SEANCE DU 6 NOVEMBRE 2001


CORSE

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la Corse.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Natali.
M. Paul Natali. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « il est encore en Europe un pays capable de législation ; c'est l'île de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériterait bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite île étonnera l'Europe. »
Ces propos élogieux et pleins de lyrisme n'ont pas été tenus récemment ; ils sont extraits du Contrat social de Jean-Jacques-Rousseau. Le temps passe, les mêmes questions demeurent. Deux siècles et demi plus tard, la Corse fait toujours couler beaucoup d'encre et suscite interrogations et polémiques dans notre débat politique national.
Pourtant, si les solutions ne sont pas évidentes, le coeur du problème corse, auquel beaucoup se sont heurtés, demeure simple et tient en un mot : développement.
Point n'est besoin d'être grand clerc ou sociologue chevronné pour comprendre que les difficultés économiques, le chômage, le désoeuvrement, le sentiment d'être assisté au lieu d'être encouragé sont des ferments propices à l'incompréhension et à la violence.
Ne voyez dans mes propos nulle justification d'une violence que j'ai toujours fermement condamnée ; j'ai simplement la volonté de chercher une explication à l'origine du mal afin d'y mettre un terme en y apportant des remèdes adaptés. Cela représente le souhait profond des Corses qui, dans leur immense majorité, veulent vivre dans la paix républicaine.
Aussi, tout ce qui peut contribuer au progrès économique et social de notre île doit être regardé avec la plus grande attention et le plus grand sérieux. C'est pourquoi il importe que le texte qui sera voté s'inscrive dans un processus de développement de l'île, processus qui doit être conçu et mis en oeuvre par les acteurs locaux. Tout doit être fait pour éviter des déconvenues et pour donner, dans un esprit de responsabilité et dans une optique future de partage équitable des compétences, ses meilleures chances à la démarche en cours, pour aujourd'hui et pour demain.
C'est cette vision des choses qui a conduit la commission spéciale du Sénat à proposer la mise en place de dispositifs incitatifs et clarificateurs qui vont dans le bon sens, et un grand nombre d'amendements, déposés par M. le rapporteur, me semblent particulièrement judicieux et porteurs d'espoir.
En fait, mon analyse du projet de loi repose sur une simple interrogation : qu'est-ce qui est bon pour la Corse, pour son devenir et pour son ancrage au sein de la République, dans le respect de son identité ?
De ce point de vue, j'ai noté avec satisfaction que la commission spéciale s'est attachée, dans un souci de prudence et sans a priori , à rendre les dispositions institutionnelles conformes à la Constitution.
Elle a su veiller cependant - et cela est essentiel - à consacrer dans la loi les spécificités de la collectivité territoriale qui mériteraient des adaptations du droit commun.
De ce point de vue, l'on ne peut que constater une volonté de progrès par rapport à ce qui existe ; en outre, cette approche nous garantit contre tout rejet pour non-conformité à la Constitution.
Sur ce point, enfin, rien n'est figé, car une modification de la Constitution pourrait, dans une étape ultérieure, conforter encore davantage les pouvoirs de la collectivité territoriale. Qui sait si l'on ne s'inscrirait pas alors dans un mouvement plus général dont on ne peut préjuger aujourd'hui ?
S'agissant de l'enseignement de la langue corse, de grands progrès restent à accomplir pour une meilleure diffusion de cet élément essentiel de notre culture. Ce qui compte véritablement, c'est la possibilité pour tous nos enfants scolarisés d'accéder sans réserve à cet enseignement. Cependant, le caractère facultatif de cet enseignement ne doit pas exonérer l'éducation nationale de ses obligations en la matière. Aussi, comme cela a été annoncé, tous les moyens matériels et humains nécessaires à l'apprentissage et à la pratique de la langue corse doivent être mis en place. Concernant l'article 12 du projet de loi relatif à la loi littoral, il est certain que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale n'était pas exempte d'imperfections. Elle ouvrait cependant la possibilité d'un réel développement touristique de l'île, tout en établissant de nécessaires garde-fous en matière de protection du littoral.
Il faut, en matière d'aménagement du littoral, mettre en avant, et de façon complémentaire, les notions de protection et de développement. Je suis résolument favorable à une large responsabilisation des élus locaux. Aussi, remettre en cause leur capacité de discernement serait contraire à l'esprit du projet de loi qui vise à leur donner une plus grande autonomie de décision.
Je pense réellement que des évolutions sont encore possibles sur ce point majeur qui touche un secteur essentiel de notre patrimoine. Il faut agir avec raison et mesure, et permettre d'organiser un véritable développement maîtrisé où le littoral occupera sa vraie place. Entre la sanctuarisation de ces territoires et une urbanisation anarchique, il existe des solutions acceptables par tous, respectueuses de nos richesses naturelles et porteuses de progrès. Que l'on nous fasse confiance pour les définir et les appliquer dans un esprit de cohérence et de complémentarité entre le bord de mer et l'intérieur de l'île ! De plus, le tourisme est notre seule industrie ; il est considéré aujourd'hui comme le moteur du développement insulaire. Il convient d'organiser le territoire de manière à favoriser des progrès indispensables en la matière.
Aussi, je suis au regret de devoir totalement me désolidariser de la commission spéciale s'agissant des amendements qu'elle propose à l'article 12. En effet, le dispositif conçu par notre ami Paul Girod me semble - j'espère qu'il me pardonnera cette appréciation - difficilement applicable, puisqu'il en ressort que seulement 10 % des zones proches du rivage seront urbanisables, et ce, de surcroît, à la condition que les 90 % restants soient cédés gratuitement au Conservatoire du littoral !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas mal !
M. Paul Natali. Cela serait considéré comme une véritable spoliation.
Pour comble, l'obligation lourde d'un plan d'aménagement et de développement durable spécifique à la Corse serait maintenue, alors qu'elle n'a de sens qu'en contrepartie des quelques libertés qui étaient accordées à l'île en matière d'aménagement du littoral pour son rattrapage économique. Aussi, je dois d'ores et déjà dire que je ne voterai pas la rédaction de l'article 12 telle qu'elle est proposée par M. le rapporteur.
Par ailleurs, un sujet particulièrement sensible touche aux portes d'entrée de l'île que sont nos ports et aéroports. En la matière, le projet de loi envisage le transfert des biens de l'Etat à la collectivité territoriale. Il est important que ce transfert s'opère dans des conditions de clarté et de façon prudente. Dès lors, il est souhaitable que des délais soient accordés de manière à éviter toute improvisation et à permettre une définition optimale des conditions de ce transfert sur les plans matériel et humain. Il faut notamment que la collectivité dispose de tout l'éventail de possibilités à même de lui ouvrir les choix de gestion les mieux adaptés.
Comme vous le constatez, mes chers collègues, j'ai placé mon intervention sur le registre des moyens à consacrer au développement de l'île. A ce titre, je me félicite des dispositions d'ordre fiscal proposées par le rapporteur. Elles constituent une évolution notable et une amélioration significative par rapport aux mesures votées par l'Assemblée nationale. Cela est vrai pour les entreprises, à travers le crédit d'impôt et la sortie de la zone franche ; cela l'est aussi pour les particuliers en matière de droits de succession.
Pour conclure, je dirai que les interrogations formulées au début de mon intervention me paraissent susceptibles de trouver dans les propositions de la commission spéciale des réponses plutôt positives. Même si le doute subsiste éventuellement dans nos esprits, il peut coexister avec un certain sentiment d'espoir.
L'essentiel me paraît préservé : l'ancrage de la Corse dans la République, le respect de l'identité insulaire, ainsi que les perspectives d'un développement harmonieux et d'un progrès partagé, dans l'apaisement des passions. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le ministre, chaque chose arrive en son temps, et cette législature arrive à son terme... (Sourires.) Une réelle ambition décentralisatrice ayant manqué au Gouvernement, il vous est aujourd'hui difficile de soutenir ce texte devant la Haute Assemblée !
Néanmoins, la décentralisation s'adresse à tout le pays, et la situation spécifique que connaît la Corse nécessite une prise en compte particulière. L'orateur principal du groupe de l'Union centriste, M. Daniel Hoeffel, a rappelé tout à l'heure notre position sur ce point : cette spécificité corse est, pour nous, fondée sur l'insularité de la Corse. Cela signifie que nous considérons la Corse non pas comme une sorte de laboratoire de la décentralisation, mais comme une situation spécifique à traiter de façon particulière, dans le cadre de la loi commune, c'est-à-dire de la Constitution de notre pays, qui s'impose partout. Si l'insularité fonde la spécificité, la Constitution, règle commune, doit s'appliquer sur tout le territoire de la République. Sans revenir sur ce qu'a dit M. Hoeffel à propos des réponses institutionnelles que vous proposez, je soulignerai toutefois leurs limites.
C'est la cinquième fois en vingt-cinq ans que le Parlement est amené à légiférer sur le problème corse. Cela doit nous conduire à une certaine humilité. Il n'y a probablement pas de texte institutionnel qui soit capable de prendre en compte les spécificités dont nous reconnaissons tous l'existence. La reconquête de la paix civile en Corse ne pourra donc résulter uniquement de réformes institutionnelles, si symboliques soient-elles. Elle ne pourra résulter que du développement de la Corse. C'est d'ailleurs ce que note aujourd'hui un membre du conseil exécutif de Corse M. Jean-Claude Guazzelli, dans un journal publié ce matin.
Quelle est la situation de la Corse aujourd'hui ?
C'est d'abord une région à démographie faible : la Corse ne compte en effet que 260 000 habitants. C'est ensuite une région dont l'économie demeure très largement insuffisante.
Avec un faible taux de natalité, la population est plutôt vieillissante. Certes, 40 000 personnes sont venues habiter la Corse ces dernières années, alors que 30 000 l'ont quittée, ce qui donne un solde positif, signe encourageant. Néanmoins, nous savons bien que, tant que la Corse ne comptera pas plus d'habitants, un certain nombre de problèmes ne seront pas résolus, quelles que soient les réformes institutionnelles proposées.
L'économie demeure faible. Le niveau de vie, en Corse, est inférieur à celui que l'on peut constater dans de nombreuses régions. Le produit intérieur brut par habitant est inférieur d'un quart à la moyenne nationale. Le tissu productif reste fragile dans un marché relativement réduit et, en termes d'emploi, il faut noter l'importance particulière de la fonction publique, qui, à elle seule, compte plus de 21 % des emplois, contre une moyenne nationale légèrement supérieure à 10 %.
Monsieur le ministre, c'est sur ces points que doit d'abord porter l'effort de la nation si nous voulons véritablement donner à nos compatriotes corses un espoir nouveau et leur permettre de vivre dans un cadre institutionnel rénové, qui prenne en compte les spécificités qui ont été soulignées depuis le début de cette discussion. Tant que ne sera pas consenti un effort majeur en faveur du développement économique, toutes les réformes institutionnelles seront vouées à l'échec. Et je dois dire que, de ce point de vue, les propositions que vous nous faites, monsieur le ministre, sont un peu insuffisantes !
Aussi, le groupe de l'Union centriste, auquel j'appartiens, apportera à M. le rapporteur son soutien pour toutes les mesures visant à amplifier le volet économique du projet de loi. Je pense notamment au dispositif juridique original et intelligent qu'il nous propose afin de favoriser l'éclosion du tourisme par une limitation de la construction le long du littoral. Je crois que c'est une très bonne mesure qui permettra de trouver un juste équilibre entre le respect des sites magnifiques de la Corse, qui sont naturellement un atout pour elle, et la nécessité de développer le tourisme.
Les propositions de M. le rapporteur en matière d'aide fiscale à l'investissement, propositions que vous avez reprises, monsieur le ministre, lors de votre voyage en Corse, sont la preuve que nous pouvons faire une partie du chemin en commun.
Enfin, les suggestions qu'il a faites s'agissant de la fiscalité des successions sont de nature à tenir compte, à la fois, de la réalité de la structure familiale de l'île et de la nécessité d'assurer une meilleure « liquidité » - si je puis dire - des terrains pour développer l'économie de Corse.
Bref, si l'on a beaucoup évoqué, au cours de cette discussion, le problème institutionnel - et c'est normal - il ne doit pas masquer une réalité sur laquelle l'élément juridique n'a que peu de prise : la population corse demeure trop faible, trop âgée, le développement économique de l'île est très insuffisant.
Monsieur le ministre, si l'on parvenait, grâce aux propositions que vous fait le Sénat et qui, pour la plupart, répondent à vos propres soucis, à aider la Corse à conserver ses habitants, à en attirer de nouveaux et à engendrer une économie plus florissante, plus attirante, un grand pas serait franchi qui rendrait possible, demain, une réforme qui, elle, pourrait être institutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Le Pensec.
M. Louis Le Pensec. Monsieur le président, monsieur le ministre, le projet de loi sur la Corse prévoit, dans son article 1er, des mécanismes grâce auxquels les textes législatifs et réglementaires applicables en Corse pourraient être adaptés aux réalités de cette île. Certains veulent y voir une atteinte à l'unité de la République, une mise en cause des principes fondamentaux qui nous régissent depuis la Révolution française, une sorte de sacrilège républicain.
De quoi s'agit-il ? Quels sont les constituants de ce forfait ? D'abord, le pouvoir réglementaire. Nous avons entendu de-ci de-là d'étranges affirmations dans cette enceinte : ainsi, l'article 21 de la Constitution disposant que le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire, il serait évident que les collectivités locales ne pourraient disposer d'aucun pouvoir de cette nature.
Mais, sans le savoir, comme M. Jourdain pratiquait la prose, les collectivités locales ne mettent-elles pas fréquemment en oeuvre un pouvoir réglementaire, dont le champ géographique est, certes, limité et qui est subordonné à la règle de droit supérieur - la Constitution - ainsi qu'à l'ensemble des lois, à l'ensemble des règlements pris à l'échelon national, mais qui est cependant bien un pouvoir réglementaire, puisqu'il permet de poser des règles générales. Lorsqu'une collectivité régionale définit un régime d'aide aux entreprises n'exerce-t-elle pas un pouvoir réglementaire ? (Protestations sur les travées du RPR.)
En réalité, depuis longtemps, la très grande majorité des juristes considère que les collectivités locales ont bien un pouvoir réglementaire.
Plusieurs sénateurs du RPR. Non ! Non !
M. Louis Le Pensec. Voilà qui prouve qu'il y a encore matière à débat, mes chers collègues ; l'article 1er nous en donnera l'occasion.
Ce pouvoir réglementaire, disais-je, la collectivité territoriale de Corse l'exerce donc normalement par les compétences qui lui sont dévolues dès lors que celles-ci lui permetttent de fixer des règles et pas seulement de gérer un équipement.
Les compétences nouvelles prévues dans plusieurs articles de ce projet de loi étendent le pouvoir réglementaire de la collectivité de Corse comme les articles du projet de loi sur la démocratie de proximité, dont nous débattrons en janvier, accroissent le pouvoir réglementaire des collectivités régionales dans leur ensemble.
La majorité sénatoriale serait-elle hostile à l'accroissement des compétences des collectivités locales ? J'ai parfois un doute lorsque j'entends avec quelle véhémence sont repoussées les extensions de compétences proposées pour la Corse.
Vous répondrez que vous êtes pour la décentralisation en général et contre celle de la Corse en particulier. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Plusieurs sénateurs du RPR. Non ! M. Louis Le Pensec. J'ai pourtant noté que, lorsque vous êtes en situation de responsabilité, vous fulminez aussi contre la décentralisation en général. (Nouveaux applaudissements sur les travées socialistes.)
Enfin, j'attends que l'on m'explique comment on peut être favorable à une plus grande décentralisation en refusant tout pouvoir réglementaire aux collectivités locales.
J'en reviens à l'article 1er.
Apparemment, le paragraphe I ne vous pose pas de problème. Comme dans le statut actuel, la collectivité territoriale de Corse peut proposer des adaptations réglementaires au Gouvernement.
En revanche, le paragraphe II semble vous remplir d'effroi. Selon ses termes, la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île pour la mise en oeuvre des compétences qui lui sont attribuées par la loi, sauf si sont en cause une liberté publique ou un droit fondamental.
Il y a de quoi frémir en effet ! Nous, parlementaires, pourrions autoriser l'Assemblée territoriale de Corse à prendre par délibération, dans le strict champ de ses compétences, des règles dérogeant à des décrets, selon l'habilitation, et donc dans des limites que nous aurions fixées ! On conçoit que cette perspective provoque chez certains d'entre nous un profond vertige.
Quant au paragraphe III, il provoque l'indignation. L'Assemblée territoriale de Corse pourrait demander au législateur l'autorisation d'adapter des règles législatives dans le champ de ses compétences et dans l'encadrement d'une habilitation ! Ces adaptations expérimentales devraient ensuite être approuvées par le Parlement, faute de quoi elles deviendraient caduques. En attendant, elles n'auraient qu'un caractère réglementaire. Je laisse aux juristes le soin de déterminer...
M. Jean Chérioux. Cela vaudra mieux !
M. Louis Le Pensec. ...si l'ouverture faite par le Conseil constitutionnel pour l'expérimentation par un établissement public est transposable aux collectivités locales, lesquelles, je le rappelle, ont des institutions désignées par le suffrage universel.
En tout cas j'espère, pour notre démocratie, que cela est possible. La rigidité de notre Constitution n'est compatible avec la vitesse d'évolution du monde que si le juge constitutionnel lui-même fait preuve d'imagination.
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas son rôle !
M. Jean-Jacques Hyest. Qu'il n'en fasse pas trop, ce serait « la fin des haricots » !
M. Philippe Marini. Il eût été intéressant que M. Badinter en parlât !
M. Louis Le Pensec. Je ne m'attendais pas à d'autres échos venant de vos travées, messieurs !
Comment ne pas voir qu'il ne s'agit que du prolongement, j'allais dire de la modernisation du dispositif déjà en vigueur ? Le statut actuel permet à l'Assemblée de Corse de demander des adaptations, ce qui est long, et, compte tenu de la surcharge de travail du Parlement, difficile. Le projet de loi qui nous est soumis permet à l'Assemblée territoriale, sous contrôle, de procéder elle-même à ces adaptations. Faut-il pour cela proclamer la patrie en danger ? (Exclamations sur les travées du RPR.)
D'autant que ce n'est pas vraiment nouveau. Certains voudraient nous faire croire que la loi est un absolu intouchable. Ce n'est pas le cas. La loi n'est pas tout à fait la même sur toutes les parties du territoire national. En Alsace-Lorraine, des aspects très importants de notre législation en matière de droit du travail, de sécurité sociale sont régis par des lois spécifiques.
M. Philippe Richert. Sous le contrôle du Parlement !
M. Louis Le Pensec. Pour ce qui est des relations entre l'Etat et les églises, nous sommes même, vraisemblablement, en situation de dérogation par rapport à notre Constitution.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est parfaitement vrai !
M. Louis Le Pensec. Dans les départements d'outre-mer, la loi est adaptée, comme le prévoit l'article 73 de la Constitution.
A Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte, collectivités particulières créées en vertu de l'article 72 de la Constitution - comme la Corse - certaines lois ne s'appliquent pas, même adaptées, et ce notamment en matière fiscale, domaine que l'article 34 réserve pour l'essentiel à la loi.
M. Paul Girod, rapporteur. La Corse n'est pas visée dans l'article 72.
M. Louis Le Pensec. Vous nous l'expliquerez tout à l'heure, monsieur le rapporteur !
Les territoires d'outre-mer, depuis 1946, bénéficient de la spécialité législative dans les domaines de compétences qui leur sont réservés : le Parlement de la République s'abstient d'intervenir et l'assemblée locale peut prendre des délibérations dans toute la matière concernée, même lorsque celle-ci relève en tout ou partie du domaine de la loi.
En Nouvelle-Calédonie, où j'ai eu à mettre en oeuvre, en qualité de ministre des départements et territoires d'outre-mer, les accords de Matignon de 1988, l'accord de Nouméa de 1998 a également créé la catégorie des lois de pays...
M. Jean-Jacques Hyest. Il ne faut pas comparer !
M. Louis Le Pensec. Si ! Je fais du droit comparé, car ces précisions sont utiles. Je n'ai pas dit qu'il fallait s'en inspirer !
M. Jean-Jacques Hyest. La Nouvelle-Calédonie n'est pas la Corse !
M. Jean Chérioux. C'est de la caricature !
M. le président. Mes chers collègues, laissons l'orateur s'exprimer ! Le long débat qui s'annonce vous permettra d'échanger à loisir vos arguments sur les divers thèmes qu'il vient d'aborder.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Louis Le Pensec. L'accord de Nouméa de 1998, disais-je, a créé la catégorie des lois de pays, délibérations particulières de l'assemblée locale qui ne sont soumises qu'au contrôle du Conseil constitutionnel, à la différence des autres délibérations des assemblées d'outre-mer qui sont soumises au contrôle de la juridiction administrative, c'est-à-dire au tribunal administratif et au Conseil d'Etat, et qui sont donc des actes de valeur réglementaire.
M. Philippe Marini. Pour cela, il n'y a pas besoin de référendum, il suffit d'adapter la Constitution !
M. Louis Le Pensec. Nous en sommes bien loin pour la Corse. Les auteurs du présent projet de loi ne proposent pas que l'Assemblée territoriale de Corse puisse intervenir dans des matières qui relèvent du domaine de la loi, selon la Constitution, dès lors qu'elles entreraient dans le champ de sa compétence : ils proposent seulement que le Parlement habilite au cas par cas l'assemblée locale à adapter certaines dispositions législatives existantes, sous son contrôle a posteriori.
Il s'agit donc d'introduire le minimum de souplesse rendu nécessaire par la situation particulière de la Corse. Qui oserait soutenir que la Corse n'est pas dans une situation particulière depuis des décennies, voire des siècles ?
M. Philippe Marini. Elle a toujours été une île ! (Sourires.)
M. Louis Le Pensec. Pensez-vous que son histoire, sa géographie, sa sociologie soient celles du Massif central ou de la Bourgogne ?
M. Jean-Patrick Courtois. Qu'avez-vous contre la Bourgogne ?
M. Louis Le Pensec. Pourquoi refuser de voir la réalité en face ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Louis Le Pensec. Pour certains, la Corse doit être similaire à l'Anjou ou elle doit se soumettre, c'est-à-dire sortir de la République. Plutôt l'exclusion que la reconnaissance des différences ! C'est la logique d'une certaine République jacobine à laquelle je ne souscris pas.
M. Pierre-Yvon Trémel. Très bien !
M. Louis Le Pensec. Ouvrons les yeux sur l'Europe et regardons au-delà des frontières : toutes les îles en Europe, sauf la Crète, ont un statut plus décentralisé que celui des régions de droit commun du pays auquel elles appartiennent, que celui-ci soit fédéral ou décentralisé.
En Italie aussi, la Sardaigne peut prendre des actes dans des domaines que la Constitution italienne réserve à la loi, pour tenir compte de ses spécificités. La Sardaigne est-elle sortie de l'Italie ? Au contraire, cette île, qui connaissait la violence, est apaisée et son développement économique - certes avec une masse critique de population et une superficie supérieures à la Corse - semble plutôt engagée sur une bonne voie.
On ne peut à la fois crier à l'irresponsabilité des Corses et refuser qu'ils puissent prendre leurs responsabilités en toute connaissance de cause et sous le contrôle du Parlement ! On ne peut pas crier « décentralisation, décentralisation, décentralisation » et, dès qu'il s'agit de donner davantage de compétences à une collectivité - dont vous ne pouvez nier les particularismes - les lui refuser. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
Non, ce projet de loi ne compromet en rien l'unité de la République. Il solidifie, au contraire, notre Etat républicain en permettant que des régions singulières - et la Corse en est une - voient leurs spécificités reconnues, y compris au plan institutionnel.
L'égalité, a-t-on dit, n'est pas l'uniformité. Appliquer la même loi et la même règle à des situations différentes ne favorise pas l'égalité, mais creuse les inégalités.
L'autonomie du pays de Galles et de l'Ecosse a-t-elle compromis l'unité de la Grande-Bretagne ? Cette nation n'est-elle pas unie sur des valeurs - c'est l'essentiel - suffisamment solides pour intégrer les différences ?
En illustration de l'adaptation des normes, je voudrais évoquer la question du littoral.
Avec l'article 12, on a voulu voir une ouverture à la constructibilité sans frein du littoral corse, on a laissé entendre que la loi littoral ne s'appliquerait plus. Rarement une réalité complexe aura été à ce point caricaturée !
Pour avoir contribué, dans les années quatre-vingt, à la préservation définitive de dizaines de milliers d'hectares en Corse en ma qualité de président du Conservatoire du littoral, je souhaite que le débat sur cette question s'engage sur des bases plus objectives.
Le littoral corse, resté à 70 % à l'état naturel contre 4 % seulement dans les Alpes-Maritimes, obéit aujourd'hui à un certain nombre de protections. Ainsi, toutes les communes du littoral, soit 90 communes sur 360, sont soumises aux lois littoral et montagne. Outre l'application du premier de ces deux textes, ce littoral a fait l'objet de nombreuses protections au titre des législations et réglementations relatives aux sites : sites classés ou inscrits, réserves naturelles, arrêtés de biotope, parcs naturels régionaux, et la liste n'est pas exhaustive.
Par ailleurs, sur les 1 000 kilomètres du littoral corse, un peu plus de 200, soit presque 21 %, appartiennent au conservatoire de l'espace littoral et sont donc soustraits à tout jamais à l'urbanisation.
La protection de ces terrains, propriété du conservatoire, comme l'ensemble des protections instituées sur le littoral corse ne sauraient être remises en cause ni par les possibilités d'adaptation conférées à la collectivité territoriale de Corse par la loi littoral ni par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse.
Le dispositif prévu interdit donc tout aménagement au coup par coup et impose une vision d'ensemble préalable, permettant de garantir l'équilibre, que l'on soulignait tout à l'heure, entre protection et développement.
Le plan d'aménagement et de développement durable, comme tout document d'urbanisme, sera soumis avant son approbation à de nombreuses consultations, à débat public et à enquête publique. Il sera également soumis au contrôle de légalité du préfet et du juge administratif.
Ce n'est que dans le cadre du plan d'aménagement et de développement durable et par une délibération spécialement motivée que la collectivité territoriale de Corse pourra apporter des adaptations à la loi littoral, sur des secteurs dont elle devra justifier l'identification.
Ces adaptations sont strictement encadrées soit par la loi littoral elle-même, soit par le présent projet de loi.
S'agissant de la compétence réglementaire conférée à la collectivité territoriale de Corse en matière de la fixation de la liste des espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables, il y a lieu de préciser que cette liste est déjà très largement définie par l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme. Un amendement de notre collègue Michel Charasse encadre d'ailleurs plus strictement encore cette adaptation.
Quant à la possibilité d'adaptation dans la bande littorale des cent mètres, elle s'applique non pas à toutes les plages, mais à celles où existe un conflit d'usage entre la fréquentation touristique et la préservation de l'environnement.
Elle prévoit la réalisation d'aménagements légers et des constructions non permanentes destinées à l'accueil du public, excluant toute forme d'hébergement.
Cette possibilité ne pourra être admise que si elle est compatible avec la préservation de l'environnement et si elle respecte les paysages et les caractéristiques propres aux sites où ces aménagement et constructions seront réalisés.
Elle sera soumise à la délivrance d'un permis de construire prévoyant les dates de montage et de démontage, ainsi qu'à une enquête publique.
Cette possibilité d'adaptation ne saurait conduire à remettre en cause les protections aujourd'hui édictées ou celles qui résulteraient du plan de développement et d'aménagement durable, en particulier les espaces et milieux protégés au titre de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme.
Elle permettra, en outre, de soumettre à autorisation et contrôle des constructions qui existent déjà en toute illégalité et hors de toute organisation sur de nombreuses plages, afin de les encadrer, voire de les interdire.
S'agissant, enfin, des possibilités d'extension de l'urbanisation non situées en continuité des urbanisations existantes ou non constituées en hameaux nouveaux, celles-ci ne pourront être opérés qu'en dehors de tout espace protégé.
Je ne saurais contester à notre rapporteur le mérite d'avoir creusé une piste un peu novatrice en prévoyant l'intervention du conservatoire de l'espace littoral, et la discussion des articles nous donnera sans nul doute l'occasion de souligner non seulement ce mérite mais aussi toutes les limites d'un tel recours.
D'une façon générale, et au nom du principe de l'indépendance des législations, ni le plan d'aménagement et de développement durable ni les adaptations à la loi littoral que ce plan pourrait contenir n'ont le pouvoir de remettre en cause des protections aujourd'hui existantes et émanant de l'application de dispositifs législatifs ou réglementaires particuliers. Ils ne peuvent, par exemple, ni déclasser ni « désinscrire » des sites classés ou inscrits, ni abroger des dispositions visant à protéger des réserves naturelles.
De même, ni le plan d'aménagement et de développement durable ni les adaptations à la loi littoral ne sauraient aller à l'encontre de protections ayant leurs sources et fondements dans des dispositifs extérieurs au droit interne, qu'il s'agisse, par exemple, de directives européennes telles que Natura 2000 ou de conventions de droit international telle la convention de Ramsar sur les zones humides.
Les adaptations normatives prévues par le projet de loi sont rendues nécessaires par la superposition sur un espace réduit des dispositions des lois littoral et montagne.
Des améliorations peuvent, certes, être apportées au projet du Gouvernement. Cela étant, je préfère des règles exigeantes mais applicables à des règles inappliquées. Or, faute que les schémas prévus aient pu être mis en oeuvre, l'aménagement du littoral corse est bloqué, alors que certains aménagements limités amélioreraient la situation d'un littoral figé plus que protégé de manière dynamique.
Il m'apparaît qu'un équilibre a été recherché dans le projet de loi entre l'encadrement permettant de garantir le respect des principes fondamentaux de la loi littoral et la marge d'appréciation laissée à la collectivité territoriale de Corse pour adapter le cadre juridique aux spécificités locales. L'expérience m'autorisait, me semble-t-il, à porter une telle appréciation.
En conclusion, monsieur le président, je voudrais redire combien je suis frappé par cette sorte d'effroi qui saisit certains à l'idée que l'organisation de la France pourrait ne pas être exactement la même dans toutes les parties du territoire.
Rien de ce que le présent projet de loi prévoit pour la Corse ne menace évidemment l'unité de la République. C'est la rigidité, le culte de l'uniformité, le refus des adaptations qui la menacent.
M. Roger Karoutchi. Pas du tout !
M. Louis Le Pensec. Le projet du Gouvernement est bon pour la Corse. Admettre cette singularité, c'est déjà faire un grand pas et commencer à reconnaître que la France a une histoire et que son organisation territoriale ne relève pas de la géométrie.
Parce que j'aime la Corse française, je sais qu'elle a droit à la reconnaissance de son identité. La lui nier, c'est manquer de confiance en elle et dans la France, c'est douter de nos valeurs communes et donc, à terme, menacer cette appartenance. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d'abord rassurer M. Le Pensec : moi, j'ai entendu les différents orateurs, j'ai entendu M. le rapporteur - dont l'intervention a été d'une qualité tout à fait exceptionnelle -...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Celle de M. Le Pensec aussi ! j'ai entendu notre ami Jean-Pierre Raffarin, notre ami Josselin de Rohan, notre ami José Balarello, j'ai entendu M. Daniel Hoeffel, et, nulle part, je n'ai perçu cette crainte de ne pas voir respecter une certaine différence.
M. Jacques Blanc. Je suis donc un peu déçu par l'intervention de M. Le Pensec.
Cela étant, je vais vous faire une confidence, monsieur le ministre : j'ai participé à la discussion de ce texte à l'Assemblée nationale, et j'ai voté votre projet de loi, après avoir, à la suite de certains de nos amis courageux mais qui n'ont parfois pas été compris - je pense à Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse, ou à José Rossi, président de l'Assemblée territoriale de Corse - essayé d'y trouver des motifs d'espérance. Il fallait en effet apporter à la réalité française corse des réponses positives. Et, si l'une des caractéristiques de cette réalité est que le territoire corse est peu peuplé, ainsi que M. José Balarello le rappelait, permettez au sénateur qui représente ici un département de 73 000 habitants de dire qu'il l'est quand même beaucoup plus que le sien.
Je pense donc, monsieur le ministre, que vous avez, ce soir, avec ce débat, une chance formidable : ne la gâchez pas !
Le Sénat, grâce à la qualité du travail de la commission spéciale et de son rapporteur, a ouvert la voie pour balayer les ambiguïtés, écarter les dangers d'anticonstitutionnalité et répondre aux légitimes aspirations de tous ceux qui croient à des avancées nouvelles de la décentralisation.
Dans ce siècle, on peut l'affirmer, l'unité, l'unicité de la République passera par des avancées nouvelles de la décentralisation.
Il ne s'agit pas pour autant de tomber dans un système fédéral, ni même dans un système d'autonomie. Il s'agit d'inventer un dispositif purement français, une vraie décentralisation accordant un rôle plus important aux régions.
Que nos amis des départements ne soient pas irrités par mes propos, je ne parle pas contre eux ; je demande simplement le transfert de vrais pouvoirs de l'Etat aux régions. Les départements sont indispensables pour assurer l'équilibre sur notre territoire, et les communes, elles aussi, doivent exercer pleinement leurs responsabilités.
Monsieur le ministre, je me permets maintenant de dire - cela va peut-être en choquer ou en étonner certains - qu'il n'y a pas de fossé insurmontable entre les positions de l'Assemblée nationale et celles du Sénat. (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je vais le prouver en relevant quelques points précis.
J'ai entendu dire : à l'article 1er, on ne remet pas en cause la Constitution,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a pas besoin de la remettre en cause !
M. Jacques Blanc. ... on va transférer un certain nombre de pouvoirs.
Mais, mes chers collègues, notre rapporteur a fait une proposition formidable à cet égard : des lois à application différenciée selon les territoires. Cette idée mérite d'être creusée.
Notre collègue Jean-Pierre Raffarin a, quant à lui, évoqué la possibilité de déléguer des pouvoirs réglementaires grâce à un dispositif qui respecte à la fois notre Constitution et votre volonté, monsieur le ministre.
Si vous êtes honnête - vous voyez bien que je ne fais de procès d'intention à personne mais je demande qu'on ne nous en fasse pas non plus !...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Votez donc le texte de l'Assemblée nationale !
M. Jacques Blanc. ... vous conviendrez qu'il existe des réponses sans toucher à la Constitution. Il est possible, en effet, d'adapter la loi et de déléguer le pouvoir réglementaire, si nécessaire.
Chacun s'aperçoit que la loi littoral, quand elle est appliquée brutalement, crée des blocages non justifiés. Sans remettre en cause la nécessité de protéger notre environnement et sans contrecarrer la volonté exprimée par un certain nombre d'associations de défense du littoral, il est possible d'aménager cette loi.
Monsieur le ministre, si vous écoutez le Sénat sur ces points, les sujets de discorde tombent. Au lieu de se bloquer dans un système d'opposition, suivons la voie positive, celle qui permet de régler vraiment les problèmes.
Pour ce qui est de la langue, permettez au président de la région Languedoc-Roussillon, qui croit en l'avenir de l'occitan et du catalan, de dire qu'il existe une réponse simple et qui donne satisfaction à tout le monde. Il suffit d'accepter le libellé du Sénat, qui correspond à ce qui a été dit à l'Assemblée nationale : ne rendons pas obligatoire l'enseignement de la langue corse, permettons simplement aux familles qui le veulent d'en faire bénéficier leurs enfants, dès l'école primaire ou ultérieurement.
La connaissance d'une langue régionale, c'est un atout dans la vie. N'ayons pas une vision frileuse sur cette question. Ces langues régionales, ces langues dites minoritaires enracinent, mais, elles permettent également de s'ouvrir au grand large sans perdre sa propre personnalité.
Je crois très profondément qu'il faut offrir cette possibilité aux jeunes Corses, aux jeunes du Languedoc-Roussillon, aux jeunes Bretons. Notre collègue M. de Rohan a eu des mots très forts à l'appui de cette thèse.
Ce n'est pas aller contre la langue française, ce n'est pas tendre vers un repliement sur soi que de permettre à des jeunes d'étudier ces langues qui font partie de nos racines, de notre culture.
Pour lutter contre la peur de la mondialisation, la meilleure réponse, c'est l'enracinement, ce qui ne signifie pas le repliement sur soi-même. Parallèlement, je crois en l'Europe, je crois que l'Europe peut nous aider à maîtriser des phénomènes mondiaux.
Dans ma région, je fais partie de ceux qui paient pour que ces langues soient enseignées. Pour moi, ce ne sont pas des langues mortes. Ces langues sont bien vivantes, elles font partie à la fois de notre patrimoine et de notre avenir.
La formulation proposée par notre rapporteur est donc formidable. Elle correspond d'ailleurs à ce qui a été dit à l'Assemblée nationale, ou alors on nous a trompés ! Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Bizet. Ce n'est pas impossible !
M. Jacques Blanc. Peut-être ai-je été abusé ! Le temps passe, et je suis encore naïf. Mais le Sénat m'apporte la sérénité et la capacité de prendre du recul !
J'ai aussi beaucoup entendu parler - et je ne doute pas que M. Mauroy tiendra le même langage - du besoin d'aller bien plus loin dans la démarche globale de décentralisation : ce que nous allons faire pour la Corse, il faut le faire pour l'ensemble des régions. (Murmures sur les travées socialistes.)
C'est ce que j'avais dit, à l'Assemblée nationale avec notre collègue M. Jean-Claude Etienne, qui, lui aussi, est maintenant sénateur. Nous avions alors déposé des amendements et vous nous aviez précisé, monsieur le ministre, que vous étiez d'accord pour préparer un texte. Je n'ai rien vu venir de ce côté-là, mais je ne désespère pas !
Peut-être suis-je naïf, je le répète, mais j'ai encore l'espérance ; en tout cas, j'ai confiance en ce débat au Sénat, dont la qualité n'échappe à personne.
M. Josselin de Rohan. Non !
M. Jacques Blanc. Chacun peut, en effet, mesurer ce que le Sénat apporte à la fois en prenant de la distance par rapport à des positions un peu trop partisanes et en étant capable de se projeter dans l'avenir. C'est un moment exceptionnel.
Monsieur le ministre, en préambule de votre propos vous avez évoqué le problème des prisons. Vous me permettrez de dire que ce n'est pas la meilleure manière de répondre aux attentes de tous ceux qui, en Corse, comme en métropole,...
M. Philippe Marini. Sur le continent !
M. Jacques Blanc. Sur le continent, vous avez raison ! Je devrais davantage préparer mes discours ! ...
Si je me laisse ainsi aller à improviser, c'est parce que j'espère très profondément, monsieur le ministre, que, grâce à ce débat, grâce à la qualité du travail et de toutes les interventions, quelles qu'elles soient, vous pourrez sortir de l'impasse et élaborer une loi dont personne ne mettra en cause la constitutionnalité.
Vous répondrez ainsi à l'attente vraie des populations qui aspirent à un développement durable, au respect du principe de la subsidiarité tandis que seraient lancées les prémisses d'une démarche globale de décentralisation.
On verra ainsi combien le rôle du Sénat est essentiel, car il permet de rééquilibrer des démarches qui nous avaient parfois surpris. (M. Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Je le dis d'autant plus volontiers que je vous fais confiance. Je voudrais, demain, pouvoir m'en réjouir. Je voudrais pouvoir dire : M. le ministre de l'intérieur a écouté le Sénat, il a emprunté le bon chemin, balayé les malentendus et permis d'avancer pour la Corse... française. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute autre chose, je voudrais remercier le président de notre commission spéciale, M. Jacques Larché, et notre rapporteur, M. Paul Girod, parce qu'ils ont su ouvrir pertinemment la voie à notre travail parlementaire en posant « la », ou, plus précisément, « les » bonnes questions.
En effet, ils ont su nous sortir de l'écueil grave et contre-productif du débat manichéen dans lequel certains avaient fait le choix réducteur de nous enfermer.
Par leur éveil, ils nous ont permis de corriger l'erreur préalable commise par le Gouvernement, et ce, en posant les bonnes questions, et en nous invitant à choisir les bonnes réponses.
La faute préalable du Gouvernement a été d'enfermer le débat dans une dialectique trompeuse, le considérant étant qu'il fallait légiférer parce qu'il y avait des violences et donc céder au chantage. La réponse, tout aussi fallacieuse, consistait dès lors à croire qu'une évolution institutionnelle de l'île mettrait un terme à cette violence alors que, tout au contraire, elle la légitimait.
Effectivement, depuis le début du processus de Matignon, le Gouvernement s'est fourvoyé à cause de cette faute préalable : comment faire cesser la violence ? Que céder aux séparatistes pour acheter la paix civile ?
Petit à petit, cette logique trompeuse, cette équation infondée s'est répandue. De ce point de vue, nous sommes collectivement responsables. La classe politique, les observateurs attitrés, les journalistes, nos concitoyens eux-mêmes, se sont surpris à raisonner dans ces mêmes termes. Tous, nous nous sommes enferrés dans cette dichotomie intellectuellement aisée, mais combien trompeuse.
Face à ce projet de loi, nous retrouvions deux camps : ceux qui y étaient favorables et ceux qui y étaient farouchement opposés.
Entre les deux camps, point de salut. Il fallait choisir, et ce, sans nuance, ni souvent réflexion. En peu de temps, nous étions revenus à cette vieille querelle franco-française des Jacobins et des Girondins.
D'ailleurs, bien souvent, les lignes de partition ne correspondaient pas aux volontés profondes des intervenants.
Dans le camp des « pour », pouvaient se retrouver allègrement des régionalistes pur sucre, et d'autres, plutôt hostiles à la décentralisation, mais qui, lassés par la crise corse, disaient à peu près : « S'ils veulent l'indépendance, qu'ils la prennent ! » alors pourtant que cela ne correspondait en rien à la volonté dominante des Corses.
Dans le camp des « contre » se retrouvaient, de la même manière, des républicains arc-boutés, niant toute spécificité régionale à la Corse, et d'autres disant simplement : « Non, la Corse, nous l'aimons, ne la laissons pas s'éloigner du continent. »
Le caractère tronqué de ce débat tient à la faute préalable du Gouvernement qui s'est trompé de question et qui, par là même, nous a trompés, en laissant le débat dériver sur le champ institutionnel.
Il s'est trompé parce qu'il a cru que le problème c'était les nationalistes.
En déplaçant le débat sur le plan institutionnel, en jouant une partition à quatre mains avec les nationalistes, le Gouvernement a cru pouvoir se dispenser d'apporter les réponses réelles qu'attendait l'immense majorité silencieuse des Corses.
Les questions qu'ils se posent sont bien plus simples : « Comment trouver du travail ? Comment faire vivre mon entreprise ? Quel avenir donner à mes enfants ? » et certainement pas : « Quelle délégation de pouvoir d'adaptation législative à la collectivité territoriale de Corse ? »
En déplaçant le débat sur le plan institutionnel, le Gouvernement s'est donc fourvoyé. D'entrée de jeu,l'erreur a été de privilégier certains interlocuteurs par rapport à d'autres.
En mettant les dirigeants nationalistes en avant, à grand renfort de presse, le Gouvernement a fait le choix de privilégier le dialogue avec eux, réduisant presque cyniquement le débat sur l'avenir de la Corses à un volet institutionnel dont les Corses eux-mêmes ne veulent pas.
L'autre erreur préalable a justement été de poser comme préalable à la discussion parlementaire l'arrêt des violences. Avec une telle condition pour le processus de Matignon, le Gouvernement est devenu l'otage de ces mêmes nationalistes, qui, en maniant avec habilité les promesses de leurs vitrines légales et les coups d'éclat de leurs bras armés, ont obtenu depuis deux ans quasiment tout ce qu'ils réclamaient.
En bons tacticiens, les nationalistes jouent la carte du pire afin d'obtenir de nouvelles concessions. Ce mécanisme diabolique peut durer longtemps et permettre à une minorité violente d'imposer sa loi, ce qui est d'ailleurs le propre de tout terrorisme.
De ce point de vue, le bilan est effectivement loin d'être à inscrire au crédit du Gouvernement.
Il y a maintenant plus de deux ans, une commission d'enquête sénatoriale sur les dysfonctionnements inacceptables de l'Etat en Corse a été créée. A l'époque, nous avions formulé dix-sept propositions concrètes pour améliorer le fonctionnement des services de l'Etat et assurer une meilleure coordination de la sécurité et de la justice en Corse. Ces propositions de simple bon sens ne nécessitaient pas de réforme de la Constitution. Il ne m'a pas semblé que le Gouvernement ait essayé de les mettre en oeuvre.
Effectivement, le bilan sur l'île n'est guère positif. Depuis deux ans, ni les attentats, ni les assassinats, ni le racket n'ont cessé. Ils n'ont même pas seulement été endigués. Bien au contraire, pas moins de dix-sept assassinats et de cent dix attentats ont été constatés sur le territoire de la seule Corse entre le 1er janvier et le 30 septembre. Est-il bien raisonnable, dès lors, de se glorifier de ce bilan ? J'en doute !
Alors que les « vitrines légales » promettaient au Gouvernement de respecter ce préalable de la cessation de la violence en proclamant une trêve illimitée, quelques jours seulement après le début du processus de Matignon, à la fin décembre 1999, les dérives mafieuses, les règlements de compte et les attentats les plus scandaleux contre les bâtiments et les personnels de l'Etat se sont poursuivis dans la plus totale impunité. Il y a pis ! La logique trompeuse dans laquelle le Gouvernement s'est enferré a fait des émules puisque, en résumant la situation corse à son seul volet institutionnel, des membres éminents de la majorité plurielle se sont mis à considérer que nous étions bel et bien dans un conflit d'indépendance.
De ce point de vue, l'évolution sémantique a été particulièrement frappante. Les terroristes sont devenus des nationalistes ; les détenus sont devenus des prisonniers politiques ; la délinquance est devenue résistance et la « cessation de la violence » est devenue « retour à la paix civile ».
En se fourvoyant dans cette faute préalable, le Gouvernement ne pouvait pas faire autrement que s'embourber dans un dialogue inégal avec les séparatistes.
Le Gouvernement ayant engagé sa responsabilité sur la réussite du processus de Matignon, les nationalistes ont bien compris l'immense carte qu'ils avaient entre leurs mains pour obliger le Gouvernement à céder sur presque toutes leurs revendications. (Protestations sur les travées socialistes.)

L'exemple le plus emblématique en la matière est également le plus récent.
Depuis le début, le Premier ministre avait annoncé que le rapatriement des détenus corses sur l'île n'était pas envisageable.
Dès cet été, certains nationalistes avaient ironisé sur l'évolution du langage lorsque le ministre de l'intérieur prétendait que ce rapatriement n'était pas à l'ordre du jour, s'amusant du fait que, s'il n'était pas à l'ordre du jour, il pourrait le devenir.
Forts de cette présomption, ils décidèrent de faire de ce rapatriement leur principale revendication, d'autant qu'ils savaient que le Gouvernement était prêt à presque tout céder pour les faire rester à la table des négociations. (Nouvelles protestations sur les travées socialistes.)
Dès lors, cette revendication fut mise sous agenda. Dès le début du mois d'août, à Corte, à l'occasion des journées annuelles, M. Talamoni annonça qu'il demandait la libération immédiate de tous les prisonniers politiques corses et au moins leur rapatriement en Corse.
Le Gouvernement refusa de céder. Qu'à cela ne tienne, les nationalistes retirèrent en septembre leur soutien au processus de Matignon, qui perdit sa raison d'être. Il fut orphelin.
Tant pis, il faut céder. Dès lors, cela nous amène au week-end dernier, où vous-même, monsieur le ministre, annonciez à Ajaccio que vous aviez demandé au garde des sceaux de créer en Corse « un secteur de détention pouvant accueillir les condamnés à de longues peines ». Cette décision était tout à fait maladroite au regard du chantage exercé par les nationalistes, qui obtenaient une nouvelle fois gain de cause.
M. Jean-Pierre Bel. Cela n'a rien à voir !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas ce qu'ils veulent !
M. Jean-Patrick Courtois. Finalement, monsieur le ministre, vous vous êtes ravisé, prétendant que l'on avait mal interprété vos propos, couvrant ainsi le Premier ministre, dont j'ai peine à croire - avec M. Chevènement - qu'il n'ait pas été à la source de votre initiative, à moins que vous n'ayez obtenu l'accord de M. Schrameck. (Rires sur les bancs du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ainsi, au fur et à mesure, le débat sur la Corse, sur fond de terrorisme et de discours indépendantistes, a glissé dans cette dialectique : faut-il céder ou non aux nationalistes ? Faut-il ou non plus d'autonomie pour l'île ? Imprégnés de cette logique fallacieuse, il aurait été facile de se tromper de combat. Et, de la sorte, lorsque nous avons débuté nos travaux au sein de notre commission spéciale, la tentation était grande de balayer ce texte d'un revers de main.
Le choix était, en apparence, fort simple.
Premièrement, le préalable de la cessation de la violence imposé par le Premier ministre comme condition sine qua non de la poursuite du débat était-il respecté ?
Evidemment, nous en sommes loin, puisque les factions mafieuses pratiquent de jour en jour la surenchère.
Deuxièmement, le texte en lui-même est-il acceptable dans la mesure où, pour l'essentiel, les mesures préconisées sont contraires à la Constitution ?
Le Conseil d'Etat n'a pas manqué, à cet égard, d'exprimer les plus vives réserves.
Dès lors, il aurait été facile et légitime de refuser l'examen de ce projet de loi dans la mesure où les conditions du dialogue n'étaient par réunies et les propositions faites anticonstitutionnelles. C'est la raison pour laquelle, après ce long développement, je tiens à remercier avec la plus grande sincérité le président et le rapporteur de notre commission spéciale, parce qu'ils ont su poser les bonnes questions préalables.
Légifère-t-on parce qu'il y a des violences en Corse ? Non ! La violence ne se légitime pas, elle se combat. On légifère parce qu'il y a une spécificité corse, des difficultés naturelles, inhérentes à son insularité, à son territoire, parce qu'elle est à la fois montagne et littoral.
On légifère parce que les Corses attendent de nous de vraies propositions, de vraies solutions pour engager dans la sérénité son développement économique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait le faire quand vous étiez au Gouvernement !
M. Jean-Patrick Courtois. Je tiens à dire à ceux de mes collègues qui ont déposé une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité que je comprends leurs motivations : comme eux, je m'indigne que les conditions de l'arrêt des violences n'aient pas été respectées et, comme eux, je ne me fais aucune illusion sur la prétendue constitutionnalité des propositions du Gouvernement en la matière.
Cependant, si nous adoptions cette motion, nous nous enfermerions dans cette logique trompeuse du Gouvernement que je me suis efforcé de dénoncer en en démontant les rouages. Or, ce qu'il faut, c'est sortir de cette logique, et, de ce point de vue, notre rapporteur nous a tracé la voie.
Une loi pour la Corse est nécessaire. Nos compatriotes corses ne comprendraient pas que nous refusions ce geste simple qu'ils attendent de nous en nous tendant la main.
Certes, le texte proposé est anticonstitutionnel et contestable en tous points, mais il nous offre la possibilité d'engager un débat pour apporter à la Corse les vraies réponses que lui a refusées le Gouvernement, celles qu'elle est en droit d'attendre de notre Parlement
Or, en la matière, au-delà des effets de manche institutionnels que j'ai dénoncés, des mesures urgentes s'imposent pour le développement social et économique de l'île.
C'est la raison pour laquelle les collègues de mon groupe et moi-même sommes particulièrement satisfaits par les propositions de notre commission spéciale.
Nous abordons ce débat avec sérénité, parce que nous sommes sûrs que nous serons entendus par les Corses, parce que les mesures que nous proposons sont de bon sens et mettent l'accent sur les nécessités réelles du territoire - j'entends le développement économique - car, ne nous y trompons pas, lorsque le développement durable se sera installé, nous n'entendrons plus parler de terrorisme ou de séparatisme.
Parce que ces idées se nourrissent de la précarité, en assurant le développement économique de l'île nous garantissons aussi son attachement à la République.
De ces quelques principes, clairement et fermement ancrés à l'esprit, découlent évidemment la logique et le fondement de nos propositions pour la Corse.
Ainsi, sur l'article 1er, nous n'avons pas choisi la démagogie.
Il aurait été facile d'accepter la délégation du pouvoir législatif et réglementaire à la collectivité territoriale de Corse. Nous aurions développé avec cynisme le bien-fondé de cette volonté décentralisatrice, tout en déposant in fine un recours devant le Conseil constitutionnel, qui n'aurait pas manqué de déclarer anticonstitutionnel cet article, Nous n'avons pas cédé à cette facilité, parce que nous savons que l'avenir de la Corse ne dépend pas de cet effet d'annonce.
S'agissant de l'article 7 et de l'enseignement obligatoire de la langue corse, nous refusons de nous laisser enfermer dans un débat manichéen entre ceux qui seraient favorables à la défense de la culture régionale et ceux qui la refusent.
Un sénateur socialiste. Ce n'est pas le problème !
M. Jean-Patrick Courtois. Notre propos en la matière n'est absolument pas ancré dans un républicanisme d'un autre âge. Je suis, pour ma part, tout à fait favorable à l'enseignement des langues régionales. Apprendre une langue dès le plus jeune âge est une chance. Il est d'ailleurs prouvé qu'un apprentissage tel favorise ensuite l'enseignement de toutes les autres langues.
La seule objection que nous soulevons, et nous rejoignons sur ce point la position de notre rapporteur, est la nécessité de maintenir le caractère facultatif de cet enseignement. En ce sens, la rédaction proposée par notre rapporteur me semble plus protectrice du choix des parents que celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale, même si nous partageons le même objectif.
S'agissant de l'article 12, nous sommes favorables au dispositif proposé par notre commission spéciale. Il devenait évident qu'il était essentiel d'apporter des réponses substantielles aux difficultés liées à la loi littoral. On ne peut pas simultanément déplorer les limites du développement économique de l'île et empêcher d'assurer ne serait-ce que son développement touristique. De ce point de vue, toutes les personnes auditionnées ont attiré notre attention sur les difficultés d'accueil qui se posent dans l'île et elles ont fini par nous convaincre.
Ainsi, les réponses apportées nous semblent aller dans le bon sens, puisqu'elles assureront tout à la fois le développement d'une urbanisation limitée, mais essentielle, et la nécessaire garantie de la protection environnementale du littoral corse. Déclarer inconstructibles des espaces qui auraient été victimes d'incendie criminel ou dont l'origine demeurerait inconnue est une garantie forte contre les velléités prospectives de certains groupes mafieux.
Enfin, parce que nous pensons que les vraies réponses au développement de l'île sont économiques, nous partageons tout à fait les vues de notre rapporteur sur la nécessité de rendre plus attractif le dispositif fiscal et financier de ce projet de loi. Ainsi, l'extension du crédit d'impôt, au taux réduit de 10 %, aux secteurs exclus du bénéfice du taux de 20 % me semble lisser le décalage susceptible de se créer entre les différents secteurs d'activité. L'extension de la liste des secteurs éligibles au crédit d'impôt au taux de 20 % procède de la même nécessité, celle de mettre le développement économique au coeur de la réforme.
En outre, la sortie du régime de la zone franche en trois ans pour les entreprises qui perdraient le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés semble a priori plus à même d'aider les activités économiques que le dispositif préconisé par le Gouvernement. Celui-ci jette d'ailleurs trop rapidement la pierre à la zone franche.
En conclusion, mes collègues du groupe du Rassemblement pour la République et moi-même nous réjouissons de l'examen de ce projet de loi sur la Corse. Si nous ne partageons pas les vues du Gouvernement sur le volet institutionnel de ce projet de loi, il nous offre une tribune dont nous ne nous priverons pas, article après article, pour démontrer qu'il n'y a pas de fatalité à la situation en Corse. Si nous prenons avec courage les mesures qui s'imposent pour garantir son développement et aider son économie, bientôt la question séparatiste ne se posera plus.
Nous voulons sortir par le haut de cette logique trompeuse qui oppose les tenants de l'unicité de la République et ceux de l'autonomie, en proposant les réformes qui s'imposent. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement ému de m'adresser à vous ce soir pour la première fois. Le hasard du calendrier a voulu que ma première intervention dans cette Haute Assemblée porte sur la Corse.
Je m'intéresse à la Corse tout simplement parce que je m'intéresse à la France et à ses îles dispersées, ici en Méditerranée, ailleurs dans l'océan Indien ou dans les Caraïbes. Ces îles possèdent une population, généralement très majoritaire, qui doit se battre pour rester française. Figurez-vous que nous devons souvent nous frayer un chemin et lutter contre une minorité agissante et indépendantiste pour dire que nous sommes fiers de notre statut, et que nous souhaitons garantir notre culture, nos droits à l'éducation, à la santé, à l'épanouissement et à la reconnaissance de notre identité au sein de la République française. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Et c'est pour porter ce témoignage que je suis monté, ce soir, à cette tribune et non pour donner des leçons à qui que ce soit.
Quelle est ma première remarque de vieux militant départementaliste ? Je note que les départements français qui ont fait le choix de l'unité de la République, mon cher collègue et ancien ministre de l'outre-mer, Louis Le Pensec, que j'ai eu le plaisir de connaître et avec qui j'ai travaillé, ont choisi l'unité dans le respect de la diversité. C'est vrai pour les départements d'outre-mer et cela est traduit par l'article 73 de la Constitution, qui précise que, compte tenu de notre situation particulière, nous pouvons bénéficier de mesures d'adaptation sur les plans administratif et législatif, mesures qui ne peuvent être prévues et votées par le seul parlement français, j'y insiste, et qui ne peuvent donc être ni étendues ni déformées par le biais d'un projet de loi concernant particulièrement la Corse.
Il s'agirait d'une fausse extrapolation de la situation des départements d'outre-mer, d'un détournement de procédure non prévu par la Constitution, même pour ces départements.
S'agissant des territoires d'outre-mer, il n'y a pas unité de Constitution, et il n'y a plus du tout unité de législation.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh non !
M. Jean-Paul Virapoullé. L'égalité n'existe plus dans les territoires d'outre-mer. Nous savons que subsiste une mince barrière de corail constitutionnelle qui relie la Polynésie française à la République. Nous savons que la Nouvelle-Calédonie, qui a nécessité une réforme de la Constitution, a prévu d'évoluer vers l'indépendance. C'est la raison pour laquelle cette assimilation ne peut être tenue aujourd'hui pour vraie.
M. Philippe Richert. Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé. Ma deuxième remarque concernant ce projet de loi traduit mon inquiétude. En effet, lors de la réunion relative au processus de Matignon, tous les partenaires ne regardaient pas dans la même direction : il y avait ceux qui louchaient vers l'indépendance - ce sont les indépendantistes, que l'on appelle « nationalistes » - et il y avait ceux qui, je le reconnais, souhaitaient la reconnaissance de leur identité dans le cadre de la République. Comment voulez-vous mettre en place un processus si les deux partenaires sont en opposition totale quant à la finalité de ce processus ?C'est un TGV qui va dérailler au premier virage...
M. José Balarello. Bravo !
M. Jean-Paul Virapoullé. C'est amplifier les erreurs passées. Voilà vingt-cinq ans que l'on met la charrue devant les boeufs en Corse ! On légifère de façon exceptionnelle pour la Corse, alors que l'on aurait dû prévoir un cadre général et y intégrer la Corse de façon adaptée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
J'aurais voulu que le processus de Matignon réussisse, monsieur le ministre. Malheureusement, et je prends date ce soir, il va échouer, ce pour deux raisons : ou bien l'excellent rapporteur, mon ami Paul Girod, a dit vrai et le texte n'est pas conforme à la Constitution, c'est un marché de dupes ; ou bien - et vous le savez très bien, vous avez une expérience que je n'ai pas - ce projet de loi n'est pas applicable. En effet, pour mettre en oeuvre la procédure d'habilitation, un an, voire un an et demi sera nécessaire. Et lorsque les élus locaux dépasseront les limites de l'habilitation, le préfet de région ou les instances européennes déposeront un recours qui bloquera le processus d'adaptation. Dès lors, les indépendantistes diront qu'il est impossible de travailler avec la France.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si !
M. Jean-Paul Virapoullé. Ainsi se creusera le fossé dans les relations entre la mère patrie et la Corse. Ce n'est pas l'objectif que se sont fixé la majorité des partenaires de ce processus.
Voilà pourquoi, depuis vingt-cinq ans, avec les diverses mesures d'exception que l'on a prises pour la Corse, on s'est chaque fois trompé de chemin : la régionalisation avant l'heure ; les offices, véritable boîte de Pandore où, au lieu de délibérer en public, on a rendu opaque, donc inefficace, la gestion des deniers publics. Et n'oublions pas que, en 1991, on est allé plus loin que la décentralisation en métropole, sans en avoir les résultats.
La voix de l'unité dans la République et de l'adaptation législative, voulue par le Gouvernement et votée par le Parlement, est la voie raisonnable pour la Corse et l'ensemble des îles qui composent les départements d'outre-mer. N'allez pas d'exception corse en exception guadeloupéenne, puis en exception martiniquaise ou réunionnaise ! Vous allez démanteler la République et affaiblir la France ! Tel est mon deuxième témoignage. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
J'en viens à ma troisième remarque : aujourd'hui, le processus de Matignon n'apporte pas de garantie pour la Corse, pas plus qu'il n'apporte de garantie de résultat. La majorité de la population en Corse l'a encore montré lors des élections municipales : dans les deux plus grandes villes, Bastia et Ajaccio, les maires qui ont été élus étaient majoritairement opposés au processus de Matignon.
M. Jean-Pierre Bel. Simon Renucci, le maire d'Ajaccio, était opposé au processus de Matignon ?
M. Jean-Paul Virapoullé. Pas lui ! Celui qui a été élu après la démission du maire précédent, à la suite d'une élection partielle. C'était un maire bonapartiste !
Mes chers collègues, l'autre danger de ce texte, c'est qu'il est contagieux. On parle beaucoup de contagion en ce moment ! En l'espace d'un an, une délégation de la Guyane est déjà venue déposer sur le bureau du Président de la République et sur le bureau du secrétaire d'Etat à l'outre-mer un texte qui est la copie conforme du présent projet de loi : il comporte un exécutif local et une collectivité territoriale dotée d'un pouvoir législatif. En clair, la collectivité dépense et l'Etat finance ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) Ce n'est pas très compliqué et cela peut fonctionner ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.) La Guadeloupe a préparé son projet ; il est sur mon bureau et il sera bientôt communiqué. La Martinique est également en train de travailler dans ce sens.
Mais si nous continuons ainsi, nous allons non pas décentraliser, mais démanteler. C'est la raison pour laquelle, comme l'ont dit Jean-Pierre Raffarin et d'autres intervenants à cette tribune, il faut partir d'un cadre général puis adapter tranquillement, en prenant le temps nécessaire, une nouvelle loi de décentralisation dans l'ensemble des départements.
Il n'y a pas le feu, même si la tension règne en Corse. Voilà des années que cela dure ! Ce n'est pas à la veille des élections présidentielles... (Protestations sur les travées socialistes.) Mais oui, mes chers collègues, le remède est pire que le mal dans ce cas-là, vous le savez bien ! Quand le Conseil constitutionnel aura considéré que cette loi n'est pas constitutionnelle, les indépendantistes crieront au scandale ! Lisez les revues de presse qui paraissent aujourd'hui en Corse. Que disent les indépendantistes ? Ils ne viennent plus assister aux réunions. Ils n'accueillent plus le ministre de l'intérieur. Ils sont déjà hors de ce processus que vous voulez faire valider par le Parlement.
On est en plein marché de dupes et tout cela aboutira à une aggravation de la tension.
C'est la raison pour laquelle j'estime que les amendements proposés par M. le rapporteur sont des amendements de bon sens. C'est la raison pour laquelle je n'attache pas une importance historique à ce processus. C'est la raison pour laquelle je nourris un espoir dans une autre démarche beaucoup plus ambitieuse et qui reposera, pour la Corse comme pour l'ensemble des régions françaises, sur une décentralisation et une déconcentration équilibrées.
L'Etat est trop faible ! Plus on s'éloigne du continent, plus on a besoin d'un Etat fort. C'est l'Etat qui doit montrer le chemin du droit ! C'est ainsi que nous pourrons développer nos régions éloignées. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Pierre Bel et Louis Le Pensec ont développé l'argumentation de notre groupe.
J'ai souhaité intervenir dans ce débat au Sénat pour deux raisons : d'une part, j'apporte mon entier soutien au processus engagé depuis deux ans par le Premier ministre Lionel Jospin et son gouvernement ; d'autre part, je tiens à souligner, en parallèle, l'incidence de ce projet de loi sur le devenir de la décentralisation pour l'ensemble des régions françaises.
L'histoire nous apprend que, pour sortir d'une crise d'identité nationale ou régionale, lorsqu'au fil des années tous les moyens ont été mis en oeuvre sans succès, la recherche d'un accord politique reste la seule voie pour sortir de l'impasse.
Vous avez raison de souligner, monsieur le ministre, que la démarche a été parfaitement transparente et que l'accord est ambitieux. J'ajoute qu'il est démocratique puisque un dialogue s'est poursuivi entre le Gouvernement et tous les élus de l'île qui ont voté et pris leurs responsabilités, en attendant que les députés et les sénateurs prennent les leurs.
Si certains nationalistes, qui ont approuvé dans un premier temps la démarche, font aujourd'hui un pas de deux pour s'en dégager, ce ne sont là que des péripéties qui ne devraient pas remettre en cause la portée de ce qui se joue.
Depuis des années, on entend des discours, parfois au Sénat, qui ne tiennent pas compte des réalités. On n'a pas vu arriver le grand phénomène de la décolonisation. On n'a pas vu arriver le problème de l'Algérie.
M. Josselin de Rohan. C'était Guy Mollet !
M. Pierre Mauroy. On n'a pas vu arriver bien des difficultés de cet ordre.
Ces discours, je les ai entendus dans ma jeunesse, et je me suis bien juré de ne plus me laisser prendre au piège. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux. Heureusement qu'il y a eu le général de Gaulle !
M. Pierre Mauroy. Que faire d'autre, d'ailleurs ? Depuis vingt-cinq ans, vous le savez bien, les gouvernements successifs ont essayé d'enrayer la dégradation politique, économique et sociale de la Corse. Les efforts réalisés sous les septennats de François Mitterrand, dotant l'île, en 1991, d'un statut spécifique, ont permis d'avancer, sans pour autant donner tous les fruits attendus.
M. Francis Giraud. Pourquoi ?
M. Pierre Mauroy. De retour au pouvoir, les gouvernements de droite ont officiellement opté pour une démarche dite d'autorité, mais en négociant en sous-main, on le sait maintenant, avec des groupes indépendantistes. Ils ont échoué. Et ceux qui ont eu des responsabilités dans cet échec ne sont peut-être pas les mieux placés pour s'opposer au projet du Gouvernement et nous indiquer une autre voie qui conduira au même échec. (Nouveaux applaudissements sur les travées socialistes.)
La logique imposait donc le dialogue et la réforme. Cette démarche répond d'ailleurs à l'attente des Français, continentaux et corses. Ne soyons pas angéliques : subordonner l'engagement des discussions à la fin de la violence aurait fait des terroristes les seuls maîtres du jeu et les arbitres de la situation. Le Gouvernement, au nom de la légalité républicaine, n'a pas cessé de poursuivre la répression des crimes et délits, et le Premier ministre a affirmé avec force que l'amnistie n'a jamais été à l'ordre du jour.
Des oppositions, notamment dans cet hémicycle, contestent, sur le fond, la possibilité d'adapter, même si cette adaptation est très encadrée, les normes réglementaires et législatives aux spécificités de l'île. Ceux qui pensent que ces dispositions constitueraient une sorte d'« offense » à la loi républicaine doivent bien admettre que la République s'est toujours accommodée d'adaptations spécifiques locales, qu'il s'agisse de l'Alsace-Moselle, des territoires d'outre-mer ou de la Ville de Paris, sans que son caractère unitaire soit remis en cause.
Plus généralement, le recours aux ordonnances constitue pour l'exécutif une façon d'expérimenter. Qu'ai-je dit là ! « Expérimenter » ! Ce mot a plus cours à droite qu'à gauche, d'ailleurs, et ne doit pas être employé à propos de la Corse !
Quoi qu'il en soit, les ordonnances, disais-je, représentent pour l'exécutif une façon d'expérimenter, sous réserve d'une ratification ultérieure par le Parlement. Ce point est essentiel, car il s'agit bien ici de donner le dernier mot au Parlement.
Je précise en outre que le statut de 1991 allait déjà dans ce sens, certes dans une moindre mesure, et que la révision constitutionnelle qu'impose le dispositif retenu pour être appliqué n'interviendra qu'en 2004, et seulement si certaines conditions sont réunies, notamment le retour à la paix civile. Sur ce point sensible, le Gouvernement a donc pris les précautions indispensables.
Par ailleurs, certaines dispositions sont contestées parce qu'elles pérennisent des procédures ou des droits qui n'ont pas leur équivalent sur le continent. C'est un autre point sensible. Mais n'oublions pas qu'un large fossé s'était creusé entre la Corse et le continent pour ce qui est des législations applicables, en particulier dans les domaines économique, fiscal et successoral.
L'esprit du projet de loi est plutôt de rester ferme sur les principes, et de supprimer dans le temps les dérogations au droit commun. Même s'il subsiste des particularités, elles résultent - c'est essentiel - d'un dialogue, donc d'un équilibre entre des positions qui, au départ, étaient très éloignées les unes des autres.
En formulant ses propositions, le Gouvernement a tenu compte de ce dialogue, comme il a tenu compte des différences qui pouvaient exister au départ entre son point de vue et le point de vue de ceux qui étaient à sa table. C'est ainsi ! C'est comme cela que les choses se passent dans toute négociation ! Par conséquent, les propositions du Gouvernement revêtent un caractère global qu'il faut accepter, faute de quoi l'on risque de n'accepter rien !
Au-delà de ces exemples, Jean-Pierre Bel et Louis Le Pensec ont exposé les arguments qui conduisent l'ensemble des membres des groupes socialistes du Sénat et de l'Assemblée nationale à approuver le projet de loi qui nous est soumis.
Le mérite de ce texte est de donner toutes les chances de réussite à une Corse décentralisée et citoyenne. Elle en a besoin ! Et s'il est vrai qu'il y a des privilèges en Corse, il y en a aussi en France continentale ! Mais une réalité s'impose aussi : la Corse est un pays pauvre, sous-développé, mal équipé dans son ensemble, qui n'a pas connu l'évolution moyenne des autres régions françaises. C'est la réalité ! Elle requiert donc sur ces points un traitement particulier, et c'est peut-être l'avantage de la décentralisation que de le lui donner.
J'accueille donc ce texte comme la promesse pour la Corse d'un avenir plus harmonieux, fondé sur la paix civile retrouvée et sur le développement économique relancé. Ce sera une tâche très difficile, quels que soient les gouvernements, et le Gouvernement actuel a finalement le mérite de s'y atteler car, par certains aspects, elle est assez redoutable.
Mais j'accueille aussi ce texte comme une promesse annonçant ce grand débat qui concerne non pas uniquement l'île de Beauté, mais la France dans son ensemble : l'avenir institutionnel. Nous sommes très nombreux à penser que notre pays n'entend pas devenir un Etat fédéral, mais souhaite conserver l'un des principes fondateurs de la République - l'unité - qui ont fait de lui un Etat centralisé.
Cependant, la centralisation a été poussée trop loin, ou, plutôt, elle a duré trop longtemps, au point de donner des institutions françaises une image rétrograde. Et tous ceux qui vont à l'étranger, qui fréquentent les conférences internationales, savent comment les autres pays jugent maintenant nos institutions, alors qu'elles nous ont longtemps été enviées.
Rien ne s'oppose aujourd'hui à ce que la République poursuive la mise en oeuvre de ses valeurs dans une France décentralisée, qui retrouvera sur ce plan-là toute son autorité. C'est ce qui a été entrepris en 1981, sous le septennat de François Mitterrand et sous l'impulsion de mon gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Pierre Mauroy. A l'époque, on s'en souvient, le combat avait été frontal entre la gauche et la droite. Il semble que la gauche l'ait emporté, puisque les rangs de ceux qui, à droite, se prétendent aussi décentralisateurs que la gauche sont, affirment-ils, aussi fournis que les nôtres. Tant mieux pour la décentralisation !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Nous verrons cela au mois de janvier, lorsque nous reprendrons cette question.
Je suis surpris, en participant à ces débats, de découvrir tant de « nouveaux décentralisateurs » ! Ils sont quelques-uns qui, leurs amis ayant voté le texte à l'Assemblée nationale, pensent devoir voter avec nous le projet de loi, craignant sinon qu'on ne comprenne en rien leur discours ! Mais tous devraient trouver aujourd'hui une bonne raison de soutenir le projet du Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
En effet, l'avancée spécifique qu'il réalise en matière de décentralisation pour l'île devrait pouvoir inspirer demain un nouvel état d'esprit à l'égard d'une décentralisation, nécessairement différente, sur le continent.
Je constate, monsieur le ministre, et je vous en remercie, que vous avez repris de nombreuses propositions - souvent des propositions communes, au demeurant - parmi les cent cinquante-quatre qu'avait retenues la commission pour l'avenir de la décentralisation, que j'ai présidée.
C'est ainsi que l'on retrouve, dans le projet de loi relatif à la Corse, celles qui concernent, notamment, les transferts de compétences dans les domaines de la formation supérieure et de la recherche, de la formation professionnelle, du développement économique ou des transports... Vous y avez bien sûr adjoint certaines modalités spécifiques à la Corse, modalités qui ne sont pas transposables et ne le seront sans doute jamais.
Il est vrai que, dans le même temps, vous avez déposé un projet de loi sur la démocratie de proximité, texte qui a été voté en première lecture à l'Assemblée nationale au printemps dernier et que nous discuterons ici, je pense, en janvier prochain. Nous aimerions avoir confirmation de ce point ; mais sans doute nous la donnerez-vous !
M. Pierre Mauroy. Je pense que la marche vers la décentralisation n'est pas achevée en France et que le gouvernement de Lionel Jospin a le souci de faire adopter une grande loi de la décentralisation qui serait, en quelque sorte, le pendant de ce qui a été fait en 1982-1983.
Je suis en effet convaincu que le débat est ouvert dans notre pays. La décentralisation - massivement plébiscitée par nos concitoyens, qui sont désireux de participer plus directement et plus activement aux décisions qui les concernent dans leur vie quotidienne - sera l'un des thèmes forts des campagnes pour l'élection présidentielle et les élections législatives de l'an prochain.
La question corse s'intégrera en partie - mais en partie seulement - dans le grand débat sur la décentralisation.
Vraiment, on ne peut pas être pour cette décentralisation - et vous êtes nombreux à porter cette grande entreprise en vous - et rester aussi distant vis-à-vis du projet que nous propose le Gouvernement. Il y a là une contradiction, et elle n'est pas de ce côté-là de l'hémicycle, elle est chez vous, messieurs de la majorité sénatoriale ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Richert. Nous verrons !
M. Pierre Mauroy. Et vous verrez que les Français et les Françaises s'en apercevront !
M. Philippe Richert. C'est un fait !
M. Pierre Mauroy. C'est pourquoi, mes chers collègues, le projet de loi déposé par le Gouvernement, que le groupe socialiste approuve, est aussi l'occasion de rappeler notre volonté de préparer le nouveau visage institutionnel de la France dans les années à venir, celui d'une France moderne, renouvelée, ouverte sur l'Europe et, enfin ! Vraiment décentralisée, avec, nous le souhaitons tous, une Corse apaisée et prospère. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Richert. Sur ce dernier point, je suis d'accord !
M. le président. La parole est à M. Larcher. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été quelque peu choqué par les propos de notre collègue M. Pierre Mauroy établissant un parallèle entre l'Algérie et le débat d'aujourd'hui. La situation me paraît tout à fait différente, et ce type de référence augure mal, me semble-t-il, de notre volonté commune de conserver la Corse dans la République. (Applaudissements sur les travées du R.P.R.)
M. Jean-Pierre Bel. Séparatistes !
M. Gérard Larcher. Je voulais le mentionner en préambule, moi qui n'ai que très peu connu ces événements dans mon enfance.
La discussion du projet de loi sur la Corse que nous avons engagée ne saurait donner lieu à un simple débat politique de plus. Elle met en cause les fondements de notre démocratie : l'égalité des citoyens, l'« empire » de la loi et l'unité de la République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'Empire !
M. Gérard Larcher. Elle nous confronte, à propos de la singularité, à un enjeu qui dépasse la simple responsabilité politique et nous place tous devant un devoir d'Etat : la Corse a-t-elle encore sa place dans la République et veut-elle vraiment la conserver ? Pour ma part, je tiens à affirmer que oui.
La loi que nous préparons ne saurait en effet constituer une réforme de circonstance, marquée par le dessein de pacifier, à l'approche d'importantes échéances électorales, un climat tendu. Elle touche au fondement de la République : la volonté de vivre ensemble et de partager des valeurs essentielles.
Pour ces raisons - mais notre ami Jean-Paul Virapoullé l'a exprimé tellement mieux que moi ! -, nous aurions compris que nous soit proposé un cadre global autour duquel imaginer l'évolution institutionnelle de nos régions, l'approfondissement de la décentralisation et la mise en place d'une vraie déconcentration. Nous aurions alors pu nous prononcer en conjuguant unité et diversité.
La question corse est posée depuis longtemps et, depuis vingt-cinq ans, nul n'a su y répondre de façon satisfaisante. Mais les erreurs du passé, si elles doivent conduire à examiner avec discernement les propositions qui nous sont soumises, ne justifient pas pour autant certains choix du présent.
L'assentiment présumé de l'Assemblée de Corse au relevé de conclusions du 20 juillet 2000 ne me paraît pas constituer un « blanc-seing » délivré au Gouvernement. Au demeurant, l'avis de cette assemblée, qui gère une collectivité territoriale, a été exprimé sans que les membres qui la composent aient pu amender le texte qui leur était soumis.
Ce « processus » a donc été placé dès l'origine sous le signe de l'ambiguïté, comme l'a mis en évidence notre rapporteur : ni son objet ni ses modalités n'étaient clairement définis, quoi qu'en dise le Gouvernement.
Travailler à améliorer le texte, sans inhibition ni provocation, telle est, me semble-t-il, la démarche que nous proposent la commission spéciale, son président, Jacques Larché, et son rapporteur, Paul Girod.
Cette démarche nous ouvre le seul chemin que nous puissions suivre, entre pusillanimité des uns et activisme des autres.
Mes chers collègues, les Corses, comme leurs compatriotes du continent, me paraissent attendre de nous non pas une gesticulation supplémentaire, mais une réforme de fond globale.
Le texte qui nous est transmis s'inscrit dans la logique d'un processus qui, commencé en septembre 1999, devrait se poursuivre en 2004. Souscrivons-nous à cette démarche, notamment à ce rendez-vous de 2004 ?
Qu'il faille envisager de modifier la structure de l'économie corse par un processus qui s'inscrit dans le long terme, qu'il faille envisager de renforcer le rôle des entrepreneurs privés pour diminuer la part de l'emploi public et le chômage, nul ne le conteste. Et sur ce point, nous adhérons aux propositions qui nous sont soumises.
Pour autant, je tiens à souligner ici que la logique du processus de Matignon, qui envisage d'ores et déjà une réforme constitutionnelle en 2004, est une logique d'échec.
Le Gouvernement me paraît coutumier du fait. Il a déposé devant l'Assemblée nationale un projet de loi qui, à l'évidence, contenait des dispositions non constitutionnelles. Le texte transmis au Sénat est certes quelque peu corrigé par rapport au projet initial, mais il n'en recèle pas moins de nombreuses dispositions contraires à la loi fondamentale. Ainsi, monsieur le ministre, vous entendez prendre prétexte de la censure attendue du Conseil constitutionnel pour prouver qu'il faut modifier la Constitution afin de mener à bien vos réformes ! Eh bien, dites-le !
Le calcul est peut-être habile, mais ne craignez-vous pas que l'autorité du Conseil constitutionnel s'en trouve affaiblie ou contestée puisqu'il apparaîtra comme le censeur des réformes et que d'aucuns le présenteront, une fois encore, comme le refuge de je ne sais quel conservatisme et comme une instance politique ? Vous feriez ainsi d'une pierre deux coups...
Pourquoi donc ne pas tenter dès à présent d'élaborer un texte conforme à la Constitution ? L'article 73 de cette dernière nous laisse une certaine latitude.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas l'article 73, c'est l'article 72 !
M. Gérard Larcher. Pourquoi faire en sorte que la révision de 2004 soit inéluctable ? Qui voulez-vous satisfaire en plaçant d'emblée le processus sous le signe de l'échec ?
Le texte que vous nous présentez présuppose que l'on parviendra par la grâce d'une énième modification du statut de l'île à apaiser la situation en Corse. Ce postulat me paraît erroné.
Des améliorations techniques au statut existant sont sans doute nécessaires. Pour autant, avant même de modifier les textes, il me paraît urgent de prendre des dispositions incontournables, car nos concitoyens vivent non pas dans un manuel de droit public, mais dans une île où des balles sont encore tirées chaque jour.
Le Gouvernement doit donc continuer à lutter contre la violence, qui y est endémique, et à combattre le crime organisé pour éviter le développement des organisations et du syndrome mafieux sur l'île. On ne transige pas avec la force, on ne cède pas à la voie de fait !
Face aux attentats, monsieur le ministre, que faites-vous sinon vous livrer à une comptabilité savante de chacun de ceux qui surviennent, jour après jour, pour démontrer en fonction de critères discutables qu'ils n'auraient pas un caractère terroriste ! Un attentat reste un attentat, qu'il soit commis par la pègre ou par des exaltés.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Gérard Larcher. C'est pourquoi le préalable de la cessation de la violence demeure incontournable, de même que l'arrestation des assassins présumés d'un préfet de la République !
Chacun sait au demeurant, puisque les principales conclusions du procureur général Legras sont connues de tous, qu'il est impossible de démêler l'inextricable écheveau du nationalisme, de l'affairisme et du banditisme. Les promoteurs du « processus » et les bons apôtres du « dialogue » devraient aussi méditer sur ce point.
S'agissant de la langue nationale et des langues régionales, j'observe que même à gauche des divergences se font sentir.
M. Jean-Pierre Bel. Non !
M. Gérard Larcher. En témoigne l'action intentée devant le Conseil d'Etat contre les mesures de généralisation des langues régionales par des organisations peu suspectes a priori de sympathie pour la majorité sénatoriale.
C'est la preuve qu'il existe un vrai débat sur la place des langues régionales dans notre République. Nous n'en ferons pas l'économie en adoptant des mesures de circonstance examinées à la sauvette.
Le Président de la République avait raison, en 1999, en refusant d'engager une révision constitutionnelle à la suite de la publication de la charte sur les langues régionales. N'oublions pas, mes chers collègues, que la République s'est construite sur des choix forts ! Si la République a écarté, voilà un siècle, les parlers régionaux pour les cantonner, comme les choix religieux, dans la sphère privée et dans le domaine du libre choix des familles, c'est avec l'objectif de l'universalité des valeurs partagées au travers d'une façon commune de s'exprimer et de les exprimer.
M. Jean-Pierre Bel. On n'en est plus là !
M. Gérard Larcher. Il est d'ailleurs assez étonnant que ce soient ceux qui se réclament de la gauche républicaine qui accompagnent depuis une décennie le retour progressif à la communautarisation, comme si la « laïcité historique » - dont une des composantes est la langue - était inadaptée à la société d'aujourd'hui et l'attribution de droits spécifiques aux communautés prises en tant que telles la garantie d'une cohésion sociale renforcée. Il nous faudra bien avoir un débat sur ces sujets,...
M. Jean-Pierre Bel. On l'aura !
M. Gérard Larcher. ... car la décentralisation ne peut être le renforcement de la communautarisation.
Dans un ouvrage publié récemment, M. Jean Glavany lui-même souligne que « la solution du problème corse ne passe pas par un changement ou une modification du statut de l'île »...
Quels motifs ont poussé le Gouvernement à adopter la position qu'il a choisie ?
Lorsque l'Assemblée de Corse a délibéré, le 10 mars 2000, sur les perspectives de réforme ouvertes à la Corse, deux motions ont été adoptées ; elles ne préjugeaient nullement le tour qu'allait prendre le processus de Matignon. Il aurait été parfaitement concevable, à cette époque, de trouver une majorité qui repose sur les partis et les principes républicains.
D'où vient, dès lors, que le Gouvernement ait choisi, par diverses dispositions symboliques sur la langue corse, sur la dévolution d'un pouvoir législatif à la Corse, de donner satisfaction aux séparatistes, aux « indépendantistes », comme l'a dit M. Virapoullé ? A-t-il cru qu'en les intégrant au processus il ferait cesser la violence ? Si tel est le cas, il paraît se tromper !
Aujourd'hui, le soutien des factieux lui fait défaut et un pan essentiel du texte - celui qui concerne la loi littoral - est presque unanimement contesté.
Je reste convaincu qu'il faut libérer les esprits : nos compatriotes doivent comprendre, sur l'île comme sur le continent, qu'il est possible de trouver une solution au problème de la Corse et que les pouvoirs publics s'y emploient. La solution ne pourra cependant résulter d'une gesticulation institutionnelle. C'est d'abord par des mesures pratiques que nous sortirons de l'impasse, car il s'agit - et je rejoins là M. Mauroy - de changer la vie quotidienne des Corses.
Par-delà l'insularité et la violence, le problème principal posé à la Corse demeure son développement économique.
Lorsqu'une université forme trois mille étudiants et que ceux-ci ne trouvent pas assez de débouchés sur le marché du travail, on peut craindre des conséquences politiques et sociales graves.
Lorsque l'on veut lancer un très grand programme d'investissements, alors même que l'on ne facilite pas l'apparition de capacités d'ingénierie et de construction sur l'île, on peut redouter que à l'instar de ce qui s'est passé lors de l'arrivée des rapatriés d'Algérie, les Corses ne se sentent les laissés-pour-compte du développement de l'île où ils vivent.
Telle est ma conviction : il est essentiel que les Corses ne soient pas les premiers exclus du développement futur de l'île.
Celui-ci suppose, d'une part, que le problème de l'espace et de l'aménagement soit résolu et, d'autre part, que des moyens publics soient dévolus à l'île pour favoriser son activité économique.
En ce qui concerne l'aménagement de l'espace, il est tout d'abord essentiel de doter l'île d'infrastructures de transport performantes, notamment d'infrastructures portuaires et aéroportuaires. C'est davantage par des investissements publics dans des routes et dans des ports que par des modifications du code général des collectivités territoriales que l'on améliorera les conditions de vie des Corses !
Une autre question mérite d'être posée : comment permettre une application « éclairée » de la loi littoral en Corse ? Je ne reviendrai pas sur les explications que le rapporteur, M. Paul Girod, a données dans son excellent rapport. Celui-ci a le mérite de montrer qu'il est nécessaire d'accorder un certain degré de liberté afin de permettre la réalisation de constructions en Corse. Comment concilier cette nécessité avec la préservation de l'environnement ? C'est ce qu'il nous appartiendra de définir au cours de nos travaux. Il est plus difficile de proposer un système efficace sur ce point que d'attribuer un pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse !
Le dernier volet, peu évoqué, permettra le rattrapage de l'économie corse ; il tient aux modalités de sortie de la zone franche.
J'observe d'ailleurs qu'en 1996, à l'occasion du débat sur la zone franche, M. Augustin Bonrepaux déplorait, devant l'Assemblée nationale, que « la zone franche aggrave l'injustice fiscale » !
M. Jean-Pierre Bel. Mais oui !
M. Gérard Larcher. Aujourd'hui, nul ne conteste plus, dans les rangs de la majorité gouvernementale,...
M. Jean-Pierre Bel. Si, si !
M. Gérard Larcher. ... l'effet positif de la création de la zone franche sur la trésorerie des entreprises. C'est une heureuse conversion !
Enfin, monsieur le ministre, qu'en sera-t-il du programme exceptionnel d'investissements ?
Sur ce point, le projet de loi est curieusement silencieux. Permettez-moi de m'étonner que le Gouvernement ait la prescience du caractère inévitable de modifications constitutionnelles qui devront intervenir en 2004, alors qu'il se révèle incapable de présenter un échéancier précis des crédits susceptibles d'être mis en oeuvre au titre du programme exceptionnel d'investissements. Plus que de lettres, c'est de chiffres que la Corse et les Corses ont besoin.
Mes chers collègues, notre responsabilité sera grande si nous mettons le doigt dans un processus qui conduira à enfoncer un coin dans l'unité de notre République, en laissant le champ libre aux Cassandre pour lesquelles les Corses n'ont qu'à prendre leur indépendance s'ils la souhaitent.
Aujourd'hui, notre seule voie, notre seul choix est de suivre les propositions de notre commission spéciale, qui a su allier les principes de l'unité à la reconnaissance de la diversité. Souhaitons que, dans les mois qui viennent, nous puissions discuter au fond de ce que pourrait être un pays moderne et décentralisé qui serait en même temps une République « une et indivisible ».
A l'ère de la mondialisation, on trouvera refuge non pas dans des communautés repliées sur elles-mêmes mais dans la croyance que nous formons encore un peuple, divers dans ses origines, mais rassemblé par un « vouloir vivre » ensemble autour de valeurs qui n'ont pas vieilli, celles de la République, de valeurs dont la langue nationale est devenue le véhicule. Réfléchissons-y avant de prendre des décisions circonstancielles. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux siècles après la Révolution, donner davantage de pouvoirs aux régions et accepter de rompre avec l'uniformisme jacobin, est-ce aller vers l'éclatement de la République et vers le communautarisme ? Bien sûr que non, ...
M. Jean-Pierre Bel. Très bien !
M. Philippe Richert. ... à condition de ne pas attenter à l'essentiel, à savoir le socle commun.
La solution passe par la décentralisation. C'est une nécessité si nous voulons adapter nos institutions à l'évolution des besoins et des enjeux sociaux. Cela signifie qu'il faut transférer de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, clarifier la répartition des responsabilités, permettre à l'Etat d'assurer enfin des missions aussi primordiales que la sécurité, qui ne peuvent relever que de lui, prendre en compte la diversité de nos territoires, en engageant, avant toute généralisation, une expérimentation. Ce serait utile, monsieur le ministre ! Voilà autant de pistes qu'il nous paraît essentiel d'approfondir dans le cadre d'une décentralisation fondatrice d'un nouvel équilibre institutionnel.
Que l'on cesse de prétendre que la République est en danger chaque fois que les attentes spécifiques et les besoins avérés d'une région ou d'une autre sont pris en compte.
Je ferai a contrario deux remarques.
Première remarque, voilà quelques semaines, dans ce même hémicycle, on nous expliquait que la prestation spécifique dépendance avait le tort de varier d'une centaine de francs d'un département à l'autre et qu'il fallait, pour l'allocation personnalisée d'autonomie, atteindre un équilibre parfait. Là, il ne faut donc pas faire de nuance, le Gouvernement et nombre de nos collègues qui siègent sur les travées de l'opposition sénatoriale nous l'ont assez répété ! Il y a donc en fonction de la nature des projets de loi des changements d'attitude que je regrette un peu.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cela n'a rien à voir !
M. Philippe Richert. Deuxième remarque, je tiens à rappeler que les modifications apportées à la loi locale en Alsace-Moselle impliquent toujours l'intervention du Parlement.
M. Pierre Mauroy. C'est juste.
M. Philippe Richert. Les modifications décidées à l'échelon local sont ensuite entérinées par la loi, c'est-à-dire votées par le Parlement, avant de devenir notre droit local. Je le précise parce que l'on cite parfois l'exemple de l'Alsace-Moselle en méconnaissant le processus législatif.
Après cette première série d'observations, j'en viens à ce qui me semble être aujourd'hui le problème : on a mis la charrue devant les boeufs.
On a voulu une loi spécifique au lieu de tracer le cadre général de la décentralisation globale et approfondie que nous appelons de nos voeux, comme l'a excellement rappelé M. Virapoullé.
Actuellement, nous abordons la décentralisation par petites touches...
M. Josselin de Rohan. Très petites !
M. Philippe Richert. ... à propos, par exemple, de la démocratie de proximité ou de la Corse. Bref, on procède par bribes. Ce que nous aurions souhaité, c'est qu'un vrai débat sur la décentralisation s'engage, au cours duquel la Corse aurait pu, comme les autres régions, faire valoir ses spécificités.
Je représente une région, l'Alsace, qui présente elle aussi des spécificités, à l'instar sans doute de toutes les régions françaises. Nous devons pouvoir étudier précisément, dans le respect de l'unité du territoire national, du socle fondateur auquel nous sommes tous attachés et des valeurs qui nous animent, les moyens d'être plus efficaces en tenant compte de la richesse culturelle et des besoins spécifiques de notre région.
Mais, avec ce texte, de quoi s'agit-il ? On a le sentiment, peut-être infondé, que l'on cède à la violence (Murmures sur les travées socialistes)...
M. Jean-Pierre Bel. Mais non !
M. Philippe Richert. ... et que, progressivement, mesure après mesure, on donne raison à ceux qui sont à l'origine de cette violence. C'est cela qui est gênant ! (M. Dreyfus-Schmidt proteste.)
Cela étant, j'estime que le président et le rapporteur de la commission spéciale ont formulé des propositions particulièrement intéressantes et pertinentes pour faire évoluer ce texte. Elles permettent à la fois de donner aux Corses les moyens d'agir pour leur avenir et de ménager des ajustements de grande portée, dans le respect de la Constitution.
S'agissant par exemple des langues régionales, j'en pratique une chez moi au quotidien, et il en va de même pour mes trois enfants.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A l'école !
M. Philippe Richert. Non, d'abord en famille, ensuite à l'école.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Aussi à l'école !
M. Philippe Richert. L'école intervient dans un second temps, et les collectivités locales, notamment le conseil général et le conseil régional, jouent un grand rôle à ce stade. Cela permet aujourd'hui à tous les jeunes d'apprendre la langue régionale et d'approfondir son étude à l'école s'ils le souhaitent.
M. Jean-Pierre Bel. Très bien !
M. Philippe Richert. Cet enseignement n'est donc pas imposé à tous, mais ceux qu'il intéresse doivent pouvoir en bénéficier, parce que cela participe du socle culturel régional que nous avons le devoir de sauvegarder et de l'ouverture intellectuelle qu'il faut garantir aux jeunes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Philippe Richert. En matière de développement économique, en particulier touristique, les propositions de M. le rapporteur me paraissent tout à fait sensées et pertinentes. Il en est de même de l'initiative qu'il a prise dans le domaine de l'environnement, en trouvant un moyen, peut-être imparfait mais tout à fait remarquable dans sa conception, de permettre le développement du territoire et de débloquer la situation tout en prévenant une gangrène progressive de l'ensemble du littoral.
Je pense donc que le projet de loi, dans la rédaction qui sera issue de nos débats, sera un texte de référence, un texte équilibré qui nous permettra de nous retrouver tous autour de l'essentiel. Des nuances pourront par ailleurs s'exprimer, mais je crois que faire confiance à l'esprit qui a animé le rapporteur et la commission spéciale nous mènera dans la bonne direction.
J'espère que, au-delà des différences et des affrontements, lesquels sont parfois nécessaires, nous pourrons nous réunir autour des valeurs que M. le rapporteur a su rappeler. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole !...
La discussion générale est close.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'issue de ce débat, qui a été riche et qui a retenu toute mon attention, le sentiment dominant que j'éprouve est une certaine perplexité.
Cela étant, je voudrais tout d'abord remercier ceux qui ont marqué, avec talent et force de conviction, leur adhésion à notre projet, perçu dans sa globalité parce qu'il doit répondre à une question complexe qui s'est posée à tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt-cinq ans.
Je pense bien sûr ici à Jean-Pierre Bel, à Louis Le Pensec, au Premier ministre Pierre Mauroy et à Robert Bret, mais aussi à ceux des orateurs qui ont fait preuve, dans leurs propos, d'ouverture et de mesure, notamment MM. Hoeffel et Mercier.
Je voudrais également remercier, pour leur hauteur de vues, M. le président et M. le rapporteur de la commission spéciale qui, ont étudié la question corse sous tous ses aspects et se sont efforcés, en leur âme et conscience, de proposer des solutions à tous les problèmes posés.
Cependant, j'ai éprouvé un sentiment de perplexité, ai-je dit, à l'écoute des interventions de certains orateurs appartenant à la majorité sénatoriale, qui estiment que nous faisons trop pour la Corse mais qu'il faudrait faire autant, sinon davantage, pour l'ensemble des régions françaises. C'est un premier paradoxe ! En outre, ils jugent aussi que nous consentons trop d'avancées en direction des nationalistes, dont ils développent à l'envi les thèses, propositions et exigences, faisant ainsi de ces derniers des acteurs centraux du jeu politique, ce qui n'a jamais été l'approche retenue par le Gouvernement.
Je reviendrai maintenant sur les points qui me paraissent essentiels, en les regroupant par thème pour la clarté du propos. Dans la discussion des articles, nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur les questions qui ont été évoquées.
S'agissant tout d'abord du sens de la démarche, la question posée, comme je l'ai déjà indiqué, n'est pas celle de l'indépendance : ce n'est ni le projet du Gouvernement ni l'aspiration de l'immense majorité des Corses. Comment soutenir alors, comme je l'ai lu ou entendu, qu'il s'agit de la pente inéluctable sur laquelle ce projet de loi nous engagerait ?
Devant la situation complexe et difficile que tout le monde a reconnue et à laquelle tous les gouvernements ont été confrontés depuis plus de vingt-cinq ans, je vois au contraire dans l'immobilisme le véritable danger, celui d'une République sans la Corse, contre la volonté des Corses.
En effet, la lassitude gagne certains de nos concitoyens du continent, nous le savons bien.
M. Paul Girod, rapporteur. Eh oui !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Prenons garde que cette lassitude ne devienne pas rejet ! Il est de la responsabilité d'un gouvernement de tracer une perspective. Permettez-moi à cet égard d'écarter une nouvelle fois la démarche que certains, dans le passé, ont essayée : la négociation avec telle ou telle faction.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les cagoulards !
M. Josselin de Rohan. Pierre Joxe !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Elle n'a été ni conforme aux principes républicains ni garante de succès. On a même ainsi parfois pris le risque de ridiculiser la République.
La réponse résiderait-elle alors dans l'application de la loi ? Certes oui, et le Gouvernement s'y emploie : je peux affirmer que la loi est maintenant respectée en Corse au moins autant qu'ailleurs. (Rires et protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Bizet. C'est vraiment curieux !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il reste à faire, car cette action doit s'inscrire dans la durée, mais pourquoi la Corse devrait-elle être plus vertueuse que d'autres régions et pourquoi ses élus seraient-ils moins respectables que d'autres ?
Toutefois, l'application de la loi ne suffit pas quand celle-ci ignore les spécificités et méconnaît les identités. Il revient à la loi de traduire la reconnaissance des différences dans la République. Le projet de loi que vous examinez aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, conjugue reconnaissance, clarification et responsabilisation accrue des élus du suffrage universel.
Ces élus ont été nos seuls interlocuteurs, au risque d'indisposer, certes, ceux qui, un temps, ont été considérés comme des interlocuteurs légitimes, sans avoir eux-mêmes jamais été élus !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce risque, nous l'assumons, cela dût-il nous valoir des tensions, car la République vit non pas seulement de principes, mais aussi de leur mise en oeuvre.
A en croire certains, il nous aurait fallu exclure de ce dialogue les élus représentant la sensibilité nationaliste, en oubliant qu'ils sont les élus du suffrage universel. (Murmures sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Bel. C'est mieux que les cagoulards !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Les mêmes ne cessent pourtant de les mettre au coeur du débat politique. Ils sont huit sur cinquante et un membres de l'Assemblée de Corse, et huit sur les quarante-quatre qui ont approuvé le relevé de conclusions proposé par le Gouvernement ; ils étaient singulièrement plus nombreux à Tralonca !
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Pourquoi donc ignorer obstinément les autres élus qui soutiennent ce projet ? Pour nous faire oublier qu'ils sont souvent plus proches de la majorité sénatoriale que de la majorité gouvernementale ? Vous voyez bien que le Gouvernement n'a pas une approche partisane de la question corse. Il n'a rien à gagner, sauf à faire prévaloir l'intérêt général.
Que dire enfin de ces citations insistantes des propos d'un nationaliste ayant fait le choix de la violence, et disparu cet été ?
M. Josselin de Rohan. Disparu comment ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Permettez-moi de ne pas en faire une référence, peut-être parce que, pour ma part, je ne l'ai jamais rencontré...
M. Josselin de Rohan. Moi non plus !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... et encore moins fait entrer place Beauvau par la porte de derrière ! (Rires sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
Je préfère souscrire sans retenue aux propos de ceux qui ont souligné, comme je l'ai fait, le sacrifice de si nombreux Corses et la contribution de bien d'autres au rayonnement de la France. A chacun ses références : pour ce qui me concerne, je n'ai jamais eu de dialogue singulier avec des violents ou des clandestins.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Evidemment, ils ne veulent plus vous voir !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Sur le fond de la démarche, j'ai entendu des propos responsables et d'ouverture qui honorent leurs auteurs. D'autres n'ont malheureusement pas résisté à la tentation de la caricature ni à celle d'une déformation des dispositions du projet de loi, malgré le souhait qu'avait exprimé M. le rapporteur.
Il y a, enfin, cette approche, que je qualifierai d'insidieuse, pour reprendre un terme employé par M. le rapporteur : ce qui ne serait pas bon pour la Corse serait urgent et indispensable pour l'ensemble des autres régions ; ce ne serait ni le moment ni le meilleur endroit pour engager une démarche audacieuse de décentralisation. En un mot, il serait urgent de ne rien faire en Corse et pour la Corse !
M. Josselin de Rohan. Les prisons !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je le dis avec solennité : quel que soit l'avenir de la décentralisation dans notre pays, je suis sûr qu'il y aura encore et toujours un statut spécifique pour la Corse.
M. Jean-Pierre Bel. Bien sûr !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Certains, feignant d'ignorer les compétences confiées aux élus de l'Assemblée de Corse depuis la loi de 1991, en appellent à une consultation des Corses. Souvent défenseurs d'une application rigoureuse de la Constitution, ils oublient, en proposant un référendum, que cette démarche ne serait pas conforme à cette dernière.
M. Josselin de Rohan. Personne n'a proposé cela !
M. Georges Gruillot. Personne n'en a parlé !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce référendum, vous le savez bien, serait anticonstitutionnel. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. On le sait bien, personne n'en a parlé !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Si, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, certains en ont parlé, ici ou ailleurs !
Il en est de même du recours à une dissolution de l'Assemblée de Corse, lui aussi proposé, mais que la loi, vous le savez. réserve au seul cas d'un blocage de son fonctionnement. Ce blocage n'existant pas, cette dissolution serait donc illégale.
M. Jean-Patrick Courtois. Qui a demandé cela ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Si des réformes d'importance ont été envisagées sous condition en 2004, c'est justement pour correspondre avec l'échéance du mandat actuel de l'Assemblée de Corse.
Par ailleurs, je rappelle que le Gouvernement s'est prononcé en faveur du recours à la voie référendaire pour mener à son terme la révision constitutionnelle qui sera alors indispensable. Le Gouvernement s'est ainsi exprimé clairement tant sur le fond que sur la méthode. Reconnaissez qu'il est bien le seul à l'avoir fait !
En outre, le projet de loi ne confère en rien un pouvoir réglementaire général : il prévoit sa mise en oeuvre dans le cadre des compétences confiées par la loi à la collectivité territoriale et dans des conditions précisément définies par la loi.
Ainsi, vous avez pris pour exemple, monsieur le rapporteur, les dispositions relatives au conseil des sites, mais tant la rédaction actuelle de l'article 9 que l'amendement déposé par le Gouvernement renvoient la composition de ce dernier à un décret en Conseil d'Etat. (M. le rapporteur fait un signe de dénégation.) Je tenais à vous le rappeler.
En ce qui concerne le volet fiscal, vous êtes nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à proposer un élargissement du noyau dur des secteurs d'activité éligibles au crédit d'impôt. Je rappellerai tout d'abord que ces secteurs ont été définis avec les élus de Corse. Ils l'ont été soit parce qu'ils permettaient l'implantation d'activités nouvelles - technologie de l'information et de la communication, par exemple -, soit parce que, déjà présents dans l'île, ils avaient un effet d'entraînement sur l'ensemble d'une filière. C'est l'exemple de l'hôtellerie, pour le tourisme. Pour le reste, la novation d'un crédit d'impôt généralisé à taux différencié a bien pour objectif de mobiliser les autres secteurs d'activité et de permettre à tous les chefs d'entreprise de participer à ce nouvel élan économique.
Enfin, j'entends souvent dire que les entreprises vivent plus de leur activité que des aides qu'elles reçoivent. Le programme exceptionnel d'investissement y contribuera alors de façon décisive. C'est particulièrement vrai pour le secteur du bâtiment et des travaux publics qui va connaître, dans les quinze ans à venir, un taux d'activité lui aussi exceptionnel. Le contenu du programme sera non pas arrêté unilatéralement par l'Etat, mais concerté avec les élus concernés. C'est cela l'esprit de la concertation ! Le Premier ministre a chargé le préfet d'engager cette dernière sans attendre, comme je l'ai annoncé aux élus de l'Assemblée de Corse le 26 octobre dernier, à Ajaccio.
Permettez-moi enfin d'indiquer que je sens beaucoup d'entre vous plus attentifs aux chefs d'entreprise qu'ils ne le sont - je le dis très franchement à cette heure avancée - aux élus du suffrage universel. Je suis en effet étonné du peu de confiance qu'un certain nombre d'orateurs témoignent à mes interlocuteurs privilégiés en Corse : je pense au président du conseil exécutif, M. Jean Baggioni, ainsi qu'au président de l'assemblée territoriale, M. José Rossi, qui sont non pas mes amis politiques, mais les vôtres !
M. Jean-Patrick Courtois. Et alors ?
M. Jean-Paul Virapoullé. Et Simon Renucci ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je pense, bien sûr, au président du conseil général de Haute-Corse, M. Giacobbi.
M. Josselin de Rohan. Et Emile Zuccarelli, vous connaissez ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je pense au nouveau président du conseil général de Corse-du-Sud, avec qui je dialogue, je pense au maire de Bastia, M. Emile Zuccarelli, avec qui je dialogue également. Et je pense à M. Simon Renucci,...
M. Josselin de Rohan. Il n'est pas très d'accord avec vous !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ...le nouveau maire d'Ajaccio, qui est favorable au processus.
M. Alain Joyandet. Et vous pensez à M. Chevènement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Voilà des interlocuteurs élus en Corse par le suffrage universel, chargés de fonctions exécutives et avec lesquels, bien évidemment, je travaille. Et institutionnellement, il me revient, bien sûr, de leur faire confiance. Je voudrais que cette confiance soit davantage partagée.
M. Pierre Mauroy. Très bien !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Vous êtes aussi nombreux à lier le sort de la Corse à un mouvement général de décentralisation. Viendra le temps d'aborder cette question. Après Pierre Mauroy, qui a eu raison de le dire, dois-je vous rappeler à mon tour qu'une première étape de cette décentralisation a été abordée à travers le projet de loi relatif à la démocratie de proximité,... (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Que vous n'êtes pas prêt à nous présenter !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... que j'ai eu le plaisir de présenter à l'Assemblée nationale puisque Pierre Mauroy et d'autres orateurs ont souhaité que je le dise, je saisis l'occasion de rappeler, avec l'accord du ministre des relations avec le Parlement, que ce texte est bien inscrit à l'ordre du jour du Sénat pour le mois de janvier. (M. Courtois s'exclame.)
Ne doutez pas que, sur cette question de la décentraliton, nous ferons là encore des propositions ambitieuses, car nous n'avons rien à craindre d'une comparaison de nos bilans respectifs. (Murmures sur les travées du RPR.) M. Jean-Patrick Courtois. Ah non ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. S'agissant de la Corse, pourquoi attendre ? Je vous invite à mettre en oeuvre sans tarder les excellentes intentions qui ont été ici évoquées en soutenant, sans le dénaturer, sans le réduire, le projet de loi que nous vous proposons d'adopter.
Ce texte est particulièrement fondé sur la notion de responsabilité. Je pense en effet que la responsabilisation des élus, notamment des élus de Corse, est un élément déterminant. D'ailleurs, dans leur grande majorité, les élus, sur tous les rangs - c'est notamment le cas de vos amis politiques, comme je le rappelais à l'instant, ceux avec lesquels j'ai davantage l'habitude de travailler - ont pris en Corse, à deux reprises, leurs responsabilités. J'ai pu encore le vérifier lors de la réunion à laquelle je participais samedi 26 octobre. Il incombe maintenant au Parlement de prendre ses responsabilités, comme je l'ai indiqué devant l'Assemblée nationale : les députés de la République ont pris les leurs en adoptant le texte qui est soumis aujourd'hui au Sénat ; je me permets donc de dire à la Haute Assemblée et à sa majorité qu'il leur revient maintenant de prendre leurs responsabilités...
M. Josselin de Rohan. On les prendra !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... face aux Corses et à l'ensemble des Français sur ce sujet difficile pour tout le monde. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

Exception d'irrecevabilité