Et ce n'est pas le dépôt d'une caution, fût-elle extrêmement élevée, qui la dissuadera de s'échapper ! Dans ces milieux-là, l'argent ne manque pas !
Tout est dit !
Enfin, alors que le texte proposé par la Commission supprime le contrôle de la double incrimination - sur ce point, il va relativement loin -, conformément au souhait des chefs d'Etat et de gouvernement - encore rappelé à Gand voilà huit jours -, certains Etats continuent fermement de s'y opposer. La France aurait même proposé de ne supprimer la double incrimination que dans un domaine très restreint.
Cette perspective est inquiétante et fort éloignée des propositions de la Commission comme de la volonté affirmée par les chefs d'Etat et de gouvernement.
Face à de telles incertitudes, il faut à nouveau se demander, en toute innocence : veut-on réellement se donner les moyens de lutter contre la criminalité internationale ? Ou bien va-t-on se contenter de gesticulations verbales autour de la belle formule de « mandat d'arrêt européen » ?
A vrai dire, nous nous trouvons dans une situation absurde, où chaque Etat considère son système judiciaire comme le meilleur et regarde avec méfiance le système de son voisin. C'est donc une carence de confiance.
Or comment peut-on avancer dans la construction européenne sans le minimum de confiance mutuelle que l'on est en droit d'attendre dans cette matière aussi ? Et comment peut-on avancer dans la lutte contre la criminalité internationale si on ne se résout pas, dans ce domaine, comme on l'a fait lors des grands conflits du xxe siècle, à passer du morcellement, du compartimentage des moyens au « commandement unique » ? C'est la leçon de notre histoire !
Sincèrement, madame la ministre, si l'on en reste au stade actuel, mieux vaudrait refuser la création du mandat d'arrêt européen : il me paraît préférable de ne rien faire plutôt que de faire semblant de faire quelque chose !
Un triple rappel s'impose.
Premièrement, un véritable mandat d'arrêt européen devrait s'appliquer à l'ensemble des infractions, à l'exception de quelques particularités, comme l'avortement ou l'homosexualité, et il nécessite la suppression du contrôle de la double incrimination.
Deuxièmement, une personne consentant à être extradée devrait pouvoir être remise immédiatement à l'autorité judiciaire de l'Etat requérant, sans contrôle ni délai, et non pas après six mois de procédure, comme c'est le cas chez nous actuellement.
Troisièmement, si l'intéressé ne consent pas à son extradition, l'autorité judiciaire de l'Etat requis devrait s'en tenir à un contrôle minimal de pure forme sur l'identité de la personne et la régularité formelle de la demande.
Les autres formes de recours devraient être, pour leur part, exercées devant les juridictions de l'Etat d'émission, et non pas de l'Etat d'exécution, ou bien devant une juridiction européenne qui reste à créer, qui serait une branche de la Cour de justice européenne et qui pourrait en effet apprécier, d'un point de vue communautaire, la validité du mandat. C'est une question à laquelle il convient peut-être de réfléchir.
Si, à la rigueur, le contentieux de la détention doit rester dans l'Etat récepteur, alors, il faut que l'Etat émetteur du mandat soit associé à l'appréciation de ce contentieux.
Veut-on vraiment aller dans cette direction ? J'en doute !
Pour conclure, je souhaiterais, madame la ministre, que vous nous disiez quelles sont les chances de voir adopter ces instruments dans les délais prévus, et dans des termes qui soient à la hauteur de la menace.
Si cet objectif ne vous paraît pas susceptible d'être atteint prochainement, ne pensez-vous pas qu'il convient de changer de méthode ?
La procédure des coopérations renforcées ne présente-t-elle pas une opportunité ?
Sinon, la formule de la convention, que j'avais proposée en 1997, qui avait été moquée à l'époque mais qui a été reprise avec succès pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux, pourrait se révéler judicieuse. Cela permettrait d'associer davantage les parlements nationaux, qui disposent de la légitimité et de l'expertise nécessaires dans toutes ces matières sensibles qui touchent aux droits des individus. Qu'en pensez-vous ?
Telles sont les questions que je crois pouvoir vous poser, moins à titre personnel qu'en votre qualité de représentant parmi nous du conseil des ministres européens de la justice et des affaires intérieures. Mon propos n'implique, en effet, aucun préjugé critique à l'égard de votre action personnelle, madame la ministre : il traduit simplement mes profondes réserves à l'égard de la conduite actuelle des négociations.
Souhaitons, mes chers collègues, que celles-ci se hissent au niveau d'une démarche authentiquement communautaire, sans attendre que nous y soyons contraints par de nouveaux drames. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je voudrais tout d'abord remercier notre collègue Pierre Fauchon d'avoir bien voulu poser cette question, qui va nous permettre, madame la ministre, de faire le point sur ce qui se passe aujourd'hui à Bruxelles et sur ce que l'on peut espérer du prochain sommet européen de Laeken.
La semaine dernière, à Gand, les chefs d'Etat et de gouvernement ont adopté une déclaration sur la suite des attentats du 11 septembre et la lutte contre le terrorisme. Lorsque j'ai pris connaissance de ce texte, j'ai éprouvé un sentiment contradictoire : une satisfaction de voir se manifester une forte volonté politique, mais aussi l'impression que les chefs d'Etat et de gouvernement ne faisaient que répéter ce qu'ils avaient déjà affirmé auparavant, lors d'autres Conseils européens.
Car le terrorisme n'est pas un nouveauté pour l'Europe : les Français, les Britanniques ou les Espagnols peuvent en témoigner.
Et cela fait plus de vingt ans que l'on parle de la nécessité d'une lutte concertée, que l'on évoque, à son sujet, la création d'un espace judiciaire européen !
Cette volonté politique d'accélérer la mise en place d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice, le Sénat l'appelle d'ailleurs de ses voeux depuis de nombreuses années. La délégation pour l'Union européenne y a consacré de multiples travaux, comme, par exemple, le rapport de notre collègue Pierre Fauchon sur la construction d'un espace judiciaire européen, qui date de 1997. Plus récemment, le 29 mars 2001, c'est à son initiative que le Sénat a adopté à l'unanimité une résolution tendant à demander au Gouvernement de créer un Eurojust suffisamment fort.
En outre, madame la ministre, le dialogue engagé par la COSAC - la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires - avec votre prédécesseur, à Versailles, en octobre 2000, a montré que les parlementaires des autres Etats membres rejoignaient souvent notre volonté d'aller plus loin en ce domaine.
On nous annonce désormais une « feuille de route » relative à la lutte contre le terrorisme. Mais si l'on pouvait le combattre à coup de feuilles de papier, cela ferait longtemps que ce fléau aurait été anéanti par les documents européens qui y sont consacrés !
Car ce n'est pas le premier plan de lutte européen contre le terrorisme. Depuis de nombreuses années, chaque vague d'attentats donne lieu à des déclarations d'intention où l'on prévoit un renforcement de la coopération policière et judiciaire et une lutte contre le blanchiment d'argent sale. Ainsi, le Conseil européen de Tampere, en octobre 1999, avait déjà arrêté tout un programme de travail.
Mais, sur le terrain, les répercussions pratiques demeurent malheureusement très limitées.
Alors que les récents attentats démontrent le degré de sophistication atteint par les réseaux terroristes, que l'on craint de nouvelles menaces, comme l'utilisation d'armes de destruction massive, chimiques, bactériologiques ou nucléaires, la coopération policière et judiciaire en est encore au xixe siècle, pour reprendre les mots du ministre espagnol de l'intérieur.
La criminalité organisée ignore les frontières. Les criminels et leurs produits circulent librement sur le territoire de l'Union européenne, mais les policiers et les magistrats demeurent, quant à eux, trop souvent cloisonnés à l'intérieur des frontières nationales.
Il est inadmissible que les réseaux terroristes tirent profit des disparités juridiques et de l'insuffisance des échanges entre les Etats membres.
Depuis longtemps, ces réseaux se servent de certains pays comme des bases arrières pour commettre dans d'autres des attentats meurtiers. Cette situation est intolérable.
Comment expliquer que la France, lorsqu'elle a subi elle-même des attentats sanglants, n'ait pas toujours reçu de certains de ses partenaires la coopération qu'elle en attendait ? Il semble que certains Etats oublient parfois que la construction de l'Europe est fondée sur la solidarité et la confiance mutuelle et qu'elle entraîne des bénéfices, mais aussi des devoirs, comme celui d'une coopération pleine et entière.
Alors, pourquoi une si longue attente pour si peu de résultats ?
Pourquoi a-t-il fallu les dramatiques événements du 11 septembre dernier pour relancer la coopération dans ce domaine ?
Les premiers éléments de l'enquête montrent pourtant que ces actes odieux ont été largement préparés depuis le sol européen, où l'on semble découvrir l'existence de réseaux plus ou moins dormants.
C'est dire l'urgence qu'il y a à prévenir et réprimer le terrorisme à l'échelle européenne, tant par la relance de la coopération judiciaire et policière que par une lutte contre les circuits illégaux de financement.
L'Europe de la justice connaît encore des lacunes criantes. Les juges dénoncent régulièrement les entraves à l'entraide judiciaire pénale, la longueur des commissions rogatoires et la lourdeur des procédures d'extradition. Notre collègue Pierre Fauchon a rappelé l'affaire Rezala et a fait allusion au cas de Rachid Ramda.
Il existe pourtant des instruments européens, d'ailleurs adoptés difficilement, comme les conventions de 1995 et 1996, qui facilitent l'extradition, ou encore la convention d'amélioration de l'entraide judiciaire pénale. Mais ces instruments demeurent inappliqués faute de ratification par tous les Etats membres. Or, parmi les Etats qui n'ont pas encore ratifié ces conventions, figure malheureusement notre pays.
Madame la ministre, pouvez-vous nous livrer les raisons d'un tel retard - de plus de six ans ! - et nous dire quand le Gouvernement compte enfin déposer les outils nécessaires à la ratification de ces conventions ?
Comment la France peut-elle donner parfois des leçons aux autres Etats si elle ne balaye pas d'abord devant sa porte ?
Ainsi que l'a souligné notre collègue Pierre Fauchon et comme l'a récemment regretté publiquement le Président de la République lui-même, les négociations sur le mandat d'arrêt européen semblent piétiner. C'est d'ailleurs pour cette raison que les chefs d'Etat et de gouvernement ont dû intervenir au Conseil européen de Gand, afin de réaffirmer la nécessité d'aller vers une remise directe, de supprimer le principe de la double incrimination et d'aboutir, au plus tard les 6 et 7 décembre prochain, à une approbation de cet instrument.
Alors que je participais, voilà une quinzaine de jours, à une réunion de la COSAC, le Premier ministre belge s'est engagé à faire en sorte que l'on aboutisse, précisant que, si son ministre de la justice et son ministre de l'intérieur ne menaient pas ce dossier à terme, il se substituerait à eux. Cela m'a évidemment comblé de joie et rempli d'espoir !
Aujourd'hui encore, seule une minorité d'Etats membres de l'Union européenne disposent d'une législation spécifique en matière de lutte contre le terrorisme et, parmi ceux-ci, les dispositions sont très différentes d'un Etat à l'autre. Or comment peut-on lutter ensemble contre le terrorisme si l'on ne s'accorde même pas sur une définition et une approche communes ?
La Commission européenne vient de proposer un cadre législatif, avec une définition harmonisée du terrorisme et une échelle de sanctions.
Mais déjà les premières réactions de certains Etats, opposés à toute harmonisation en matière pénale, laissent présager des difficultés à venir.
Il faudrait, madame la ministre, que vous rappeliez à certains de vos homologues, même à ceux qui n'en sont pas familiers, la maxime du droit romain selon laquelle salus populi suprema lex esto : toutes les lois particulières doivent s'effacer s'il s'agit de sauver la patrie.
M. Pierre Fauchon. C'est gentil d'avoir traduit ! (Sourires.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Par ailleurs, la coopération entre certains services de police et de renseignement reste encore très insuffisante, tout le monde s'accorde sur ce constat inquiétant.
Lors de la dernière réunion de la COSAC, à Bruxelles, le ministre belge de l'intérieur s'est indigné du fait que le système européen d'empreintes digitales Eurodac ne fonctionnait pas à cause de l'obstruction d'un seul Etat membre. Et il nous a laissé entendre - même s'il ne nous l'a pas dit clairement - que cet Etat était la France. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point, madame la ministre ?
De même, c'est seulement maintenant que l'on découvre la nécessité de constituer des équipes communes d'enquête et d'échanger des informations dites « sensibles ».
Lors d'un récent débat sur Eurojust, je vous avais posé la question, madame la ministre, mais vous n'aviez pas eu le temps d'y répondre : pourquoi n'existe-t-il pas de magistrats de liaison dans tous les pays de l'Union européenne et dans tous les pays candidats, alors que nous savons - vous me l'avez dit un jour - que ces magistrats sont particulièrement efficaces en matière de coopération judiciaire et policière ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice C'est vrai !
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Il faudra, je crois, faire le nécessaire.
Vous avez vous-même admis récemment, madame la ministre, que les mesures de contrôle aux frontières n'étaient pas assez strictes. Les Etats membres devraient donc faire preuve de la plus grande vigilance lors de la délivrance des visas et procéder à des contrôles plus systématiques. Qu'en sera-t-il au fur et à mesure de l'élargissement ? D'une conversation que j'ai eue hier avec notre collègue Jacques Chaumont, qui s'est rendu récemment en Bulgarie, en Roumanie et en Slovaquie, il ressort qu'il y a là un véritable problème. Nous avons besoin d'une vraie police européenne des frontières, et je ne peux que me réjouir de ce que le Premier ministre ait manifesté sa volonté d'aller dans ce sens.
Si l'on élargit l'Europe, il faudra bien que les pays qui ne sont pas habitués à avoir des services de police et une justice très rigoureux bénéficient d'un soutien en la matière ! Il est donc indispensable d'associer les pays candidats à la lutte contre le terrorisme, et ce point devrait faire l'objet d'une grande vigilance dans le déroulement des négociations d'adhésion.
Le point noir de la lutte contre le terrorisme est incontestablement la lutte contre ses moyens de financement. Certaines opérations telles que les attentats récents ont nécessité des moyens logistiques et financiers importants. Par ailleurs, il existe souvent un lien entre les activités terroristes et d'autres formes de criminalité organisée comme le trafic de drogue, le trafic d'êtres humains et la prostitution, le trafic d'armes ou le grand banditisme : autant de crimes intolérables.
Il est donc indispensable de couper les voies de financement du terrorisme en s'attaquant de front à la criminalité financière et au blanchiment d'argent sale. Les enjeux sont considérables, car on parle de sommes qui avoisinent - j'ose à peine citer le chiffre - les 1 000 milliards de dollars par an (M. de Montesquiou marque son étonnement), et peut-être même plus, selon M. de Montesquiou, qui est orfèvre en la matière et qui va sans doute nous en dire davantage tout à l'heure dans son intervention. (M. de Montesquiou sourit.)
Certes, cette lutte doit d'abord être menée dans les enceintes internationales comme l'ONU, l'OCDE ou encore le groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, le GAFI. Le Sénat a d'ailleurs adopté à l'unanimité, le 9 octobre dernier, le projet de loi autorisant la ratification de la convention des Nations unies sur la répression du financement du terrorisme, signée en décembre 1999.
Mais l'Union européenne doit, dans ce domaine, servir d'exemple. Or la réalité est tout à fait différente. Ainsi, la convention précitée de l'ONU n'a pas été signée par tous les Etats membres : seuls deux Etats l'ont ratifiée.
Dans ces conditions - c'est une question que l'on peut légitimement se poser en tant qu'Européen - ne faudrait-il pas reprendre les éléments contenus dans cette convention dans un texte européen de portée contraignante et obligatoire, en attendant que les autres pays de l'ONU aient ratifié cette convention ?
De même, il est indispensable que les Etats membres ratifient rapidement la directive anti-blanchiment et que soit adoptée la décision-cadre sur le gel des avoirs. En effet, les dispositions législatives, par exemple en matière de secret bancaire, et les pratiques opérationnelles restent très différentes entre les Etats membres, alors même que nous sommes déjà à l'heure de l'euro.
Il convient également de renforcer la coopération des services et de créer, là où elles n'existent pas encore, des structures pluridisciplinaires dédiées spécialement à la lutte contre le blanchiment, sur le modèle du TRACFIN français, la cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins.
Par ailleurs, les Etats membres devraient se concerter pour prendre des mesures coordonnées à l'encontre des paradis fiscaux, ces véritables « trous noirs » du système financier international, comme le recommande le groupe de travail sur la régulation financière internationale de la commission des finances du Sénat.
Les banques correspondantes sont considérées par les spécialistes comme le maillon faible de la lutte contre le blanchiment. Le lien entre celles-ci et certains fonds d'origine douteuse a été mis en évidence, notamment par le Sénat américain. Quelles initiatives compte prendre le Gouvernement, au niveau européen, à ce sujet ?
On voit bien que, sur tous ces points, il manque à l'Europe un organe qui puisse jouer le rôle utile d'un aiguillon permanent pour lever les réticences des Etats membres, pour assurer le suivi des mesures prises et pour imprimer une direction.
Ne croyez-vous pas, madame la ministre, que ce qui a été fait en matière de politique étrangère et de sécurité commune doit maintenant être fait pour la coopération policière et judiciaire ?
Si l'Europe dispose désormais d'un numéro de téléphone, et même si ce téléphone ne fonctionne pas suffisamment bien,...
M. Pierre Fauchon. Il est aux abonnés absents !
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je ne partage pas tout à fait votre point de vue à cet égard, monsieur Fauchon !
Si l'Europe dispose désormais d'un numéro de téléphone et parle d'une seule voix, si elle est si présente aujourd'hui sur la scène internationale, c'est en grande partie grâce à l'institution du Haut représentant pour la PESC, la politique étrangère et de sécurité commune, et à l'action personnelle de M. Javier Solana.
Or tel n'est pas le cas pour la coopération policière et judiciaire : la lutte contre le terrorisme fait intervenir au moins trois ministres différents - intérieur, justice et finances - dans chacun des Etats membres et, quelles que soient les grandes qualités du commissaire européen chargé de la justice et des affaires intérieures - M. Antonio Vitorino est un homme pour lequel j'ai la plus haute estime - il ne dispose pas des moyens nécessaires pour coordonner - au demeurant, ce n'est pas dans ses compétences - les actions en matière de lutte contre le terrorisme, notamment en matière policière, qui constituent l'ensemble des deuxième et troisième piliers.
L'absence de véritable coordination rend cette lutte moins efficace. Je pense, notamment, à la multiplication des groupes de travail au sein du Conseil. Si l'on veut progresser, il faut bousculer les égoïsmes et les tendances constantes des fonctionnaires, des policiers ou des magistrats à rester les maîtres exclusifs de leur pré carré. En effet, souvent, ce ne sont pas les ministres qui freinent les dossiers, mais les services - y compris chez vous, madame la ministre -, car ils n'ont pas envie de se voir dépouillés d'un peu de leur pouvoir.
Pour cela, il faut une volonté politique continue et manifeste, mais il faut aussi que quelqu'un incarne cette volonté politique. Je pense que la France devrait y réfléchir et faire des propositions en ce sens. Le Conseil européen de Gand vient de décider la création d'un coordonnateur européen pour les actions de protection civile. Voilà un exemple !
Ne pourrait-on pas envisager également la création de l'équivalent d'un « M. Solana » au niveau européen, afin de personnaliser la lutte européenne contre le terrorisme et la grande criminalité ? Car la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice est une nécessité politique - et j'écris politique avec un très grand « P ».
Mes propos vous ont peut-être semblé un peu trop critiques, madame la ministre, mais vous savez bien qu'ils ne s'adressent pas à vous personnellement : c'est le système qui est en cause, aussi bien le système français que le système européen. C'est aussi une critique adressée à l'état d'esprit qui règne trop souvent dans les différents pays de l'Union européenne, et particulièrement chez nous.
Toutefois, ces propos sont ceux d'un homme convaincu, croyez-le bien, madame la ministre, que l'Europe doit avancer rapidement dans ce domaine afin de répondre aux attentes fortes et légitimes de nos concitoyens. En effet, au moment où la France ouvre ce grand débat européen, nos concitoyens ne comprendraient pas quel est le sens donné à cette Europe qui veut s'approfondir et se développer si nous ne sommes pas capables de répondre à leurs attentes.
Ces critiques, madame la ministre, doivent être mesurées à l'aune des grandes ambitions que, pour ma part, je place dans l'Europe. Nous comptons donc sur vous pour que, à Laeken, grâce à la France, toutes ces interrogations soient levées et ces inquiétudes dissipées. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès l'annonce des tragédies qui ont frappé New York et Washington, le 11 septembre dernier, l'Union européenne a manifesté sa solidarité aux côtés du peuple américain, cruellement meurtri par des attentats d'une ampleur sans précédent.
Le chagrin, la consternation et l'indignation se sont ainsi rapidement et légitimement exprimés à la suite du drame subi par l'Amérique. Mais ils ont également laissé la place aux engagements.
En effet, dès le 14 septembre, les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze ont publié une déclaration commune. Dans ce texte, ils ont explicitement reconnu que cette attaque terroriste était aussi dirigée contre les valeurs universelles qu'incarnent les pays de l'Union européenne, c'est-à-dire contre les sociétés ouvertes, démocratiques, multiculturelles et tolérantes.
Plusieurs grands engagements ont été soulignés dans cette déclaration solennelle.
Il s'agit, tout d'abord, de défendre davantage encore la justice et la démocratie dans les affaires du monde ainsi que l'intégration de tous les pays dans un système mondial de sécurité et de prospérité.
Ensuite, il convient d'avoir la volonté de continuer à développer la politique étrangère et de sécurité commune pour que l'Union puisse parler d'une seule voix.
Puis les Quinze ont souhaité rendre opérationnelle au plus vite la politique européenne de sécurité et de défense ainsi que le développement des efforts en matière de renseignement.
Enfin, ils ont estimé indispensable d'accélérer la mise en oeuvre d'un véritable espace judiciaire européen impliquant, entre autres, la création d'un mandat européen d'arrestation et d'extradition ainsi que la reconnaisance mutuelle des décisions judiciaires et des jugements.
Ce programme, madame la ministre, est au premier abord vaste et ambitieux. Il a d'ailleurs été réaffirmé au cours du Conseil européen extraordinaire qui s'est tenu le 21 septembre à Bruxelles et, plus récemment, au cours d'une nouvelle réunion du Conseil européen, le 19 octobre, à Gand.
Les Quinze ont décidé de renforcer la coopération policière et judiciaire par l'instauration du mandat d'arrêt européen ainsi que par l'adoption d'une définition commune du terrorisme grâce à un rapprochement du droit pénal des Etats membres.
Je crois qu'il n'est pas inutile de nous attarder sur ce dernier point.
Il faut noter, en effet, pour le déplorer, que six Etats européens seulement - la France, l'Allemagne, l'Italie, le Portugal, l'Espagne et le Royaume-Uni - se sont dotés d'une législation spécifique dans ce domaine. Le retard est donc considérable car ces législations sont, de surcroît, très différentes entre elles. Face à une telle complexité normative, il semble évident que la voie de l'harmonisation n'est pas la bonne.
En revanche, il nous paraît nécessaire de disposer d'une véritable législation européenne uniforme. C'est en effet l'outil le plus rapide à mettre en oeuvre et le plus efficace.
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. François Zocchetto. Sur le plan du renseignement, la volonté de coopération existe : des équipes communes d'enquête doivent être constituées pour favoriser l'échange d'informations. Ces données seront partagées avec Europol, où une équipe de spécialistes antiterroristes sera mise en place.
Par ailleurs, comme cela vient d'être rappelé, l'Union a souhaité s'attaquer au financement du terrorisme grâce à un ensemble de mesures concernant le blanchiment de l'argent et le gel de certains avoirs. Enfin, Eurojust, le corps de magistrats européens, devra être opérationnel au début de l'année 2002.
La volonté des Quinze s'est donc clairement manifestée.
Mais, madame la ministre, ce programme est-il suffisant ? Répond-il vraiment aux menaces qui pèsent sur les pays de l'Union européenne ?
Ces questions sont d'autant plus légitimes qu'il nous faut admettre une réalité : l'Europe est fragile, l'Europe est menacée. Elle est une cible privilégiée pour de nombreuses raisons : géographiques, historiques, économiques et politiques.
L'Europe, parce qu'elle est proche de plusieurs théâtres de conflits, parce que ses opinions publiques sont fragiles, parce qu'elle a des intérêts partout dans le monde est menacée.
La politique de défense, et plus largement la politique de sécurité, doit donc prendre en compte cette menace au niveau européen.
Pour l'ensemble des pays européens, la lutte contre le terrorisme suppose évidemment de bâtir un système policier et judiciaire efficace. Nous avons le devoir de traquer sans relâche les terroristes, de démanteler leurs réseaux d'appui, de gêner la réalisation au niveau européen de leurs méfaits et, enfin, ce qui paraît également évident, de condamner avec une sévérité dissuasive les responsables. Ce système intégré que nous appelons tous, je l'espère, de nos voeux passe par la création d'un espace judiciaire européen, comme vient de nous l'expliquer amplement notre collègue M. Pierre Fauchon.
Il est exact que l'expérience a montré que, peu à peu, à la faveur de certains dossiers et de convergences d'intérêts, les services de police et de justice de plusieurs pays européens ont pris l'habitude de travailler ensemble. Mais, de l'avis général - les différents orateurs, ce matin, l'ont confirmé - cette coopération bilatérale n'est pas suffisante. Elle est même parfois totalement inefficace.
Au plan communautaire, nous devons être conscients du fait que les efforts d'harmonisation et de coordination, qui sont nécessairement lents, ne produiront pas de résultats rapidement. Or, face à la menace, nous manquons de temps.
Seule la mise en place d'une législation européenne intégrée et uniforme peut permettre de relever le défi du terrorisme.
Par ailleurs, les attentats aux Etats-Unis ont révélé l'importance de disposer d'un outil de renseignement efficace. L'Europe doit donc être aujourd'hui le cadre d'intervention des services spécialisés face aux nouvelles menaces liées au terrorisme.
Enfin, l'histoire montre que si la lutte permet de rendre très difficile la réalisation d'actes terroristes, seul un règlement politique permet l'extinction du phénomène en faisant disparaître les revendications qui le nourrissent.
L'Europe, en particulier la France, a là un champ d'intervention tout indiqué. Il peut s'agir d'aider des Etats européens ou tiers à lutter contre les mouvements terroristes. Il peut s'agir de favoriser les règlements politiques et la promotion des valeurs démocratiques et de coexistence pacifique afin d'éviter que des conflits historiques - ils sont nombreux - ne débouchent sur la violence.
Le renseignement et la prévention des situations de crise, associés à la mise en place d'un véritable espace judiciaire européen, devraient donc constituer les priorités de la politique européenne de lutte contre le terrorisme.
Mais, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le point faible de l'Europe - nous avons tendance à l'oublier - est pourtant évident : l'Europe est une construction inachevée. Cela est vrai dans le domaine de la sécurité comme dans bien d'autres.
La construction d'une réponse juridique et judiciaire européenne complète au terrorisme rencontre des limites qui rendront nécessaire encore longtemps le traitement politique et militaire du phénomène terroriste. Toutefois, la volonté de construire un espace judiciaire intégré, qui est plus que jamais d'actualité et qui dépasse la simple démarche de coopération ou d'harmonisation, est fondamentale. Elle porte en elle un autre grand projet : l'Europe politique. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'Europe a réagi rapidement aux attentats du 11 septembre. Dès le 21 septembre, le Conseil européen extraordinaire « justice et affaires intérieures » devait présenter un plan d'action visant notamment à exposer les principes directeurs de cette lutte, via une coopération policière et judiciaire renforcée, le développement des instruments juridiques internationaux, la lutte contre le financement du terrorisme, le renforcement de la sécurité aérienne et une coordination de l'action globale de l'Union européenne.
En particulier, il était fait référence aux deux décisions-cadres présentées par la Commission européenne tendant, l'une, à l'adoption d'une définition commune du terrorisme et, l'autre, à l'institution d'un mandat d'arrêt européen qui se substituerait au système actuel d'extradition. C'est sur ces deux propositions que se sont concentrés les débats depuis la fin du mois de septembre jusqu'au sommet de Gand.
L'initiative de M. Fauchon s'inscrit dans cette perspective. Sauf que - et c'est là que le bât blesse - il ne s'agit pas tant de s'interroger sur la politique européenne de lutte contre le terrorisme que de débattre des « instruments de l'Union européenne nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme ».
Cet intitulé est tout à fait symptomatique de la démarche entreprise : au nom de l'efficacité de la lutte contre le terrorisme, c'est en réalité à une accélération du processus d'intégration policière et judiciaire au plan européen que l'on souhaite aboutir.
M. Pierre Fauchon. Absolument ! Je le confirme !
Mme Nicole Borvo. Or cette question mérite d'être discutée, car elle va bien au-delà du simple objectif affiché de lutte contre le terrorisme.
Il ne s'agit pas ici pour le groupe communiste républicain et citoyen de contester la nécessité d'une approche pluriétatique cohérente. Le problème est d'en avoir la volonté politique.
Dès 1995, on disposait des éléments nécessaires pour le faire, comme vient de le faire remarquer M. Haenel, et il est tout à fait préoccupant de voir qu'il a fallu les tragiques événements du 11 septembre pour y revenir.
Nous ne contestons pas la nécessité d'une approche étatique, disais-je. C'est d'ailleurs pourquoi nous sommes favorables à une coopération accrue. Je pense en particulier à la lutte contre le financement du terrorisme, à l'heure où nous connaissons le lien qu'entretient le terrorisme avec les mouvements de capitaux, via notamment les paradis fiscaux off shore.
Comme nous l'avions dit lors de la discussion, ici même, des résolutions tendant à la création d'Eurojust, nous sommes pour une harmonisation accrue des droits pénaux des Etats, qui est loin d'être réalisée aujourd'hui.
Pour ce qui est d'aller plus loin dans le sens de l'intégration, nous ne pouvons que renouveler ici un certain nombre de craintes que nous avons déjà exprimées lors du débat du mois de mars dernier sur la proposition de résolution relative à la création d'Eurojust.
Tout d'abord, les initiatives actuelles révèlent des déficits d'engagement commun de l'Europe sur le plan politique. Le débat technique autour des mérites du mandat d'arrêt européen et de la définition du terrorisme ne peut qu'en souligner les manques alors que la discussion est largement confisquée par la Commission et le Conseil européen, le Parlement européen n'ayant qu'une part limitée.
Les termes mêmes du débat tels que l'Europe les pose, tels que vous les posez, monsieur Fauchon, ne peuvent que conforter les réserves exprimées par mon groupe lors du débat sur la sécurité quotidienne. Avancer dans le sens d'un espace judiciaire intégré exclusivement sous l'angle de la sécurité et de l'efficacité de la lutte antiterroriste me semble - je regrette de le dire - dangereux.
On peut craindre en effet qu'une telle démarche ne légitime des mesures sans grand rapport avec le terrorisme mais concernant la libre circulation, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, vous en conviendrez avec moi.
Je ne veux pas oublier qu'en 1986, en pleine période d'attentats terroristes en France, le rétablissement des visas en direction du Maghreb et de l'Afrique noire devait être provisoire. Il n'a jamais été remis en cause, alors que la lutte contre le terrorisme n'y a pas forcément gagné en efficacité.
Aujourd'hui, derrière un certain nombre de propositions se profile la logique des accords de Schengen sur le contrôle des flux migratoires, non seulement illégaux mais aussi légaux.
La rhétorique sécuritaire devient désormais dominante à un point tel que « l'espace de liberté, de sécurité et de justice » voulu par le traité d'Amsterdam et le sommet de Tampere risque de ne devenir qu'un « espace de sécurisation », largement fictive d'ailleurs. Comme l'a dit mon collègue Robert Bret en ouverture du colloque « Frontières et zones d'attente » qui s'est tenu ici ce week-end, « ce n'est pas parce que nous maîtriserons les flux migratoires que nous maîtriserons les terroristes ».
Quid des initiatives tendant à revivifier les relations euro-méditerranée, des coopérations Nord-Sud qui viseraient réellement au développement des pays concernés, sans paternalisme ni appropriation des richesses largement spoliées par une économie libérale qui en a détruit les assises économiques, sociales et culturelles ? Quid de l'annulation de la dette de ces pays ? N'est-ce pas là que devrait se situer le coeur de la lutte contre le terrorisme ? L'Europe n'a-t-elle pas ici à jouer un rôle tout particulier en direction du monde arabe ?
Je déplore vivement que cet aspect de la lutte reste en retrait. C'est en effet dans ce domaine, comme dans celui d'une solution politique au Moyen-Orient ou dans celui de l'embargo à l'encontre de l'Irak, que l'Europe manque d'unité et de dynamisme.
Au sommet de Gand, à l'appel de la confédération européenne des syndicats, des voix se sont élevées pour réclamer une « Europe des solidarités », en soulignant que la guerre contre le terrorisme ne doit pas être une guerre contre les pauvres.
A l'heure où la situation internationale risque d'entraîner un flux important des réfugiés, prenons garde à ce que les mesures visant à renforcer la sécurité ne viennent restreindre le droit à la protection de ces victimes.
Quant aux deux instruments fondamentaux que constituent la définition commune du droit d'asile et l'institution d'un mandat d'arrêt européen, je souhaiterais formuler plusieurs remarques.
La volonté d'éviter toute impunité des personnes coupables de crimes graves et de réprimer partout en Europe des comportements qualifiés unanimement de « terroristes » ne peut que recueillir notre assentiment.
Ce qui nous gêne ici, c'est qu'un fois de plus on avance dans le sens de l'espace judiciaire européen sans se poser la question du contrôle démocratique, comme si la légitimité de l'objectif antiterroriste justifiait de faire l'impasse sur un élément aussi fondamental.
L'exemple d'Europol est édifiant, qui a vu ses compétences se développer au nom de la lutte contre la criminalité, malgré un déficit de légitimité et de contrôle. A cet égard, j'ai en mémoire la communication de notre collègue M. Masson sur les lacunes du contrôle parlementaire.
Cela devrait nous inciter à d'autant plus de vigilance sur les inquiétudes exprimées par différentes associations, dont Amnesty International.
Il convient, madame la ministre, de veiller à ce que l'urgence dans la réponse ne conduise pas à une précipitation préjudiciable aux droits et aux libertés fondamentales. Nous comptons sur vous. Nous souhaitons que vous soyez particulièrement attentive à ce que les deux décisions-cadres soient pleinement conformes aux exigences d'un Etat démocratique lors de la prochaine réunion du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 16 novembre.
Nous attirons spécialement votre attention sur la rédaction retenue à l'article 3-1 (f) . Au rang des infractions terroristes, il y est fait référence à « la capture illicite d'installations étatiques ou gouvernementales, de moyens de transport public, d'infrastructures, de lieux publics ou les dommages qui leur sont causés ». Cette rédaction, faute de précision, pourrait s'appliquer aux formes ordinaires de protestations pacifiques que constituent les occupations de bâtiments ou lieux public.
L'institution du mandat d'arrêt européen continue de se heurter à des résistances. Il serait opportun qu'il soit fait mention explicite aux droits de la personne, en rappelant les exigences de l'article 19-2 de la charte qui concerne l'impossibilité d'extrader en direction d'un pays où il existe un risque sérieux de torture ou de traitements inhumains ou dégradants. De même, le respect des droits de la défense jusitifierait la mention des voies de recours.
C'est sur ce point que je terminerai mon intervention, en réaffirmant ma conviction qu'une lutte « efficace » contre le terrorisme, comme nous y invite la question, ne peut se faire aux dépens ni sans la garantie des droits essentiels de la personne humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les attentats du 11 septembre ont cruellement rappelé à l'Union européenne ses responsabilités, pourtant sobrement énoncées dans le traité d'Amsterdam, celles d'« offrir aux citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité et de justice ».
Je dis « rappelé » seulement, car l'Union s'est fixée, depuis le Conseil européen de Tampere d'octobre 1999, un échéancier dense et ambitieux pour la mise en place d'un espace européen commun en matière de coopération policière et judiciaire, en particulier, pour ce qui nous concerne, afin de lutter efficacement contre la criminalité organisée transnationale et, par extension, contre le terrorisme.
Les événements ont eu pour conséquence d'accélérer le mouvement.
L'accord rapide sur des mesures globales et concrètes a pu montrer la solidarité des Etats membres et la détermination de l'Union européenne à être à la hauteur du défi, celui d'une lutte contre un terrorisme multiforme à larges ramifications. Et c'est bien, cette fois-ci, la volonté politique qui a primé sur la différence des cultures juridiques.
Cette nouvelle situation a révélé l'urgence de faire évoluer les mécanismes actuels de coopération policière et judiciaire. C'est sur ces derniers que nous nous concentrons aujourd'hui.
Au printemps dernier, lors du débat au Sénat sur la création de l'unité Eurojust de coopération judiciaire, nous constations la lenteur du processus de construction de l'espace judiciaire européen.
Sa mise en place est aujourd'hui déterminante pour la sécurité des citoyens européens, alors que les systèmes judiciaires des différents Etats membres sont, pour la plupart, inadaptés à la lutte contre les réseaux terroristes internationaux.
Il s'agit désormais, pour lutter contre le terrorisme, à la fois de réfléchir à une évolution des systèmes judiciaires des Etats et d'assurer la mise en cohérence des différents niveaux d'action de nature judiciaire. C'est cette exigence, qui, je pense, doit sous-tendre toute mesure européenne dans ce domaine.
Les Etats membres ont clairement fait le choix de l'efficacité. J'en veux pour preuve, d'abord, l'emploi de la procédure de la décision-cadre, qui permet d'éviter celle, souvent longue, de la ratification et de rendre les décisions rapidement opérationnelles ; ensuite, l'étendue du champ d'application, d'une part, de la définition du terrorisme et, d'autre part, du mandat d'arrêt européen.
En ce qui concerne la proposition de décision-cadre en matière de lutte contre le terrorisme, c'est l'essentiel de la définition française du terrorisme qui semble avoir été retenu. Il doit être bien clair que c'est son caractère intentionnel qui définit, au fond, l'acte terroriste.
Au regard des négociations actuelles, au sein du Conseil, autour de cette proposition de la Commission, je ferai part de mon inquiétude sur le risque de définition de sanctions trop faibles contre les actes ou les tentatives d'actes terroristes qui pourrait réduire considérablement la portée de ce texte essentiel.
Pour ce qui est de la proposition de décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, elle s'affiche en fait dans la droite ligne des réflexions qui ont sous-tendu les deux conventions d'extradition, signées en 1995 et en 1996, que, d'ailleurs, la France n'a toujours pas ratifiées.
M. Pierre Fauchon. Eh oui !
M. Serge Lagauche. Elle est énoncée par le Conseil européen de Tampere, qui estime que « la procédure formelle d'extradition devrait être supprimée entre les Etats membres pour les personnes qui tentent d'échapper à la justice après avoir fait l'objet d'une condamnation définitive », qu'il faut procéder à « un simple transfèrement des personnes, conformément à l'article 6 du traité sur l'Union européenne », et à l'élaboration de « procédures accélérées d'extradition sans préjudice du droit à un procès équitable ». Cette proposition était programmée par le tableau de bord pour la fin 2001 afin d'être adoptée sous présidence espagnole.
On peut penser que, dans la rédaction actuelle de la Commission, le texte procède à une sorte de mini-révolution : dans l'exposé des motifs, il est bien précisé que « le mandat d'arrêt européen doit couvrir un champ d'application identique à celui de l'extradition auquel il se substitue et concerner aussi bien la phase pré-sentencielle du procès pénal que la phase post-sentencielle ».
Or le tableau de bord fixé par la Commission, après le Conseil européen de Tampere, n'envisage que la suppression de l'extradition aux fins de l'exécution d'une condamnation.
Je tiens ici à souligner l'indécision de nombreux Etats membres qui semblent encore partagés quant au champ d'application de la décision-cadre. Pour notre part, nous estimons que la suppression de l'exigence de la double incrimination est la seule façon d'assurer l'efficacité d'un mandat d'arrêt européen. En ce sens, la position de la France qui vise à établir une liste positive des infractions concernées qui soit la plus large possible et à limiter la double incrimination à une liste restreinte nous paraît équilibrée.
Si ce compromis était adopté, il s'agirait d'un pas important dans le domaine de la coopération judiciaire européenne, puisque la double incrimination était, jusqu'à maintenant, profondément ancrée dans la pratique de la coopération judiciaire pénale. Sa disparition n'est envisageable qu'avec le rapprochement des législations des Etats membres, lesquelles, en la matière, peuvent être parfois très différentes.
Enfin, nous estimons que l'exigence de la garantie des droits individuels est assurée dans ce texte et selon le système proposé.
La combinaison de ces deux décisions-cadres est essentielle, sinon indispensable. La première définit un accord sur les valeurs partagées par les Etats membres, tandis que la seconde propose une harmonisation des actions judiciaires.
On peut noter que, dans les deux cas, c'est l'instrument qui conduit au rapprochement des législations des Etats membres et non l'inverse, comme cela était envisagé jusqu'à présent : la reconnaissance mutuelle des décisions de justice est le principe fondamental de l'une, la suppression de la double incrimination est celui de l'autre. Ce changement de conception devrait permettre d'accélérer un processus qui avait tendance à s'enliser.
Cette étroite combinaison est, à mon sens, aujourd'hui, la seule manière de parvenir à empêcher, comme on doit le faire pour les criminels d'envergure internationale, que les terroristes n'utilisent les vides juridiques entre les Etats membres.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Serge Lagauche. La mise en oeuvre de ces décisions ne peut se concevoir sans le cadre, l'aide, l'impulsion même des outils qui existent, mais qu'il convient d'adopter définitivement et de ratifier de façon urgente.
Nous pouvons enfin mesurer aujourd'hui l'importance du rôle d'Eurojust comme rouage essentiel dans la coordination des actions des justices nationales. Ses magistrats et ses procureurs y travaillent depuis le mois de mars. Faut-il souligner que la première réunion de coordination avait comme objet le réseau Ben Laden ? Nul ne peut en douter, son rôle sera essentiel dans l'avenir. C'est un outil indispensable à l'instauration de la confiance entre les autorités judiciaires, à la connnaissance des autres systèmes judiciaires et au développement d'actions multilatérales de différentes envergures.
Nous espérons vivement que les Etats membres parviendront à surmonter les dernières difficultés pour arriver à un accord sur l'unité Eurojust, afin que celle-ci soit définitivement adoptée au mois de décembre.
Nous ne pouvons aussi que souhaiter l'adoption rapide de la convention d'entraide pénale, signée en mai 2000, par les Etats membres, et qui doit permettre, notamment, la transmission directe des demandes d'entraide entre les autorités judiciaires des Etats membres, ainsi que l'institution de moyens d'investigation plus opérationnels. A ce sujet, dans un souci de rapidité, le Conseil devrait adopter une décision-cadre sur l'instauration, sans délai, d'équipes communes d'enquête, en complément de l'action d'Europol.
L'Union européenne doit, en outre, veiller à l'application du programme de reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière pénale voté sous présidence française, principe considéré comme la pierre angulaire de la coopération judiciaire pénale. Il devrait s'appliquer aux décisions précédant la phase de jugement, en particulier à celles qui permettraient aux autorités compétentes d'agir rapidement pour obtenir des éléments de preuve et saisir des avoirs, comme dans le cas des avoirs des 27 organisations ou personnes soupçonnées de financer le terrorisme et identifiées par les Etats-Unis.
Nous ne pouvons que nous réjouir, au-delà de la mise en oeuvre de mesures urgentes de coopération policière, du fait que soient examinées et développées des mesures de coopération judiciaire fortes permettant de montrer combien il est essentiel pour l'Union européenne et ses Etats membres de réaliser un espace judiciaire européen, où cohabitent les différents systèmes juridiques et judiciaires.
Nous sommes en train de faire un pas décisif vers la conception d'une territorialité européenne en matière de justice pénale, avec la facilitation de la coopération et de la coordination des autorités judiciaires au sein d'un espace unifié.
Les décisions qui sont actuellement négociées montrent, une fois de plus dans l'histoire de la construction européenne, que, comme pour l'euro, lorsque les Etats membres le veulent bien, ils parviennent à s'entendre sur la conduite de politiques à fort contenu européen, guidées par la solidarité.
Le cynisme commanderait de penser que, en matière de coopération judiciaire, c'est la méfiance qui reste de mise, chaque Etat considérant que son système est le meilleur. Mais la nécessité politique fait aujourd'hui office de confiance. On peut ainsi noter que la Grande-Bretagne vient d'accepter d'extrader Rachid Ramda, soupçonné d'être à la tête de l'organisation responsable des derniers attentats en France. Par ailleurs, nous devrons aussi porter une attention particulière à l'application de ces décisions par les futurs Etats membres de l'Union, dont les sytèmes judiciaires nécessitent encore d'être consolidés.
L'optimisme, ou plutôt la confiance dans la construction européenne, incite à penser que l'intérêt européen commun impose aujourd'hui la nécessité de surmonter, de dépasser cette défiance, car c'est la sécurité et la liberté des citoyens européens qui sont en jeu.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Serge Lagauche. Nous devons néanmoins veiller à ce que le rapprochement des législations et les garanties en matière de droits fondamentaux ne s'exercent pas au prix d'un nivellement par le bas.
L'actualité a clairement dicté les priorités et démontré la nécessité d'une intégration européenne plus poussée ; cette dernière est, à mon sens, toujours la clé de notre pensée et de notre action européenne. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - MM. Haenel et Fauchon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le 10 octobre dernier, ici même, le président Henri de Raincourt exprimait l'attachement des membres du groupe des Républicains et Indépendants à voir s'exercer une totale solidarité à l'égard des victimes du terrorisme, de nos alliés dans la riposte ainsi que du peuple afghan.
Prémonitoire sans doute, il concluait : « Il faudra veiller à ce que les bonnes volontés affichées se traduisent concrètement ». Il ajoutait : « La route sera longue avant de pouvoir priver les résaux terroristes de soutiens financier et logistique. »
Malheureusement, cette prudence semble aujourd'hui se vérifier.
Certes, après un mois d'activité frénétique, l'Union européenne peut se féliciter d'avoir engagé soixante-dix-neuf mesures pour lutter contre le terrorisme, mais son souhait de devenir une « puissance globale » sur la scène internationale est encore loin d'être réalisé.
Comme l'ont souligné certains diplomates, le choc créé par les attentats du 11 septembre dernier aux Etats-Unis a bien donné un coup d'accélérateur à l'intégration européenne dans des domaines jusque-là en proie aux susceptibilités nationales.
Dans les conclusions du sommet de vendredi dernier à Gand, les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze se sont félicités de la mise en oeuvre rapide du « Plan d'action contre le terrorisme » lancé un mois plus tôt à Bruxelles lors d'un sommet extraordinaire.
Ce plan a donné le départ d'un nombre impressionnant de réunions ministérielles destinées à marquer la volonté de l'Union européenne d'être présente sur tous les fronts, sans se départir de sa solidarité avec les Américains.
Si, aujourd'hui, les progrès semblent réels en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, de sécurité aérienne ou de coopération entre les services de renseignements, de sérieux blocages persistent concernant la mesure la plus emblématique : la création d'un mandat d'arrêt européen.
Pourtant, un tel mandat est le seul moyen véritable pour empêcher les terroristes de profiter des différences de législation, qui leur permettent d'établir tranquillement leurs bases arrière dans l'un ou l'autre des pays de l'Union.
Nous vivons actuellement avec le système de la double incrimination, qui impose que le délit visé par la demande d'extradition soit punissable dans les deux pays concernés par cette extradition.
Etant donné les difficultés d'application engendrées par ces procédures, il est indéniable que la remise directe permise par le mandat d'arrêt européen est de loin la plus efficace.
Face à cette réalité, le sommet de Gand a donc rappelé aux ministres européens de la justice qu'ils étaient tenus de parvenir à un accord début décembre et de surmonter d'ici là les difficultés d'ordre technique ou constitutionnel avancées par certains.
J'ajoute qu'au-delà du mandat d'arrêt européen il s'agit également d'oeuvrer à la définition commune des incriminations terroristes et du gel des avoirs.
Etant donné l'importance de l'enjeu, nous sommes tous impatients de savoir ce que le gouvernement français va faire concrètement pour que ces instruments soient enfin mis en oeuvre au sein de l'Union européenne.
Madame la garde des sceaux, il n'est pas un Français qui ne puisse comprendre que les différences de législation entre les pays membres d'une même communauté servent à protéger des terroristes qui ont commis des attentats et qui risquent d'en commettre d'autres demain sur notre sol.
A cet égard, les objectifs affichés à Gand vont dans le bon sens. Encore faut-il les concrétiser, et le plus rapidement possible !
Qu'il faille renforcer la coopération entre les services de renseignement, les services de police et les autorités judiciaires, c'est bien évident !
Qu'il faille établir une liste des organisations terroristes, nul n'en doute.
Qu'il faille lutter effectivement et efficacement contre le financement du terrorisme, c'est encore oui.
Mais si l'on ne peut que se féliciter de voir les Quinze s'exprimer collectivement, on doit surtout tout mettre en oeuvre pour que l'ensemble des citoyens de l'Union en voient les résultats le plus vite possible.
En matière de terrorisme, il faut prévenir, et pour cela obtenir tous les instruments juridiques qui nous permettent de le faire avec efficacité.
La France, pour sa part, n'a pas découvert le terrorisme avec les attentats effroyables du 11 septembre. Nous avons connu plusieurs vagues de terrorisme et j'évoquerai à cet égard les attentats commis par Action directe, par le Front islamique du salut, ainsi que ceux qui ont eu lieu rue des Rosiers, rue Copernic ou rue Marbeuf.
Mais, pour ma part, madame la garde des sceaux, pour avoir été présent sur place dans les minutes qui ont suivi l'attentat, je garde en mémoire des souvenirs atroces des victimes du RER à la station Saint-Michel.
Devant une telle lâcheté, de telles souffrances, il y a la révolte, bien sûr, mais, pour les responsables politiques, il doit aussi y avoir une totale détermination à combattre cette ignominie. Cela passe évidemment par le discours, mais sans complaisance, car il n'y a pas lieu de dire que le terroriste de l'un, c'est le résistant de l'autre ! Cela passe aussi par des actes : comment ne pas s'indigner qu'un terroriste qui fut l'homme le plus recherché du monde puisse, de sa cellule, donner une interview à la presse dans laquelle il se félicite de l'effroyable barbarie du 11 septembre ?
Alors, oui, commençons par cesser de faire la promotion des terroristes. Ce sera déjà un premier acte dans la lutte contre le terrorisme.
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Bernard Plasait. Malgré son rôle diplomatique accru, l'Union européenne n'a pu parler d'une seule voix en matière de défense. Le « Conseil de guerre » que la France a organisé avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne, juste avant le sommet de Gand, a illustré cette impuissance des Quinze.
Je sais bien que nos amis italiens et espagnols l'ont mal vécu. En revanche, la Suède, l'Autriche, la Finlande et l'Irlande n'ont vu aucun inconvénient à laisser à d'autres le soin de traiter de questions militaires qui échappent à la compétence communautaire.
Cependant, en ce qui concerne les moyens de lutter contre le terrorisme, il en va de la sécurité de tous les Européens, quels qu'ils soient et où qu'ils soient. C'est pourquoi toutes les réticences doivent être surmontées. Et la France a, plus que toute autre, vocation à contribuer à cette lutte.
Depuis le 11 septembre dernier, nous savons que les terroristes ne se contentent pas de terroriser par quelques attentats meurtriers : ils ont la volonté et les moyens de provoquer des destructions massives. Ainsi, les Américains ont eu davantage de morts dans les tours de Manhattan ce jour-là que sur les plages de Normandie pendant le débarquement du 6 juin 1944.
Nous devons tout faire pour que cette barbarie ne se renouvelle pas. La gesticulation verbale ne remplacera pas les actes. Je crois, madame la garde des sceaux, que, pour l'Europe de la justice, le 11 septembre, l'obligation de moyens a cédé la place à l'obligation de résultat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Pierre Fauchon. Bravo !
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'Union européenne a tout d'abord réagi avec le coeur aux attentats perpétrés le 11 septembre aux Etats-Unis : symboliquement, le 14 septembre, les drapeaux étaient mis en berne dans toute l'Union et trois minutes de silence étaient demandées aux 375 millions d'Européens à la mémoire des victimes. Cette compassion unanime à l'égard du peuple américain, cette émotion partagée au même moment expriment la réalité d'un élan européen authentique.
Vint ensuite le temps des décisions et de l'action : dès le 21 septembre, le Conseil européen se réunissait en session extraordinaire et, depuis, tous les conseils comportent des dispositions relatives au terrorisme. De la même manière, la déclaration des chefs d'Etat ou de gouvernement de l'Union délivrée le 19 octobre à l'issue du Conseil européen informel de Gand est claire : le discours communautaire sur la lutte contre le terrorisme est ferme, sans ambiguïté.
L'Union veut se situer à la pointe de ce combat. Il y a de multiples raisons à cela et j'en retiendrai trois.
Tout d'abord, une cause a été un catalyseur : la démocratie américaine a été symboliquement mais très durement touchée. Malgré des irritations réciproques, les Etats-Unis restent le grand allié qui, à deux reprises, a sacrifié la vie de ses soldats au nom de la liberté.
Ensuite, l'Union a connu la douloureuse et révoltante expérience du terrorisme, notamment en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni, en France et, encore aujourd'hui, en Espagne. L'Union peut être frappée à nouveau, en particulier notre pays. Cet été, en effet, des talibans prisonniers du commandant Massoud me déclaraient que la France serait punie en raison de son soutien au régime algérien contre le Groupe islamique armé.
Enfin, l'Union européenne, c'est une construction régie par des valeurs communes rappelées dans la charte des droits fondamentaux. C'est une construction politique originale, respectueuse des régimes politiques de ses membres, quelle qu'en soit la forme, république ou monarchie, dans la mesure où le caractère démocratique des institutions est assuré. C'est une organisation laïque, mais respectant aussi toutes les religions et dans laquelle hommes et femmes sont égaux.
Pour toutes ces raisons, et en particulier à ce titre, l'Union constitue une cible privilégiée pour des attaques terroristes perpétrées par des fondamentalistes islamistes. En effet, l'Union défend l'une des causes que ceux-ci haïssent le plus : la liberté des femmes.
Lutter contre le terrorisme à l'échelon communautaire, c'est donc défendre notre liberté.
Aujourd'hui, l'Union se mobilise, mais la question posée est bien celle de l'efficacité, car nos concitoyens, déjà trop peu « euroenthousiastes », attendent des résultats, et ils ont raison.
Les instruments nécessaires à une lutte efficace toucheront tous les secteurs, de la lutte contre le bioterrorisme à celle contre le blanchiment, en passant par le renforcement de la défense européenne. Tous les domaines sont sans doute couverts par les soixante-dix-neuf actions engagées pour la mise en oeuvre du plan d'action contre le terrorisme.
Toutefois, la question posée par notre collègue Pierre Fauchon concerne plus spécifiquement la coopération judiciaire complétée par la coopération policière.
Nul ne doute qu'une coopération renforcée au sein du troisième pilier de l'Union européenne permette de mieux lutter contre le terrorisme. Mais, pour cela, il faut que les événements du 11 septembre conduisent à des changements plus profonds. En effet, la coopération en matière judiciaire était initialement considérée comme un sous-produit de la libre circulation des personnes...
M. Pierre Fauchon. C'est exact !
M. Aymeri de Montesquiou. ... et ce, avant que le traité d'Amsterdam, dans son article 29, précise que l'Union avait désormais pour objectif d'offrir aux citoyens « un espace de liberté, de sécurité et de justice ».
En amont, l'harmonisation de l'incrimination du terrorisme, avec les sanctions, constitue une première difficulté. Sa définition doit être précisée et acceptée par tous, alors qu'elle est encore très diversement comprise et assez controversée au sein des Quinze.
La création rapide d'un mandat d'arrêt européen constitue un objectif ambitieux et sa réalisation serait un saut qualitatif au regard de la procédure d'extradition actuelle. Je sais bien que le mandat d'arrêt européen se heurte au problème du champ d'application et de la double incrimination. On peut entendre ceux qui, s'appuyant sur la subsidiarité, soulignent qu'un pays peut refuser d'exécuter le mandat si l'infraction en cause n'est pas incriminée de la même manière selon sa législation. Mais la gravité de la situation ne nous permet pas de retenir cet argument ; soyons efficaces !
La position pragmatique que vous avez défendue au Conseil « justice et affaires intérieures », la semaine dernière, me semble claire : suppression de la double incrimination pour les infractions harmonisées et proposition de liste d'infractions graves. La double incrimination serait alors limitée à des cas précis tels que l'interruption volontaire de grossesse ou l'euthanasie.
Madame la ministre, la recherche d'un accord politique et, plus encore, d'une législation européenne, sont des objectifs majeurs pour le Conseil « justice et affaires intérieures ». Considérez-vous que la volonté des Quinze le permettra ? Quels sont les obstacles essentiels ? Ainsi, la notion d' habeas corpus, socle du droit britannique et quasi inconnue du droit français en est-elle un ? Pour supprimer ces obstacles, quelle stratégie comptez-vous déployer pour convaincre vos homologues ?
Une coopération judiciaire renforcée doit avant tout s'appuyer sur une coopération policière efficace. L'idée d'une meilleure coordination n'est pas neuve : la première conférence des commissaires de police européens s'était déjà déroulée à Vienne en 1914 pour lutter contre les anarchistes russes.
Aujourd'hui, Europol constitue un outil opérationnel. Le travail de croisement de fichiers commence à devenir fécond et je me réjouis qu'une équipe de spécialistes anti-terroristes ait été rapidement constituée.
Toutefois, la confiance en la confidentialité des informations transmises demeure au coeur du dispositif de coopération. Les réticences sont fortes. A titre d'exemple et sans jugement de valeur, choisissons deux pays aux cultures opposées : quel est le degré de confiance d'une Allemagne très scrupuleuse dans les capacités administratives d'une Grèce plus désinvolte ?
Dans l'échange de renseignements, il faudra également conduire un arbitrage entre l'efficacité d'une coopération bilatérale et celle d'une coopération multilatérale. Avant-hier, la France et la Russie ont signé une convention pour échanger des informations. Madame la ministre, ne trouvez-vous pas regrettable et inopportune la signature par notre pays d'une telle convention à l'heure où les Quinze s'attachent à travailler davantage ensemble ?
Une lutte efficace contre le terrorisme contribuera, bien sûr, comme l'a souligné notre collègue Pierre Fauchon, à « davantage d'Europe ». Mais ne nous leurrons pas et ne trompons pas nos concitoyens sous prétexte de les apaiser : il n'y aura pas d'outil miracle pour lutter contre le terrorisme à l'échelon communautaire. De plus, il apparaît deux points faibles et le risque d'une erreur de finalité.
D'abord, le caractère transnational du terrorisme appelle une mobilisation au-delà de l'Union sur le plan mondial. A ce titre, la ratification de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme est urgente.
Ensuite, la confiance mutuelle n'est pas encore acquise entre les Etats membres, ce qui constitue un frein à une coopération véritablement efficace, au niveau judiciaire comme à celui de la police.
L'erreur de finalité serait de vouloir se rassurer par un discours du « tout sécuritaire ». En effet, la recherche et la mise en oeuvre d'outils efficaces pour lutter contre le terrorisme ne doivent pas s'opérer au détriment de la liberté dans le couple liberté-sécurité : l'Union et la France, en particulier, devront veiller à cet équilibre délicat.
Le choix du civisme et donc les mesures fortes et indispensables pour le restaurer permettraient de répondre aussi aux aspirations de sécurité des citoyens européens.
Sinon, le risque serait grand que la recherche d'une sécurité maximale ne mette en danger la liberté constitutive de nos démocraties. Transformer nos démocraties en Etats policiers à la Big brother, voilà un projet que ne renieraient pas les terroristes ! (Applaudissements.)

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SOUHAITS DE BIENVENUE
À UN PARLEMENTAIRE DU KIRGHIZISTAN

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune officielle de M. Kabai Karabekov, député de l'assemblée législative du Kirghizistan, qui est en France à l'invitation du ministère des affaires étrangères et de notre collègue François Trucy, président du groupe d'amitié France-Asie centrale. (Mme le garde des sceaux, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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INSTRUMENTS DE L'UNION EUROPÉENNE
NÉCESSAIRES À UNE LUTTE EFFICACE
CONTRE LE TERRORISME

Suite de la discussion
d'une question orale européenne avec débat
(ordre du jour réservé)

M. le président. Nous reprenons la discussion de la question orale européenne avec débat n° QE 13.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à remercier M. Fauchon, auteur de la question, et M. Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, de la qualité du débat qui s'est engagé grâce à eux.
Je souhaite également remercier les intervenants, M. Zocchetto, Mme Borvo, M. Lagauche, M. Plasait et M. de Montesquiou. Je ne serai pas en mesure de leur répondre individuellement, mais chacun se reconnaîtra dans mes commentaires. J'ai noté que leurs propos reposaient sur un socle commun extrêmement intéressant et que les divergences exprimées étaient tout à fait marginales.
Vous avez souligné, dans vos interventions, la nécessité pour les Etats, en particulier pour les Etats membres de l'Union européenne, d'intensifier leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme. Vous avez appelé de vos voeux un « changement de braquet » dans cette lutte, en particulier sur le plan européen.
Vous avez notamment insisté sur la nécessité d'harmoniser les dispositifs et de conduire en commun ce combat essentiel.
Je partage totalement ce sentiment, de même que l'ensemble du Gouvernement ainsi que le Président de la République, si j'en crois ce qui s'est dit lors du dernier Conseil européen.
La France s'est résolument engagée dans cette voie, ainsi que M. Fauchon et d'autres intervenants l'ont relevé. Je veux souligner que la plupart de nos partenaires partagent ce souci de changer radicalement de rythme, même s'ils mettent toujours quelques freins à leurs propos, j'y reviendrai.
En ce qui concerne mon ministère, j'ai renforcé la section antiterroriste du parquet de Paris, qui comptera désormais cinq magistrats, au lieu de quatre. J'ai également demandé aux chefs de juridiction d'être particulièrement attentifs et d'accorder tous les moyens possibles aux magistrats qui travaillent en relation avec ces affaires. Il leur faut en effet beaucoup de temps pour assurer les nécessaires échanges avec leurs collègues européens et, désormais, américains. J'avais proposé, pour les magistrats du siège, de renforcer l'effectif des juges d'instruction en leur accordant un poste supplémentaire, mais ils estiment qu'ils n'en ont pas besoin : nous verrons par la suite si cela se confirme.
D'autres mesures ont été présentées au Parlement et font l'objet de discussions. La Haute Assemblée a pris un certain nombre de positions sur ces textes, la semaine dernière. Je n'y reviendrai pas, même si je partage la mise en garde exprimée par M. de Montesquiou et Mme Borvo contre les mesures que nous prenons à chaud. Je pense que vous êtes tous d'accord d'ailleurs.
Sur le plan européen, je crois que nous assistons véritablement à une mobilisation très forte, sous la présidence de la Belgique, dont je tiens à saluer ici la qualité du travail et le dynamisme. Il n'était pas facile, en effet, de répondre à la demande du Conseil européen, qui s'est réuni presque immédiatement après les événements du 11 septembre.
Nous avons tous en mémoire les sinistres images des attentats terroristes qui ont frappé notre pays. La France, elle, et depuis de nombreuses années, avait déjà pris des initiatives pour lutter contre le terrorisme. Les événénements du 11 septembre l'ont conduite à renforcer son action, y compris auprès de la présidence belge. Nous ne partons donc pas de rien, mesdames, messieurs les sénateurs.
La mobilisation et les mesures qui la traduisent s'inscrivent dans la construction de l'espace judiciaire européen. Il faut accélérer ce mouvement parce que les initiatives prises ces dernières années par la France, si elles ont montré notre détermination, ont aussi mis en évidence les freins à cette construction de l'espace judicaire, freins dont nous devons parfaitement analyser les causes avant de proposer une solution, et sans montrer du doigt tel ou tel pays en critiquant ses réticences. C'est ce que nous avons essayé de faire au cours de ces dernières semaines.
Vous avez raison, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avançons beaucoup trop lentement. Si nous pouvons tous déplorer qu'il ait fallu attendre ces attentats pour accélérer le mouvement, il faut reconnaître que les choses, désormais, vont vite, et que nous avons peut-être, après l'horreur, une chance de conclure un accord très important avant la fin de l'année.
Le Conseil des ministres de la justice et de l'intérieur, dont c'est la responsabilité, s'est réuni à quatre reprises depuis le 11 septembre, dont deux fois de manière extraordinaire et une fois en commun avec les ministres chargés des finances.
De même, il me faut rappeler la brièveté du délai fixé par le Conseil européen du 21 septembre - le Conseil des ministres de la justice, le conseil dit « JAI », devra avoir arrêté les modalités du mandat le 6 décembre prochain, c'est-à-dire en moins de trois mois - qui montre que la volonté affichée trouve une traduction concrète.
Je suis persuadée que nous respecterons ce délai à quinze et en associant les pays candidats, comme nous l'avons fait jusqu'à présent, même si la perspective de l'élargissement suscite certaines réticences. La confiance qui prévaut aujourd'hui entre les Quinze peut-elle être étendue au-delà ?
En tout cas, nous devons travailler de façon très précise avec nos collègues de ces pays. Nous l'avons d'ailleurs déjà fait dès le Conseil européen qui s'est réuni à Moscou, voilà quelques jours, échangeant de manière bilatérale, notamment avec la Roumanie et la Bulgarie, sur la nécessité de répondre aux inquiétudes que vous avez fort justement formulées tout à l'heure.
Pour ce travail, réalisé à la fois à quinze et avec nos collègues des pays situés dans l'environnement immédiat de l'Europe, nous avons changé de méthode. Nous avons enfin choisi de placer le politique avant l'expertise. (M. le président de la délégation marque son approbation.)
Dans le passé, chaque fois qu'une idée de ce type a été émise pour avancer, elle a été soumise aux experts, tous personnalités de grande qualité, mais qui ont systématiquement montré les obstacles empêchant d'aboutir à la décision au lieu de proposer des solutions pour les surmonter. C'est, du reste, dans la logique de leurs attributions, mais nous pouvons collectivement le regretter.
Or, lors d'une réunion récente à Nuremberg, qui était prévue depuis longtemps, bien avant le 11 septembre, on a vu l'ensemble des experts juristes européens se concerter, et avec un grand enthousiasme, pour harmoniser les droits, et non plus pour recenser les obstacles à l'harmonisation.
Donc, nous avons des raisons d'être optimistes, car la situation évolue, y compris en dehors de la sphère politique.
Madame Borvo, je vous assure que je serai toujours à vos côtés, comme tout un chacun, pour défendre les droits fondamentaux, dont vous vous êtes préoccupée. Ce n'est pas parce que nous allons avancer que nous n'allons pas être aussi attentifs que par le passé au respect de ces droits. Je pense même, au contraire, que l'ensemble des ressortissants européens et des Etats candidats à l'élargissement vont y gagner.
Nous avons engagé le travail dans cinq directions.
Relevons, d'abord, la création d'un mandat d'arrêt européen ainsi que l'incrimination et la sanction des infractions terroristes en tant que telles. Ces dispositions étaient urgentes. Ces deux décisions-cadres, comme le relevaient MM. Fauchon, Haenel, Lagauche et Plasait, sont intiment liées dans leur esprit.
Le troisième axe important concerne la mise en place d'équipes conjointes d'enquête.
Le quatrième vise le développement de l'unité provisoire Eurojust, afin de coordonner l'action des magistrats. Au terme de son premier bilan rapide, avant l'été, Eurojust nous avait informés que 15 % des questions posées par les magistrats des pays européens concernaient déjà des faits de terrorisme ou des réseaux en lien avec le terrorisme.
Enfin, en commun avec les ministres chargés des finances, la coopération contre le financement du terrorisme constitue notre cinquième axe de travail.
Permettez-moi de revenir sur ces cinq points.
J'évoquerai d'abord le mandat d'arrêt européen, qui est au coeur de nos discussions.
Il s'agit d'un dispositif juridique qui permettra, au sein de l'Union, de remettre une personne interpellée dans un Etat membre à un magistrat d'un autre Etat membre qui la recherche. Cette remise pourra avoir lieu au terme d'un délai bref, de quelques jours à quelques semaines.
Le mandat d'arrêt s'appuie sur le principe de reconnaissance mutuelle au sein de l'Union que le Conseil européen de Tampere avait consacré. Il se fonde, ainsi que les intervenants l'ont souligné, sur la confiance réciproque entre les systèmes judiciaires des Etats membres.
Ce système a vocation à se substituer, au sein de l'Union, à la procédure actuelle d'extradition qui, comme vous le soulignez, est excessivement longue et lourde. Même dans sa forme simplifiée, elle ne répond plus aux nécessités du combat que nous menons.
A ce sujet, j'indique que le Gouvernement est en train de préparer la ratification des conventions de 1995 et de 1996, qui sera très prochainement soumise à votre approbation.
Je vous l'accorde, le processus a été beaucoup trop long, mais nous allons arriver à nos fins ! D'ailleurs, je constate que, lorsque l'on établit le calendrier parlementaire, trop souvent les ratifications des conventions internationales passent après les autres textes et que l'on recule d'année en année leur inscription à l'ordre du jour des assemblées, ce qui n'est pas bien.
Je peux confirmer à M. Fauchon que ce sont bien les personnes condamnées ainsi que les personnes recherchées qui seront concernées par le mandat.
En effet, si l'objectif est que le mandat d'arrêt européen se substitue à l'extradition, il faut que cette substitution soit la plus large possible. Donc, de même que, aujourd'hui, les extraditions visent très majoritairement des personnes non encore condamnées, le mandat doit concerner les personnes recherchées dans le cadre d'enquêtes.
Toujours sur le plan des principes, le mandat d'arrêt européen entraînera un changement important, que M. Fauchon a également relevé : l'autorité compétente pour prendre la décision de remise sera l'autorité judiciaire.
Dans notre dispositif d'extradition actuel, la décision finale de remettre une personne à une autorité étrangère fait l'objet d'un décret du Premier ministre. Cette décision est prise après contrôle de l'autorité judiciaire, sous la forme d'un avis de la chambre de l'instruction de la cour d'appel compétente. Nous associons ainsi un contrôle purement judiciaire de l'extradition à une décision gouvernementale, elle-même soumise au juge administratif.
C'est ce volet de la décision qui disparaîtra avec le mandat, puisque celui-ci devra être directement exécuté par l'autorité judiciaire requise. Ce changement représentera un grand progrès dans l'intégration européenne. Il matérialisera le principe de reconnaissance mutuelle que j'évoquais, cette confiance réciproque entre les Etats membres qui partagent les mêmes valeurs démocratiques et qui ont bâti ensemble un corpus de règles communes pour en assurer le respect.
La Commission a donc présenté un projet de décision-cadre qui a fait l'objet de discussions entre les experts et les représentants permanents à Bruxelles. Le conseil des ministres de la justice s'est réuni le 16 octobre pour faire le point sur ces travaux.
Quelle est la situation aujourd'hui ?
D'abord, nous avons pu constater que tous les partenaires sont favorables à un mandat d'arrêt européen qui soit le plus large possible : il s'agirait non pas de le limiter au terrorisme, mais bien de le rendre applicable à la plupart des crimes et délits, ne serait-ce que parce que certaines organisations criminelles sont liées au terrorisme.
Les Quinze sont également favorables à un système simple et lisible.
Ils sont, en revanche, partagés sur une question centrale, celle du principe traditionnel de la double incrimination.
Vous savez que, dans le droit de l'extradition, une personne n'est remise à une autorité étrangère que lorsque les faits qui lui sont reprochés dans l'Etat demandeur sont également incriminés dans l'Etat requis.
Or, le projet de mandat européen prévoit d'aller au-delà de ce principe et de permettre la remise de personnes y compris dans le cas où elles sont recherchées pour des faits non punis dans le pays requis. En d'autres termes, le principe de la double incrimination serait supprimé, au moins en partie. Il s'agit bien évidemment de l'une des questions les plus difficiles.
D'un côté, certains Etats, peu nombreux, souhaitent suivre la Commission européenne et prônent l'abandon du principe, avec la possibilité d'établir, à l'échelon national, certaines exceptions. La remise des personnes recherchées serait donc presque systématique, sauf dans certains cas inscrits sur des « listes négatives » d'infractions qui ne donneraient pas lieu à remise.
En particulier, la législation française applicable aux mineurs a paru trop dure à certains de nos partenaires, notamment l'Espagne, qui ont souhaité que le cas des mineurs fasse l'objet d'une de ces exceptions.
M. Pierre Fauchon. Ce sont les mineurs qui sont durs ! Cette génération est sans pitié... (Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. D'un autre côté, une majorité d'Etats membres ne sont pas prêts à cet abandon presque total. Ils sont réticents à l'idée d'unifier totalement les procédures alors que le fond des droits nationaux n'est pas lui-même harmonisé.
Pour ma part, je ne vous cache pas ma préférence pour un système qui offre le maximum de garanties d'efficacité et de rapidité, dès lors qu'il ne contraint pas les Etats membres à participer à la poursuite et à la répression de comportements que leur propre système juridique approuve, voire protège.
Pour séduisante qu'elle puisse paraître, la proposition de la Commission a un défaut. En effet, l'établissement de listes négatives se révèle, à l'examen, assez compliqué.
J'ai donc proposé à mes collègues, le 16 octobre dernier, un compromis, qui a été souhaité par M. Lagauche et accepté par M. Fauchon. Ce compromis comporte deux étages.
D'une part, il comprend une « liste positive » d'infractions pour lesquelles le mandat d'arrêt européen serait mis en oeuvre d'une manière très simple, avec un contrôle formel de la part de l'Etat d'exécution. Cette liste comprendrait les infractions harmonisées sur le plan européen, comme la traite des êtres humains, et les infractions les plus graves, comme le terrorisme, le trafic illicite de stupéfiants, le meurtre et le viol, notamment.
D'autre part, pour les autres comportements répréhensibles, on appliquerait la procédure du mandat d'arrêt lorsqu'ils correspondent à des infractions dans la loi des deux Etats, même si la qualification juridique et les éléments constitutifs ne sont pas absolument identiques. Dans ce cas, il y aurait vérification par l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution.
Vous le voyez, je ne propose pas la suppression de la double incrimination uniquement dans un domaine très restreint. C'est même le contraire. L'important est en effet de substituer le mandat à l'extradition afin d'accélérer les procédures.
La discussion se poursuivra entre experts jusqu'à la prochaine rencontre à l'échelon ministériel, le 16 novembre.
D'autres problèmes, bien entendu, devront encore être examinés.
Vous avez ainsi soulevé, monsieur Fauchon, la question de la remise de nationaux à un Etat tiers. Actuellement, selon une vieille tradition juridique, la France n'extrade pas ses ressortissants. Néanmoins, on ne saurait plaider pour un espace judiciaire européen intégré tout en défendant un privilège de juridiction national.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Absolument !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. C'est d'autant moins envisageable que la plupart de nos partenaires acceptent d'ores et déjà d'extrader leurs ressortissants et que la convention européenne d'extradition de 1996, que nous nous apprêtons justement à ratifier, ainsi que je l'indiquais tout à l'heure, le prévoit déjà. La France tourne donc une page.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je pense aussi au problème du contrôle juridictionnel de fond. Faudra-t-il qu'il s'exerce dans le pays d'exécution ou dans le pays d'émission ? Sur ce sujet, le débat reste ouvert. Là aussi, il nous faudra trouver un équilibre, dont l'élément essentiel résidera encore une fois dans le degré de confiance des uns et des autres dans les systèmes judiciaires de leurs partenaires.
Pour ma part, je suis favorable à ce que le contrôle juridictionnel de fond s'exerce le plus possible dans le pays d'émission, le contrôle du juge de l'Etat saisi devant être le plus léger possible. Je puis en tout état de cause indiquer à M. Fauchon que la disposition sur l'autorité centrale qu'il critiquait, à juste titre, a été retirée du projet de la Commission.
M. Pierre Fauchon. C'est une bonne nouvelle !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je partage aussi votre point de vue sur la nécessité pour l'Etat requérant d'être représenté lors de la procédure contentieuse dans l'Etat d'exécution.
De même, la question du délai reste posée. La Commission propose de le fixer à quatre-vingt-dix jours. Je pense que l'on devrait étudier la possibilité de le réduire encore.
Le mandat d'arrêt européen est une étape importante dans la construction de l'espace judicaire européen. C'est une avancée majeure, vous l'avez tous souligné dans vos interventions, et c'est bien dans cet esprit que nous travaillons à sa mise en place, dans le respect de nos règles démocratiques et des droits de la personne humaine.
M. Pierre Fauchon s'est également interrogé sur la remise en liberté, question d'actualité, malheureusement.
M. Pierre Fauchon. Terriblement !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Violemment !
Je pense que la privation de liberté - la détention provisoire - reste nécessaire mais qu'elle doit être fonction, d'une part, de l'infraction commise, d'autre part, de la dangerosité de la personne ou de sa volonté de se soustraire à la justice, que ce soit en France ou ailleurs. Décider que toute remise en liberté est désormais impossible ne serait sans doute pas fondé. Restons très prudents dans la réécriture des règles et nous trouverons une solution adaptée, sachant, bien sûr, qu'au-delà de la protection de la société - préoccupation que nous partageons tous - c'est la crainte qu'une personne ayant connaissance d'un mandat d'arrêt européen n'échappe à la justice qui vous anime, monsieur Fauchon.
M. Pierre Fauchon Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La volonté de se soustraire à la mesure doit donc, c'est important, être prise en compte.
Quant à l'harmonisation de l'incrimination de terrorisme, que, tous, vous avez évoquée, seuls six membres de l'Union la connaissent : il s'agit de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, de la Grande-Bretagne, de l'Espagne et du Portugal.
Les autres Etats membres traitent les infractions à raison des faits, sans considération du but recherché, alors que c'est précisément ce qui caractérise les infractions terroristes.
Le projet de décision-cadre présenté par la commission est assez proche des vues françaises et du dispositif que nous connaissons. S'agissant des incriminations, il prévoit d'abord un mécanisme de définition des actes de terrorisme par un système de liste d'infractions de droit commun assorties d'un mobile qui est le but terroriste ; ensuite la définition du « groupe terroriste » et l'incrimination des activités liées à des groupes terroristes ; enfin, l'incrimination de la tentative et de la complicité.
Sur ce point, nous nous heurtons à deux importants écueils : d'une part, certains de nos partenaires estiment que le champ prévu est trop large ; d'autre part, l'harmonisation des sanctions pose problème.
Nous avons eu à ce sujet un débat approfondi le 16 octobre dernier, mais il n'a pas permis d'aboutir. La présidence belge a proposé un compromis, qui est soumis actuellement à l'analyse des experts. Le résultat de leurs discussions sera examiné lors de la prochaine réunion des ministres du 16 novembre.
Je poursuis pour ma part mes efforts pour que la décision-cadre reste suffisamment ambitieuse, car l'harmonisation doit être la plus complète possible. M.M. Fauchon, Haenel et Lagauche savent qu'en cela je partage totalement leur préoccupation.
Les équipes communes d'enquête ne soulèvent plus, me semble-t-il, de difficulté majeure, je les évoque néanmoins brièvement, car elles constituent un aspect important de la coopération concrète entre les Etats.
Vous le savez, ces équipes ont été créées par la convention d'entraide européenne du 29 mai 2000, mais nous avons décidé de reprendre les dispositions de cette convention dans un projet de décision-cadre spécifique, afin qu'elles puissent être appliquées sans qu'il soit nécessaire d'attendre la ratification puis la transposition par tous les Etat de la convention. Ce projet devrait être adopté par le conseil « JAI » du 6 décembre, ce qui permettra la mise en oeuvre rapide des équipes communes.
Mon collègue espagnol et moi-même avons d'ailleurs décidé, le 11 octobre dernier à Perpignan, de nous engager dans cette voie dès que la décision européenne sera adoptée.
M. de Montesquiou nous a reproché de nous engager dans une discussion bilatérale en pleine négociation multilatérale. Cela correspond à une demande forte tant de M. le Président de la République que de M. le Premier ministre, et je crois que nous ne pouvions réussir le sommet de Perpignan sans cet engagement sur les équipes d'enquêtes communes dans la mesure où nous n'avons pas apporté une réponse favorable à 100 % à la demande des Espagnols de définir la remise immédiate dans le cadre d'une convention bilatérale France-Espagne. Nous souhaitons en effet que cette définition intervienne dans le cadre du mandat d'arrêt européen. Nous nous rejoignons donc sur le fond même si, sur la forme, nous pouvons diverger.
Cela m'amène à un point central de la coopération concrète entre les Etats, à savoir la montée en puissance d'Eurojust.
Je connais l'engagement de votre Haute Assemblée en faveur d'Eurojust ; vous connaissez mon engagement personnel en faveur de la mise en place rapide de cet instrument essentiel de coopération, par dessus les frontières, entre les magistrats. Je crois que, tous, nous sommes favorables à un Eurojust ambitieux.
L'unité provisoire a commencé à travailler dès le mois de mars dernier. C'est d'ailleurs au terrorisme que sa première séance de travail, à laquelle j'ai eu l'honneur de participer à Bruxelles, a été consacrée. Mes homologues ont tous tenu à désigner un magistrat connu et reconnu dans chacun de leur pays pour son action antérieure contre la criminalité organisée et le terrorisme en particulier.
Lors de cette première séance, notre représentant national a convié plusieurs acteurs de la lutte antiterroriste à venir exposer les dispositifs mis en oeuvre par la France. Nous avons ainsi pu apporter un certain nombre d'idées.
Dans cet esprit, j'ai proposé au conseil « JAI » du 27 septembre de continuer à renforcer l'unité provisoire tout en faisant avancer le texte qui fondera l'unité définitive.
Je suis consciente que rendre l'Eurojust provisoire de plus en plus performant pourrait nous faire oublier l'installation de l'Eurojust définitif. J'ai donc insisté sur la nécessité de faire aussi avancer le texte.
En outre, j'ai demandé que les magistrats d'Eurojust soient entendus pour une sorte de premier bilan d'activité par le Conseil lui-même, car, et vous l'avez sans doute constaté, si les représentants d'Europol sont souvent appelés à intervenir, ceux d'Eurojust le sont rarement, ce qui montre que les esprits n'ont pas encore évolué à propos d'Eurojust comme ils l'ont fait pour Europol.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est une question de culture.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Vous avez raison. Les esprits doivent donc encore évoluer pour se conformer au traité de Nice.
J'ai proposé également de mettre en place des correspondants nationaux spécialisés dans les questions de terrorisme. Ces correspondants seront chargés de coordonner l'action des magistrats nationaux - ce qui répond à l'une de vos questions - et d'assurer une bonne circulation des informations afin de faciliter la coopération. Cette proposition a été approuvée par le Conseil.
J'ai également demandé que la coopération entre Eurojust et Europol fasse l'objet d'une véritable réflexion, car il ne faut pas perdre de vue que, lors de la création d'Europol, ni la création d'Eurojust ni celle d'un instrument de coopération entre magistrats n'ont été prises en compte.
La réflexion s'organisera dans trois directions : l'échange d'analyses et d'informations entre Europol et Eurojust ; la coopération pratique pour appuyer les équipes communes d'enquête ; enfin, la coordination des initiatives visant à demander aux autorités nationales de mener des enquêtes.
Parallèlement, nous avons approuvé la plus grande partie du texte de la décision sur l'unité définitive. Le seul point notable qui doit encore être réglé concerne la protection des données, mais nous mettons actuellement au point le moyen de concilier les approches divergentes des partenaires. J'ai donc bon espoir que la décision puisse être adoptée le 6 décembre prochain.
Enfin, j'indique qu'afin d'utiliser à plein les possibilités d'Eurojust, j'ai décidé d'autoriser le représentant français à recevoir, transmettre et suivre l'exécution des commissions rogatoires internationales, avec le souci de faciliter leur exécution la plus rapide possible par les magistrats compétents.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Le représentant français pourra également aider les juges, à leur demande, à préparer les commissions rogatoires internationales qu'ils souhaitent émettre, pour gagner en temps et en efficacité.
Le cinquième et dernier point a trait à la lutte contre le financement du terrorisme.
C'est évidemment un volet essentiel de la lutte contre le terrorisme, vous l'avez souligné, monsieur Haenel. Comme le disait M. Fauchon, il nous faut, dans cette bataille, conjuguer les actions purement judiciaires ou policières avec celles qui s'adressent aux acteurs économiques et financiers. Nous avons besoin d'un ensemble de mesures qui s'articulent de manière cohérente entre elles et qui s'appuient sur une volonté politique sans faille de la part des Etats.
Nous ne partons pas de rien. Chaque Etat membre dispose déjà d'une législation permettant, même si elle est imparfaite, de lutter contre le financement du terrorisme. Nous développons également depuis plusieurs années les moyens de l'Union européenne dans ce domaine.
Sur le plan mondial, nous disposons de la convention internationale contre le financement du terrorisme. Vous savez qu'il s'agit d'une initiative française. Elle est en cours de ratification par nos partenaires et la Haute Assemblée a examiné la semaine dernière le projet autorisant la ratification française.
La loi relative aux nouvelles régulations économiques a permis à la France de renforcer son arsenal législatif. Dans le domaine préventif, celui-ci comprend les déclarations de soupçon systématiques pour toutes les relations avec les pays non coopératifs, au-dessus d'un certain seuil ; l'extension des déclarations de soupçon à de nouvelles professions, dans l'esprit de l'actuelle révision de la directive antiblanchiment, qui vient, enfin, de faire l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen ; l'interdiction totale de toutes les sociétés écrans sans ayant-droit économique déclaré.
En ce qui concerne la répression, nous avons mis en place les saisies et confiscations judiciaires dans les procédures de blanchiment et/ou de terrorisme, la création de délits de non-justification de revenus quand la personne est en relation avec des responsables du blanchiment et des auteurs d'actes de criminalité organisée - c'est un moyen très efficace de lutte contre les complices de la criminalité organisée que vous appeliez de vos voeux.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris les décrets permettant le gel des avoirs des personnes physiques et morales liées au terrorisme, en application des résolutions adoptées à l'unanimité par le conseil de sécurité des Nations unies.
Le Conseil commun des ministres de la justice et des finances, qui s'est réuni le 16 octobre dernier, a pris plusieurs décisions importantes dans ce sens.
Il a d'abord approuvé l'élargissement de la compétence du GAFI, le groupe d'action financière internationale, au financement du terrorisme. Pour être efficace, il faudra que le GAFI s'adjoigne la coopération d'Etats parmi ceux que l'on appelle les Etats « non coopératifs » - ceux qui figurent sur sa liste noire - mais dont le rôle dans ce domaine peut être central.
Sur un plan très concret, nous avons signé le protocole à la convention d'entraide judiciaire pénale du 29 mai 2000. Ce texte, qui résulte d'une initiative française, est conçu pour rendre plus efficaces les recherches dans les établissements bancaires, en permettant d'obtenir, d'une part, une liste des comptes bancaires détenus ou contrôlés par une personne soupçonnée, et, si possible, ceux sur lesquels elle a procuration, d'autre part, les renseignements concernant des comptes bancaires déterminés et des opérations réalisées sur un ou plusieurs comptes pendant une certaine période.
C'est une mesure très importante, qui lèvera un obstacle que rencontrent souvent les magistrats : on ne pourra plus leur opposer le manque de précision de leur demande. C'est une nouvelle brèche dans le secret bancaire, en même temps que la réponse à une question qui, tous, vous préoccupe.
M. Pierre Fauchon. Je l'espère !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. En fait, on ne pourra plus parler de secret bancaire, et je dois dire que certains ministres de la justice européens qui, en lisant la presse française, s'étaient sentis presque accusés dans le contexte actuel ont tenu à me dire qu'ils trouvaient que le chemin qu'ils avaient accompli en six mois aurait plutôt dû conduire les Français à saluer leur courage qu'à fustiger leur retard.
Nous avons en outre examiné, le 16 octobre, la décision-cadre sur le gel des avoirs. Elle est sur le point d'être adoptée. C'est un progrès sensible de la reconnaissance mutuelle.
Nous avons également demandé à la Commission d'achever son rapport sur la situation des structures juridiques, comme les trusts ou les fiducies, pour lesquelles nous devons trouver des critères minimaux de transparence. J'ai rappelé que la France attendait beaucoup de ces travaux, comme je l'avais souligné ici au moment du débat sur les nouvelles régulations économiques.
De même, l'échange de renseignements doit être intensifié. Une articulation étroite est indispensable entre, d'une part, les cellules de renseignement financier, et, d'autre part, les services de renseignement, les services répressifs et la justice.
Je voudrais maintenant aborder très brièvement le problème que M. Haenel a soulevé au sujet des empreintes digitales et d'Eurodac. Je connais l'existence de cette difficulté, mais cette question est traitée par le ministère de l'intérieur. Je ne peux donc pas vous apporter la réponse que vous demandez, monsieur le sénateur, mais je vais appeler l'attention de M. Daniel Vaillant sur la nécessité de trouver une solution dans les meilleurs délais. En effet, je crois qu'il est maintenant techniquement possible de lever les réticences françaises.
Puisque vous avez attiré mon attention sur le sujet, je rappellerai que sept magistrats de liaison sont déjà en poste en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, en République tchèque et aux Etats-Unis. (M. Haenel fait un signe d'assentiment.)
Après le voyage que j'ai fait voilà une dizaine de jours, nous avons pris la décision d'en nommer également un à Moscou. Nous sommes aussi en train de négocier une installation à Rabat.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Cela rejoint les propos de Mme Borvo, auxquels vous adhérez tous ici, selon lesquels la nécessaire coopération entre l'Europe et le Maghreb doit passer par la France. Parce que nous avons une position privilégiée à ne pas abandonner, j'ai proposé cette nomination à Rabat.
Nous allons développer le réseau parce qu'il fonctionne, c'est vrai, extrêmement bien. Nous avons une coopération judiciaire étroite avec certains pays candidats à l'élargissement, coopération que nous pouvons encore renforcer en y installant des magistrats de liaison.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Tout à fait !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Pour accélérer le processus, je vais explorer les pistes qui viennent de se dessiner au Conseil de l'Europe - et avec la ministre roumaine de la justice, par exemple.
Quand ce n'est pas possible parce qu'il y a des difficultés pratiques elles peuvent être liées à la conception de la démocratie - ainsi que vous l'avez dit, monsieur Haenel, j'ai choisi de placer auprès de l'ambassadeur un magistrat qu'on n'appellera pas toujours magistrat de liaison, mais qui accomplira le même travail.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je l'ai vu à Prague, il est parfait !
M. Pierre Fauchon. C'est très bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je dirai donc que l'effort de l'Union européenne est très sensible.
Nous sommes toujours, il faut le rappeler, dans l'esprit des décisions du Conseil de Tampere, qui a engagé les Quinze dans la voie de la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Nous nous inscrivons ainsi dans la ligne du programme de reconnaissance mutuelle en matière pénale, que la France a proposé et a fait aboutir sous sa présidence.
J'ai, en effet, entendu la proposition de nommer un « monsieur JAI », comme il existe un « monsieur PESC ».
M. Pierre Fauchon. Si on peut dire !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Vous comprendrez bien que je ne parlerai pas ici de M. Solana, monsieur Fauchon. Ce n'est pas une affaire de personne...
Cette discussion sur le mandat européen rejoint à mon sens celle sur le parquet européen, que le Premier ministre et le Chancelier allemand ont défini comme étant un instrument nécessaire à terme. Nous devons donc poursuivre le débat sur l'évolution de nos systèmes judiciaires, que les orateurs viennent d'évoquer.
L'une des questions souvent soulevées est celle de la responsabilité. Devant qui le parquet européen est-il responsable ? Ce sujet est indissociable du débat sur l'évolution de nos institutions. C'est en ce sens que nous devrons continuer à travailler si nous voulons régler le problème de la responsabilité.
J'ai perçu dans l'ensemble de vos propos une forte mobilisation, un besoin d'aller plus vite. Dans le cadre du mandat qui m'a été confié par le Premier ministre et après le conseil des ministres de la justice que j'ai vécu avec beaucoup d'intensité, je mettrai personnellement tout en oeuvre pour que nous trouvions l'amorce d'un compromis dès le 16 novembre et que nous aboutissions le 6 décembre.
Je vous l'accorde certes, cela donne l'impression terrible qu'il a fallu l'horreur pour que l'on avance plus vite, monsieur Fauchon, lorsque l'on parle d'espace judiciaire européen, sur le concept, nous sommes tous rapidement d'accord. Mais à y regarder de plus près, apparaissent certaines réticences, qui sont à mon avis de deux ordres : il s'agit de concilier la nécessité d'une clause de sauvegarde si un régime attente à la démocratie - c'est ce que j'ai entendu au cours du dernier Conseil - avec la poursuite de l'élargissement. C'est ce double souci qu'il faut identifier, sans se cacher derrière son petit doigt.
C'est en identifiant la difficulté, en ayant le courage d'en parler avec les pays candidats à l'élargissement que nous parviendrons peut-être à lever ces réticences qui passent pour des réticences d'experts, alors qu'elles sont en fait d'ordre politique. Cela aussi, il faut savoir le dire.
J'en viens à une remarque d'ordre plus général. Nous le disions en aparté : « Etat de droit, Etat de justice ». C'est en effet une phrase que j'ai prononcée ici même il n'y a pas très longtemps. La peur de perdre un pan de la souveraineté nationale est souvent prégnante quand nous parlons de la constitution de l'espace judiciaire européen.
Dans un contexte mondial totalement déstabilisé - on peut utiliser ce mot depuis le 11 septembre - où bon nombre de coopérations n'ont sûrement pas été menées, ni en matière policière, ni, surtout en matière judiciaire, si l'Europe veut exister, mener ce combat pour devenir le fer de lance de la sérénité retrouvée dans le monde, je reste persuadée qu'il faut qu'un espace judiciaire européen puisse naître du croisement de toutes nos cultures.
Nous pourrons alors avec d'autres pays - pays candidats, à l'Union, mais aussi pays voisins de l'autre côté de la Méditerrannée, pays du monde entier - parler de droit, de justice, de coopération judiciaire pour empêcher des réseaux d'accéder à une forme de pouvoir.
Il s'agit là à mes yeux d'un grand enjeu et j'espère que le 6 décembre prochain, l'ensemble des ministres de la justice, de l'intérieur et de l'économie de l'Europe en seront convaincus. Si nous rations ce rendez-vous, les générations futures pourraient, me semble-t-il, nous en vouloir beaucoup. (Applaudissements.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.

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NOMINATION DE MEMBRES D'ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES

M. le président. Je rappelle que les commissions des affaires économiques, des affaires étrangères, des affaires sociales, des finances et des lois ont proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaire.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- Mme Michèle André, MM. Paul Blanc et Jean-Pierre Vial membres du Conseil national de la montagne ;
- MM. Yves Fréville, Jean-René Lecerf et Jean-Paul Virapoullé membres du Haut Conseil du secteur public ;
- M. Robert Del Picchia membre du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger ;
- M. Lucien Lanier, membre du Conseil national de la sécurité routière.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurité des infrastructures et systèmes de transport et aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre.
« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter le Sénat à désigner ses représentants au sein de cette commission.
« J'adresse ce jour, à M. le président de l'Assemblée nationale, une demande tendant aux mêmes fins.
« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

« Signé : Lionel Jospin »

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l'article 12 du règlement.

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RENFORCEMENT DES MESURES DE SÉCURITÉ
AUTOUR DES SITES SEVESO

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 37 de M. Yves Coquelle à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, sur le renforcement des mesures de sécurité autour des sites Seveso.
Cette question est ainsi libellée :
M. Yves Coquelle interroge M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur la volonté du Gouvernement de réexaminer les conditions de localisation de ces industries, les conditions de production, de sécurité, d'urbanisation et de réexaminer le statut des emplois concernés.
Ce débat est nécessaire pour rendre compatible l'idée de sécurité avec celle de production, d'emploi et d'urbanisation.
A Toulouse, des milliers d'entreprises, des dizaines de milliers d'habitants ont été touchés. D'importants moyens ont déjà été débloqués grâce à la solidarité nationale et à l'intervention des services publics.
Cependant, beaucoup reste à faire. Quelles dispositions M. le secrétaire d'Etat à l'industrie entend-il mettre en oeuvre pour prolonger cette mobilisation nationale pour reconstruire Toulouse ?
Comment le Gouvernement compte-t-il assurer la juste participation du groupe TotalFinaElf à cet effort gigantesque ?
La parole est à M. Coquelle, auteur de la question.
M. Yves Coquelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déflagration meurtrière, le 21 septembre dernier, de l'unité chimique appartenant à TotalFinaElf, qui a coûté la vie à 30 personnes, en a blessé 2 500 autres, dont certaines si grièvement qu'elles resteront handicapées toute leur vie, laissera des traces indélébiles dans la mémoire collective.
Ce drame humain, qui vient s'ajouter à ceux de Seveso en 1976 - 200 personnes gravement atteintes -, Mexico en 1984 - 500 morts et 7 000 blessés -, Bhopal en 1984 - 7 000 morts - et Houston en 1990 - 40 morts -, pour ne citer que les plus importants, représente aussi un énorme coût pour la collectivité en raison de ses conséquences sur les plans économique, social et écologique.
La terrible explosion de l'usine chimique AZF, comparable à un séisme de 3,4 degrés sur l'échelle de Richter, a balayé toute une zone à la périphérie de la ville rose.
Quelque 25 000 appartements et maisons ont été dévastés, 70 écoles et une dizaine de lycées sinistrés, plusieurs hôpitaux endommagés, des bus et des voitures éventrés, des milliers de fenêtres soufflées et, sur le site industriel presque entièrement rasé, des tonnes de gravats roussis s'accumulent entre les poutres métalliques calcinées, tandis que la Garonne digère des tonnes d'hydroxyde d'amonium déversées à la hâte pour éviter, a-t-on dit, la pollution atmosphérique.
Située en pleine campagne au moment de l'implantation de l'usine au début des années vingt, cette zone de séparation entre le centre-ville et le site industriel a été progressivement appropriée, par couches successives, par les quartiers populaires : ceux de la cité d'Empalot d'abord, puis ceux des cités Papus et Bordelongue, enfin ceux des cités de Bagatelle, La Farouette, Bellefontaine et du Mirail. Sur les 25 000 appartements détruits, près de 18 000 appartiennent au parc des logements sociaux.
Face à une telle catastrophe, faut-il fermer définitivement le site AZF et délocaliser ces productions à risque, comme certains le préconisent ? Je crois qu'il nous faut aussi mesurer les conséquences que de telles délocalisations impliqueraient sur le plan économique et social. Est-ce réalisable ?
En France, sur les 1 250 sites classés Seveso, c'est-à-dire présentant un risque élevé pour la population et l'environnement en cas d'accident, plus de la moitié sont situés en zone urbanisée.
Dans ma propre région, le Nord - Pas-de-Calais, on recense 55 sites classés Seveso, mais, si l'on tient compte des estimations de la DRIRE, la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, le nombre de sites présentant de réels risques s'élève à 2 700. Ces firmes, elles aussi, sont implantées dans des zones fortement urbanisées, le long du littoral dunkerquois et calaisien ou dans l'ancien bassin minier autour de Valenciennes et de Douai.
Certes, la question du périmètre de sécurité entourant ces entreprises dangereuses est primordiale et nous devons sans doute la repenser, mais ne négligeons pas le fait que tout site industriel, par l'activité économique qu'il génère, participe au développement de l'urbanisation en attirant de la main-d'oeuvre.
Certains urbanistes nous mettent en garde en soulignant que le développement à l'américaine du type Los Angeles, où l'on sépare les activités, quartiers résidentiels avec les commerces d'un côté, parcs d'usines isolés de l'autre, crée des problèmes de ségrégation sans pouvoir forcément parer aux catastrophes.
En effet, n'oublions pas, monsieur le ministre, que lorsqu'un accident se produit sur un site industriel, ce sont les salariés qui sont les premiers concernés : sur les trente personnes qui ont perdu la vie ce 21 septembre, vingt-deux étaient des salariés d'AZF.
Les normes de sécurité de l'usine AZF étaient-elles bien respectées ? Vous avez pu comme moi, mes chers collègues, lire dans la presse les témoignages de nombreux salariés et syndicalistes d'AZF tendant à prouver le contraire.
Pour cette raison fondamentale, nous devons donc d'abord vérifier que sur tous les sites dangereux, qu'ils entrent ou non dans la classification Seveso, les normes de sécurité soient bien respectées et qu'elles évoluent en fonction des nouveaux risques technologiques et industriels.
Car, monsieur le ministre, c'est bien là que le bât blesse.
Dans de nombreuses régions, les inspecteurs de la DRIRE ont constaté la non-conformité de certains sites aux règles minimales de sécurité. L'année dernière, ces mêmes inspecteurs ont dénombré 258 infractions justifiant des sanctions administratives, tandis qu'ils dressaient 52 procès-verbaux pour des infractions devant se traduire par des condamnations pénales. Dans ma propre région, ils viennent de constater qu'aucun des trois sites de stockage d'ammonitrates classés Seveso ne respectait les normes de sécurité en vigueur.
Nous savons, par ailleurs, que les inspecteurs des DRIRE sont en sous-effectif et que, faute de moyens, leur contrôle est effectué souvent dans l'urgence et ne consiste, la plupart du temps, qu'à superviser l'ensemble des installations pour privilégier l'inspection plus minutieuse des zones les plus sensibles des sites à risques.
A titre d'exemple, à la DRIRE de Midi-Pyrénées, seuls 16,5 postes d'inspecteur sont affectés à l'examen des 2 000 entreprises soumises à autorisation, parmi lesquelles 29 sont classées Seveso. En Rhône-Alpes, ils ne sont que 60 pour plus de 3 600 établissements classés, dont 190 de type Seveso. Il devient urgent, monsieur le ministre, d'augmenter sensiblement les effectifs des DRIRE.
Mais, pour nécessaires qu'elles soient, les procédures de contrôle du type de celles qu'effectuent les DRIRE ne suffiront sans doute pas, malgré les sanctions que ces dernières peuvent infliger, à inciter les entreprises à rendre les questions de sécurité de nouveau prioritaires.
Elles ne gagneront pas non plus en efficacité si elles continuent à court-circuiter les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, en privilégiant presque systématiquement les représentants des directions d'entreprise comme interlocuteurs. L'accroissement du degré de sécurité sur les sites à risque suppose qu'une relation régulière et privilégiée s'installe entre le CHSCT et les DRIRE.
Il est bon de rappeler que les CHSCT ont été créés en 1982 par les lois Auroux. Il s'agissait, à l'époque, d'associer plus directement les salariés à la vie de leur entreprise. Ne parlait-on pas d'accroître l'exercice de la démocratie et de la citoyenneté au sein de l'entreprise et d'associer plus directement les salariés aux questions de leurs conditions de travail, questions qui concernent évidemment la sécurité ?
Or, dans les faits, les CHSCT, quand ils existent - seulement trois quarts des entreprises pouvant bénéficier de telles structures en sont réellement dotés - sont marginalisés, et leurs délégués subissent souvent des pressions de la part des directions d'entreprise : ainsi, leurs études et recommandations sont souvent négligées, et leur droit de faire procéder à une expertise face à tout situation qu'ils jugent dangereuse est souvent contesté.
Signalons à ce propos que, à la demande du CHSCT de la raffinerie de Grandpuits, dont le propriétaire n'est autre que TotalFinaElf, une expertise sur la sécurité de cette raffinerie a pu être menée. Le rapport rédigé en mars 2000 dénonce « une réelle situation dangereuse sur la raffinerie en cas d'incident majeur ».
La sous-traitance à moindre coût du système de surveillance, le mauvait état du réseau de circulation de l'eau dans les canalisations anti-incendies, la vétusté et le manque d'entretien de certains appareils sont autant de facteurs créant « une réelle situation de danger ». Selon l'expertise, cette situation est le résultat de la mise en application au début des années quatre-vingt-dix du « plan de performance et développement » de TotalFinaElf visant à accroître fortement sa marge brute d'autofinancement.
Sur le site de Grandpuits, ce plan s'est traduit par la réduction de 70 postes sur un effectif de 358 personnes, notamment des postes de pompiers, jugés insuffisamment rentables. Notons que, sur le site toulousain, l'effectif de ces derniers était passé de 25 à 3. A travers le plan de performance et développement, la sécurité et la prévention représentent des coûts qu'il faut réduire.
Dans de nombreux cas, les CHSCT ont une connaissance précise des risques et ils doivent être reconnus dans le rôle préventif qu'ils jouent. Il est nécessaire, monsieur le ministre, que leur rôle en matière de procédure d'alerte soit renforcé.
De même, il est nécessaire, face au développement de la sous-traitance, que le seuil minimal de 50 salariés soit abaissé afin que de petites sociétés, face au morcellement actuel des sites de production, puissent être dotées de CHSCT. Dans l'absolu, les inspecteurs du travail devraient exiger la création des CHSCT dans les entreprises dont l'effectif est supérieur à 50 personnes, comme ils devraient pouvoir exiger la présence d'un CHSCT sur tous les sites présentant un risque industriel majeur. Cela participerait d'une politique globale de prévention des risques d'accidents.
La politique engagée par TotalFinaElf, qui vise avant tout la réduction des coûts et qui se traduit par des réductions d'emploi, le développement de la sous-traitance et des formes précaires d'emplois, remet directement en cause la sécurité sur ses sites de production et contribue à accroître, à terme, la probabilité d'occurrence des accidents graves en raison de la dangerosité des produits manipulés dans le secteur de la pétrochimie.
Je citerai, à titre d'exemple, quelques chiffres significatifs. A la fin des années soixante-dix, le site toulousain employait près de 3 000 salariés ; ils ne sont plus, aujourd'hui, que 480 travaillant par équipes de 150 personnes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En 1999, un tiers des heures travaillées a été sous-traité. Selon la CGT, la direction du groupe aurait envisagé, en juin dernier, de réduire, pour 2002, de un million d'euros ses dépenses d'entretien et d'investissement sur le site. Cette décision aurait été jugée inacceptable par la direction locale.
Cette situation n'est pas propre au groupe TotalFinaElf. Elle est à l'image de l'évolution de tout le secteur de la chimie, secteur qui a connu, sur les vingt dernières années, des pertes d'emplois considérables au gré de la multiplication des plans sociaux. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la saignée opérée se poursuit. Ainsi, 1,5 % des emplois disparaissent chaque année.
A cela s'ajoutent toutes les pratiques d'un capitalisme sous la coupe des marchés financiers qui exigent, sur le très court terme - pour ne pas dire au jour le jour, compte tenu de l'évolution quotidienne de la valeur boursière - des taux de rendement du capital physique exorbitants.
A n'en pas douter, monsieur le ministre, exiger de la production un taux de retour sur investissement égal ou supérieur à 17 % constitue une aberration que d'aucuns devraient méditer. Asseoir le rendement réel du capital sur un rendement financier instable, car fruit de sociétés d'investissement spécialisées - les fonds de pensions, notamment - le plus souvent déconnectées des conditions réelles de production consiste à renouer avec les pratiques d'un capitalisme sans règles.
Dans les faits, cela ne peut se traduire que par une accentuation des pressions sur les coûts et l'emploi avec, comme réponse, une externalisation des coûts qui prend des formes que l'on connaît : recours à la sous-traitance, développement des formes précaires d'emploi, accroissement de la flexibilité de l'outil de production, réduction des dépenses consacrées à la formation du personnel et, plus globalement, réduction de l'ensemble des coûts fixes ; voilà autant de pratiques qui déstabilisent et fragilisent les collectifs de travail, accroissent l'intensité du travail, déstructurent la cohérence et les synergies qui pouvaient exister dans les ateliers sur un même site de production, autant de pratiques qui mettent en danger l'ensemble des sites. A cela s'ajoute la faiblesse des investissements consacrés à la politique interne de prévention et de sécurisation des installations et des équipements.
Monsieur le ministre, on ne peut nier que la politique de réduction drastique des coûts peu soucieuse des hommes et de l'environnement à laquelle se livrent depuis plus d'une vingtaine d'années les firmes industrielles contribue à accroître la probabilité des accidents. De même, on ne peut nier que le développement, à l'orée des années quatre-vingt-dix, d'un capitalisme actionnarial fasse passer au second rang les questions de sécurité.
La domination des marchés financiers et l'augmentation du pouvoir des investisseurs privés conduisent à une détérioration sensible de la sécurité sur les sites de production présentant des risques industriels et technologiques majeurs. Elle met en danger les salariés et, plus globalement, l'ensemble des populations, avec des conséquences néfastes sur le plan tant humain qu'environnemental.
Comment ne pas être d'accord avec ceux qui, ici ou là, réclament que l'on fixe des limites à la toute-puissance des marchés financiers plutôt qu'à la démocratie ? Les salariés, qui sont les premiers concernés par les questions de sécurité, doivent pouvoir intervenir de manière plus directe lorsqu'ils suspectent un risque d'accident. J'insiste sur le fait qu'il faut renforcer le rôle des CHSCT.
Permettez-moi enfin, monsieur le ministre, de soulever un point que je n'ai pas encore abordé mais qui trouve pleinement sa place dans le débat de cet après-midi : l'intermodalité des transports.
Il devient urgent de développer le fret ferroviaire et de renforcer le fret fluvial. Ce serait là l'un des plus sûrs moyens pour éviter que ce que l'on appelle communément des « Seveso roulants » ne traversent à longueur de journée des zones urbanisées.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'existe pas de solution unique pour renforcer la sécurité sur les sites à risque. Nous avons ainsi repéré plusieurs moyens d'y parvenir : l'amélioration des conditions de travail, qui contribue fondamentalement au renforcement de la sécurité ; l'augmentation sensible des effectifs des DRIRE - le Gouvernement, nous le savons, a décidé de faire des efforts en ce domaine - et le renforcement de leurs attributions, les DRIRE devant disposer d'un véritable contre-pouvoir ; le renforcement du rôle des CHSCT, qui est une nécessité ; une réflexion réelle sur le développement de l'intermodalité des transports assortie d'études prospectives sur les conséquences en termes d'accroissement des trafics routiers de marchandises dangereuses ; l'interdiction du stockage en grosses quantités de matières dangereuses et de produits à risque.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la catastrophe de Toulouse a été au centre de nos préoccupations ces dernières semaines : mes camarades Guy Fisher et Claude Billard se sont rendus quelques jours après le drame sur le lieu du sinistre, et nous avons rédigé une proposition de résolution - elle porte le numéro 38 - visant à la création d'une commission d'enquête sur les circonstances ayant présidé à cette catastrophe. Nous avons tenté de réfléchir objectivement à l'origine des causes de cette dernière et de suggérer certaines propositions.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que de telles catastrophes qui mettent en danger la vie de nos concitoyens ne puissent plus jamais se reproduire ? Certes, le risque « zéro » n'existe pas, mais nous pourrions nous en rapprocher. Quelles mesures préconisez-vous pour que de tels drames humains puissent à l'avenir être évités ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 21 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Gélard. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Patrice Gélard. Avant de commencer mon propos, permettez-moi, monsieur le président, monsieur le ministre, de remercier mon collègue M. Thierry Foucaud, qui représente d'ailleurs le même département que moi, d'avoir accepté que nous intervertissions l'ordre de nos prises de parole.
Monsieur le ministre, je vous prie également de m'excuser de quitter l'hémicycle sans doute avant votre réponse, mais je dois rencontrer à dix-huit heures trente en Seine-Maritime une vingtaine de maires afin de débattre du problème fort important des marnières.
Mon département détient le record de la plus forte concentration en France d'entreprises à risques classées « Seveso ». Un sixième, en effet, des entreprises françaises de ce type sont implantées. Ainsi, en Haute-Normandie, 49 entreprises sont classées « Seveso », et 9 autres sont assimilées ; 57 ont été portées à la connaissance des maires et 38 ont nécessité une modification des plans d'occupation des sols. Autant vous dire que, quelques jours après les événements de Toulouse, la Seine-Maritime a été fortement secouée et s'est interrogée sur les entreprises à risques classées « Seveso ».
Le préfet de région a immédiatement pris des mesures. Les communes se sont senties tout de suite concernées, et de nombreuses réunions se sont tenues dernièrement pour faire face aux risques éventuels. Je n'insisterai pas sur le fait que, quelques jours après l'explosion intervenue à Toulouse, un grave incident s'est produit dans la région de Rouen, car je laisse à M. Foucaud le soin d'intervenir sur ce point.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de formuler quelques remarques qui me paraissent très importantes en matière d'entreprises classées « Seveso ». La première est d'ordre général : quand allons-nous transposer dans notre législation française la directive Seveso 2, puisque seule la première directive Seveso l'a été pour l'instant ?
Permettez-moi, ensuite, d'insister sur les lacunes de notre dispositif législatif actuel.
Tout d'abord, nous notons que l'information du public est insuffisante à la fois en amont des risques éventuels et en cas de déclenchement du risque.
Je regrette que très peu de communes aient profité du cadre scolaire pour informer les élèves des dangers qu'ils peuvent encourir et des réflexes qu'il faut avoir dans ces cas-là. Je citerai cependant un cas assez exceptionnel - là encore, je suis obligé de rendre hommage à votre groupe, monsieur Coquelle -, celui de la commune de Harfleur, qui a organisé une telle initiation des enfants scolarisés ; mais il est vrai que cette commune est directement menacée par ce genre de risques.
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela fait quand même beaucoup d'hommages ! (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Patrice Gélard. Je suis obligé de reconnaître ce qui est bien !
Mme Nicole Borvo. Comment faut-il le prendre ? (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, nous constatons que, en cas de déclenchement de risque, les méthodes d'information rapides sont inexistantes.
Ainsi, le système des sirènes est devenu si banal en France que plus personne n'attache d'attention à leur déclenchement le premier mercredi de chaque mois ! Et, si une sirène se déclenche à un autre moment, personne ne sait à quoi cela correspond et ce qu'il faut faire ! Par conséquent, peut-être faudrait-il apporter une information à cet égard et revaloriser l'usage des sirènes.
Peut-être faudrait-il aussi savoir utiliser, dans cette hypothèse, les radios locales et exiger qu'elles annoncent des informations destinées au grand public.
De même, nous ne disposons pas d'une signalétique rapide qui permettrait aux utilisateurs de la voirie publique, en cas de déclenchement d'un risque majeur, de prendre très rapidement des déviations afin de ne pas créer d'embouteillages là où les différents véhicules de sécurité - véhicules de secours et de santé publique - doivent intervenir le plus vite possible.
Le deuxième élément qui me préoccupe tient à l'insuffisance des études préalables sur les conséquences d'un risque industriel majeur.
Trop de sites industriels sont desservis par des voiries médiocres qui, en cas de catastrophe, ne permettraient pas des dégagements rapides, aboutiraient à l'embouteillage de certaines cités, rendraient extrêmement difficile l'accès des secours et risqueraient d'entraîner des contaminations d'un site à l'autre.
Prenons l'exemple de ma commune, la ville du Havre. Si un accident écologique majeur se déclenchait dans la zone industrielle, la totalité de la ville serait bloquée : on ne pourrait plus circuler. Les véhicules de secours, les pompiers, les ambulances ne pourraient plus accéder à la zone sinistrée du fait d'un embouteillage considérable, une seule voie d'accès menant du Havre à la zone industrielle.
Il me semble donc nécessaire de mettre à l'étude la réalisation d'une voirie de dégagement, ce qui pour l'essentiel, jusqu'à maintenant, n'a pas été fait.
Autre élément devant faire l'objet d'études préalables : la dispersion sur le territoire national des hélicoptères de la sécurité civile.
Un seul hélicoptère dessert la Haute-Normandie, la Basse-Normandie et la Picardie. Pour une zone à risques industriels comme la Seine-Maritime, c'est très insuffisant. Trois hélicoptères au moins devraient être disponibles en permanence.
On pourrait faire appel aux hélicoptères de la gendarmerie ou à ceux des douanes, me direz-vous. Mais, mes chers collègues, les lenteurs administratives sont telles qu'une intervention rapide, dans ce cas, serait exclue.
Devrait également faire l'objet d'une réflexion l'absence d'exercices de sécurité.
Certes, des exercices grandeur nature ne sont pas forcément à promouvoir. J'imagine la panique de la population en cas de simulation d'une catastrophe naturelle sur un site industriel. Mais les exercices d'état-major devraient se multiplier, exercices auxquels seraient associés non seulement les communes, les préfectures, mais aussi les pompiers, les gendarmes, les hôpitaux. De telles manoeuvres d'état-major, à l'instar de celles qui ont lieu dans l'armée, pourraient se révéler extrêmement utiles et permettraient d'améliorer les plans d'intervention.
Il faudra aussi reconsidérer le problème du relogement, problème auquel est confrontée Toulouse actuellement.
En fait, toute une série de petits plans devraient permettre de prévoir les conséquences des risques inhérents aux différentes entreprises. Ces plans devraient être diversifiés, dans la mesure où la nature des risques est variable. A Toulouse, ce fut l'effet de souffle qui causa les plus grands dommages ; ailleurs, ce sera un incendie ou une intoxication massive. Il faut pour chaque cas - effet de souffle, incendie, intoxication, explosion - prévoir des modalités d'intervention spécifiques.
Cette nécessité de mieux informer le public et de prévoir des plans opérationnels d'intervention rapide en amont étant posée, je vais essayer de formuler quelques propositions susceptibles d'y répondre.
Comme M. Coquelle, je pense que la délocalisation est extrêmement difficile à mettre en oeuvre. Elle ne pourra aboutir qu'après un processus très long et très coûteux. La moindre délocalisation exigera une dizaine d'années au moins.
Il faut donc travailler pour l'immédiat et trouver les moyens de faire face aux risques permanents.
Tout d'abord, évitons de multiplier les difficultés. Ainsi, en éloignant par trop les sites industriels des zones urbanisées, on risque de rendre plus difficile l'intervention des secours. Il faut également tenir compte des préoccupations des personnels desdites entreprises. Ils ne verraient peut-être pas d'un oeil très favorable l'éloignement de leur lieu de travail.
Pour ma part, je pense qu'il faut faire confiance aux personnels des entreprises à risque. Je rejoins, là encore, l'auteur de la question, qui a relevé l'erreur consistant à sous-traiter la sécurité à des entreprises extérieures. Je connais bien les personnels des entreprises à risques de ma région. Ils sont, les premiers, attachés au respect de la sécurité. Je ne suis pas persuadé que les personnels extérieurs, qui arrivent à six heures du soir et repartent à six heures du matin, aient le même sens de la sécurité que les personnels permanents, d'autant que, dans les entreprises sous-traitantes, souvent, la rotation des personnels est trop grande et leur formation insuffisante.
J'en viens, monsieur le ministre, à un point qui me paraît tout à fait important.
Contrairement à ce qui se passe en Allemagne, où toute entreprise à risques dispose d'une cellule de sécurité, nous n'avons pas en France de véritable culture industrielle de la sécurité et des risques majeurs. Sur ce point également, j'aurai quelques propositions à faire.
Il n'existe pas en France de filière de formation à la sécurité allant du lycée professionnel au niveau d'ingénieur ou du doctorat. Nous n'avons que des petits morceaux épars de formation.
Je connais certains baccalauréats professionnels qui sont tout à fait intéressants mais qui ne touchent qu'au niveau le plus élémentaire de la sécurité. Nous avons aussi des diplômes universitaires de technologie « hygiène et sécurité », auxquels je rends hommage car ils ont permis de former un grand nombre de nos officiers du corps des sapeurs-pompiers. Mais il nous manque des échelons de formation.
Nous n'avons pas une seule école d'ingénieurs spécialisée en sécurité industrielle. Nous n'avons pas un seul DESS en sécurité industrielle. Et pourtant, toute entreprise à risques devrait impérativement avoir en son sein un ingénieur de très haut niveau spécialisé en matière de sécurité industrielle et de risques majeurs. Cette formation est spéciale car elle doit englober un volet scientifique important mais aussi un volet juridique, de manière à donner à l'intéressé une connaissance parfaite des règles applicables en matière de sécurité.
L'ingénieur en question doit être l'empêcheur de tourner en rond, il doit en permanence tirer les sonnettes d'alarme, intervenir auprès de la direction générale chaque fois que la réglementation risque d'être violée, que des vies humaines sont en danger. Ces ingénieurs doivent être les mouches du coche indispensables à toutes ces entreprises.
Bref, monsieur le ministre, il serait nécessaire que soient mises en place rapidement, en liaison avec le ministère de l'éducation nationale, des formations de spécialistes en hygiène et sécurité dans les entreprises à hauts risques. Ces formations devraient s'étendre sur un cycle complet d'études, depuis le lycée professionnel jusqu'au niveau bac + 5.
Je souhaite également que soit imposé à toute entreprise le recrutement d'un ingénieur de sécurité, placé à la tête d'une équipe comprenant des pompiers propres à l'entreprise.
Je souhaite encore que soit instauré rapidement un réseau permanent reliant les entreprises à risques entre elles et celles-ci à l'administration. La plupart des préfets de région sont en train de l'ébaucher. Mais il faut aller plus loin et institutionnaliser ce réseau.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques remarques que je voulais faire.
J'ajouterai que les populations des régions où sont implantées des usines Seveso sont des populations conscientes, responsables. Même si, bien sûr, le risque zéro est une utopie, elles souhaitent que l'Etat intervienne en amont de telle sorte que toutes les précautions soient prises et que le sentiment de responsabilité collective soit partagé par tous. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Raffarin. M. Gélard a raison. Il y a d'ailleurs une très bonne école de sécurité à Châtellerault !
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aborderai un point particulier, celui de la responsabilité citoyenne.
Les directives Seveso imposent notamment aux Etats membres de prendre, autour des sites, des mesures visant à ce que la population et les travailleurs soient informés sur les risques et sur la conduite à tenir en cas d'accidents.
Cette obligation qui semble aller de soi n'est, dans la pratique, ni toujours effective ni toujours efficace.
S'agissant de l'information sur les risques, si des efforts ont été faits via divers supports - plaquettes, réunions, cédéroms, cassettes audio ou vidéo... -, il n'en demeure pas moins que ces opérations ne sont ni d'une qualité ni d'une régularité uniformes sur tous les territoires environnant les sites à risques.
Rien ne garantit d'ailleurs que, sur une même zone, l'ensemble de la population concernée ait été informé de manière uniforme ; la raison peut être imputée non seulement à l'insuffisance des moyens mis en oeuvre, mais aussi à la désinvolture de certains habitants qui ne font ni l'effort de lire un document d'information ni la démarche de se rendre à une réunion publique, pensant que les risques sont pour les autres.
Quant à la conduite à tenir, l'information et les simulations sont, là encore, déficientes autour de nombreux sites.
A la suite de l'explosion survenue à Toulouse par exemple, un nuage de gaz s'est formé au-dessus du site ; le préfet, en application des consignes des plans d'urgence, a alors demandé à la population de se cloisonner à son domicile.
Qui connaissait parfaitement les notions élémentaires d'aménagement d'un cloisonnement efficace ? D'ailleurs, pour effectuer un tel aménagement, combien d'habitations disposaient encore de vitres ? Dans l'urgence et la peur peut-on suivre à la lettre des consignes techniques données à la radio, surtout si l'on n'a jamais participé auparavant à une simulation ?
Il est primordial que la population habitant ou travaillant autour des sites dangereux soit particulièrement bien informée et entraînée aux dispositifs d'alerte.
Les campagnes d'information et les exercices de simulation doivent être fréquents, réguliers et s'effectuer avec tout le sérieux nécessaire. Est-ce le cas par exemple de l'application des plans de mise à l'abri appelés plans SESAM ou plans de secours dans un établissement scolaire face à l'accident majeur ? De tels plans existent-ils au sein des entreprises ? Et font-ils, là encore, l'objet d'exercices réguliers donnant lieu à des conclusions, tant pour améliorer les procédures que pour analyser les réactions psychologiques ? Je pense que ce n'est malheureusement pas le cas.
Combien de groupes scolaires pratiquent-ils les trois exercices d'évacuation réglementaires par an ? Combien d'immeubles de grande hauteur recevant du public procèdent-ils à un exercice d'évacuation complète une fois par an ?
S'agissant des risques liés au terrorisme ou à l'étendue que peuvent prendre certains accidents chimiques ou nucléaires, en raison notamment de la concentration des usines ou de leur proximité des villes, il me semble que, dans le cadre de l'étude des dangers mise en oeuvre en application des directives et réalisée conjointement par les exploitants de sites et les services de l'Etat, les vérifications régulières sont loin d'être faites de façon approfondie et que la formation des personnels de sécurité, surtout des remplaçants, est loin d'être contrôlée.
Au-delà du problème des sites, si l'on veut être efficace, une culture de la prévention des risques, une formation à l'acquisition de réflexes adaptés doivent être développées sur l'ensemble de notre territoire. Chaque citoyen doit être impliqué, responsabilisé et, par voie de conséquence, se sentir solidaire.
Cela suppose, compte tenu de la diversité des connaissances à acquérir et des évolutions technologiques, une formation développée tout au long de la vie. Cette formation devrait être mise en oeuvre dès l'école par l'intermédiaire d'intervenants extérieurs et par les enseignants qui auraient reçu une formation spécifique, validée dans leur cursus et régulièrement mise à jour.
Ne serait-il pas nécessaire de doubler la journée d'appel et de préparation à la défense afin de vérifier le niveau des connaissances en matière de protection civile et de sensibiliser les jeunes à la nécessité d'entretenir régulièrmeent leurs acquis ? Ne pourrait-on créer, à côté des forces armées professionnelles, une force de protection civile, également professionnalisée, qui viendrait relayer les services de premiers secours des pompiers, cette fonction étant précédemment affectée à l'armée ?
Cette formation ferait enfin, à l'âge adulte, l'objet de recyclages réguliers et concernerait tant le lieu d'habitation, où un minimum de matériel devrait être disponible pour lutter ou participer à la lutte contre un sinistre, que le lieu de travail.
Sur ce dernier point, la situation dans de nombreux établissements publics comme privés est inquiétante : insuffisance des exercices et, lorsqu'ils existent, manque de sérieux ou de régularité ; manque d'organisation et de définition des rôles en cas d'alerte, développement du laisser-aller, y compris au sein de sites à risques. Combien d'exemples pourrions-nous citer qui montrent la nécessité absolue de mobiliser et de responsabiliser les citoyens ? La préparation du diplôme de secourisme devrait aller de pair avec l'apprentissage de la conduite. Ce serait un minimum.
Dans un climat géopolitique qui oblige à orienter la réflexion vers une projection à l'extérieur de nos forces de défense et dans lequel on ne mesurait pas l'ampleur du risque terroriste dans nos pays, n'a-t-on pas négligé la sécurité intérieure ? C'est pourquoi, à l'occasion de la réorganisation de la sécurité civile, il est indispensable que chaque citoyen soit mis en capacité de réagir au mieux et dans la solidarité à tout accident ou acte de terrorisme perpétré sur notre territoire, ce qui éviterait souvent les mouvements de panique.
Cette action, l'Etat doit en prendre l'initiative et en assumer la charge.
Pourquoi ne pas créer une autorité des risques qui, d'une part, garantirait l'information et la transparence avant l'installation d'un site à risque et, d'autre part, accomplirait cette mission d'intérêt général, d'information et de coordination s'agissant de toutes les conduites à tenir en cas d'accident ? En effet, nous en sommes malheureusement restés bien souvent à la simple pancarte : « Attention danger ! »
Plus largement, une dynamique doit être engagée à l'échelon européen, en ce qui concerne tant la prévention des risques que les dispositifs de secours et de formation. En outre, la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc nous a montré combien est indispensable le renforcement de la coordination des secours de part et d'autre d'une frontière. La proximité de certains sites Seveso avec une frontière oblige à une solidarité transnationale et à des réflexes communs, que seule une formation harmonisée de l'ensemble des citoyens européens à la notion de risques ainsi qu'une réglementation européenne unifiée rendront possibles.
Monsieur le ministre, la tâche est certes vaste. Néanmoins, l'actualité et l'évolution de nos sociétés font que, pour contrer les risques industriels majeurs et réagir au mieux aux accidents graves comme aux actes de terrorisme, la responsabilisation et la formation citoyennes sont parmi les meilleurs atouts dont la France et, plus largement, l'Europe doivent se doter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes premières paroles seront des paroles de compassion, que j'adresse, au nom de mon groupe, aux proches des victimes de la tragique catastrophe survenue à Toulouse le 21 septembre dernier, à la suite de l'explosion d'un stock de nitrate d'ammonium dans l'entrepôt de l'usine AZF. Notre sympathie va également à tous ceux de nos concitoyens qui ont été ou sont encore affectés par cet accident.
Le bilan est terrible : trente personnes décédées, plus de 2 200 blessés. Quant aux dégâts matériels, ils se chiffrent à une dizaine de milliards de francs, qu'il s'agisse de logements, d'établissements scolaires, de commerces ou de bâtiments publics.
C'est, en fait, l'accident industriel le plus grave que notre pays ait connu depuis quinze ans. Après Seveso, Bhopal, Mexico, Feyzin, Blaye - quelle énumération ! -, il nous rappelle les risques inhérents à certaines activités industrielles. Surtout, il nous impose une réflexion sur les moyens de garantir à nos concitoyens une sécurité maximale.
Dans cette perspective, notre assemblée a inscrit à l'ordre du jour de nos travaux la présente question orale. Parallèlement, l'Assemblée nationale a approuvé, à l'unanimité, le 17 octobre dernier, la création d'une commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles.
La représentation nationale entend donc participer pleinement au débat qui s'ouvre dans notre pays sur les risques industriels, leur encadrement législatif, les moyens de les prévenir et de les maîtriser.
Il me semble utile, pour commencer, de rappeler brièvement certaines circonstances historiques ainsi que la législation en vigueur.
La prévention des risques industriels et des pollutions est du ressort de l'Etat, qui élabore la politique de l'environnement et la met en oeuvre. Les textes en vigueur sont anciens, mais ils ne sont pas obsolètes : ils trouvent leur fondement dans la loi de 1976 sur les installations classées, dont les modalités ont d'ailleurs, ultérieurement, inspiré le droit communautaire.
Cette législation repose sur un principe simple mais drastique : les activités qui en relèvent sont énumérées dans une nomenclature les soumettant soit à un régime d'autorisation soit à un régime de déclaration. Cela signifie que le représentant de l'Etat, en l'occurrence le préfet, a connaissance des installations ainsi que des mesures de sécurité y afférentes.
L'accident survenu en 1976 à Seveso, en Italie, a entraîné une prise de conscience des autorités de tous les pays industrialisés sur ce qu'il est convenu d'appeler les « risques industriels majeurs ». Elle a incité les Etats européens à se doter d'une politique commune en matière de prévention de ces risques.
Telle est l'origine des deux directives dites « Seveso », qui fixent des seuils de risque et obligent l'exploitant à mettre en oeuvre un système de gestion ainsi qu'une organisation proportionnés aux risques de l'installation. Il doit notamment réaliser une étude de danger, présentant une analyse fine des risques et des moyens de les maîtriser lorsqu'ils surviennent.
Figurent également des mesures sur l'utilisation des sols, l'élaboration de plans de secours, le renforcement de l'information du public, l'amélioration de l'efficacité des contrôles et la prise en considération des conséquences d'un accident sur les installations voisines.
La France a transposé dans son droit interne la plus grande partie des obligations instaurées par les directives Seveso.
Le problème auquel nous sommes aujourd'hui confrontés est complexe.
Des règles de sécurité précises existent : elles sont établies en amont du processus de production ; elles visent à la responsabilisation de l'exploitant ; elles doivent être strictement contrôlées. Nous n'intervenons donc pas en terrain inconnu.
Par conséquent, il nous revient de juger de la pertinence et de l'efficacité de notre législation, et d'y apporter les modifications nécessaires afin d'assurer pleinement la sécurité de nos concitoyens.
Au-delà du choc émotionnel qu'a provoqué la catastrophe de Toulouse, le drame doit servir de révélateur.
Les résultats des enquêtes administrative et judiciaire qui sont en cours vont nous apporter des éclaircissements sur l'origine de l'explosion de Toulouse. En particulier, il nous faut comprendre pourquoi l'entrepôt de stockage de nitrate d'ammonium n'a pas été vérifié par les inspecteurs de la DRIRE, la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, et pourquoi la chaleur s'y est subitement élevée.
Au-delà, ces enquêtes soulèvent la question de l'avenir des établissements à risque. Il s'agit de « concilier la poursuite des développements économiques avec les impératifs légitimes de la sécurité des Français », comme l'a dit, à Toulouse même, le Président de la République.
A ce stade, je me permettrai seulement de suggérer quelques pistes de réflexion.
Dans l'immédiat, on pourrait engager l'inspection des sites fabriquant ou utilisant du nitrate d'ammonium et, plus généralement, renforcer les contrôles et les inspections approfondies.
Le Gouvernement a annoncé la création de 100 postes d'inspecteur des installations classées. Nous ne pouvons que soutenir cette initiative. Pour autant, nous nous posons deux questions.
D'une part, en mai 1999, Mme Voynet a présenté un plan triennal d'actions sur l'organisation et le fonctionnement de l'inspection des installations classées. Monsieur le ministre, où en est-on aujourd'hui dans la réalisation de ce plan ?
D'autre part, nombre de procès-verbaux transmis par les DRIRE à la justice seraient, nous dit-on, classés sans suite. Pourquoi ? Est-ce normal ?
Nous aurons aussi à nous interroger sur les conditions du renforcement de la prévention des risques industriels.
Comme je le disais précédemment, si la France a introduit dans le droit national la majeure partie des dispositions de la directive Seveso 2, elle ne l'a pas fait entièrement, notamment en matière de stockage souterrain de gaz et d'hydrocarbures liquides. Cette transposition nous est annoncée depuis longtemps, monsieur le ministre, puisqu'elle devait être intégrée dans le projet de loi sur le gaz. Mais nous savons tous que ce texte est devenu un véritable serpent de mer...
Voici pourtant ce que déclarait M. le secrétaire d'Etat à l'industrie en novembre 1999 : « Je proposerai au Parlement d'examiner le projet de loi de transposition avant la date limite du 10 août 2000. J'ai d'ailleurs pour cela une motivation supplémentaire : la France qui prend la présidence de l'Union européenne en juillet 2000 se doit d'être exemplaire pour le gaz. »
L'initiative, présentée hier soir, qui visait à transposer par amendement, sans débat approfondi, ces dernières dispositions de la directive ne répond pas parfaitement à nos attentes. Ce que nous souhaitons, c'est discuter globalement du texte relatif au secteur du gaz. Quand le Gouvernement l'inscrira-t-il à l'ordre du jour de nos travaux ?
Parallèlement, toujours dans le domaine de la prévention des risques, il serait possible d'améliorer la sécurité sur les sites eux-mêmes. Rappelons que la majorité des victimes de l'explosion de Toulouse, vingt-deux sur trente, se trouvaient sur le site industriel.
Cependant, on en a bien conscience, le problème majeur qu'a révélé l'accident de Toulouse, c'est la présence d'une usine dangereuse à proximité d'une agglomération. Certes, l'usine AZF, en son temps, a été construite à la campagne ; mais elle a été progressivement rattrapée par l'urbanisation. Doit-on, dès lors, déménager les sites industriels hors des villes, ce qui ne va pas non plus sans difficulté, en particulier pour le transport des matières dangereuses ? Ou bien doit-on élargir les périmètres de sécurité ?
De toute façon, il est évident que le public doit être pleinement informé et faire des exercices d'alerte réguliers, même si cela suscite toujours un sentimentd'angoisse.
Enfin, il va sans dire que le réflexion doit être menée au niveau européen : il convient de multiplier les échanges d'expériences entre les Etats membres et de s'interroger sur les améliorations à apporter à la directive Seveso.
Je dirai en conclusion que, en gardant en mémoire la douleur de la catastrophe de Toulouse, nous devons en tirer tous les enseignements, et cela le plus rapidement possible.
Plus particulièrement, il nous faut : dresser un bilan exhaustif de la politique des risques industriels telle qu'elle est mise en oeuvre depuis quinze ans ; vérifier qu'elle est correctement appliquée et contrôlée, car il ne sert à rien de renforcer les mesures de sécurité si celles qui existent ne sont pas respectées ; juger enfin si cette politique est aujourd'hui suffisante dans tous les cas.
Ce n'est qu'au terme de cette réflexion et de cet audit des textes en vigueur que nous pourrons améliorer notre législation et notre réglementation. Notre approche doit dépasser la seule « gestion du risque » pour être globale - c'est-à-dire concerner tant l'aménagement du territoire que la politique d'urbanisme ou la politique fiscale, ainsi que la formation des salariés de ces sites industriels -, afin de concilier durablement environnement et développement et de garantir la plus grande sécurité à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il me soit permis tout d'abord de remercier notre collègue Yves Coquelle d'avoir, par sa question, suscité ce débat, mais aussi notre collègue Patrice Gélard, qui a tenu, voilà quelques instants, des propos fort aimables à l'égard du groupe communiste républicain et citoyen.
En vérité, j'aimerais que puisse se dégager un consensus sur les problèmes de sécurité dans les entreprises. Force m'est malheureusement de constater, sans insinuer que certains voudraient l'insécurité et d'autres la sécurité, que des divergences se font jour dans l'analyse des situations comme sur les solutions à définir pour que la sécurité soit assurée dans l'ensemble de l'industrie chimique française.
Je note également que certains ont, à mon avis, abordé le problème à l'envers, même s'ils sont animés des meilleures intentions.
Ainsi, l'information auprès des populations est souvent présentée comme devant constituer une préoccupation prioritaire ; j'ai pu, notamment, le constater à l'occasion de diverses réunions organisées dans mon département. Bien sûr, l'information des populations est fondamentale mais, à mes yeux, le point crucial, le problème à régler au premier chef, c'est la protection collective et la mise en sécurité des entreprises.
Et qu'on ne nous oppose pas les impératifs de production, les coûts, les bénéfices ! La vie d'un salarié, comme celle de tout être humain, vaut bien plus que tout l'or du monde !
Bien entendu, ce qui est vrai pour l'ensemble du monde du travail l'est a fortiori dans l'industrie chimique, où le risque revêt une dimension majeure.
A la suite d'une de ces réunions qui se sont tenues dans mon département, j'ai demandé à un des chefs d'entreprises présents de m'en adresser un compte rendu. Il m'a ainsi expliqué par écrit que, s'agissant de telle usine, il ne pouvait y avoir de problème pour la population, en cas d'explosion ou d'émanation de gaz toxique dans la mesure où il n'y a aucune habitation dans un large périmètre autour de l'usine. Autrement dit, dans son esprit, le risque à proscrire ne concernait que la population avoisinante, et l'exigence de sécurité collective n'englobait pas les salariés de l'entreprise. C'est dire si lui aussi prenait le problème à l'envers !
Des organisations syndicales m'ont aussi adressé des courriers. L'un, émanant de la CGT, constate des problèmes dus à un appareillage vétuste, une insuffisance, voire l'absence d'investissements tendant à améliorer la sécurité, des fermetures de bâtiments, des lincenciements, des polyvalences accrues, etc.
Dans un autre courrier, je lis ceci : « Dans un souci d'optimisation de la sécurité dans l'enceinte et vers la périphérie du site, le syndicat CFE-CGC préconise la valorisation de cette compétence sur les actions suivantes : augmenter le niveau de qualification des salariés à leur poste de travail par une formation continue et adaptée ; diminuer le recours à une polyvalence extrême, facteur de démotivation et de dysfonctionnements ; augmenter les actions de maintenance des installations existantes en se donnant les moyens humains et des moyens financiers. »
Comme notre collègue Yves Coquelle, je considère qu'il faut réexaminer la question des charges de travail et des polyvalences, surtout lorsqu'on fait appel à des personnels extérieurs temporaires qui sont moins formés que les salariés de l'entreprise, voire qui ne sont pas formés du tout.
Ne pas traiter correctement ces questions, c'est s'exposer à des dysfonctionnements et multiplier les risques.
Il me paraît aussi nécessaire d'assurer de véritables formations aux métiers de la chimie, aux métiers à risques. Les salariés concernés seront ainsi mieux armés pour participer, dans leur entreprise, au dialogue sur les situations à risques ou sur les sujets liés à l'environnement, tous sujets auxquels, je le sais, monsieur le ministre, vous êtes attaché comme nous tous, mais également comme toutes les Françaises et tous les Français.
Vous l'aurez compris, des moyens humains et financiers supplémentaires sont nécessaires pour améliorer la sécurité. Je suis de ceux qui pensent, à cet égard, que nous pouvons véritablement parvenir au « risque zéro » dans la fabrication des produits chimiques en France. Nous n'en sommes plus aux thèses patronales des années soixante-dix, lorsque les dirigeants d'entreprise jugeaient trop onéreuses les recherches menées sur les process de fabrication : de telles thèses ont conduit les industriels à importer des produits d'Asie ou de Corée, d'une manière qui semble douteuse quand on sait comment sont fabriqués ces produits et dans quelles conditions les salariés de ces pays, qui ne sont quasiment pas payés, travaillent.
Si, pour les entreprises, la question de la sécurité est uniquement envisagée en termes de coûts, nous n'y arriverons pas ! Les dépenses d'investissement pour la sécurité et l'environnement sont réelles, mais elles demeurent insignifiantes pour un secteur industriel qui dispose de moyens importants et qui a un retard certain à rattraper en matière de risques.
J'ai récemment eu l'occasion de l'expliquer à un chef d'entreprise : dans ma ville, deux réservoirs sphériques faisaient peur à toute la population, bien qu'ils soient vides depuis dix ans, parce qu'ils avaient contenu de l'ammoniaque. Ce dirigeant m'a alors répondu : « Monsieur le maire, vous le savez, pour enlever chaque réservoir, cela va coûter un million de francs. » Cette usine appartenant au groupe Elf Atochem, je me suis interrogé : ce groupe doit bien pouvoir consacrer deux millions de francs pour supprimer ces réservoirs qui dénaturent le paysage, qui font peur à la population !
Mais je tiens également à vous sensibiliser, monsieur le ministre, à la problématique de la formation. Ainsi, notre collègue M. Gélard a rappelé tout à l'heure que nous étions la première des régions de France à être classée « Seveso 2 ». Or, dans notre département, il n'y a aucune école digne de ce nom pour former des jeunes aux métiers de l'environnement, aux métiers du risque. Il me paraît donc nécessaire de développer de telles formations.
De plus, on ne peut que s'interroger lorsqu'on sait que, en 2001, certaines usines de stockage ne possèdent pas le moindre capteur ou la moindre sonde. C'est inacceptable, c'est intolérable, c'est inexplicable. En effet, vous le savez, si vous voulez monter la température de votre four à 200 degrés, vous réglez votre capteur à ce niveau et votre sécurité est assurée. En revanche, sans capteur, la température peut monter à 250 degrés !
Cela étant, se pose également la question de l'implantation des casernes de pompiers. Je tiens, à cet égard, à rendre hommage aux pompiers et à toutes celles et à tous ceux qui, à Toulouse, ont aidé les populations à faire face à la situation. Mais il me semble nécessaire de multiplier les casernes de pompiers spécialisés dans les secteurs à risques. Ainsi, j'habite la rive sud de l'agglomération de Rouen - que vous avez visitée récemment, monsieur le ministre, lorsque vous vous êtes rendu à l'usine AZF de Grand-Quevilly - zone où sont regroupés 100 000 habitants. Or, aux alentours de la forêt du Rouvray, où des installations chimiques sont implantées, aucune caserne n'existe. Les pompiers seraient pourtant à trois minutes du site AZF de Grand-Quevilly, à quatre minutes de Petit-Couronne et de Grand-Couronne, où sont implantées des usines à risques, et à quelques minutes d'Oissel ou de Petit-Quevilly.
Avant de chercher à atteindre le risque zéro, il me paraît nécessaire de mettre en place de telles structures, car ce ne sont pas les pompiers de Rouen ou d'Elbeuf qui pourront faire face - même si l'on satisfait leurs demandes en matière d'augmentation d'effectifs - à tous les problèmes de l'agglomération rouennaise.
Je pense également aux hôpitaux et au secteur de la santé : là aussi, nous avons souvent l'occasion de dénoncer la faiblesse des crédits et le manque de personnel. Ainsi, il n'y a pas de service de grands brûlés digne de ce nom à Rouen, alors que la Seine-Maritime est le premier département en matière de sites « Seveso 2 » en France, et nous devons envoyer les grands brûlés à Paris par hélicoptère.
Se pose également la problématique de l'information en direction des populations : jusqu'alors des brochures étaient distribuées dans les boîtes aux lettres ; mais ce n'est pas suffisant, on l'a bien vu avec l'exemple de Toulouse ! Ainsi, alors que tout est axé sur le confinement, en cas d'explosion, on ne peut rien faire parce que les fenêtres ont volé en éclats.
Il faut mener, à cet égard, un véritable débat démocratique, un peu comme ceux que nous animons au cours de nos campagnes électorales, quand nous allons chez les gens pour expliquer notre façon de voir les choses.
Se pose aussi la question de l'urbanisation dans des villes qui, après la catastrophe de Toulouse, vont être confrontées à un certain nombre de problématiques de type économique et social : devra-t-on geler certaines zones industrielles ? Je suis maire d'une ville où une telle situation se présente, mais je parle aussi ici au nom de toutes les municipalités où le développement économique et social risque d'être stoppé. Quels moyens seront attribués à ces villes qui sont aujourd'hui fortement pénalisées ?
Permettez-moi, enfin, un dernier mot concernant le plan Vigipirate. Peut-être faudra-t-il le renforcer sur les sites à risques ? En effet, dans le département de la Seine-Maritime, les infrastructures ne sont pas adaptées, ce qui peut poser des problèmes en cas de crise.
Telles sont les quelques propositions que je voulais présenter dans ce débat, au nom du groupe communiste républicain et citoyen (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus d'un mois après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, le 21 septembre dernier, chacun a encore à l'esprit les images de désolation qu'elle a suscitées.
Les conséquences de cet accident ont été terribles : trente morts, 25 000 logements endommagés, de nombreuses familles sans toit, des établissements scolaires et un hôpital détruits, des entreprises sinistrées, des salariés, notamment ceux de la plate-forme chimique, inquiets pour leur avenir professionnel, des dégâts chiffrés à 8 milliards de francs ; bref, une ville - Toulouse - et toute son agglomération profondément meurtries, et pour cause : l'explosion, ressentie jusqu'à trente kilomètres à la ronde, a été équivalente à un tremblement de terre de magnitude 3,2 sur l'échelle de Richter.
Fort heureusement, le Gouvernement et l'Etat ont réagi très vite : dès le 28 septembre, le Gouvernement a mobilisé 1,5 milliard de francs. La solidarité nationale a pleinement joué.
Toutefois, au-delà de cette nécessaire réaction pour répondre à l'urgence de la situation et aider les Toulousains à panser leurs plaies, il faut maintenant tirer les conséquences de cette catastrophe.
L'histoire nous montre, malheureusement, qu'il a toujours fallu que surviennent des catastrophes industrielles pour, d'une part, prendre conscience des limites et des défaillances de notre système de protection et de prévention du risque industriel, et, d'autre part, procéder à son renforcement et à son extension. On se souvient que c'est bien le traumatisme causé par un rejet de dioxine sur la commune italienne de Seveso, en juillet 1976, qui a conduit à l'adoption de la directive « Seveso 1 ».
Je souhaiterais donc que, à l'avenir, on n'attende pas une catastrophe pour agir : nous aurions tout intérêt à mieux intégrer dans notre politique de gestion des risques industriels la culture du retour d'expérience et de la veille systématique.
Cela suppose de traiter la question de l'expertise, de la contre-expertise, du contrôle, de la constitution des bases de données, du traitement de ces informations ainsi que de leur diffusion.
Une réflexion s'impose donc. Le Premier ministre l'a souhaitée, et c'est une bonne chose.
Cette réflexion doit prendre la forme d'un débat national et régional, et je souhaite qu'il soit mené sans tabou, qu'il associe bien tous les acteurs concernés : élus, industriels, experts, organisations syndicales, scientifiques, associations, services de l'Etat.
Pour ma part, je souhaite insister sur un certain nombre de points.
Tout d'abord, pour prévenir de nouvelles catastrophes, un réexamen site par site des dispositifs de sécurité actuellement en vigueur s'impose, en liaison avec les comités d'hygiène et de sécurité. Je rappelle ainsi que, sur les trente personnes tuées à Toulouse, vingt-deux étaient présentes sur le site. Les salariés de ces entreprises doivent être mieux associés au processus de prévention.
Il est également important que des exercices de protection grandeur nature soient mis en oeuvre, afin de garantir la bonne application des règles en cas d'accidents graves.
Il faut par ailleurs renforcer les règles de sécurité et leurs contrôles, mener des inspections plus approfondies en y consacrant davantage de moyens.
Le système de contrôle des installations dangereuses n'est pas à la hauteur de la gravité des pollutions et des risques, a déclaré le directeur de la prévention des pollutions et des risques du ministère de l'environnement. Le contrôle de la réglementation des installations classées est de la compétence de ce ministère.
Les inspecteurs des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, sont chargés de ce contrôle. Ils sont actuellement 869 pour quelque 65 000 installations soumises à autorisation. C'est peu.
Je connais les importants efforts de recrutement consentis ces dernières années par le Gouvernement pour remédier à cette situation.
Le projet de budget pour 2002 prévoit de créer soixante-trois emplois pour l'inspection des installations classées, et M. le Premier ministre a annoncé la création de cent postes supplémentaires. Il faut poursuivre dans cette voie.
Il me paraît nécessaire également de revoir la législation sur l'urbanisation autour des sites à risques, des sites existants et en projet. Il faut traiter la question des implantations situées en zone urbaine.
M. le Premier ministre a annoncé la création d'un nouveau document, le plan de prévention des risques technologiques, pour mieux maîtriser l'urbanisation autour des sites industriels sensibles. J'aimerais avoir de plus amples informations à ce sujet.
La question de la définition des périmètres de sécurité autour des installations existantes se pose avec acuité.
Doit-on aller jusqu'à imposer la fermeture ou la délocalisation des sites dangereux ? Cette décision soulèverait d'autres difficultés : le déplacement créerait de nouveaux risques, liés au transport de matières dangereuses, et les industriels pourraient être tentés d'exporter ces usines à risques vers les pays du tiers monde, ce qui serait inacceptable.
La question se révèle complexe aussi, pour l'implantation des sites à venir.
On ne peut renoncer à certaines activités, l'industrie chimique par exemple, qui sont nécessaires à notre développement économique et pourvoyeuses d'emplois. Parallèlement, nous avons l'obligation d'assurer un niveau de sécurité maximale. Désormais, nous devons penser l'implantation de tels sites au regard du principe du développement durable qui est au coeur de notre politique d'aménagement du territoire.
S'agissant des règles d'urbanisme, je fais un aparté sur ce qui s'est passé dans l'hémicycle lors de l'examen du projet de loi relatif à la sécurité dans les transports. Hier, la droite sénatoriale a refusé l'amendement du Gouvernement visant à transposer dans notre droit les dispositions législatives de la directive « Seveso 2 » permettant d'imposer des servitudes d'urbanisation aux abords de sites souterrains de stockage de pétrole et de gaz. Je ne comprends pas ce refus. Cette disposition concerne pourtant la sécurité de la population.
Dans un autre domaine, il est nécessaire de renforcer les dispositifs d'information et d'association des salariés et de la population en général.
C'est un point important. Le Premier ministre l'a affirmé : « L'information sur les risques est un droit que nous devons garantir. » Mon collègue Serge Lagauche a tracé tout à l'heure quelques perspectives à cet égard.
Enfin, j'insisterai sur la nécessité de traiter la question des risques industriels majeurs pas uniquement dans le cadre franco-français. Une approche au moins à l'échelon européen s'impose. Les accidents industriels majeurs peuvent avoir des conséquences au-delà des frontières nationales, l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl est là pour nous le rappeler.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui montre la complexité de la question de la prévention des risques industriels majeurs. Il est impératif d'y apporter des réponses. Notre objectif est non pas le risque zéro - il n'existe pas - mais d'y tendre.
La prévention, le contrôle, la transparence, l'information et le dialogue sont, à mes yeux, les principes directeurs des réformes qui seront initiées dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, les installations Seveso, ce ne sont pas seulement des usines qui explosent, qui fuient ou dont les matières se répandent par accident dans les transports associés. Il faudrait d'ailleurs un plan Seveso-mobile pour les transports à risques.
Les accidents Seveso, ce ne sont pas seulement des morts brutales, des chairs déchirées ou des quartiers détruits, c'est aussi la mort lente, comme dans certains quartiers du Nord-Pas-de-Calais, qui compte cinquante-cinq sites Seveso. C'est encore une contamination toxique, quotidienne depuis des décennies, de l'air, de l'eau, des sols, autour des sites classés.
Comme à Toulouse, les premières victimes sont les plus modestes : ceux dont les bronches s'encrassent de poussières toxiques, ceux qui ont un petit jardin sous les cheminées, ceux dont les enfants ont de graves plombémies.
Chez nous, les sels de métaux lourds et les radicaux cycliques des sites Seveso, on en respire, on en mange, on en meurt doucement. Chez nous, l'espérance de vie des hommes est inférieure de trois ans à la moyenne française.
Par ailleurs, le dragage traditionnel des canaux, afin de faciliter la navigation des péniches, se heurte aujourd'hui à l'impossibilité d'épandre les boues, tant elles sont toxiques.
Autour de Métaleurop, un périmètre d'intérêt général délimite la zone de trois communes où il y a plus de 500 parties par million de plomb assimilable, soit cinq fois plus que la norme admise ! Les installations Seveso, c'est aussi l'empoisonnement à doses quotidiennes.
Monsieur le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, c'est un plaisir de vous voir, mais j'aurais aussi aimé parler à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, notament des DRIRE.
Les DRIRE n'ont ni les moyens, ni l'indépendance, ni la volonté de savoir l'inacceptable, de dire ce qu'elles savent et d'en tirer les conclusions.
Les effectifs sont ridicules. La formation comme les missions mélangent les genres. Assis sur les bancs des mêmes promotions, nourris aux mêmes enseignements productivistes, dépendant du même ministère de l'industrie, pollueurs et contrôleurs ont, hélas ! la même culture.
Savez-vous que, en 1993, la DRIRE de la région Nord - Pas-de-Calais, sur fonds publics, éditait un lourd fascicule bien documenté destiné aux entreprises et dont le thème était : « Comment se prémunir des contestations écologistes ? » Le contenu indécent de ce dossier relevait non pas du principe de précaution, mais de l'initiation à la manipulation !
Savez-vous que, chez nous, les nouvelles routes servent parfois autant à la circulation qu'à l'enfouissement illégal des déchets chimiques de classe 1 ? Alors, bien sûr, les arbres paysagers ne poussent plus sur les talus et les fossés deviennent étrangement jaune de chrome !
Dans une école publique d'ingénieurs de travaux publics, un intervenant zélé enseignait même les clefs de l'économie d'un chantier : au lieu d'acheter des gravières coûteuses et protégées, il vaut mieux avoir un accord tacite avec une décharge privée de classe 1, pour l'alléger de ces dépôts encombrants et alimenter gratuitement les remblais des infrastructures !
Cela suffit ! Nous voulons des DRIRE efficaces, des contrôles indépendants, transparents, des sanctions et des mises aux normes incontournables.
L'unanimité s'est dégagée sur ces travées au sujet du renforcement des effectifs des DRIRE ; j'espère que nous retrouverons cette même unanimité lors de la discussion budgétaire !
Ne nous voilons pas la face, la proximité des sites à risques et des habitations à Toulouse, à Dunkerque ou dans le couloir rhodanien repose sur un consensus de fait entre le monde industriel et les décideurs publics, économiques comme politiques, entre les employeurs, les employés et les résidents, contraints et forcés, les uns, par le chantage au chômage, les autres, par l'obligation de loyers modestes. C'est d'ailleurs eux qui, aujourd'hui, souffrent le plus, puisqu'ils n'ont pas un sou pour colmater une fenêtre, se reloger, déménager le peu qui reste.
Si ce consensus de fait n'avait pas existé à Toulouse, les écologistes auraient été un peu moins seuls il y a quelques années !
Ils auraient été moins seuls, voilà trois ans, pour refuser le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme, un SDAU qui faisait la part belle à l'extension du pôle chimique in situ , pour dénoncer le survol d'AZF par tous les avions à l'atterrissage, pour initier l'opposition à un nouveau lycée hôtelier sur le coteau qui surplombe le site, pour manifester contre la présence voisine de poudres, de phosgène, d'hydrogène qui, heureusement, n'ont pas explosé.
La brutalité et la violence du drame de Toulouse ont fait voler en éclats ce consensus. Tant mieux ! Mais poser le problème en termes de sécurité accrue ou de délocalisation ne suffit pas, et les campagnes ne sont pas les poubelles des urbains.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour dire à vos collègues qu'il n'est plus possible de poursuivre dans cette voie où, d'une main, on pollue, on prend des risques graves et, de l'autre, on répare, on réfléchit quand vient l'accident. Il faut, ensemble, remettre à plat les logiques d'implantation de ces rives à risques.
Hier, trois questions suffisaient pour cautionner une installation : est-ce qu'on sait techniquement le faire ? Est-ce qu'on a l'argent pour lancer l'opération ? Est-ce que ça se vend avec profit ?
Demain, d'autres questions s'imposeront : à quoi cela sert-il ? A qui cela sert-il ? Est-il de l'intérêt général de le faire ?
Vous n'ignorez pas, par exemple, que les unités de nitrates d'ammonium, productrices aujourd'hui d'engrais, n'étaient destinées, au départ, après 1945, qu'à conserver à la France sa capacité de production d'explosifs ! Dans le même ordre d'idée, les pesticides peuvent se muter en quelques semaines en ingrédients de base d'une guerre chimique.
Pour l'instant, c'est l'agriculture de basse qualité qui consomme ces produits, aux dépens de ce que nous trouvons dans nos assiettes, de notre eau potable et de l'emploi des vrais paysans.
Poser les vraies questions, ce n'est pas seulement chercher où déplacer ces unités dangereuses, c'est se demander si elles sont utiles.
Ce problème dépasse nos frontières, car il est hors de question de faire produire au Sud ce qui nous effraierait ici.
Souvenons-nous des ouvriers brûlés, aveuglés de Bhopal, qui produisaient simplement notre temik, le pesticide des betteraves.
A Doha, veillons que la France ait une parole de développement durable, par exemple sur la libéralisation du volet textile. Je n'imagine pas que l'on permette l'importation de tissus teints au benzidine, substance hautement cancérigène. Ce procédé est en effet interdit en France, même en site Seveso.
L'attente citoyenne est très forte. C'est le rôle du politique de lui apporter de grandes réponses et non des aménagements « cosmétiques ». (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur le ministre, je voudrais saluer votre première intervention devant le Sénat et vous souhaiter, en notre nom à tous, une cordiale bienvenue.
Dans l'exercice de vos fonctions, vous saurez, je l'espère, apprécier les vertus du bicamérisme. Pour l'heure, je puis vous assurer de notre tradition de dialogue républicain avec le Gouvernement.
Je vous donne la parole, monsieur le ministre.
M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie beaucoup pour votre accueil. C'est en effet la première fois que j'ai le plaisir et l'honneur de participer à l'un de vos débats. J'espère, bien entendu, que ce ne sera pas la dernière.
Dans vos interventions, vous avez évoqué de nombreuses questions et suggéré de nombreuses solutions.
Nombre de vos remarques ont concerné non seulement l'explosion de Toulouse et ses conséquences, mais aussi le risque industriel de manière générale. Je vais essayer de vous apporter quelques éléments de réponse.
Le drame survenu à Toulouse, survenu le 21 septembre 2001, est la plus grave catastrophe industrielle sur le sol européen depuis cinquante ans. Comme vous, mes premières pensées vont aux victimes de l'explosion et à leurs familles.
Permettez-moi de rappeler le chaleureux soutien du Gouvernement à nos concitoyens qui ont connu, ou qui connaissent encore aujourd'hui, des situations de détresse. Devant un tel drame, l'Etat n'a pas ménagé ses efforts, que ce soit en mobilisant ses personnels sur le terrain ou en prenant rapidement les décisions nécessaires à l'indemnisation des victimes et à la réparation des dommages. Dès le 28 septembre, soit une semaine après la catastrophe, M. le Premier ministre annonçait à la préfecture de Toulouse un plan d'actions - appelons-le le plan Jospin -, dont le volet financier est estimé à 230 millions d'euros, et qui constitue un signe extrêmement fort de l'engagement de l'Etat en faveur des victimes de l'explosion. Je ne reviendrai pas sur les détails de ce plan, vous les connaissez, qui a évidemment pour objet de gérer, dans l'urgence, une situation de crise qui n'est pas finie : reloger, soigner les personnes, rouvrir les groupes scolaires, réparer les habitations, etc.
J'attends du groupe TotalFinaElf qu'il assume pleinement ses responsabilités dans la gestion des conséquences de l'explosion, aussi bien en dégageant les moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive du site qu'en indemnisant rapidement les victimes de l'explosion, car, jusqu'à plus amples informations, la responsabilité civile de ce groupe, en tant qu'exploitant et propriétaire du site, est complète.
Aujourd'hui, les circonstances exactes de la catastrophe ne sont pas encore connues. L'enquête judiciaire se poursuit. Le procureur de la République a mobilisé des moyens importants pour arriver à un résultat que nous espérons rapide, mais une enquête judiciaire dure toujours plusieurs mois.
L'inspection générale de l'environnement, l'IGE - c'est-à-dire nos services -, qui est également sur place depuis le début, va me remettre le rapport de la mission que j'ai diligentée dès le lendemain de l'explosion, et ce dans les premiers jours de la semaine prochaine. Ce rapport établira un bilan précis des conditions administratives de fonctionnement de l'usine AZF, des contrôles qui ont été effectués par l'inspection des installations classées et des conditions d'urbanisation autour du site ; il fera également le ainsi qu'un point sur les connaissances, assez bonnes d'ailleurs, que nous avons sur le nitrate d'ammonium. Reste à déterminer la cause de l'explosion, le processus physico-chimique exact qui en est à l'origine. Pour l'instant, que ce soit du côté de TotalFinaElf, de l'institution judiciaire ou de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS, qui est notre « bras » d'évaluation, d'expertise, de recherche et de contrôle, on se pose toujours des questions. En effet, si plusieurs hypothèses sont encore valides, aucune ne peut être actuellement validée définitivement. Nous attendons par conséquent de tous ces travaux des conclusions plus éclairantes. Dès les prochains jours, je proposerai des investigations complémentaires à mener à l'IGE et des expertises complémentaires à engager par l'INERIS. Je réponds là à une question posée, entre autres, par M. Coquelle.
Je dirai quelques mots sur le devenir de la plate-forme chimique de Toulouse. Dès que je me suis rendu sur place, le 21 septembre, comme l'ont fait d'ailleurs le Président de la République, le Premier ministre et d'autres ministres, j'ai pensé qu'il n'était pas raisonnable d'envisager la reconstruction de l'usine AZF sur le lieu même de l'explosion, et je n'ai pas changé d'avis aujourd'hui.
Evidemment, la situation est beaucoup plus complexe pour les sites voisins - notamment ceux de la Société nationale des poudres et explosifs, la SNPE, qui compte trois usines, et de Tolochimie rachetée par la SNPE - dont l'activité est bien sûr actuellement suspendue. Les produits les plus dangereux sont en cours d'évacuation.
Si un redémarrage de l'ensemble ou de certaines des installations devait être envisagé, il ne pourrait se faire, en toute hypothèse, qu'après les conclusions des différentes enquêtes et un examen très précis et détaillé des conséquences de l'énorme souffle de l'explosion sur la sécurité des installations. Nous avons chargé non seulement l'exploitant lui-même, la SNPE, entreprise sous tutelle de l'Etat, mais aussi le laboratoire TNO, l'équivalent néerlandais de l'INERIS en France, de faire une expertise complémentaire en toute indépendance, sur ces questions de sécurisation de l'ensemble des usines du site.
Aucune décision définitive ne sera prise sans que l'ensemble des parties intéressées aient été consultées, ce que nous n'avons pas encore pu faire à ce jour.
Les populations riveraines ont aussi leur mot à dire sur cette question. Des manifestations ont eu lieu, des propositions ont été formulées aussi bien par ces populations que par les associations, ainsi que par les conseillers municipaux, le maire de Toulouse lui-même et les plus hautes instances de l'Etat. Toutes ces réflexions doivent être prises en compte et croyez bien que le Premier ministre est tout à fait conscient de la nécessité de trancher dans un sens ou dans l'autre.
Les populations les plus directement touchées sont avant tout, comme l'ont souligné les deux représentants du groupe communiste républicain et citoyen, les personnels de ces établissements, concernés au premier chef par les conditions de sécurité. N'oublions pas qu'ils ont été les premières victimes et qu'ils ont payé le plus lourd tribut lors de l'explosion du 21 septembre dernier.
De même qu'il y a eu un « après Feyzin » en 1966, il y aura un « après Toulouse ». Ceux de nos concitoyens qui vivaient jusqu'à maintenant sans trop le savoir, pourrait-on dire, à proximité de substances dangereuses susceptibles, en quelques secondes, de provoquer des dizaines de morts et des milliers de blessés, ont pris conscience du problème et s'interrogent désormais, quand ils ne ressentent pas cette présence comme étant insupportable, sentiments qui sont tout à fait légitimes.
Se pose inévitablement la question des actions menées tant par les entreprises que par les pouvoirs publics pour maîtriser le risque industriel et augmenter la sécurité. Comment en établir le bilan ?
Les activités humaines créent des risques technologiques industriels, nucléaires, biologiques, des risques de rupture de barrage et de transport de matières dangereuses. Plusieurs d'entre vous, dont Mme Blandin, les ont évoqués. Selon la nature de l'activité et des produits utilisés, les principaux risques industriels sont l'explosion, l'incendie et la dissémination de produits toxiques dans l'environnement. Selon qu'ils engendrent de simples dégâts matériels ou qu'ils provoquent des blessures plus ou moins graves, voire la mort de personnes, qu'ils ne touchent que les salariés de l'entreprise concernée ou les riverains du site - ce qui a été le cas de l'usine Grande Paroisse à Toulouse, ces risques industriels ont des conséquences plus ou moins dramatiques.
On s'est ainsi interrogé, pendant les premières heures qui ont suivi l'explosion, sur la toxicité du nuage qui s'est élevé au-dessus du site, les silos de nitrate d'ammonium dégageant forcément des oxydes d'azote, un peu comme les véhicules à moteur thermique engendrent une pollution atmosphérique quand la circulation est trop importante ! Ce nuage avait d'ailleurs cette couleur légèrement orangée qui flotte en pareil cas au-dessus de l'agglomération parisienne.
Le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement est responsable de la mise en oeuvre des politiques de l'Etat dans l'un de ses plus anciens domaines ; la prévention des risques industriels. On croit que l'environnement ou l'aménagement du territoire, c'est uniquement la nature, le cadre biophysique ; non, nous sommes responsables en matière de risques industriels. Nous travaillons, bien sûr, en concertation avec Mme Lienemann, M. Pierret et l'ensemble des membres du Gouvernement, mais cette responsabilité est la nôtre.
Le code de l'environnement, au travers de la législation sur les installations classées, est la base juridique de la politique de l'environnement industriel en France. Comme vous le savez, cette législation soumet, selon une approche intégrée, soit à autorisation préfectorale les activités qui présentent des risques importants pour l'environnement, la sécurité et la santé des personnes, soit à déclaration les activités qui présentent des risques moindres. La réglementation des installations classées concerne aujourd'hui 500 000 installations soumises à déclaration et 65 000 installations soumises à autorisation.
Madame Blandin, ce contrôle du respect des règles incombe à l'inspection des installations classées. Actuellement, en équivalents temps plein, 869 inspecteurs travaillant dans les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, assurent la mise en oeuvre de cette législation ; 230 autres inspecteurs font le même travail dans les services vétérinaires. L'annonce, le 28 septembre dernier par le Premier ministre de la création de cent postes supplémentaires d'inspecteurs en 2002 venant s'ajouter aux cinquante postes déjà décidés antérieurement me semble constituer un premier pas vers le doublement nécessaire de ces effectifs. Mais vous connaissez les difficultés budgétaires et, dans une certaine mesure, économiques de notre pays ; les conditions ne sont pas celles qui prévalaient voilà encore deux ans. L'effort consenti est donc tout à fait remarquable, et je remercie le Premier ministre de cet arbitrage.
Selon vous, madame Blandin, on constate parfois des connivences, notamment sur le plan de la formation, et ce sont un peu les mêmes personnes qui travaillent dans l'industrie et dans les DRIRE en tant qu'inspecteurs. La formation est bonne, en effet : il s'agit parfois d'ingénieurs des mines, que vous connaissez particulièrement bien dans ce Pas-de-Calais cher à votre coeur. Cependant, contrairement à vous, je crois qu'il ne faut pas généraliser. Votre propos était peut-être ponctuel ; il est possible aussi qu'il existe des exemples allant dans votre sens, je veux bien le croire, mais je défends nos inspecteurs, qui font un travail difficile.
Savez-vous à cet égard que, à Toulouse, eux-mêmes ont subi un traumatisme à la suite de l'explosion ? En effet, la DRIRE a été soufflée par celle-ci, et certains inspecteurs ont été touchés et même blessés. De plus, ils se sont demandés s'ils avaient bien fait leur travail et s'ils avaient été suffisamment rigoureux dans leur mission, puisque, le 17 mai 2001, une inspection avait été effectuée sur le site de l'usine AZF.
A la suite de cette inspection, on a eu le compte rendu de l'inspecteur, on a mis en demeure AZF de régulariser une partie de ces études de danger qui n'étaient pas finies. Ces gens-là font un excellent travail. Que, de temps en temps, un perfectionnement soit nécessaire, je veux bien l'admettre, mais il ne faut pas généraliser et montrer du doigt les inspecteurs des DRIRE qui actuellement souffrent et se rendent bien compte des responsabilités qui sont les leurs.
L'accident de Seveso en Italie, le 10 juillet 1976, a entraîné une première prise de conscience des autorités des pays industrialisés sur le risque technologique majeur. Le 24 juin 1982 était ainsi adoptée une directive européenne plus connue sous le nom de directive Seveso. Elle est transposée en droit français au travers de la législation sur les installations classées.
Depuis le 3 février 1999, elle est remplacée par la directive du 9 décembre 1996, dite Seveso 2, avec un champ d'application simplifié et étendu. Elle reprend les exigences de sécurité de la directive de 1982 et renforce les dispositions relatives à la prévention des accidents majeurs. Elle met en particulier l'accent sur les dispositions de nature organisationnelle que doivent prendre les exploitants en matière de prévention des accidents majeurs. Je réponds là à M. Gélard, que je remercie de sa question.
Il se trouve que, par une sorte d'ironie de l'histoire, le 20 septembre, soit la veille du jour où s'est produit l'accident, M. Vaillant, qui avait réuni place Beauvau tous les préfets pour leur parler du plan Vigipirate renforcé, m'avait invité à intervenir sur la directive Seveso 2. Je leur avais tenu un discours extrêmement ferme, leur imposant d'exiger des exploitants, avant la fin de l'année 2001, la remise de leur étude complète de danger. Mon discours était d'autant plus ferme que nous avions été montrés du doigt par la Commission européenne de Bruxelles du fait du retard que nous avions pris dans la transposition de la directive Seveso 2.
L'étude de danger d'AZF, comme je le disais tout à l'heure, n'était pas complète le jour de l'explosion.
En France, 1 249 établissements sont actuellement visés par la directive Seveso 2, dont 670 dépassent le seuil haut de la directive. Les quatre régions concentrant le plus d'établissements à risques sont Rhône-Alpes, Nord - Pas-de-Calais, Haute-Normandie, Provence-Alpes-Côte d'Azur. Il existe également quelques usines Seveso en Ile-de-France.
Parmi l'ensemble des obligations réglementaires qui résultent du code de l'environnement et des directives Seveso, je voudrais m'attarder un instant sur les études de danger, c'est-à-dire les plans internes d'organisation et de surveillance permettant de déterminer les accidents susceptibles de se produire dans l'installation, d'en évaluer les conséquences, pour ensuite proposer des dispositions afin de prévenir ou de maîtriser les accidents potentiels.
Cette étude de danger réalisée par l'industriel est parfois complétée, à la demande du préfet, par une analyse critique effectuée par un organisme tiers, qui peut être l'INERIS ou l'IPSN, qui va d'ailleurs bientôt se transformer en IRSN.
Plus d'une centaine d'analyses critiques sont ainsi réalisées chaque année. Vous voyez, madame Blandin, que la DRIRE, l'IPSN ou l'INERIS peuvent formuler des analyses critiques sur ce que font les industriels.
Dans la directive Seveso 2, notamment, il était question d'observer ce que l'on pourrait appeller l'effet domino : lorsqu'une installation explose, n'y a-t-il pas, par effet de souffle, comme cela s'est produit à Toulouse, autre chose qui puisse être menacé par l'explosion elle-même ? Fort heureusement, cela n'a pas été le cas à Toulouse ; la catastrophe qui a eu lieu aurait pu être beaucoup plus grave si les usines du groupe SNPE situées de l'autre côté de la Garonne avaient été touchées. Sur le site d'AZF lui-même étaient présents un dépôt de rebuts de nitrate d'ammonium, ainsi que des sphères d'ammoniaque qui, pendant quelques heures, n'ont pas été réfrigérées en raison d'un défaut de fourniture d'électricité. Donc, la première chose que l'on a faite - nous étions sur place dès le début de l'après midi - fut d'amener un groupe électrogène pour faire baisser à moins 33 degrés la sphère d'ammoniaque, car si la température augmentait, la situation était alors plus incertaine. Il y avait également du phosgène, qui est acheminé à travers la Garonne pour alimenter l'usine Tolochimie qui est située à proximité, ainsi que du chlore. Tout cela a tenu !
On est en train d'évacuer les produits et de vérifier la sécurité. Mais que se serait il passé si tout cela avait été touché par l'explosion ?
J'ai donc dit au préfet qu'il fallait absolument que les exploitants nous remettent les études de danger très détaillées avant la fin de l'année. Ils ont maintenant intérêt à le faire. Sinon, nous suspendrons l'activité, je pense ici à l'usine AZF du Grand-Quevilly. Nous nous sommes d'ailleurs rendus dans cette usine, qui est la grande soeur de celle qui a explosé à Toulouse, et nous avons examiné le site. Si l'étude de danger n'est pas réalisée pour la fin du mois d'octobre, nous suspendrons l'activité, je le répète.
Je ne tiens pas du tout à faire preuve de laxisme, pas plus en matière agricole pour certaines pollutions qu'en matière de risques industriels. Il s'agit simplement de l'application de la loi ou des règlements !
Qu'en est-il de ces études de danger ? Eh bien ! elles reposent essentiellement sur deux bases : d'une part, le plan d'opération interne, le POI, qui organise les secours à l'intérieur de l'établissement et dans son environnement immédiat et, d'autre part, le plan particulier d'intervention, le PPI, qui est réalisé avec l'exploitant et qui organise les secours lorsque les conséquences d'un accident sortent des limites de l'établissement, comme ce fut le cas à Toulouse.
Nous sommes également allés à Saint-Fons visiter une usine Rhodia où existait un PPI, au termes de ce plan, il faut informer la population et les maires, ces derniers distribuant alors un petit livret dans les boîtes aux lettres, etc. Or cette procédure est peu appliquée et je dois dire que, dans ce domaine, nous somme très en retard. Il en va de notre responsabilité, de votre responsabilité, car les élus locaux répugnent à avertir régulièrement la population qu'il y a un risque et qu'elle vit dangereusement. C'est donc difficile à appliquer.
J'ai regardé le PPI de la « vallée de la chimie » au sud de Lyon. Il faut que le message soit clair et uniforme. Or il y était indiqué ceci : premièrement, confinez-vous ; deuxièmement, n'allez pas chercher vos enfants à l'école ; troisièmement, ne téléphonez pas. Mesdames, messieurs les sénateurs, croyez-vous qu'un être humain qui apprend qu'une explosion vient de se produire, donnant naissance à un nuage toxique, va rester où il se trouve sans rien faire ? Le message était clair, mais il est quasiment impossible de respecter les instructions données.
On voit donc bien qu'il faut rouvrir le débat avec l'ensemble de la population, les associations, les riverains, les élus, la DRIRE, les exploitants, les syndicats, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, pour qu'un autre message soit adressé à la population. On ne peut pas rester sans rien faire ! D'ailleurs, nous avons essayé nous-mêmes de téléphoner à Toulouse vers midi ce vendredi 21 septembre, mais les communications ne passaient pas !
Mesdames, messieurs les sénateurs, une véritable politique de maîtrise des risques industriels a déjà été un peu construite en France ces trente derniéres années, précisément depuis Feyzin. Toutefois, le choc de Toulouse nous contraint à jeter un nouveau regard sur nos choix collectifs - Mme Blandin l'a fort bien expliqué - et sur les responsabilités de chacun quant à la maîtrise du risque industriel : responsabilité des entreprises, bien sûr, mais aussi responsabilité du législateur, donc de vous-mêmes, de l'exécutif et des collectivités territoriales.
A ce propos, au-delà de la gestion de la crise, le Premier ministre a souhaité qu'un véritable débat, sans tabou - tout le monde pourra s'exprimer ! - s'ouvre en France à l'échelon à la fois régional et national, dans les tout prochains jours.
Bien sûr, il faut apporter une aide immédiate par le biais du plan doté de 1,5 milliard de francs, mais il faut aussi instaurer une nouvelle culture de la sécurité industrielle en France, en termes tant quantitatifs que qualitatifs.
J'ai reçu hier, de la part de Mme Dominique Méda, directrice de collection dans une maison d'édition dont je ne citerai pas le nom, la traduction d'un ouvrage écrit en 1986 par un sociologue allemand, Ulrich Beck : la Société du risque . Je vous recommande la lecture de ce livre qui donne une vision prémonitoire de ce qu'il faudrait faire. Je vous livre l'essentiel de son message, si je puis résumer un livre de 450 pages : on diminue le risque par l'accroissement du taux d'adhésion à la démocratie ; autrement dit, plus il y a de démocratie, moins il y a de risques industriels.
Lorsque les citoyens sont informés et conscients, lorsque les syndicats maîtrisent eux-mêmes la formation et l'information, lorsque les CHSCT travaillent en liaison avec la DRIRE, ce qui n'est pas vraiment le cas, alors qu'ils s'occupent des mêmes choses, lorsqu'on élève le niveau de qualification et de conscience de nos concitoyens, le risque diminue.
Le Premier ministre a donc souhaité que, pendant tout le mois de novembre, un véritable débat ait lieu dans les vingt-deux régions de France, et pas seulement dans celles qui comptent des sites Seveso. Nous avons adressé des lettres de cadrage à tous les préfets. Ces derniers réuniront l'ensemble des acteurs concernés, c'est-à-dire toute le monde, car il faut réhausser la démocratie industrielle, et ils organiseront des débats. Puis, en décembre prochain, se tiendra un débat national avec les associations, les industriels, les syndicats, les élus et même la presse, qui a une responsabilité en tant qu'acteur. L'Etat sera également présent, au travers des DRIRE. Mais, dans ce débat, il ne veut être qu'un acteur parmi d'autres. Ce n'est pas l'Etat qui répondra à tout le monde ou qui, ayant déjà les réponses, organiserait un débat de plus, qui serait un débat truqué. Pas du tout !
Le Premier ministre souhaite que ces discussions se traduisent éventuellement par des dispositions législatives : instauration de comités locaux sur les risques technologiques, à l'instar des comités locaux d'information et de suivi qui concernent les centrales nucléaires, et de plans de prévention des risques technologiques, comme il y a des plans de prévention des risques naturels contre les inondations et les avalanches ; il en existe déjà plus de 2 000 et 5 000 seront mis en oeuvre d'ici à 2005 afin de protéger les populations des inondations.
Le Premier ministre a souhaité que des moyens soient mis en place, y compris des moyens de contre-expertise, pour que chacun participe à cette démocratie s'agissant de la sécurité industrielle. D'ailleurs, c'est M. Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, et Mme Lienemann, secrétaire d'Etat au logement, qui organiseront ce débat, car ils sont évidemment concernés par ce problème de la proximité, que vous avez très bien évoqué les uns et les autres, de l'urbanisation et des usines Seveso. Il se trouve qu'à Toulouse c'est plutôt la ville qui a rattrapé le site chimique, alors qu'à Dunkerque, où je me suis rendu et que Mme Blandin connaît bien, ce sont plutôt les usines qui ont rattrapé la ville : Mardyck, petit village bien tranquille installé dans une zone un peu lagunaire, s'est vu entouré, en trente ans, par un complexe pétrochimique qui est l'un des plus grands d'Europe, sans parler de la centrale de Gravelines qui n'est pas très loin. Mais j'ai vu aussi quelques éoliennes.
Par conséquent, Mme Lienemann et M. Pierret organiseront ce débat avec nous, et Philippe Essig, ancien PDG de la SNCF, assurera la coordination de toutes ces actions. Il remettra ensuite un rapport au Gouvernement, lequel prendra des dispositions législatives au début de l'année 2002.
Bien entendu, le Premier ministre a également souhaité renforcer les moyens de l'INERIS, en lui attribuant une dotation de plusieurs millions de francs supplémentaires - je ne peux pas vous donner le chiffre exact, car nous sommes en discussion avec Bercy pour fixer le montant des crédits qui figureront au collectif budgétaire de fin d'année : il s'agira d'environ quinze millions de francs - et vingt ou vingt-cinq postes nouveaux.
Le 17 octobre dernier, vos collègues de l'Assemblée nationale ont voté la création d'une commission d'enquête sur le risque industriel. Cette commission émettra, j'en suis sûr, des propositions suceptibles d'éclairer le Gouvernement sur des actions complémentaires qui pourraient être menées. Ces propositions viendront nourrir le débat citoyen qui s'ouvrira en novembre et décembre prochains. Bien entendu, j'ai pris bonne note de vos suggestions.
J'ajouterai une dernière précision sur un sujet que vous avez été plusieurs à évoquer, notamment Mme Printz : lundi prochain se tiendra un Conseil « environnement » à l'échelon européen. J'ai proposé à la présidence belge ainsi qu'à la commissaire Margot Wallström que soit rajouté à l'ordre du jour de ce conseil le risque industriel en Europe.
Je vous remercie toutes et tous de vos diverses propositions : nous en tiendrons compte pour la suite de notre travail. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi de ratification de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 portant transposition de directives communautaires et adaptation au droit communautaire en matière de droit de la consommation et de l'ordonnance n° 2001-766 du 29 août 2001 portant transposition de directives communautaires et adaptation au droit communautaire en matière économique et financière.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 45, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

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DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu de M. Hubert Haenel une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les relations entre la justice, la police et la gendarmerie.
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 44, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

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ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 30 octobre 2001 :
A dix heures :
1. Discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins (n° 422, 2000-2001) ;
Rapport (n° 40, 2001-2002) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 octobre 2001, à seize heures.
A seize heures :
2. Suite éventuelle de l'ordre du jour du matin.
3. Discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif aux chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes (n° 14, 2001-2002) ;
Rapport (n° 39, 2001-2002) de M. Daniel Hoeffel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 octobre 2001, à dix-sept heures.
Le soir :
4. Discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, rénovant l'action sociale et médico-sociale (n° 214 rectifié, 2000-2001) ;
Rapport (n° 37, 2001-2002) de M. Paul Blanc, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 29 octobre 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 30 octobre 2001, à douze heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD





ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES

CONSEIL NATIONAL DE LA MONTAGNE

Lors de sa séance du 25 octobre 2001, le Sénat a désigné Mme Michèle André, MM. Paul Blanc et Jean-Pierre Vial pour siéger au sein du Conseil national de la montagne, en remplacement de Mme Janine Bardou, MM. Jean-Pierre Bel et André Jourdain.

HAUT CONSEIL DU SECTEUR PUBLIC

Lors de sa séance du 25 octobre 2001, le Sénat a désigné MM. Jean-René Lecerf et Jean-Paul Virapoullé pour siéger au sein du Haut Conseil du secteur public, en remplacement de MM. Maurice Blin et Alain Gournac. Il a en outre reconduit M. Yves Fréville dans ses fonctions de membre de cet organisme extraparlementaire.

CONSEIL D'ADMINISTRATION DE L'AGENCE
POUR L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER

Lors de sa séance du 25 octobre 2001, le Sénat a désigné M. Robert Del Picchia pour siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, en remplacement de M. Paul d'Ornano.

CONSEIL NATIONAL DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Lors de sa séance du 25 octobre 2001, le Sénat a désigné M. Lucien Lanier pour siéger au sein du Conseil national de la sécurité routière.

NOMINATION D'UN RAPPORTEUR

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Daniel Hoeffel a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 400 (2000-2001) tendant à instaurer le suffrage universel direct pour l'élection des représentants des communes dans les assemblées délibérantes des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Politique de lutte contre l'ambroisie

1164. - 25 octobre 2001. - M. Bernard Piras attire l'attention de M. le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur la politique de lutte contre l' ambrosia artemisiifolia, autrement dit l'ambroisie, et la mission confiée aux maires dans cette action. L'ambroisie, également appelée « fausse moutarde », est une plante annuelle de la famille des composées. L'ambroisie fleurit d'août à octobre et un pied peut produire à cette occasion 2,5 milliards de pollens en une journée. La dissémination se fait par le vent, l'eau, les animaux, mais également l'homme. Ce pollen peut provoquer de graves manifestations allergiques chez certaines personnes. Leur nombre est important et tend à augmenter, la vallée du Rhône étant particulièrement touchée par ce fléau. Face à cela, des arrêtés préfectoraux ont été pris, visant à juguler la polifération de l'ambroisie et à réduire l'exposition de la population à son pollen, lesquelles obligations s'imposent aux propriétaires, locataires, ayants droit et occupants à quel que titre que ce soit de terrains. Les maires sont, parmi d'autres autorités, chargés de faire appliquer ces arrêtés. Cependant, compte tenu de leur proximité avec la population, ils se retrouvent en première ligne devant les contestations justifiées des citoyens subissant les effets de l'ambroisie et face à la négligence ou à l'incivilité de certains de leurs administrés. Malgré toute leur bonne volonté et leur dévouement, les élus locaux se trouvent désarmés devant l'ampleur et les difficultés du problème posé. Ainsi, il apparaît qu'un tel plan de lutte est, d'une part, compte tenu de l'évolution constatée, peut efficace et, d'autre part, conduit à faire supporter à des élus locaux la prise en charge de ce fléau, alors qu'ils ne possèdent pas forcément les moyens de le faire et, en raison de leur position, qu'ils se retrouvent dans une situation fort inconfortable, peu propice à une application stricte des arrêtés préfectoraux. Devant la gravité de ce phénomène, qui relève de la santé publique, une prise en charge beaucoup plus globale, mieux coordonnée, et un plan de lutte draconien sont nécessaires, et donneraient, sans aucun doute, des résultats plus probants. Il lui demande de lui indiquer les mesures qu'il entend prendre, en accord avec les autres ministères concernés, pour rassurer la population et les élus.

Dégradation des routes communales
suite à l'exploitation des chablis

1165. - 25 octobre 2001. - M. Jean-Claude Peyronnet attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la dégradation des routes communales consécutive à l'exploitation des chablis rendue nécessaire par la tempête de 1999. La Haute-Vienne a été sévèrement frappée par la tempête de la fin de l'année 1999. Aujourd'hui la situation apparaît critique pour les communes dans la mesure où les routes communales, qui sont souvent les seules voies d'accès aux massifs, ont été gravement dégradées par les engins (grumiers et engins de débardage) empruntant ces axes. Cette dégradation est aggravée par les dérogations au tonnage accordées par les préfets sur les routes nationales qui, en l'absence de rupture de charge, entraînent la circulation de poids lourds en dépassement du poids autorisé sur les routes départementales et communales. Les expertises montrent des dégradations très importantes touchant jusqu'à la structure de la chaussée. Les maires peuvent, par application de l'article L. 141-9 du code de la voirie routière, engager des actions en responsabilité à l'encontre des exploitants forestiers, voire, en application de l'article R. 141-3, leur interdire l'utilisation de la voirie communale. Mais la mise en oeuvre de ces pouvoirs risque d'hypothéquer la reconstitution des massifs. Les communes sollicitent alors des subventions des conseils généraux et de l'Etat en vue de procéder aux réparations. Or, les dispositifs financiers ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les seuls fonds mobilisables sont des fonds européens dans le cadre du document unique de programmation. Pour autant, ils ne le sont qu'à hauteur de 25 % du montant des travaux et à condition que les collectivités locales participent du même montant. En conséquence, il souhaiterait savoir si l'Etat envisage de mettre en oeuvre des dispositifs de soutien en faveur des communes afin de leur permettre de concilier exploitation du massif forestier et sauvegarde de la voirie.

Mode de calcul de la taxe annuelle
sur les dispositifs médicaux perçue au profit
de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé

1166. - 25 octobre 2001. - M. Serge Vinçon remercie Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité de bien vouloir lui donner des précisions en ce qui concerne l'ordonnance n° 2001-198 du 1er mars 2001 précisant la loi de finances pour 2001 n° 2000-1352 du 30 décembre 2000. Cette ordonnance institue, au profit de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, une taxe annuelle frappant les dispositifs médicaux, tels qu'ils ont été définis par l'article L. 5211-1 du code de la santé publique. La définition de cet article, modifiant celle datant du décret du 16 mars 1995, ne semble pas parfaitement claire. C'est pourquoi il souhaiterait avoir confirmation que pour être considéré comme dispositif au sens de l'ordonnance, il doit s'agir soit d'un médicament, possédant donc une autorisation de mise sur le marché (AMM), soit de produits obligatoirement inscrits au tarif interministériel des prestations sanitaires, dites TIPS, puiqu'il est bien précisé dans l'article L. 5211 « qu'ils sont destinés à être utilisés chez l'homme à des fins médicales ». Par ailleurs, il la remercie de bien vouloir lui indiquer s'il est nécessaire qu'un décret soit publié dans le but de préciser les modalités de cette taxe, afin, notamment, de fixer son point de départ, le traitement pour les produits venant de pays de l'Union européenne, et, si son application intervient à partir du premier franc lorsque le montant des ventes est supérieur à cinq millions de francs.

Installation des médecins en milieu rural

1167. - 25 octobre 2001. - M. Jean Bizet interpelle, depuis le mois de novembre 2000, M. le ministre délégué à la santé sur l'évolution préoccupante de l'installation des médecins en milieu rural. La réponse qui lui a été faite en octobre, après que les termes de sa question écrite aient dû être renouvelés faute de réponse dans les délais impartis, ne lui semble pas totalement satisfaisante. En effet, monsieur le ministre se réfère à l'analyse présentée dans le rapport sur la démographie médicale qui a été transmis le 20 juin dernier. M. Jean Bizet prend volontiers acte de l'évolution positive du nombre de médecins d'un point de vue purement statistique et se réjouit que le Gouvernement ait souhaité relever le numerus clausus pour les prochaines années. Cependant, une caractéristique majeure semble être passée sous silence lorsque l'on se limite à une seule analyse chiffrée du problème. Il s'agit de la forte disparité de la répartition des praticiens entre les zones urbaines et rurales. Bien qu'il le regrette, force est de constater que les jeunes médecins sont peu enclins à s'installer en zone rurale. Il lui semble indispensable, en complément de cette décision, de prendre des mesures incitatives claires en direction des jeunes médecins. Bien que l'exercice de la médecine prenne le plus souvent la forme libérale, il est de la responsabilité du Gouvernement de préserver un égal accès aux soins pour la population sur tout le territoire. Il serait certainement pertinent d'envisager des mesures spécifiques sur le plan fiscal pour parfaire un aménagement harmonieux du territoire au regard de la santé publique. Il le remercie donc de bien vouloir lui préciser les mesures concrètes que le Gouvernement envisage de prendre pour répondre à l'inquiétude des élus et de la population de ces zones rurales.

Difficultés des handicapés

1168. - 25 octobre 2001. - M. Georges Mouly attire l'attention de Mme le ministre délégué à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées sur les difficultés que connaissent toujours les personnes handicapées en France et principalement face aux trois points qui lui paraissent les plus urgents à régler : l'intégration en milieu scolaire, l'insertion professionnelle et la récupération sur succession, difficultés auxquelles il lui demande si elle entend prochainement porter remède.

Drainage des terres agricoles

1169. - 25 octobre 2001. - M. Jean-Pierre Demerliat souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur les tracasseries que rencontrent les agriculteurs du département de la Haute-Vienne pour effectuer le drainage de leurs terres. En effet, pour assurer une rentabilité convenable de leurs terres, les agriculteurs doivent souvent réaliser des travaux de drainage plus ou moins importants selon la nature des sols. Or ils se heurtent régulièrement à la réglementation sur l'eau applicable en ce domaine et leurs aménagements sont a posteriori souvent déclarés non conformes, ce qui peut ouvrir la voie à des peines d'amende. Il souhaiterait donc savoir quels assouplissements pourraient être envisagés afin de concilier les obligations de la loi sur l'eau et les réalisations des travaux de drainages indispensables à la bonne gestion des terres agricoles.