SEANCE DU 6 NOVEMBRE 2001
CORSE
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la Corse.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Natali.
M. Paul Natali.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « il est
encore en Europe un pays capable de législation ; c'est l'île de Corse. La
valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre
sa liberté mériterait bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver.
J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite île étonnera l'Europe. »
Ces propos élogieux et pleins de lyrisme n'ont pas été tenus récemment ; ils
sont extraits du
Contrat social
de Jean-Jacques-Rousseau. Le temps
passe, les mêmes questions demeurent. Deux siècles et demi plus tard, la Corse
fait toujours couler beaucoup d'encre et suscite interrogations et polémiques
dans notre débat politique national.
Pourtant, si les solutions ne sont pas évidentes, le coeur du problème corse,
auquel beaucoup se sont heurtés, demeure simple et tient en un mot :
développement.
Point n'est besoin d'être grand clerc ou sociologue chevronné pour comprendre
que les difficultés économiques, le chômage, le désoeuvrement, le sentiment
d'être assisté au lieu d'être encouragé sont des ferments propices à
l'incompréhension et à la violence.
Ne voyez dans mes propos nulle justification d'une violence que j'ai toujours
fermement condamnée ; j'ai simplement la volonté de chercher une explication à
l'origine du mal afin d'y mettre un terme en y apportant des remèdes adaptés.
Cela représente le souhait profond des Corses qui, dans leur immense majorité,
veulent vivre dans la paix républicaine.
Aussi, tout ce qui peut contribuer au progrès économique et social de notre
île doit être regardé avec la plus grande attention et le plus grand sérieux.
C'est pourquoi il importe que le texte qui sera voté s'inscrive dans un
processus de développement de l'île, processus qui doit être conçu et mis en
oeuvre par les acteurs locaux. Tout doit être fait pour éviter des déconvenues
et pour donner, dans un esprit de responsabilité et dans une optique future de
partage équitable des compétences, ses meilleures chances à la démarche en
cours, pour aujourd'hui et pour demain.
C'est cette vision des choses qui a conduit la commission spéciale du Sénat à
proposer la mise en place de dispositifs incitatifs et clarificateurs qui vont
dans le bon sens, et un grand nombre d'amendements, déposés par M. le
rapporteur, me semblent particulièrement judicieux et porteurs d'espoir.
En fait, mon analyse du projet de loi repose sur une simple interrogation :
qu'est-ce qui est bon pour la Corse, pour son devenir et pour son ancrage au
sein de la République, dans le respect de son identité ?
De ce point de vue, j'ai noté avec satisfaction que la commission spéciale
s'est attachée, dans un souci de prudence et sans
a priori
, à rendre les
dispositions institutionnelles conformes à la Constitution.
Elle a su veiller cependant - et cela est essentiel - à consacrer dans la loi
les spécificités de la collectivité territoriale qui mériteraient des
adaptations du droit commun.
De ce point de vue, l'on ne peut que constater une volonté de progrès par
rapport à ce qui existe ; en outre, cette approche nous garantit contre tout
rejet pour non-conformité à la Constitution.
Sur ce point, enfin, rien n'est figé, car une modification de la Constitution
pourrait, dans une étape ultérieure, conforter encore davantage les pouvoirs de
la collectivité territoriale. Qui sait si l'on ne s'inscrirait pas alors dans
un mouvement plus général dont on ne peut préjuger aujourd'hui ?
S'agissant de l'enseignement de la langue corse, de grands progrès restent à
accomplir pour une meilleure diffusion de cet élément essentiel de notre
culture. Ce qui compte véritablement, c'est la possibilité pour tous nos
enfants scolarisés d'accéder sans réserve à cet enseignement. Cependant, le
caractère facultatif de cet enseignement ne doit pas exonérer l'éducation
nationale de ses obligations en la matière. Aussi, comme cela a été annoncé,
tous les moyens matériels et humains nécessaires à l'apprentissage et à la
pratique de la langue corse doivent être mis en place. Concernant l'article 12
du projet de loi relatif à la loi littoral, il est certain que la rédaction
adoptée par l'Assemblée nationale n'était pas exempte d'imperfections. Elle
ouvrait cependant la possibilité d'un réel développement touristique de l'île,
tout en établissant de nécessaires garde-fous en matière de protection du
littoral.
Il faut, en matière d'aménagement du littoral, mettre en avant, et de façon
complémentaire, les notions de protection et de développement. Je suis
résolument favorable à une large responsabilisation des élus locaux. Aussi,
remettre en cause leur capacité de discernement serait contraire à l'esprit du
projet de loi qui vise à leur donner une plus grande autonomie de décision.
Je pense réellement que des évolutions sont encore possibles sur ce point
majeur qui touche un secteur essentiel de notre patrimoine. Il faut agir avec
raison et mesure, et permettre d'organiser un véritable développement maîtrisé
où le littoral occupera sa vraie place. Entre la sanctuarisation de ces
territoires et une urbanisation anarchique, il existe des solutions acceptables
par tous, respectueuses de nos richesses naturelles et porteuses de progrès.
Que l'on nous fasse confiance pour les définir et les appliquer dans un esprit
de cohérence et de complémentarité entre le bord de mer et l'intérieur de l'île
! De plus, le tourisme est notre seule industrie ; il est considéré aujourd'hui
comme le moteur du développement insulaire. Il convient d'organiser le
territoire de manière à favoriser des progrès indispensables en la matière.
Aussi, je suis au regret de devoir totalement me désolidariser de la
commission spéciale s'agissant des amendements qu'elle propose à l'article 12.
En effet, le dispositif conçu par notre ami Paul Girod me semble - j'espère
qu'il me pardonnera cette appréciation - difficilement applicable, puisqu'il en
ressort que seulement 10 % des zones proches du rivage seront urbanisables, et
ce, de surcroît, à la condition que les 90 % restants soient cédés gratuitement
au Conservatoire du littoral !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas mal !
M. Paul Natali.
Cela serait considéré comme une véritable spoliation.
Pour comble, l'obligation lourde d'un plan d'aménagement et de développement
durable spécifique à la Corse serait maintenue, alors qu'elle n'a de sens qu'en
contrepartie des quelques libertés qui étaient accordées à l'île en matière
d'aménagement du littoral pour son rattrapage économique. Aussi, je dois d'ores
et déjà dire que je ne voterai pas la rédaction de l'article 12 telle qu'elle
est proposée par M. le rapporteur.
Par ailleurs, un sujet particulièrement sensible touche aux portes d'entrée de
l'île que sont nos ports et aéroports. En la matière, le projet de loi envisage
le transfert des biens de l'Etat à la collectivité territoriale. Il est
important que ce transfert s'opère dans des conditions de clarté et de façon
prudente. Dès lors, il est souhaitable que des délais soient accordés de
manière à éviter toute improvisation et à permettre une définition optimale des
conditions de ce transfert sur les plans matériel et humain. Il faut notamment
que la collectivité dispose de tout l'éventail de possibilités à même de lui
ouvrir les choix de gestion les mieux adaptés.
Comme vous le constatez, mes chers collègues, j'ai placé mon intervention sur
le registre des moyens à consacrer au développement de l'île. A ce titre, je me
félicite des dispositions d'ordre fiscal proposées par le rapporteur. Elles
constituent une évolution notable et une amélioration significative par rapport
aux mesures votées par l'Assemblée nationale. Cela est vrai pour les
entreprises, à travers le crédit d'impôt et la sortie de la zone franche ; cela
l'est aussi pour les particuliers en matière de droits de succession.
Pour conclure, je dirai que les interrogations formulées au début de mon
intervention me paraissent susceptibles de trouver dans les propositions de la
commission spéciale des réponses plutôt positives. Même si le doute subsiste
éventuellement dans nos esprits, il peut coexister avec un certain sentiment
d'espoir.
L'essentiel me paraît préservé : l'ancrage de la Corse dans la République, le
respect de l'identité insulaire, ainsi que les perspectives d'un développement
harmonieux et d'un progrès partagé, dans l'apaisement des passions.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le ministre, chaque chose arrive en son temps, et cette législature
arrive à son terme...
(Sourires.)
Une réelle ambition décentralisatrice
ayant manqué au Gouvernement, il vous est aujourd'hui difficile de soutenir ce
texte devant la Haute Assemblée !
Néanmoins, la décentralisation s'adresse à tout le pays, et la situation
spécifique que connaît la Corse nécessite une prise en compte particulière.
L'orateur principal du groupe de l'Union centriste, M. Daniel Hoeffel, a
rappelé tout à l'heure notre position sur ce point : cette spécificité corse
est, pour nous, fondée sur l'insularité de la Corse. Cela signifie que nous
considérons la Corse non pas comme une sorte de laboratoire de la
décentralisation, mais comme une situation spécifique à traiter de façon
particulière, dans le cadre de la loi commune, c'est-à-dire de la Constitution
de notre pays, qui s'impose partout. Si l'insularité fonde la spécificité, la
Constitution, règle commune, doit s'appliquer sur tout le territoire de la
République. Sans revenir sur ce qu'a dit M. Hoeffel à propos des réponses
institutionnelles que vous proposez, je soulignerai toutefois leurs limites.
C'est la cinquième fois en vingt-cinq ans que le Parlement est amené à
légiférer sur le problème corse. Cela doit nous conduire à une certaine
humilité. Il n'y a probablement pas de texte institutionnel qui soit capable de
prendre en compte les spécificités dont nous reconnaissons tous l'existence. La
reconquête de la paix civile en Corse ne pourra donc résulter uniquement de
réformes institutionnelles, si symboliques soient-elles. Elle ne pourra
résulter que du développement de la Corse. C'est d'ailleurs ce que note
aujourd'hui un membre du conseil exécutif de Corse M. Jean-Claude Guazzelli,
dans un journal publié ce matin.
Quelle est la situation de la Corse aujourd'hui ?
C'est d'abord une région à démographie faible : la Corse ne compte en effet
que 260 000 habitants. C'est ensuite une région dont l'économie demeure très
largement insuffisante.
Avec un faible taux de natalité, la population est plutôt vieillissante.
Certes, 40 000 personnes sont venues habiter la Corse ces dernières années,
alors que 30 000 l'ont quittée, ce qui donne un solde positif, signe
encourageant. Néanmoins, nous savons bien que, tant que la Corse ne comptera
pas plus d'habitants, un certain nombre de problèmes ne seront pas résolus,
quelles que soient les réformes institutionnelles proposées.
L'économie demeure faible. Le niveau de vie, en Corse, est inférieur à celui
que l'on peut constater dans de nombreuses régions. Le produit intérieur brut
par habitant est inférieur d'un quart à la moyenne nationale. Le tissu
productif reste fragile dans un marché relativement réduit et, en termes
d'emploi, il faut noter l'importance particulière de la fonction publique, qui,
à elle seule, compte plus de 21 % des emplois, contre une moyenne nationale
légèrement supérieure à 10 %.
Monsieur le ministre, c'est sur ces points que doit d'abord porter l'effort de
la nation si nous voulons véritablement donner à nos compatriotes corses un
espoir nouveau et leur permettre de vivre dans un cadre institutionnel rénové,
qui prenne en compte les spécificités qui ont été soulignées depuis le début de
cette discussion. Tant que ne sera pas consenti un effort majeur en faveur du
développement économique, toutes les réformes institutionnelles seront vouées à
l'échec. Et je dois dire que, de ce point de vue, les propositions que vous
nous faites, monsieur le ministre, sont un peu insuffisantes !
Aussi, le groupe de l'Union centriste, auquel j'appartiens, apportera à M. le
rapporteur son soutien pour toutes les mesures visant à amplifier le volet
économique du projet de loi. Je pense notamment au dispositif juridique
original et intelligent qu'il nous propose afin de favoriser l'éclosion du
tourisme par une limitation de la construction le long du littoral. Je crois
que c'est une très bonne mesure qui permettra de trouver un juste équilibre
entre le respect des sites magnifiques de la Corse, qui sont naturellement un
atout pour elle, et la nécessité de développer le tourisme.
Les propositions de M. le rapporteur en matière d'aide fiscale à
l'investissement, propositions que vous avez reprises, monsieur le ministre,
lors de votre voyage en Corse, sont la preuve que nous pouvons faire une partie
du chemin en commun.
Enfin, les suggestions qu'il a faites s'agissant de la fiscalité des
successions sont de nature à tenir compte, à la fois, de la réalité de la
structure familiale de l'île et de la nécessité d'assurer une meilleure «
liquidité » - si je puis dire - des terrains pour développer l'économie de
Corse.
Bref, si l'on a beaucoup évoqué, au cours de cette discussion, le problème
institutionnel - et c'est normal - il ne doit pas masquer une réalité sur
laquelle l'élément juridique n'a que peu de prise : la population corse demeure
trop faible, trop âgée, le développement économique de l'île est très
insuffisant.
Monsieur le ministre, si l'on parvenait, grâce aux propositions que vous fait
le Sénat et qui, pour la plupart, répondent à vos propres soucis, à aider la
Corse à conserver ses habitants, à en attirer de nouveaux et à engendrer une
économie plus florissante, plus attirante, un grand pas serait franchi qui
rendrait possible, demain, une réforme qui, elle, pourrait être
institutionnelle.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Le Pensec.
M. Louis Le Pensec.
Monsieur le président, monsieur le ministre, le projet de loi sur la Corse
prévoit, dans son article 1er, des mécanismes grâce auxquels les textes
législatifs et réglementaires applicables en Corse pourraient être adaptés aux
réalités de cette île. Certains veulent y voir une atteinte à l'unité de la
République, une mise en cause des principes fondamentaux qui nous régissent
depuis la Révolution française, une sorte de sacrilège républicain.
De quoi s'agit-il ? Quels sont les constituants de ce forfait ? D'abord, le
pouvoir réglementaire. Nous avons entendu de-ci de-là d'étranges affirmations
dans cette enceinte : ainsi, l'article 21 de la Constitution disposant que le
Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire, il serait évident que les
collectivités locales ne pourraient disposer d'aucun pouvoir de cette
nature.
Mais, sans le savoir, comme M. Jourdain pratiquait la prose, les collectivités
locales ne mettent-elles pas fréquemment en oeuvre un pouvoir réglementaire,
dont le champ géographique est, certes, limité et qui est subordonné à la règle
de droit supérieur - la Constitution - ainsi qu'à l'ensemble des lois, à
l'ensemble des règlements pris à l'échelon national, mais qui est cependant
bien un pouvoir réglementaire, puisqu'il permet de poser des règles générales.
Lorsqu'une collectivité régionale définit un régime d'aide aux entreprises
n'exerce-t-elle pas un pouvoir réglementaire ?
(Protestations sur les
travées du RPR.)
En réalité, depuis longtemps, la très grande majorité des juristes considère
que les collectivités locales ont bien un pouvoir réglementaire.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Non ! Non !
M. Louis Le Pensec.
Voilà qui prouve qu'il y a encore matière à débat, mes chers collègues ;
l'article 1er nous en donnera l'occasion.
Ce pouvoir réglementaire, disais-je, la collectivité territoriale de Corse
l'exerce donc normalement par les compétences qui lui sont dévolues dès lors
que celles-ci lui permetttent de fixer des règles et pas seulement de gérer un
équipement.
Les compétences nouvelles prévues dans plusieurs articles de ce projet de loi
étendent le pouvoir réglementaire de la collectivité de Corse comme les
articles du projet de loi sur la démocratie de proximité, dont nous débattrons
en janvier, accroissent le pouvoir réglementaire des collectivités régionales
dans leur ensemble.
La majorité sénatoriale serait-elle hostile à l'accroissement des compétences
des collectivités locales ? J'ai parfois un doute lorsque j'entends avec quelle
véhémence sont repoussées les extensions de compétences proposées pour la
Corse.
Vous répondrez que vous êtes pour la décentralisation en général et contre
celle de la Corse en particulier.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
Plusieurs sénateurs du RPR.
Non !
M. Louis Le Pensec.
J'ai pourtant noté que, lorsque vous êtes en situation de responsabilité, vous
fulminez aussi contre la décentralisation en général.
(Nouveaux applaudissements sur les travées socialistes.)
Enfin, j'attends que l'on m'explique comment on peut être favorable à une
plus grande décentralisation en refusant tout pouvoir réglementaire aux
collectivités locales.
J'en reviens à l'article 1er.
Apparemment, le paragraphe I ne vous pose pas de problème. Comme dans le
statut actuel, la collectivité territoriale de Corse peut proposer des
adaptations réglementaires au Gouvernement.
En revanche, le paragraphe II semble vous remplir d'effroi. Selon ses termes,
la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le
législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île pour la mise
en oeuvre des compétences qui lui sont attribuées par la loi, sauf si sont en
cause une liberté publique ou un droit fondamental.
Il y a de quoi frémir en effet ! Nous, parlementaires, pourrions autoriser
l'Assemblée territoriale de Corse à prendre par délibération, dans le strict
champ de ses compétences, des règles dérogeant à des décrets, selon
l'habilitation, et donc dans des limites que nous aurions fixées ! On conçoit
que cette perspective provoque chez certains d'entre nous un profond
vertige.
Quant au paragraphe III, il provoque l'indignation. L'Assemblée territoriale
de Corse pourrait demander au législateur l'autorisation d'adapter des règles
législatives dans le champ de ses compétences et dans l'encadrement d'une
habilitation ! Ces adaptations expérimentales devraient ensuite être approuvées
par le Parlement, faute de quoi elles deviendraient caduques. En attendant,
elles n'auraient qu'un caractère réglementaire. Je laisse aux juristes le soin
de déterminer...
M. Jean Chérioux.
Cela vaudra mieux !
M. Louis Le Pensec.
...si l'ouverture faite par le Conseil constitutionnel pour l'expérimentation
par un établissement public est transposable aux collectivités locales,
lesquelles, je le rappelle, ont des institutions désignées par le suffrage
universel.
En tout cas j'espère, pour notre démocratie, que cela est possible. La
rigidité de notre Constitution n'est compatible avec la vitesse d'évolution du
monde que si le juge constitutionnel lui-même fait preuve d'imagination.
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas son rôle !
M. Jean-Jacques Hyest.
Qu'il n'en fasse pas trop, ce serait « la fin des haricots » !
M. Philippe Marini.
Il eût été intéressant que M. Badinter en parlât !
M. Louis Le Pensec.
Je ne m'attendais pas à d'autres échos venant de vos travées, messieurs !
Comment ne pas voir qu'il ne s'agit que du prolongement, j'allais dire de la
modernisation du dispositif déjà en vigueur ? Le statut actuel permet à
l'Assemblée de Corse de demander des adaptations, ce qui est long, et, compte
tenu de la surcharge de travail du Parlement, difficile. Le projet de loi qui
nous est soumis permet à l'Assemblée territoriale, sous contrôle, de procéder
elle-même à ces adaptations. Faut-il pour cela proclamer la patrie en danger ?
(Exclamations sur les travées du RPR.)
D'autant que ce n'est pas vraiment nouveau. Certains voudraient nous faire
croire que la loi est un absolu intouchable. Ce n'est pas le cas. La loi n'est
pas tout à fait la même sur toutes les parties du territoire national. En
Alsace-Lorraine, des aspects très importants de notre législation en matière de
droit du travail, de sécurité sociale sont régis par des lois spécifiques.
M. Philippe Richert.
Sous le contrôle du Parlement !
M. Louis Le Pensec.
Pour ce qui est des relations entre l'Etat et les églises, nous sommes même,
vraisemblablement, en situation de dérogation par rapport à notre
Constitution.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est parfaitement vrai !
M. Louis Le Pensec.
Dans les départements d'outre-mer, la loi est adaptée, comme le prévoit
l'article 73 de la Constitution.
A Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte, collectivités particulières créées en
vertu de l'article 72 de la Constitution - comme la Corse - certaines lois ne
s'appliquent pas, même adaptées, et ce notamment en matière fiscale, domaine
que l'article 34 réserve pour l'essentiel à la loi.
M. Paul Girod,
rapporteur.
La Corse n'est pas visée dans l'article 72.
M. Louis Le Pensec.
Vous nous l'expliquerez tout à l'heure, monsieur le rapporteur !
Les territoires d'outre-mer, depuis 1946, bénéficient de la spécialité
législative dans les domaines de compétences qui leur sont réservés : le
Parlement de la République s'abstient d'intervenir et l'assemblée locale peut
prendre des délibérations dans toute la matière concernée, même lorsque
celle-ci relève en tout ou partie du domaine de la loi.
En Nouvelle-Calédonie, où j'ai eu à mettre en oeuvre, en qualité de ministre
des départements et territoires d'outre-mer, les accords de Matignon de 1988,
l'accord de Nouméa de 1998 a également créé la catégorie des lois de pays...
M. Jean-Jacques Hyest.
Il ne faut pas comparer !
M. Louis Le Pensec.
Si ! Je fais du droit comparé, car ces précisions sont utiles. Je n'ai pas dit
qu'il fallait s'en inspirer !
M. Jean-Jacques Hyest.
La Nouvelle-Calédonie n'est pas la Corse !
M. Jean Chérioux.
C'est de la caricature !
M. le président.
Mes chers collègues, laissons l'orateur s'exprimer ! Le long débat qui
s'annonce vous permettra d'échanger à loisir vos arguments sur les divers
thèmes qu'il vient d'aborder.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Louis Le Pensec.
L'accord de Nouméa de 1998, disais-je, a créé la catégorie des lois de pays,
délibérations particulières de l'assemblée locale qui ne sont soumises qu'au
contrôle du Conseil constitutionnel, à la différence des autres délibérations
des assemblées d'outre-mer qui sont soumises au contrôle de la juridiction
administrative, c'est-à-dire au tribunal administratif et au Conseil d'Etat, et
qui sont donc des actes de valeur réglementaire.
M. Philippe Marini.
Pour cela, il n'y a pas besoin de référendum, il suffit d'adapter la
Constitution !
M. Louis Le Pensec.
Nous en sommes bien loin pour la Corse. Les auteurs du présent projet de loi
ne proposent pas que l'Assemblée territoriale de Corse puisse intervenir dans
des matières qui relèvent du domaine de la loi, selon la Constitution, dès lors
qu'elles entreraient dans le champ de sa compétence : ils proposent seulement
que le Parlement habilite au cas par cas l'assemblée locale à adapter certaines
dispositions législatives existantes, sous son contrôle
a posteriori.
Il s'agit donc d'introduire le minimum de souplesse rendu nécessaire par la
situation particulière de la Corse. Qui oserait soutenir que la Corse n'est pas
dans une situation particulière depuis des décennies, voire des siècles ?
M. Philippe Marini.
Elle a toujours été une île !
(Sourires.)
M. Louis Le Pensec.
Pensez-vous que son histoire, sa géographie, sa sociologie soient celles du
Massif central ou de la Bourgogne ?
M. Jean-Patrick Courtois.
Qu'avez-vous contre la Bourgogne ?
M. Louis Le Pensec.
Pourquoi refuser de voir la réalité en face ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Louis Le Pensec.
Pour certains, la Corse doit être similaire à l'Anjou ou elle doit se
soumettre, c'est-à-dire sortir de la République. Plutôt l'exclusion que la
reconnaissance des différences ! C'est la logique d'une certaine République
jacobine à laquelle je ne souscris pas.
M. Pierre-Yvon Trémel.
Très bien !
M. Louis Le Pensec.
Ouvrons les yeux sur l'Europe et regardons au-delà des frontières : toutes les
îles en Europe, sauf la Crète, ont un statut plus décentralisé que celui des
régions de droit commun du pays auquel elles appartiennent, que celui-ci soit
fédéral ou décentralisé.
En Italie aussi, la Sardaigne peut prendre des actes dans des domaines que la
Constitution italienne réserve à la loi, pour tenir compte de ses spécificités.
La Sardaigne est-elle sortie de l'Italie ? Au contraire, cette île, qui
connaissait la violence, est apaisée et son développement économique - certes
avec une masse critique de population et une superficie supérieures à la Corse
- semble plutôt engagée sur une bonne voie.
On ne peut à la fois crier à l'irresponsabilité des Corses et refuser qu'ils
puissent prendre leurs responsabilités en toute connaissance de cause et sous
le contrôle du Parlement ! On ne peut pas crier « décentralisation,
décentralisation, décentralisation » et, dès qu'il s'agit de donner davantage
de compétences à une collectivité - dont vous ne pouvez nier les
particularismes - les lui refuser.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes.)
Non, ce projet de loi ne compromet en rien l'unité de la République. Il
solidifie, au contraire, notre Etat républicain en permettant que des régions
singulières - et la Corse en est une - voient leurs spécificités reconnues, y
compris au plan institutionnel.
L'égalité, a-t-on dit, n'est pas l'uniformité. Appliquer la même loi et la
même règle à des situations différentes ne favorise pas l'égalité, mais creuse
les inégalités.
L'autonomie du pays de Galles et de l'Ecosse a-t-elle compromis l'unité de la
Grande-Bretagne ? Cette nation n'est-elle pas unie sur des valeurs - c'est
l'essentiel - suffisamment solides pour intégrer les différences ?
En illustration de l'adaptation des normes, je voudrais évoquer la question du
littoral.
Avec l'article 12, on a voulu voir une ouverture à la constructibilité sans
frein du littoral corse, on a laissé entendre que la loi littoral ne
s'appliquerait plus. Rarement une réalité complexe aura été à ce point
caricaturée !
Pour avoir contribué, dans les années quatre-vingt, à la préservation
définitive de dizaines de milliers d'hectares en Corse en ma qualité de
président du Conservatoire du littoral, je souhaite que le débat sur cette
question s'engage sur des bases plus objectives.
Le littoral corse, resté à 70 % à l'état naturel contre 4 % seulement dans les
Alpes-Maritimes, obéit aujourd'hui à un certain nombre de protections. Ainsi,
toutes les communes du littoral, soit 90 communes sur 360, sont soumises aux
lois littoral et montagne. Outre l'application du premier de ces deux textes,
ce littoral a fait l'objet de nombreuses protections au titre des législations
et réglementations relatives aux sites : sites classés ou inscrits, réserves
naturelles, arrêtés de biotope, parcs naturels régionaux, et la liste n'est pas
exhaustive.
Par ailleurs, sur les 1 000 kilomètres du littoral corse, un peu plus de 200,
soit presque 21 %, appartiennent au conservatoire de l'espace littoral et sont
donc soustraits à tout jamais à l'urbanisation.
La protection de ces terrains, propriété du conservatoire, comme l'ensemble
des protections instituées sur le littoral corse ne sauraient être remises en
cause ni par les possibilités d'adaptation conférées à la collectivité
territoriale de Corse par la loi littoral ni par le plan d'aménagement et de
développement durable de la Corse.
Le dispositif prévu interdit donc tout aménagement au coup par coup et impose
une vision d'ensemble préalable, permettant de garantir l'équilibre, que l'on
soulignait tout à l'heure, entre protection et développement.
Le plan d'aménagement et de développement durable, comme tout document
d'urbanisme, sera soumis avant son approbation à de nombreuses consultations, à
débat public et à enquête publique. Il sera également soumis au contrôle de
légalité du préfet et du juge administratif.
Ce n'est que dans le cadre du plan d'aménagement et de développement durable
et par une délibération spécialement motivée que la collectivité territoriale
de Corse pourra apporter des adaptations à la loi littoral, sur des secteurs
dont elle devra justifier l'identification.
Ces adaptations sont strictement encadrées soit par la loi littoral elle-même,
soit par le présent projet de loi.
S'agissant de la compétence réglementaire conférée à la collectivité
territoriale de Corse en matière de la fixation de la liste des espaces
terrestres et marins, sites et paysages remarquables, il y a lieu de préciser
que cette liste est déjà très largement définie par l'article L. 146-6 du code
de l'urbanisme. Un amendement de notre collègue Michel Charasse encadre
d'ailleurs plus strictement encore cette adaptation.
Quant à la possibilité d'adaptation dans la bande littorale des cent mètres,
elle s'applique non pas à toutes les plages, mais à celles où existe un conflit
d'usage entre la fréquentation touristique et la préservation de
l'environnement.
Elle prévoit la réalisation d'aménagements légers et des constructions non
permanentes destinées à l'accueil du public, excluant toute forme
d'hébergement.
Cette possibilité ne pourra être admise que si elle est compatible avec la
préservation de l'environnement et si elle respecte les paysages et les
caractéristiques propres aux sites où ces aménagement et constructions seront
réalisés.
Elle sera soumise à la délivrance d'un permis de construire prévoyant les
dates de montage et de démontage, ainsi qu'à une enquête publique.
Cette possibilité d'adaptation ne saurait conduire à remettre en cause les
protections aujourd'hui édictées ou celles qui résulteraient du plan de
développement et d'aménagement durable, en particulier les espaces et milieux
protégés au titre de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme.
Elle permettra, en outre, de soumettre à autorisation et contrôle des
constructions qui existent déjà en toute illégalité et hors de toute
organisation sur de nombreuses plages, afin de les encadrer, voire de les
interdire.
S'agissant, enfin, des possibilités d'extension de l'urbanisation non situées
en continuité des urbanisations existantes ou non constituées en hameaux
nouveaux, celles-ci ne pourront être opérés qu'en dehors de tout espace
protégé.
Je ne saurais contester à notre rapporteur le mérite d'avoir creusé une piste
un peu novatrice en prévoyant l'intervention du conservatoire de l'espace
littoral, et la discussion des articles nous donnera sans nul doute l'occasion
de souligner non seulement ce mérite mais aussi toutes les limites d'un tel
recours.
D'une façon générale, et au nom du principe de l'indépendance des
législations, ni le plan d'aménagement et de développement durable ni les
adaptations à la loi littoral que ce plan pourrait contenir n'ont le pouvoir de
remettre en cause des protections aujourd'hui existantes et émanant de
l'application de dispositifs législatifs ou réglementaires particuliers. Ils ne
peuvent, par exemple, ni déclasser ni « désinscrire » des sites classés ou
inscrits, ni abroger des dispositions visant à protéger des réserves
naturelles.
De même, ni le plan d'aménagement et de développement durable ni les
adaptations à la loi littoral ne sauraient aller à l'encontre de protections
ayant leurs sources et fondements dans des dispositifs extérieurs au droit
interne, qu'il s'agisse, par exemple, de directives européennes telles que
Natura 2000 ou de conventions de droit international telle la convention de
Ramsar sur les zones humides.
Les adaptations normatives prévues par le projet de loi sont rendues
nécessaires par la superposition sur un espace réduit des dispositions des lois
littoral et montagne.
Des améliorations peuvent, certes, être apportées au projet du Gouvernement.
Cela étant, je préfère des règles exigeantes mais applicables à des règles
inappliquées. Or, faute que les schémas prévus aient pu être mis en oeuvre,
l'aménagement du littoral corse est bloqué, alors que certains aménagements
limités amélioreraient la situation d'un littoral figé plus que protégé de
manière dynamique.
Il m'apparaît qu'un équilibre a été recherché dans le projet de loi entre
l'encadrement permettant de garantir le respect des principes fondamentaux de
la loi littoral et la marge d'appréciation laissée à la collectivité
territoriale de Corse pour adapter le cadre juridique aux spécificités locales.
L'expérience m'autorisait, me semble-t-il, à porter une telle appréciation.
En conclusion, monsieur le président, je voudrais redire combien je suis
frappé par cette sorte d'effroi qui saisit certains à l'idée que l'organisation
de la France pourrait ne pas être exactement la même dans toutes les parties du
territoire.
Rien de ce que le présent projet de loi prévoit pour la Corse ne menace
évidemment l'unité de la République. C'est la rigidité, le culte de
l'uniformité, le refus des adaptations qui la menacent.
M. Roger Karoutchi.
Pas du tout !
M. Louis Le Pensec.
Le projet du Gouvernement est bon pour la Corse. Admettre cette singularité,
c'est déjà faire un grand pas et commencer à reconnaître que la France a une
histoire et que son organisation territoriale ne relève pas de la géométrie.
Parce que j'aime la Corse française, je sais qu'elle a droit à la
reconnaissance de son identité. La lui nier, c'est manquer de confiance en elle
et dans la France, c'est douter de nos valeurs communes et donc, à terme,
menacer cette appartenance.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout
d'abord rassurer M. Le Pensec : moi, j'ai entendu les différents orateurs, j'ai
entendu M. le rapporteur - dont l'intervention a été d'une qualité tout à fait
exceptionnelle -...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Celle de M. Le Pensec aussi ! j'ai entendu notre ami Jean-Pierre Raffarin,
notre ami Josselin de Rohan, notre ami José Balarello, j'ai entendu M. Daniel
Hoeffel, et, nulle part, je n'ai perçu cette crainte de ne pas voir respecter
une certaine différence.
M. Jacques Blanc.
Je suis donc un peu déçu par l'intervention de M. Le Pensec.
Cela étant, je vais vous faire une confidence, monsieur le ministre : j'ai
participé à la discussion de ce texte à l'Assemblée nationale, et j'ai voté
votre projet de loi, après avoir, à la suite de certains de nos amis courageux
mais qui n'ont parfois pas été compris - je pense à Jean Baggioni, président du
Conseil exécutif de Corse, ou à José Rossi, président de l'Assemblée
territoriale de Corse - essayé d'y trouver des motifs d'espérance. Il fallait
en effet apporter à la réalité française corse des réponses positives. Et, si
l'une des caractéristiques de cette réalité est que le territoire corse est peu
peuplé, ainsi que M. José Balarello le rappelait, permettez au sénateur qui
représente ici un département de 73 000 habitants de dire qu'il l'est quand
même beaucoup plus que le sien.
Je pense donc, monsieur le ministre, que vous avez, ce soir, avec ce débat,
une chance formidable : ne la gâchez pas !
Le Sénat, grâce à la qualité du travail de la commission spéciale et de son
rapporteur, a ouvert la voie pour balayer les ambiguïtés, écarter les dangers
d'anticonstitutionnalité et répondre aux légitimes aspirations de tous ceux qui
croient à des avancées nouvelles de la décentralisation.
Dans ce siècle, on peut l'affirmer, l'unité, l'unicité de la République
passera par des avancées nouvelles de la décentralisation.
Il ne s'agit pas pour autant de tomber dans un système fédéral, ni même dans
un système d'autonomie. Il s'agit d'inventer un dispositif purement français,
une vraie décentralisation accordant un rôle plus important aux régions.
Que nos amis des départements ne soient pas irrités par mes propos, je ne
parle pas contre eux ; je demande simplement le transfert de vrais pouvoirs de
l'Etat aux régions. Les départements sont indispensables pour assurer
l'équilibre sur notre territoire, et les communes, elles aussi, doivent exercer
pleinement leurs responsabilités.
Monsieur le ministre, je me permets maintenant de dire - cela va peut-être en
choquer ou en étonner certains - qu'il n'y a pas de fossé insurmontable entre
les positions de l'Assemblée nationale et celles du Sénat.
(Exclamations sur
les travées socialistes, ainsi que sur celles du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Je vais le prouver en relevant quelques points précis.
J'ai entendu dire : à l'article 1er, on ne remet pas en cause la
Constitution,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'y a pas besoin de la remettre en cause !
M. Jacques Blanc.
... on va transférer un certain nombre de pouvoirs.
Mais, mes chers collègues, notre rapporteur a fait une proposition formidable
à cet égard : des lois à application différenciée selon les territoires. Cette
idée mérite d'être creusée.
Notre collègue Jean-Pierre Raffarin a, quant à lui, évoqué la possibilité de
déléguer des pouvoirs réglementaires grâce à un dispositif qui respecte à la
fois notre Constitution et votre volonté, monsieur le ministre.
Si vous êtes honnête - vous voyez bien que je ne fais de procès d'intention à
personne mais je demande qu'on ne nous en fasse pas non plus !...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Votez donc le texte de l'Assemblée nationale !
M. Jacques Blanc.
... vous conviendrez qu'il existe des réponses sans toucher à la Constitution.
Il est possible, en effet, d'adapter la loi et de déléguer le pouvoir
réglementaire, si nécessaire.
Chacun s'aperçoit que la loi littoral, quand elle est appliquée brutalement,
crée des blocages non justifiés. Sans remettre en cause la nécessité de
protéger notre environnement et sans contrecarrer la volonté exprimée par un
certain nombre d'associations de défense du littoral, il est possible
d'aménager cette loi.
Monsieur le ministre, si vous écoutez le Sénat sur ces points, les sujets de
discorde tombent. Au lieu de se bloquer dans un système d'opposition, suivons
la voie positive, celle qui permet de régler vraiment les problèmes.
Pour ce qui est de la langue, permettez au président de la région
Languedoc-Roussillon, qui croit en l'avenir de l'occitan et du catalan, de dire
qu'il existe une réponse simple et qui donne satisfaction à tout le monde. Il
suffit d'accepter le libellé du Sénat, qui correspond à ce qui a été dit à
l'Assemblée nationale : ne rendons pas obligatoire l'enseignement de la langue
corse, permettons simplement aux familles qui le veulent d'en faire bénéficier
leurs enfants, dès l'école primaire ou ultérieurement.
La connaissance d'une langue régionale, c'est un atout dans la vie. N'ayons
pas une vision frileuse sur cette question. Ces langues régionales, ces langues
dites minoritaires enracinent, mais, elles permettent également de s'ouvrir au
grand large sans perdre sa propre personnalité.
Je crois très profondément qu'il faut offrir cette possibilité aux jeunes
Corses, aux jeunes du Languedoc-Roussillon, aux jeunes Bretons. Notre collègue
M. de Rohan a eu des mots très forts à l'appui de cette thèse.
Ce n'est pas aller contre la langue française, ce n'est pas tendre vers un
repliement sur soi que de permettre à des jeunes d'étudier ces langues qui font
partie de nos racines, de notre culture.
Pour lutter contre la peur de la mondialisation, la meilleure réponse, c'est
l'enracinement, ce qui ne signifie pas le repliement sur soi-même.
Parallèlement, je crois en l'Europe, je crois que l'Europe peut nous aider à
maîtriser des phénomènes mondiaux.
Dans ma région, je fais partie de ceux qui paient pour que ces langues soient
enseignées. Pour moi, ce ne sont pas des langues mortes. Ces langues sont bien
vivantes, elles font partie à la fois de notre patrimoine et de notre
avenir.
La formulation proposée par notre rapporteur est donc formidable. Elle
correspond d'ailleurs à ce qui a été dit à l'Assemblée nationale, ou alors on
nous a trompés !
Rires sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean Bizet.
Ce n'est pas impossible !
M. Jacques Blanc.
Peut-être ai-je été abusé ! Le temps passe, et je suis encore naïf. Mais le
Sénat m'apporte la sérénité et la capacité de prendre du recul !
J'ai aussi beaucoup entendu parler - et je ne doute pas que M. Mauroy tiendra
le même langage - du besoin d'aller bien plus loin dans la démarche globale de
décentralisation : ce que nous allons faire pour la Corse, il faut le faire
pour l'ensemble des régions.
(Murmures sur les travées socialistes.)
C'est ce que j'avais dit, à l'Assemblée nationale avec notre collègue M.
Jean-Claude Etienne, qui, lui aussi, est maintenant sénateur. Nous avions alors
déposé des amendements et vous nous aviez précisé, monsieur le ministre, que
vous étiez d'accord pour préparer un texte. Je n'ai rien vu venir de ce
côté-là, mais je ne désespère pas !
Peut-être suis-je naïf, je le répète, mais j'ai encore l'espérance ; en tout
cas, j'ai confiance en ce débat au Sénat, dont la qualité n'échappe à
personne.
M. Josselin de Rohan.
Non !
M. Jacques Blanc.
Chacun peut, en effet, mesurer ce que le Sénat apporte à la fois en prenant de
la distance par rapport à des positions un peu trop partisanes et en étant
capable de se projeter dans l'avenir. C'est un moment exceptionnel.
Monsieur le ministre, en préambule de votre propos vous avez évoqué le
problème des prisons. Vous me permettrez de dire que ce n'est pas la meilleure
manière de répondre aux attentes de tous ceux qui, en Corse, comme en
métropole,...
M. Philippe Marini.
Sur le continent !
M. Jacques Blanc.
Sur le continent, vous avez raison ! Je devrais davantage préparer mes
discours ! ...
Si je me laisse ainsi aller à improviser, c'est parce que j'espère très
profondément, monsieur le ministre, que, grâce à ce débat, grâce à la qualité
du travail et de toutes les interventions, quelles qu'elles soient, vous
pourrez sortir de l'impasse et élaborer une loi dont personne ne mettra en
cause la constitutionnalité.
Vous répondrez ainsi à l'attente vraie des populations qui aspirent à un
développement durable, au respect du principe de la subsidiarité tandis que
seraient lancées les prémisses d'une démarche globale de décentralisation.
On verra ainsi combien le rôle du Sénat est essentiel, car il permet de
rééquilibrer des démarches qui nous avaient parfois surpris.
(M.
Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Je le dis d'autant plus volontiers que je vous fais confiance. Je voudrais,
demain, pouvoir m'en réjouir. Je voudrais pouvoir dire : M. le ministre de
l'intérieur a écouté le Sénat, il a emprunté le bon chemin, balayé les
malentendus et permis d'avancer pour la Corse... française.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute
autre chose, je voudrais remercier le président de notre commission spéciale,
M. Jacques Larché, et notre rapporteur, M. Paul Girod, parce qu'ils ont su
ouvrir pertinemment la voie à notre travail parlementaire en posant « la », ou,
plus précisément, « les » bonnes questions.
En effet, ils ont su nous sortir de l'écueil grave et contre-productif du
débat manichéen dans lequel certains avaient fait le choix réducteur de nous
enfermer.
Par leur éveil, ils nous ont permis de corriger l'erreur préalable commise par
le Gouvernement, et ce, en posant les bonnes questions, et en nous invitant à
choisir les bonnes réponses.
La faute préalable du Gouvernement a été d'enfermer le débat dans une
dialectique trompeuse, le considérant étant qu'il fallait légiférer parce qu'il
y avait des violences et donc céder au chantage. La réponse, tout aussi
fallacieuse, consistait dès lors à croire qu'une évolution institutionnelle de
l'île mettrait un terme à cette violence alors que, tout au contraire, elle la
légitimait.
Effectivement, depuis le début du processus de Matignon, le Gouvernement s'est
fourvoyé à cause de cette faute préalable : comment faire cesser la violence ?
Que céder aux séparatistes pour acheter la paix civile ?
Petit à petit, cette logique trompeuse, cette équation infondée s'est
répandue. De ce point de vue, nous sommes collectivement responsables. La
classe politique, les observateurs attitrés, les journalistes, nos concitoyens
eux-mêmes, se sont surpris à raisonner dans ces mêmes termes. Tous, nous nous
sommes enferrés dans cette dichotomie intellectuellement aisée, mais combien
trompeuse.
Face à ce projet de loi, nous retrouvions deux camps : ceux qui y étaient
favorables et ceux qui y étaient farouchement opposés.
Entre les deux camps, point de salut. Il fallait choisir, et ce, sans nuance,
ni souvent réflexion. En peu de temps, nous étions revenus à cette vieille
querelle franco-française des Jacobins et des Girondins.
D'ailleurs, bien souvent, les lignes de partition ne correspondaient pas aux
volontés profondes des intervenants.
Dans le camp des « pour », pouvaient se retrouver allègrement des
régionalistes pur sucre, et d'autres, plutôt hostiles à la décentralisation,
mais qui, lassés par la crise corse, disaient à peu près : « S'ils veulent
l'indépendance, qu'ils la prennent ! » alors pourtant que cela ne correspondait
en rien à la volonté dominante des Corses.
Dans le camp des « contre » se retrouvaient, de la même manière, des
républicains arc-boutés, niant toute spécificité régionale à la Corse, et
d'autres disant simplement : « Non, la Corse, nous l'aimons, ne la laissons
pas s'éloigner du continent. »
Le caractère tronqué de ce débat tient à la faute préalable du Gouvernement
qui s'est trompé de question et qui, par là même, nous a trompés, en laissant
le débat dériver sur le champ institutionnel.
Il s'est trompé parce qu'il a cru que le problème c'était les
nationalistes.
En déplaçant le débat sur le plan institutionnel, en jouant une partition à
quatre mains avec les nationalistes, le Gouvernement a cru pouvoir se dispenser
d'apporter les réponses réelles qu'attendait l'immense majorité silencieuse des
Corses.
Les questions qu'ils se posent sont bien plus simples : « Comment trouver du
travail ? Comment faire vivre mon entreprise ? Quel avenir donner à mes enfants
? » et certainement pas : « Quelle délégation de pouvoir d'adaptation
législative à la collectivité territoriale de Corse ? »
En déplaçant le débat sur le plan institutionnel, le Gouvernement s'est donc
fourvoyé. D'entrée de jeu,l'erreur a été de privilégier certains interlocuteurs
par rapport à d'autres.
En mettant les dirigeants nationalistes en avant, à grand renfort de presse,
le Gouvernement a fait le choix de privilégier le dialogue avec eux, réduisant
presque cyniquement le débat sur l'avenir de la Corses à un volet
institutionnel dont les Corses eux-mêmes ne veulent pas.
L'autre erreur préalable a justement été de poser comme préalable à la
discussion parlementaire l'arrêt des violences. Avec une telle condition pour
le processus de Matignon, le Gouvernement est devenu l'otage de ces mêmes
nationalistes, qui, en maniant avec habilité les promesses de leurs vitrines
légales et les coups d'éclat de leurs bras armés, ont obtenu depuis deux ans
quasiment tout ce qu'ils réclamaient.
En bons tacticiens, les nationalistes jouent la carte du pire afin d'obtenir
de nouvelles concessions. Ce mécanisme diabolique peut durer longtemps et
permettre à une minorité violente d'imposer sa loi, ce qui est d'ailleurs le
propre de tout terrorisme.
De ce point de vue, le bilan est effectivement loin d'être à inscrire au
crédit du Gouvernement.
Il y a maintenant plus de deux ans, une commission d'enquête sénatoriale sur
les dysfonctionnements inacceptables de l'Etat en Corse a été créée. A
l'époque, nous avions formulé dix-sept propositions concrètes pour améliorer le
fonctionnement des services de l'Etat et assurer une meilleure coordination de
la sécurité et de la justice en Corse. Ces propositions de simple bon sens ne
nécessitaient pas de réforme de la Constitution. Il ne m'a pas semblé que le
Gouvernement ait essayé de les mettre en oeuvre.
Effectivement, le bilan sur l'île n'est guère positif. Depuis deux ans, ni les
attentats, ni les assassinats, ni le racket n'ont cessé. Ils n'ont même pas
seulement été endigués. Bien au contraire, pas moins de dix-sept assassinats et
de cent dix attentats ont été constatés sur le territoire de la seule Corse
entre le 1er janvier et le 30 septembre. Est-il bien raisonnable, dès lors, de
se glorifier de ce bilan ? J'en doute !
Alors que les « vitrines légales » promettaient au Gouvernement de respecter
ce préalable de la cessation de la violence en proclamant une trêve illimitée,
quelques jours seulement après le début du processus de Matignon, à la fin
décembre 1999, les dérives mafieuses, les règlements de compte et les attentats
les plus scandaleux contre les bâtiments et les personnels de l'Etat se sont
poursuivis dans la plus totale impunité. Il y a pis ! La logique trompeuse dans
laquelle le Gouvernement s'est enferré a fait des émules puisque, en résumant
la situation corse à son seul volet institutionnel, des membres éminents de la
majorité plurielle se sont mis à considérer que nous étions bel et bien dans un
conflit d'indépendance.
De ce point de vue, l'évolution sémantique a été particulièrement frappante.
Les terroristes sont devenus des nationalistes ; les détenus sont devenus des
prisonniers politiques ; la délinquance est devenue résistance et la «
cessation de la violence » est devenue « retour à la paix civile ».
En se fourvoyant dans cette faute préalable, le Gouvernement ne pouvait pas
faire autrement que s'embourber dans un dialogue inégal avec les
séparatistes.
Le Gouvernement ayant engagé sa responsabilité sur la réussite du processus de
Matignon, les nationalistes ont bien compris l'immense carte qu'ils avaient
entre leurs mains pour obliger le Gouvernement à céder sur presque toutes leurs
revendications.
(Protestations sur les travées socialistes.)
L'exemple le plus emblématique en la matière est également le plus récent.
Depuis le début, le Premier ministre avait annoncé que le rapatriement des
détenus corses sur l'île n'était pas envisageable.
Dès cet été, certains nationalistes avaient ironisé sur l'évolution du langage
lorsque le ministre de l'intérieur prétendait que ce rapatriement n'était pas à
l'ordre du jour, s'amusant du fait que, s'il n'était pas à l'ordre du jour, il
pourrait le devenir.
Forts de cette présomption, ils décidèrent de faire de ce rapatriement leur
principale revendication, d'autant qu'ils savaient que le Gouvernement était
prêt à presque tout céder pour les faire rester à la table des négociations.
(Nouvelles protestations sur les travées socialistes.)
Dès lors, cette revendication fut mise sous agenda. Dès le début du mois
d'août, à Corte, à l'occasion des journées annuelles, M. Talamoni annonça qu'il
demandait la libération immédiate de tous les prisonniers politiques corses et
au moins leur rapatriement en Corse.
Le Gouvernement refusa de céder. Qu'à cela ne tienne, les nationalistes
retirèrent en septembre leur soutien au processus de Matignon, qui perdit sa
raison d'être. Il fut orphelin.
Tant pis, il faut céder. Dès lors, cela nous amène au week-end dernier, où
vous-même, monsieur le ministre, annonciez à Ajaccio que vous aviez demandé au
garde des sceaux de créer en Corse « un secteur de détention pouvant accueillir
les condamnés à de longues peines ». Cette décision était tout à fait
maladroite au regard du chantage exercé par les nationalistes, qui obtenaient
une nouvelle fois gain de cause.
M. Jean-Pierre Bel.
Cela n'a rien à voir !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas ce qu'ils veulent !
M. Jean-Patrick Courtois.
Finalement, monsieur le ministre, vous vous êtes ravisé, prétendant que l'on
avait mal interprété vos propos, couvrant ainsi le Premier ministre, dont j'ai
peine à croire - avec M. Chevènement - qu'il n'ait pas été à la source de votre
initiative, à moins que vous n'ayez obtenu l'accord de M. Schrameck.
(Rires
sur les bancs du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ainsi, au fur et à mesure, le débat sur la Corse, sur fond de terrorisme et de
discours indépendantistes, a glissé dans cette dialectique : faut-il céder ou
non aux nationalistes ? Faut-il ou non plus d'autonomie pour l'île ? Imprégnés
de cette logique fallacieuse, il aurait été facile de se tromper de combat. Et,
de la sorte, lorsque nous avons débuté nos travaux au sein de notre commission
spéciale, la tentation était grande de balayer ce texte d'un revers de main.
Le choix était, en apparence, fort simple.
Premièrement, le préalable de la cessation de la violence imposé par le
Premier ministre comme condition
sine qua non
de la poursuite du débat
était-il respecté ?
Evidemment, nous en sommes loin, puisque les factions mafieuses pratiquent de
jour en jour la surenchère.
Deuxièmement, le texte en lui-même est-il acceptable dans la mesure où, pour
l'essentiel, les mesures préconisées sont contraires à la Constitution ?
Le Conseil d'Etat n'a pas manqué, à cet égard, d'exprimer les plus vives
réserves.
Dès lors, il aurait été facile et légitime de refuser l'examen de ce projet de
loi dans la mesure où les conditions du dialogue n'étaient par réunies et les
propositions faites anticonstitutionnelles. C'est la raison pour laquelle,
après ce long développement, je tiens à remercier avec la plus grande sincérité
le président et le rapporteur de notre commission spéciale, parce qu'ils ont su
poser les bonnes questions préalables.
Légifère-t-on parce qu'il y a des violences en Corse ? Non ! La violence ne se
légitime pas, elle se combat. On légifère parce qu'il y a une spécificité
corse, des difficultés naturelles, inhérentes à son insularité, à son
territoire, parce qu'elle est à la fois montagne et littoral.
On légifère parce que les Corses attendent de nous de vraies propositions, de
vraies solutions pour engager dans la sérénité son développement économique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il fallait le faire quand vous étiez au Gouvernement !
M. Jean-Patrick Courtois.
Je tiens à dire à ceux de mes collègues qui ont déposé une motion tendant à
opposer l'exception d'irrecevabilité que je comprends leurs motivations : comme
eux, je m'indigne que les conditions de l'arrêt des violences n'aient pas été
respectées et, comme eux, je ne me fais aucune illusion sur la prétendue
constitutionnalité des propositions du Gouvernement en la matière.
Cependant, si nous adoptions cette motion, nous nous enfermerions dans cette
logique trompeuse du Gouvernement que je me suis efforcé de dénoncer en en
démontant les rouages. Or, ce qu'il faut, c'est sortir de cette logique, et, de
ce point de vue, notre rapporteur nous a tracé la voie.
Une loi pour la Corse est nécessaire. Nos compatriotes corses ne
comprendraient pas que nous refusions ce geste simple qu'ils attendent de nous
en nous tendant la main.
Certes, le texte proposé est anticonstitutionnel et contestable en tous
points, mais il nous offre la possibilité d'engager un débat pour apporter à la
Corse les vraies réponses que lui a refusées le Gouvernement, celles qu'elle
est en droit d'attendre de notre Parlement
Or, en la matière, au-delà des effets de manche institutionnels que j'ai
dénoncés, des mesures urgentes s'imposent pour le développement social et
économique de l'île.
C'est la raison pour laquelle les collègues de mon groupe et moi-même sommes
particulièrement satisfaits par les propositions de notre commission
spéciale.
Nous abordons ce débat avec sérénité, parce que nous sommes sûrs que nous
serons entendus par les Corses, parce que les mesures que nous proposons sont
de bon sens et mettent l'accent sur les nécessités réelles du territoire -
j'entends le développement économique - car, ne nous y trompons pas, lorsque le
développement durable se sera installé, nous n'entendrons plus parler de
terrorisme ou de séparatisme.
Parce que ces idées se nourrissent de la précarité, en assurant le
développement économique de l'île nous garantissons aussi son attachement à la
République.
De ces quelques principes, clairement et fermement ancrés à l'esprit,
découlent évidemment la logique et le fondement de nos propositions pour la
Corse.
Ainsi, sur l'article 1er, nous n'avons pas choisi la démagogie.
Il aurait été facile d'accepter la délégation du pouvoir législatif et
réglementaire à la collectivité territoriale de Corse. Nous aurions développé
avec cynisme le bien-fondé de cette volonté décentralisatrice, tout en déposant
in fine
un recours devant le Conseil constitutionnel, qui n'aurait pas
manqué de déclarer anticonstitutionnel cet article, Nous n'avons pas cédé à
cette facilité, parce que nous savons que l'avenir de la Corse ne dépend pas de
cet effet d'annonce.
S'agissant de l'article 7 et de l'enseignement obligatoire de la langue corse,
nous refusons de nous laisser enfermer dans un débat manichéen entre ceux qui
seraient favorables à la défense de la culture régionale et ceux qui la
refusent.
Un sénateur socialiste.
Ce n'est pas le problème !
M. Jean-Patrick Courtois.
Notre propos en la matière n'est absolument pas ancré dans un républicanisme
d'un autre âge. Je suis, pour ma part, tout à fait favorable à l'enseignement
des langues régionales. Apprendre une langue dès le plus jeune âge est une
chance. Il est d'ailleurs prouvé qu'un apprentissage tel favorise ensuite
l'enseignement de toutes les autres langues.
La seule objection que nous soulevons, et nous rejoignons sur ce point la
position de notre rapporteur, est la nécessité de maintenir le caractère
facultatif de cet enseignement. En ce sens, la rédaction proposée par notre
rapporteur me semble plus protectrice du choix des parents que celle qui a été
adoptée par l'Assemblée nationale, même si nous partageons le même objectif.
S'agissant de l'article 12, nous sommes favorables au dispositif proposé par
notre commission spéciale. Il devenait évident qu'il était essentiel d'apporter
des réponses substantielles aux difficultés liées à la loi littoral. On ne peut
pas simultanément déplorer les limites du développement économique de l'île et
empêcher d'assurer ne serait-ce que son développement touristique. De ce point
de vue, toutes les personnes auditionnées ont attiré notre attention sur les
difficultés d'accueil qui se posent dans l'île et elles ont fini par nous
convaincre.
Ainsi, les réponses apportées nous semblent aller dans le bon sens,
puisqu'elles assureront tout à la fois le développement d'une urbanisation
limitée, mais essentielle, et la nécessaire garantie de la protection
environnementale du littoral corse. Déclarer inconstructibles des espaces qui
auraient été victimes d'incendie criminel ou dont l'origine demeurerait
inconnue est une garantie forte contre les velléités prospectives de certains
groupes mafieux.
Enfin, parce que nous pensons que les vraies réponses au développement de
l'île sont économiques, nous partageons tout à fait les vues de notre
rapporteur sur la nécessité de rendre plus attractif le dispositif fiscal et
financier de ce projet de loi. Ainsi, l'extension du crédit d'impôt, au taux
réduit de 10 %, aux secteurs exclus du bénéfice du taux de 20 % me semble
lisser le décalage susceptible de se créer entre les différents secteurs
d'activité. L'extension de la liste des secteurs éligibles au crédit d'impôt au
taux de 20 % procède de la même nécessité, celle de mettre le développement
économique au coeur de la réforme.
En outre, la sortie du régime de la zone franche en trois ans pour les
entreprises qui perdraient le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu
ou d'impôt sur les sociétés semble
a priori
plus à même d'aider les
activités économiques que le dispositif préconisé par le Gouvernement. Celui-ci
jette d'ailleurs trop rapidement la pierre à la zone franche.
En conclusion, mes collègues du groupe du Rassemblement pour la République et
moi-même nous réjouissons de l'examen de ce projet de loi sur la Corse. Si nous
ne partageons pas les vues du Gouvernement sur le volet institutionnel de ce
projet de loi, il nous offre une tribune dont nous ne nous priverons pas,
article après article, pour démontrer qu'il n'y a pas de fatalité à la
situation en Corse. Si nous prenons avec courage les mesures qui s'imposent
pour garantir son développement et aider son économie, bientôt la question
séparatiste ne se posera plus.
Nous voulons sortir par le haut de cette logique trompeuse qui oppose les
tenants de l'unicité de la République et ceux de l'autonomie, en proposant les
réformes qui s'imposent.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de
l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis
particulièrement ému de m'adresser à vous ce soir pour la première fois. Le
hasard du calendrier a voulu que ma première intervention dans cette Haute
Assemblée porte sur la Corse.
Je m'intéresse à la Corse tout simplement parce que je m'intéresse à la France
et à ses îles dispersées, ici en Méditerranée, ailleurs dans l'océan Indien ou
dans les Caraïbes. Ces îles possèdent une population, généralement très
majoritaire, qui doit se battre pour rester française. Figurez-vous que nous
devons souvent nous frayer un chemin et lutter contre une minorité agissante et
indépendantiste pour dire que nous sommes fiers de notre statut, et que nous
souhaitons garantir notre culture, nos droits à l'éducation, à la santé, à
l'épanouissement et à la reconnaissance de notre identité au sein de la
République française.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
Et c'est pour porter ce témoignage que je suis monté, ce
soir, à cette tribune et non pour donner des leçons à qui que ce soit.
Quelle est ma première remarque de vieux militant départementaliste ? Je note
que les départements français qui ont fait le choix de l'unité de la
République, mon cher collègue et ancien ministre de l'outre-mer, Louis Le
Pensec, que j'ai eu le plaisir de connaître et avec qui j'ai travaillé, ont
choisi l'unité dans le respect de la diversité. C'est vrai pour les
départements d'outre-mer et cela est traduit par l'article 73 de la
Constitution, qui précise que, compte tenu de notre situation particulière,
nous pouvons bénéficier de mesures d'adaptation sur les plans administratif et
législatif, mesures qui ne peuvent être prévues et votées par le seul parlement
français, j'y insiste, et qui ne peuvent donc être ni étendues ni déformées par
le biais d'un projet de loi concernant particulièrement la Corse.
Il s'agirait d'une fausse extrapolation de la situation des départements
d'outre-mer, d'un détournement de procédure non prévu par la Constitution, même
pour ces départements.
S'agissant des territoires d'outre-mer, il n'y a pas unité de Constitution, et
il n'y a plus du tout unité de législation.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh non !
M. Jean-Paul Virapoullé.
L'égalité n'existe plus dans les territoires d'outre-mer. Nous savons que
subsiste une mince barrière de corail constitutionnelle qui relie la Polynésie
française à la République. Nous savons que la Nouvelle-Calédonie, qui a
nécessité une réforme de la Constitution, a prévu d'évoluer vers
l'indépendance. C'est la raison pour laquelle cette assimilation ne peut être
tenue aujourd'hui pour vraie.
M. Philippe Richert.
Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Ma deuxième remarque concernant ce projet de loi traduit mon inquiétude. En
effet, lors de la réunion relative au processus de Matignon, tous les
partenaires ne regardaient pas dans la même direction : il y avait ceux qui
louchaient vers l'indépendance - ce sont les indépendantistes, que l'on appelle
« nationalistes » - et il y avait ceux qui, je le reconnais, souhaitaient la
reconnaissance de leur identité dans le cadre de la République. Comment
voulez-vous mettre en place un processus si les deux partenaires sont en
opposition totale quant à la finalité de ce processus ?C'est un TGV qui va
dérailler au premier virage...
M. José Balarello.
Bravo !
M. Jean-Paul Virapoullé.
C'est amplifier les erreurs passées. Voilà vingt-cinq ans que l'on met la
charrue devant les boeufs en Corse ! On légifère de façon exceptionnelle pour
la Corse, alors que l'on aurait dû prévoir un cadre général et y intégrer la
Corse de façon adaptée.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
J'aurais voulu que le processus de Matignon réussisse, monsieur le ministre.
Malheureusement, et je prends date ce soir, il va échouer, ce pour deux raisons
: ou bien l'excellent rapporteur, mon ami Paul Girod, a dit vrai et le texte
n'est pas conforme à la Constitution, c'est un marché de dupes ; ou bien - et
vous le savez très bien, vous avez une expérience que je n'ai pas - ce projet
de loi n'est pas applicable. En effet, pour mettre en oeuvre la procédure
d'habilitation, un an, voire un an et demi sera nécessaire. Et lorsque les élus
locaux dépasseront les limites de l'habilitation, le préfet de région ou les
instances européennes déposeront un recours qui bloquera le processus
d'adaptation. Dès lors, les indépendantistes diront qu'il est impossible de
travailler avec la France.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais si !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Ainsi se creusera le fossé dans les relations entre la mère patrie et la
Corse. Ce n'est pas l'objectif que se sont fixé la majorité des partenaires de
ce processus.
Voilà pourquoi, depuis vingt-cinq ans, avec les diverses mesures d'exception
que l'on a prises pour la Corse, on s'est chaque fois trompé de chemin : la
régionalisation avant l'heure ; les offices, véritable boîte de Pandore où, au
lieu de délibérer en public, on a rendu opaque, donc inefficace, la gestion des
deniers publics. Et n'oublions pas que, en 1991, on est allé plus loin que la
décentralisation en métropole, sans en avoir les résultats.
La voix de l'unité dans la République et de l'adaptation législative, voulue
par le Gouvernement et votée par le Parlement, est la voie raisonnable pour la
Corse et l'ensemble des îles qui composent les départements d'outre-mer.
N'allez pas d'exception corse en exception guadeloupéenne, puis en exception
martiniquaise ou réunionnaise ! Vous allez démanteler la République et
affaiblir la France ! Tel est mon deuxième témoignage.
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
J'en viens à ma troisième remarque : aujourd'hui, le processus de Matignon
n'apporte pas de garantie pour la Corse, pas plus qu'il n'apporte de garantie
de résultat. La majorité de la population en Corse l'a encore montré lors des
élections municipales : dans les deux plus grandes villes, Bastia et Ajaccio,
les maires qui ont été élus étaient majoritairement opposés au processus de
Matignon.
M. Jean-Pierre Bel.
Simon Renucci, le maire d'Ajaccio, était opposé au processus de Matignon ?
M. Jean-Paul Virapoullé.
Pas lui ! Celui qui a été élu après la démission du maire précédent, à la
suite d'une élection partielle. C'était un maire bonapartiste !
Mes chers collègues, l'autre danger de ce texte, c'est qu'il est contagieux.
On parle beaucoup de contagion en ce moment ! En l'espace d'un an, une
délégation de la Guyane est déjà venue déposer sur le bureau du Président de la
République et sur le bureau du secrétaire d'Etat à l'outre-mer un texte qui est
la copie conforme du présent projet de loi : il comporte un exécutif local et
une collectivité territoriale dotée d'un pouvoir législatif. En clair, la
collectivité dépense et l'Etat finance !
(Rires et applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ce n'est pas très compliqué et cela peut fonctionner !
(Nouveaux rires sur
les mêmes travées.)
La Guadeloupe a préparé son projet ; il est sur mon
bureau et il sera bientôt communiqué. La Martinique est également en train de
travailler dans ce sens.
Mais si nous continuons ainsi, nous allons non pas décentraliser, mais
démanteler. C'est la raison pour laquelle, comme l'ont dit Jean-Pierre Raffarin
et d'autres intervenants à cette tribune, il faut partir d'un cadre général
puis adapter tranquillement, en prenant le temps nécessaire, une nouvelle loi
de décentralisation dans l'ensemble des départements.
Il n'y a pas le feu, même si la tension règne en Corse. Voilà des années que
cela dure ! Ce n'est pas à la veille des élections présidentielles...
(Protestations sur les travées socialistes.)
Mais oui, mes chers
collègues, le remède est pire que le mal dans ce cas-là, vous le savez bien !
Quand le Conseil constitutionnel aura considéré que cette loi n'est pas
constitutionnelle, les indépendantistes crieront au scandale ! Lisez les revues
de presse qui paraissent aujourd'hui en Corse. Que disent les indépendantistes
? Ils ne viennent plus assister aux réunions. Ils n'accueillent plus le
ministre de l'intérieur. Ils sont déjà hors de ce processus que vous voulez
faire valider par le Parlement.
On est en plein marché de dupes et tout cela aboutira à une aggravation de la
tension.
C'est la raison pour laquelle j'estime que les amendements proposés par M. le
rapporteur sont des amendements de bon sens. C'est la raison pour laquelle je
n'attache pas une importance historique à ce processus. C'est la raison pour
laquelle je nourris un espoir dans une autre démarche beaucoup plus ambitieuse
et qui reposera, pour la Corse comme pour l'ensemble des régions françaises,
sur une décentralisation et une déconcentration équilibrées.
L'Etat est trop faible ! Plus on s'éloigne du continent, plus on a besoin d'un
Etat fort. C'est l'Etat qui doit montrer le chemin du droit ! C'est ainsi que
nous pourrons développer nos régions éloignées.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Pierre
Bel et Louis Le Pensec ont développé l'argumentation de notre groupe.
J'ai souhaité intervenir dans ce débat au Sénat pour deux raisons : d'une
part, j'apporte mon entier soutien au processus engagé depuis deux ans par le
Premier ministre Lionel Jospin et son gouvernement ; d'autre part, je tiens à
souligner, en parallèle, l'incidence de ce projet de loi sur le devenir de la
décentralisation pour l'ensemble des régions françaises.
L'histoire nous apprend que, pour sortir d'une crise d'identité nationale ou
régionale, lorsqu'au fil des années tous les moyens ont été mis en oeuvre sans
succès, la recherche d'un accord politique reste la seule voie pour sortir de
l'impasse.
Vous avez raison de souligner, monsieur le ministre, que la démarche a été
parfaitement transparente et que l'accord est ambitieux. J'ajoute qu'il est
démocratique puisque un dialogue s'est poursuivi entre le Gouvernement et tous
les élus de l'île qui ont voté et pris leurs responsabilités, en attendant que
les députés et les sénateurs prennent les leurs.
Si certains nationalistes, qui ont approuvé dans un premier temps la démarche,
font aujourd'hui un pas de deux pour s'en dégager, ce ne sont là que des
péripéties qui ne devraient pas remettre en cause la portée de ce qui se
joue.
Depuis des années, on entend des discours, parfois au Sénat, qui ne tiennent
pas compte des réalités. On n'a pas vu arriver le grand phénomène de la
décolonisation. On n'a pas vu arriver le problème de l'Algérie.
M. Josselin de Rohan.
C'était Guy Mollet !
M. Pierre Mauroy.
On n'a pas vu arriver bien des difficultés de cet ordre.
Ces discours, je les ai entendus dans ma jeunesse, et je me suis bien juré de
ne plus me laisser prendre au piège.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Jean Chérioux.
Heureusement qu'il y a eu le général de Gaulle !
M. Pierre Mauroy.
Que faire d'autre, d'ailleurs ? Depuis vingt-cinq ans, vous le savez bien, les
gouvernements successifs ont essayé d'enrayer la dégradation politique,
économique et sociale de la Corse. Les efforts réalisés sous les septennats de
François Mitterrand, dotant l'île, en 1991, d'un statut spécifique, ont permis
d'avancer, sans pour autant donner tous les fruits attendus.
M. Francis Giraud.
Pourquoi ?
M. Pierre Mauroy.
De retour au pouvoir, les gouvernements de droite ont officiellement opté pour
une démarche dite d'autorité, mais en négociant en sous-main, on le sait
maintenant, avec des groupes indépendantistes. Ils ont échoué. Et ceux qui ont
eu des responsabilités dans cet échec ne sont peut-être pas les mieux placés
pour s'opposer au projet du Gouvernement et nous indiquer une autre voie qui
conduira au même échec.
(Nouveaux applaudissements sur les travées
socialistes.)
La logique imposait donc le dialogue et la réforme. Cette démarche répond
d'ailleurs à l'attente des Français, continentaux et corses. Ne soyons pas
angéliques : subordonner l'engagement des discussions à la fin de la violence
aurait fait des terroristes les seuls maîtres du jeu et les arbitres de la
situation. Le Gouvernement, au nom de la légalité républicaine, n'a pas cessé
de poursuivre la répression des crimes et délits, et le Premier ministre a
affirmé avec force que l'amnistie n'a jamais été à l'ordre du jour.
Des oppositions, notamment dans cet hémicycle, contestent, sur le fond, la
possibilité d'adapter, même si cette adaptation est très encadrée, les normes
réglementaires et législatives aux spécificités de l'île. Ceux qui pensent que
ces dispositions constitueraient une sorte d'« offense » à la loi républicaine
doivent bien admettre que la République s'est toujours accommodée d'adaptations
spécifiques locales, qu'il s'agisse de l'Alsace-Moselle, des territoires
d'outre-mer ou de la Ville de Paris, sans que son caractère unitaire soit remis
en cause.
Plus généralement, le recours aux ordonnances constitue pour l'exécutif une
façon d'expérimenter. Qu'ai-je dit là ! « Expérimenter » ! Ce mot a plus cours
à droite qu'à gauche, d'ailleurs, et ne doit pas être employé à propos de la
Corse !
Quoi qu'il en soit, les ordonnances, disais-je, représentent pour l'exécutif
une façon d'expérimenter, sous réserve d'une ratification ultérieure par le
Parlement. Ce point est essentiel, car il s'agit bien ici de donner le dernier
mot au Parlement.
Je précise en outre que le statut de 1991 allait déjà dans ce sens, certes
dans une moindre mesure, et que la révision constitutionnelle qu'impose le
dispositif retenu pour être appliqué n'interviendra qu'en 2004, et seulement si
certaines conditions sont réunies, notamment le retour à la paix civile. Sur ce
point sensible, le Gouvernement a donc pris les précautions indispensables.
Par ailleurs, certaines dispositions sont contestées parce qu'elles
pérennisent des procédures ou des droits qui n'ont pas leur équivalent sur le
continent. C'est un autre point sensible. Mais n'oublions pas qu'un large fossé
s'était creusé entre la Corse et le continent pour ce qui est des législations
applicables, en particulier dans les domaines économique, fiscal et
successoral.
L'esprit du projet de loi est plutôt de rester ferme sur les principes, et de
supprimer dans le temps les dérogations au droit commun. Même s'il subsiste des
particularités, elles résultent - c'est essentiel - d'un dialogue, donc d'un
équilibre entre des positions qui, au départ, étaient très éloignées les unes
des autres.
En formulant ses propositions, le Gouvernement a tenu compte de ce dialogue,
comme il a tenu compte des différences qui pouvaient exister au départ entre
son point de vue et le point de vue de ceux qui étaient à sa table. C'est ainsi
! C'est comme cela que les choses se passent dans toute négociation ! Par
conséquent, les propositions du Gouvernement revêtent un caractère global qu'il
faut accepter, faute de quoi l'on risque de n'accepter rien !
Au-delà de ces exemples, Jean-Pierre Bel et Louis Le Pensec ont exposé les
arguments qui conduisent l'ensemble des membres des groupes socialistes du
Sénat et de l'Assemblée nationale à approuver le projet de loi qui nous est
soumis.
Le mérite de ce texte est de donner toutes les chances de réussite à une Corse
décentralisée et citoyenne. Elle en a besoin ! Et s'il est vrai qu'il y a des
privilèges en Corse, il y en a aussi en France continentale ! Mais une réalité
s'impose aussi : la Corse est un pays pauvre, sous-développé, mal équipé dans
son ensemble, qui n'a pas connu l'évolution moyenne des autres régions
françaises. C'est la réalité ! Elle requiert donc sur ces points un traitement
particulier, et c'est peut-être l'avantage de la décentralisation que de le lui
donner.
J'accueille donc ce texte comme la promesse pour la Corse d'un avenir plus
harmonieux, fondé sur la paix civile retrouvée et sur le développement
économique relancé. Ce sera une tâche très difficile, quels que soient les
gouvernements, et le Gouvernement actuel a finalement le mérite de s'y atteler
car, par certains aspects, elle est assez redoutable.
Mais j'accueille aussi ce texte comme une promesse annonçant ce grand débat
qui concerne non pas uniquement l'île de Beauté, mais la France dans son
ensemble : l'avenir institutionnel. Nous sommes très nombreux à penser que
notre pays n'entend pas devenir un Etat fédéral, mais souhaite conserver l'un
des principes fondateurs de la République - l'unité - qui ont fait de lui un
Etat centralisé.
Cependant, la centralisation a été poussée trop loin, ou, plutôt, elle a duré
trop longtemps, au point de donner des institutions françaises une image
rétrograde. Et tous ceux qui vont à l'étranger, qui fréquentent les conférences
internationales, savent comment les autres pays jugent maintenant nos
institutions, alors qu'elles nous ont longtemps été enviées.
Rien ne s'oppose aujourd'hui à ce que la République poursuive la mise en
oeuvre de ses valeurs dans une France décentralisée, qui retrouvera sur ce
plan-là toute son autorité. C'est ce qui a été entrepris en 1981, sous le
septennat de François Mitterrand et sous l'impulsion de mon gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. Pierre Mauroy.
A l'époque, on s'en souvient, le combat avait été frontal entre la gauche et
la droite. Il semble que la gauche l'ait emporté, puisque les rangs de ceux
qui, à droite, se prétendent aussi décentralisateurs que la gauche sont,
affirment-ils, aussi fournis que les nôtres. Tant mieux pour la
décentralisation !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Nous verrons cela au mois de janvier, lorsque nous reprendrons cette
question.
Je suis surpris, en participant à ces débats, de découvrir tant de « nouveaux
décentralisateurs » ! Ils sont quelques-uns qui, leurs amis ayant voté le texte
à l'Assemblée nationale, pensent devoir voter avec nous le projet de loi,
craignant sinon qu'on ne comprenne en rien leur discours ! Mais tous devraient
trouver aujourd'hui une bonne raison de soutenir le projet du Gouvernement.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
En effet, l'avancée spécifique qu'il réalise en matière de décentralisation
pour l'île devrait pouvoir inspirer demain un nouvel état d'esprit à l'égard
d'une décentralisation, nécessairement différente, sur le continent.
Je constate, monsieur le ministre, et je vous en remercie, que vous avez
repris de nombreuses propositions - souvent des propositions communes, au
demeurant - parmi les cent cinquante-quatre qu'avait retenues la commission
pour l'avenir de la décentralisation, que j'ai présidée.
C'est ainsi que l'on retrouve, dans le projet de loi relatif à la Corse,
celles qui concernent, notamment, les transferts de compétences dans les
domaines de la formation supérieure et de la recherche, de la formation
professionnelle, du développement économique ou des transports... Vous y avez
bien sûr adjoint certaines modalités spécifiques à la Corse, modalités qui ne
sont pas transposables et ne le seront sans doute jamais.
Il est vrai que, dans le même temps, vous avez déposé un projet de loi sur la
démocratie de proximité, texte qui a été voté en première lecture à l'Assemblée
nationale au printemps dernier et que nous discuterons ici, je pense, en
janvier prochain. Nous aimerions avoir confirmation de ce point ; mais sans
doute nous la donnerez-vous !
M. Pierre Mauroy.
Je pense que la marche vers la décentralisation n'est pas achevée en France et
que le gouvernement de Lionel Jospin a le souci de faire adopter une grande loi
de la décentralisation qui serait, en quelque sorte, le pendant de ce qui a été
fait en 1982-1983.
Je suis en effet convaincu que le débat est ouvert dans notre pays. La
décentralisation - massivement plébiscitée par nos concitoyens, qui sont
désireux de participer plus directement et plus activement aux décisions qui
les concernent dans leur vie quotidienne - sera l'un des thèmes forts des
campagnes pour l'élection présidentielle et les élections législatives de l'an
prochain.
La question corse s'intégrera en partie - mais en partie seulement - dans le
grand débat sur la décentralisation.
Vraiment, on ne peut pas être pour cette décentralisation - et vous êtes
nombreux à porter cette grande entreprise en vous - et rester aussi distant
vis-à-vis du projet que nous propose le Gouvernement. Il y a là une
contradiction, et elle n'est pas de ce côté-là de l'hémicycle, elle est chez
vous, messieurs de la majorité sénatoriale !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Richert.
Nous verrons !
M. Pierre Mauroy.
Et vous verrez que les Français et les Françaises s'en apercevront !
M. Philippe Richert.
C'est un fait !
M. Pierre Mauroy.
C'est pourquoi, mes chers collègues, le projet de loi déposé par le
Gouvernement, que le groupe socialiste approuve, est aussi l'occasion de
rappeler notre volonté de préparer le nouveau visage institutionnel de la
France dans les années à venir, celui d'une France moderne, renouvelée, ouverte
sur l'Europe et, enfin ! Vraiment décentralisée, avec, nous le souhaitons tous,
une Corse apaisée et prospère.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Philippe Richert.
Sur ce dernier point, je suis d'accord !
M. le président.
La parole est à M. Larcher.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été
quelque peu choqué par les propos de notre collègue M. Pierre Mauroy
établissant un parallèle entre l'Algérie et le débat d'aujourd'hui. La
situation me paraît tout à fait différente, et ce type de référence augure mal,
me semble-t-il, de notre volonté commune de conserver la Corse dans la
République.
(Applaudissements sur les travées du R.P.R.)
M. Jean-Pierre Bel.
Séparatistes !
M. Gérard Larcher.
Je voulais le mentionner en préambule, moi qui n'ai que très peu connu ces
événements dans mon enfance.
La discussion du projet de loi sur la Corse que nous avons engagée ne saurait
donner lieu à un simple débat politique de plus. Elle met en cause les
fondements de notre démocratie : l'égalité des citoyens, l'« empire » de la loi
et l'unité de la République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'Empire !
M. Gérard Larcher.
Elle nous confronte, à propos de la singularité, à un enjeu qui dépasse la
simple responsabilité politique et nous place tous devant un devoir d'Etat : la
Corse a-t-elle encore sa place dans la République et veut-elle vraiment la
conserver ? Pour ma part, je tiens à affirmer que oui.
La loi que nous préparons ne saurait en effet constituer une réforme de
circonstance, marquée par le dessein de pacifier, à l'approche d'importantes
échéances électorales, un climat tendu. Elle touche au fondement de la
République : la volonté de vivre ensemble et de partager des valeurs
essentielles.
Pour ces raisons - mais notre ami Jean-Paul Virapoullé l'a exprimé tellement
mieux que moi ! -, nous aurions compris que nous soit proposé un cadre global
autour duquel imaginer l'évolution institutionnelle de nos régions,
l'approfondissement de la décentralisation et la mise en place d'une vraie
déconcentration. Nous aurions alors pu nous prononcer en conjuguant unité et
diversité.
La question corse est posée depuis longtemps et, depuis vingt-cinq ans, nul
n'a su y répondre de façon satisfaisante. Mais les erreurs du passé, si elles
doivent conduire à examiner avec discernement les propositions qui nous sont
soumises, ne justifient pas pour autant certains choix du présent.
L'assentiment présumé de l'Assemblée de Corse au relevé de conclusions du 20
juillet 2000 ne me paraît pas constituer un « blanc-seing » délivré au
Gouvernement. Au demeurant, l'avis de cette assemblée, qui gère une
collectivité territoriale, a été exprimé sans que les membres qui la composent
aient pu amender le texte qui leur était soumis.
Ce « processus » a donc été placé dès l'origine sous le signe de l'ambiguïté,
comme l'a mis en évidence notre rapporteur : ni son objet ni ses modalités
n'étaient clairement définis, quoi qu'en dise le Gouvernement.
Travailler à améliorer le texte, sans inhibition ni provocation, telle est, me
semble-t-il, la démarche que nous proposent la commission spéciale, son
président, Jacques Larché, et son rapporteur, Paul Girod.
Cette démarche nous ouvre le seul chemin que nous puissions suivre, entre
pusillanimité des uns et activisme des autres.
Mes chers collègues, les Corses, comme leurs compatriotes du continent, me
paraissent attendre de nous non pas une gesticulation supplémentaire, mais une
réforme de fond globale.
Le texte qui nous est transmis s'inscrit dans la logique d'un processus qui,
commencé en septembre 1999, devrait se poursuivre en 2004. Souscrivons-nous à
cette démarche, notamment à ce rendez-vous de 2004 ?
Qu'il faille envisager de modifier la structure de l'économie corse par un
processus qui s'inscrit dans le long terme, qu'il faille envisager de renforcer
le rôle des entrepreneurs privés pour diminuer la part de l'emploi public et le
chômage, nul ne le conteste. Et sur ce point, nous adhérons aux propositions
qui nous sont soumises.
Pour autant, je tiens à souligner ici que la logique du processus de Matignon,
qui envisage d'ores et déjà une réforme constitutionnelle en 2004, est une
logique d'échec.
Le Gouvernement me paraît coutumier du fait. Il a déposé devant l'Assemblée
nationale un projet de loi qui, à l'évidence, contenait des dispositions non
constitutionnelles. Le texte transmis au Sénat est certes quelque peu corrigé
par rapport au projet initial, mais il n'en recèle pas moins de nombreuses
dispositions contraires à la loi fondamentale. Ainsi, monsieur le ministre,
vous entendez prendre prétexte de la censure attendue du Conseil
constitutionnel pour prouver qu'il faut modifier la Constitution afin de mener
à bien vos réformes ! Eh bien, dites-le !
Le calcul est peut-être habile, mais ne craignez-vous pas que l'autorité du
Conseil constitutionnel s'en trouve affaiblie ou contestée puisqu'il apparaîtra
comme le censeur des réformes et que d'aucuns le présenteront, une fois encore,
comme le refuge de je ne sais quel conservatisme et comme une instance
politique ? Vous feriez ainsi d'une pierre deux coups...
Pourquoi donc ne pas tenter dès à présent d'élaborer un texte conforme à la
Constitution ? L'article 73 de cette dernière nous laisse une certaine
latitude.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas l'article 73, c'est l'article 72
!
M. Gérard Larcher.
Pourquoi faire en sorte que la révision de 2004 soit inéluctable ? Qui
voulez-vous satisfaire en plaçant d'emblée le processus sous le signe de
l'échec ?
Le texte que vous nous présentez présuppose que l'on parviendra par la grâce
d'une énième modification du statut de l'île à apaiser la situation en Corse.
Ce postulat me paraît erroné.
Des améliorations techniques au statut existant sont sans doute nécessaires.
Pour autant, avant même de modifier les textes, il me paraît urgent de prendre
des dispositions incontournables, car nos concitoyens vivent non pas dans un
manuel de droit public, mais dans une île où des balles sont encore tirées
chaque jour.
Le Gouvernement doit donc continuer à lutter contre la violence, qui y est
endémique, et à combattre le crime organisé pour éviter le développement des
organisations et du syndrome mafieux sur l'île. On ne transige pas avec la
force, on ne cède pas à la voie de fait !
Face aux attentats, monsieur le ministre, que faites-vous sinon vous livrer à
une comptabilité savante de chacun de ceux qui surviennent, jour après jour,
pour démontrer en fonction de critères discutables qu'ils n'auraient pas un
caractère terroriste ! Un attentat reste un attentat, qu'il soit commis par la
pègre ou par des exaltés.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
C'est pourquoi le préalable de la cessation de la violence demeure
incontournable, de même que l'arrestation des assassins présumés d'un préfet de
la République !
Chacun sait au demeurant, puisque les principales conclusions du procureur
général Legras sont connues de tous, qu'il est impossible de démêler
l'inextricable écheveau du nationalisme, de l'affairisme et du banditisme. Les
promoteurs du « processus » et les bons apôtres du « dialogue » devraient aussi
méditer sur ce point.
S'agissant de la langue nationale et des langues régionales, j'observe que
même à gauche des divergences se font sentir.
M. Jean-Pierre Bel.
Non !
M. Gérard Larcher.
En témoigne l'action intentée devant le Conseil d'Etat contre les mesures de
généralisation des langues régionales par des organisations peu suspectes
a
priori
de sympathie pour la majorité sénatoriale.
C'est la preuve qu'il existe un vrai débat sur la place des langues régionales
dans notre République. Nous n'en ferons pas l'économie en adoptant des mesures
de circonstance examinées à la sauvette.
Le Président de la République avait raison, en 1999, en refusant d'engager une
révision constitutionnelle à la suite de la publication de la charte sur les
langues régionales. N'oublions pas, mes chers collègues, que la République
s'est construite sur des choix forts ! Si la République a écarté, voilà un
siècle, les parlers régionaux pour les cantonner, comme les choix religieux,
dans la sphère privée et dans le domaine du libre choix des familles, c'est
avec l'objectif de l'universalité des valeurs partagées au travers d'une façon
commune de s'exprimer et de les exprimer.
M. Jean-Pierre Bel.
On n'en est plus là !
M. Gérard Larcher.
Il est d'ailleurs assez étonnant que ce soient ceux qui se réclament de la
gauche républicaine qui accompagnent depuis une décennie le retour progressif à
la communautarisation, comme si la « laïcité historique » - dont une des
composantes est la langue - était inadaptée à la société d'aujourd'hui et
l'attribution de droits spécifiques aux communautés prises en tant que telles
la garantie d'une cohésion sociale renforcée. Il nous faudra bien avoir un
débat sur ces sujets,...
M. Jean-Pierre Bel.
On l'aura !
M. Gérard Larcher.
... car la décentralisation ne peut être le renforcement de la
communautarisation.
Dans un ouvrage publié récemment, M. Jean Glavany lui-même souligne que « la
solution du problème corse ne passe pas par un changement ou une modification
du statut de l'île »...
Quels motifs ont poussé le Gouvernement à adopter la position qu'il a choisie
?
Lorsque l'Assemblée de Corse a délibéré, le 10 mars 2000, sur les perspectives
de réforme ouvertes à la Corse, deux motions ont été adoptées ; elles ne
préjugeaient nullement le tour qu'allait prendre le processus de Matignon. Il
aurait été parfaitement concevable, à cette époque, de trouver une majorité qui
repose sur les partis et les principes républicains.
D'où vient, dès lors, que le Gouvernement ait choisi, par diverses
dispositions symboliques sur la langue corse, sur la dévolution d'un pouvoir
législatif à la Corse, de donner satisfaction aux séparatistes, aux «
indépendantistes », comme l'a dit M. Virapoullé ? A-t-il cru qu'en les
intégrant au processus il ferait cesser la violence ? Si tel est le cas, il
paraît se tromper !
Aujourd'hui, le soutien des factieux lui fait défaut et un pan essentiel du
texte - celui qui concerne la loi littoral - est presque unanimement
contesté.
Je reste convaincu qu'il faut libérer les esprits : nos compatriotes doivent
comprendre, sur l'île comme sur le continent, qu'il est possible de trouver une
solution au problème de la Corse et que les pouvoirs publics s'y emploient. La
solution ne pourra cependant résulter d'une gesticulation institutionnelle.
C'est d'abord par des mesures pratiques que nous sortirons de l'impasse, car il
s'agit - et je rejoins là M. Mauroy - de changer la vie quotidienne des
Corses.
Par-delà l'insularité et la violence, le problème principal posé à la Corse
demeure son développement économique.
Lorsqu'une université forme trois mille étudiants et que ceux-ci ne trouvent
pas assez de débouchés sur le marché du travail, on peut craindre des
conséquences politiques et sociales graves.
Lorsque l'on veut lancer un très grand programme d'investissements, alors même
que l'on ne facilite pas l'apparition de capacités d'ingénierie et de
construction sur l'île, on peut redouter que à l'instar de ce qui s'est passé
lors de l'arrivée des rapatriés d'Algérie, les Corses ne se sentent les
laissés-pour-compte du développement de l'île où ils vivent.
Telle est ma conviction : il est essentiel que les Corses ne soient pas les
premiers exclus du développement futur de l'île.
Celui-ci suppose, d'une part, que le problème de l'espace et de l'aménagement
soit résolu et, d'autre part, que des moyens publics soient dévolus à l'île
pour favoriser son activité économique.
En ce qui concerne l'aménagement de l'espace, il est tout d'abord essentiel de
doter l'île d'infrastructures de transport performantes, notamment
d'infrastructures portuaires et aéroportuaires. C'est davantage par des
investissements publics dans des routes et dans des ports que par des
modifications du code général des collectivités territoriales que l'on
améliorera les conditions de vie des Corses !
Une autre question mérite d'être posée : comment permettre une application «
éclairée » de la loi littoral en Corse ? Je ne reviendrai pas sur les
explications que le rapporteur, M. Paul Girod, a données dans son excellent
rapport. Celui-ci a le mérite de montrer qu'il est nécessaire d'accorder un
certain degré de liberté afin de permettre la réalisation de constructions en
Corse. Comment concilier cette nécessité avec la préservation de
l'environnement ? C'est ce qu'il nous appartiendra de définir au cours de nos
travaux. Il est plus difficile de proposer un système efficace sur ce point que
d'attribuer un pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse !
Le dernier volet, peu évoqué, permettra le rattrapage de l'économie corse ; il
tient aux modalités de sortie de la zone franche.
J'observe d'ailleurs qu'en 1996, à l'occasion du débat sur la zone franche, M.
Augustin Bonrepaux déplorait, devant l'Assemblée nationale, que « la zone
franche aggrave l'injustice fiscale » !
M. Jean-Pierre Bel.
Mais oui !
M. Gérard Larcher.
Aujourd'hui, nul ne conteste plus, dans les rangs de la majorité
gouvernementale,...
M. Jean-Pierre Bel.
Si, si !
M. Gérard Larcher.
... l'effet positif de la création de la zone franche sur la trésorerie des
entreprises. C'est une heureuse conversion !
Enfin, monsieur le ministre, qu'en sera-t-il du programme exceptionnel
d'investissements ?
Sur ce point, le projet de loi est curieusement silencieux. Permettez-moi de
m'étonner que le Gouvernement ait la prescience du caractère inévitable de
modifications constitutionnelles qui devront intervenir en 2004, alors qu'il se
révèle incapable de présenter un échéancier précis des crédits susceptibles
d'être mis en oeuvre au titre du programme exceptionnel d'investissements. Plus
que de lettres, c'est de chiffres que la Corse et les Corses ont besoin.
Mes chers collègues, notre responsabilité sera grande si nous mettons le doigt
dans un processus qui conduira à enfoncer un coin dans l'unité de notre
République, en laissant le champ libre aux Cassandre pour lesquelles les Corses
n'ont qu'à prendre leur indépendance s'ils la souhaitent.
Aujourd'hui, notre seule voie, notre seul choix est de suivre les propositions
de notre commission spéciale, qui a su allier les principes de l'unité à la
reconnaissance de la diversité. Souhaitons que, dans les mois qui viennent,
nous puissions discuter au fond de ce que pourrait être un pays moderne et
décentralisé qui serait en même temps une République « une et indivisible ».
A l'ère de la mondialisation, on trouvera refuge non pas dans des communautés
repliées sur elles-mêmes mais dans la croyance que nous formons encore un
peuple, divers dans ses origines, mais rassemblé par un « vouloir vivre »
ensemble autour de valeurs qui n'ont pas vieilli, celles de la République, de
valeurs dont la langue nationale est devenue le véhicule. Réfléchissons-y avant
de prendre des décisions circonstancielles.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux siècles
après la Révolution, donner davantage de pouvoirs aux régions et accepter de
rompre avec l'uniformisme jacobin, est-ce aller vers l'éclatement de la
République et vers le communautarisme ? Bien sûr que non, ...
M. Jean-Pierre Bel.
Très bien !
M. Philippe Richert.
... à condition de ne pas attenter à l'essentiel, à savoir le socle commun.
La solution passe par la décentralisation. C'est une nécessité si nous voulons
adapter nos institutions à l'évolution des besoins et des enjeux sociaux. Cela
signifie qu'il faut transférer de nouvelles compétences aux collectivités
territoriales, clarifier la répartition des responsabilités, permettre à l'Etat
d'assurer enfin des missions aussi primordiales que la sécurité, qui ne peuvent
relever que de lui, prendre en compte la diversité de nos territoires, en
engageant, avant toute généralisation, une expérimentation. Ce serait utile,
monsieur le ministre ! Voilà autant de pistes qu'il nous paraît essentiel
d'approfondir dans le cadre d'une décentralisation fondatrice d'un nouvel
équilibre institutionnel.
Que l'on cesse de prétendre que la République est en danger chaque fois que
les attentes spécifiques et les besoins avérés d'une région ou d'une autre sont
pris en compte.
Je ferai
a contrario
deux remarques.
Première remarque, voilà quelques semaines, dans ce même hémicycle, on nous
expliquait que la prestation spécifique dépendance avait le tort de varier
d'une centaine de francs d'un département à l'autre et qu'il fallait, pour
l'allocation personnalisée d'autonomie, atteindre un équilibre parfait. Là, il
ne faut donc pas faire de nuance, le Gouvernement et nombre de nos collègues
qui siègent sur les travées de l'opposition sénatoriale nous l'ont assez répété
! Il y a donc en fonction de la nature des projets de loi des changements
d'attitude que je regrette un peu.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Cela n'a rien à voir !
M. Philippe Richert.
Deuxième remarque, je tiens à rappeler que les modifications apportées à la
loi locale en Alsace-Moselle impliquent toujours l'intervention du
Parlement.
M. Pierre Mauroy.
C'est juste.
M. Philippe Richert.
Les modifications décidées à l'échelon local sont ensuite entérinées par la
loi, c'est-à-dire votées par le Parlement, avant de devenir notre droit local.
Je le précise parce que l'on cite parfois l'exemple de l'Alsace-Moselle en
méconnaissant le processus législatif.
Après cette première série d'observations, j'en viens à ce qui me semble être
aujourd'hui le problème : on a mis la charrue devant les boeufs.
On a voulu une loi spécifique au lieu de tracer le cadre général de la
décentralisation globale et approfondie que nous appelons de nos voeux, comme
l'a excellement rappelé M. Virapoullé.
Actuellement, nous abordons la décentralisation par petites touches...
M. Josselin de Rohan.
Très petites !
M. Philippe Richert.
... à propos, par exemple, de la démocratie de proximité ou de la Corse. Bref,
on procède par bribes. Ce que nous aurions souhaité, c'est qu'un vrai débat sur
la décentralisation s'engage, au cours duquel la Corse aurait pu, comme les
autres régions, faire valoir ses spécificités.
Je représente une région, l'Alsace, qui présente elle aussi des spécificités,
à l'instar sans doute de toutes les régions françaises. Nous devons pouvoir
étudier précisément, dans le respect de l'unité du territoire national, du
socle fondateur auquel nous sommes tous attachés et des valeurs qui nous
animent, les moyens d'être plus efficaces en tenant compte de la richesse
culturelle et des besoins spécifiques de notre région.
Mais, avec ce texte, de quoi s'agit-il ? On a le sentiment, peut-être infondé,
que l'on cède à la violence
(Murmures sur les travées socialistes)...
M. Jean-Pierre Bel.
Mais non !
M. Philippe Richert.
... et que, progressivement, mesure après mesure, on donne raison à ceux qui
sont à l'origine de cette violence. C'est cela qui est gênant !
(M. Dreyfus-Schmidt proteste.)
Cela étant, j'estime que le président et le rapporteur de la commission
spéciale ont formulé des propositions particulièrement intéressantes et
pertinentes pour faire évoluer ce texte. Elles permettent à la fois de donner
aux Corses les moyens d'agir pour leur avenir et de ménager des ajustements de
grande portée, dans le respect de la Constitution.
S'agissant par exemple des langues régionales, j'en pratique une chez moi au
quotidien, et il en va de même pour mes trois enfants.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A l'école !
M. Philippe Richert.
Non, d'abord en famille, ensuite à l'école.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Aussi à l'école !
M. Philippe Richert.
L'école intervient dans un second temps, et les collectivités locales,
notamment le conseil général et le conseil régional, jouent un grand rôle à ce
stade. Cela permet aujourd'hui à tous les jeunes d'apprendre la langue
régionale et d'approfondir son étude à l'école s'ils le souhaitent.
M. Jean-Pierre Bel.
Très bien !
M. Philippe Richert.
Cet enseignement n'est donc pas imposé à tous, mais ceux qu'il intéresse
doivent pouvoir en bénéficier, parce que cela participe du socle culturel
régional que nous avons le devoir de sauvegarder et de l'ouverture
intellectuelle qu'il faut garantir aux jeunes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Philippe Richert.
En matière de développement économique, en particulier touristique, les
propositions de M. le rapporteur me paraissent tout à fait sensées et
pertinentes. Il en est de même de l'initiative qu'il a prise dans le domaine de
l'environnement, en trouvant un moyen, peut-être imparfait mais tout à fait
remarquable dans sa conception, de permettre le développement du territoire et
de débloquer la situation tout en prévenant une gangrène progressive de
l'ensemble du littoral.
Je pense donc que le projet de loi, dans la rédaction qui sera issue de nos
débats, sera un texte de référence, un texte équilibré qui nous permettra de
nous retrouver tous autour de l'essentiel. Des nuances pourront par ailleurs
s'exprimer, mais je crois que faire confiance à l'esprit qui a animé le
rapporteur et la commission spéciale nous mènera dans la bonne direction.
J'espère que, au-delà des différences et des affrontements, lesquels sont
parfois nécessaires, nous pourrons nous réunir autour des valeurs que M. le
rapporteur a su rappeler.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole !...
La discussion générale est close.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, à l'issue de ce débat, qui a été riche et qui a retenu toute mon
attention, le sentiment dominant que j'éprouve est une certaine perplexité.
Cela étant, je voudrais tout d'abord remercier ceux qui ont marqué, avec
talent et force de conviction, leur adhésion à notre projet, perçu dans sa
globalité parce qu'il doit répondre à une question complexe qui s'est posée à
tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt-cinq ans.
Je pense bien sûr ici à Jean-Pierre Bel, à Louis Le Pensec, au Premier
ministre Pierre Mauroy et à Robert Bret, mais aussi à ceux des orateurs qui ont
fait preuve, dans leurs propos, d'ouverture et de mesure, notamment MM. Hoeffel
et Mercier.
Je voudrais également remercier, pour leur hauteur de vues, M. le président et
M. le rapporteur de la commission spéciale qui, ont étudié la question corse
sous tous ses aspects et se sont efforcés, en leur âme et conscience, de
proposer des solutions à tous les problèmes posés.
Cependant, j'ai éprouvé un sentiment de perplexité, ai-je dit, à l'écoute des
interventions de certains orateurs appartenant à la majorité sénatoriale, qui
estiment que nous faisons trop pour la Corse mais qu'il faudrait faire autant,
sinon davantage, pour l'ensemble des régions françaises. C'est un premier
paradoxe ! En outre, ils jugent aussi que nous consentons trop d'avancées en
direction des nationalistes, dont ils développent à l'envi les thèses,
propositions et exigences, faisant ainsi de ces derniers des acteurs centraux
du jeu politique, ce qui n'a jamais été l'approche retenue par le
Gouvernement.
Je reviendrai maintenant sur les points qui me paraissent essentiels, en les
regroupant par thème pour la clarté du propos. Dans la discussion des articles,
nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur les questions qui ont été
évoquées.
S'agissant tout d'abord du sens de la démarche, la question posée, comme je
l'ai déjà indiqué, n'est pas celle de l'indépendance : ce n'est ni le projet du
Gouvernement ni l'aspiration de l'immense majorité des Corses. Comment soutenir
alors, comme je l'ai lu ou entendu, qu'il s'agit de la pente inéluctable sur
laquelle ce projet de loi nous engagerait ?
Devant la situation complexe et difficile que tout le monde a reconnue et à
laquelle tous les gouvernements ont été confrontés depuis plus de vingt-cinq
ans, je vois au contraire dans l'immobilisme le véritable danger, celui d'une
République sans la Corse, contre la volonté des Corses.
En effet, la lassitude gagne certains de nos concitoyens du continent, nous le
savons bien.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Eh oui !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Prenons garde que cette lassitude ne devienne
pas rejet ! Il est de la responsabilité d'un gouvernement de tracer une
perspective. Permettez-moi à cet égard d'écarter une nouvelle fois la démarche
que certains, dans le passé, ont essayée : la négociation avec telle ou telle
faction.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Les cagoulards !
M. Josselin de Rohan.
Pierre Joxe !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Elle n'a été ni conforme aux principes
républicains ni garante de succès. On a même ainsi parfois pris le risque de
ridiculiser la République.
La réponse résiderait-elle alors dans l'application de la loi ? Certes oui, et
le Gouvernement s'y emploie : je peux affirmer que la loi est maintenant
respectée en Corse au moins autant qu'ailleurs.
(Rires et protestations sur
les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Bizet.
C'est vraiment curieux !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il reste à faire, car cette action doit
s'inscrire dans la durée, mais pourquoi la Corse devrait-elle être plus
vertueuse que d'autres régions et pourquoi ses élus seraient-ils moins
respectables que d'autres ?
Toutefois, l'application de la loi ne suffit pas quand celle-ci ignore les
spécificités et méconnaît les identités. Il revient à la loi de traduire la
reconnaissance des différences dans la République. Le projet de loi que vous
examinez aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, conjugue
reconnaissance, clarification et responsabilisation accrue des élus du suffrage
universel.
Ces élus ont été nos seuls interlocuteurs, au risque d'indisposer, certes,
ceux qui, un temps, ont été considérés comme des interlocuteurs légitimes, sans
avoir eux-mêmes jamais été élus !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ce risque, nous l'assumons, cela dût-il nous
valoir des tensions, car la République vit non pas seulement de principes, mais
aussi de leur mise en oeuvre.
A en croire certains, il nous aurait fallu exclure de ce dialogue les élus
représentant la sensibilité nationaliste, en oubliant qu'ils sont les élus du
suffrage universel.
(Murmures sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Bel.
C'est mieux que les cagoulards !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Les mêmes ne cessent pourtant de les mettre au
coeur du débat politique. Ils sont huit sur cinquante et un membres de
l'Assemblée de Corse, et huit sur les quarante-quatre qui ont approuvé le
relevé de conclusions proposé par le Gouvernement ; ils étaient singulièrement
plus nombreux à Tralonca !
M. Bernard Piras.
Très bien !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Pourquoi donc ignorer obstinément les autres
élus qui soutiennent ce projet ? Pour nous faire oublier qu'ils sont souvent
plus proches de la majorité sénatoriale que de la majorité gouvernementale ?
Vous voyez bien que le Gouvernement n'a pas une approche partisane de la
question corse. Il n'a rien à gagner, sauf à faire prévaloir l'intérêt
général.
Que dire enfin de ces citations insistantes des propos d'un nationaliste ayant
fait le choix de la violence, et disparu cet été ?
M. Josselin de Rohan.
Disparu comment ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Permettez-moi de ne pas en faire une référence,
peut-être parce que, pour ma part, je ne l'ai jamais rencontré...
M. Josselin de Rohan.
Moi non plus !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... et encore moins fait entrer place Beauvau
par la porte de derrière !
(Rires sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du
RPR.)
Je préfère souscrire sans retenue aux propos de ceux qui ont souligné, comme
je l'ai fait, le sacrifice de si nombreux Corses et la contribution de bien
d'autres au rayonnement de la France. A chacun ses références : pour ce qui me
concerne, je n'ai jamais eu de dialogue singulier avec des violents ou des
clandestins.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Evidemment, ils ne veulent plus vous voir !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Sur le fond de la démarche, j'ai entendu des
propos responsables et d'ouverture qui honorent leurs auteurs. D'autres n'ont
malheureusement pas résisté à la tentation de la caricature ni à celle d'une
déformation des dispositions du projet de loi, malgré le souhait qu'avait
exprimé M. le rapporteur.
Il y a, enfin, cette approche, que je qualifierai d'insidieuse, pour reprendre
un terme employé par M. le rapporteur : ce qui ne serait pas bon pour la Corse
serait urgent et indispensable pour l'ensemble des autres régions ; ce ne
serait ni le moment ni le meilleur endroit pour engager une démarche audacieuse
de décentralisation. En un mot, il serait urgent de ne rien faire en Corse et
pour la Corse !
M. Josselin de Rohan.
Les prisons !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je le dis avec solennité : quel que soit
l'avenir de la décentralisation dans notre pays, je suis sûr qu'il y aura
encore et toujours un statut spécifique pour la Corse.
M. Jean-Pierre Bel.
Bien sûr !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Certains, feignant d'ignorer les compétences
confiées aux élus de l'Assemblée de Corse depuis la loi de 1991, en appellent à
une consultation des Corses. Souvent défenseurs d'une application rigoureuse de
la Constitution, ils oublient, en proposant un référendum, que cette démarche
ne serait pas conforme à cette dernière.
M. Josselin de Rohan.
Personne n'a proposé cela !
M. Georges Gruillot.
Personne n'en a parlé !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ce référendum, vous le savez bien, serait
anticonstitutionnel.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan.
On le sait bien, personne n'en a parlé !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Si, mesdames, messieurs les membres de la
majorité sénatoriale, certains en ont parlé, ici ou ailleurs !
Il en est de même du recours à une dissolution de l'Assemblée de Corse, lui
aussi proposé, mais que la loi, vous le savez. réserve au seul cas d'un blocage
de son fonctionnement. Ce blocage n'existant pas, cette dissolution serait donc
illégale.
M. Jean-Patrick Courtois.
Qui a demandé cela ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Si des réformes d'importance ont été envisagées
sous condition en 2004, c'est justement pour correspondre avec l'échéance du
mandat actuel de l'Assemblée de Corse.
Par ailleurs, je rappelle que le Gouvernement s'est prononcé en faveur du
recours à la voie référendaire pour mener à son terme la révision
constitutionnelle qui sera alors indispensable. Le Gouvernement s'est ainsi
exprimé clairement tant sur le fond que sur la méthode. Reconnaissez qu'il est
bien le seul à l'avoir fait !
En outre, le projet de loi ne confère en rien un pouvoir réglementaire général
: il prévoit sa mise en oeuvre dans le cadre des compétences confiées par la
loi à la collectivité territoriale et dans des conditions précisément définies
par la loi.
Ainsi, vous avez pris pour exemple, monsieur le rapporteur, les dispositions
relatives au conseil des sites, mais tant la rédaction actuelle de l'article 9
que l'amendement déposé par le Gouvernement renvoient la composition de ce
dernier à un décret en Conseil d'Etat.
(M. le rapporteur fait un signe de
dénégation.)
Je tenais à vous le rappeler.
En ce qui concerne le volet fiscal, vous êtes nombreux, mesdames, messieurs
les sénateurs, à proposer un élargissement du noyau dur des secteurs d'activité
éligibles au crédit d'impôt. Je rappellerai tout d'abord que ces secteurs ont
été définis avec les élus de Corse. Ils l'ont été soit parce qu'ils
permettaient l'implantation d'activités nouvelles - technologie de
l'information et de la communication, par exemple -, soit parce que, déjà
présents dans l'île, ils avaient un effet d'entraînement sur l'ensemble d'une
filière. C'est l'exemple de l'hôtellerie, pour le tourisme. Pour le reste, la
novation d'un crédit d'impôt généralisé à taux différencié a bien pour objectif
de mobiliser les autres secteurs d'activité et de permettre à tous les chefs
d'entreprise de participer à ce nouvel élan économique.
Enfin, j'entends souvent dire que les entreprises vivent plus de leur activité
que des aides qu'elles reçoivent. Le programme exceptionnel d'investissement y
contribuera alors de façon décisive. C'est particulièrement vrai pour le
secteur du bâtiment et des travaux publics qui va connaître, dans les quinze
ans à venir, un taux d'activité lui aussi exceptionnel. Le contenu du programme
sera non pas arrêté unilatéralement par l'Etat, mais concerté avec les élus
concernés. C'est cela l'esprit de la concertation ! Le Premier ministre a
chargé le préfet d'engager cette dernière sans attendre, comme je l'ai annoncé
aux élus de l'Assemblée de Corse le 26 octobre dernier, à Ajaccio.
Permettez-moi enfin d'indiquer que je sens beaucoup d'entre vous plus
attentifs aux chefs d'entreprise qu'ils ne le sont - je le dis très franchement
à cette heure avancée - aux élus du suffrage universel. Je suis en effet étonné
du peu de confiance qu'un certain nombre d'orateurs témoignent à mes
interlocuteurs privilégiés en Corse : je pense au président du conseil
exécutif, M. Jean Baggioni, ainsi qu'au président de l'assemblée territoriale,
M. José Rossi, qui sont non pas mes amis politiques, mais les vôtres !
M. Jean-Patrick Courtois.
Et alors ?
M. Jean-Paul Virapoullé.
Et Simon Renucci ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je pense, bien sûr, au président du conseil
général de Haute-Corse, M. Giacobbi.
M. Josselin de Rohan.
Et Emile Zuccarelli, vous connaissez ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je pense au nouveau président du conseil général
de Corse-du-Sud, avec qui je dialogue, je pense au maire de Bastia, M. Emile
Zuccarelli, avec qui je dialogue également. Et je pense à M. Simon
Renucci,...
M. Josselin de Rohan.
Il n'est pas très d'accord avec vous !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
...le nouveau maire d'Ajaccio, qui est favorable
au processus.
M. Alain Joyandet.
Et vous pensez à M. Chevènement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Voilà des interlocuteurs élus en Corse par le
suffrage universel, chargés de fonctions exécutives et avec lesquels, bien
évidemment, je travaille. Et institutionnellement, il me revient, bien sûr, de
leur faire confiance. Je voudrais que cette confiance soit davantage
partagée.
M. Pierre Mauroy.
Très bien !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Vous êtes aussi nombreux à lier le sort de la
Corse à un mouvement général de décentralisation. Viendra le temps d'aborder
cette question. Après Pierre Mauroy, qui a eu raison de le dire, dois-je vous
rappeler à mon tour qu'une première étape de cette décentralisation a été
abordée à travers le projet de loi relatif à la démocratie de proximité,...
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan.
Que vous n'êtes pas prêt à nous présenter !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.
... que j'ai eu le plaisir de présenter à l'Assemblée nationale puisque Pierre
Mauroy et d'autres orateurs ont souhaité que je le dise, je saisis l'occasion
de rappeler, avec l'accord du ministre des relations avec le Parlement, que ce
texte est bien inscrit à l'ordre du jour du Sénat pour le mois de janvier.
(M. Courtois s'exclame.)
Ne doutez pas que, sur cette question de la décentraliton, nous ferons là
encore des propositions ambitieuses, car nous n'avons rien à craindre d'une
comparaison de nos bilans respectifs.
(Murmures sur les travées du RPR.)
M. Jean-Patrick Courtois.
Ah non ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
S'agissant de la Corse, pourquoi attendre ? Je
vous invite à mettre en oeuvre sans tarder les excellentes intentions qui ont
été ici évoquées en soutenant, sans le dénaturer, sans le réduire, le projet de
loi que nous vous proposons d'adopter.
Ce texte est particulièrement fondé sur la notion de responsabilité. Je pense
en effet que la responsabilisation des élus, notamment des élus de Corse, est
un élément déterminant. D'ailleurs, dans leur grande majorité, les élus, sur
tous les rangs - c'est notamment le cas de vos amis politiques, comme je le
rappelais à l'instant, ceux avec lesquels j'ai davantage l'habitude de
travailler - ont pris en Corse, à deux reprises, leurs responsabilités. J'ai pu
encore le vérifier lors de la réunion à laquelle je participais samedi 26
octobre. Il incombe maintenant au Parlement de prendre ses responsabilités,
comme je l'ai indiqué devant l'Assemblée nationale : les députés de la
République ont pris les leurs en adoptant le texte qui est soumis aujourd'hui
au Sénat ; je me permets donc de dire à la Haute Assemblée et à sa majorité
qu'il leur revient maintenant de prendre leurs responsabilités...
M. Josselin de Rohan.
On les prendra !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... face aux Corses et à l'ensemble des Français
sur ce sujet difficile pour tout le monde.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Exception d'irrecevabilité