SEANCE DU 22 JANVIER 2002


M. le président. « Art. 43 H. - I. - A la fin du premier alinéa de l'article L. 2251-4 du code général des collectivités territoriales, les mots : "2 200 entrées" sont remplacés par les mots : "10 000 entrées ou qui font l'objet d'un classement art et essai dans des conditions fixées par décret".
« II. - A la fin du premier alinéa de l'article L. 3232-4 du même code, les mots : "2 200 entrées" sont remplacés par les mots : "10 000 entrées ou qui font l'objet d'un classement art et essai dans des conditions fixées par décret". »
L'amendement n° 161, présenté par M. Darcos au nom de la commission des affaires culturelles, est ainsi libellé :
« I. - Dans le I de cet article, remplacer le nombre : "10 000" par le nombre : "5 000".
« II. - Dans le II de ce même article, remplacer le nombre : "10 000" par le nombre : "5 000". »
La parole est à M. Darcos, rapporteur pour avis.
M. Xavier Darcos, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Cet amendement n° 161, que je présente au nom de la commission des affaires culturelles, vise à remplacer dans l'article 43 H le seuil d'entrées hebdomadaires dans des salles de cinéma.
Cet article étend le champ d'application de la loi Sueur du 13 juillet 1992, qui permet aux communes et aux départements de subventionner les établissements de spectacle cinématographique. Jusqu'ici, ce seuil était fixé à 2 200 entrées hebdomadaires, soit une fréquentation annuelle de 114 000 entrées, ce qui recouvrait 84 % des cinémas. Le projet de loi tend, d'une part, à élever ce seuil de 2 200 à 10 000 entrées hebdomadaires et, d'autre part, à étendre le bénéfice du dispositif à l'ensemble des salles classées « art et essai ».
Il s'agit d'une modification substantielle du dispositif existant qui correspond, à l'évidence, à la volonté de soutenir l'exploitation cinématographique indépendante. Cette disposition constitue, dans son principe, une réponse bienvenue au développement des multiplexes, qui a modifié l'équilibre du secteur de l'exploitation en menaçant les salles de centre-ville, particulièrement fragiles dans les villes moyennes.
Toutefois, la commission des affaires culturelles s'est interrogée : si cette préoccupation est légitime, faut-il pour autant étendre aussi largement le champ d'intervention des collectivités locales ? Certes, l'accroissement de la fréquentation impose d'actualiser les seuils fixés en 1992, mais le critère des 10 000 entrées hebdomadaires ne résulte en aucune manière, de la part du Gouvernement, d'une analyse approfondie de la géographie des salles.
Avec un tel élargissement du champ de ce dispositif, les collectivités locales risqueraient de devoir arbitrer entre des intérêts économiques. Cela ne paraît guère souhaitable au regard de la liberté du commerce et de l'industrie, et pourrait constituer une distortion de concurrence. Par ailleurs, un seuil trop élevé risquerait de détourner le bénéfice des aides vers des établissements possédés par des groupes nationaux, ce qui priverait ces subventions d'une partie de leur portée culturelle. Enfin, dans un contexte moins favorable au secteur de l'exploitation, un dispositif trop large risquerait de conduire à une sollicitation excessive des finances locales.
C'est la raison pour laquelle je vous propose de relever le seuil de 2 200 à 5 000 entrées hebdomadaires, et non 10 000 comme dans le projet de loi. Cela permettrait d'aligner le seuil du dispositif dit « Sueur » sur celui qui est désormais prévu pour les exonérations de taxe professionnelle.
Cette prudence se justifie à deux titres : il sera toujours temps de proposer une nouvelle modification du seuil s'il s'avère insuffisant. Nous le ferons alors en toute connaisance de cause. Par ailleurs, le déplafonnement des aides destinées au cinéma d'art et d'essai permet de donner aux collectivités territoriales des moyens d'action substantiels en faveur des salles les plus fragiles.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames messieurs les sénateurs, je vous prie de m'excuser de mon retard qui illustre les inconvénients du bicamérisme pour les ministres : en effet, comme la semaine dernière, il fallait que je sois à la fois au Sénat pour discuter de ce texte et à l'Assemblée nationale pour répondre aux questions au Gouvernement.
M. Alain Gournac. Il fallait nous choisir !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. En ce qui concerne l'amendement n° 161, le seuil de 10 000 entrées proposé par l'Assemblée nationale devrait permettre aux collectivité d'intervenir éventuellement sur environ 12 % de salles supplémentaires par rapport à la situation actuelle.
Ramener ce seuil à 5 000 entrées viderait la mesure d'une grande partie de son efficacité. La disposition actuelle vise en effet les salles moyennes des centres-villes ; il s'agit non pas d'une obligation, mais d'une faculté. J'émets donc un avis défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 161.
Mme Danièle Pourtaud. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Comme l'ont rappelé M. le ministre et M. le rapporteur pour avis, cet article vise à renforcer l'efficacité de la loi Sueur, qui avait judicieusement permis aux communes d'aider les petites salles de cinéma, qui sont souvent des lieux d'animation importants, ausi bien dans les centres-villes que dans les communes moyennes et rurales.
L'article 43 H prévoit d'augmenter le seuil de fréquentation en le portant de 2 200 à 10 000 entrées par semaine. Cela permettra d'aider les salles indépendantes qui, comme vous le savez, mes chers collègues, sont menacées depuis quelques années à la fois par l'extension des multiplexes et par la mise en place plus récente des cartes à entrées illimitées lancées par UGC l'année dernière.
La commission des affaires culturelles, d'une manière, oserais-je dire, mesquine (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants), veut abaisser le seuil à 5 000 entrées par semaine, réduisant ainsi considérablement la portée de la mesure, comme vient de le rappeler M. le ministre, alors que le succès, depuis deux ans, du cinéma français, dont nous ne pouvons que nous féliciter, a considérablement accru le nombre des entrées.
Le groupe socialiste votera donc contre cet amendement.
M. Hilaire Flandre. Aidons les multiplexes !
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. J'avoue une certaine surprise à l'égard de la proposition qui nous est faite par le Gouvernement dans le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. En effet, notre collègue Danièle Pourtaud l'a rappelé à l'instant, voilà seulement quelques mois, lors de la discussion du texte portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, dit MURCEF, par amendement du Gouvernement présenté par Mme Tasca, nous avons été appelés à nous prononcer sur une disposition législative qui homologuait les systèmes d'abonnement mis en place par les grands réseaux de distribution cinématographique.
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Philippe Marini. Tantôt le Gouvernement, soutenant les initiatives des secteurs les plus intégrés de la profession, nous propose des mesures de ce genre, tantôt, avec le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, il nous suggère, en somme, de faire l'inverse, mais avec l'argent du contribuable !
M. Alain Gournac. Toujours !
M. Philippe Marini. Bien entendu, je suis très sensible aux arguments qui ont été présentés, au nom de la commission des affaires culturelles, par notre collègue Xavier Darcos, car c'est un véritable appel d'air que l'on créerait avec ce seuil de 10 000 entrées. En effet, dans l'hypothèse où une salle de cinéma gérée dans une ville par un grand groupe cinématographique dégagerait, dans ses comptes analytiques, un résultat défavorable, une forte pression s'exercerait sur la collectivité - sur la ville, par exemple - pour apporter une subvention d'équilibre. A l'évidence, ce serait une menace pour les finances locales et un transfert de charges supplémentaire. Ce serait aussi désigner du doigt la commune qui, pour telle ou telle raison, ne répondrait pas à une telle sollicitation. Les élus locaux se trouveraient ainsi placés dans une position extrêmement désagréable.
J'avoue préférer la position d'équilibre, que notre collègue socialiste qualifiait tout à l'heure très injustement de « mesquine ». La fixation du seuil à 5 000 entrées me semble effectivement plus raisonnable. Mais encore faudrait-il que, du point de vue des instances de l'Etat, une politique cohérente soit conduite, qu'il s'agisse des commissions qui donnent les autorisations d'installation des multiplexes, des responsables de l'Etat ou des fonctionnaires qui traduisent sa position. Je ne pense pas que ce soit vraiment le cas si j'en juge par le département que je représente, où plusieurs multiplexes ont été créés presque simultanément avec l'accord et le soutien de l'administration.
Mes chers collègues, pour l'ensemble de ces raisons, les mesures proposées par l'amendement n° 161 me semblent raisonnables et, pour ma part, je voterai en sa faveur.
M. Alain Gournac. Moi aussi !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 161, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. Hilaire Flandre. Ils sont pour les petits ! On n'a pas 10 000 entrées par an dans ma ville !
M. le président. Je mets aux voix l'article 43 H, modifié.

(L'article 43 H est adopté.)

Article 43 I