SEANCE DU 18 DECEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 33
septies
. - I. - Les articles 14, 14-1 et 14-2 de la loi n°
64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et
à la lutte contre leur pollution sont remplacés par les articles 14 à 14-7
ainsi rédigés :
«
Art. 14
. - L'agence perçoit sur les personnes publiques ou privées,
lorsqu'elles entrent dans le cadre de son activité, des redevances dues à
raison :
« - de la détérioration de la qualité de l'eau, en fonction de la pollution
produite par les personnes assujetties un jour normal du mois de rejet maximal
;
« - des prélèvements sur la ressource en eaux ;
« - de la modification du régime des eaux.
«
Art. 14-1
. - Lorsque ces redevances correspondent aux pollutions dues
aux usages domestiques de l'eau et à celles qui sont dues aux usages non
domestiques des abonnés au service public de distribution d'eau qui sont
assimilés aux usages domestiques dans la mesure où les consommations annuelles
de ces abonnés sont inférieures à une quantité fixée par décret, elles sont
calculées par commune ou par groupement de communes si l'assemblée délibérante
de celui-ci le demande, en fonction du nombre des habitants agglomérés
permanents et saisonniers. L'exploitant du service public de distribution d'eau
est autorisé à percevoir, en sus du prix de l'eau, la contre-valeur, assise sur
les quantités d'eau facturées, de la redevance due à l'agence. Il verse à cette
dernière le produit de cette perception. Les trop-perçus éventuels seront
reversés par l'agence à la commune ou au groupement de communes pour être
affectés au budget d'assainissement.
«
Art. 14-2
. - Lorsqu'un dispositif permet d'éviter la détérioration de
la qualité des eaux, une prime est versée au maître d'ouvrage public ou privé
de ce dispositif ou à son mandataire. Elle est calculée en fonction de la
quantité de pollution dont l'apport au milieu naturel est supprimé ou évité.
«
Art. 14-3
. - La définition des pollutions constitutives de l'assiette
des redevances et des primes, prévues aux articles 14 à 14-2, leur mode
d'estimation et de mesure, les seuils de perception des redevances et
d'attribution des primes, les taux des redevances, leur modulation
géographique, les cas et conditions de leur estimation forfaitaire, le seuil de
population au-dessous duquel les redevances visées à l'article 14-1 ne sont pas
perçues, sont ceux qui résultent, au jour de la promulgation de la loi de
finances rectificative pour 2001 (n° du ) de l'application de l'article 18
du décret n° 66-700 du 14 septembre 1966 relatif aux agences financières de
bassin créées par l'article 14 de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 et du
décret n° 75-996 du 28 octobre 1975 portant application des dispositions de
l'article 14-1 de la loi modifiée du 16 décembre 1964 relative au régime et à
la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.
«
Art. 14-4
. - Tout redevable est tenu de fournir à l'agence les
renseignements nécessaires à l'établissement de la redevance. L'agence est
habilitée à contrôler l'exactitude de ces renseignements.
« Il pourra être procédé, pour chaque redevable, au calcul des bases
d'imposition au moyen d'un échantillonnage approprié ou d'estimations dressées
en fonction notamment de certains éléments caractéristiques de son installation
ou de son activité. Toutefois les redevables pourront exiger de l'agence
l'installation à leurs frais de compteur ou autres moyens de mesure.
«
Art. 14-5
. - Les redevances sont recouvrées par l'agent comptable de
l'agence.
«
Art. 14-6
. - Les décisions relatives aux redevances peuvent faire
l'objet de recours devant la juridiction administrative. Toutefois les
contestations relatives aux actes de poursuites sont portées devant les
tribunaux judiciaires.
« Les réclamations relatives à la liquidation des redevances doivent être
portées devant le directeur de l'agence avant d'être soumises éventuellement à
la juridiction administrative compétente.
« A défaut de décision du directeur notifiée au réclamant dans le délai de
quatre mois, la réclamation est réputée rejetée.
«
Art. 14-7
. - Un compte rendu d'activité des agences de l'eau, faisant
état de leurs recettes et de leurs dépenses, est annexé chaque année au projet
de loi de finances. »
« II. - L'article 14-3 de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 précitée
devient l'article 14-8.
« III. - Sont abrogés :
« 1° Le 5° de l'article 4, le 2° de l'article 9 et les articles 17 à 21 du
décret n° 66-700 du 14 septembre 1966 relatif aux agences financières de bassin
créées par l'article 14 de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 ;
« 2° Les articles 1er à 10, 12 à 17, 19 et 20 du décret n° 75-996 du 28
octobre 1975 portant application des dispositions de l'article 14-1 de la loi
modifiée du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et
à la lutte contre leur pollution ;
« 3° Les actes et décisions pris en application des dispositions mentionnées
aux 1° et 2° ci-dessus. »
Sur l'article, la parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
En 1982, le Conseil constitutionnel avait établi que les redevances perçues
par les agences de l'eau relevaient des impositions de toute nature et que le
système mis en place par la loi de 1964 n'était pas conforme à la
Constitution.
L'article 33
septies
vise à instaurer un contrôle parlementaire des
redevances. Un tel objectif est légitime, nous ne le contestons pas, mais deux
impératifs doivent nous inciter à une grande prudence et, en conséquence,
justifieront les demandes de suppression de cet article que M. le rapporteur
général et moi-même avons formulées.
Le premier impératif est de relativiser l'urgence d'une telle disposition. Je
l'ai dit, son inconstitutionnalité est réelle, et elle est connue depuis vingt
ans ; elle n'a pourtant pas entravé l'efficacité des organismes de bassin,
efficacité que les collectivités locales connaissent bien. Rappelons que les
agences financent en moyenne entre 40 % et 50 % des travaux entrepris dans le
domaine de l'eau et que les taux des redevances sont votés démocratiquement au
sein des comités de bassin, que d'ailleurs nous appelons souvent les « petits
parlements de l'eau ».
Par ailleurs, il faut remarquer qu'un projet de loi sur l'eau, qui sera
discuté le 8 janvier à l'Assemblée nationale, doit remédier à cette
inconstitutionnalité.
Depuis trois ans, la réforme de la politique de l'eau a suscité une forte
mobilisation chez tous ses acteurs, qui ont activement participé à la
préparation du texte. Ici même, au Sénat, des auditions ont été menées par le
groupe d'étude de l'eau, que j'ai l'honneur de présider, et un colloque
organisé le 12 octobre 2000 par la commission des affaires économiques a bien
fait progresser la réflexion. Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée
nationale, M. Daniel Marcovitch, instruit ce dossier depuis six mois ; j'ai
moi-même travaillé avec lui sur certains aspects en procédant à des auditions
dans tous les secteurs concernés.
Trancher le débat maintenant, en adoptant les dispositions de l'article 33
septies,
me semble donc particulièrement prématuré.
Le deuxième impératif est de mieux évaluer les enjeux. En effet, le contrôle
parlementaire des redevances sous-tend deux enjeux majeurs qui doivent inviter
à une très grande prudence.
Le premier enjeu est l'autonomie des instances de bassin. Les besoins observés
dans chaque bassin hydrographique sont différents. Actuellement, les instances
de bassin fixent les taux de redevance afin de dégager les recettes adaptées
aux programmes d'intervention qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre, et
c'est ce qui explique la disparité des barèmes. Si le contrôle parlementaire
des redevances est indispensable, il doit ménager suffisamment de souplesse
pour permettre aux instances de bassin d'ajuster les taux aux contextes locaux,
ce que, actuellement, ne prévoit pas le texte qui nous est soumis.
Le deuxième enjeu réside dans la pérennité du système redistributif et
mutualiste des agences de l'eau. Comme vous le savez, l'encadrement des aides
d'Etat par la Communauté européenne interdit l'attribution aux industriels
désireux de se mettre en conformité d'aides qui n'auraient pas été acceptées
par les instances communautaires. Depuis 1988, la France justifie le système
actuel en faisant valoir son caractère mutualiste et redistributif. En ira-t-il
de même lorsque les redevances seront des impôts votés par le Parlement,
surtout si elles apparaissent comme totalement déconnectées des programmes
qu'elles financent ?
Tout cela nous amène à être extrêmement prudents et à demander un temps de
réflexion dans le cadre du débat qui va s'instaurer à l'Assemblée nationale,
puis au Sénat.
Tel est donc le sens de l'amendement que je défendrai pour la suppression de
cet article.
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 21 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des
finances.
L'amendement n° 26 est présenté par MM. Oudin, François-Poncet et Torre.
Tous deux sont ainsi libellés :
« Supprimer l'article 33
septies
. »
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n°
21.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
J'ai plaisir à participer à cette espèce de jeu de
relais avec M. Jacques Oudin, puisque la commission présente également un
amendement de suppression de l'article 33
septies
.
Lorsque nous essayons de comprendre à quel besoin répond cet article,
introduit par l'Assemblée nationale, on nous dit qu'il s'agirait de rendre
conforme à la Constitution le dispositif des redevances des agences de
l'eau.
L'inconstitutionnalité de ce dispositif a donc été constatée dès 1982, sans
que cela ait eu de portée opérationnelle. On jugera ainsi de l'urgence de
l'article 33
septies
, compte tenu des vingt années qui viennent de
s'écouler dans une situation aussi précaire sur le plan du respect des
principes constitutionnels !
Il s'agirait, dans l'esprit de l'Assemblée nationale, de valider et de figer
dans la loi l'état des redevances actuelles. Mais à la vérité, lorsque nous
examinons l'article tel que les députés nous l'ont transmis, nous observons
qu'il risque lui-même d'être frappé d'inconstitutionnalité. Il est en effet
probablement contraire à l'article 34 de la Constitution, avec lequel, en tout
cas, il prend beaucoup de libertés ; il est également probablement contraire au
principe d'égalité devant l'impôt il est certainement contraire au principe de
sécurité juridique, etc.
Faut-il, pour rendre constitutionnel un dispositif reconnu comme
inconstitutionnel depuis vingt ans, voter un article qui est probablement
lui-même inconstitutionnel ? Je me permets, à l'occasion de ces travaux
préparatoires, de soumettre la question aux juristes, constitutionnalistes,
étudiants ou thésards qui se pencheront peut-être un jour sur nos débats. Il
s'agit là, assurément, d'une question fort intéressante et très théorique.
Si l'on examine les choses sous un angle plus concret, plus fonctionnel, que
peut-on dire ? L'article adopté par l'Assemblée nationale fait passer
directement au plan législatif un système antérieur qui comportait une très
large délégation de pouvoirs au domaine réglementaire et aux comités de bassin,
et même aux conseils d'administration des différentes agences de l'eau.
Ce basculement, qui est le fruit de la volonté de l'Assemblée nationale, fige
la situation actuelle qui, dans sa complexité, n'était sans doute pas adaptée à
la multiplicité des niveaux de décision, alors même que des évolutions
significatives et diverses tenant compte des contextes locaux peuvent être
nécessaires.
Le basculement complet des redevances dans le domaine législatif ôte aux
agences de l'eau toute possibilité de programmation pluriannuelle. C'est, en
fait, ce qui donne sa substance à leur autonomie qui leur est retiré et il
s'agit donc d'un changement fondamental.
Ce basculement total dans le domaine législatif a pour effet d'instaurer une
situation intermédiaire de trois années au minimum avant qu'une nouvelle loi
sur l'eau ne vienne reconstituer des modalités normales de gestion. Or, à ce
jour, le système des redevances des agences de l'eau n'a fait l'objet que de
critiques théoriques et n'a, semble-t-il, jamais suscité de contentieux
significatif.
Au total, madame le secrétaire d'Etat, le texte qui nous est soumis met en
danger la pérennité des instances de bassin de même que la gestion de l'eau par
grands bassins.
Il ne répond, en outre, à aucune nécessité puisque le projet de loi portant
réforme de la politique de l'eau doit, en tout état de cause, être adopté à
brève échéance - d'ici à un an, comme l'a rappelé Jacques Oudin - pour
transposer en droit français la directive cadre sur l'eau.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En attendant l'adoption de celle-ci, le système
actuel peut tout à fait continuer à fonctionner dans la mesure où aucune
procédure juridique laissant craindre un contentieux dans l'immédiat n'a été
engagée.
Certes, madame le secrétaire d'Etat, la loi relative au régime et à la
répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution du 16 décembre 1964,
grande loi structurante qui a permis de véritables avancées et des prises de
conscience de même que l'association des élus locaux et de toutes les personnes
concernées à la gestion des bassins, est arrivée, nous devons tous en être
conscients, au terme de sa vie. Trente-sept ans, pour des problèmes techniques
et financiers de cette nature, c'est, dans notre monde, une durée respectable
pour une grande loi.
Il nous faut maintenant imaginer la loi suivante, et la directive
communautaire nous invite d'ailleurs à le faire. Evitons de nous placer
aujourd'hui dans un autre contexte que celui de la directive communautaire, ou,
autrement dit, évitons de figer dans la loi des dispositions qui ne sont pas
dans l'esprit de cette dernière et qui ne pourront donc pas être reprises dans
la nouvelle loi sur l'eau.
Evitons aussi le risque d'une recentralisation qui serait tout à fait
désastreuse pour l'exercice de leurs responsabilités par les différents
bassins.
Evitons donc, en un mot, de « casser » ce qui fonctionne bien dans le système
actuel et de faire obstacle à une réforme qui pourrait se faire « en douceur »,
réforme à laquelle je souhaite de produire ses effets pendant au moins aussi
longtemps que la loi du 16 décembre 1964.
M. le président.
La parole est à M. Oudin, pour présenter l'amendement n° 26.
M. Jacques Oudin.
M. le rapporteur général, dont je partage totalement l'analyse, ayant déjà
démontré que l'article 33
septies
ne permettra pas d'atteindre les
objectifs recherchés du point de vue constitutionnel et ayant fait la preuve de
la nécessité d'un débat plus approfondi lors de l'examen du projet de loi qui
sera discuté le 8 janvier à l'Assemblée nationale, je me contenterai de
souligner deux points.
Si cet article 33
septies
était adopté, les redevances seraient
totalement déconnectées des programmes d'intervention qu'elles devraient
financer : le système redistributif actuellement en vigueur serait nié.
Dans sa rédaction initiale, l'article 14 de la loi sur l'eau du 16 décembre
1964 précisait que les agences de l'eau percevaient des redevances auprès de
personnes publiques ou privées « dans la mesure où elles rendent nécessaire ou
utile l'intervention de l'agence ou dans la mesure où elles y trouvent un
intérêt ».
L'article 33
septies
ne fait plus référence aux interventions financées
à partir des redevances. Les redevances relèveraient alors réellement d'une
fiscalité « verte », qui frapperait les pollueurs, le caractère incitatif des
aides accordées en retour pour soutenir les efforts en faveur de
l'environnement n'étant plus évoqué. C'est un changement fondamental en même
temps qu'inacceptable.
La seconde conséquence de l'adoption de l'article 33
septies
, qui n'a
pas été perçue du fait de la rapidité avec laquelle l'amendement, arrivé par
surprise, introduisant celui-ci a été examiné, c'est l'incidence financièrement
dramatique de la suppression du coefficient de collecte.
L'article 33
septies
abroge en effet des dispositions antérieures et,
en particulier, le coefficient de collecte, qui majore actuellement, d'un
facteur variant de 2 à 3 selon les bassins, la redevance pollution acquittée
par les usagers domestiques. Le projet de loi portant réforme de la politique
de l'eau prévoit également la suppression de ce coefficient, mais compense
cette perte de recettes pour les agences de l'eau par d'autres dispositions,
notamment la création d'une redevance pour sujétion de collecte.
La suppression brutale de ce coefficient, sans autre mesure d'accompagnement,
risque d'entraîner une division par deux du budget des agences de l'eau,
conséquence dramatique qui n'a pas été évoquée, je l'ai dit, par les rédacteurs
de l'article.
Ces raisons justifient la suppression de l'article 33
septies
, dans
l'attente du débat qui aura lieu l'année prochaine, tant à l'Assemblée
nationale qu'au Sénat, sur le projet de loi portant réforme de la politique de
l'eau.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 21 et 26
?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Comme l'a fort bien dit M. le rapporteur général,
l'article 33
septies
comporte des risques, risques qu'il me paraît
préférable de ne pas courir alors que le projet de loi portant réforme de la
politique de l'eau sera examiné par l'Assemblée nationale dans les premiers
jours du mois de janvier.
L'examen de ce projet de loi fournira à la représentation nationale l'occasion
de donner aux redevances le fondement législatif qui leur fait actuellement
défaut dans le cadre d'un débat approfondi - et juridiquement solide - sur les
moyens et finalités de la politique de l'eau.
Par conséquent, je suis disposée à me rallier aux propositions de suppression
de l'article 33
septies
.
MM. Alain Gournac et Jacques Oudin.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Excellent !
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 21 et 26, acceptés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, l'article 33
septies
est supprimé.
Article 33 octies