SEANCE DU 8 NOVEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 45
bis
. - I. - Les employeurs de main-d'oeuvre agricole
installés en Corse au moment de la promulgation de la présente loi peuvent,
lorsqu'ils sont redevables de cotisations patronales dues au régime de base
obligatoire de sécurité sociale des salariés agricoles pour des périodes
antérieures au 1er janvier 1999, bénéficier d'une aide de l'Etat dans la limite
de 50 % du montant desdites cotisations dues.
« II. - Le bénéfice de l'aide prévue au I est subordonné pour chaque demandeur
aux conditions cumulatives suivantes :
« - apporter la preuve, par un audit extérieur, de la viabilité de
l'exploitation ;
« - être à jour de ses cotisations sociales afférentes aux périodes d'activité
postérieures au 31 décembre 1998 ;
« - s'être acquitté auprès de la caisse de mutualité sociale agricole de Corse
:
« - soit d'au moins 50 % de la dette relative aux cotisations patronales de
sécurité sociale antérieures au 1er janvier 1999 ;
« - soit, pour ces mêmes cotisations, des échéances correspondant au moins aux
huit premières années du plan dans le cas où la caisse a accordé l'étalement de
la dette sur une période qui ne peut excéder quinze ans ;
« - être à jour de la part salariale des cotisations de sécurité sociale visée
par l'aide, ou s'engager à leur paiement intégral par la conclusion d'un
échéancier signé pour une durée maximale de deux ans entre l'exploitant et la
caisse ;
« - autoriser l'Etat à se subroger dans le paiement des cotisations sociales
auprès de la caisse de mutualité sociale agricole de Corse.
« III. - La demande d'aide prévue au I doit être présentée à l'autorité
administrative de l'Etat dans un délai d'un an à compter de la publication de
la présente loi.
« IV. - Pour l'application des I, II et III, la conclusion d'un échéancier de
paiement de la dette avec la caisse de mutualité sociale agricole entraîne la
suspension des poursuites.
« V. - L'aide accordée au titre du dispositif relatif au désendettement des
personnes rapatriées réinstallées dans une profession non salariée vient en
déduction du montant de l'aide prévue au I.
« VI. - Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas lorsque le
débiteur relève des procédures instituées par le livre VI du code de commerce
et par les dispositifs de redressement et de liquidation de la loi n° 88-1202
du 30 décembre 1988 relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son
environnement économique et social. »
L'amendement n° 150, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale, est ainsi libellé :
« Supprimer l'article 45
bis
. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
L'article 45
bis
vise à une remise de dette sociale en
faveur des agriculteurs corses. Cette disposition, qui a déjà été présentée
antérieurement dans un autre texte, a été censurée par le Conseil
constitutionnel. Il semble donc un peu difficile d'en admettre la résurrection
dans ce texte qui sera, de toute façon, soumis au Conseil constitutionnel ; il
n'est en effet pas nécessaire de multiplier les motifs d'inconstitutionnalité
!
J'ajoute que l'enquête que nous avons menée fait ressortir un nombre
extrêmement limité de personnes remplissant les critères d'éligibilité : une
trentaine, nous dit-on. La MSA peut, à mon avis, résoudre leur problème au cas
par cas. Dans ces conditions, il semble hasardeux de se lancer dans des
acrobaties constitutionnelles !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
La situation particulière de la Corse justifie
que les exploitants agricoles employeurs de main-d'oeuvre bénéficient d'un
programme d'accompagnement ; c'est le sens de l'article 45
bis
.
Pour les exploitants agricoles les plus endettés, les solutions de règlement
habituelles ne sont pas applicables. L'implantation de l'agriculture en Corse a
été tardive, puisqu'elle est postérieure à la Seconde Guerre mondiale. Pour
rattraper ce retard, dans les conditions géographiques et climatiques propres à
l'île, un très important effort d'investissement a été nécessaire, mais des
crises conjoncturelles ont rendu le remboursement de dettes extrêmement
difficile pour nombre d'exploitants.
En outre, des défaillances dans le recouvrement des cotisations qui ont donné
lieu au remplacement des dirigeants de la caisse de mutualité agricole de Corse
en 1998 ont provoqué l'accumulation d'un arriéré de paiement important à
l'égard de cet organisme. Une part significative de l'endettement des
exploitants agricoles est constituée de cotisations sociales qu'ils doivent à
la MSA au titre des salariés qu'ils emploient.
Il ne serait ni pertinent économiquement ni équitable de prendre en la matière
des dispositions générales.
L'article 45
bis
institue donc une aide en vue du développement des
exploitations agricoles versée à la MSA, qui pourra ainsi éteindre une partie
de ses créances. Une disposition législative est nécessaire pour autoriser la
MSA à affecter ces sommes au paiement des cotisations patronales.
En l'absence d'une telle disposition, un tiers environ des exploitations
agricoles pourraient être acculées à la liquidation judiciaire. Or il ressort
des audits déjà menés qu'elles sont pour la plupart économiquement viables.
L'attribution de l'aide est subordonnée à plusieurs conditions : un audit
externe doit avoir constaté la viabilité de l'exploitation ; l'exploitant doit
être à jour des cotisations dues depuis le 1er janvier 1999, date à laquelle le
recouvrement des cotisations a repris de façon normale ; l'exploitant doit
avoir soit acquitté au moins la moitié des cotisations dues pour les périodes
antérieures, soit respecté, pendant au moins huit ans, l'échéancier arrêté avec
la caisse.
Si seuls 58 employeurs remplissent aujourd'hui toutes ces conditions, on peut
considérer que 177 employeurs sont potentiellement éligibles au dispositif
prévu.
La situation spécifique en Corse résulte notamment des charges et contraintes
qui ne se retrouvent pas sur le continent et qui réduisent le revenu annuel
moyen de l'exploitant ; ce dernier, en 1998, s'établissait à 24 000 francs en
Corse, contre 80 000 francs sur le continent. Il en résulte un endettement
supérieur : 650 000 francs pour 480 000 francs de production pour un
exercice.
La proportion des exploitations dont les dettes atteignent au moins 90 % du
total du bilan est de 10,6 %, soit trois fois plus que sur le continent. Le
dispositif présenté par le Gouvernement est donc vital pour l'avenir de
l'agriculture en Corse.
Voilà pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n°
150.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, l'amendement est-il maintenu ?
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je suis au regret de ne pas vous suivre, monsieur le
ministre. Cette disposition a déjà été censurée par le Conseil constitutionnel,
et ce n'est pas la peine d'ajouter des motifs d'inconstitutionnalité !
Vous avez fait une longue explication pour répondre à une partie des
considérants du Conseil constitutionnel faisant ressortir que le débat
parlementaire n'avait pas évoqué la situation spécifique des agriculteurs
corses. Mais il est probablement excessif de prendre une disposition de cet
ordre pour 38 personnes !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Non ! 58 exploitants recensés et 177 personnes
potentielles !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Non, monsieur le ministre ! Le nombre de 38, compte tenu des
conditions que vous posez, m'a été donné par la caisse centrale de la Mutualité
sociale agricole.
Mais permettez-moi une brève digression : il est vrai que les méthodes de
calcul des cotisations sociales agricoles en Corse font l'objet de fortes
contestations - le mot est extraordinairement faible ! - entre les syndicats
d'exploitants et les responsables de la Mutualité sociale agricole. J'ai ainsi
entendu un certain nombre d'argumentations qui m'ont laissé quelque peu
perplexe. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette affaire mérite
approfondissement. C'est une raison supplémentaire pour laquelle je demande au
Sénat de supprimer l'article 45
bis
. Il nous reste encore un mois et
demi avant la fin du processus parlementaire tel qu'on peut le concevoir. Je
pense donc, monsieur le ministre, que, de votre côté comme du nôtre, nous avons
intérêt à creuser un peu plus cette affaire. Les chiffres divergent : 177
bénéficiaires potentiels contre 38 remplissant les critères aujourd'hui. Et les
syndicats agricoles contestent la matérialité même de la dette !
Dans ces conditions, il serait bon que, les uns et les autres, nous tentions
d'éclaircir ce point avant de prendre une position définitive. Si l'article
45
bis
était adopté conforme, nous ne pourrions pas l'examiner à
nouveau. Je préfère donc que ce point reste en suspens, et c'est pourquoi je
maintiens l'amendement n° 150.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je tiens à apporter une précision quant à mes
sources afin qu'il n'y ait pas de polémique sur le nombre de personnes visées
par la mesure : les nombres que j'ai donnés - 58 exploitants recensés et 177
personnes potentielles - émanent du ministère de l'agriculture, qui est peu
soupçonnable de légèreté.
Je pense qu'il s'agit là d'une réalité à prendre en compte. Le Gouvernement a
demandé au ministère de l'agriculture de se pencher sur ce sujet délicat et
difficile. Ce ministère s'est prononcé, et c'est la raison pour laquelle le
Gouvernement souhaite le maintien des dispositions préconisées.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
La suppression de l'article 45
bis
permet de laisser
le débat ouvert. C'est pourquoi je maintiens l'amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 150.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Ceccaldi-Raynaud.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Monsieur le rapporteur, l'agriculture corse est à l'agonie ; elle est en train
de mourir.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il n'y a pas qu'elle !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cette situation touche non seulement des Corses d'origine, mais tous les
pieds-noirs qui se sont installés en Corse, encouragés par l'Etat, par les
gouvernements successifs.
Monsieur le rapporteur, jusqu'à présent, j'ai toujours adhéré à vos
propositions, mais, là, je vous invite à faire très attention aux mesures que
vous préconisez.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 150, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 45
bis
est supprimé.
TITRE IV
PROGRAMME EXCEPTIONNEL
D'INVESTISSEMENTS
Article 46