SEANCE DU 30 JANVIER 2002
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Communication relative à une commission mixte paritaire
(p.
1
).
3.
Missions d'information
(p.
2
).
4.
Droits des malades.
- Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p.
3
).
Discussion générale : MM. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé ;
Françis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Gérard
Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Jean-Louis Lorrain,
rapporteur de la commission des affaires sociales ; Pierre Fauchon, rapporteur
pour avis de la commission des lois.
5.
Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes
(p.
4
).
MM. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes ; Alain Lambert,
président de la commission des finances.
6.
Droits des malades.
- Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p.
5
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Nicolas About, président de la
commission des affaires sociales ; Bernard Kouchner, ministre délégué à la
santé.
MM. Bernard Seillier, Jacques Blanc.
PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL
MM. François Fortassin, Alain Vasselle.
7.
Modification de l'ordre du jour
(p.
6
).
Suspension et reprise de la séance (p. 7 )
8.
Droits des malades.
- Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p.
8
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Guy Fischer, Mme Claire-Lise
Campion.
MM. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; Bernard
Kouchner, ministre délégué à la santé.
Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Gilbert Barbier, Bernard Murat, Mme Michelle
Demessine, MM. Jean-Pierre Godefroy, Bernard Cazeau, Jean-François Picheral.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
9.
Dépôt de projets de loi
(p.
9
).
10.
Transmission de projets de loi
(p.
10
).
11.
Transmission d'une proposition de loi
(p.
11
).
12.
Dépôt de rapports
(p.
12
).
13.
Ordre du jour
(p.
13
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ? ...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
COMMUNICATION RELATIVE
À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la démocratie de proximité est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
3
MISSIONS D'INFORMATION
M. le président.
L'ordre du jour appelle l'examen d'une demande présentée par la commission des
affaires économiques et du Plan tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de
désigner les quatre missions d'information suivantes :
- liaison fluviale à grand gabarit Saône-Rhin ;
- avenir de l'élevage français : enjeu territorial, enjeu économique ;
- réforme de la politique agricole commune, dans la perspective de la
révision, en 2003, du cadre fixé par l'Agenda 2000 ;
- organismes génétiquement modifiés.
Je vais consulter sur cette demande.
Il n'y a pas d'opposition ? ...
En conséquence, la commission intéressée est autorisée, en application de
l'article 21 du règlement, à désigner ces missions d'information.
4
DROITS DES MALADES
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 4, 2001-2002),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif aux
droits des malades et à la qualité du système de santé. (Rapport n° 174
[2001-2002] et avis n° 175 [2001-2002]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Monsieur le président, messieurs les
rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, en tout premier
lieu, de rendre hommage à la mémoire de Dinah Derycke, sénatrice socialiste du
Nord, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité
des chances entre les hommes et les femmes, qui nous a quittés brutalement.
C'est avec une grande tristesse que j'ai appris sa disparition. Elle laisse
l'image d'une femme de combat et de conviction, saluée par tous pour son
travail, sa sympathie et son attachement aux valeurs humanistes, comme l'a
prouvé son combat pour les femmes afghanes.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
J'en viens au projet de loi que j'ai
l'honneur de vous présenter aujourd'hui et qui correspond à l'ambition
d'adapter notre système de santé aux évolutions de notre société : vous
m'accorderez que c'est, à l'heure présente, une impérieuse nécessité.
Ce texte tend à apporter une réponse claire aux besoins des personnes malades
et des usagers du système de santé mais aussi aux professionnels de santé en
privilégiant les relations contractuelles, en rétablissant la confiance
ébranlée, en bannissant le doute, en proposant un élan nouveau.
Il s'agit d'une loi globale, dont l'objet est de reconnaître les droits
fondamentaux de la personne malade, de garantir la qualité du système de santé
et de construire les bases d'une démocratie sanitaire en recherchant le
meilleur équilibre possible entre les malades et les professionnels de santé
dans un monde en plein bouleversement.
Notre système de santé est traversé à la fois par de profondes évolutions, qui
transforment les pratiques comme jamais - d'importants progrès thérapeutiques
ont été réalisés ces dernières années, des espoirs formidables sont nés pour le
traitement du cancer ou des maladies de la vieillesse -, par une très grande
anxiété des professionnels de santé, qu'ils soient libéraux ou hospitaliers, et
par une aspiration sans précédent des usagers à une nouvelle relation avec les
professionnels en charge de leur santé.
Les crises qui secouent notre système de santé sont nombreuses. Notre monde
médical est en difficulté. Comment ne pas évoquer la lassitude ou la révolte
qu'expriment les professionnels de santé, en particulier les généralistes ?
Il nous faut prendre la mesure de cette angoisse, du sens profond des
manifestations qui assiègent quotidiennement le ministère de la santé, avenue
de Ségur, alors que le reste du monde voit dans notre système de santé le
meilleur de la planète, à tel point que l'Angleterre, devant l'ampleur des
réformes à accomplir, nous envoie désormais - et nous enverra de plus en plus -
ses patients. Et d'autres pays suivront - je pense à l'Italie, notamment - avec
lesquels nous essaierons de passer des accords.
D'autres crises majeures avaient atteint notre dispositif de soins.
Le drame du sang contaminé, plus que toute autre crise sanitaire, nous a
rappelé que la médecine peut, dans certains cas, engendrer des dommages
considérables. Nous savons désormais que la même faute, la même ignorance, le
même acharnement dans l'erreur peuvent provoquer des catastrophes en chaîne et
affecter des dizaines de milliers de personnes à la fois.
Personne ne contestera que le sida a fait naître une nouvelle forme de
militantisme sanitaire dont nous avons beaucoup à apprendre et qu'il a déjà
profondément transformé notre culture médicale, modifié nos pratiques et
ébranlé nos certitudes.
Je parle du sida, mais je pourrais aussi parler de la prise en charge par les
associations des maladies cancéreuses, du diabète ou des maladies
cardio-vasculaires : il en est ainsi de chaque plan de santé publique proposé à
notre pays.
Les crises alimentaires, ensuite - vaches folles et autres poulets à la
dioxine - nous ont rappelé que la santé publique ne peut impunément se réduire
au système de soins ; que toute erreur sur une chaîne de production peut avoir
des impacts sanitaires à des milliers de kilomètres de là.
Ce sont les fondements mêmes de notre organisation qui ont été remis en cause
par ces évolutions. Les conclusions en étant tirées, il convient désormais de
redéfinir nos priorités, afin de mettre la personne malade au coeur de nos
préoccupations.
Notre première ambition, mesdames, messieurs les sénateurs, est d'inscrire les
droits des malades dans notre législation. Jusqu'à présent, ces droits, quand
ils existaient, relevaient d'une obligation déontologique des médecins qui,
très souvent, se montraient à la fois respectueux et inventifs. Ils dérivaient
des règles de l'exercice médical : la loi s'adressait d'abord au personnel
soignant et, seulement par rebond, au patient.
Nous devons passer à un système plus orienté vers l'individu, améliorer nos
résultats, donc mieux former nos personnels médicaux, les rasséréner autant que
faire se peut, les rendre plus disponibles, plus performants.
Voilà pourquoi le texte dont vous allez débattre aujourd'hui traite aussi bien
de l'amélioration de la relation individuelle entre le malade et son médecin
dans la dimension du « colloque singulier » que de celle de l'usager avec le
système de santé publique dans le cadre d'une démocratie sanitaire à bâtir.
Ce texte est, dans sa partie consacrée aux droits des malades, la suite
concrète des états généraux de la santé. Ces derniers, annoncés par le Premier
ministre dès sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, se sont
déroulés de l'automne 1998 à la fin du mois de juin 1999.
J'en rappelle le formidable succès : plus de 1 000 réunions dans plus de 180
villes différentes ; plus de 200 000 participants, jeunes, vieux, actifs,
inactifs, femmes, hommes, qui ont tous exprimé la même attente. Tous veulent
une médecine plus humaine et une politique de santé plus globale, plus
visible.
Il nous faut nous parler, disaient-ils, nous écouter, nous informer ; nous
souhaitons participer, ou du moins comprendre les choix médicaux qui nous
concernent ; pour nous, la santé va bien au-delà de la médecine : c'est un mode
de vie, une solidarité, une conception même de la société ; notre relation avec
la médecine doit changer, nous voulons être considérés comme des personnes, pas
seulement comme des maladies.
Prendre en considération ce message, que nous nous devions d'entendre, c'était
trouver le moyen de traduire en termes législatifs la nécessaire amélioration
de la relation avec le médecin, la médecine et le système de santé.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui tend à consolider ou à
rétablir la confiance entre les uns et les autres, et d'abord entre les
médecins et les personnes malades.
L'un des moyens pour y parvenir est de rééquilibrer la relation médecin-malade
pour qu'elle fonctionne aussi bien dans un sens que dans l'autre : devoirs et
droits - oui, pas seulement des droits, mais des devoirs aussi - de part et
d'autre.
Il s'agit, certes, de répondre aux attentes légitimes des malades et de la
population, mais aussi des professionnels.
J'insiste particulièrement sur un point trop souvent négligé dans les
commentaires : l'insécurité des médecins ne protège jamais les malades, c'est
parce que l'on donne davantage de droits aux malades que l'on protège mieux les
médecins, notamment en définissant les conditions d'un équilibre harmonieux des
responsabilités entre les usagers, les professionnels, les institutions
sanitaires et l'Etat. Vous le savez, un malade informé, un malade qui participe
à son traitement hâte sa guérison et dément parfois les pronostics les plus
pessimistes.
En matière de droits des malades, la disposition emblématique du présent
projet de loi est l'accès direct au dossier médical.
Cette avancée, dont je suis fier, a fait l'objet de débats contradictoires et
passionnés, à la hauteur des enjeux qu'engendre la nécessaire modernisation de
la relation entre le malade et son médecin.
Notre formulation respecte, je le crois profondément, un équilibre qui tient
compte des positions de chacun. En effet, permettez-moi d'insister sur ce
point, il n'a jamais été question de légiférer au profit des uns ou aux dépens
des autres. Ce n'est pas parce que l'on consacre les droits des patients que
l'on prend parti contre les soignants, bien au contraire !
La mise en place d'un système de prise en charge de toutes les victimes des
accidents médicaux - y compris des accidents sans faute, c'est-à-dire de l'aléa
thérapeutique ou médical - constitue la deuxième grande avancée du projet de
loi.
Cette innovation est essentielle pour les deux parties : non seulement pour
les victimes d'un accident médical grave, même sans faute, qui seront aidées
dignement, mais aussi pour les médecins, car nous avons pris la mesure de leurs
inquiétudes face à cette dérive que constitue la judiciarisation excessive de
la médecine. Nous devons absolument y mettre un terme si nous voulons ne pas
voir la médecine se replier sur une pratique défensive, appauvrie de toute
initiative.
Quel médecin continuera de prendre des risques pour un patient si la menace
d'un procès pèse trop lourdement sur lui ou si les primes d'assurance
deviennent exorbitantes, comme l'arrêt Perruche l'a parfaitement illustré ?
Nous souhaitons ici, avec vous, venir à bout de ce mauvais débat.
Permettez-moi de revenir quelques instants sur les conséquences de cette
jurisprudence de la Cour de cassation, ainsi que sur le projet de loi qui vous
est soumis aujourd'hui et qui a pour objet d'y mettre un terme.
Ce texte n'a pas pour objet de donner une réponse particulière à un cas
particulier de responsabilité médicale, il s'inscrit résolument dans le cadre
de la responsabilité médicale fondée sur la faute. Il s'agit, dans un premier
temps, de mettre fin à l'émotion soulevée par la jurisprudence de la Cour de
cassation chez les professionnels de la santé, mais aussi chez les personnes
handicapées et leurs familles, dans la société tout entière.
Notre haute juridiction a voulu améliorer la situation matérielle des
personnes nées handicapées dont le cas lui était soumis. Je tiens à lui rendre
hommage pour avoir ainsi rappelé notre devoir de solidarité envers les plus
vulnérables d'entre nous.
Mettre un terme à la jurisprudence Perruche peut sembler paradoxal dans un
texte relatif aux droits des malades, puisque la personne handicapée n'aurait
plus d'action en réparation contre l'auteur de la faute médicale commise durant
la grossesse de sa mère si cette faute n'a pas provoqué directement le
handicap.
Une telle interprétation résulterait d'une lecture erronée et, pour tout dire,
peu admissible de ce texte.
Nous devons, au contraire, affirmer clairement que la prise en charge du
handicap et l'accompagnement des familles relèvent de la solidarité nationale.
Nous pensons tous, je crois, que ce que nous faisons en la matière est encore
largement insuffisant. Il faudra faire plus, il faudra faire mieux. Le
Gouvernement y travaille.
M. Francis Giraud,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Le Sénat aussi !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Le travail sera long, et c'est en tout cas pour le
Gouvernement un chantier urgent et prioritaire en termes de prise en charge ;
mais admettre que l'effort de la collectivité est insuffisant n'autorise pas à
faire supporter aux professionnels de santé, au travers d'une indemnisation
assurantielle, la prise en charge d'un handicap qui préexistait potentiellement
à leur faute éventuelle : cela me paraîtrait profondément injuste !
J'ai entendu parler à plusieurs reprises du corporatisme des médecins dans
cette affaire. Je me suis déjà exprimé en réaction à cette affirmation, qui me
semblait insultante et particulièrement inexacte, lors de l'examen de ce texte
à l'Assemblée nationale, mais je souhaite le faire à nouveau devant vous,
mesdames, messieurs les sénateurs : les professionnels de santé ne demandent
pas à être exonérés de leurs fautes et, d'ailleurs, ils ne contestent pas les
actions en responsabilité engagées par les parents d'un enfant né avec un
handicap non diagnostiqué durant la grossesse de la mère en raison d'une faute.
Bien au contraire, ces professionnels, ou tout au moins certains de leurs
représentants - gynécologues-obstétriciens, radiologues, échographistes,
sages-femmes - ont accepté de travailler sous la présidence du professeur
Claude Surreau au sein du comité technique de l'échographie, que j'ai installé,
à l'élaboration d'un référentiel de bonnes pratiques. Celui-ci permettra de
mieux faire connaître cette activité, ses progrès, ses limites aussi.
Ce référentiel constituera un instrument de sécurité juridique et permettra de
mieux caractériser l'existence d'un comportement fautif.
Les professionnels que j'ai rencontrés s'interrogent surtout sur le sens de
leur travail, sur celui de la médecine anténatale et de toute la médecine
prédictive. Je partage pleinement leurs préoccupations sur les risques d'un
principe de précaution appliqué à l'extrême qui conduirait à étendre les
propositions d'interruption de grossesse dès lors que surviendrait un doute de
malformation. Je partage aussi pleinement leurs préoccupations sur les risques
non négligeables d'interruption spontanée de grossesse que ferait courir la
multiplication des actes diagnostics à laquelle pourrait conduire une
application exagérée du principe de précaution. Je partage, enfin, leurs
préoccupations sur le leurre et le danger pour notre société que constitue le
mythe de l'enfant parfait, qui conduit à l'intolérance et à l'exclusion.
M. Jacques Blanc.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Et qui conduit à l'eugénisme !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
La discussion à l'Assemblée nationale a été l'occasion
de compléter et d'améliorer le projet du Gouvernement. Ce projet reste
perfectible, j'en suis convaincu, et je suis certain que les débats que nous
allons avoir permettront de continuer ce travail afin d'aboutir à un texte qui
est très attendu par les malades, mais aussi - nous l'avons vu encore hier et
aujourd'hui - par les professionnels de la santé.
Je vous ai cité les deux exemples les plus marquants des avancées contenues
dans ce texte. Mais il y en a beaucoup d'autres ! Elles ont toutes ceci en
commun qu'elles visent à renforcer la confiance des uns et des autres dans le
système en reconnaissant leur place aux malades tout en rassurant les médecins.
Et je ne place pas ces termes dans un ordre préférentiel : nous pouvons
rassurer les médecins avant !
Le texte qui vous est soumis comprend trois titres inséparables. Le premier
est relatif aux droits et responsabilités des malades et des professionnels de
santé, le deuxième vise à l'amélioration de la qualité du système de soins, le
troisième met en place un dispositif unique au monde de réparation des risques
sanitaires.
Le titre Ier consacre non seulement les droits individuels du malade, mais
aussi les droits collectifs des usagers et de leurs associations, ainsi que des
droits plus collectifs encore, si je puis dire, qui concernent l'élaboration de
la politique de santé au niveau régional puis au niveau national. Nous
proposons ainsi les conditions de la véritable démocratie sanitaire que
j'appelle de mes voeux.
Pourquoi des droits des malades, alors que nous avons déjà les droits de
l'homme ? Je répondrai simplement par un exemple concret, car il n'est rien de
tel pour éclairer les esprits : avez-vous déjà été hospitalisé ? Je l'ai été,
comme nombre d'entre vous, que je connais. Passer de l'autre côté du lit, ne
plus être le sorcier en blouse blanche mais le malade anxieux, cela change
profondément votre vision du monde ! Même si cela ne correspond pas à la
réalité, on a alors le sentiment d'être diminué, humilié, parce que malade,
alité, douloureux, dénudé, et on en souffre.
C'est pourquoi nous réaffirmons, dès l'article 1er de ce projet de loi, le
droit de toute personne malade à la dignité, à la protection contre les
discriminations - y compris en raison des caractéristiques génétiques -, au
respect de la vie privée, à la prévention et à la qualité des soins.
Ce projet établit de manière claire le droit de chacun à partager les grandes
décisions qui touchent sa propre santé - ce qui implique, notamment, le droit
réaffirmé à un consentement libre et éclairé - puis le droit de chacun
d'accéder, s'il le souhaite, aux informations médicales qui le concernent,
c'est-à-dire le droit d'accès direct au dossier médical.
Ces deux dispositions sont essentielles. Elles permettent et elles préservent
l'expression autonome du malade.
Le droit au consentement doit devenir l'expression d'une participation active
du malade aux décisions qui le concernent, l'expression d'une responsabilité
sur sa propre santé. « Droits et devoirs », disiez-vous, voilà qui vous
démontre que nous sommes d'accord.
Donner droit à l'accès direct au dossier médical, c'est faire le pari de la
confiance, vouloir rééquilibrer la relation médecin-malade, la rendre adulte.
C'est aussi aider le malade, s'il le souhaite, à garder la maîtrise de son
histoire, de sa vie au moment où ses repères vacillent, et l'aider sur le
chemin de la guérison.
Mais, afin de limiter les risques de traumatisme ou d'éviter toute
interprétation erronée d'informations souvent techniques, le médecin pourra
recommander au malade de se faire accompagner par une tierce personne. Si le
malade le souhaite, le médecin de famille ou un membre de l'équipe médicale de
l'établissement pourra désormais lire et commenter le dossier avec lui. Ce sera
sans doute souhaitable dans la plupart des cas. Je souhaite qu'il en soit
ainsi.
Le projet de loi institue un défenseur des droits des malades qui aura pour
mission, au côté du ministre chargé de la santé, de promouvoir les droits des
malades en s'appuyant sur les commissions régionales de conciliation. Ce que je
vous propose, ce n'est pas une structure lourde, de la bureaucratie en plus,
c'est un recours moral, la possibilité de s'adresser à une personne au
ministère de la santé, l'accès à une personnalité de confiance.
Par ailleurs, ce texte prévoit un statut nouveau pour les associations
représentant les malades et les usagers qui remplissent certaines conditions
d'activité et de représentativité.
Une autre disposition importante du projet de loi concerne l'encadrement,
désormais plus strict, des modalités selon lesquelles sont prononcées les
hospitalisations sans consentement pour troubles mentaux.
A cet égard, la liste des critères permettant aux préfets de prononcer des
hospitalisations d'office est modifiée. Désormais, le critère de la nécessité
des soins sera indispensable et prioritaire pour prononcer une hospitalisation
d'office et les critères ressortant de la sécurité publique, s'ils ne sont pas
écartés, sont restreints aux atteintes à l'ordre public présentant un caractère
de gravité.
Le présent texte prévoit également les conditions dans lesquelles l'autorité
administrative peut mettre en demeure les professionnels et les institutions
sanitaires de procéder à l'information des personnes concernées en cas
d'anomalies survenues lors d'un traitement ou d'une investigation médicale.
Par ailleurs, au cours du débat à l'Assemblée nationale, il a été décidé de
créer un pôle santé-justice, comme il existe des pôles financiers, afin de
permettre au juge de traiter au mieux des dossiers souvent très complexes.
C'est une disposition importante. Ces pôles permettront en effet aux juges de
bénéficier de la compétence d'assistants techniques, de médecins, de
vétérinaires, de dentistes ou de pharmaciens.
Enfin, ce projet de loi tente de répondre à une question largement évoquée au
Parlement lors des débats sur les lois de financement de la sécurité sociale,
celle de la participation de tous à l'élaboration de la politique de santé et à
son financement.
Comment évaluer les besoins au plus près du terrain ? Comment développer une
concertation active et constructive entre professionnels et usagers,
établissements, organismes d'assurance maladie et pouvoirs publics, afin de
définir et de mener les programmes de santé ? Comment fonder et faire vivre une
démocratie sanitaire, complément de la démocratie sociale, enrichissement de la
démocratie politique ?
Ce projet de loi situe l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques de la
santé à l'échelon régional. Pour cela, il institue un conseil régional de la
santé qui se substituera aux instances consultatives actuelles, notamment la
conférence régionale de santé et les comités régionaux d'organisation sanitaire
et sociale, les CROSS. Cela permettra au monde de la santé - professionnels,
usagers, organismes d'assurance maladie - de se prononcer collectivement et
systématiquement sur la situation sanitaire régionale et les politiques
régionales de santé.
Enfin, ce texte prévoit, en amont de la loi de financement de la sécurité
sociale et à partir de l'analyse des besoins des régions, l'élaboration, par le
Gouvernement, un projet relatif à la politique de santé, d'un projet transmis
au Parlement et soumis à débat public. Ce débat éclairera ! - enfin et telle
est sa finalité - les choix du projet de loi de financement de la sécurité
sociale, alors que l'on ne discutait jamais de son annexe, fatigués que nous
étions par la longueur des débats qui précédaient. Les politiques de santé
publique n'étaient donc, en fait, jamais examinées dans nos débats et jamais
financées en toute connaissance de cause puisque, en réalité, ni les uns ni les
autres nous ne savions de quoi nous parlions !
(Sourires.)
Je dis cela pour vous faire rire, mais ce n'est pas très bien !
M. Bernard Murat.
C'est un aveu ! C'est grave !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Dans ce titre Ier, vous l'avez compris, l'ensemble de
notre système de santé est réformé, en considérant le point de vue du malade,
en prenant en compte sa souffrance, voire son abandon.
Je comprends que certains puissent craindre que l'affirmation de ces droits ne
favorise une multiplication des procès. Mais je crois qu'ils ont tort. Ce sera
le contraire. Bien des problèmes et des procès naissent d'abord d'un déficit en
termes d'information et de transparence, en fait d'un manque de dialogue. Un
cas récent, dans le Sud, vient encore de le prouver.
Ainsi, l'accès direct aux dossiers supprimera, je l'espère, bon nombre des
plaintes et des contentieux à l'encontre des médecins. Davantage d'information,
cela veut dire davantage d'apaisement.
Chaque terme du texte qui vous est soumis a été pesé, discuté et affiné. La
concertation a été longue et intense. Je voudrais remercier de nouveau tous nos
interlocuteurs d'avoir oeuvré à une formulation qui tienne autant compte des
positions des uns que de celles des autres.
Notre relecture, centrée sur le malade, ses demandes et ses besoins, conduit à
une nouvelle organisation du système, en tout cas à une réforme de son
organisation. Ainsi se complètent et s'articulent logiquement le titre Ier dont
j'ai déjà parlé et le titre II du projet de loi que j'aborde maintenant.
Le titre II comporte de nombreuses mesures qui visent à améliorer la qualité
du système de santé : le droit à la protection de la santé passe par la
compétence des professionnels et donc par leur formation, ainsi que par un
travail en réseau et le développement de la prévention.
Le texte vise, par exemple, à permettre aux préfets de suspendre un praticien
dangereux ou d'encadrer celles des activités de chirurgie esthétique qui se
déroulent hors de tout contrôle sanitaire. Il crée, à cet effet, un système
d'autorisation pour les structures de chirurgie esthétique.
Dans le même esprit, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en
santé, l'ANAES, se voit confier explicitement, en plus de sa mission
d'évaluation des stratégies et des actes de prévention et de soins, une mission
nouvelle d'évaluation de la qualité de la prise en charge sanitaire, notamment
d'évaluation des pratiques professionnelles en médecine de ville.
Le texte affirme, par ailleurs, l'obligation de formation médicale continue.
Il réforme le dispositif actuel, qui était inapplicable, et étend ses
dispositions à l'ensemble des médecins, qu'ils soient libéraux, hospitaliers ou
salariés d'autres organismes que l'hôpital. J'espère beaucoup que, cette fois,
nous réussirons. En tout cas, la réaction des professionnels de la formation
nous est tout à fait favorable.
Les ordres des professions médicales sont modernisés grâce à la création de
chambres disciplinaires indépendantes des structures administratives et
présidées par un magistrat. Ce dernier permet ainsi au patient d'être partie
prenante dans les procédures disciplinaires. Il garantit les droits des
plaignants en assurant un fonctionnement transparent des juridictions
disciplinaires.
L'Assemblée nationale a souhaité que cette réforme profonde de l'ordre des
médecins, élaborée en pleine collaboration avec le Conseil national de l'ordre
des médecins, s'accompagne d'un changement de nom de cette institution afin de
signifier la transformation importante ainsi opérée, la plus importante depuis
la création de l'ordre.
Un office, devenu conseil après la première lecture à l'Assemblée nationale,
est créé.
C'est une structure interprofessionnelle pour les cinq professions
essentielles que sont les infirmiers, les kinésithérapeutes, les
orthophonistes, les orthoptistes et les pédicures-podologues. Le conseil
remplit des fonctions disciplinaires, administratives et professionnelles ainsi
qu'un rôle d'évaluation des pratiques professionnelles. Il est destiné aux
seuls professionnels qui exercent dans un cadre libéral, les salariés étant par
ailleurs soumis à des procédures propres à leur secteur d'activité, en tout cas
pour l'instant.
Le projet de loi pose également, et pour la première fois, les bases d'une
politique de prévention globale et cohérente.
Ces dispositions essentielles sont attendues depuis des dizaines d'années,
depuis la création d'une assurance maladie organisée autour des soins.
Le projet de loi prévoit ainsi l'organisation et le financement de la
prévention. Tous les actes qui y concourent - de l'éducation pour la santé aux
différents types de dépistage - seront désormais développés d'une façon
coordonnée. Un comité technique national de la prévention réunira tous les
acteurs nationaux de la prévention, de l'assurance maladie à la direction
générale de la santé, de la médecine du travail à la médecine scolaire, de la
protection maternelle et infantile aux grandes associations.
Enfin et surtout, les programmes prioritaires de prévention seront financés
sur le « risque maladie », comme les soins.
Je considère en effet que la prévention est partie intégrante de la santé et
qu'à ce titre l'assurance maladie doit la financer.
Combien de fois avons-nous dit ici, au Sénat, combien de fois avez-vous dit :
« 13 000 francs pour les soins, 20 francs pour la prévention ! » ? Cela doit
changer.
Nous souhaitons transformer le comité français d'éducation pour la santé en un
institut national de prévention et de promotion de la santé.
Cet institut sera un lieu d'expertise en matière de prévention. Il sera aussi
opérateur des programmes prioritaires de prévention définis par le ministère de
la santé, comme des autres programmes de santé publique.
Enfin, le temps n'est plus à l'exercice solitaire de la médecine : le texte
donne une base légale pour les réseaux de santé et favorise leur développement,
car il nous faut absolument renforcer leur rôle dans le système. Tous les
médecins, surtout les généralistes, qui se plaignent d'un isolement croissant,
le réclament.
La prise en charge doit être plus continue et mieux coordonnée entre la ville
et l'hôpital, le système de soins et le système médico-social.
Ces dispositions permettent aussi de rémunérer par forfait des activités non
prises en compte aujourd'hui comme l'éducation thérapeutique ou la prise en
charge psychologique des mineurs en danger de suicide, par exemple.
Un amendement parlementaire permet, par ailleurs, la constitution de
coopératives hospitalières de santé, de structures juridiques pouvant servir de
base aux réseaux.
Le titre III du projet de loi inclut deux dispositions capitales pour le
rétablissement de la confiance que j'appelle de mes voeux : l'une vise à
consolider le dispositif conventionnel que nous venons de mettre en place pour
faciliter l'accès à l'assurance de toute personne présentant un risque de santé
aggravé ; l'autre met en place un système, unique au monde, - je le répète -
d'assistance aux victimes d'accident médical.
Les personnes frappées par la maladie, même durement, ne doivent plus être,
comme aujourd'hui, privées d'assurance pour les emprunts indispensables à
l'acquisition des biens nécessaires à la vie de tous les jours : appartement,
voiture, ordinateur...
Nous savons que, pour se soigner ou pour continuer à combattre la maladie, il
est indispensable de continuer à mener une existence aussi normale que
possible.
Ainsi, après plus de deux ans de discussions, les associations de malades et
de consommateurs, les banques, les assureurs et l'Etat ont signé une convention
dans ce sens. Notre projet de loi encadre ce dispositif conventionnel et lui
assure sa pérennité.
Nous proposons ensuite un système d'assistance aux victimes d'accident médical
qui ne comporte aucun équivalent dans les législations comparables des pays
modernes.
Les dispositifs suédois et danois, qui sont sans doute à ce jour les plus
complets et les plus proches, ne couvrent pas complètement l'aléa thérapeutique
ni, dans la plupart des cas, les accidents dus à des produits de santé.
Vous allez débattre mesdames, messieurs les sénateurs, de la première loi au
monde qui s'appliquera quel que soit le risque, qu'il soit dû à un produit de
santé, à un médicament, à un acte chirurgical ou à un acte d'investigation ou
de prévention.
Ce sera la même procédure que l'incident ou l'accident se produise dans un
hôpital, une clinique ou un cabinet libéral. Telle que nous l'avons conçue, la
loi permet l'indemnisation de tous les accidents graves, avec ou sans faute,
évitables ou inévitables, sur la base de la solidarité quand la responsabilité
n'est pas en cause.
L'indemnisation du drame médical, que celui-ci relève ou non d'une faute,
devient une attente essentielle de la population, relayée par l'évolution
récente mais spectaculaire de la jurisprudence, qu'elle soit de l'ordre
administratif ou de l'ordre judiciaire.
Sans retracer ici l'évolution intégrale de la jurisprudence, laissez-moi
évoquer devant vous un arrêt fondamental, historique, du Conseil d'Etat : il
s'agit, bien entendu, de l'arrêt Bianchi.
Pour la première fois, on décide d'indemniser l'accident sans faute. M.
Bianchi, qui était entré à l'hôpital pour une artériographie - diagnostic de
routine, en quelque sorte - en ressortit tétraplégique. L'accident était
gravissime : M. Bianchi restera invalide à vie. Pourtant, il n'y eut aucune
faute médicale.
Mais le juge décida que l'extrême gravité du préjudice subi était
indubitablement liée à l'acte médical. Il estima que l'établissement devait, au
titre de l'égalité devant les charges publiques - c'est-à-dire, en fait, au
titre de la nécessaire solidarité devant les dommages non fautifs résultant du
fonctionnement du service public -, indemniser les conséquences catastrophiques
de cet accident pour la victime.
Le risque de survenue du drame était minime. Il représentait la contrepartie
des bienfaits de la technique pour la très grande majorité des patients, et
donc pour la société en général.
La tendance de la jurisprudence de la Cour de cassation a été la même.
Le 29 juin 1999, la Cour conclut à une obligation de sécurité en matière
d'infection nosocomiale. Elle fonde sa décision, contrairement au Conseil, non
pas sur la présomption d'imputabilité, mais sur l'obligation de sécurité. Peu
importe, le résultat est le même pour la victime. On peut désormais être
indemnisé en cas d'infection nosocomiale, même si le médecin, l'hôpital ou la
clinique n'ont pas commis de faute, c'est-à-dire si l'infection était, hélas !
d'une certaine manière inévitable.
Quelques mois plus tard, le 9 novembre 1999, la Cour de cassation reconnaît
pour la première fois une obligation de sécurité en ce qui concerne le matériel
utilisé pour l'exécution d'un acte médical. On peut désormais indemniser sur
ces bases la victime d'un accident iatrogène.
Parallèlement, la Cour de cassation, par son arrêt du 7 octobre 1998, puis le
Conseil d'Etat, le 5 janvier 2000, jugent que tout défaut d'information à
l'égard du patient, même en ce qui concerne des risques exceptionnels, est
indemnisable dès lors qu'il y a préjudice. En outre, la Cour comme le Conseil
décident d'inverser la charge de la preuve : c'est désormais au médecin de
prouver qu'il a informé le patient, et non au patient de prouver qu'il n'a pas
été informé. On comprend donc que les médecins soient quelque peu perturbés
!
Mais, face à l'aléa, la Cour de cassation rappelle, le 8 novembre 2000, qu'en
l'absence de base législative on ne peut indemniser une victime d'aléa
thérapeutique s'il n'y a ni manquement ni faute.
On le voit, la jurisprudence permet de garantir de plus en plus
l'indemnisation des victimes, mais, en même temps, elle devient tellement
protectrice, tellement évolutive, tellement mouvante qu'elle finit par
déstabiliser le système de santé tout entier.
Les médecins s'inquiètent : les usagers s'interrogent sur leurs droits devant
le tourbillon des jurisprudences. Au total, la crainte d'une dérive « à
l'américaine », - c'est-à-dire que tout se termine par un procès, s'installe -
bien que nous en soyons fort loin, comme je l'ai déjà dit. C'est pourquoi il
est devenu nécessaire aujourd'hui que le législateur intervienne pour clarifier
les responsabilités. Tel est le sens de ce projet de loi : définir une règle
générale, marquer les principes fondamentaux.
Je voudrais également insister sur le fait que ce dispositif est protecteur
aussi pour les médecins. D'éminents juristes nous ont même écrit pour nous
indiquer que notre projet de loi était plus protecteur que la jurisprudence.
Cela ne me déplaît pas !
La procédure mise en place est une procédure amiable de règlement des litiges
en cas d'accident. Toute personne s'estimant victime d'un accident médical
pourra y accéder, via une commission régionale, quelle que soit l'origine du
dommage - acte médical ou produit de santé - et quel que soit le lieu où il
s'est produit - hôpital, clinique, cabinet libéral.
Dans cette procédure, le rôle de la commission régionale est central. Son avis
permettra à la victime, comme aux professionnels de santé, de connaître les
causes de l'accident et l'importance du dommage. Pour cela, le projet de loi
réaffirme les principes de la responsabilité médicale, notamment l'obligation
de moyens, de bonnes pratiques, et rénove l'expertise médicale.
La commission aura donc un rôle pédagogique d'explication du risque et de ses
conséquences, de garant de la transparence de fonctionnement du système. Il est
important que la décision d'indemnisation se fasse dans la clarté et que chacun
puisse la comprendre.
Dès lors que le préjudice présente une certaine gravité, la procédure conduira
à une offre d'indemnisation. Si la victime l'accepte, elle mettra fin au litige
en moins d'un an dans la plupart des cas. Il s'agit de mieux indemniser en
ayant moins recours au juge et dans un délai raccourci.
Le texte ouvre un droit général à indemnisation en cas d'aléa thérapeutique, à
la seule condition que le préjudice présente un caractère de gravité suffisant.
Bien sûr, les victimes pourront invoquer directement ce droit devant les
juridictions.
La loi crée un Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des
affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Il versera les indemnités
en cas d'aléa thérapeutique, qu'elles résultent d'une transaction consécutive à
un avis de la commission régionale ou d'une décision d'une juridiction de
l'ordre administratif ou judiciaire.
L'assurance maladie financera le dispositif. Le coût global peut en être
évalué - et, je le pense, maximisé et non minimisé - de 1 à 1,5 milliard de
francs en régime de croisière, y compris les frais d'expertise et de
fonctionnement.
J'ai donc le grand honneur de vous proposer une loi de confiance, de
responsabilité et de transparence.
« Croyons-nous que l'on puisse briser la longue chaîne des souffrances
humaines ? » demandait, avant sa mort tragique, Jonathan Mann, professeur à
Harvard, artisan de la lutte contre le sida, partout et surtout chez les plus
pauvres. Il poursuivait : « Pionniers de la santé publique à la lisière de
l'histoire humaine, nous affirmons que le passé ne détermine pas inexorablement
l'avenir » - il parlait des plus pauvres. C'est pourquoi la protection et la
promotion des droits de la personne ne sont pas dissociables de la protection
et de la promotion de la santé publique.
Nous ne progresserons en ce sens que grâce à un engagement de tous, soignants,
patients et usagers, dans le traitement des maladies qui les concernent, comme
dans l'effort de prévention auquel nous nous sommes attachés depuis plusieurs
années.
Voilà pourquoi le texte que je vous présente aujourd'hui, mesdames, messieurs
les sénateurs, peut se résumer en trois grands principes solidaires.
Le premier est la clarté dans le fonctionnement même du système de santé.
L'efficacité de notre médecine doit nous inciter à en affronter les limites.
Les choix de la politique de santé doivent être plus largement explicités,
débattus, assumés. Le personnel de santé, de son côté, verra clairement les
règles nouvelles et anciennes qui encadrent et soutiennent son action.
Le deuxième principe est la responsabilité. A travers les révolutions que
connaissent la science comme notre système de santé, il ne saurait y avoir de
médecine responsable qui ne s'interroge régulièrement sur ses pratiques, sur le
sens, la pertinence, l'humanité des prises en charge et, parfois
douloureusement, de leur poursuite.
Le troisième principe est la confiance. Comment ne pas voir que cette
confiance a été bien malmenée au cours de ces dernières années et
singulièrement ces jours-ici ? Nous avons pour tâche urgente de la rétablir.
La confiance du personnel médical est indispensable : nous ne la trouverons,
là aussi, qu'à travers l'information la plus large, la netteté des règles
établies, le dialogue tant avec les patients qu'avec les pouvoirs publics, à
travers des efforts financiers de la collectivité nationale, qui, je le sais,
devront être des efforts plus importants ; il n'y a pas de miracle !
C'est dans cet état d'esprit que je vous propose d'engager ce débat, attendu
par nos concitoyens.
Voilà un siècle, en 1902, malgré le vote de la première grande loi sanitaire
dans notre pays, et malgré un fort courant hygiéniste, la politique de santé se
heurta à l'indifférence des élus et de l'opinion. Je sais qu'il n'en sera pas
de même aujourd'hui.
Je me souviens, avec émotion, de mon maître Paul Milliez, qui me disait : «
Rien de plus puissant que le progrès thérapeutique, rien de plus engagé que
cette neutralité médicale. Au fond, rien de plus politique que la médecine. »
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyens, du RDSE et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Giraud, rapporteur.
M. Francis Giraud,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ordre du jour parlementaire peut
réserver bien des surprises. Il est pour le moins insolite, en effet, que le
Gouvernement présente à notre assemblée, en urgence, un projet de loi relatif
aux droits des malades et à la qualité du système de santé, cela quelques jours
après une grève massivement suivie par les professionnels et qui, fait sans
précédent dans notre pays, a paralysé l'ensemble de notre système de soins !
Celui-ci a beau être présenté régulièrement comme le meilleur du monde, il
traverse - chacun peut le constater - une crise grave, et le conflit n'est
toujours pas résolu.
Le monde de la santé est aujourd'hui dans un profond désarroi. Au-delà de
revendications financières légitimes, il faut discerner la lassitude d'une
profession qui a pour origine une considération amoindrie, une agressivité
croissante de la part des patients, une propension à être traitée comme
prestataire de services et, surtout, l'impossibilité de remplir sa mission
d'écoute, de conseil et de prévention.
Une majorité de médecins considèrent que le contrat social implicite qui
gouvernait la relation avec leurs patients est amoindri. Il apparaît, dès lors,
essentiel de repenser le lien médecin-patient.
Le système de soins est également menacé par la persistance de lourds déficits
de l'assurance maladie. Voilà quelques semaines, à l'occasion de la discussion
du projet de loi de financement de la sécurité sociale, notre commission a
vivement condamné les prélèvements que le Gouvernement a opérés sur les
recettes de cette branche pour financer la coûteuse mise en oeuvre des 35
heures.
M. Claude Estier.
Il y a longtemps qu'on n'avait pas entendu parler des 35 heures !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Cette politique, qui creuse les déficits de la branche et en
alourdit l'endettement, demeure incompréhensible.
M. Guy Fischer.
Le ton est donné !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Elle rend illusoire toute exhortation à une meilleure
maîtrise des dépenses, adressée aux différents acteurs, gestionnaires des
caisses, établissements et professionnels de santé, ou assurés sociaux.
Il n'est guère étonnant, dans ce contexte, que les relations des pouvoirs
publics avec les professionnels de santé se soient si rapidement et si
gravement détériorées.
M. Claude Estier.
Et Juppé ?
M. Bernard Murat.
Et Ralite ?
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Votre texte, monsieur le ministre, contribuera-t-il à apaiser
les esprits ? J'en doute !
En revanche, je note avec une grande satisfaction l'évolution de vos propos
non pas sur la défense des malades, mais sur la protection des médecins.
En réalité, c'est d'un « projet de loi relatif aux fondements et à
l'organisation du système de santé » que le Parlement aurait dû, en priorité,
débattre, tant il est vrai que le premier droit du malade est de pouvoir
accéder, en toute confiance, à un système de santé efficace.
Le présent projet de loi est censé répondre « aux attentes légitimes des
malades et de la population, notamment en définissant les conditions d'un
équilibre harmonieux des responsabilités entre les usagers, les professionnels,
les institutions sanitaires et l'Etat ».
Les intentions du Gouvernement sont à l'évidence louables.
M. Claude Estier.
Ah, quand même !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Toutefois, les chapitres Ier à IV du titre Ier comportent peu
de dispositions véritablement nouvelles en droit positif : certaines sont
reprises des codes de déontologie, d'autres sont issues de la jurisprudence.
S'il n'était sans doute pas inutile de réaffirmer les obligations du médecin,
l'on doit rappeler que le code de déontologie les avait déjà parfaitement et
clairement définies. On peut naturellement comprendre le souhait du
Gouvernement de les rassembler dans un texte unique et de les énoncer du point
de vue du malade, en mettant l'accent sur les droits de ce dernier.
Le titre Ier du projet de loi a pour objet affirmé de rétablir l'équilibre
dans le rapport patient-médecin. Or, aux yeux de la commission des affaires
sociales, c'est moins l'équilibre qui compte en la matière que la confiance
mutuelle sur laquelle repose cette relation si particulière.
Ce qui caractérise l'activité médicale, c'est l'engagement au service des
autres, la passion de les soigner et de les guérir souvent, le souci de les
protéger et de les soulager toujours.
Dans la relation privilégiée qui s'établit entre un malade et un soignant a
lieu la rencontre d'une confiance et d'une conscience. Aussi, à l'inverse de
l'objectif recherché, multiplier les obligations des professionnels risque de
déséquilibrer le système et de le dénaturer.
Il est significatif que, dans ce projet de loi, l'affirmation d'un droit des
malades ne s'accompagne pas, en miroir, de l'énoncé des « obligations », ou du
moins des responsabilités des patients et usagers, afin d'accéder, comme cela
est annoncé dans l'exposé des motifs, à « un équilibre harmonieux ».
On notera que les termes « usager du système de santé » remplacent les mots «
patient » ou « malade ». Cette dérive sémantique tend à accréditer l'idée que
le système de santé ne serait, au fond, qu'un service comme les autres,
comparable, par exemple, à celui des transports.
Je partage l'analyse fort pertinente exprimée par l'Académie de médecine dans
son avis sur ce texte, adopté à l'unanimité le 9 octobre dernier : « De grands
mots, tels que "démocratie sanitaire", "droits fondamentaux de la personne",
"responsabilité des usagers du système de santé" ne sauraient suffire à
dissimuler l'inspiration de ce texte qui se veut le reflet de l'incontestable
évolution qui marque en notre société la relation médecin-malade. Notre
tradition humaniste est profondément ébranlée par l'évolution scientifique et
technique de la médecine, qui conduit à des attitudes consuméristes vis-à-vis
du médecin qui tend à devenir prestataire de services, mais aussi par les
récentes et nouvelles peurs qui conduisent à des revendications sécuritaires et
indemnitaires. »
Je me refuse à assimiler l'acte médical à une simple prestation de services.
Un tel concept me semble profondément inadapté. Il y a dans l'acte médical,
dans la relation soignant-malade, une spécificité irréductible que le projet de
loi contribue à minimiser.
S'il faut naturellement respecter les droits du malade, il convient
parallèlement de souligner la particularité de la médecine, qui est un art et
non une science. Dans cet exercice, sans des qualités humaines développées
d'écoute et d'observation chez les praticiens, les acquis de la technique
demeureraient bien souvent inopérants.
Compte tenu de la complexité de l'acte médical, l'absence de risque n'existe
pas. Le médecin est confronté, en conscience, à des choix commandés par des
examens et des symptômes pas toujours convergents. Il n'a qu'une obligation de
moyens, et non pas une obligation de résultat.
Ce rappel s'impose d'autant plus que l'examen de ce texte survient dans un
climat détérioré par des mises en cause répétées de la responsabilité médicale,
à juste titre inquiétantes pour les professionnels de santé.
Nul ne conteste la nécessité de rendre les praticiens responsables de leurs
actes. Mais l'on doit réaliser que l'irruption un peu brutale d'une culture
anglo-saxonne procédurière risque d'engendrer des attitudes défensives
nuisibles à l'intérêt même des patients.
Enfin, il me semble juste d'évoquer les conditions de travail des personnels
de santé : des services hospitaliers publics et privés surchargés ; des
horaires exagérément lourds ; un nombre de postes insuffisant ; sans oublier
les contraintes administratives de plus en plus exigeantes qui s'y ajoutent.
Une telle situation ne permet plus un exercice serein de la médecine.
La recherche de l'équilibre requiert de donner des moyens à ceux dont on exige
toujours plus et dont nos concitoyens attendent encore mieux.
Pour ces raisons, sans bouleverser l'économie de ce texte, la commission des
affaires sociales vous proposera un certain nombre d'amendements de principe,
qui témoignent de nos préoccupations.
Les chapitres V et VI constituent le second volet de ce titre Ier. La «
démocratie sanitaire » est, là, entendue dans ses dimensions nationale et
régionale.
Le chapitre V a pour objet, si l'on en croit l'exposé des motifs, d'aménager «
la procédure d'élaboration de la politique de santé de manière à mieux y
associer la représentation nationale ». Il redéfinit les missions et les
attributions du Haut Comité de la santé publique, ou HCSP, qui est devenu le
Haut Conseil de la santé, de la Conférence nationale de santé, ou CNS, du
Gouvernement et du Parlement. Il entend répondre à l'ensemble des critiques
portées sur l'absence de lien entre orientations de santé publique et assurance
maladie, ainsi que sur le caractère quelque peu opaque de la définition de la
politique de santé.
La « chaîne vertueuse » souhaité par les ordonnances de 1996 était la suivante
: travaux d'expertise du Haut Comité de la santé publique conduits très en
amont ; professionnels réunis au sein de la Conférence nationale de santé
s'appropriant le travail des experts ; rapport au mois de mai de la CNS
préfigurant le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité
sociale, déposé début octobre par le Gouvernement devant le Parlement.
Ce rapport annexé, introduit par la loi organique du 22 juillet 1996, a pour
objet de présenter « les orientations de la politique de santé et de sécurité
sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de
l'équilibre financier de la sécurité sociale ».
Dans les faits, la « chaîne vertueuse » imaginée n'a pas bien fonctionné.
Le HCSP et la CNS ont travaillé chacun de leur côté, se répartissant de
manière pragmatique les sujets à traiter. Le calendrier n'a jamais
véritablement permis que des orientations dégagées par la Conférence nationale
de santé de l'année précédente soient reprises dans le corps normatif de la loi
de l'année en cours.
Le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale est
devenu un panégyrique de la politique gouvernementale et s'est trouvé dépourvu
de normativité. Sa discussion a été reléguée à l'issue de l'examen des
articles, alors que son contenu était censé éclairer les choix du dispositif
législatif.
L'article 24 du projet de loi entend répondre aux critiques formulées. Les
solutions qu'il apporte apparaissent néanmoins décevantes. Il prévoit, en
remplacement de l'actuel rapport « au » Gouvernement de la Conférence nationale
de santé, un rapport « du » Gouvernement sur la politique de santé de l'année
suivante. Ce rapport est préparé chaque année sur la base de priorités
pluriannuelles, avec le concours du Haut Conseil de la santé, au vu des bilans
de la politique de santé dans les régions, établis avant le 1er mars par les
conseils régionaux de la santé, et des propositions qu'ils formulent. Le
rapport est ensuite transmis, après avis de la Conférence nationale de santé, à
l'Assemblée nationale et au Sénat, au plus tard le 15 mai suivant, en vue d'un
débat. La rédaction est bien complexe !
Je vous proposerai plusieurs amendements.
Il s'agit, premièrement, d'affirmer l'horizon pluriannuel des priorités de
santé publique. La commission des affaires sociales a pris position depuis 1999
en faveur des lois pluriannuelles de santé.
Il s'agit, deuxièmement, de mieux distinguer entre l'expertise technique, qui
est du ressort du Haut Conseil de la santé, et la prise de décisions politiques
en vue de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité
sociale.
Il s'agit, troisièmement, de donner au Parlement toute sa place dans le
nouveau dispositif. Son rôle ne peut se réduire à celui d'acteur passif
intervenant seulement en aval. La possibilité doit lui être donnée, par
exemple, de saisir la Conférence nationale de santé et le Haut Conseil de la
santé.
Il s'agit, quatrièmement de prévoir un rôle majeur pour le Haut Conseil de la
santé. Je vous proposerai d'élargir ses missions et d'en faire un outil
d'expertise placé auprès des pouvoirs publics, chargé de l'évaluation annuelle
de la politique de santé en s'appuyant notamment sur les travaux des conseils
régionaux.
Le chapitre VI, relatif à l'organisation régionale de la santé, regroupe en
fait des dispositions hétéroclites.
Si la création des conseils régionaux de santé, prévue à l'article 25, répond
à l'ambition de l'intitulé du chapitre, l'article 30, relatif à l'organisation
régionale des ordres médicaux, concerne purement et simplement la réforme
projetée de ces ordres et non une quelconque régionalisation.
Je me contenterai de formuler quelques observations sur l'article 25. Cet
article procède à une réforme pragmatique de la politique régionale de santé.
Regrouper au sein d'une même instance des compétences jusqu'alors remplies par
des organismes disparates mérite tout particulièrement d'être salué.
Toutefois, cet article, qui entérine et améliore une déconcentration plus
qu'il n'organise celle-ci, est muet sur la question fondamentale de la
compétence de la collectivité régionale. Le président du conseil régional
risque d'être le président du conseil régional de santé. A la tête d'une forme
de parlement régional de santé, il sera l'interlocuteur légitime de l'exécutif
régional, constitué notamment par l'Agence régionale de l'hospitalisation. Une
telle mission aura nécessairement des conséquences sur l'évolution des
collectivités territoriales.
A l'évidence, la problématique qui sous-tend le dispositif présenté dépasse de
loin la compétence de notre commission.
Par voie d'amendements, je vous proposerai essentiellement de clarifier et de
préciser le texte, afin, notamment, d'organiser les missions des conseils
régionaux de santé au regard des orientations de la politique de santé prévues
par l'article 24 du projet de loi et de hisser la politique de prévention au
rang de la politique de soins.
Démocratie sanitaire, droits des malades, orientations de la politique de
santé, régionalisation, tous ces progrès risquent de rester vains si la volonté
politique fait défaut. Or, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le
ministre, cette volonté politique impose la création d'un véritable ministère
de la santé, autonome par rapport au ministère de l'emploi.
M. Jacques Blanc.
Très bien !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Nous voulons non pas un ministère lourd et technocratique,
mais un ministère coordonnateur et animateur, un ministère qui donne aux
professionnels de santé le sentiment qu'ils sont pleinement écoutés !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Enfin, prenant acte de la volonté du Gouvernement de poursuivre, dans le
présent projet de loi, le débat sur l'arrêt Perruche, la commission propose
d'introduire, avant le titre Ier, un titre additionnel consacré à « la
solidarité envers les personnes handicapées » et comportant un article
unique.
Pour nous, le titre est essentiel. Il affirme, en effet, notre volonté de voir
la solidarité nationale s'exercer pleinement envers les personnes
handicapées.
L'article unique qu'il comporte s'articule autour de quatre principes : le
droit à la solidarité nationale pour toute personne handicapée, quelle que soit
la cause de sa déficience ; l'absence de préjudice du seul fait de la naissance
; le droit à réparation - évident, mais qu'il convient de rappeler - en cas de
faute médicale ayant provoqué directement un handicap ; enfin, le droit à
indemnisation du préjudice moral des parents d'un enfant né avec un handicap
non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée.
C'est sur ce dernier point que le texte que la commission vous propose diffère
essentiellement de celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale dans le
cadre de l'examen de la proposition de loi relative à la solidarité nationale
et à l'indemnisation des handicaps congénitaux. Les députés ont, en effet,
prévu la possibilité d'une indemnisation des titulaires de l'autorité parentale
destinée à la personne handicapée, indemnisation qui correspondrait aux charges
particulières découlant, tout au long de sa vie, de son handicap.
La commission des affaires sociales du Sénat a, pour sa part, estimé que le
texte adopté par l'Assemblée nationale ne répondait en rien au problème soulevé
par l'arrêt Perruche : il ne fait que transférer de l'enfant aux parents
l'indemnisation du handicap, dans le droit-fil de la jurisprudence du Conseil
d'Etat issue de l'arrêt Quarez de 1997.
Elle a considéré que, lorsque la responsabilité d'un médecin est engagée
vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap, non décelé pendant la
grossesse à la suite d'une faute, rien ne justifiait de faire porter sur le
médecin fautif l'indemnisation, tout au long de la vie, des charges résultant
de ce handicap.
M. Jacques Blanc.
Très bien !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Mes chers collègues, le médecin n'est pas à l'origine de ce
handicap. Il n'a pas commis de faute vis-à-vis de l'enfant. Sa responsabilité à
l'égard des parents ne peut être engagée qu'à hauteur du préjudice moral que la
mère a subi en ne pouvant pas exercer sa liberté de recourir à une interruption
médicale de grossesse ou de se préparer à l'accueil d'un enfant handicapé.
La commission des affaires sociales a, par ailleurs, jugé que l'indemnisation
du handicap aboutirait, en l'occurrence, à créer une inégalité choquante entre
deux catégories de handicapés : ceux dont le handicap serait pris en charge par
la seule solidarité nationale - ceux qui sont nés de mères ayant refusé
l'interruption médicale de grossesse, ou, bien plus souvent, ceux dont le
handicap était indécelable au diagnostic prénatal - et ceux dont le handicap
serait, de surcroît, indemnisé.
Sur des questions aussi difficiles et douloureuses, il est normal et même
souhaitable que des avis divergents s'expriment. Le législateur, lui, a le
devoir de répondre de façon équilibrée aux interrogations et aux craintes de la
société.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout en
tenant compte du droit de la responsabilité, la commission des affaires
sociales a été guidée, dans sa réflexion, par trois exigences fondamentales :
le respect dû à toute vie humaine, le refus de toute discrimination, l'exercice
plein et entier de la solidarité nationale à l'égard des plus faibles.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Dériot, rapporteur.
M. Gérard Dériot,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre II de ce projet de loi est
sans doute moins médiatique que les titres Ier et III, mais il n'en est pas
moins important, puisqu'il concerne la qualité du système de santé.
En ce sens, il apparaît largement indissociable des deux autres volets de ce
texte.
En effet, le premier droit du malade n'est-il pas, en définitive, celui de se
faire soigner dans un système de santé de qualité ? Le meilleur moyen de faire
face aux risques sanitaires ne réside-t-il pas, finalement, dans leur
prévention par l'amélioration de la qualité du système de santé ?
La commission des affaires sociales se félicite donc que le Parlement soit
enfin appelé à débattre des questions de santé, tout particulièrement sous
l'angle de la qualité.
Pour autant, sous cet objectif ambitieux, les dispositions de ce titre II ne
constituent pas, loin s'en faut, un programme cohérent d'amélioration de la
qualité de notre système de santé. Elles constituent bien plus un catalogue de
mesures disparates, parfois utiles et nécessaires, parfois moins, souvent
attendues, quelquefois redoutées.
Il serait donc vain de rechercher une logique d'ensemble à ces dispositions.
Il serait tout aussi vain de chercher des réponses à la question - plus large
et sûrement plus délicate - de la nécessaire modernisation de notre système de
santé, dont on sait qu'il est aujourd'hui, en dépit de performances reconnues
par tous, au bord de l'asphyxie.
J'observe ainsi que ce titre, qui concerne pourtant au premier chef tous les
professionnels de santé, ne comporte aucune disposition susceptible d'apaiser
le malaise, voire la crise grave dont témoignent avec force les mouvements
sociaux actuels.
Aussi, ce n'est sans doute pas un hasard si l'intitulé initialement envisagé
pour ce texte - à l'origine, « modernisation du système de santé » - a été
finalement modifié. Ce glissement sémantique témoigne, selon moi, d'une
révision à la baisse des objectifs initiaux. On peut le regretter.
Il n'en reste pas moins qu'au-delà de sa diversité et malgré les limites que
je viens de souligner, ce titre comporte un certain nombre de dispositions
intéressantes qui méritent d'être étudiées avec soin.
J'observe, d'ailleurs, que l'Assemblée nationale n'a modifié qu'à la marge ce
volet, se contentant d'adopter quelques amendements de précision et
d'introduire quelques articles additionnels.
Les trois premiers chapitres de ce titre II concernent les professions de
santé. Parmi ces dispositions, le seul chapitre véritablement cohérent est
celui qui traite de la formation médicale continue. Comme vous le savez, le
dispositif de formation médicale continue obligatoire, issu de l'ordonnance du
24 avril 1996, n'a jamais véritablement été appliqué.
Lors de l'examen du projet de loi de modernisation sociale, nous avions
souhaité introduire, sur l'initiative de notre ancien collègue Claude Huriet,
un nouveau dispositif de formation médicale continue. Il nous avait alors été
rétorqué qu'il était trop tôt pour légiférer. Or, aujourd'hui, le dispositif
ici proposé est très proche de celui qui avait été adopté par le Sénat, à
l'époque. Nous ne pourrons donc qu'être très favorables à son économie
générale.
Ce dispositif, élaboré après une large concertation avec les différentes
parties prenantes, reste fidèle, dans ses grandes lignes, à l'architecture
générale du système de formation continue prévu par l'ordonnance du 24 avril
1996.
Il y apporte toutefois, dans un évident souci de pragmatisme, trois
améliorations de nature à assurer sa mise en oeuvre dans les meilleures
conditions.
La première amélioration réside dans une plus grande souplesse de
fonctionnement, même si l'on peut regretter l'éparpillement du système entre
quatre conseils nationaux distincts.
La deuxième amélioration tient au champ d'application plus large, puisqu'il
dépasse les seuls médecins pour concerner également les autres praticiens
hospitaliers ainsi que les pharmaciens.
La troisième et dernière amélioration concerne la création d'un fonds national
de la formation, qui constitue une condition
sine qua non
de la mise en
oeuvre du dispositif, en garantissant son fonctionnement, qu'il s'agisse du
financement des différents conseils ou des actions de formation.
Il nous semble toutefois possible d'améliorer encore le dispositif. A cet
égard, il me paraît fondamental d'en garantir la transparence, afin de pouvoir
suivre dans les meilleures conditions sa mise en place et son
fonctionnement.
Il me semble aussi souhaitable d'en préciser les modalités de financement, le
texte qui nous est soumis étant loin d'être clair sur ce point.
Je crois enfin nécessaire d'adapter l'obligation de formation continue des
pharmaciens, disposition introduite de manière un peu précipitée par
l'Assemblée nationale, afin de mieux prendre en compte les spécificités de
cette profession et les propositions déjà émises par les partenaires
sociaux.
Les autres dispositions de ces trois premiers chapitres sont bien plus
disparates.
Il est, en effet, souvent bien difficile de distinguer ce qui relève de la «
compétence professionnelle », objet du chapitre Ier, de ce qui concerne la «
déontologie et l'information », objet du chapitre III.
Toujours est-il que ces dispositions tendent, pour l'essentiel, à mieux
encadrer les conditions d'exercice des professions de santé dans un souci de
sécurité des patients.
Ainsi, l'article 32 institue une nouvelle procédure de suspension temporaire
du droit d'exercer pour les professions de santé, sur l'initiative du préfet,
en cas d'urgence et de danger grave pour les patients.
De même, l'article 33 confie aux ordres la mission de garantir les compétences
des professionnels.
L'article 36 institue, pour sa part, une nouvelle procédure d'autorisation
préalable des installations de chirurgie esthétique.
Dans la même logique, l'article 52
bis
vise à encadrer l'exercice de
l'ostéopathie.
La commission des affaires sociales du Sénat partage, bien entendu, ce souci
de mieux garantir la sécurité des patients et de renforcer la compétence des
professionnels. Elle s'attachera donc principalement, dans ce cadre, à
approfondir ou à rééquilibrer les dispositions proposées pour chercher à
concilier de la manière la plus efficace ces deux exigences que sont la
séucrité des patients et les garanties accordées aux professionnels pour
exercer leur métier dans les meilleures conditions.
De manière plus discrète, ces deux chapitres poursuivent la réforme des
structures ordinales que vient d'évoquer notre collègue Francis Giraud. On peut
d'ailleurs regretter que cette réforme soit éclatée dans deux titres
différents, ce qui n'améliorera sûrement pas la lisibilité de l'ensemble.
Cette réforme vise, bien sûr, en priorité l'ordre des médecins, en prévoyant
notamment, de séparer les instances administratives des instances
disciplinaires. Elle concerne aussi l'ordre des pharmaciens avec la création
d'une nouvelle section H pour les pharmaciens hospitaliers, que l'Assemblée
nationale a d'ailleurs repoussée.
Enfin, cette réforme se traduit par la création d'un office, qui n'est
d'ailleurs en réalité qu'un ordre, sans en avoir le nom, pour certaines
professions paramédicales.
Sur tous ces sujets, la commission des affaires sociales a cherché, là encore,
à rétablir un peu de cohérence dans un paysage qui apparaît souvent bien
tourmenté et que le texte qui vous est soumis ne fait parfois que compliquer
plus encore. Dès lors, notre ligne directrice consistera principalement à
améliorer l'organisation de ces professions dans le souci de mieux prendre en
compte leur spécificité et d'assurer un fonctionnement plus harmonieux de
l'ensemble du système.
Le chapitre IV vise à accorder une place plus importante à la prévention, qui
est trop souvent le « parent pauvre » des politiques de santé publique.
Pourtant, il est symptomatique que ces dispositions n'aient pas été rattachées,
dans l'architecture du texte, au chapitre V du titre Ier, relatif aux
orientations de la politique de santé : la politique de prévention
resterait-elle reléguée au second plan ?
Il n'en demeure pas moins que, pour la première fois, l'on tente de définir la
prévention. En effet, le droit positif est aujourd'hui muet sur ce point.
Ayant déserté la politique de prévention, la France semble avoir également
perdu la bataille du vocabulaire. Permettez-moi de vous rappeler, mes chers
collègues, que l'expression de « prévention et promotion de la santé » peut
susciter une légitime inquiétude. Certes, elle s'explique sans doute par
l'évolution de la définition de la santé proposée par l'Organisation mondiale
de la santé, l'OMS. Pour autant, je considère que la « promotion de la santé »,
que l'on pourrait traduire également, pour une meilleure compréhension, par «
éducation pour la santé », fait partie intégrante de la « prévention » : elle
n'a pas à être distinguée en tant que telle, ces deux notions étant
véritablement liées.
D'une manière générale, dans le cadre des auditions organisées le 9 janvier
par la commission des affaires sociales, plusieurs interlocuteurs ont insisté
sur le caractère inachevé, tant sur la forme que sur le fond, de ce volet «
prévention ».
S'agissant de la forme, les responsabilités des différents organismes ainsi
que les concepts utilisés sont parfois marqués par une grande confusion, que je
tenterai de dissiper en vous proposant un grand nombre d'amendements à
l'article 54.
Sur le fond, il m'apparaît essentiel d'articuler les outils nécessaires à la
politique de prévention, que sont les objectifs et les programmes prioritaires
nationaux, avec les orientations de la politique de santé adoptées dans le
cadre pluriannuel évoqué à l'article 24 par notre collègue M. Francis Giraud.
Ces programmes prioritaires nationaux pourraient d'ailleurs être adoptés dans
le cadre de lois pluriannuelles de santé publique.
Le chapitre V est relatif aux réseaux de santé et constitue un effort tardif,
mais louable, du Gouvernement pour simplifier le droit existant, inadapté à la
pratique.
Pour compléter votre information, il est à noter, mes chers collègues, que ce
chapitre V a été complété par l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'une série
d'articles « divers », parmi lesquels nous retrouvons des problématiques chères
aux gynécologues médicaux et aux techniciens de laboratoires hospitaliers.
Vous le voyez, mes chers collègues, toutes ces dispositions sont bien
disparates et risquent de donner à notre débat un aspect quelque peu
décousu.
La commission a toutefois cherché à aborder ce texte, comme à son habitude,
dans un esprit constructif, même si elle regrette qu'il ne soit finalement pas
toujours à la hauteur des attentes qu'il a pu faire naître.
Vous ne serez donc pas étonnés qu'elle vous propose un nombre important
d'amendements sur ce volet : plus de cent ! Ils visent essentiellement à
renforcer la portée de ces dispositions ou à en préciser les procédures
applicables, mais bon nombre d'entre eux sont des amendements de précision, de
coordination ou de cohérence, nécessaires à l'intelligibilité du texte et à son
application dans de bonnes conditions.
Ainsi bonifié, ce texte pourra alors peut-être contribuer utilement à
l'amélioration de la qualité de notre système de santé. C'est en tout cas ce
que nous souhaitons.
Monsieur le ministre, il n'en demeure pas moins que l'impact de ce texte, même
amélioré, sera sans doute marginal. Or notre système de santé a aujourd'hui
incontestablement besoin d'une réforme plus profonde, qui ne se limite pas à
régler quelques problèmes administratifs. Il est clair, en effet, que
l'amélioration de la qualité passe d'abord par une réflexion de fond sur
l'organisation de l'ensemble du système et surtout sur son financement. C'est
de ce point que nous aurions souhaité débattre. C'est dans ce sens qu'il
importe désormais de travailler.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lorrain, rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre III du projet de loi que
nous examinons, consacré à la réparation des conséquences des risques
sanitaires, est sans doute le plus attendu - dans tous les sens du terme - de
ce texte.
Il apporte en effet - enfin ! serait-on tenté de dire - une réponse
législative à la délicate question de l'aléa médical et de sa réparation.
L'acte médical, qu'il soit à finalité diagnostique ou thérapeutique, n'échappe
pas à l'imprévisible, à l'aléa : même parfaitement réalisé, il peut échouer,
blesser, voire entraîner la mort.
L'aléa médical peut être défini comme un événement dommageable au patient sans
qu'une maladresse ou une faute quelconque puisse être imputée au praticien, et
sans que ce dommage ait un lien avec l'état initial du patient ou son évolution
prévisible.
Cette définition implique que l'accident était imprévisible au moment de
l'acte, ou qu'il était prévisible mais d'une occurrence tout à fait
exceptionnelle, de sorte que le risque était justifié au regard du bénéfice
attendu de la thérapie.
Un cas typique est celui du patient qui subit des examens médicaux justifiés
par son état, réalisés conformément aux données acquises de la science et après
que son consentement éclairé a été recueilli. Or cet examen entraîne chez ce
patient un dommage majeur, telle une paralysie.
La question de l'aléa médical et de sa réparation revêt aujourd'hui une
particulière acuité.
En effet, les victimes des accidents médicaux sont confrontées à une fatalité
doublée d'une incohérence, puisque, frappées dans leur chair, les victimes - ou
leurs ayants droit - se voient parfois opposer un refus d'indemnisation du fait
de l'actuelle inadaptation du droit positif français. Ainsi, selon que l'aléa
se sera produit dans le cadre du service public hospitalier ou dans un
établissement privé, il sera indemnisé dans des conditions très différentes.
Cette hétérogénéité du droit positif, source d'une inégalité difficilement
supportable pour les victimes, est inadmissible.
La question de l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux, très
largement débattue, a fait l'objet de nombreux projets et propositions de loi
dont aucun n'a abouti, faute d'accord sur une solution satisfaisante pour
l'ensemble des partenaires concernés et compte tenu, depuis l'apparition des
contaminations par le virus de l'hépatite C, de l'importance des masses
financières en jeu.
Les rapports, projets et propositions de loi sur la responsabilité médicale et
l'indemnisation de l'aléa thérapeutique n'ont pas manqué depuis trente ans.
Tous convergent sur une même conclusion : l'intervention du législateur est
devenue indispensable.
Au cours des dix dernières années, les colloques se sont multipliés, plusieurs
rapports ont été rédigés sur le sujet, une vingtaine de propositions de loi ont
été déposées sans être discutées par le Parlement et plusieurs projets de loi
ont été mis en chantier par les différents gouvernements sans voir le jour.
Maintes fois promise, la réponse législative à l'insatisfaction des usagers,
qui s'estiment mal indemnisés lorsque survient un accident médical, comme à
celle des professionnels de santé, qui craignent une dérive « à l'américaine »,
était cependant toujours différée.
Du fait de l'absence d'initiative des pouvoirs publics, le juge, disposé à
améliorer de manière significative le sort de la victime, se voyait dès lors
conduit à adopter des constructions jurisprudentielles qui bousculent les
règles traditionnelles de la responsabilité civile.
Seule une modification de la loi était en réalité à même d'offrir enfin, aux
uns et aux autres, cette réponse dans de brefs délais.
Cette analyse avait conduit notre ancien collègue Claude Huriet à déposer et à
faire adopter, le 26 avril 2001, par notre assemblée, une proposition de loi
relative à l'indemnisation de l'aléa médical et à la responsabilité médicale,
qui constituait une première avancée significative.
Il est heureux qu'après de longs atermoiements le Gouvernement se soit enfin
décidé à présenter au Parlement, dans le titre III du présent projet de loi,
des dispositions consacrées à la réparation des conséquences des risques
sanitaires.
Ce titre a pour objectif, dans son article 58, d'unifier et de stabiliser les
règles en matière de responsabilité en cas d'accident médical, d'une part, et
de définir un nouveau droit à indemnisation en cas d'aléa thérapeutique,
d'autre part.
Il est ainsi rappelé que la responsabilité des professionnels ou des
établissements doit essentiellement reposer sur la notion classique de faute,
dès lors que le projet de loi permet aux victimes d'accidents graves non
fautifs d'être indemnisées.
Parallèlement, est instituée une obligation d'assurance responsabilité civile
qui s'impose à tous les professionnels de santé exerçant à titre libéral, à
tous les établissements exerçant des activités de soins ainsi qu'aux
producteurs et fournisseurs de produits de santé.
De manière plus originale, le projet de loi vise à créer un dispositif de
règlement amiable et d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux,
d'affections iatrogènes et d'infections nosocomiales, selon une procédure non
contentieuse et non obligatoire, reposant sur des commissions régionales de
conciliation et d'indemnisation.
Dans leurs avis, qu'elles doivent rendre dans un délai de six mois, les
commissions se prononcent sur l'étendue des dommages subis par la victime et
sur la responsabilité éventuelle d'un professionnel ou d'un établissement de
santé.
En cas de faute, il revient à l'assureur du professionnel ou de
l'établissement de santé d'indemniser la victime.
Dans le cas d'un aléa médical, la victime est indemnisée par un office
national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes,
établissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle du
ministre de la santé et dont le financement est assuré pour l'essentiel par
l'assurance-maladie.
Ce dispositif s'accompagne, en outre, d'une réforme de l'expertise médicale
avec la création d'une liste nationale d'experts constituée par une commission
nationale. L'accès à l'expertise sera gratuit dans le cadre de la procédure
devant les commissions régionales.
Le mécanisme proposé par le Gouvernement apparaît donc indéniablement
complexe. Les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation
joueront un rôle central. C'est de leur efficacité et de la qualité des
décisions qu'elles prendront que dépendra finalement le succès ou l'échec de
cette réforme.
Le dispositif prévu par le Gouvernement présente, en outre, certaines
faiblesses que la commission des affaires sociales vous proposera, mes chers
collègues, de corriger par voie d'amendements.
Ainsi, nous jugeons nécessaire d'inscrire dans la loi une définition des
accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections
nosocomiales.
Il convient également de réaffirmer avec force que, sauf pour les infections
nosocomiales, les professionnels et les établissements de santé ne sont
responsables qu'en cas de faute. En revanche, les établissements restent tenus
par une obligation de sécurité de résultat et sont donc responsables des
dommages résultant des infections nosocomiales, à moins qu'ils n'apportent la
preuve d'une cause étrangère.
De même, la commission des affaires sociales proposera de fixer dans la loi un
plafond pour le taux d'incapacité permanente, qui sert de seuil d'entrée dans
le mécanisme de règlement amiable, afin d'éviter qu'un taux trop élevé ne soit
finalement retenu par le biais du décret, ce qui exclurait de nombreuses
victimes du bénéfice de l'indemnisation.
Ainsi, le taux d'incapacité permanente ouvrant droit à la réparation, au titre
de la solidarité nationale, des préjudices subis par le patient ne pourrait
être supérieur à 25 %, taux qui correspond, à titre d'exemple, à la perte d'un
oeil.
La commission des affaires sociales proposera également au Sénat de limiter,
dans les contrats d'assurance en responsabilité civile professionnelle des
établissements et des professionnels de santé, les montants et la durée de la
garantie.
Une telle disposition est de nature à apaiser les inquiétudes légitimes des
assureurs médicaux, qui font valoir, à juste titre, les risques financiers
qu'entraînerait pour eux l'obligation d'assurance. Il serait en effet inutile
de prévoir une obligation d'assurance pour les professionnels et les
établissements de santé si aucun assureur n'était plus disposé à couvrir un tel
risque.
Parallèlement, il semble nécessaire de limiter le montant de l'amende civile
susceptible d'être infligée en cas d'offre insuffisante de l'assureur à ce qui
est strictement prévu par la loi dite « Badinter » du 5 juillet 1985, dont
s'inspire directement le dispositif présenté par le Gouvernement, soit 15 % de
l'indemnité allouée par le juge.
Il convient par ailleurs de prévoir que l'expertise médicale sera systématique
et contradictoire et d'encadrer plus strictement les dispositions transitoires
concernant les experts médicaux, afin d'éviter que la réforme de l'expertise
prévue par le projet de loi ne soit vidée de toute portée.
Enfin, le mécanisme présenté par le Gouvernement comporte une grave lacune à
laquelle la commission des affaires sociales ne peut pas remédier : il
n'apporte pas de véritable réponse s'agissant des personnes contaminées par le
virus de l'hépatite C.
Certes, le projet de loi vise à faciliter l'indemnisation par les juridictions
des victimes d'hépatites C dues à des transfusions anciennes, qui rencontrent
souvent des difficultés à apporter la preuve de l'imputabilité de leur
contamination à une transfusion. Il crée à cette fin un régime de preuve
spécifique : c'est le juge qui formera sa propre conviction au vu des éléments
apportés par chaque partie et des résultats des mesures d'expertise dont il
prendra l'initiative ; en cas de doute, celui-ci profitera à la victime.
Il n'y a cependant là rien de véritablement nouveau : le projet de loi ne fait
qu'inscrire dans la loi la jurisprudence désormais établie de la Cour de
cassation.
Cet aspect est incontestablement le plus décevant du titre III de ce projet de
loi. J'estime pour ma part qu'une prise en charge par la solidarité nationale
de l'indemnisation des personnes contaminées par ce virus aurait été nettement
préférable. Toutefois, nous savons quelles seraient les conséquences d'une
telle décision.
J'ajoute, pour être complet, que le titre IV rassemble des dispositions
relatives à l'outre-mer.
La commission des affaires sociales proposera au Sénat d'adopter, s'agissant
de ce titre, plusieurs amendements prévoyant des changements rédactionnels et
des coordinations avec le reste des modifications apportées au projet de loi.
Par ailleurs, plusieurs amendements ont été déposés par nos collègues
représentant les départements et les territoires d'outre-mer. Ils visent, pour
l'essentiel, à étendre, sous réserve de quelques adaptations, des dispositions
qui sont déjà en vigueur en métropole.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
les observations que je souhaitais formuler sur les titres III et IV de ce
projet de loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la commission des lois a examiné pour avis le projet de loi relatif
aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Cet examen est évidemment justifié par le fait que ce texte comporte une
redéfinition fondamentale du droit de la responsabilité en matière de risques
sanitaires. Il l'est aussi, plus généralement, par le fait que si les membres
de notre commission sont sans doute peu qualifiés pour apprécier concrètement
la situation des médecins et des établissements de santé,...
MM. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales,
et Francis Giraud,
rapporteur.
Mais si !
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
... puisque, me semble-t-il, aucun d'entre eux
n'est médecin,...
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Vous avez renvoyé tous
les médecins à la commission des affaires sociales !
(Nouveaux sourires.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
... ils sont, comme tout un chacun, bien placés
pour apprécier les problèmes des malades. En effet, selon la leçon impérissable
du docteur Knock, nous sommes tous des malades potentiels !
(M. de Raincourt rit.)
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
« Tout homme bien
portant est un malade qui s'ignore ! »
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Pour autant, nous n'avons pas cru devoir nous
livrer à un examen détaillé des titres Ier et II du texte, intitulés
respectivement « Démocratie sanitaire » et « Qualité du système de santé ».
La commission des lois a cependant jugé très positive, monsieur le ministre,
l'orientation de cette partie du projet de loi, qui tend, d'une manière
générale, à améliorer la situation des malades par rapport au système de santé
et à faire que, par une série de mesures qui vont d'une meilleure information
et du respect de la dignité du malade à l'organisation et à la déontologie des
professionnels de la santé, la relation entre le malade et le système sanitaire
dépasse le caractère purement technique de l'acte médical
stricto sensu
et prenne mieux en compte la personne tout entière du malade, dans un monde
où les progrès mêmes des thérapeutiques ont tendance à effacer la personnalité
du patient derrière le cas particulier qu'il représente.
Il y a là une préoccupation humaniste dont nous vous félicitons, monsieur le
ministre, qui inspire l'ensemble du texte et mérite d'être saluée, sans
méconnaître le surcroît de servitudes que cette prise en compte peut imposer
aux professionnels de la santé.
Au-delà de cet hommage rendu à l'ensemble de la démarche, venons-en à la
contribution spécifique de la commission des lois, contribution qui porte tout
d'abord sur le problème très particulier de certains détenus atteints de graves
maladies, ensuite sur la réparation des conséquences des risques sanitaires,
et, enfin, sur l'aspect très spécifique de ces risques qui a trait aux erreurs
possibles de diagnostic prénatal et à la question posée par un récent arrêté de
la Cour de cassation, que je préfère ne pas citer.
S'agissant de la situation de certains détenus, nous proposons au Sénat
d'introduire un article additionnel permettant la suspension de la détention
des personnes atteintes « soit d'une maladie mettant en jeu le pronostic vital,
soit d'une maladie qui est durablement incompatible avec le maintien en
détention », comme par exemple la maladie d'Alzheimer. Il s'agit là d'une
mesure présentée dans le rapport de la commission d'enquête présidée par notre
excellent collègue Jean-Jacques Hyest et dont nul ne conteste qu'elle soit à la
fois très justifiée et très urgente, étant entendu que les modalités prévues
excluent, je crois pouvoir le dire, toute possibilité d'abus ou de fraude. Il
serait souhaitable de ne pas attendre, pour l'adopter, le grand texte relatif
au système pénitentiaire qui viendra un jour en discussion devant le Parlement,
au-delà des ides de mars ou de juin
(Sourires)
, à une date que personne
ne peut prévoir.
Plus complexes sont les dispositions du titre III tendant, pour l'essentiel,
en premier lieu à définir les risques sanitaires résultant du fonctionnement du
système de santé, en deuxième lieu à créer une procédure de règlement amiable
en vue de l'indemnisation des victimes, en troisième lieu à améliorer les
expertises et, enfin, en quatrième lieu, à instaurer une obligation d'assurance
de responsabilité civile médicale.
Sur le premier point, le projet de loi, en distinguant clairement les
hypothèses de responsabilité pour faute identifiée, auxquelles s'ajoutent la
plupart des affections nosocomiales n'ayant pas de cause étrangère, des autres
hypothèses relevant de ce qu'il est convenu d'appeler l'aléa thérapeutique,
s'inscrit très opportunément dans la voie ouverte par notre assemblée, sur
l'initiative, en particulier, de notre ancien collègue Claude Huriet, et qui a
donné lieu au vote d'un texte. Il est d'ailleurs permis de regretter, monsieur
le ministre, que le Gouvernement ne se soit pas cru obligé de donner une suite
immédiate à celui-ci.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Nous y sommes !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Nous y sommes, c'est vrai ! A tout péché
miséricorde, surtout aux petits péchés !
(Rires.)
Ce texte aura le grand mérite de permettre la couverture de l'aléa
thérapeutique au titre de la solidarité nationale. Les membres de la commission
des lois sont bien sûr préoccupés par les problèmes de responsabilité, et ce
point représente, comme cela a été dit, une avancée considérable.
En conséquence, les victimes de tels aléas, qui étaient jusqu'à présent
privées de recours compte tenu de l'absence de responsables identifiés comme
fautifs, pourront dorénavant bénéficier d'une indemnisation.
Cette disposition présente en outre le grand intérêt, notamment d'un point de
vue juridique, de mettre fin à une certaine dérive jurisprudentielle tendant à
multiplier les fautes présumées, dans le souci de permettre l'indemnisation des
victimes. On voyait ainsi se restreindre la définition même de la
responsabilité médicale telle qu'on l'entendait d'une manière classique.
Le curseur se trouvera désormais fixé entre la responsabilité pour faute et
une responsabilité sans faute, ce qui devrait être de nature à rassurer les
professionnels de santé et leurs assureurs. La commission des lois approuve ce
dispositif. Elle se bornera à vous proposer, mes chers collègues, d'y apporter
quelques améliorations rédactionnelles. Elle admet, en particulier, du moins
dans un premier temps, car nous espérons que les choses évolueront, que
l'indemnisation de l'aléa médical ne soit couverte qu'à partir d'un certain
degré de gravité. Certes, on ne peut pas tout régler d'un seul coup, mais il
lui paraît que la détermination de ce degré de gravité ne saurait être laissée
à la discrétion du pouvoir réglementaire, étant donné que cela constitue tout
de même l'un des éléments essentiels du dispositif. Elle ne croit pas disposer
de la compétence nécessaire pour apprécier avec précision ce taux, mais elle
souhaite expressément qu'il soit arrêté par notre assemblée, sur proposition de
la commission des affaires sociales, évidemment plus compétente... sur ce point
!
(Rires.)
M. Henri de Raincourt.
C'est vrai !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Il importe cependant que ce seuil d'indemnisation
ne trouve d'application que dans le domaine de l'aléa thérapeutique, et non
quand il s'agit d'une faute identifiée, au regard de laquelle le droit à
réparation ne peut relever que du droit commun. Un amendement tendant à
traduire cette distinction dans le projet de loi sera présenté.
En ce qui concerne la procédure de règlement amiable, je ne saurais dissimuler
la perplexité, pour ne pas employer un terme plus désagréable, de la commission
des lois à l'égard d'un dispositif entièrement nouveau, qui vise manifestement
à se substituer à la procédure judiciaire de droit commun et dont la
motivation,
a priori
sympathique, ne saurait faire oublier tout ce que
sa mise en oeuvre comporte de singulier et d'aléatoire.
Relevons immédiatement qu'il serait illusoire de créditer ce dispositif d'un
avantage quelconque du point de vue de la rapidité de la procédure.
(M. le ministre lève les bras au ciel.)
Mais si, monsieur le ministre ! Vous ne fréquentez pas les salles d'audience,
et je vous en félicite. C'est préférable !
(Rires.)
Avec le système des référés simples pour organiser l'expertise et des
référés-provisions, lesquels ont acquis une grande autorité, les procédures
judiciaires, aussi bien que les procédures administratives, permettent aux
victimes d'obtenir des indemnisations rapidement, sous la seule réserve des
délais d'expertise ou de contre-expertise, qui devront être supportés dans
toutes les procédures imaginables : on est toujours confronté au problème de la
durée de l'expertise.
Il reste, cependant, que le dispositif présenté, en permettant d'obliger
l'Office national d'indemnisation à se substituer, pour l'indemnisation, aux
responsables d'une faute identifiée qui refuseraient de s'exécuter, garantit
dans ce cas une indemnisation à la victime, qui n'aura pas à supporter la
charge de la poursuite du recours, cet office se trouvant substitué dans ses
droits pour récupérer l'indemnisation avancée par lui. Compte tenu de cet
avantage incontestable et, surtout, de la crainte qui est la sienne que son
scepticisme à l'égard du dispositif proposé ne soit mal compris, ce qui est
fréquent en ce bas monde, et interprété par certains esprits comme un signe de
mauvaise volonté, la commission des lois se bornera à soutenir quelques
amendements rédactionnels tendant à améliorer le texte.
Les dispositions qui visent à améliorer l'expertise, comme celles qui
régissent l'assurance obligatoire des médecins, sont les bienvenues et
présentent une grande importance. La commission des lois s'en tiendra à
proposer de prévoir la possibilité d'introduire des limitations dans les
contrats d'assurance, dans le souci de préserver le « caractère assurable du
risque ». Il faut admettre, à mon sens, un plafonnement et, probablement, des
délais de recours.
Par ailleurs, elle vous proposera de codifier une disposition toute nouvelle
tendant à unifier la prescription des recours en responsabilité qui sont
actuellement de quatre ans devant la juridiction administrative et de trente
ans devant les juridictions judiciaires. Il s'agit là d'une très opportune
initiative de l'Assemblée nationale.
A cette occasion, il convient d'évoquer une nouvelle fois ce que peut avoir de
choquant pour l'esprit et de préjudiciable pour toutes les personnes concernées
cette dualité de juridictions qui veut que des affaires parfaitement identiques
dans la réalité des faits - ce sont quelquefois les mêmes praticiens qui
opèrent, le matin, à l'hôpital et, l'après-midi, dans une clinique - soient
traitées selon des procédures et des règles de droit profondément différentes
en fonction de la juridiction compétente.
Je ne puis que reprendre ici le souhait exprimé par M. Mattéi devant
l'Assemblée nationale de voir le Gouvernement - la question étant assez
complexe, elle ne peut être résolue par une proposition de loi - nous proposer
un texte qui unifierait ces contentieux, comme on l'a déjà fait dans le passé
pour les accidents de la circulation. Il est profondément choquant de voir se
perpétuer un système qui a sans doute le mérite de diversifier et d'enrichir à
l'infini la jurisprudence et la réflexion juridique mais qui ne le fait qu'aux
dépens du justiciable.
Nous en arrivons à la question humainement si émouvante et juridiquement si
délicate posée par la récente jurisprudence de la Cour de cassation - qu'il est
convenu d'appeler la jurisprudence Perruche - concernant les erreurs commises à
l'occasion d'un diagnostic prénatal.
Il convient tout d'abord d'opérer une distinction fondamentale entre les deux
principales questions qui se posent actuellement.
La première question, qui était à l'origine la seule, en particulier dans la
démarche de notre collègue M. Mattéi, était de savoir si un enfant atteint d'un
handicap congénital disposait, à titre personnel, d'un recours à l'encontre du
praticien dont l'erreur n'aurait pas mis sa mère en mesure de procéder à
l'interruption de sa grossesse en toute connaissance de cause. La Cour de
cassation l'admet tandis que le Conseil d'Etat le refuse et avec lui l'ensemble
de l'opinion, je crois qu'on peut le dire, spécialement celle des milieux
concernés pour autant, du moins, que l'on puisse en juger.
La seconde question se situe dans le cadre de la relation contractuelle - on
ne le dira jamais assez - établie entre la mère, éventuellement la mère et le
père, et le praticien. Elle est de savoir si, dans une telle hypothèse, qui
suppose une faute du praticien, la mère peut exercer à son encontre un recours,
en invoquant le préjudice qui résulte pour elle d'avoir mis au monde un enfant
handicapé, ce qu'elle aurait pu préférer éviter, exerçant ici un droit que
notre législation lui reconnaît.
Sur la première question, il y a apparemment unanimité pour ne pas reconnaître
à l'enfant né handicapé une action en réparation du seul fait de ce handicap,
et ce non seulement dans l'hypothèse de l'erreur de diagnostic prénatal, mais
aussi dans toute autre hypothèse, pour des raisons qui tiennent à la fois à des
considérations morales et à des considérations juridiques, ces dernières
touchant en particulier à l'insuffisance du lien de causalité. Je n'ai donc pas
à m'étendre sur ce point.
La seconde question, fondamentalement distincte de la première, n'était
d'ailleurs pas visée dans la proposition de loi de notre collègue M. Mattéi.
Elle est apparue au cours du débat et sur l'initiative des praticiens du
diagnostic prénatal qui ont fait valoir le caractère particulièrement délicat
et aléatoire de leurs investigations au regard d'une responsabilité pouvant
être considérable et donc difficilement assurable. On y a déjà fait allusion à
juste titre.
Rappelons que les données essentielles de la question sont malheureusement
masquées par la rédaction du texte de l'Assemblée nationale qui peut donner à
penser que l'action de l'enfant, apparemment écartée par le premier alinéa de
son texte, se trouve réintroduite dans le troisième alinéa puisque celui-ci
énonce que « les titulaires de l'autorité parentale », qui ne sont pas ceux qui
ont consulté le médecin, qui ne sont donc pas parties au contrat, « peuvent
demander une indemnité destinée à la personne handicapée ».
(Sourires.)
Cette rédaction peut être améliorée. D'ailleurs, nos
excellents collègues de l'Assemblée nationale qui ont travaillé sur ce sujet
dans la hâte ont dit qu'ils faisaient ce qu'ils pouvaient mais que la rédaction
pourrait être améliorée au cours de la navette. En réalité, la situation est
toute différente, étant entendu qu'il s'agit de la relation contractuelle
établie entre le praticien et la mère, ou la mère et le père, en fonction du
contrat. Dans un tel cadre, le recours appartient à la mère, éventuellement aux
parents, et l'appréciation de l'indemnité correspond à celle du préjudice subi
par eux.
L'application du droit commun de la responsabilité contractuelle voudrait que,
dans un tel cas, la responsabilité du praticien soit engagée sur le seul
constat d'une faute professionnelle et que le préjudice réside dans la charge
morale et économique créée pour les parents par la venue au monde d'un enfant
handicapé, le lien de causalité résidant dans le fait que, si les parents
avaient été correctement informés, ils auraient pu, en interrompant la
grossesse, éviter ce préjudice. On a donc bien la faute, le préjudice sous ses
différents aspects et le lien de causalité. En effet, ils disent que s'ils
avaient su, ils auraient pris telle ou telle mesure et cet événement coûteux ne
serait pas intervenu. L'articulation est parfaitement correcte au point de vue
juridique.
Disons, pour simplifier, qu'il s'agit de la jurisprudence commune sur ce point
à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, celui-ci l'ayant exprimée d'une
manière particulièrement claire dans l'arrêt Quarez qui fixe le préjudice
économique à une rente mensuelle de 5 000 francs pendant toute la durée de la
vie de l'enfant. A cette occasion, rappelons que les parents ont l'obligation
de subvenir aux besoins de leurs enfants, non seulement jusqu'à la majorité de
ceux-ci, mais au-delà, selon la situation respective des parents et des
enfants.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Cela arrange l'Etat
!
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
C'est donc une obligation juridique, qui se trouve
aggravée en fonction des circonstances.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Cela arrange bien la
solidarité nationale !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Je suppose, monsieur le président About, que vous
ne voulez pas que je réplique, sinon, tout à l'heure, je pourrais à mon tour
vous interrompre.
(Sourires.)
Ne nous y amusons pas trop !
Compte tenu cependant des aspects particuliers du diagnostic anténatal que je
viens de rappeler et pour tenir compte des légitimes inquiétudes des médecins
concernés, l'Assemblée nationale a conçu pour ce cas une définition
particulière du système de responsabilité comportant l'exigence d'une faute
lourde.
Je dis à tous ceux qui en doutent que la distinction entre la faute simple et
la faute lourde est, bien sûr, considérable. Rappelez-vous que nous avons voté,
dans un tout autre domaine, un texte qui a établi une distinction entre la
faute simple et la seule faute caractérisée et que ce texte, à lui seul, a fait
disparaître la moitié du contentieux dans le domaine de responsabilité auquel
je fais allusion. Donc, en l'occurrence, on fait disparaître pratiquement la
moitié des recours. A l'exigence d'une faute lourde, l'Assemblée nationale a
ajouté l'exigence d'un handicap d'une particulière gravité et elle a prévu - et
ce point est aussi important que les deux autres - que l'indemnité du préjudice
économique serait calculée « déduction faite du montant des allocations et
prestations, de quelque nature qu'elles soient ». Il s'agit donc du préjudice
complémentaire, au-delà des prestations non récupérables de la sécurité sociale
et de la solidarité.
Fallait-il aller si loin ? Certains membres du groupe communiste de
l'Assemblée nationale ont dit que l'on ne pouvait pas aller aussi loin. Pour sa
part, la commission des lois a considéré qu'un tel dispositif allait aussi loin
que possible dans la voie d'une adaptation du droit commun de la responsabilité
au cas particulier du diagnostic prénatal. Elle a approuvé ce dispositif en
proposant simplement quelques modifications rédactionnelles.
La commission des affaires sociales, dans sa non moins grande sagesse -
a
priori
nous sommes tous sages
(Sourires) -
considère, de son côté, qu'il convient en outre de réduire
l'indemnisation des parents à leur seul préjudice moral, procédant ainsi à une
distinction qui porte au principe général de l'égalité des citoyens devant la
loi une atteinte que la commission des lois ne croit ni possible ni
justifiée.
Elle ne la croit pas possible parce qu'il est de règle - et cette règle a, je
me permet de le rappeler, valeur constitutionnelle - que, dans l'hypothèse où
une responsabilité est reconnue, - quelle que soit sa valeur - elle permet à la
victime d'obtenir réparation de l'ensemble de son préjudice dans lequel on ne
saurait établir de distinctions arbitraires. Il existe sur ce point des
décisions du Conseil constitutionnel qui sont d'une parfaite clarté.
Elle ne croit pas non plus cette atteinte justifiée, je tiens à le dire, car
l'argument d'équité qui semble avoir guidé nos collègues de la commission des
affaires sociales n'est pas fondé. Il consiste à demander que soit observée une
égalité de traitement entre tous les handicapés, oubliant cependant que, dans
la réalité, leurs situations sont nécessairement différentes, à commencer en
fonction de leurs conditions familiales d'existence.
Mais, surtout, et en toute hypothèse, la différence de situation résultant des
mécanismes de la responsabilité se retrouve dans tous les domaines de la vie,
spécialement en matière d'accidents de la circulation - c'est quotidien, hélas
! - où les situations sont toutes différentes selon qu'il y a ou non un tiers
responsable.
Monsieur le président, je dois conclure.
M. le président.
Je vous y invite, même si vos propos sont très intéressants.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Vos invitations sont des ordres, monsieur le
président, et je conclus,... plus précisément, je vais conclure.
(Sourires.)
Au total, le dispositif proposé par la commission des affaires sociales
établirait - il faut y réfléchir, mes chers collègues - une
quasi-irresponsabilité dans un secteur professionnel déterminé, ce qui nous
paraît inacceptable et même dangereux.
Mon dernier mot sera pour dire qu'il n'y a pas dans cette circonstance une
opposition quelconque entre ceux qui seraient mus par la compassion et ceux qui
seraient en quelque sorte esclaves du droit. Nous sommes tous animés d'un
profond sentiment de compassion et de respect face aux situations qui font
l'objet de notre débat et que, à un titre ou à un autre, aucun de nous ne peut
ignorer. Simplement, nous avons été de ceux qui croient que la compassion n'est
pas une conseillère suffisante dès lors qu'il s'agit de légiférer et qu'il lui
faut emprunter sagement les voies du droit si l'on veut atteindre à
l'efficacité sans laquelle la compassion se bornerait à des proclamations dont
une assemblée responsable ne doit pas se satisfaire. Il s'agit non pas d'une
opposition, mais d'une différence dans l'appréciation des voies et moyens, rien
de moins, rien de plus.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois vous demande,
mes chers collègues, de la suivre dans ses propositions, ayant la conviction
profonde que le respect des principes essentiels du droit reste la voie la plus
autorisée et la plus sûre pour servir les préoccupations humanistes et
humanitaires qui nous sont communes.
(MM. Moinard, Picheral et Badinter applaudissent.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre notre débat car M. François
Logerot doit déposer le rapport annuel de la Cour des comptes.
5
DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL
DE LA COUR DES COMPTES
M. le président.
L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez introduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit selon le
cérémonial d'usage.)
La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes.
M. François Logerot,
Premier président de la Cour des comptes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau du
Sénat, conformément aux dispositions du code des juridictions financières, le
rapport annuel de la Cour des comptes pour l'année 2001, que j'ai remis
personnellement à M. le Président de la République aujourd'hui même.
Je vous le remets, monsieur le président.
(M. le Premier président de la Cour des comptes remet un exemplaire du rapport
à M. le président de séance.)
Je précise que, comme de coutume, le
document sera mis à la disposition de chacun des membres de la Haute Assemblée,
accompagné d'une synthèse des observations destinée à en faciliter l'accès ; il
sera également consultable par voie électronique, dès demain, sur le site
internet de la Cour.
Comme mon prédécesseur l'avait fait ces dernières années, et avec votre
autorisation, monsieur le président, j'assortirai ce dépôt de quelques
commentaires concernant le rapport lui-même, et plus généralement l'assistance
que la Cour s'efforce d'apporter au Parlement dans son rôle éminent de contrôle
des fonds publics.
Le rapport public comporte cette année encore deux parties, les observations
proprement dites étant précédées d'un rapport d'activité faisant l'objet d'un
fascicule distinct pour mieux faire apparaître son objet propre.
Cette première partie a pour fonction de présenter les éléments marquants des
travaux de l'ensemble des juridictions financières, c'est-à-dire la Cour
elle-même et les chambres régionales et territoriales des comptes, puisque la
loi a prévu qu'il est rendu compte du fonctionnement de ces dernières dans le
rapport public de la Cour. Sont successivement abordées l'évolution des
missions et des moyens et la politique de contrôle, celle-ci étant traitée sous
l'angle des programmes, mais aussi des méthodes et des outils mis en oeuvre.
L'accent est mis en particulier sur les enquêtes transversales, qui mobilisent
le plus souvent plusieurs chambres de la Cour ainsi que, selon les sujets
traités, les chambres régionales ou certaines d'entre elles. Les enquêtes en
cours ou en voie d'achèvement sur la politique de la ville, le système
éducatif, les fonctions publiques, la gestion des crédits européens ou encore
les services déconcentrés de l'Etat sont l'illustration de cette orientation
majeure de nos travaux ; ces thèmes ont fait ou feront l'objet de
communications publiques de la Cour, notamment sous la forme de rapports
publics particuliers.
Le rapport d'activité donne ensuite des indications chiffrées sur les
différentes activités des juridictions financières et sur les thèmes des
principaux contrôles effectués ou engagés par la Cour en 2001. Sont également
analysées les activités internationales, en constante expansion notamment en
raison des missions de commissariat aux comptes d'organisations
internationales, en particulier les Nations unies, qui nous sont confiées. Ce
panorama, que nous cherchons à compléter chaque année, paraît d'autant plus
nécessaire que, comme les parlementaires le savent bien, les rapports publics
ne donnent qu'une vue très partielle de l'ensemble des travaux des juridictions
financières : la Cour ne retient en effet que les constats et les analyses les
plus riches d'enseignement ou ceux qu'elle estime, dans un souci d'information
et d'exemplarité, devoir porter devant l'opinion publique.
Enfin, nous sommes attachés plus que jamais à suivre les résultats et les
suites de nos contrôles. S'agissant de ceux des chambres régionales, une
section particulière du rapport d'activité expose les conclusions d'une étude
sur les effets de leurs interventions, illustrés par de nombreux exemples. La
Cour, pour sa part, rend compte des suites données à ses observations dans le
corps même du rapport public, c'est-à-dire dans la seconde partie, car c'est
principalement en procédant à des enquêtes dites de suivi qu'elle peut les
apprécier avec le plus de précision ; cette année, elle a ainsi évalué les
résultats souvent positifs de ses travaux antérieurs sur divers sujets comme la
lutte contre la toxicomanie, l'amélioration des conditions de travail ou la
gestion des crédits de coopération et d'action culturelle.
Je ne saurais exposer en détail, dans le cadre de cette brève intervention, le
contenu des vingt-six insertions publiées cette année, ni en mettre en exergue
certaines, alors que les commentateurs en privilégieront probablement
quelques-unes. Présentées par grandes catégories - emploi et action sociale ;
interventions économiques et financières ; recherche, culture, jeunesse et
sports ; environnement, équipement et aménagement du territoire ; secteur
public local -, elles relèvent en fait de typologies diverses, même si elles
combinent le plus souvent des observations touchant des irrégularités et
d'autres concernant la qualité de la gestion : certaines des observations ont
trait à la mise en oeuvre de certaines politiques publiques, contribuant ainsi
à leur évaluation, telles que l'insertion des bénéficiaires du RMI ou les
emplois-jeunes ; d'autres analysent la gestion technique de certains
dispositifs d'intervention, comme les aides européennes à l'agriculture ;
d'autres encore rendent compte de contrôles organiques, tels ceux qui ont été
effectués sur le Centre national de la recherche scientifique et
l'Etablissement public du musée du Louvre. Enfin, les insertions relatives au
secteur public local sont le résultat de contrôles coordonnés sur des thèmes
communs - les relations entre les collectivités publiques et les casinos, la
gestion des opérations d'aménagement urbain, par exemple - qui paraissent avoir
mieux leur place dans le rapport public que des observations ponctuelles qui ne
feraient que reprendre des observations déjà communiquées par les chambres
régionales des comptes aux responsables élus.
Ces observations sont conclues, plus fréquemment que par le passé, par des
recommandations adressées aux pouvoirs publics et, comme il est de règle, elles
sont accompagnées des réponses apportées par les ministres et les responsables
des collectivités et organismes intéressés.
Si les rapports publics, annuels ou particuliers, sont les vecteurs
susceptibles de contribuer au mieux à l'information du Parlement, avec les deux
rapports sur l'exécution des lois de finances et sur l'application de la loi de
financement de la sécurité sociale, je voudrais souligner que la Cour
communique aux assemblées une part croissante des résultats de ses travaux. En
dehors des rapports sur les comptes et la gestion des entreprises publiques, au
nombre d'une quarantaine en moyenne chaque année, la loi prévoit que sont
transmis désormais aux présidents des commissions des finances la totalité des
référés adressés aux ministres, ainsi que les réponses reçues. Ils peuvent
également être communiqués, à leur demande, aux commissions d'enquête
parlementaires.
La mission d'assistance au Parlement est maintenant précisée mais aussi
élargie par les dispositions de l'article 58 de la loi organique du 1er août
2001 relative aux lois de finances, et je tiens à vous donner l'assurance que
la Cour met au premier rang de ses priorités l'objectif d'y faire face, sous
tous ses aspects. Elle le fera dans le cadre de l'ensemble de ses tâches et
dans toute la mesure de ses moyens qui, vous le savez, sont malheureusement
limités et plutôt en légère diminution dans la dernière période. Dans quelques
jours, je rencontrerai à sa demande M. le président Lambert, que j'ai plaisir à
saluer aujourd'hui, pour envisager avec lui les modalités concrètes de notre
collaboration future. A cette occasion, je pourrai le tenir informé des
principaux travaux en cours ou programmés.
Enfin, il est clair que les conditions entièrement nouvelles d'élaboration, de
présentation, de justification, de vote et d'utilisation des autorisations
budgétaires, comme la tâche inédite, qui reste d'ailleurs à définir, de
certification des comptes de l'Etat confiée à la Cour, vont renforcer encore
les liens entre cette dernière et le Parlement, dans le cadre défini par le
Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 juillet dernier. D'ores et déjà,
nous avons entamé l'étude de toutes les incidences qu'aura la loi organique sur
l'orientation, le contenu et le calendrier de nos travaux relatifs à
l'exécution du budget. Je pense que les premières applications en seront
traduites dès notre prochain rapport relatif aux lois de finances pour 2001.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en concluant, je voudrais être devant vous
l'interprète de l'ensemble des juridictions financières en exprimant notre
satisfaction à la suite de la promulgation de la loi du 21 décembre 2001
relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes. Je sais,
en effet, la part prise par le Sénat dans cet aboutissement, attendu depuis de
longs mois.
Confortés dans notre statut et dans nos missions par l'oeuvre législative
récente, nous poursuivrons nos tâches dans la sérénité et avec détermination,
au seul service de l'intérêt général.
(Applaudissements.)
M. le président.
Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt du dépôt de
ce rapport.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le Premier
président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le rapport public annuel
qui vient d'être remis au Sénat constitue la figure de proue de la mission
d'assistance au Parlement que l'article 47 de la Constitution a confiée à la
Cour des comptes.
D'une densité et d'une qualité exceptionnelles, ce rapport répond à notre
exigence partagée d'une transparence accrue et d'une meilleure gestion des
deniers publics.
A travers ce rapport, la Cour des comptes donne d'ailleurs aujourd'hui
l'exemple puisqu'elle y expose désormais ses moyens de fonctionnement, ses
méthodes, ses résultats et son programme de travail.
Ces innovations s'inscrivent d'ailleurs dans des évolutions plus larges, qui
voient la Cour des comptes transmettre en temps utile au Parlement une part
croissante du produit de ses contrôles et de ses enquêtes, comme vous l'avez
dit à l'instant, monsieur le Premier président.
En application de la nouvelle rédaction de l'article L. 135-5 du code des
juridictions financières résultant de la loi de finances initiale pour 2001,
les référés du Premier président de la Cour aux ministres et les réponses
desdits ministres sont ainsi, depuis l'an dernier, transmis de droit aux
commissions des finances.
En outre, le rapport de la Cour sur l'exécution des lois de finances de
l'année n - 1 est désormais publié en juin de l'année n, c'est-à-dire au moment
où les rapporteurs de chaque assemblée préparent leurs questionnaires
budgétaires.
Nous savons, monsieur le Premier président, que ce calendrier resserré soumet
les magistrats de la haute juridiction financière à de très lourdes
contraintes.
Je profite toutefois de cette occasion pour réaffirmer avec force que leurs
efforts nous sont extrêmement utiles et que le rapprochement de la Cour des
comptes et du Parlement porte d'ores et déjà des fruits très prometteurs.
J'en veux pour preuve que, dans les seuls rapports budgétaires qui ont été
publiés cet automne par la commission des finances du Sénat, les rapporteurs
spéciaux de la commission ont cité les travaux de la Cour près de deux cents
fois. Le rapport sur l'exécution des lois de finances, notamment, est cité près
de cent fois.
En outre, les investigations menées ont nourri nos questionnaires budgétaires,
et les rapports spéciaux reproduisent ainsi, sous la forme d'encadrés ou
d'annexes, plus d'une quarantaine de réponses des ministres à des questions
formulées par les rapporteurs spéciaux de la commission des finances à la suite
de rapports ou de référés de la Cour.
Ces constatations démontrent l'apport de la Cour aux travaux du Sénat. Elles
expliquent aussi que l'entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001 a
fait naître au sein du Parlement de nouvelles attentes à l'endroit de la haute
juridiction financière.
Ces attentes sont doubles.
Tout d'abord, comme vous l'avez vous-même observé, monsieur le Premier
président, la validation du dispositif novateur de la nouvelle loi organique
reposera en partie sur les travaux de la Cour.
Celle-ci a désormais devant elle une mission exaltante : devenir la cheville
ouvrière de la nouvelle architecture budgétaire et comptable de la France. De
ce point de vue, l'article 58 de la loi organique me semble bien résumer
l'ampleur de la tâche qui attend la haute juridiction financière : les comptes
de l'Etat feront l'objet non plus d'une déclaration générale de conformité,
mais d'une certification par la Cour de leur régularité, de leur sincérité et
de leur fidélité. Les projets de loi de finances rectificative seront désormais
accompagnés d'un rapport de la Cour sur les mouvements de crédits opérés par
voie administrative. Ces exercices ne constitueront pas des rapports
supplémentaires, des rapports parmi d'autres, mais ils seront le point central
d'un travail minutieux destiné à moderniser notre système comptable, budgétaire
et financier.
Au-delà de ces obligations organiques, la Cour aura un rôle à jouer tant dans
la préparation que dans la mise en oeuvre de la nouvelle constitution
financière. Celle-ci me semble reposer sur deux piliers : les systèmes
comptables et le contrôle car eux seuls permettront aux administrations de
mieux connaître leurs coûts, au Parlement de mieux surveiller l'exécution de
ses décisions budgétaires, aux Français de mieux savoir comment leur argent est
employé. Or, la Cour me semble, sur ces deux fronts, en première ligne.
Définition du référentiel comptable, élaboration des programmes, de leurs
indicateurs de performance, réflexion sur la chaîne des contrôles, depuis le
contrôleur financier jusqu'à la responsabilité du comptable, ces mots
recouvrent une réalité qu'il convient dès aujourd'hui de préparer. La Cour des
comptes, j'en suis convaincu, y contribuera largement.
Pour jouer ce rôle central, qui s'apparentera, je le crains, bien souvent à
l'ouvrage d'une dentellière- j'ignore s'il s'agira de dentelles au point
d'Alençon...
(M. le Premier président de la Cour des comptes sourit) -,
la Cour devra
inévitablement évoluer. Dans le nouveau contexte qui sera celui de 2006, elle
devra adapter ses méthodes de travail. Comme nous tous, elle devra renoncer à
certaines habitudes pour endosser un nouvel habit, plus ambitieux encore que
celui que nous revêtons aujourd'hui. Nous avons bien conscience que cela posera
un certain nombre de questions, notamment celle des moyens.
Sachez en tout cas, monsieur le Premier président, que nous sommes extrêmement
attentifs aux travaux que votre juridiction conduira pour se préparer au
nouveau cadre budgétaire et comptable, à ses nouvelles obligations et surtout
aux nouvelles responsabilités qui seront les siennes.
Nous pensons aussi que cette révolution - car il s'agit bien d'une révolution
tranquille et d'ailleurs un peu silencieux - permettra d'approfondir les
relations étroites que le Parlement entretient avec vous.
C'est là notre seconde série d'attentes.
A cet égard, vous avez remarqué, monsieur le Premier président, que la
nouvelle loi organique du 1er août 2001, promulguée notamment à l'initiative du
Sénat, accorde une place plus importante à la mission d'assistance de la Cour
des comptes au Parlement.
Il nous revient maintenant de « faire vivre », dès cette année, l'ensemble des
dispositions de l'article 58 de la loi organique relatives aux relations entre
la Cour et le Parlement, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2002 ; vous
avez dit que nous en parlerions prochainement.
Je souhaite aussi que l'approfondissement de votre missions d'assistance au
Sénat emprunte des voies nouvelles consistant, par exemple, à faire bénéficier
les services de la commission des finances de vos méthodes et de votre
expérience, selon des modalités qui restent naturellement à déterminer.
Cet approfondissement des relations entre la Cour et le Parlement sera
d'ailleurs un enrichissement mutuel pour nos deux institutions et un puissant
levier de modernisation de la gestion publique au profit de nos
compatriotes.
Voilà ce qu'il m'a semblé utile de dire à l'occasion du dépôt, sur le bureau
de notre Haute Assemblée, du rapport public annuel : nous attendons beaucoup de
la Cour des comptes pour la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique
relative aux lois de finances, mais nous attendons avec d'autant plus de
confiance que la Cour a d'ores et déjà apporté un concours très précieux, voire
déterminant, à cette réforme, et que vous avez vous-même, monsieur le Premier
président, écrit dans une publication récente que les magistrats de la Cour
avaient « compris le message que leur envoie le Parlement ».
(Applaudissements.)
M. le président.
Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le Premier président est reconduit selon le même cérémonial qu'à son
entrée dans l'hémicycle.)
6
DROITS DES MALADES
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif aux droits des malades
et à la qualité du système de santé.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le président de la
commission des affaires sociales.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, les trois rapporteurs de la
commission des affaires sociales, ainsi que le rapporteur pour avis de la
commission des lois ont excellemment analysé l'important projet de loi dont
nous abordons la discussion aujourd'hui.
C'est un projet important par son volume ; il contient pas moins de 94
articles, dont certains insèrent des chapitres entiers dans le code de la santé
publique, et plus de 400 amendements ont été déposés pour cette première
lecture au Sénat.
C'est aussi un projet important par les thèmes qu'il aborde. Il suffit de
survoler les différents titres de chapitre : droits de la personne et droits
des usagers du système de santé, responsabilité, compétence et déontologie des
professionnels, réparation des conséquences des risques sanitaires, orientation
de la politique de santé, organisation régionale de la santé, prévention ...
Ces questions fondamentales sont pourtant passées quelque peu au second plan
dès lors que le Gouvernement a fait part de sa volonté d'y ajouter le débat sur
l'arrêt Perruche. Etait-ce une bonne décision ? Etait-ce une mauvaise décision
? Je crois, pour ma part, qu'il était difficile de faire autrement.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, comporte un certain nombre
d'affirmations de principe, à caractère souvent symbolique.
Nous débattrons ainsi de la nécessité ou non d'affirmer l'existence de
responsabilités des usagers du système de santé en parallèle aux droits que le
projet de loi entend leur reconnaître.
Nous débattrons du point de savoir si l'on peut inscrire dans la loi que le
malade prend les décisions concernant sa santé ou s'il n'est pas préférable
d'écrire qu'il participe à ces décisions dans le cadre du colloque singulier
avec le médecin.
Nous débattrons de la meilleure appellation des différentes instances
ordinales : faut-il conserver le terme « ordres » ou faut-il, comme l'a
souhaité l'Assemblée nationale, les baptiser « conseils », voire « collèges »
?
Mais, au-delà de ces débats auxquels nous participerons volontiers, j'ai le
sentiment que ce projet de loi marquera durablement notre droit positif sur
trois points principaux : la réflexion sur le handicap à travers le débat sur
l'arrêt Perruche, la question de la formation continue des professionnels de
santé et celle de la réparation des risques sanitaires.
Or, ces trois points, le Sénat vous avait offert d'en débattre au printemps
dernier.
En mars 2001, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'interruption
volontaire de grossesse et à la contraception, le Sénat avait adopté un
amendement qui prévoyait que « nul n'est recevable à demander une indemnisation
du seul fait de sa naissance » et qui ouvrait ainsi le débat que nous avons
aujourd'hui en des termes identiques.
Un mois plus tard, en avril 2001, le Sénat adoptait une proposition de loi
très complète sur l'indemnisation de l'aléa médical et sur la responsabilité
médicale, dont le dispositif ne différait pas substantiellement de celui que
comporte le présent projet de loi.
Un mois plus tard encore, en mai 2001, le Sénat adoptait, dans le cadre du
vaste projet de loi de modernisation sociale, qui comportait un volet
sanitaire, un dispositif relatif à la formation continue des médecins.
Chaque fois, le Gouvernement a refusé le dialogue au motif qu'un projet de loi
était en préparation.
Nous avons tous encore en mémoire le grief favori de Mme la ministre de
l'emploi et de la solidarité, qui apostrophe volontiers la majorité de notre
assemblée, laquelle, paraît-il, critiquerait toujours mais ne proposerait
rien.
En l'espèce, nous avons formulé trois propositions - les trois fois d'ailleurs
sur l'initiative de notre ancien collègue Claude Huriet -, et, par trois fois,
le Gouvernement nous a répondu qu'il fallait attendre.
Je le regrette, monsieur le ministre, je vous le dis avec amitié, car vous
avez eu des mots aimables pour notre commission, saluant, à juste titre, ses
initiatives dans le domaine de la sécurité sanitaire, par exemple, ou encore
celles qui ont été prises, sous l'impulsion de notre ancien collègue Lucien
Neuwirth, dans le domaine du traitement de la douleur et des soins
palliatifs.
Nous avons donc dû attendre un texte annoncé en juin 1999 mais qui n'a été
déposé qu'en septembre dernier.
Je me félicite, monsieur le ministre, qu'il ait fait l'objet - dites-vous -
d'une très large concertation.
Mais je constate - pour le déplorer - qu'à partir du moment où le Gouvernement
se sent prêt, il n'entend pas que le Parlement s'attarde, de sorte qu'à partir
du moment où l'on en arrive à ce que vous appelez « la phase parlementaire » la
machine s'emballe. L'Assemblée nationale a examiné le texte dès le 2 octobre
2001 dans le cadre d'une procédure d'urgence immédiatement déclarée.
Passé l'automne, qui, pour notre commission, a été neutralisé, vous le savez,
par le débat sur la loi de financement de la sécurité sociale et quelques
textes sociaux particulièrement lourds, nous abordons aujourd'hui ce projet de
loi dans un certain désordre et dans la presse de ce qui est déjà une fin de
session, prélude à une fin de législature.
Je déplore, pour ma part, que, sur un texte de cette nature et de cette
importance, une navette normale n'ait pas été recherchée.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je regrette que, sur
trois des volets les plus importants du projet de loi, vous n'ayez pas saisi la
possibilité de débattre plus au calme sur les propositions que faisait le
Sénat.
Je regrette enfin que notre commission ait été contrainte de procéder à un
programme d'auditions restreint alors que, en dépit de la très large
concertation que vous évoquez, de nombreux points de vue cherchaient encore à
s'exprimer. Je remercie à ce titre nos rapporteurs d'avoir pris le relais,
multipliant les prises de contact attentives et fructueuses dans le cadre de la
préparation de leurs rapports.
Puis-je ajouter, en tant que président de la commission des affaires sociales,
que je suis fier de la qualité des débats que nous avons eus en commission lors
de l'examen du projet de loi et, plus particulièrement, lors de l'examen de
l'amendement présenté par les trois rapporteurs sur la question du handicap
?
Je sais que l'amendement que nous proposons et que la commission a adopté à
l'unanimité s'écarte de la logique qui a été retenue par l'Assemblée nationale
et diffère de celle qui a eu la préférence de la commission des lois.
Je comprends naturellement cette logique qui développe, dans toutes ses
conséquences, le droit de la responsabilité et le principe de la réparation,
car j'avais l'honneur, voilà seulement quelques mois, d'être le seul médecin
présent aux travaux de cette éminente commission des lois.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Où vous êtes très regretté !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Merci, mon cher
collègue !
La commission des affaires sociales, pourtant, n'a pas partagé cette logique
qui la heurte dans une de ses convictions profondes : l'adaptation de notre
société à la déficience de certains de nos concitoyens ne passe pas par la
technique de l'assurance et du droit à réparation ; elle passe indubitablement
par la solidarité nationale.
(Très bien ! Sur les travées des Républicains
et Indépendants et du RPR.)
Le droit à la réparation est profondément inégalitaire et, en définitive,
choque dès lors que la faute est non pas à l'origine du handicap mais
simplement à l'origine de la naissance.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Comment accepter en
effet une telle différence de traitement tout au long de la vie, selon que l'on
est face à une faute dans le diagnostic prénatal ou que ce diagnostic n'a pu
être fait ou encore que les parents ont souhaité, en toute connaissance de
cause, laisser vivre leur enfant ?
« Créer un cas spécifique reviendrait, en transférant vers l'assurance privée
la prise en charge des enfants mal-formés, à admettre l'action de vie
dommageable et à considérer, nous dit M. l'avocat général Sainte-Rose, le fait
de vivre comme un préjudice. »
M. Jean Chérioux.
Exactement !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Il précise : « Cette
action a pour fondement la loi sur l'interruption de grossesse, qui n'a entendu
régler que la question qu'elle traitait mais que l'on veut appliquer après la
naissance de l'enfant. »
Il poursuit : « La philosophie qui sous-tend une telle démarche appelle bien
des réserves au regard tant du statut des personnes handicapées que de la vie
en général. »
M. Jean Chérioux.
Tout à fait !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
« Source de multiples
difficultés, aussi bien sur le plan juridique, insiste l'avocat général, que
sur les plans éthique et logique, en contradiction avec les droits fondamentaux
de la personne, facteur d'inégalités entre individus qui connaissent la même
infortune, l'action considérée ne peut avoir que des effets pervers : en
encourageant les parents d'enfants handicapés à agir contre les praticiens ; en
engageant ceux-ci à renoncer à certaines opérations de dépistage non
obligatoires, ce qui augmentera le nombre des handicapés ; en les incitant
surtout au moindre doute à décider l'avortement qui, lui, ne suscite aucune
action, et je rappelle que la moitié des avortements sont faits sur des enfants
qui ne présentaient aucune anomalie ; en renforçant les tendances eugéniques
qui existent dans notre société ; en limitant par là même la liberté des femmes
auxquelles on inculquera le devoir d'avorter ; en donnant de la médecine
foetale l'image d'une médecine thanatophore de nature à décourager les
vocations. »
Mes chers collègues, quelle leçon de droit et d'humanisme nous adresse par ses
conclusions M. l'avocat général !
Seule une proposition concrète et généreuse doit être notre réponse à tous
ceux qui sont nés avec une déficience.
Comment oublier que c'est la non-réponse de la société qui transforme cette
déficience en un handicap, comme le rappelle dans son excellent rapport lePr
Fardeau, rapport commandé par Mme la ministre de la solidarité en septembre
2000 ?
Oui, je le répète, c'est la non-réponse de la société, et rien d'autre, qui
transforme cette déficience en un handicap.
Toute politique en direction des personnes handicapées doit être aujourd'hui
dominée par la notion d'égalité des chances. Cette notion s'appuie sur la
déclaration des droits des personnes handicapées de 1975 et sur la résolution
de l'assemblée générale des Nations unies de 1993.
Le 20 décembre 1996, le Conseil de l'Union européenne invitait les Etats
membres à promouvoir dans leurs politiques cette égalité des chances des
personnes handicapées.
Pour y parvenir, il convient de se conformer à cinq principes fondamentaux.
Premièrement, la réaffirmation du droit à la dignité de toute personne
humaine, dont découlent plusieurs corollaires, en particulier le droit de ne
pas être considéré comme un préjudice.
Deuxièmement, le principe de participation, qui impose d'associer la personne
handicapée à toute décision la concernant. En découlent aussi des corollaires,
comme le respect de l'autonomie et de l'indépendance, l'accessibilité des
lieux, la prise en compte des besoins et des intérêts des familles et des
aidants.
Troisièmement, le principe de non-discrimination, qui implique la condamnation
de tout traitement défavorable ou inégalitaire d'une personne en raison de son
handicap.
Quatrièmement, le droit à compensation, qui est complémentaire du principe de
non-discrimination. Pour pouvoir exercer sa pleine citoyenneté, conformément au
droit qui lui est reconnu, toute personne handicapée doit pouvoir compenser les
déficiences et les limitations qui la touchent.
Ce principe a, lui aussi, de nombreux corollaires : le droit à l'aménagement
de l'environnement quotidien, domestique, scolaire, professionnel et urbain ;
le droit d'aller et venir, avec la possibilité d'utiliser les moyens de
transport et de communication courants ; le droit d'accéder aux aides
techniques nécessaires en termes de mobilité, de manipulation ou de
communication ; le droit de disposer des aides humaines indispensables ; la
prise en compte des besoins et des charges des familles et des aidants.
Cinquièmement, enfin, le principe de proximité. Il implique la grande
proximité entre la personne, son lieu de vie et les lieux de décision ou de
réalisation de son projet personnel.
Mes chers collègues, tels sont les principes que la société française aurait
dû faire siens, les défis qu'elle aurait dû relever voilà déjà longtemps, car
d'autres pays européens sont très en avance sur nous à cet égard.
Le retard de la France a provoqué l'exaspération, bien compréhensible, des
personnes handicapées et de leurs familles et a abouti aux arrêts de la Cour de
cassation et du Conseil d'Etat.
Se cacher derrière la faute du praticien qui n'est pas à l'origine du handicap
est une réponse inadaptée au désarroi de toutes les personnes handicapées et de
leurs familles.
Laisser les familles partir à la recherche d'indemnisations pour pallier la
carence de la société n'est pas digne d'un système démocratique comme le
nôtre.
Pousser, par nos lois, les parents à obtenir ces indemnités, en affirmant
qu'ils auraient opté pour l'avortement s'ils avaient su ce qu'était leur
enfant, constitue une véritable torture pour ces parents et une insulte pour
ces enfants.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Plus simplement, condamner un praticien à indemniser des parents en raison
des déficiences naturelles de l'enfant, c'est estimer que l'avortement eût été
légitime ou que la vie de cet enfant ne méritait pas d'être vécue.
Ce constat abominable a poussé une femme souffrant d'une myopathie sévère à
m'écrire ceci : « Pour admettre le préjudice, il faudrait, nous dit-on, que le
handicap soit d'"une particulière gravité...". Mais qui peut nous fournir la
liste des handicaps considérés comme d'une particulière gravité ? La trisomie ?
Le polyhandicap ? La surdité ? La cécité ? Les deux à la fois ? Une maladie
génétique ? Laquelle, parmi les 6 000 qui existent ? »
La myopathie ? « Au fait, quelle forme ? », demande cette femme, qui en sait
quelque chose ! Une main en moins ? La gauche ? La droite ? Le bec de lièvre ?
La myopie, qui frappe un certain nombre d'entre nous dans cet hémicycle ?
L'asthme ? Le diabète ?
Elle conclut sa lettre par cette terrible question : « Qui aura le privilège
de figurer sur la liste des parias de notre société ? » Je crains de devoir lui
répondre : « Chacun d'entre nous, le jour où il sera possible de détecter
in
utero
nos déficiences génétiques ! »
Malheureusement pour ma correspondante, les principes du droit, nous dit-on,
seraient opposés à la position de la commission des affaires sociales et
exigeraient la mise au point de cette liste de la honte, au nom du droit à
réparation de la mère !
Ce droit, c'est celui d'être indemnisé au titre de la responsabilité civile du
médecin qui, à la suite d'une faute grave, n'a pas pu avertir pendant la
grossesse la mère de la ou des déficiences de son enfant. Ce droit devrait être
appliqué comme s'il s'agissait d'un cas classique de responsabilité civile.
Un enfant né avec une déficience grave, du seul fait de la nature, serait
assimilable à un blessé lors d'un accident de voiture ou, pis, comparable à un
vice caché, comme s'il revenait au médecin de livrer un enfant génétiquement
acceptable à ses parents !
Mes chers collègues, avec regret je dois reconnaître qu'aucun médecin n'a
jamais fait naître un enfant génétiquement parfait. Nous sommes tous, que nous
le voulions ou non, génétiquement déficients !
On nous oppose le contrat. Le médecin avait passé un contrat avec la mère, aux
termes duquel il devait l'informer. Bien sûr, mais il avait un contrat encore
plus grand à honorer, un contrat de vie et de santé non seulement vis-à-vis de
la mère mais aussi vis-à-vis de son enfant, et ce contrat-là ne saurait être
balayé du seul fait que le premier n'a pu être respecté.
Je ne souhaite pas que nous puissions être amenés à légiférer en nous appuyant
sur un droit d'information qui aurait pu aboutir à la mort de l'enfant.
La faute du médecin a privé la mère de l'exercice d'un droit. C'est vrai !
Cette faute doit être sanctionnée et la mère doit pouvoir prétendre à
indemnisation pour la perte de ce droit. C'est juste ! Mais il ne peut y avoir
indemnisation au titre du handicap de son enfant, qui était antérieur à la
faute et qui ne peut en aucun cas, moralement, être comparé à un vice caché.
Un enfant né avec une déficience, je le répète, n'est ni un vice caché ni un
préjudice. C'est une personne ayant droit, au même titre que les autres
personnes moins déficientes qu'elle, à la solidarité nationale.
De plus, il n'est pas aussi simple que l'on veut bien nous le dire
d'appliquer, dans un tel cas, le principe général de réparation. En effet, la
Cour de cassation nous enseigne que le propre de la responsabilité civile est
de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et
de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte
dommageable ne s'était pas produit. Mais de quel équilibre parle-t-on ? L'état
de l'enfant n'a pas changé ! Il présente le même handicap qu'avant le manque
d'information.
Alors, comment rétablir l'équilibre rompu ? Au profit de qui ? De l'enfant ou
de la mère ? Qui est la victime de la faute ? La mère, bien sûr. En l'absence
de faute, qui aurait été la victime ? L'enfant, peut-être, puisque cette
information aurait abouti à sa disparition.
Comment replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si
l'acte dommageable ne s'était pas produit ?
On n'ose imaginer une solution pour l'enfant ! Mais pour la mère ? Est-il
possible de replacer la mère devant le choix de refuser l'enfant déficient ?
Oui, malheureusement, c'est encore possible, comme le démontre, en raison de la
carence de la solidarité nationale, le nombre important d'abandons d'enfants
handicapés. Un enfant trisomique sur deux, en région parisienne, est abandonné
à la naissance, contre un sur quatre voilà quinze ans. Ce chiffre a donc
doublé, ce qui prouve le retard considérable que nous avons pris en matière de
solidarité nationale.
Certains juristes objecteront certainement que le refus d'assumer l'enfant ne
prend plus la même forme puisque, par la faute du médecin, nous passons de la
destruction possible jusqu'au dernier jour de la grossesse à son abandon
possible à l'issue de celle-ci.
Est-ce cette différence qui constitue le préjudice ? Peut-être.
Le contact avec cet enfant né handicapé suscite des sentiments complexes. Ces
sentiments très forts sont les mêmes que ceux que d'autres parents éprouvent et
expriment tout au long de la grossesse et qui les poussent à ne pas demander
l'avortement : amour, respect de la vie, responsabilité, culpabilité, parfois,
souvent une grande inquiétude, presque toujours un grand désarroi.
Là se situe le grand préjudice : le préjudice moral. Chacun ressent tout à
coup le vertige, la souffrance morale qui saisissent ces parents. Mais, malgré
cette souffrance, il leur reste un choix à faire : élever ou abandonner cet
enfant.
S'ils choisissent l'abandon, la solidarité nationale assumera non seulement le
handicap de l'enfant, mais aussi les charges qui incombent normalement aux
parents. En revanche, si les parents décident de faire face et d'élever leur
enfant, alors, ils seront quasiment seuls ! Où est la solidarité nationale ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
Là se situe le deuxième préjudice, certainement le plus lourd : le préjudice
matériel, social.
Notre société n'a pas le droit de privilégier l'éradication des déficiences
par l'avortement. Elle doit, au contraire, parvenir à la disparition de ces
déficiences par un effort sans précédent de compensation, de recherche et de
traitement.
Aujourd'hui, malheureusement, la plupart des recherches aboutissent à des
détections
in utero
pour mieux pouvoir éliminer le handicap en même
temps que la personne qui en est porteuse, c'est-à-dire avant la naissance de
l'enfant handicapé. Est-ce vraiment ce qu'attendent les personnes handicapées
aujourd'hui en France ?
Mes chers collègues, je ne vous demande absolument pas de maltraiter les
principes du droit. De toute façon, nous avons l'autorité du législateur : nous
sommes là pour faire évoluer notre droit ! Le droit est mouvant, il bouge avec
la société et nous sommes certainement à un tournant du droit en matière
d'enfant né avec un handicap.
Ne maltraitons donc ni les principes du droit ni les droits fondamentaux de la
personne, qui leurs sont bien entendu supérieurs, aux seules fins de préserver
les intérêts de notre société.
Ne cédons pas à la tentation de déresponsabiliser tous les échelons de l'Etat.
Sinon, notre société renouerait avec Sparte pour mieux éliminer les faibles.
Selon Plutarque, cette cité, premier Etat totalitaire, imposait que tous les
nouveaux-nés passent devant les juges, qui décidaient si ces bébés méritaient
de vivre ou de mourir en fonction de leur force, de leur beauté ou de leurs
déficiences.
Je n'ose imaginer ce que les juges de Sparte auraient décidé si le diagnostic
prénatal avait existé ! Mais oublions Sparte et revenons chez nous.
Mes chers collègues, nous avons su trouver des moyens pour permettre à des
personnes en pleine forme de travailler quatre heures de moins par semaine.
(Sourires et marques d'approbation sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
Ne pouvons-nous imaginer des moyens du même ordre pour essayer d'aider les
plus handicapés des Français ? J'estime que la compensation des déficiences des
personnes les plus handicapées mérite, de toute urgence, un effort équivalent
au moins à celui qui est consacré à la réduction du temps de travail.
Le préjudice social doit être combattu. La loi de 1975 doit être revue.
La commission des affaires sociales se met d'ores et déjà au travail pour que,
dès cette année, nous puissions proposer au Parlement une réforme de la loi de
1975, permettant à notre pays de rattraper ses voisins les plus avancés et de
se montrer digne, par son approche du handicap, de ses principes de liberté,
d'égalité et de fraternité.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sachons
relever le défi, apportons à ceux qui souffrent d'une déficience et à leurs
familles plus d'espoir, plus de sérénité et plus de paix.
(Vifs
applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je souhaite dès à présent remercier le président de la
commission des affaires sociales de la hauteur de ses vues et de l'engagement
dont il a témoigné.
Je comprends, je ressens même les arguments qu'il a employés. Peut-être
n'avons-nous pas, sur toutes ces situations malheureuses, la même solution à
proposer, mais je crois que nous avons les mêmes indignations.
En vérité, les gouvernements successifs, pas plus celui-ci que les précédents,
n'ont su faire en sorte que la solidarité nationale apporte une réponse
suffisante. N'accusons personne, sinon il faut accuser tout le monde.
Sur cette insuffisance, en tout cas, monsieur About, je partage entièrement
votre sentiment.
Vous me permettrez de ne répondre à vos quatre rapporteurs, et notamment à M.
Fauchon, dont j'ai apprécié les commentaires positifs et les critiques - on
peut apprécier les critiques aussi, même si c'est pour les condamner - qu'à
l'issue de la discussion générale.
S'agissant de la solidarité nationale, monsieur About, doit-on, sous le
légitime prétexte que vous avez évoqué, non pas bafouer le droit au demeurant,
je ne suis pas suffisamment juriste pour dire cela - mais s'en remettre à une
législation ultérieure ?
Franchement, j'ai ressenti comme vous ces apostrophes - non pas à moi
adressées, mais adressées à l'ensemble de notre société - avec beaucoup de
douleur. C'est pourquoi, oui, nous allons remettre la loi de 1975 sur le
métier, oui, nous allons essayer de faire mieux que ce que nous faisons, bien
que la solidarité nationale, monsieur About, représente - mais je sais que ce
n'est pas un argument, car les chiffres ne peuvent être, dans ces conditions,
un argument - 183 milliards, peut-être même 189 milliards de francs par an. Je
souhaite que la santé dispose de crédits plus importants, mais où doit-on
s'arrêter dans ce domaine ? Il faut donc faire des choix, mais je n'aborderai
pas cette discussion maintenant.
Au cours de notre séance de travail en commission des affaires sociales,
j'avais compris votre argumentation, monsieur About, au sujet des « deux
handicaps » : une famille pouvait ainsi « bénéficier » de la faute du médecin
et se voir « indemnisée » - veuillez me pardonner d'employer ces mots horribles
qui ne correspondent pas, évidemment, à l'enjeu de notre débat mais qui sont
pourtant les termes juridiques adéquats - afin de faire face aux difficultés
matérielles - je ne parle pas des difficultés morales - du handicap, ce qui
n'était, en revanche, pas le cas de la famille, de la femme qui choisissait
d'avorter, ce qui est son droit. Au demeurant, je suis d'accord avec vous pour
dire que l'avortement n'est pas une méthode de contraception, mais la loi
existe et le choix est possible. Toutefois, dans le cas qui nous intéresse, ce
choix n'étant pas offert à la femme, on pouvait comprendre qu'elle se tourne
vers la justice, le médecin ayant commis la « faute » de choisir la vie.
Je comprends donc votre sentiment : il nous faut raisonner en fonction de la
vie, bien sûr, mais nous ne devons pas oublier le choix de la mère, et il nous
faut tenir compte de certaines évolutions. Non pas vers l'eugénisme, bien sûr,
et je condamne totalement toute tentative dans ce sens : je vous ai dit le
dégoût que m'inspire l'idée même de l'enfant parfait. Mais nous avons évolué,
vous avez évolué, les familles ont évolué, les temps ont évolué.
Comme vous, monsieur About, il me paraissait difficile d'accepter ces deux
réparations.
Mais voilà que vous apportez un autre argument, le préjudice moral. Or, sur ce
point, je ne partage pas - mais je ne prétends pas avoir raison - votre point
de vue. Franchement, je ne comprends pas bien : un préjudice moral par rapport
à quoi, par rapport à quel autre préjudice ? Comment le déterminer ?
Vous avez évoqué une liste de handicaps. Je comprends bien vos motivations,
mais qui établira cette liste odieuse ? A partir de quel niveau un handicap
sera-t-il considéré sinon comme insupportable, en tout cas comme lourd ? Je
l'ignore ! De plus, comme l'a indiqué M. Fauchon, les familles sont toutes
différentes, les plus fortunées d'entre elles ont plus de facilités pour
supporter les conséquences d'un handicap. Faut-il négliger cet aspect ?
Je ne suis ni juriste ni spécialiste en matière de... handicap - oui, il faut
bien employer le mot -, et je m'exprime ici en qualité de médecin qui a aussi
quelques points de vue en matière de morale.
Certains sénateurs ont rappelé - rappel ô combien nécessaire qui m'a beaucoup
ému - le refus de faire un choix dans ces conditions et le bien-fondé du
recours - légitime et indispensable - à la solidarité nationale pour prendre en
charge, mieux que nous ne l'avons fait dans le passé, les difficultés nées d'un
handicap. J'ignore quand nous y parviendrons. Je ne connais pas davantage les
choix qui seront faits. Je constate simplement que nous sommes d'accord pour
reconnaître que la révision de la loi de 1975 s'impose.
Permettez-moi aussi de me mettre à la place de la famille et, même si cela
peut sembler prétentieux de ma part, à la place de la mère. A quel moment un
préjudice est-il moral ? A quel moment une famille peut-elle demander
réparation dudit préjudice ?
Le recours au contrat, même si l'emploi de ce terme peut heurter les juristes,
n'en demeure pas moins indispensable.
Il me paraît donc nécessaire, sur ce point, de réfléchir encore un peu. Nous
aurons le plaisir, la difficulté - mais aussi l'honneur - de débattre ce soir
de la jurisprudence Perruche. En toute honnêteté, si nous pouvions parvenir à
un accord, ce serait à l'honneur du Sénat, et même du Parlement tout entier.
Je ne vois pas, monsieur le président et cher Nicolas About, de vraie
différence entre nous : notre débat porte non sur la signification de la vie,
mais sur la douleur, sur la réparation et, d'une manière peut-être trop centrée
- mais, en même temps, c'était plus simple - sur la faute médicale. Mais, comme
vous l'avez dit, la question n'est pas là : il y a bien réparation, et juste
réparation.
Moi, je plaide - non pas comme un plaideur, d'ailleurs, car moins on se
référera au judiciaire dans les pratiques médicales et plus je serai content -,
je plaide, dis-je, avec toute la force de ma conviction pour que nous
parvenions à trouver une formulation du préjudice moral qui, au-delà de ce que
j'en comprends, de ce que vous avez dit et de ce que nous avons découvert
ensemble au cours des travaux de la commission des affaires sociales, puisse
s'appliquer - nous sommes un pays de droit - sans pour autant employer des
termes qui blessent et qui rendent le débat péjoratif pour l'enfant et pour la
mère.
Certes, nous aurions pu nous en tenir à la rédaction de M. Jean-François
Mattei mais cela n'aurait pas été suffisant.
Nous sommes donc allés plus loin et nous avons tenté d'atteindre l'essentiel,
qui n'est réductible ni au droit ni, peut-être, à la médecine. C'est un choix
imparfait entre les inconvénients d'une certaine science juridique et ceux
d'une incertaine science médicale.
Pour ma part, je considère que nous devons appliquer les lois existantes, mais
je comprends parfaitement votre position, dont je ne suis pas éloigné. Mais je
pense aussi au choix des parents, à l'évolution de la société, au progrès que
constitue pour les mères le choix éventuel de l'interruption médicale de
grossesse. Dans ces conditions, je ne peux pas choisir avec certitude.
J'ai été sensible aussi, c'est vrai, au fait que l'abandon est de plus en plus
fréquent. Mais, dans une situation économique difficile, n'est-ce pas vers la
prévention - nous en avons tellement parlé - et donc vers le choix des femmes,
y compris celui de l'interruption médicale de grossesse, que nous devons nous
tourner ?
Quoi qu'il en soit, je vous remercie de votre intervention, monsieur About,
comme je remercie les rapporteurs, auxquels je répondrai volontiers tout à
l'heure, à la fin de la discussion générale. En dépit d'une certaine «
scienticisation » de la société, il demeure en tout cas, il faut le
reconnaître, des matières sur lesquelles nous sommes très « empêtrés », car
nous avons quelque difficulté à nous prononcer à cent pour cent : pour ma part,
sur ce sujet, je ne suis pas sûr à cent pour cent !
(Applaudissements.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 72 minutes ;
Groupe socialiste, 65 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 42 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 33 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 31 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on
aujourd'hui perfectionner le droit des malades sans évoquer celui des
handicapés ? Les uns et les autres, pour une période seulement ou pour toute
une vie, sont dépendants de professionnels et d'une prise en charge plus ou
moins importante.
Les questions soulevées par ces situations doivent être traitées avec une
véritable prudence, indispensable à l'harmonie sociale. Ainsi, le souci de la
qualité des soins médicaux et la mise en cause de la responsabilité médicale
prennent tout leur sens quand les malades n'attendent pas pendant des heures
dans les couloirs des établissements.
Que signifie, de même, la justice définie par l'indemnisation judiciaire du
handicap génétique non décelé pendant la grossesse, quand cette jurisprudence
soulève l'indignation d'associations de handicapés, de leurs parents et de
leurs amis ?
Si la justice « judiciaire » a un rôle important dans un Etat de droit, la
justice sociale y a aussi une place, parfois même essentielle. N'est-on pas
précisément ici dans ce cas de confrontation entre ces deux dimensions,
distributive et commutative, de la justice ?
La jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation place notre pays
dans la voie de la réparation judiciaire du handicap, dans un cas où la faute
retenue n'est pas la cause du handicap. Si chacun vivait dans sa sphère
individuelle, en n'ayant d'autre lien juridique que des liens contractuels avec
ses semblables, cette voie jurisprudentielle pourrait être considérée comme
intéressante à étudier, encore que l'adage selon lequel nul ne plaide par
procureur pourrait réserver quelques surprises.
Mais, surtout, la Cour de cassation me semble avoir porté un coup fatal à la
thèse du tiers au contrat, s'agissant d'un embryon, dans son arrêt pris en
assemblée plénière le 29 juin 2001 : il s'agissait d'un accident de voiture
dans lequel un embryon de six mois en parfaite santé avait été tué tandis que
sa mère avait été blessée. Celle-ci, qui demandait réparation du préjudice
subi, a été déboutée.
Dans notre société, qui ne renonce heureusement pas à organiser une solidarité
nationale entre ses membres, les jurisprudences en question sont aussi de
nature à déstabiliser et à mettre gravement en cause la justice sociale.
L'amendement issu du vote de l'Assemblée nationale et fort opportunément
déposé par le Gouvernement devant le Sénat à ce sujet est tout à fait
révélateur de ce risque, puisqu'il prévoit même de le conjurer en déduisant de
la rente le montant des allocations et prestations qui sont versées au titre de
la solidarité nationale ou de la sécurité sociale.
Ce mécanisme conduira donc, dans ce cas précis, à l'extinction automatique de
la réparation par voie judiciaire quand le montant des droits sociaux atteindra
le niveau des préjudices matériels fixé par la jurisprudence.
Dès lors, la fixation judiciaire de l'indemnisation d'un handicap ne
devient-elle pas insidieusement la référence des barèmes sociaux ? N'y a-t-il
pas là un subtil détournement constitutionnel, le pouvoir exécutif étant mis
de facto
en tutelle par le pouvoir judiciaire, le Gouvernement se voyant
contraint d'aligner le barème social pour éviter une indemnisation des
handicaps à deux vitesses ? Ainsi, ce que la Constitution a exclu de la loi
pour le réserver au règlement serait indirectement confié, sans en avoir l'air,
aux cours suprêmes des ordres administratif et judiciaire.
Mais cette évolution jurisprudentielle ne s'opère-t-elle pas aussi au prix
d'une révolution dans le droit médical ?
En effet, la faute supposée commise par le professionnel chargé de la
surveillance de la grossesse porte sur la mise en oeuvre d'une obligation de
moyens, en l'occurrence de moyens de diagnostic. N'est-on pas en train
d'introduire une obligation de résultats au sein de cette obligation de moyens
et dans un domaine aussi délicat que celui de l'échographie et du diagnostic du
handicap en général ?
La solution préconisée par la commission des affaires sociales, en ne retenant
qu'un préjudice moral pour défaut d'information, me semble, pour toutes ces
raisons, la plus sage et à même de préserver notre cohésion sociale en
actualisant, rapidement, il est vrai, les moyens de notre justice sociale.
Alors que nous allons reconnaître l'aléa thérapeutique, sachons protéger la
tâche difficile du diagnostic.
Les parlements ont bien su se protéger par le régime des immunités. Les
magistrats ont aussi une responsabilité difficile à mettre en jeu. Cela est
nécessaire pour la sérénité du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire.
Il est impératif que la surveillance de la grossesse soit protégée de tout
acharnement judiciaire qui induirait en retour une frénésie médicale, les
praticiens étant obsédés par le principe de précaution, ce qui conduirait à des
dérives qu'on peut aisément imaginer.
A cet égard, nous n'avons, en effet, pas encore mesuré les conséquences de
l'arrêt du 29 juin 2001 de l'assemblée plénière de la Cour de cassation. Selon
cette nouvelle jurisprudence évoquée il y a un instant, un embryon tué ne donne
lieu à aucune poursuite, contrairement donc à un embryon blessé ou handicapé.
Nous ne sommes donc pas au bout de nos peines !
En tout cas, il est sûrement urgent de rappeler que le droit doit être au
service de l'homme et non pas l'homme au service du droit, sans oublier que
l'homme dont il s'agit est un être social.
Si les armes doivent s'incliner devant les toges, comme l'a dit Cicéron,
celles-ci doivent céder devant le Parlement de la République.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi d'abord d'apporter un témoignage fort.
J'ai eu l'immense chance d'exercer en tant que médecin dans des établissements
qui, il y a vingt-cinq ans déjà, prenaient en charge les plus grands
handicapés. C'était en Lozère ; un abbé avait alors créé l'établissement du
Clos du nid, à un moment où rares étaient ceux qui prenaient en charge les
grands handicapés, puis le centre de Montrodat.
C'est à ce titre que je voudrais exprimer mon admiration pour les parents de
ces handicapés et demander, sachant le drame qu'ils vivent, que nous
n'ajoutions pas la culpabilité à leur détresse tant ils se culpabilisent
souvent eux-mêmes.
Dans ces débats d'une qualité exceptionnelle du fait tant des travaux des
commissions et des interventions des rapporteurs et du président de la
commission des affaires sociales que de votre réponse, monsieur le ministre,
nous sommes face à une situation où la science, pas plus que le droit, ne doit
l'emporter sur l'éthique.
Je ne suis pas juriste, je suis un médecin qui a accouché des femmes, qui a
été souvent angoissé au moment de l'accouchement - les échographies n'étaient
pas encore une pratique courante - mais qui a toujours vécu d'une manière
intense cette réalité fantastique de la vie.
Selon moi, dans notre débat d'aujourd'hui, c'est donc le respect de la vie qui
doit prévaloir. C'est d'ailleurs cette conviction qui m'avait conduit à me
prononcer en faveur de la suppression de la peine de mort. C'est également
cette idée qui a motivé des débats souvent excessifs et trop durs sur
l'interruption volontaire de grossesse, car on peut toujours se demander à quel
moment commence la vie.
Quoi qu'il en soit, le respect de la vie, c'est le principe qui doit être au
coeur de la démarche de toute société ! Cher collègue et ami de la commission
des lois, parlons donc non pas de compassion, mais de respect de la dignité des
personnes handicapées.
Je suis fier également - et l'un de nos collègues m'a dit lors du débat sur
le projet de loi de modernisation sociale que j'avais un peu la nostalgie de ce
moment - d'avoir été le rapporteur de la plus grande loi d'orientation en
faveur des personnes handicapées, celle qui, en 1975, a jeté le fondement du
respect de leurs droits. Le président de la commission des affaires sociales
l'a d'ailleurs évoquée avec beaucoup de force et une grande sincérité.
Cela me conforte dans l'idée que notre rôle, c'est de permettre aux handicapés
d'avoir réellement accès à la vie grâce à la solidarité nationale. Au-delà du
débat juridique - cela a été dit, mais je le répète - il est nécessaire de
faire jouer la solidarité. Ne nous défaussons pas sur les assurances privées ou
sur la responsabilité civile des médecins. Soyons porteurs d'un message fort
pour que ces parents extraordinaires ne se sentent pas culpabilisés et sachent,
au contraire, que notre société est une société digne de ce nom et qu'elle peut
donner à toute personne le maximum de chances d'épanouissement.
Lorsque des éducateurs, des personnels dans des établissements spécialisés ou
à domicile permettent à un jeune handicapé d'avoir un regard, un geste de la
main, c'est formidable. Et c'est cet acte qui traduit le mieux le respect de la
dignité humaine.
Aujourd'hui, il nous faut répondre à une sollicitation. Faisons-le, même si
notre réponse pourra paraître un peu mesquine. Je n'insisterai pas sur ce point
! Je déplore pourtant que nous n'ayons pas avancé depuis vingt-sept ans, depuis
cette loi d'orientation sur les handicapés.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Absolument !
M. Jacques Blanc.
A l'époque, le président de la République était M. Valéry Giscard d'Estaing,
le Premier ministre M. Jacques Chirac et le ministre chargé de la santé Mme
Veil. M. Lenoir, secrétaire d'Etat, nous avait alors alerté sur l'exclusion, il
avait défendu le texte que j'ai eu l'honneur de rapporter devant l'Assemblée
nationale et qui avait été voté à la quasi-unanimité.
Le débat d'aujourd'hui aura peut-être le mérite de nous faire dire, à nous,
politiques, qu'on caricature trop souvent, que nous éprouvons du respect pour
la personne humaine. Il nous donnera peut-être l'occasion, comme vous le
souhaitez, monsieur le ministre, de déboucher sur un accord. Ainsi, face à un
problème aussi terrible que celui qui a été révélé par l'arrêt Perruche, face à
la difficulté de cerner les responsabilités morales - le
pretium doloris
cela existe, c'est même une référence - n'oublions jamais qu'il existe une
sorte de contrat entre la mère et le médecin.
En tant que nouveau sénateur, je suis très impressionné par la qualité de ce
débat, comme je l'ai déjà dit. Je souhaite qu'il se poursuive dans la même
ligne. Nous répondrons ainsi à ce qui me semble être notre mission : même si
nous ne sommes pas juristes, nous devons faire le droit en toute éthique et
dans le respect de la dignité humaine. C'est dans cet esprit qu'il nous faut
examiner l'ensemble du projet de loi qui nous est proposé.
Monsieur le ministre, j'ai lu dans votre intervention à l'Assemblée nationale
- mais aujourd'hui vous avez été plus mesuré ; peut-être est-ce ces lieux qui
nous amènent les uns et les autres, le Gouvernement comme les parlementaires, à
plus de modération - que vous considériez qu'il s'agissait d'un texte
fondateur. Ce n'est pas exact, selon moi. Je suis néanmoins convaincu - mais
vous ne le direz pas -, si vous aviez été à la tête d'un vrai ministère de la
santé, où vous auriez eu la capacité d'agir à votre guise, c'est un texte plus
fondateur qui nous aurait été proposé, à un moment où cela « vole en éclat » de
partout.
Nous sommes en effet confrontés, dans le secteur de la santé, à une crise que
personne ne peut négliger. Ce n'est pas tous les jours que l'on voit se mettre
en grève des médecins - ce n'est ni dans leur nature ni dans leur tempérament -
des infirmières, des kinésithérapeutes, des pharmaciens, et tous les acteurs du
monde de la santé.
Ils expriment ainsi leur désarroi car s'il y a certes des problèmes
financiers, se posent aussi des problèmes humains.
Tous ces professionnels en ont peut-être assez d'être montrés du doigt, d'être
rendus responsables du déficit de la sécurité sociale alors que chacun sait
bien, même si personne ne le dit - mais vous me permettrez de le faire ici -
que la santé coûtera de plus en plus cher.
Que l'on arrête de laisser croire - mais peut-être est-ce la faute des
gouvernements successifs ! - que l'on pourrait maîtriser de manière
significative les dépenses de santé que l'évolution de la société et des
techniques, mais aussi l'espérance de vie des femmes et des hommes de ce pays
entraînent à la hausse !
Si l'un de vos proches est malade, vous ferez en sorte qu'il reçoive les
meilleurs soins. Et si l'on vous dit qu'on ne peut pas, à l'hôpital, placer
telle prothèse, tel appareillage cardiaque ou prescrire tel traitement parce
que les limites financières sont dépassées, vous ne l'accepterez pas ! Chacun
d'entre vous souhaite en effet que toute femme, que tout homme, quelle que soit
sa situation sociale, quels que soient ses revenus, accède aux meilleurs
soins.
De ce point de vue, le système français est sans doute l'un des plus
performants aujourd'hui. Nous estimons maintenant qu'il faut lui consacrer, par
un transfert collectif, les moyens de couvrir l'essentiel des dépenses. Mais
nous pensons aussi qu'il faut responsabiliser l'ensemble de la population.
Il m'a semblé d'ailleurs vous entendre dire que vous aviez repris le souhait
émis par la commission, c'est-à-dire que, face aux droits des malades, figurent
aussi les responsabilités des malades.
L'augmentation des coûts n'est pas le fait de l'ensemble des soignants, elle
est le résultat d'une démarche positive et, s'il y a abus ou dépenses
excessives, il faut alors, me semble-t-il, une volonté partagée et comprise de
l'ensemble des malades et de l'ensemble des soignants pour la contrôler.
Restaurons la confiance entre les malades et les médecins. Or à ce sujet,
monsieur le ministre, je suis quelque peu troublé quand j'entends parler de
placer des médiateurs entre les médecins et les malades.
Les médecins ne sont pas l'administration qui impose les règlements ; les
médecins sont choisis par leurs patients. C'est pour cela d'ailleurs qu'il
faut, selon moi, revaloriser, d'une part, la fonction des médecins généralistes
et, d'autre part, tout ce qui permet de nourrir ce dialogue formidable, cet
échange, cette communion de sentiments entre les médecins et les malades.
Le grand drame, c'est que cela est de moins en moins fréquent du fait non
seulement de l'évolution des souhaits des médecins, qui aspirent aussi à vivre
et à avoir un peu de temps pour leurs loisirs mais également du comportement
des malades qui, ayant un peu perdu la confiance nécessaire, errent et sont
plus mal soignés qu'avant.
Je souhaite donc que le texte évolue et qu'il permette de rappeler que, dans
ce dialogue singulier entre le malade, sa famille et le médecin, c'est la
confiance qui prime. Il serait dangereux de codifier ce dialogue. La dimension
humaine doit primer dans les rapports entre les malades et les médecins. C'est
vrai dans l'exercice libéral, cela doit être vrai aussi dans les hôpitaux.
Toujours au sujet des droits du malade, il est un autre sujet qui mérite
réflexion et non anathème, c'est celui du droit d'accès au dossier médical.
Monsieur le ministre, je ne sais pas si M. le Premier ministre vous a
communiqué la lettre que - je ne crains pas de le dire - le plus grand patron
de médecine interne en France, sa renommée est internationale, le professeur
Pierre Godeau lui a personnellement adressée pour l'alerter sur ce problème de
la communication du dossier.
Le professeur Godeau relève d'abord que, bien sûr, le monde de la médecine a
changé au cours de ses trente ou trente-cinq ans d'exercice : le dialogue entre
médecins et patients a évolué, de même que l'exigence de connaissances, tant
pour les médecins que pour les malades, et les attentes de ces derniers.
Mais il constate aussi des dangers parfois plus grands qui tiennent au fait
que, par exemple par le biais d'Internet, les malades peuvent avoir accès à la
description des maladies et de leur évolution. Personne ne saurait être
critiqué, c'est néanmoins un phénomène qui doit être intégré lorsque l'on parle
de la connaissance des dossiers médicaux.
Le professeur Godeau distingue dans ce contexte - et je souscris à cette
distinction - trois niveaux de dossiers.
Il y a d'abord le dossier technique, qui comporte les résultats des
radiographies et des examens divers, lesquels peuvent sans difficulté être
communiqués, sauf qu'il faut donner à l'hôpital les moyens en secrétariat pour
le faire, aspect qui, hélas ! n'est pas traité, mais qui ne soulève pas de
problème de fond.
Il y a ensuite le compte rendu que l'hôpital envoie au médecin, compte rendu
qui informe ledit médecin de la situation de son malade et permet de faire le
point, bien qu'il ait pris, aujourd'hui, une dimension quelque peu différente
que par le passé, car, les malades restant de moins en moins à l'hôpital, des
interrogations demeurent lorsqu'ils quittent celui-ci. Ce n'est pas, en fait,
un compte rendu définitif, parce que, le plus souvent, le malade subit des
examens à l'hôpital, puis repart chez lui, revient, etc. Notamment lorsque
l'hospitalisation a lieu dans des services spécialisés, par exemple de médecine
interne, des interrogations demeurent donc, mais il paraît néanmoins légitime
que le malade puisse, surtout si celui-ci est remis par son médecin, avoir
accès à ce compte rendu.
Enfin, il y a l'observation médicale, c'est-à-dire le document où des données
sont portées au jour le jour et qui permet de retracer l'évolution de la pensée
des médecins quant à leurs malades. Or chacun sait que cette pensée évolue, les
perspectives qui peuvent être envisagées évoluant aussi. C'est dans ce document
que l'on pourra lire qu'un ventre a été ouvert puis refermé sans que rien n'ait
été fait parce que rien ne pouvait être fait. Faut-il que de telles
informations soient transmises ? Je n'en suis pas certain, et le problème se
pose donc en termes différents pour l'observation médicale telle qu'elle est
vécue et perçue dans les milieux hospitaliers, car il ne faut pas aggraver
l'anxiété du malade en lui donnant une cause d'angoisse supplémentaire.
Le professeur Godeau termine sa lettre en disant : « Rien ne peut remplacer un
dialogue constructif entre le patient et son médecin. Pour avoir soigné de
nombreux confrères atteints de maladies graves et qui m'ont fait confiance
jusqu'à la phase terminale, l'expérience m'a démontré que, dans leur
quasi-totalité, ils n'avaient jamais souhaité connaître l'ensemble de leur
dossier, mais que le seul moyen de préserver l'espoir était de laisser
certaines zones d'ombre. »
Monsieur le ministre, si le médecin sait que les dossiers vont être transmis
aux patients, il n'y écrira pas les mêmes choses.
M. Gérard Dériot,
rapporteur.
C'est évident !
M. Jacques Blanc.
Dans ces conditions, il pourrait bien y avoir deux dossiers.
Je me permets d'évoquer cette question qui donne lieu à un vrai débat, que ce
soit vis-à-vis de soi-même ou - je peux vous le dire, hélas ! - au sein de sa
propre famille. Ce n'est, en effet, pas la même chose d'apprendre que l'on est
atteint d'une hémopathie, donc un cas désespéré, ou que l'on souffre d'une
leucémie chronique qui peut durer longtemps ! Ce n'est pas une question
politicienne. Il faut, en la matière, prendre en compte la vraie dimension du
rapport humain pour légiférer utilement.
Tels sont, monsieur le ministre, les points que je voulais évoquer. Ce texte
comporte des éléments positifs, sur lesquels je ne reviendrai pas ; je pense
aux dispositions relatives à l'indemnisation des victimes des aléas
thérapeutiques, à celles qui concernent la formation, la reconnaissance de
certaines professions. Mais il ne correspond pas à ce que nous attendions. Nous
espérions - c'est ce que le Gouvernement avait annoncé - un texte fondateur
permettant d'aller au plus au fond des choses.
Quel est le problème de toutes les professions libérales ? C'est une affaire
de nombre. Aujourd'hui, on ne trouve plus de médecins, ni dans les zones
rurales, ni dans les hôpitaux. Trois mille postes sont vacants ; sur 19 000
postes pourvus, 9 000 le sont par des étrangers - je n'ai rien contre eux ! -
parce que la France ne forme pas assez de médecins. On a trop voulu maîtriser
les choses et on n'a pas eu le courage d'adapter les politiques à l'évolution
de la situation. Ainsi, le
numerus clausus
n'a pas été revu ; les
organismes sociaux n'ont plus désormais de gestion paritaire. Certains députés
socialistes, je crois, ont déposé des propositions de loi en la matière, ce qui
prouve que le problème n'a pas été traité... Sans parler du financement de la
sécurité sociale ou des méthodes nouvelles qui, elles, conditionneront la
qualité du service de soins.
Par conséquent, je souhaite - vous l'avez dit, monsieur le ministre - que les
propositions du Sénat permettent d'améliorer le texte, d'apporter des réponses
fortes aux problèmes d'éthique fondamentaux et de préparer l'avenir - mais ce
sera de la responsabilité de la nouvelle majorité, quelle qu'elle soit. Il est
en effet nécessaire de refonder notre système de santé, grâce à une législation
nouvelle - il faut pour cela donner au Parlement de vraies responsabilités -,
et d'aller beaucoup plus loin que ne l'a fait le Parlement en 1975 à la demande
du gouvernement de l'époque, afin de reconnaître la dignité de toute personne
handicapée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
(M. Daniel Hoeffel remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Fortassin.
M. François Fortassin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine
dernière, pratiquement deux médecins sur trois étaient dans la rue. La
profession médicale, dans son ensemble, ressent à l'évidence un profond
malaise. Il est vrai que le secteur de santé est en perpétuelle évolution :
c'est dire que, dans ce domaine, les choses sont loin d'être faciles.
Certes, on a coutume de dire que le système de santé français est le meilleur
au monde. C'est sans doute vrai sur les plans scientifique et technique, mais
certainement pas sur le plan organisationnel.
Il me semble que le malaise actuel provient, en partie, moins de
considérations financières - même si celles-ci méritent d'être prises en compte
- que de considérations juridiques. En effet, de plus en plus de médecins font
aujourd'hui face à de nouvelles responsabilités qui résultent de la
jurisprudence. Il est grand temps que la loi procède à une harmonisation.
Monsieur le ministre, ce projet de loi répond à cette attente. Sur ce point,
il va dans le bon sens, celui de la protection du malade, en autorisant
notamment l'indemnisation des victimes de l'aléa thérapeutique grâce à la
saisine des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation. C'est un
progrès indéniable, même si, sur ces travées, nous ne partageons pas les
orientations retenues.
Dans notre système de santé, il faut bien le dire, on ne se préoccupe pas
suffisamment du patient. En plaçant le patient au coeur du dispositif de santé
au même titre que le médecin, monsieur le ministre, vous affichez une ambition
humaniste dont nous pouvons tous nous féliciter, car, me semble-t-il, elle
contient la reconnaissance implicite de la dignité du patient.
Il est vrai que vous avez élaboré un outil assez complet ; nous le souhaitons
plus performant et toujours mieux adapté. Il est le fruit de plusieurs années
de travail et l'aboutissement des Etats généraux de la santé qui ont marqué un
progrès, malgré les quelques imperfections que l'on peut y trouver.
Je partage aussi votre point de vue, monsieur le ministre, lorsque vous
estimez que la santé publique ne peut se résumer à un système de soins. En
effet, si les malades ont des droits, et pas seulement celui de recevoir des
soins, ils ont aussi - peut-être conviendrait-il de le leur rappeler - sinon
quelques devoirs, du moins des responsabilités, au même titre d'ailleurs que
l'ensemble de la profession médicale, car ils sont aussi contribuables, pour
éviter des dépenses excessives en matière de santé.
Le droit que vous considérez à juste titre comme l'un des plus emblématiques,
monsieur le ministre, est le libre accès du malade à son dossier médical. Ce
point, qui constitue sans nul doute une avancée positive, a été débattu au
cours des Etats généraux de la santé.
L'idée qu'un intermédiaire sera sollicité pour la transmission des
informations médicales est également, me semble-t-il, une étape tout à fait
positive. Vous avez ainsi répondu, il faut bien le dire, à un souci des malades
confrontés à des contraintes difficiles à accepter, voire inacceptables.
Toutefois, ceux qui n'ont jamais été hospitalisés - il en existe heureusement
- sont malgré tout frustrés de ne pas connaître un certain nombre d'éléments
qui pourraient leur être utiles, au moins sur le plan psychologique.
S'il est vrai que les médecins, notamment les médecins de famille, sont
généralement à l'écoute de leurs malades et savent dialoguer, je ne suis pas
certain qu'ils soient de bons communicants ou communicateurs. Or posséder cette
qualité me paraît indispensable.
Enseigne-t-on à ces médecins, qui sont le plus souvent d'excellente qualité et
qui apprennent, sur le plan technique, des choses tout à fait remarquables, à
acquérir cette qualité pendant leur formation ? Sont-ils sensibilisés à des
domaines psychologiques aussi importants ? Il faut en effet savoir que tout
individu bien portant devient, lorsqu'il est malade, d'une fragilité
psychologique certaine, surtout s'il accepte mal la douleur et la maladie.
Beaucoup de médecins ont personnellement fait cette expérience. La formation,
sur ce point, manque incontestablement.
Le respect du droit des malades et leur accès au dossier médical contribueront
à améliorer sensiblement la situation, certainement pas dans l'immédiat, mais
au fil des années. Globalement, c'est donc une bonne chose.
Il était temps, également, de réinventer, entre le médecin et le malade, un
nouveau type de contrat qui soit fondé sur la transparence et le dialogue, de
simplifier les procédures d'information dont la complexité décourage souvent le
malade et est parfois source de doutes, voire d'angoisses infondées.
Il faut, me semble-t-il, transmettre au malade des informations dans un
langage clair, car tous les termes un peu trop compliqués ont sur lui une
influence négative dans la mesure où cela lui donne le sentiment qu'on lui
cache quelque chose.
Le dialogue permettra de résoudre un certain nombre de problèmes, en
respectant la dignité du patient et, surtout, en instituant une procédure
d'accès au dossier par le biais d'un intermédiaire.
C'est l'ensemble du dossier qui est concerné. Il ne s'agit plus seulement des
seules informations que le médecin estime utile et possible de transmettre au
malade, au regard de ses obligations déontologiques.
On offre en outre au patient la possibilité de consulter des informations
détenues par les médecins exerçant en ambulatoire et non plus seulement dans
les établissements.
Toutefois, il faut prendre quelques précautions, car il y aura toujours des
patients - y compris potentiels, et je dois être de ceux-là - qui ne
souhaiteront pas avoir connaissance de leur dossier. Pour présenter les choses
de manière amusante, je dirai que, si je suis en bonne santé, je n'ai pas
besoin d'avoir communication de mon dossier médical et, si je suis à l'article
de la mort, je préfère ne pas le connaître ! Cet aspect me paraît également
essentiel. La relation entre le médecin et le malade doit donc être
préservée.
Il est un autre élément important : l'obligation d'accompagnement par le
médecin est prévue lors de la consultation des dossiers des personnes
hospitalisées sous contrainte en raison de troubles mentaux. Cette disposition
aurait pu être élargie à d'autres cas d'hospitalisation. J'émettrai donc
également quelques réserves sur l'accès direct au contenu du dossier. Les
intervenants précédents l'ont indiqué : il figure souvent dans les dossiers des
notes qu'il n'est pas forcément utile de transmettre au malade, sinon en les
expurgeant quelque peu, de façon à ne pas affoler celui-ci.
Le projet de loi prévoit que les informations accessibles doivent être «
formalisées ».
Ce terme mérite d'être quelque peu explicité, car il laisse place à des
interprétations délicates en ce domaine.
Parallèlement au libre accès aux informations contenues dans le dossier, le
projet de loi prévoit de responsabiliser le malade en le faisant participer
activement aux décisions relatives à sa santé. Il s'agit également d'une bonne
mesure. Il contient ainsi la notion de consentement préalable soit du malade,
soit de son entourage pour toute intervention chirurgicale. Ce point me paraît
extrêmement important. En effet, un certain nombre d'interventions
chirurgicales sont encore réalisées sans que le malade ou son entourage en
soient informés.
Mais il faut aussi prendre en compte un autre élément : en cas de danger pour
la santé, voire pour la vie du malade, la décision du médecin doit être
prépondérante et s'imposer,
in fine
, au malade. En effet, certains
patients, notamment par crainte de l'anesthésie, ne souhaiteront pas être
opérés, ce qui peut mettre leur vie en danger. J'émettrai donc cette réserve.
Peut-être un amendement pourrait-il être déposé sur ce point.
Enfin, si le consentement préalable s'impose parfois, comme en matière de don
d'organe, tel n'est pas toujours le cas. Il faut donc éviter de tomber dans le
piège d'un encadrement trop strict de la relation médecin-patient, qui ne
permettrait pas au médecin de prendre une décision. Si le médecin doit être un
technicien de la guérison, il doit aussi et avant tout prendre ses
responsabilités. Un encadrement un peu trop strict ne le lui permettrait
pas.
Enfin, je suis favorable, dans le cadre de la décentralisation du système de
santé, à la création des conseils généraux de santé. Cette politique régionale
va dans le bon sens. Mais il ne faudrait pas confondre décentralisation et
déconcentration, car, actuellement, la déconcentration prime sur la
décentralisation. En tant qu'élus, nous préférons, et de très loin - vous le
comprendrez, monsieur le ministre - la décentralisation.
Je suis également tout à fait favorable à la non-discrimination en matière
d'accès aux soins.
Les dispositions sur le statut des associations de malades et d'usagers du
système de santé et la possibilité qui leur sera donnée de se constituer partie
civile lors de procès me paraissent positives.
Le contrôle préfectoral qui a été institué pour les médecins, les
chirurgiens-dentistes et les sages-femmes me semble également une mesure
judicieuse.
S'agissant de la formation continue, même si elle est utile, elle ne doit pas
être assurée par les seuls laboratoires, qui, généralement, ne donnent pas dans
la philanthropie.
Enfin, la mise en place d'un diplôme sanctionnant une formation technique
obligatoire pour se prévaloir du titre d'ostéopathe et de chiropracteur est une
avancée très positive.
Je saluerai également votre souci, monsieur le ministre, de renforcer la
qualité du système sanitaire. J'évoquerai des problèmes qui se posent,
notamment en matière de chirurgie esthétique. On compte aujourd'hui, dans ce
domaine, des personnes extrêmement compétentes. Mais peut-on accepter qu'alors
que les médecins n'ont pas le droit de faire de la publicité pour la chirurgie
esthétique, les cliniques qui les emploient ne s'en privent pas ? Cela ne me
paraît pas très sain.
Par ailleurs, un arrêté datant de la Seconde Guerre mondiale, me semble-t-il,
dispose que tout médecin peut pratiquer des actes chirurgicaux de base. Mais où
s'arrête l'acte chirurgical léger ou de base et dans quelle mesure cela peut-il
s'appliquer à la chirurgie esthétique ? Nous sommes là face à un problème que
nous devons méditer.
Je souhaite également évoquer la question des infections nosocomiales, dont on
parle souvent de façon assez pudique. Peut-on accepter que l'hôpital, au
travers de ce fléau - car il s'agit d'un véritable fléau - tue plus de monde
que les accidents d'automobile sur les routes françaises ?
Des avancées sont réalisées dans ce domaine, mais il faut aller plus loin. On
sait, notamment, que ce genre d'infections se développe souvent dans des
établissements dont l'architecture est de type vertical et que l'existence de
pavillons séparés est souvent la meilleure façon de lutter contre ce
problème.
Il est évident que l'on ne pourra pas reconstruire immédiatement tous les
hôpitaux et tous les établissements de soins. Il n'en reste pas moins vrai que
nous serions bien inspirés de considérer que les nouveaux établissements
doivent être construits non plus à la verticale, mais sous la forme de
pavillons séparés.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les observations que
je souhaitais formuler sur ce projet de loi. Il comporte des avancées très
positives, mais des craintes et des interrogations demeurent, ce qui est normal
s'agissant d'un sujet d'une telle importance.
Il faut dire que les patients sont souvent des hommes et des femmes un peu
fragiles : ils ont besoin de confiance, de guérison, mais surtout, dans bien
des cas, d'un accompagnement psychologique très important.
La réforme entreprise doit se poursuivre car, à l'évidence, c'est de
l'organisation de la santé en général qu'il s'agit. Nous devons faire preuve
dans ce domaine d'une très grande ambition, et pas simplement en matière
financière. Il ne faut pas se contenter de dire que nous avons la meilleure
médecine du monde : cela nous empêcherait d'engager des réformes en profondeur
là où le bât blesse.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi
que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens
d'abord à saluer l'excellent travail effectué par nos collègues rapporteurs
Francis Giraud, Gérard Dériot et Jean-Louis Lorrain. Je n'oublie pas non plus
la contribution de qualité de notre collègue Pierre Fauchon, rapporteur pour
avis, même si nous avons constaté quelques divergences d'approche sur
l'amendement concernant l'arrêt Perruche, qui va retenir essentiellement mon
attention.
Le travail des rapporteurs est d'autant plus remarquable que les aléas de
notre ordre du jour n'ont pas contribué à améliorer l'examen serein de textes
d'importance. Les séances précédentes ont été révélatrices, une fois de plus,
du peu de cas que le Gouvernement fait des droits du Parlement. Sa maîtrise de
l'ordre du jour ne signifie en rien la maîtrise totale de nos emplois du temps.
Le Gouvernement ne pouvait se dérober à ses engagements concernant la
discussion de textes attendus ; je veux parler, notamment, du projet de loi que
nous avons examiné la semaine dernière après d'éprouvantes négociations.
Ainsi, après la démocratie de proximité, c'est aujourd'hui de « démocratie
sanitaire » qu'il est notamment question, expression « médiatique » inscrite
comme titre Ier du projet de loi que nous examinons aujourd'hui.
En matière de lisibilité, ce texte s'ajoute à tous ceux pour lesquels cet
impératif n'est pas respecté. Au-delà de certaines dispositions souhaitables,
d'autres viennent pallier des contradictions gouvernementales visibles depuis
ces dernières années et quelques-unes tentent de surmonter le non-respect du
droit par le Gouvernement.
Le Gouvernement s'est peut-être dit qu'une politique sage était celle qui
évitait les problèmes complexes. A force de multiplier à tout rompre les textes
de loi, l'édifice normatif manque de cohérence. Or l'on ne peut demander au
juge de se substituer au législateur.
J'en viens au texte du projet de loi. Les titres Ier et III, très attendus,
nous conduiront à débattre de questions cruciales. Je fais référence, bien sûr,
à la jurisprudence Perruche, sur laquelle je reviendrai dans quelques
instants.
D'autres problèmes restent en suspens, notamment celui de l'opacité
grandissante du financement du dispositif Creton. On peut penser que ce
problème n'a pas sa place dans ce texte, mais je ne pourrai éviter de l'évoquer
lorsque nous parlerons des handicapés.
J'avais demandé, au cours de la discussion générale sur le texte relatif à
l'action sociale et médico-sociale, quelles étaient les dispositions que le
Gouvernement comptait prendre pour répondre au désarroi des familles et au
mécontentement des départements. Nous attendons toujours la réponse ! Peut-être
l'aurons-nous cette fois-ci, au cours de l'examen des articles.
Le titre II du projet de loi, peut-être moins médiatique que les deux autres
titres, comme le souligne notre collègue rapporteur M. Deriot, n'en revêt pas
moins une réelle importance. Les apports de la commission des affaires sociales
corrigent, une fois de plus, les dispositions présentées par le Gouvernement et
celles qui ont été adoptées par l'Assemblée nationale. Je prendrai comme seul
exemple l'article 49 du projet de loi. Cet article a donné lieu à des débats
animés, notamment en ce qui concerne l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et
l'ordre des podologues, tous deux institués par la loi du 4 février 1995 sur
l'initiative de notre ancien collègue Charles Descours.
Un décret du 21 janvier 1997 relatif à l'ordre national des kinésithérapeutes
et un décret du 16 mai 1997 concernant l'ordre des pédicures-podologues sont
venus fixer les règles d'organisation et d'élection aux différents conseils,
inspirées des règles applicables à l'ordre des médecins.
Ces textes sont demeurés inappliqués par la volonté délibérée du Gouvernement.
D'ailleurs, un récent arrêt du Conseil d'Etat, en date du 3 décembre 2001,
enjoint le ministre de l'emploi et de la solidarité de fixer les dates des
élections aux conseils de l'ordre des pédicures-podologues et de prendre toute
mesure nécessaire à l'organisation de ces élections. Une astreinte a même été
prononcée si le ministre ne justifiait pas avoir exécuté la présente décision
dans le délai de six mois suivant sa notification.
Les amendements de la commission des affaires sociales offrent une solution
équilibrée puisqu'il est proposé de transformer l'office des professions
médicales en ordre à part entière en l'élargissant aux salariés des professions
concernées et en garantissant, dans un cadre interprofessionnel, l'indépendance
de chaque profession.
Cet exemple d'avancées notables en est un parmi tant d'autres et je tenais à
féliciter une fois de plus la commission des affaires sociales et son
rapporteur pour leur excellent travail. J'ose espérer que la raison l'emportera
sur ce qui pourrait apparaître comme des arrière-pensées politiques, voire
politiciennes, du Gouvernement à la veille d'échéances électorales
importantes.
Aux dispositions importantes du texte initial du projet de loi s'ajoute le
débat sur l'arrêt Perruche, déjà entrepris par l'Assemblée nationale avec
l'examen de la proposition de loi Mattei.
La décision de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 novembre
2000 a suscité une émotion générale, ressentie tant par les parents d'enfants
handicapés que par les médecins et les juristes. Elle a fait l'objet de
nombreux commentaires, de malentendus et de critiques, parfois injustifiées.
La solution adoptée par la Cour de cassation tend à l'indemnisation des
parents et de l'enfant handicapé lui-même. Nous aurons l'occasion de débattre
de cette jurisprudence et de ses conséquences en examinant les amendements
proposés par la commission des affaires sociales et par la commission des lois.
Cependant, pour ajouter à la qualité de nos débats, il me semble indispensable
d'apporter d'emblée quelques précisions.
En effet, chacun se plaira à reconnaître, et les juristes distingués les
premiers, que la jurisprudence Perruche ne devrait pas être considérée
catégoriquement comme une remise en cause de la loi sur l'IVG, ni même comme un
premier pas vers l'eugénisme, pas plus que les pistes de réflexion que nous
proposerons aujourd'hui.
Il ne s'agit pas de revenir sur la liberté de l'avortement. La loi du 17
janvier 1975 n'a pas fait que dépénaliser l'avortement, elle a introduit, dans
le code de la santé publique, un dispositif organisant les règles et les
principes d'un droit de l'avortement.
Je me plais à saluer une initiative du Sénat, prise sous l'autorité de notre
rapporteur, Francis Giraud, qui, également rapporteur du dernier texte sur
l'avortement, a introduit, pour équilibrer le dispositif issu de la loi de
1975, des sanctions à l'encontre des personnes qui mèneraient des actions
d'incitation à l'avortement. Nous avons donc aujourd'hui un équilibre juridique
qui me paraît tout à fait intéressant et auquel il ne faut pas porter
atteinte.
Toutefois, il est nécessaire de soulever aujourd'hui une série de questions
qui sont autant de pistes qu'il faut examiner afin de trouver ici une solution
aussi équilibrée.
Avant d'explorer ces pistes, permettez-moi de revenir sur les circonstances et
le contenu de l'arrêt Perruche.
Cet arrêt fait suite, mais en contrepoint, à l'arrêt de la cour d'appel
d'Orléans du 5 juin 1999, qui faisait lui-même suite à un arrêt de renvoi de la
première chambre civile de la Cour de cassation du 26 mars 1996.
Je me contenterai de mentionner les actions en justice intentées au bénéfice
de l'enfant dans la mesure où les faits qui ont conduit au grave handicap de
Nicolas Perruche - il s'agit du syndrome de Gregg - nous sont bien connus et où
l'indemnisation de la mère ne pose pas de problème juridique.
Par jugement du 13 janvier 1992, le tribunal de grande instance d'Evry avait
déclaré le praticien et le laboratoire « responsables de l'état de santé de
Nicolas Perruche » et les avait condamnés,
in solidum
avec leur assureur
respectif, à payer une provision de 500 000 francs au titre du préjudice
corporel et un million de francs à la caisse primaire d'assurance maladie de
l'Yonne au titre des prestations versées.
Le médecin ayant interjeté appel, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du
17 décembre 1993, a conclu que « le préjudice de l'enfant Nicolas n'est pas en
relation de causalité avec les fautes commises » et que les sommes versées en
exécution du jugement devraient être remboursées.
Contre cet arrêt, les époux Perruche ont formé un premier pourvoi, qui a donné
lieu à l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 26 mars
1996, dont je cite ce qui suit : « Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors
qu'il était constaté que les parents avaient marqué leur volonté, en cas de
rubéole, de provoquer une interruption de grossesse et que les fautes commises
les avaient faussement induits dans la croyance que la mère était immunisée, en
sorte que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait
de la rubéole de sa mère, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Statuant comme cour de renvoi, la cour d'appel d'Orléans, par un arrêt du 5
février 1999, a, dans son dispositif, déclaré que : « l'enfant Nicolas ne subit
pas de préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises
par le laboratoire de biologie médicale et le médecin » et ordonné le
remboursement des sommes allouées par le TGI d'Evry.
La Cour de cassation a donc, mes chers collègues, en cohérence avec sa
position précédente, mais en allant plus loin, réagi aux conclusions de la cour
d'appel d'Orléans lors de l'examen du nouveau pourvoi des époux Perruche, formé
le 14 avril 1999. On peut s'étonner de l'émotion suscitée dans la mesure où
celle-ci aurait déjà dû se manifester dès 1996, voire dès 1992 !
Que dit l'arrêt du 17 novembre 2000, dont la motivation est des plus
lapidaires ? Il casse et annule, en son entier, l'arrêt du 5 février 1999 de la
cour d'appel d'Orléans et renvoie la cause devant la cour d'appel de Paris.
Ce sont, bien entendu, les attendus, notamment le second, qui sont essentiels.
Je cite encore : « Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par
le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec Mme
Perruche avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa
grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce
dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et
causé par les fautes retenues. »
Quels sont, maintenant, les aspects contestables de cette décision ?
On peut s'interroger sur la référence juridique quasi unique à l'article 1382
du code civil, dont je rappelle les termes : « Tout fait quelconque de l'homme,
qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à
le réparer. »
Outre que ce dommage était irréparable au moment où il est intervenu, et même
encore maintenant, il est permis de douter que le foetus était déjà sujet de
droit. S'il l'était, ce serait remettre en cause, mes chers collègues, le droit
à l'interruption de grossesse. Dans le cadre du contentieux engagé sur le
fondement de la Convention européenne des droits de l'homme, la Commission,
dans sa décision du 13 mai 1980, a déclaré que « les limitations au droit à la
vie ne peuvent concerner que les personnes déjà nées » et en a conclu que «
pouvait être étayée la thèse selon laquelle l'expression "toute personne", au
sein de l'article 2 de la convention européenne, ne s'applique pas à l'enfant à
naître. »
Il y a bel et bien un paradoxe dans l'arrêt Perruche entre le fait d'être
devenu sujet de droit grâce à une faute médicale qui a entraîné un handicap,
qui n'était ni évitable ni réparable au moment des faits, et celui d'être
indemnisé. Car, nul ne le conteste, s'il n'y avait pas eu faute, il n'y aurait
pas eu sujet de droit capable d'ester en justice. C'est là que se situe le
point focal qui a tant heurté les familles d'enfants handicapés mentaux.
Si l'on analyse plus en avant cet arrêt, on ne peut qu'être surpris par sa
motivation, encore une fois très lapidaire : on ne mentionne que le handicap,
et non l'extrême gravité du handicap qui, connu, n'aurait pu, au moment des
faits, en 1983 ou même maintenant, être diminué ou guéri par une thérapeutique
quelconque. C'est aussi mélanger quelque part l'IVG et l'ITG !
Enfin, se posent toujours les questions du lien de causalité - directe ou
indirecte - et de la qualification de l'enfant dans la relation contractuelle
de la mère avec son médecin : certains ont pu évoquer le tiers par ricochet, la
perte de chance ou le droit à une vie normale.
A cela s'ajoute, parallèlement et ultérieurement, le problème de l'unification
des jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat, qui ne sont
pas identiques.
Une rupture du principe d'égalité existe entre les enfants diagnostiqués en
secteur public et ceux qui sont diagnostiqués en secteur privé. Le Conseil
d'Etat a adopté une position radicalement opposée à celle de la Cour de
cassation, dans un non moins célèbre arrêt du 14 février 1997 - limitation de
l'indemnisation du préjudice des parents lorsque la faute de diagnostic est la
cause directe des préjudices entraînés pour eux par l'infirmité dont est
atteint leur enfant.
La jurisprudence de la Cour de cassation fait courir le risque de l'émergence
d'une discrimination entre les enfants handicapés. En effet, selon que les
parents exprimeront l'acceptation ou le regret de sa naissance, l'enfant pourra
être indemnisé ou non. Paradoxalement, et je cite ici l'exposé des motifs de la
proposition de loi déposée par notre collègue Bernard Fournier et cosignée par
bon nombre de sénateurs : « Seuls seront indemnisés les enfants dont les
parents auront engagé une action en responsabilité devant la justice. »
S'agissant du délai de prescription, ramené à dix ans, par un amendement de la
commission des lois, à compter de la consolidation du dommage, on ne peut
qu'abonder dans le sens du rapporteur Fauchon, qui reprend ici le dispositif
qu'avait recommandé le Sénat lors de la discussion de la proposition de loi de
notre collègue Claude Huriet relative à l'indemnisation de l'aléa médical et à
la responsabilité médicale.
Les règles de prescription dans le cadre du contentieux de la responsabilité
médicale seraient ainsi unifiées. A la prescription de trente ans pour les
actions tendant à mettre en cause la responsabilité des médecins libéraux ou
celle des établissements de santé privés et de quatre ans pour les mêmes
actions mais dirigées contre un établissement public, on substituerait une
prescription uniforme de dix ans.
J'en viens maintenant à la proposition que j'ai défendue au sein de la
commission des affaires sociales. Je me réjouis, d'ailleurs, d'avoir réussi à
faire partager mes préoccupations à mes collègues, ainsi qu'à notre président
Nicolas About, dont les propos, à l'instant, vont tout à fait dans mon sens. De
même, je me félicite des avancées tout à fait nettes et positives qui ont été
proposées par le rapporteur Francis Giraud et acceptées par la commission des
lois lors de sa réunion de ce matin.
Mes chers collègues, je m'interroge devant vous comme je l'ai fait, ce matin,
en commission : comment peut-on accepter aujourd'hui que perdure la situation
de précarité que subissent nombre de handicapés et leurs familles ? Ce n'est
pas digne de nous ! Ce n'est pas digne de la représentation nationale ! Ce
n'est pas digne de quelque gouvernement que ce soit !
Après avoir annoncé, sous l'autorité de Mme Veil, une prochaine réforme de la
loi de 1975, après qu'une série de ministres se sont succédé, il n'est pas
admissible que cette loi n'ait pas encore été mise en chantier, et ce alors
même que nombre de familles et d'enfants handicapés sont dans une situation de
plus en plus difficile, chacun le sait.
Certes, l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, représente aujourd'hui un
effort non négligeable - 183 milliards de francs - de la part de la nation.
Mais comparons-le, comme l'a fait M. le président de la commission des affaires
sociales, au coût du dispositif des 35 heures. Remarquons que M. le ministre ne
nous a pas donné d'indications chiffrées à cet égard, mais il s'agit
aujourd'hui de près de 130 milliards de francs. Jusqu'où irons-nous ? Nous ne
le savons pas ! Ce coût rattrapera peut-être celui que la nation supporte au
titre des actions engagées en faveur des handicapés. Et s'il fallait choisir
entre les deux, ne serait-ce pas dans le sens de ceux dont la situation exige
l'appel à la solidarité nationale ? D'ailleurs, monsieur le ministre, vous
savez bien vous-même qu'il faudra faire évoluer la loi en ce sens : vous n'y
échapperez pas !
Reste que vous avez tardé à mettre en chantier cette réforme absolument
nécessaire. Je puis vous le dire, monsieur le ministre, pour le vivre non
seulement personnellement, mais aussi dans mes contacts avec les associations
de familles de handicapés, l'AAH, avec un montant mensuel de 3 600 francs, ne
peut pas suffire, notamment compte tenu des forfaits journaliers appliqués par
les conseils généraux, avec d'ailleurs des situations tout à fait disparates
selon les départements.
En d'autres termes, monsieur le ministre, il n'est pas matériellement possible
à une famille ayant un enfant handicapé de faire face à tous les besoins de la
vie courante de son fis ou de sa fille, qu'il soit mineur ou déjà adulte.
Si la solidarité nationale s'était exprimée plus tôt, peut-être n'aurions-nous
pas connu l'arrêt Perruche et toutes ses implications. Il n'y aurait pas eu
besoin d'aller jusqu'à la réparation du dommage au titre du handicap pour
permettre à cet enfant d'avoir une vie digne, malgré le surcoût induit par
l'existence de son handicap.
Voilà le coeur du débat, raison pour laquelle, mes chers collègues, je me suis
un peu attardé sur ce point. A cet égard, monsieur le ministre, je vous
remercie de la réponse que vous avez apportée tout à l'heure à M. le président
de la commission des affaires sociales, mais il vous faudra aller plus loin et
transformer vos paroles en actes concrets. Malheureusement, à la veille
d'échéances électorales, vous en laissez, à mon avis, la responsabilité au
prochain gouvernement !
Pour conclure, je me réjouis de la position de la commission des affaires
sociales, qui fait référence aux parents plutôt qu'à la mère. Il faut bien
considérer, en effet, la situation dans laquelle vont se trouver ces familles.
Soit il s'agit d'une faute directe, et le problème est réglé parce que les
textes législatifs permettent la réparation. Soit il s'agit d'une faute
caractérisée ou d'une faute lourde et, là encore, le problème est réglé,
puisque la disposition votée sur l'initiative de notre collègue Fauchon est
d'application universelle et concerne tous les citoyens français, quelle que
soit leur profession. Il y a donc aussi droit à réparation lorsqu'il y a une
faute caractérisée, si ce n'est que nous avons considéré que, dans le cas de
figure présent, le préjudice était le préjudice subi par les parents. Et
pourquoi le préjudice subi par les parents et non pas uniquement celui de la
mère ? Il faut, pour répondre à cette question, savoir ce que l'on répare :
est-ce le seul défaut d'exercice, par la mère, de son droit à l'interruption de
grossesse ? Nous ne le pensons pas : c'est aussi tout le préjudice subi par les
deux parents en amont de la naissance, et pas seulement en aval.
Pour l'aval, l'indemnisation pour le préjudice subi doit relever de la
solidarité nationale, pour éviter la discrimination entre deux catégories de
handicapés, entre ceux qui, au terme d'une procédure judiciaire, pourraient
bénéficier d'une indemnité, et ceux qui n'y auraient pas accès, faute d'avoir
engagé cette procédure.
Pour la réparation du préjudice subi en amont, sont concernées non seulement
les familles qui auraient opté pour l'avortement, mais également celles qui,
même en ayant connaissance du handicap, auraient fait le choix, pour des
convictions qui leur sont propres, de garder cet enfant-là et d'assumer la
charge de son éducation. Dans ce cas aussi, c'est la solidarité qui doit
jouer.
Le préjudice à la fois psychologique et matériel que subit cette mère de
famille, qui ne découvre le handicap qu'au moment de la naissance de son
enfant, doit faire l'objet d'une réparation. C'est la raison pour laquelle je
me réjouis que la commission des affaires sociales ait retenu la référence aux
parents.
Je terminerai par une observation.
Lorsque ce texte entrera en application, les médecins vont chercher, je
l'imagine, à s'entourer d'un maximum de garanties. Ils multiplieront certains
actes, je pense aux échographies, pour cerner le mieux possible l'état de santé
du foetus, et évaluer notamment les risques potentiels de handicap. Mais cela
entraînera un coût supplémentaire pour la sécurité sociale, et de nouveau se
posera le problème de la régulation des dépenses de santé !
Il ne faudra pas, alors, faire un mauvais procès aux médecins si, d'aventure,
ils multiplient certains actes ; il est vrai que nous avons prévu des
dispositions législatives qui auront pour effet d'entraîner des sanctions,
s'ils n'ont pas tout fait pour prévenir le risque de handicap. Il ne faudra pas
non plus leur reprocher de dépenser d'une manière inconsidérée les cotisations
sociales de nos concitoyens.
Je fais donc partie de ceux qui pensent que si, en amont, nous avions réformé
la loi de 1975, si nous avions, en temps et en heure, revu les textes sur la
bioéthique, qui devaient être réexaminés dès 2000, et si nous avions bien
mesuré ces problèmes de régulation des dépenses de santé, peut-être n'en
serions-nous pas au point où nous en sommes aujourd'hui.
J'espère, de toute façon, ne doutant pas que la sagesse prévaudra à l'issue de
nos débats, qu'ensemble nous trouverons un terrain consensuel nous permettant
de répondre aux attentes des parents, mais également de toute notre société.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
7
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président.
J'informe le Sénat que la question orale n° 1250 de M. Adrien Gouteyron est
retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance du mardi 5
février 2002.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à vingt et une
heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
8
DROITS DES MALADES
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, relatif aux droits des malades et à la
qualité du système de santé.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qu'il nous est enfin permis d'examiner vient traduire un certain nombre
d'engagements pris par le Premier ministre, voilà maintenant plus de deux ans,
lors de la clôture des états généraux de la santé. Il vise à répondre aux
insatisfactions et aux attentes fortes alors exprimées en matière de démocratie
sanitaire et de transformation des pratiques et des comportements, pour que
chacun, patient, usager ou, professionnel, trouve sa place au sein d'un système
de santé nécessairement modernisé.
Je tiens à saluer ici le travail accompli notamment par les associations
françaises de défense des droits des malades regroupées au sein du CISS, le
collectif interassociatif sur la santé, associations qui n'ont eu de cesse de
se mobiliser et de nous solliciter pour que ce projet de loi, intitulé
initialement « modernisation du système de santé », aboutisse, alors que son
examen tardait quelque peu en raison d'une surcharge du calendrier
parlementaire et, surtout, de la délicate question de l'indemnisation des
personnes contaminées par le virus de l'hépatite C.
Le fait que le projet de loi ait entamé son parcours législatif et qu'il ait
été entériné par l'Assemblée nationale le 4 octobre dernier au terme d'un débat
assez consensuel est ressenti de façon positive.
Pour autant, toutes les inquiétudes n'ont pas été levées. La semaine dernière,
dans un communiqué de presse, le collectif interassociatif sur la santé,
craignant que la majorité sénatoriale ne vienne bouleverser l'équilibre général
du texte, a appelé, en quelque sorte, le Sénat à la sagesse pour que ce dernier
puisse être adopté avant la fin de la session parlementaire.
Nous comprenons ces inquiétudes, tant il est vrai que, ces derniers temps, la
majorité sénatoriale s'est employée à prolonger la discussion d'un autre texte,
retardant d'autant le débat aujourd'hui. De plus, sur le fond, il ressortait
des auditions de la commission des affaires sociales que, s'agissant du
problème précis de la relation entre le médecin et le malade, vous n'étiez pas
tous convaincus, chers collègues de la majorité sénatoriale, de la nécessité de
réaffirmer nettement dans la loi les droits des malades - et des familles,
serais-je tenté d'ajouter !
C'est en tenant compte des changements qui affectent notre système de santé,
de l'intérêt que les Français portent à celui-ci et de l'aspiration profonde
des usagers à une relation médecin-patient repensée que nous prendrons position
dans ce débat.
Nous intégrerons également dans notre réflexion, sans ironiser comme se plaît
à le faire l'opposition, le fait que les professionnels de santé sont
actuellement, pour la quasi-totalité d'entre eux, dans l'attente de réponses à
leurs revendications légitimes en matière de revalorisation de leurs honoraires
et d'une reconnaissance effective du rôle qu'ils jouent dans la chaîne des
soins.
Monsieur le ministre, quel message responsable le Gouvernement est-il en
mesure d'adresser aux hospitaliers, aux infirmières, aux généralistes, aux
spécialistes et aux urgentistes ? La réforme des études médicales qui a été
entreprise est, certes, intéressante. Toutefois, elle ne peut constituer la
seule réponse. Le renouveau conventionnel, sous-tendu par l'abandon définitif
des sanctions et de la logique purement comptable de maîtrise des dépenses de
santé, doit, quant à lui, être plus que jamais d'actualité.
A cet égard, l'attitude des députés de droite lors de l'examen de la
proposition de loi portant rénovation des rapports conventionnels entre les
professions de santé et les organismes d'assurance-maladie témoigne non pas de
cette volonté, mais plutôt d'une grande continuité idéologique, dans la droite
ligne du plan Juppé, toujours présent dans les esprits.
Si, demain, les 56 % de médecins libéraux qui, selon un sondage publié par
Le Quotidien du médecin,
se disent prêts à se déconventionner mettaient
leur menace à exécution, qu'adviendrait-il du principe d'égal accès aux soins
?
Je formulerai une dernière remarque avant de commenter un certain nombre de
dispositions du projet de loi.
Si nous voulons réellement traduire dans les faits l'une des priorités
affichées par celui-ci, à savoir mettre « l'homme », l'être humain, au centre
du système, s'assurer du respect des droits fondamentaux de la personne et
rendre effectifs le droit à la protection de la santé et son corollaire, le
droit d'égal accès à des soins de qualité, une attention particulière doit être
portée à notre système de protection sociale.
Cela suppose que ce dernier voie son champ élargi et que, en aucun cas, on ne
cède aux « sirènes » du MEDEF, lequel, ouvertement, propose rien moins que la
privatisation de la sécurité sociale !
D'une manière globale, monsieur le ministre, nous approuvons les grandes
lignes de votre texte. Il contient indiscutablement des avancées essentielles,
qu'il s'agisse de la possibilité offerte au patient d'accéder directement à son
dossier médical, des applications du droit élémentaire d'information ou de
l'indemnisation des victimes d'aléas thérapeutiques.
Il convient de relever également les diverses dispositions contenues dans le
titre II, moins « médiatique », qui contribuent aussi à l'amélioration de la
qualité des soins.
Ce
satisfecit
global s'accompagne, à propos de certaines dispositions,
de réserves. Nous souhaiterions en effet que des modifications soient apportées
et que vous preniez certains engagements, monsieur le ministre.
En ce qui concerne tout d'abord la question des discriminations fondées sur
des critères de santé ou de handicap et conduisant à exclure les personnes les
plus vulnérables du bénéfice de la couverture complémentaire maladie et de
l'emploi en raison de leurs caractéristiques génétiques, les sénateurs du
groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent qu'être satisfaits des
garanties apportées par l'article 1er
bis,
qui pose le principe de la
non-utilisation des tests génétiques par les employeurs et les assureurs.
Contrairement à M. le rapporteur, nous ne regrettons pas l'intégration dans le
chapitre consacré aux droits de la personne de cette disposition interdisant
les discriminations liées aux caractéristiques génétiques. Elle vient utilement
compléter l'article 1er du projet de loi, qui pose, quant à lui, le principe de
non-discrimination en matière d'accès à la prévention et aux soins.
Nous proposerons d'étendre l'interdiction des pratiques discriminatoires à
tous les opérateurs de la couverture complémentaire maladie. Il est en effet
inadmissible que les compagnies d'assurances choisissent de couvrir les seuls «
bons risques » et qu'elles ne soient pas soumises aux mêmes règles que celles
qui s'imposent aux mutuelles !
Parallèlement, nous souhaitons amender l'article 58 du projet de loi visant à
valider la convention relative à l'assurance des personnes exposées à un risque
aggravé en matière de santé. J'ai d'ailleurs été surpris de constater que, sur
la question de l'accès à l'emprunt et à l'assurance pour les personnes
présentant un risque aggravé, aucun débat de fond n'a eu lieu à l'Assemblée
nationale.
En effet, l'opinion publique française, sensibilisée aux inégalités, rejette
majoritairement la surtarification fondée sur les réponses à un questionnaire
médical lors de la souscription d'une assurance-décès liée à un emprunt ou à
une assurance pour les risques invalidité ou incapacité. Tels sont les
enseignements du sondage réalisé par l'IFOP à la demande de la Fédération
nationale de la mutualité française, la FNMF, et de la FNATH, la Fédération
nationale des accidentés du travail et handicapés. Nous avons tous été
confrontés à des témoignages de personnes atteintes d'un cancer, diabétiques ou
séropositives, qui n'ont pu contracter une assurance et ont été obligées par
conséquent de renoncer à leurs projets.
Monsieur le ministre, les associations signataires ou non de la convention du
19 septembre dernier attendaient du Gouvernement qu'il reprenne, sur le plan
législatif, ce cadre conventionnel. L'objet de nos amendements sera que la loi
aille au-delà.
Au chapitre II, intitulé « Droits des usagers », l'article « phare », à savoir
l'article 6, qui traite du droit à l'information du patient sur son état de
santé, du consentement libre et éclairé de ce dernier, partie prenante à la
prise de décision concernant sa santé, ainsi que de l'accès libre et direct au
dossier médical, appelle quelques observations.
Cette transparence nouvelle des dossiers médicaux n'est pas sans susciter
certaines craintes parmi les médecins, tant les changements culturels qu'elle
implique sont grands. Des précisions ont été apportées par l'Assemblée
nationale quant à la nature des informations communiquées, au délai de
consultation et à la gratuité de celle-ci.
Nous faisons entièrement nôtre l'appréciation portée par le rapport Caniard
sur cette « approche nouvelle (...), élément positif (...) qui pose le droit
des personnes comme un élément central et constructif de la modernisation du
système (...) et qui permet en outre d'éviter l'opposition réductrice et
stérile entre professionnels et usagers ».
Arguant du fait que le texte, « malgré sa volonté affirmée de rééquilibrer la
relation patient-médecin, risque de créer un déséquilibre au profit du patient
», le rapporteur de la commission des affaires sociales pour le titre Ier
apporte des réponses qui ne nous semblent pas tout à fait adéquates.
Afin de préserver un équilibre harmonieux, la commission propose d'introduire
une référence aux devoirs, obligations ou responsabilités des patients, sans
que l'on sache très bien quel pourra être leur contenu.
Par ailleurs, elle envisage de supprimer l'article 6
bis
instituant un
défenseur des droits des malades qui pourra être saisi par toute personne
rencontrant des difficultés pour faire valoir ses droits.
Le texte souffre de l'absence de sanctions en cas de non-respect des droits
individuels et collectifs. Ces derniers ne doivent pas rester à l'état de voeux
pieux. C'est la raison pour laquelle nous estimons que l'intervention du
défenseur des droits des malades peut être intéressante à condition toutefois
que son statut s'apparente à celui du Médiateur de la République. Monsieur le
ministre, pourquoi ne pas transformer ce défenseur en une véritable autorité
administrative indépendante, comme le souhaitent les associations ?
S'agissant des orientations de la politique de santé, autre volet important du
titre Ier, censé rendre l'élaboration des politiques publiques plus lisible et
plus démocratique, nous n'adhérons pas aux changements envisagés, tout
simplement parce que nous ne voyons pas en quoi ils seront facteurs de
progrès.
Quelle sera, en réalité, la place réservée aux associations d'usagers ?
Comment les expressions régionales des besoins de santé seront-elles
répercutées ? Pourquoi n'est-il pas fait mention des politiques de prévention ?
Quelle sera la marge de manoeuvre des parlementaires ?
A de nombreuses reprises, y compris lors de la discussion du dernier projet de
loi de financement de la sécurité sociale, nous avons tenté d'obtenir qu'avant
l'examen du budget de la sécurité sociale la représentation nationale puisse
définir les orientations pluriannuelles de notre politique de santé et débattre
de celles-ci. En l'état, l'article 24 répond, à notre sens, insuffisamment à
cette exigence.
Prenant acte de l'argument constitutionnel avancé à l'Assemblée nationale pour
justifier le rejet de la demande des parlementaires communistes, non pas d'un
simple débat, mais d'un vote sur le rapport élaboré par le Gouvernement, nous
n'avons pas déposé de nouveau cet amendement. Nous serons vigilants quant à la
suite qui sera donnée à la proposition faite par M. Evin de mettre en chantier
l'élaboration d'une loi organique afin d'introduire la saisine du Parlement sur
cette question.
En ce qui concerne le titre II du projet de loi, dont les dispositions visent
essentiellement à promouvoir la qualité du système de santé, l'accent est mis
sur les compétences des professionnels et sur leur formation.
Un point devrait provoquer un débat. Tenant compte des réalités, les députés
ont reconnu les titres d'ostéopathe et de chiropracteur. La validation de ces
formations a été entourée de garanties, ce qui ne semble pas suffire à la
commission. Cette dernière réécrit totalement l'article 52
bis
, ce qui
aboutit, en fait, à réserver l'exercice de telles pratiques aux seuls
médecins.
Dans l'intérêt des patients, le groupe communiste républicain et citoyen
s'attachera à défendre, dans le droit-fil des propositions de nos collègues de
l'Assemblée nationale, un amendement visant à mettre fin à la situation
précaire des professionnels de santé qui exercent une activité de soin dans les
centres de santé, en permettant notamment aux collectivités locales de conclure
à nouveau des CDI, des contrats à durée indéterminée, avec ces derniers.
Il a également déposé, ce qui ne vous étonnera pas, monsieur le ministre, un
amendement tendant à préciser, dans l'intérêt des femmes, que le DES de
gynécologie médicale mentionné à l'article 57
quinquies
s'inscrit dans
le groupe des disciplines médicales.
(M. Lesbros applaudit.)
Monsieur le
ministre, nous le savons, la réforme voulue ne s'appliquera pas sans mal sur le
terrain. C'est pourquoi nous insistons sur l'autonomie de ce diplôme par
rapport au diplôme de gynécologie-obstétrique.
Ma collègue Marie-Claude Beaudeau interviendra sur la prévention des risques
liés au travail lors de l'examen des articles du chapitre consacré à la
prévention et à la promotion de la santé, domaine dans lequel la France est
plus qu'à la traîne.
J'en viens à l'examen des articles 58 et 61, articles phare du titre III
relatif à la réparation des conséquences des risques sanitaires. Nous en
connaissons tous les aspects positifs.
En premier lieu, les règles en matière de responsabilité en cas d'accident
médical sont rappelées.
Le législateur refusant jusqu'à présent d'indemniser l'aléa thérapeutique en
raison principalement des enjeux financiers, le juge confronté aux nombreuses
demandes de réparation s'était quelque peu éloigné de la notion classique de
faute.
Ce rappel était important. Il a également le mérite d'améliorer le sort des
victimes en mettant fin aux distorsions entre le juge judiciaire et le juge
administratif.
Les modifications que M. le rapporteur propose sur les principes mêmes de la
responsabilité médicale nous semblent
a priori
nécessaires, qu'il
s'agisse de la définition de l'accident médical, des affections iatrogènes et
nosocomiales ou des précisions figurant dans la jurisprudence pour les
infections nosocomiales.
En deuxième lieu, est créé un droit à l'indemnisation, au titre de la
solidarité nationale, des accidents médicaux graves non fautifs.
Paradoxalement, c'est sur cet aspect du texte unanimement salué que nous sommes
le plus critiques, non pas sur le contenu de l'article, même s'il convient
peut-être de réexaminer la question du taux d'incapacité permanente servant de
seuil d'entrée dans le dispositif, mais sur les dispositions qu'il ne contient
pas.
Je fais bien sûr référence à l'exclusion des personnes atteintes de l'hépatite
C. Je n'entends pas polémiquer sur ce problème majeur de santé publique,
l'hépatite C provoquant chaque année deux mille décès. Je tiens seulement à
relayer ici la déception et la colère des associations, notamment de
l'association Hépatites Ecoute et Soutien de mon département qui dénonce, «
après l'exclusion civile dont les personnes contaminées sont victimes dans leur
vie quotidienne, la présente exclusion légale ». Nous avons déposé un
amendement visant à créer un fonds d'indemnisation, qui doit être considéré,
monsieur le ministre, comme un appel au débat.
Je reconnais, comme l'ensemble des associations, que ce texte facilitera
l'indemnisation de ces victimes puisque, désormais, il appartiendra au
transfuseur d'apporter la preuve que le sang n'était pas infecté. Mais c'est
devant la justice qu'elles devront faire valoir leur droit.
En troisième lieu, une procédure amiable de règlement des litiges en cas
d'accident est mise en place afin d'accélérer l'indemnisation des victimes mais
aussi de protéger les médecins contre la multiplication des procès. Les
commissions régionales, qui sont la clef de voûte du dispositif de conciliation
et d'indemnisation, sont investies d'un pouvoir très important.
Comme il nous semblait inconcevable que ces dernières puissent se prononcer
sur le fait de savoir si les conditions fixées par la loi pour l'accès au
dispositif, déterminant la gravité du dommage, notamment le taux d'incapacité
permanente, sont réunies sans avoir recours à l'expertise, nous avons, par
amendement, envisagé la systématisation de l'expertise.
Enfin, je n'entrerai pas dans le détail de la position de notre commission
vis-à-vis de l'obligation d'assurance pour les professionnels de santé libéraux
et les établissements de santé. En effet, le titre d'un article paru la semaine
dernière dans
Les Echos
résume assez bien la logique qui prévaut : «
Profession de santé : le Sénat a entendu les souhaits des assureurs ».
Pour conclure, je dirai un mot sur le débat dans le débat, sur les suites
législatives de l'arrêt Perruche. Je serai bref car ma collègue Michelle
Demessine interviendra tout à l'heure sur ce sujet. Beaucoup de choses ont été
dites, des reproches ont été adressés au juge à qui l'on demande de trancher
des questions de société, ce qui n'est peut-être pas son rôle !
Je partage assez les propos tenus par M. Denis Salas dans le hors série
Justices
du recueil Dalloz. Il identifie bien les causes de telles
dérives vers la « quête judiciaire de la réparation » : « Notre société de
réparation généralisée n'est donc pas le fruit d'une victimisation dangereuse.
Elle traduit un déplacement de la demande de justice vers le juge, faute de
trouver dans l'Etat l'attitude solidaire qu'elle attend. »
Allons jusqu'au bout de la prise en charge par la solidarité nationale du
handicap ; préservons le regard solidaire que porte notre société sur le
handicap.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen. - M. Cazeau applaudit également.)
M. le président.
La parole est à Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, améliorer la
vie quotidienne de nos concitoyens, à tous points de vue, est une tâche à
laquelle le Gouvernement et sa majorité se sont attelés depuis cinq ans.
Plusieurs réformes récentes, importantes, ont déjà conforté la place des
malades au sein de notre système de santé. Je pense notamment au plan de lutte
antidouleur lancé en 1998 et renforcé en 2001, à la rénovation des soins
palliatifs, mais aussi à la loi relative à la lutte contre les exclusions et,
surtout, à la loi qui a instauré la couverture maladie universelle.
Aujourd'hui, dans cette continuité, il nous est proposé de mettre en place une
réforme globale du fonctionnement du système de santé pour le moderniser et le
démocratiser. Un siècle après la loi de santé publique de 1902 - vous l'avez
évoquée, monsieur le ministre - qui a déterminé les fondements de notre système
de soins, le Gouvernement, avec ce texte relatif aux droits des malades et à la
qualité du système de santé, a décidé de « toiletter » la législation en
vigueur, en l'adaptant aux réalités du troisième millénaire. Je ne peux que
m'en féliciter.
Ce projet de loi est très attendu par les usagers et notamment par les
associations de malades. Vous y travaillez d'ailleurs depuis dix ans, monsieur
le ministre, comme vous l'avez dit lors du débat à l'Assemblée nationale.
L'annonce déterminante du Premier ministre, lors de la clôture des Etats
généraux de la santé en 1999, en a fait une priorité et a permis que ce projet
de loi aboutisse.
Ce texte, largement consensuel et unanimement salué, est le fruit d'une
importante concertation entre les usagers et les professionnels. Il s'attache à
définir les conditions d'un équilibre harmonieux des responsabilités entre les
usagers, les professionnels, les institutions sanitaires et l'Etat.
Cet équilibre s'appuie sur trois axes fondamentaux. Il s'agit, d'abord, du
développement d'une démocratie sanitaire qui repose sur la reconnaissance et le
rappel des droits des personnes et des usagers. Il s'agit, ensuite, de
l'amélioration de la qualité du système de santé, qui rappelle les obligations
des professionnels, tout en donnant toute sa place à la politique de
prévention. Il s'agit, enfin, de la réparation des risques sanitaires par une
procédure unique et accélérée d'indemnisation et par un dispositif public de
réparation de l'aléa thérapeutique par un office national.
Pour ma part, je m'attacherai à évoquer le titre Ier, qui pose les conditions
d'une démocratie sanitaire.
Son article 1er énonce les droits de la personne : droit au respect de la
dignité et à la protection de l'intégrité du corps ; non-discrimination en
matière d'accès à la prévention et aux soins, mais aussi sur le plan des
caractéristiques génétiques ; droit au respect de la vie privée et au secret
médical ; enfin, droit de recevoir les soins les plus appropriés et
réaffirmation du droit à une prise en charge de la douleur.
Il est nécessaire de rappeler l'ambition originelle de ce texte : il s'agit de
mettre l'individu, la personne, le malade ou l'usager au coeur des
préoccupations sanitaires afin de rétablir un équilibre dans la relation
patient-médecin.
Si l'on ne peut que se féliciter des avancées scientifiques et des progrès
médicaux, il ne faut pas pour autant oublier que la médecine doit rester au
service de l'homme. A défaut d'être une science exacte, la médecine est avant
tout une science de l'humain, et le texte a bien pour objet de le
réaffirmer.
Avec cette volonté d'améliorer la relation individuelle entre le malade et le
médecin, le patient est celui qui est au coeur des choix médicaux qui le
concernent. Il doit pouvoir y participer activement. C'est ainsi que la
médecine peut devenir encore plus humaine.
Cet équilibre passe par la prise en compte de l'usager, de la personne malade,
en tant qu'individu à part entière, et donc par l'instauration, ou la
restauration, d'un véritable dialogue de confiance entre le patient et le
médecin.
Il passe également par la mise en place d'une avancée que vous qualifiez
vous-même, monsieur le ministre, d'emblématique : à savoir l'accès direct au
dossier médical.
Cette avancée traduit l'affirmation même du principe de confiance partagée
entre le patient et le médecin dans le sens où elle apporte une réponse aux
difficultés soulevées par un rapport récent de l'inspection générale des
affaires sociales quant à l'accès des patients aux données médicales les
concernant.
Certains, parmi nous, craignent qu'en réalité ne se crée un déséquilibre au
profit du patient et que cela ne contribue à la judiciarisation des relations
entre celui-ci et les professionnels de santé.
Je ne saurais m'associer à cette idée. Une grande partie des procès a pour
origine, à mon sens, un défaut d'information ou de clarté. Ouvrir plus
largement l'accès au dossier médical, c'est donner les moyens au patient
d'opérer un choix plus éclairé, s'il le souhaite, et de mieux appréhender son
état de santé ; c'est lui permettre ainsi, plus facilement, de s'approprier la
thérapeutique proposée par le médecin.
Je dis bien : si la personne concernée par les soins le souhaite. Il n'est
nullement question d'obliger un patient à connaître une vérité qu'il préfère ne
pas s'avouer ou ignorer. Le droit de savoir, c'est aussi celui de ne pas
savoir.
Le dossier médical doit être un élément qui favorise et encourage le dialogue
entre le médecin et la personne soignée. Il n'exonère en aucune façon le
médecin de son rôle dans la délivrance de l'information au malade et ne remet
pas en cause le secret médical.
La seule mise en cause des médecins pourrait concerner leur communication avec
les patients. On pourrait leur demander d'être plus « communiquants ». A
l'heure où notre société évolue en pleine ère de la communication, cela ne
paraît pas inconcevable.
Et ce serait une fausse excuse de dire que l'accès du malade à son dossier
médical va à l'encontre d'une meilleure communication !
Le projet de loi n'a pas vocation à déposséder un praticien de son savoir. En
revanche, il a l'ambition de favoriser l'échange et le dialogue en instituant
une transparence sur l'information concernant les soins d'un malade, ce qui ne
peut que favoriser une meilleure confiance entre le soignant et le soigné.
Même si l'on constate un succès croissant pour les sites internet consacrés à
la santé, on ne peut imaginer que les écrans virtuels vont supplanter le
contact direct avec un professionnel de la santé. A l'heure où nos concitoyens
sont considérés comme de gros consommateurs de soins, on peut leur reconnaître
le mérite d'être actifs dans ce qu'ils ont de plus cher : leur santé. Il ne
faut pas bouder cette évolution qui, d'après moi, sera porteuse, à long terme,
d'une meilleure prévention.
Grâce à ce projet de loi, la place de l'usager est confortée dans notre
système de santé par le renforcement de sa représentativité ; je pense en
particulier aux dispositions concernant la reconnaissance du rôle des
associations.
Ces dernières sont devenues incontournables dans la reconnaissance et la
défense des droits des malades.
D'une part, le projet de loi les identifie comme acteurs à part entière du
système. L'agrément délivré au niveau régional et national confère ainsi aux
associations un véritable statut, une légitimité.
D'autre part, il leur permet de remplir au mieux leur fonction d'informateur
dans un premier temps, mais il leur reconnaît aussi la faculté d'ester en
justice au côté des victimes.
Ce projet de loi s'attaque aussi à un sujet moins médiatique ou plus tabou :
l'hospitalisation sans consentement de personnes victimes de troubles
mentaux.
La notion des droits du malade est, en la matière, fortement présente. C'est
principalement en raison d'une « nécessité de soins », justifiée par un
médecin, que l'hospitalisation d'office pourra s'effectuer. Quant au motif de «
troubles à l'ordre public », ceux-ci devront être considérés comme graves pour
qu'il puisse être invoqué.
Les personnes hospitalisées en secteur psychiatrique pourront également
accéder à leur dossier médical. Toutefois, la présence d'un médecin au côté du
malade pourra être requise si la commission psychiatrique départementale
l'estime nécessaire en cas de troubles « d'une gravité particulière ».
Confiance, participation et transparence sont donc les maîtres mots de ce
titre Ier : confiance dans la relation médecin-patient ; participation à
travers le renforcement du rôle des associations et la création des commissions
des relations avec les usagers, lesquelles auront pour objectif de créer de
véritables lieux de dialogue dans les établissements et de mettre en place un
outil d'amélioration de la qualité ; transparence du système de santé avec le
renforcement des obligations déontologiques des professionnels, mais aussi et
surtout avec la réforme de la procédure d'élaboration de la politique de
santé.
La politique de santé est une fonction régalienne. Jusqu'à ce jour, le
Parlement ne discutait de cette politique que partiellement, à l'occasion de la
discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
C'est ainsi que l'article 24 du présent projet de loi prévoit la remise par le
Gouvernement d'un rapport annuel au Parlement sur la politique de santé, compte
tenu des priorités pluriannuelles déterminées. Un débat pourra ensuite
s'instaurer.
Cette disposition me paraît essentielle. Elle met un terme à la critique de
l'absence de lien entre la définition des priorités de santé publique et la
détermination de l'effort financier à leur consacrer.
La représentation nationale pourra voter une loi de financement de la sécurité
sociale en connaissant les besoins réels en la matière, au niveau tant national
que régional.
En effet, la recherche d'une plus grande transparence dans l'élaboration de la
politique de santé s'opère, au niveau national mais également au niveau
régional, par l'association des régions à la mise en oeuvre de cette politique
avec le conseil régional de santé. Et l'on peut alors parler à juste titre de
démocratie sanitaire.
Enfin, monsieur le ministre, j'évoquerai la gynécologie médicale.
Je proposerai, par amendement, que soit mis en place un comité de suivi pour
veiller à la bonne mise en oeuvre de la disposition législative instaurant un
diplôme d'études spécialisées de gynécologie médicale et que le Gouvernement
remette chaque année au Parlement un rapport à ce sujet.
Cette disposition figurant dans la loi sur la contraception et l'interruption
volontaire de grossesse donne pleinement satisfaction et il nous semble
intéressant de la transposer ici.
Par ailleurs, monsieur le ministre, serait-il possible d'avoir dès aujourd'hui
quelques précisions sur le contenu de l'arrêté qui devra déterminer les
conditions de formation à ce diplôme sur le plan de la pratique ?
En conclusion, je tiens à dire que je souscris pleinement à ce projet de loi,
qui met en évidence la volonté politique de faire de notre système de santé un
système qui réponde aux besoins tant des usagers que des professionnels.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
je souhaiterais qu'il soit clairement indiqué, si M. le ministre en était
d'accord, que nous achèverons ce soir la discussion générale - peut-être
entendrons-nous la réponse de M. le ministre - et que nous n'aborderons la
discussion des articles que demain matin.
Il ne me paraîtrait pas opportun, en effet, que nous entamions ce soir à
minuit la discussion d'un point aussi important que celui qui touche au
handicap. Je pense, en outre, si cela s'avère nécessaire, réunir la commission
juste avant l'ouverture de la séance, demain matin.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Monsieur le président, il me paraît sage, en effet, de
ne pas entamer la discussion des articles dès ce soir pour les raisons que
vient d'indiquer M. le président de la commission des affaires sociales.
D'ici à demain matin, nous serons sans doute en mesure - ce qui est mon
souhait le plus profond - de nous mettre d'accord sur un texte, ce qui
facilitera le débat.
Je souscris donc tout à fait à la demande de M. About.
M. le président.
Il en est ainsi décidé.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Desmarescaux.
Mme Sylvie Desmarescaux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je
souhaiterais vous faire part de mon indignation à propos des choix sémantiques
opérés par le Gouvernement et l'Assemblée nationale dans le projet de loi
relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Il me semble, en effet, tout à fait inconvenant et déshumanisant d'employer
l'expression « usager » en lieu et place du terme « patient », utilisé
couramment pour désigner « toute personne ayant recours aux services médicaux
ou paramédicaux, qu'elle soit malade ou non ».
Ainsi, tous les rapports que peut entretenir un individu avec un professionnel
de la santé sont envisagés par cette simple désignation, connue et reconnue par
tous. Qu'il s'agisse d'un simple examen médical, d'un traitement ou d'une
intervention chirurgicale, le praticien exerce son art sur un « patient » et
non sur un « usager ».
Certes, vous pouvez m'objecter que le domaine de la santé fait partie
intégrante des services publics rendus à nos concitoyens et qu'en conséquence
le vocable choisi répond à cette définition. Toutefois, tous ceux qui
participent effectivement à cette mission ne sont pas nécessairement des
fonctionnaires. Bon nombre sont des praticiens exerçant à titre libéral. Or, le
terme d'« usager » induit l'étatisation du secteur de la santé que vous voulez
instaurer depuis longtemps.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Vous vous adressez à moi, madame ? Je n'ai jamais dit
cela, jamais !
Mme Sylvie Desmarescaux.
L'on sait également, et vous ne pouvez le nier, que le terme « usager » est
empreint d'une connotation péjorative dans le langage courant. On s'imagine
aisément un individu sans nom, portant un numéro et perdu dans la masse de ceux
qui l'entourent et qui sont, comme lui, de simples « usagers ».
Si l'on se place du point de vue des membres des professions médicales et
paramédicales, l'« usager » est celui qui utilise, celui qui use et même
parfois abuse de ceux qui soulagent ses douleurs, physiques comme mentales. Il
lui en demande toujours plus, ne souffrant aucune faiblesse de leur part.
Ainsi, fidèle à cette logique, le projet de loi que nous examinons pourvoit
cet usager de tous les droits, sans lui imposer la moindre obligation. Or, pour
atteindre un « équilibre harmonieux des responsabilités », tout droit doit
s'accompagner de devoirs, notamment celui de ne pas assécher les caisses de la
sécurité sociale.
Vous avez diabolisé les professionnels de la santé, dénonçant un nombre trop
important de prescriptions. Toutefois, il appartient également au patient
d'endosser ses responsabilités et de ne pas consulter moult médecins ou suivre
des traitements inutiles pour une simple maladie bénigne.
Votre conception des rapports entre le praticien et son patient manque
profondément d'humanité, que ce soit du point de vue des malades, que vous
dépersonnalisez, ou de celui du médecin qui se voit contraint de supporter
toutes les responsabilités. Je ne cache pas mon incompréhension...
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Cela se voit !
Mme Sylvie Desmarescaux.
... quant à vos motivations qui conduisent à un résultat contraire aux
objectifs du présent projet de loi. Au demeurant, vous renouvelez vos exploits
sémantiques - c'est le second point que j'aimerais aborder - avec la
suppression du mot « ordre ».
Par souci de lisibilité et pour marquer les évolutions des missions qui leur
incombent, vous allez instaurer le trouble dans les esprits des praticiens,
ainsi que dans celui des patients, en brisant les automatismes et les
références. Pourquoi revenir sur le cadre habituel du fonctionnement et sur la
désignation des institutions médicales ?
C'est par la pratique que les conceptions que l'on se fait d'un mot évoluent.
Les différents ordres des médecins, des pharmaciens, des sages-femmes et des
chirurgiens-dentistes étaient, selon vous, considérés comme répressifs. Demain,
par la transparence et la lisibilité que vous voulez instaurer, il ne devrait y
avoir aucune difficulté à ce que leurs nouvelles missions soient reconnues à
leur juste valeur. En fait, pour utiliser le vocabulaire choisi par l'Assemblée
nationale, nous serons contraints de parler de « conseils centraux, régionaux
ou départementaux ». Comment désignerons-nous les instances ordinales, la
jurisprudence ordinale, les conseillers ordinaux ?... Ces désagréments de
langage engendreront en outre un véritable manque de clarté, ce qui n'est pas
l'objet du projet de loi.
Si j'insiste sur le vocabulaire employé, c'est que les mots ont leur
importance : on ne peut confondre un patient et un usager comme on ne peut
faire table rase de l'histoire par une simple transformation du mot « ordre »
en celui de « conseil ». Par conséquent, je souhaite sincèrement que la Haute
Assemblée prenne les mesures adéquates pour remédier à cet état de chose.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Barbier.
M. Gilbert Barbier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de
ce projet de loi intervient dans un contexte pour le moins particulier, qui
témoigne d'une grave crise de confiance chez les professionnels de santé.
Depuis plus de deux mois, les manifestations revendicatives se succèdent :
d'abord, les généralistes ; ensuite, les échographistes : la semaine dernière,
la « journée sans toubib », les personnels hospitaliers, les infirmière
libérales et même les médecins spécialistes ; bref, tous ceux et toutes celles
qui font du système de soins français le meilleur du monde.
Je ne peux m'empêcher, en cet instant, monsieur le ministre, de relever le
fossé qui sépare le
french doctor
des années soixante-dix entraînant ses
jeunes confrères sur les continents asiatique et africain pour secourir les
plus démunis au nom de la solidarité, du dévouement et du sacerdoce, et le
ministre que vous êtes devenu aujourd'hui.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je préfère le ministre !
(Sourires.)
M. Gilbert Barbier.
Je ne doute pas qu'au fond de vous-même vous vous posiez la question : «
Pourquoi en est-on là ? » Peut-être par refus du dialogue ou par dédain, mais
aussi en raison de textes comme celui qui nous est soumis.
Le projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de
santé était très attendu par les professionnels de santé et par les patients.
Il aurait pu être plein d'ambitions. Hélas ! son contenu provoque surtout une
grande amertume et une déception évidente par rapport aux espoirs que son
intitulé a fait naître.
Avant d'aborder quelques points précis du texte, permettez-moi deux remarques,
l'une sur la procédure, l'autre sur l'esprit général de ce texte.
En premier lieu, je regrette qu'un texte abordant des sujets aussi importants
que la démocratie sanitaire, l'éthique de la relation médicale ou
l'indemnisation de l'aléa thérapeutique soit examiné à marche forcée, sous le
régime de l'urgence. Nul ne saurait, bien sûr, contester les grands principes
qu'il énonce, mais de nombreux points auraient mérité un débat plus approfondi,
plus scientifique ou éclairé par les avis autorisés d'organisations
représentatives.
Je ne serais pas étonné que l'on soit contraint de revenir ultérieurement sur
certains articles pour y apporter des précisions, des modifications ou des
ajustements.
En second lieu, je suis inquiet des effets pervers que certaines dispositions
pourraient avoir sur la relation médecin-patient, dispositions que l'une de nos
collègues vient d'aborder sous l'angle sémantique.
Monsieur le ministre, vous qui êtes médecin, comment pouvez-vous, en effet,
accepter de parler du « droit des usagers » ? Cela revient à réduire le rôle
des médecins à celui de prestataires de services plus ou moins publics.
Pourquoi ne pas utiliser l'expression « droit des patients » ? Qui cela
gêne-t-il ? Peut-être quelques technocrates de votre ministère, mais pas vous,
tout de même !
Nous sommes évidemment tous favorables à une plus grande implication des
patients dans la prise en charge de leur santé. Celle-ci passe par une
sensibilisation, à travers une politique de prévention plus active et plus
globale, une plus forte responsabilité dans la consommation de soins et une
meilleure information.
L'affirmation solennelle des droits du malade - lequel, contrairement à ce que
vous avez dit, n'est pas systématiquement « humilié » lorsqu'il entre à
l'hôpital - avec ses corollaires très concrets comme l'accès au dossier médical
ou l'indemnisation des accidents médicaux, constitue une bonne intention qu'il
convient de saluer.
Mais ne faut-il pas être prudent, particulièrement dans ce domaine de
l'information ?
Une information brute, sans explications du médecin, peut être mal comprise
par l'intéressé et avoir des effets désastreux sur sa combativité dans la
maladie.
En outre, à trop vouloir formaliser, encadrer les principes, on risque de
désacraliser la relation médicale...
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
« Désacraliser » !
M. Gilbert Barbier.
... et d'instaurer une suspicion généralisée à l'égard des professionnels. Le
médecin sera demain plus soucieux de faire remplir des papiers à l'usager, afin
d'être en mesure de prouver un jour qu'il lui a bien transmis toutes les
informations nécessaires, au détriment de la qualité du dialogue qu'il avait
avec lui.
La relation médecin-patient était jusque-là fondée sur la confiance, gage
d'acceptation de la thérapeutique proposée, la déontologie et l'éthique. Il
faut éviter que l'inquiétude - déjà réelle - des professionnels de santé ne les
enferme dans le principe de précaution, aux dépens de l'efficacité
thérapeutique. Quel médecin osera encore écrire dans un dossier accessible au
malade : « alcoolo-tabagisme invétéré » ou « psychose maniaco-dépressive » ? En
réalité, le médecin consciencieux tiendra son journal professionnel intime :
vous ne pourrez l'éviter !
Je souhaiterais aborder maintenant quelques points concernant, d'une part,
l'organisation des professions de santé, d'autre part, l'exercice de certaines
spécialités ou compétences médicales.
Aux termes de l'article 9
ter
du projet de loi, il est proposé
d'abandonner l'appellation « conseil de l'ordre » au profit de simple « conseil
» pour les médecins, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes et les
sages-femmes. Ce changement, je dois le dire, me laisse perplexe. Que
cache-t-il ? Peut-être une aversion des députés auteurs de l'amendement pour la
signification primaire du mot « ordre » ?
En tout état de cause, il fait revivre une terminologie adoptée par le régime
de Vichy, qui avait en effet institué des « chambres » et des « conseils » de
médecins et de pharmaciens. C'est en 1945 que les ordres ont été fondés de
manière démocratique.
En outre, cette suppression entraîne une perte de sens pour cette institution,
qui serait ainsi confondue sous le même vocable avec les différents organes
collégiaux la composant et qui se distinguerait mal des innombrables « conseils
» privés existant dans tous les domaines.
Enfin, pourquoi imposer ce changement aux seules professions de santé et non
aux architectes, aux notaires, aux experts-comptables ou aux avocats ? Les
divers organismes ordinaux ne sont-ils pas tous égaux ?
Mais il apparaît bien que ce changement d'appellation n'est pas de pure
sémantique : il a pour but d'humilier, une fois de plus, les professions
concernées. J'en veux pour preuve, monsieur le ministre, une disposition tout à
fait extravagante de l'article 30 prévoyant le remplacement du conseil de
discipline ordinal par une chambre disciplinaire de première instance, qui
serait présidée par « un membre en fonction ou honoraire du corps des
conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel,
désigné par le vice-président du Conseil d'Etat ».
Décidément, c'est une idée fixe de ce gouvernement de faire présider toute
instance par un magistrat : ici les chambres disciplinaires, là les tribunaux
de commerce... Monsieur le ministre, avez-vous mesuré toutes les conséquences
d'une telle décision ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Non !
(Sourires.)
M. Gilbert Barbier.
Outre le fait que cette disposition ne mobilisera pas moins de 150 magistrats,
où trouvera-t-on ces derniers ? Auront-ils la connaissance suffisante de ce
rôle disciplinaire très spécifique dévolu aux ordres, indépendamment de toute
action devant les tribunaux de droit commun ? Seront-ils à même d'apprécier,
fussent-ils juges honoraires, la manière d'exercer des professionnels dont le
cas leur sera soumis ?
Je prendrai pour exemple ce qui n'est qu'un simple détail pratique. Vous le
savez sûrement, ces conseils de discipline se réunissent habituellement le
samedi, pour ne pas perturber les emplois du temps des praticiens qui y
siègent. Le juge administratif acceptera-t-il cette contrainte ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je ne sais pas !
(Sourires.)
M. Gilbert Barbier.
Imposer la présence d'un magistrat jette la suspicion sur l'intégrité et
l'aptitude des professionnels à faire respecter les règles éthiques et
déontologiques. Pourquoi cette agression, pourquoi ce désaveu ? Avec cette
disposition, ajoutée à la suppression de l'appellation d'« ordre », je crains
que vous ne provoquiez un peu plus de désordre !
Le projet de loi encadre, par ailleurs, les conditions d'exercice de plusieurs
spécialités médicales et de certaines pratiques non codifiées.
Il est créé, notamment, un diplôme d'études spécialisées de gynécologie
médicale. Je me réjouis de cette reconnaissance...
M. Jean-Pierre Godefroy.
Quand même !
M. Gilbert Barbier.
... qui permet de dépassionner un débat n'ayant que trop duré et de satisfaire
les attentes légitimes des femmes. Mais, monsieur le ministre, s'agit-il d'un
diplôme autonome de gynécologie médicale ou d'une simple qualification au sein
d'un diplôme intéressant également la gynécologie-obstétrique ?
En ce qui concerne cette dernière spécialité, je crois d'ailleurs qu'il faudra
un jour aller plus loin dans sa valorisation, sauf à voir s'aggraver une
pénurie d'obstétriciens dont on perçoit malheureusement aujourd'hui les
premiers signes.
Il faut également se féliciter que soient enfin encadrées les conditions
d'exercice de la chiropraxie et de l'ostéopathie. Mais on ne peut que
regretter, là aussi, un débat bâclé ainsi que l'absence d'évaluation péalable
et approfondie de ces pratiques.
L'Assemblée nationale a réservé l'usage professionnel du titre d'ostéopathe
aux titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation technique dans une
école, un institut ou une université inscrits sur une liste établie par décret.
C'est une façon habile d'éluder le problème. La commission des affaires
sociales du Sénat a souhaité renforcer sensiblement cette condition en exigeant
un pré-acquis de formation médicale. Je partage son souci mais je ne suis pas
certain que sa solution soit satisfaisante.
Comment croire qu'un étudiant ayant passé avec succès les deux premières
années de médecine ne sera pas tenté de poursuivre dans cette voie ? Avec une
telle exigence, on finira par n'avoir que des médecins ostéopathes, alors que
nous cherchions à résoudre le problème des ostéopathes non médecins !
Une autre solution aurait consisté à subordonner les actes de chiropraxie et
d'ostéopathie à une prescription médicale, selon le principe fondamental qui
veut que tout acte thérapeutique soit précédé d'un acte diagnostique, que seul
un médecin peut pratiquer.
Enfin, je dirai quelques mots de la chirurgie esthétique.
De nombreux procès sont là pour attester le caractère délicat et les risques
de ce type d'interventions. La chirurgie esthétique n'est pas un acte
thérapeutique ; elle sort du champ de la pratique médicale de prévention et de
traitement. Actuellement, n'importe quel médecin peut pratiquer dans son
cabinet des injections de produits divers et des actes de chirurgie plastique
légère. En exigeant des installations saisfaisant à certaines normes
techniques, le projet de loi va dans le bon sens, mais il serait tout de même
souhaitable qu'il aille plus loin, en imposant au praticien des normes
minimales de qualification dans cet art. Il faut, là encore, laisser cela à une
réflexion ultérieure.
J'en viens au problème soulevé par l'arrêt Perruche, qui a déjà été longuement
évoqué.
Cette évolution de la jurisprudence relative à la responsabilité médicale
soulève des interrogations à la fois juridiques et éthiques : existence d'un
lien de causalité entre la faute médicale et le handicap, reconnaissance d'un
droit à ne pas naître, remise en cause de l'égale dignité de toute vie humaine,
atteinte au principe de l'égalité entre les personnes, abandon de la solidarité
nationale en faveur des personnes handicapées, risque de désengagement des
médecins.
Sur ce dernier point, il est évident que la décision de la Cour de cassation,
confirmée par des décisions plus récentes, aura des effets directs sur
l'exercice du diagnostic prénatal par les médecins. Afin de dégager leur
responsabilité, ces derniers pourraient développer la notion de doute après
tout examen, laissant la femme seule devant ses responsabilités, et, pis,
s'orienter vers la cessation de ce type d'activité.
Par ailleurs, seuls les praticiens exerçant en secteur à honoraires libres
auront la capacité d'assumer les surcoûts des polices d'assurance auxquels une
telle jurisprudence conduit inévitablement, ainsi que l'actualité en
témoigne.
Il était du devoir de la représentation nationale de mener une réflexion sur
cette question lourde de conséquences.
La commission des affaires sociales propose d'inscrire quatre principes.
Le premier affirme le droit pour toute personne handicapée, quelle que soit la
cause de sa déficience, à la compensation de celle-ci par la solidarité de la
nation.
Le deuxième énonce l'absence de préjudice du seul fait de la naissance.
Le troisième vise le droit à réparation en cas de faute médicale ayant
provoqué directement le handicap.
Le quatrième fonde l'indemnisation du préjudice moral des parents d'un enfant
né avec un handicap non décelé pendant la grossesse, à la suite d'une faute
caractérisée.
Ce dispositif doit permettre d'éviter à la fois toute dérive vers une médecine
à deux vitesses et toute tentation eugéniste. Je formulerai néanmoins deux
remarques sur la rédaction de l'amendement.
La première concerne le droit à l'indemnisation reconnu aux « parents » de
l'enfant né handicapé. Faut-il qu'ils soient deux pour être indemnisés et, dans
ce cas,
quid
de la mère célibataire ou du père veuf ? Par ailleurs, on
peut s'interroger sur l'opportunité d'indemniser un père du fait de l'erreur
médicale qui a empêché sa femme d'avorter alors que cette décision est, d'après
la loi, du ressort exclusif de la mère. Je pense que cette notion de « parents
» doit être étudiée avec minutie et précisée.
Mon autre remarque a trait à la faute qui est à l'origine du handicap :
celle-ci doit être « caractérisée ». Evoquant ce point cet après-midi, un de
nos collègues a indiqué que cette notion de « faute caractérisée » serait
maintenant bien établie. Je crains cependant qu'on n'ait quelque mal à
déterminer, du fait de l'emploi de cette expression, le degré de gravité. Là
aussi, une précision s'impose. Y a-t-il, d'ailleurs, des fautes non
caractérisées ?
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Non, il y a faute ou il
n'y a pas faute !
M. Gilbert Barbier.
Quoi qu'il en soit, ce débat met en lumière, d'une certaine manière, les
carences de l'Etat en matière d'aide aux personnes handicapées. Je crois, comme
M. About, qu'il faut insister sur la nécessaire urgence de la révision de la
loi de 1975.
Pour conclure, monsieur le ministre, j'aimerais dire : « Gardons-nous de
réduire la relation médecin-malade à celle d'un échange de produits ou de
services ». L'apparition contemporaine des formes de revendication de
l'individu à l'égard de son corps, de sa vie et de sa mort s'est rapidement
traduite, à travers le monde, par une vision consumériste de l'acte de soin. En
France, l'arrêt Perruche a, d'une certaine manière, ouvert cette voie.
Dans ce projet de loi, il est déjà souvent question non plus de malade ou de
patient, avec sa souffrance et son angoisse, mais d'usager qui déciderait des
soins qu'il devrait recevoir.
Comme je l'ai souligné au début de mon intervention, ce projet de loi présente
de nombreuses imperfections dont on peut espérer qu'elles ne sont pas
idéologiques. La commission des affaires sociales a beaucoup travaillé pour
l'améliorer et pour rectifier certaines de ses déviances.
L'avenir nous dira si ce texte permettra d'atteindre un nouvel équilibre dans
les relations des malades avec les médecins, relations qui doivent, je le
rappelle, être fondées sur une confiance partagée.
En revanche, en ce qui concerne la modernisation de notre système de santé, ce
projet de loi est loin d'atteindre ses objectifs. Vos propositions, sur ce
point, restent timides et parcellaires. Pourtant, les difficultés sont
sérieuses, tant à l'hôpital qu'en médecine de ville. Pourtant, le malaise est
réel, profond, et les professionnels de santé ont besoin de nouvelles
perspectives.
Je crains que ce projet de loi, même amendé, ne réponde à l'attente ni des uns
ni des autres. Ce sera une nouvelle occasion manquée !
(Applaudissements sur
les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le
Gouvernement affronte, depuis plusieurs semaines, un mouvement social d'une
ampleur considérable, révélateur du désarroi profond de la quasi-totalité des
professionnels de la santé.
M. Jean-François Picheral.
Changez de disque !
M. Bernard Murat.
Quand on connaît l'extrême sens des responsabilités de ces professionnels, on
ne peut que prêter une oreille attentive à leurs revendications.
M. Jean-François Picheral.
Ah, quand même !
M. Bernard Murat.
Il serait important, pour vous qui êtes membre du groupe socialiste, ...
M. Jean-François Picheral.
Et médecin !
M. Bernard Murat.
... d'écouter ce qu'ils ont à dire, car vous aurez sans doute besoin un jour
d'un médecin.
(Sourires).
Devant ces nouvelles manifestations sanctionnant cinq années d'immobilisme du
Gouvernement en la matière, ...
M. Jean-François Picheral.
Et les cinq années précédentes ?
M. Bernard Murat.
... devons-nous nous résoudre à admettre, monsieur le ministre - même, et je
vous l'accorde, si vous avez pris le train en marche -, que notre système de
santé est à bout de souffle ?
Nous ne pouvons donc que nous réjouir du fait que, enfin, un débat sur les
questions de santé ait lieu aujourd'hui dans cette assemblée.
Nous pouvons également être satisfaits, puisque le projet de loi relatif aux
droits des malades contient - c'est indéniable - des avancées attendues depuis
longtemps par les malades et les médecins.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Merci, monsieur Murat !
M. Bernard Murat.
Ces avancées se situent, d'une part, dans le titre III, qui est consacré à la
réparation des conséquences des risques sanitaires et qui propose une réponse à
la délicate question de l'aléa médical et de son indemnisation, et, d'autre
part, dans le titre II, puisque certaines des mesures qu'il contient, bien que
disparates, sont utiles et pour beaucoup très attendues.
Renforcer l'expression et la participation des associations de patients,
améliorer l'accès à l'assurance des personnes présentant un risque aggravé,
indemniser les victimes du risque médical, toutes ces mesures vont dans le bon
sens.
Malheureusement - et c'est là le principal défaut du présent projet de loi -,
peu des problèmes majeurs du système de santé sont abordés, peu de solutions
sont apportées aux attentes légitimes des professionnels et des patients.
Monsieur le ministre, nous sommes très loin du texte fondateur de la grande
loi d'orientation de la santé annoncée depuis trois ans et dont la perspective
a suscité beaucoup d'espoir. En fait, nous discutons ce soir d'un catalogue de
propositions sans lien entre elles et, comme vous le reconnaissez vous-même,
sans financement.
Nous constatons aussi la disparition, dans l'intitulé du projet de loi, du
terme « modernisation », initialement prévu et remplacé par le mot « qualité »,
révélant une révision à la baisse de vos objectifs initiaux.
Or permettez-moi, monsieur le ministre, d'affirmer que notre système de santé,
et plus particulièrement son organisation, doit être modernisé pour améliorer
sa qualité et sa performance. En quelque sorte, reprenant les propos de nos
excellents rapporteurs de la commission des affaires sociales, c'est d'un «
projet relatif aux fondements et à l'organisation du système de santé » qu'il
aurait été prioritaire que le Parlement puisse débattre.
Sans modernisation, il ne peut y avoir de qualité, et encore moins de droit.
Or le premier des droits des malades, monsieur le ministre, est le droit aux
soins, et le premier devoir de notre système de santé est de dispenser à chacun
les meilleurs soins possibles. Mais force est de constater que ce n'est plus le
cas aujourd'hui en France, comme je vous en apporterai la preuve ce soir.
Se prévaloir des classements de l'OCDE ne suffit pas à masquer les
insuffisances de plus en plus criantes de notre système de santé. Parler de «
démocratie sanitaire » ne répond pas aux attentes du monde de la santé. Et ce
n'est pas faire du misérabilisme que de donner ce soir quelques exemples des
difficultés auxquelles est confronté notre système de santé.
Comment le premier droit des malades, c'est-à-dire le droit aux soins, peut-il
être assuré quand on constate les difficultés de la médecine de ville, la
désertification médicale en milieu rural et le manque d'infirmières ? Ainsi, 20
000 postes sont déjà vacants, et il faut y ajouter le passage aux 35 heures,
qui nécessiterait la création de 50 000 postes supplémentaires.
Et que dire de la pénurie criante de moyens matériels : le nombre des
équipements d'IRM en France est de 180, soit quatre fois inférieur à celui des
pays équivalents au nôtre !
Que dire aussi de la pénurie criante de moyens humains ? Dès aujourd'hui, dans
le secteur hospitalier comme dans le secteur libéral, le manque de médecins se
fait sentir. Ainsi, 3 000 postes de praticiens hospitaliers sont vacants, et la
réduction du temps de travail nécessitera la création de 4 000 postes
supplémentaires. D'ores et déjà, l'hôpital compte 9 000 praticiens étrangers,
parfois sans équivalence de diplôme, pour un total de 19 000 praticiens
hospitaliers.
Cette crise démographique entraîne une véritable désertification de certaines
spécialités, comme celles d'anesthésiste, d'urgentiste, d'ophtalmologiste,
ainsi qu'une grande difficulté à trouver des assistantes ; elle entraîne aussi
des déséquilibres régionaux forts.
Nous en arrivons à un stade où certains patients ne peuvent plus se faire
soigner dans leur ville. Oui, monsieur le ministre, alors que vous parlez de «
droits des usagers », le plus important - et le plus urgent - est aujourd'hui
de garantir à tous les malades la possibilité de se soigner avec les plus
grandes chances de résultat.
Alors, monsieur le ministre, comme vous l'avez fait tout à l'heure, disons
ensemble aux Français que le droit aux soins coûtera de plus en plus cher
compte tenu du coût des nouvelles technologies, des nouvelles molécules et de
l'allongement de la vie. Affirmons tous ensemble que la santé n'a pas de prix,
mais qu'elle a un coût. L'Etat doit prendre ses responsabilités !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Ce n'est pas l'Etat, c'est la CNAM !
M. Bernard Murat.
Monsieur le ministre, j'ai apprécié le ton général de votre intervention. Au
demeurant, vous connaissez la sympathie que le Sénat vous porte.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Merci !
M. Bernard Murat.
Il est certain que, si vous n'étiez pas sous la tutelle du ministre des
affaires sociales,...
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Douce tutelle !
M. Bernard Murat.
... la « douce tutelle », comme vous dites, votre dialogue avec les
professionnels de la santé serait plus constructif.
A entendre vos propos, je ne peux pas croire que vous laissiez sans réponse
les véritables problèmes que rencontrent tous les jours les directeurs
d'hôpital et les présidents de leurs conseils d'administration, comme
d'ailleurs ceux des cliniques privées.
Permettez-moi de prendre un exemple et de vous donner lecture d'un courrier
adressé au directeur du centre hospitalier de Brive, en date du 21 décembre
2001, et émanant du service de radiothérapie et d'oncologie.
« Monsieur le directeur, depuis de nombreuses années, nous vous avons fait
part, ainsi qu'à vos prédécesseurs, des difficultés que rencontre le service de
cancérologie pour irradier correctement les patients, par manque de
manipulateurs d'électroradiologie : deux postes à temps plein sont demandés
depuis plusieurs années.
« Avec l'augmentation continue du nombre de nouveaux malades à irradier, nous
ne pouvons plus médicalement les soigner dans les règles de l'art et nous les
exposons à une erreur d'irradiation - trop de malades à traiter dans un temps
trop court ; par exemple, nous traitons actuellement soixante-dix malades sur
un appareil en huit heures avec deux manipulateurs, ce qui correspond à un
temps d'installation et de traitement de sept minutes par malade, alors que le
temps nécessaire minimum est de quinze minutes par malade - et à une perte de
chance thérapeutique : risque de récidive locale, absence de guérison.
« En tant que responsable médical de ce service, je ne peux plus me permettre
de faire supporter ces risques aux malades qui se présentent dans ce service
pour être soignés selon les normes actuelles de radiothérapie.
« J'ai donc pris la responsabilité d'arrêter de faire fonctionner, à partir du
24 décembre 2001, un appareil sur trois, à savoir le simulateur, tant que le
service ne sera pas pourvu d'au moins deux manipulateurs temps plein
supplémentaires.
« Cela implique qu'aucun nouveau malade ne sera pris en charge tant que la
surchage des deux autres appareils - trois mois de délai d'attente actuellement
- ne sera pas réglée.
« Vous trouverez ci-joint une photocopie de la note explicative qui sera
remise à tous les nouveaux patients devant bénéficier d'une irradiation et à
tous nos correspondants médicaux. »
Je vous rassure cependant, monsieur le ministre : ce problème est en voie
d'être résolu ; sinon, dans un souci de déontologie, je vous aurais transmis ce
courrier avant de vous en donner lecture de cette tribune ! Ce genre de
situation doit cependant nous préoccuper. Il faut, certes, faire la part des
problèmes ponctuels et des mouvements sociaux, mais de telles décisions
traduisent le désarroi des chefs de service, qui n'en peuvent plus. Et je ne
vous parle pas de la sous-dotation en personnels infirmiers des établissements
hospitaliers, sous-dotation qui est aggravée par le passage aux 35 heures.
Ainsi, aujourd'hui, dans un bassin de vie de 150 000 habitants, pratiquement un
tiers des malades qui devraient être irradiés ne le sont pas.
Vous parlez du problème de confiance entre le malade et son médecin, mais, le
véritable problème, c'est le manque de confiance entre le monde de la santé et
le Gouvernement. Je ne parle pas de vous, monsieur le ministre, mais du
Gouvernement !
Oui, monsieur le ministre, votre projet de loi part d'une bonne intention,
mais il va décevoir les attentes qu'il a suscitées. Le Gouvernement a, une fois
de plus, manifestement « botté en touche » avec un projet de loi qui se voulait
ambitieux mais qui n'aborde, en fait, que sur un mode mineur l'amélioration de
notre système de santé.
Ce que le Gouvernement présente comme de véritables avancées est considéré
comme allant à l'encontre de la volonté initialement affichée d'améliorer la
relation entre le médecin et le malade.
La relation patient-médecin, vous le savez, docteur Kouchner, s'établit
uniquement sur la confiance, et cette confiance se bâtit tout au long des
visites et des consultations. Pour que s'établisse cette confiance, le médecin
ne doit pas être rationné en matière de temps passé avec son patient, ni en
matière de prescription. La confiance du patient, c'est avant tout le résultat
de la disponibilité du médecin à son chevet.
Sur le plan juridique, de nombreux textes régissent ces relations, évoquent
les devoirs des médecins et des professionnels et réaffirment l'obligation
d'informer les patients et de solliciter leur accord.
S'il est vrai qu'une crise de confiance couve, qu'un fossé se creuse parfois
entre le médecin et le patient, que ce dernier revendique plus d'attention et
plus d'éclaircissements sur son mal, sur le choix de telle ou telle
prescription médicale, cela n'a rien d'étonnant et s'inscrit dans une évolution
sociétale et médiatique vers plus d'autonomie et d'individualisme, vers moins
de paternalisme.
Mais le patient ne réclame pas pour autant d'être abandonné seul devant un
dossier et un diagnostic. Tout au contraire !
Pourquoi laisser croire qu'il y aurait une confiance accrue avec une
communication du dossier, un rééquilibrage des relations alors que vous,
médecin, vous savez pertinemment qu'il n'en sera rien ? Monsieur le ministre,
vous n'ignorez pas, d'ailleurs, que la remise du dossier peut poser des
problèmes éthiques, juridiques et moraux.
Lorsqu'un malade n'a pas, ou n'a plus, la capacité décisionnelle, à qui
va-t-on remettre le dossier ? Le patient a-t-il envie que sa famille ou son
patron connaisse la gravité de sa maladie et son espérance de vie ?
Ce n'est pas aussi simple que les dispositions qui figurent dans votre texte
veulent le laisser croire. Proposez-nous une réforme pragmatique et non pas un
texte administratif et froid.
Le médecin sera toujours le médecin, un peu thaumaturge - vous avez dit un peu
sorcier - avec le savoir, et le patient toujours un patient qui a le sentiment
de remettre sa douleur, sa maladie, son mal de vivre entre les mains d'un homme
de science, mais aussi d'un ami. Les médecins ne seront jamais des «
technocrates », car ils sont tous, d'abord, des humanistes.
Monsieur le ministre, comme vous l'avez dit, tout cela se résume à une
question de moyens.
Aucune mesure susceptible d'aider le médecin à mieux exercer son art ne figure
dans ce projet de loi. Ce texte ne prévoit pas non plus de suivi psychologique,
de suivi effectif par le médecin généraliste, de prise en compte de la famille
et des proches du patient. Il faut plus de moyens.
Il convient de modifier le système et de l'orienter vers plus de prévention,
d'éducation. Il faut organiser, avec tous les partenaires, un grand débat
d'orientation. Il faut à la France une grande loi-cadre prenant en compte,
enfin, l'ensemble de notre système tout en lui conservant sa spécificité qui en
a fait son efficacité, notamment le respect du choix entre public et privé.
Pourquoi ne pas travailler à restaurer le lien de confiance avec les
professionnels de la santé ? Pourquoi ne pas les entendre afin de les aider à
se surpasser ? Ils attendent plus de considération, plus de reconnaissance,
plus de participation aux prises de décision.
Prenons un exemple : la formation continue. Le dispositif de formation
médicale continue initié par l'ordonnance du 24 avril 1996 n'a jamais été
appliqué. Il a fallu une large concertation des différentes parties prenantes à
la formation, une maturation de l'idée pour en arriver, sans troubles, aux
dispositions relatives à ce problème qui figurent dans votre projet de loi.
Nous ne pouvons qu'être favorables à ces dispositions, du moins à leur économie
générale, car elles représentent un véritable progrès vers une qualité plus
grande des soins.
Je voudrai conclure en évoquant l'arrêt Perruche.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Allez, courage !
M. Bernard Murat.
Cela en vaut la peine, mon cher collègue.
M. Jean-François Picheral.
Moi, je ne vous parlerai que de cet arrêt !
M. Bernard Murat.
Je serai là pour vous entendre !
Je conclurai, disais-je, en évoquant l'arrêt Perruche, jurisprudence à
laquelle il faut impérativement mettre un terme, sans perdre de vue l'intérêt
du handicapé, de ses parents, plus particulièrement de sa mère.
Avec l'arrêt Perruche, j'ai eu le sentiment que la Cour de cassation tentait
d'interpeller notre société sur le fait qu'elle ne prend pas en charge les
personnes handicapées de manière digne, équitable et solidaire.
Cette jurisprudence implique que les assureurs des médecins pourraient pallier
cette carence. Sans entrer, à ce stade de la discussion, dans le débat
philosophique sur la question de savoir si la vie d'un handicapé peut être
considérée comme un préjudice et sans vouloir absolument disculper les
médecins, un texte législatif qui prévoirait de faire indemniser le handicap
par l'assurance du médecin ne peut qu'être inquiétant.
En confortant l'idée qu'il y aurait un droit à l'enfant normal, l'arrêt
Perruche risque par ailleurs de conduire à l'augmentation du nombre
d'interruptions de grossesse. Cela peut être le cas, lors de l'échographie au
quatrième mois de grossesse, en raison d'une petite dilatation des ventricules
cérébraux, anomalie morphologique dont nous sommes incapables de préciser le
retentissement ultérieur chez l'enfant.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
J'en suis bien d'accord
!
M. Bernard Murat.
L'arrêt Perruche risque aussi d'accroître très fortement le recours à
l'amniocentèse, un examen qui peut permettre de découvrir des anomalies mais
qui est grevé d'un pourcentage non négligeable de fausses couches alors que
l'enfant était indemne et parfaitement viable.
Dans le domaine de l'échographie anténatale, bien qu'un médecin puisse être
parfaitement compétent en la matière et disposer d'un matériel de bonne
qualité, il n'en demeure pas moins que seulement 60 % des malformations sont
décelées lors de cet examen.
L'arrêt Perruche fait donc courir le risque de voir disparaître l'échographie
prénatale, ce qui correspondrait à un retour de trente ans en arrière
s'agissant du suivi des femmes enceintes.
Les médecins ne refusent pas d'assumer le caractère fautif d'un acte eu égard
aux bonnes pratiques. S'il y a faute, il doit y avoir sanction. Un diagnostic
mal fait, une information non délivrée à une patiente entraînent un préjudice
moral qui doit être réparé.
Nous ne voulons pas d'une médecine défensive qui se substitue au contrat moral
et au dialogue avec la femme enceinte. Nous voulons encore moins ouvrir la
porte à la judiciarisation.
Ce soir, nous avons trouvé les mots justes, mon cher collègue, pour évoquer le
dossier des personnes handicapées qui vivent parfois, avec leurs familles, des
situations extrêmement difficiles, sans aides matérielles suffisantes, et sans
structures d'éducation spécialisées.
Mais je veux évoquer la question, qui n'a pas été encore soulevée ce soir, du
devenir de ces handicapés, une fois adultes, lorsque leurs parents viennent à
disparaître.
Monsieur le ministre, en mon âme et conscience, je suivrai l'avis de la
commission des affaires sociales qui me semble répondre équitablement à
l'attente des parents et des associations et à la légitime inquiétude des
médecins.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Demessine.
Mme Michelle Demessine.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour,
je voudrais m'inscrire dans le débat sur les conséquences de l'arrêt Perruche.
Nous avons tous été interpellés par l'émoi qu'il a suscité, voire la passion
due à une surmédiatisation, ce qui, vous le savez, n'est pas toujours le cadre
idéal pour un débat serein.
Il pose des questions fondamentales.
« Dans quelle société voulons-nous vivre ? », alors que les progrès de la
science, de la recherche, des technologies bouleversent et déstabilisent nos
repères éthiques et de sociabilité ?
Comme toujours dans ces circonstances, il faut savoir raison garder et revenir
aux droits fondamentaux, tel que l'exprime la loi d'orientation de 1975 dans
son article 1er, récemment enrichi par l'article 53 de la loi de modernisation
sociale, qui définit la place de la personne handicapée dans notre société.
Permettez-moi donc de vous donner lecture de l'article L. 114-1 : « La
prévention et le dépistage du handicap et l'accès du mineur ou de l'adulte
handicapé physique, sensoriel ou mental, aux droits fondamentaux reconnus à
tous les citoyens, notamment aux soins, à l'éducation, à la formation et à
l'orientation professionnelle, à l'emploi, à la garantie d'un minimum de
ressources adapté, à l'intégration sociale, à la liberté de déplacement et de
circulation, à une protection juridique, aux sports, aux loisirs, au tourisme
et à la culture constituent une obligation nationale.
« La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son
handicap, quelles que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge
ou son mode de vie, et à la garantie d'un minimum de ressources lui permettant
de couvrir la totalité des besoins essentiels de la vie courante. »
Par ailleurs, le premier alinéa de l'article L. 114-2 précise : « Les
familles, l'Etat, les collectivités locales, les établissements publics, les
groupements, organismes et entreprises publics et privés, associent leurs
interventions pour mettre en oeuvre cette obligation, en vue notamment
d'assurer aux personnes handicapées toute l'autonomie dont elles sont capables.
»
A l'époque, voilà plus de vingt-cinq ans maintenant, le texte constituait une
avancée de grande portée.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
C'était sous Giscard !
Mme Michelle Demessine.
Je voudrais rappeler qu'il a pu voir le jour grâce aussi à l'action
déterminée, pendant des années, des associations de personnes handicapées et de
leurs parents.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Tout à fait !
Mme Michelle Demessine.
Par cette loi, le droit d'exister à part entière était écrit.
Cette loi fondatrice a constitué et constitue toujours le « fil rouge »
permanent du regard de la société sur le handicap, sur le droit à la
différence.
Est-ce à dire que tous les moyens, toutes les conséquences de cet acte
fondateur, en termes de politique volontariste, de moyens humains, de moyens
financiers, de droit à la compensation financière, ont été justement mesurés au
fil du temps, pour être à la hauteur de cette ambition ? Je ne le crois pas, et
c'est justement là le problème. En disant cela, je mesure en même temps tout ce
qui a été fait et mis en place, toutes les avancées qui continuent d'être
réalisées dans tous les domaines.
Une génération nouvelle de personnes handicapées arrive aujourd'hui à l'âge
adulte. Ce sont les enfants de la loi de 1975. Ils ont de nouvelles exigences
et des potentiels nouveaux d'autonomie qu'il faut prendre en compte.
Or, le rythme des moyens mis en oeuvre ne suit pas, me semble-t-il, cette
évolution. Le nombre de places dans les structures spécialisées augmente, mais
reste en deçà de la demande. L'intégration scolaire avance, mais à trop petits
pas.
Le monde de l'entreprise reste encore trop fermé à l'intégration et préfère
s'acquitter de l'obligation nationale par la sanction financière, au demeurant
fort peu dissuasive.
S'il faut reconnaître que les effets de la loi de 1975 ont été essentiels sur
la prévention et la prise en charge de l'enfant handicapé, l'âge adulte reste
un chantier complètement inachevé. C'est vrai au regard du temps d'attente
avant de pouvoir être accueilli en centre d'aide par le travail, ce qui réduit
d'ailleurs complètement l'objectif intégrateur, par et vers le monde du
travail, de ces structures spécialisées. C'est vrai aussi au regard du trop
petit nombre de structures susceptibles d'accueillir des personnes lourdement
handicapées, même si l'on peut noter qu'un plan de rattrapage de 16 500 places
d'ici à 2005 est en cours. C'est également vrai au regard de l'allocation aux
adultes handicapés dont le faible montant ne permet pas d'accéder à une vie
digne de ce nom.
Voilà pourquoi je pense que, pour débattre sereinement de l'arrêt Perruche, il
est nécessaire de rappeler le fond du débat, qui s'adresse à la société tout
entière, aux pouvoirs publics en particulier, pour affirmer à cette occasion
une volonté politique « de changer de braquet ». Il convient en effet de
s'attaquer résolument à la réforme de cette grande loi pour répondre aux
attentes, aux exigences et, surtout, de donner des moyens beaucoup plus
importants.
Je pense, en effet, que c'est la perspective douloureuse de cette insécurité
tout au long de la vie qui pousse à rechercher des solutions individuelles par
voie de justice plutôt que de faire confiance à la solidarité nationale.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
Mme Michelle Demessine.
Je voudrais dire, en même temps, que je comprends parfaitement la réaction de
certains de ces parents devant des situations si douloureuses lorsqu'elles
surviennent dans une famille.
Je sais que leur souffrance est infinie et que seuls le temps et une prise en
charge efficace et de proximité peuvent contribuer à construire un vrai projet
de vie, où l'épanouissement et le bonheur partagés seront possibles et où
l'espoir prendra le pas sur le trou noir.
En confirmant, le 28 novembre 2001, sa jurisprudence issue de l'arrêt Perruche
rendu un an plus tôt, la Cour de cassation reconnaît qu'un enfant handicapé
peut lui-même demander réparation d'une faute médicale. Cette décision a
suscité de nombreuses critiques de la part des juristes, des médecins, des
associations de parents d'enfants handicapés.
Devant l'ampleur des questions éthiques et juridiques soulevées par cette
décision, la représentation nationale, dans sa grande majorité, a pris
conscience qu'il était de sa responsabilité d'agir, qu'il était nécessaire de
légiférer.
Le Gouvernement a décidé de raccrocher au projet relatif aux droits des
malades les dispositions qui viennent d'être votées par les députés. Démarche
empreinte d'une logique que nous approuvons d'autant plus que le titre III de
ce projet de loi rappelle les règles applicables en matière de responsabilité
médicale.
Avant tout, les personnes handicapées désirent relever du droit commun. Par
conséquent, il faut se préserver d'instituer un régime de responsabilité
dérogatoire pour le diagnostic prénatal.
Nul ne peut être indemnisé du seul fait de sa naissance, « fût-il né handicapé
». Le principe posé par le premier alinéa de l'article 1er issu des travaux de
l'Assemblée nationale permet de mettre un terme aux problèmes posés par l'arrêt
Perruche. La mention « fût-il né handicapé » fait en revanche l'objet d'une
réticence très forte de la part des associations parce qu'elle apparaît
stigmatisante et discriminatoire. De plus, un doute subsiste quant à sa
conformité au regard du droit européen. Sa suppression, que nous préconisons,
n'enlèverait rien à la force de cette déclaration.
Le deuxième alinéa quant à lui rappelle les règles de droit commun de la
responsabilité permettant à la personne handicapée d'obtenir réparation en cas
de faute ayant un lien direct avec le préjudice. C'est une affirmation du
droit.
En revanche, le troisième alinéa, qui consacre en quelque sorte la
jurisprudence Quarez du Conseil d'Etat, en permettant d'indemniser non
seulement le préjudice personnel des parents - la mère n'ayant pu exercer son
droit d'avorter suite à la faute du médecin -, mais également la charge que
représente pour eux les responsabilités éducatives particulières découlant du
handicap de leur enfant, soulève des difficultés sérieuses.
Comme beaucoup d'associations, de personnalités, de parents et de personnes
que j'ai rencontrés, je crains que ce texte, qui soulève beaucoup plus
d'interrogations qu'il n'apporte de réponses, n'ouvre une brèche dangereuse,
introduisant des inégalités de traitement et de prise en charge entre les
personnes handicapées. Ces inégalités entre personnes qui vivent déjà
l'inégalité objective ne sont pas sans péril.
Derrière le débat juridique, n'oublions pas ce qui est aujourd'hui une
évidence : alors que le droit commun existe, la grande majorité des familles
n'utilise pas le recours à la justice, mais fait le choix de la responsabilité,
en comptant sur la solidarité nationale.
Il faut donc réfléchir sur les signes que nous pourrions donner allant dans le
sens de l'individualisation de la prise en charge du handicap. L'esprit de
solidarité de notre société, qui s'est tissé au fil du temps à l'égard des
personnes handicapées, est précieux, et il convient plutôt de le conforter.
De plus, nous devrons veiller, par les décisions que nous prendrons, à ne pas
introduire un malaise, une défiance vis-à-vis du corps médical, dans toute sa
diversité. En effet, vous le savez, la confiance entre les médecins, la
personne handicapée, sa famille est un lien qu'il faut à chaque fois
construire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons autour d'un
sujet aussi sensible nous interpelle tous d'une manière ou d'une autre. Nos
collègues de l'Assemblée nationale l'ont mené avec le souci d'une haute tenue,
mais aussi avec le sentiment de ne pas avoir été jusqu'au bout. Je crois qu'ils
souhaitaient que la discussion puisse se poursuivre à l'occasion de notre
débat.
Le travail accompli au sein de la commission des affaires sociales autour de
cet amendement s'est d'ailleurs inspiré largement de cet état d'esprit, en
cherchant à dépasser toute vision partisane. L'amendement proposé par la
commission des affaires sociales essaie d'apporter une réponse crédible pour
éviter les dérives de la jurisprudence, tout en évitant de s'engager dans la
voie du développement d'une individualisation de la réparation. Cependant,
j'accueille avec une immense satisfaction votre ouverture, monsieur le
ministre, quant à la recherche d'une solution commune.
Pour conclure, je souhaite que lorsque nous examinerons les amendements nous
puissions débattre sans nous enfermer dans des débats d'école, des querelles
juridiques, en voyant qu'il s'agit de la vie de millions de personnes
handicapées, de leurs proches, et qu'ils attendent de ceux qui les représentent
qu'ils donnent du sens à leur vie.
(Applaudissements.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Remarquable !
M. le président.
La parole est à M. Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi relatif au droit des malades et à la qualité du système de santé, annoncé
par le Premier ministre lors de la clôture des états généraux de la santé de
1999, est un texte important, car il permettra de renforcer l'excellence du
système français de santé. Je formule le souhait que son application soit
rapide.
Ce projet de loi renforce, d'abord, l'excellence des praticiens, en premier
lieu parce qu'il instaure une réelle formation médicale continue. L'obligation
de formation médicale continue y est donc étendue à tous les médecins libéraux
et salariés, publics et privés, y compris hospitaliers. La médecine et la
science évoluent ; tous les médecins doivent s'adapter à ces évolutions pour
garantir à leurs patients la meilleure prise en charge possible. La création
d'un fonds national de la formation médicale, qui bénéficiera de dotations
publiques, garantira l'impulsion du dispositif.
La reconnaissance de praticiens spécialisés permettra, elle aussi, de garantir
une prise en charge mieux adaptée des pathologies et des patients. A ce titre,
la reconnaissance des professions d'ostéopathe et de chiropracteur est
essentielle. Face au développement de ces techniques, le présent projet de loi
met fin à une politique de l'autruche et permet le contrôle de la formation de
ces spécialistes dans un souci de qualité et de sécurité sanitaires.
Les dispositions retenues me semblent respecter l'équilibre entre des
positions - je n'ose pas dire des intérêts - contradictoires.
La reconnaissance d'un diplôme spécialisé de gynécologie médicale participe de
la même préoccupation, assortie des dispositions proposées voilà quelques
instants par ma collègue Claire-Lise Campion.
L'évaluation des pratiques professionnelles est un autre élément fondamental
de la compétence des praticiens de santé.
L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, se voit
charger d'une mission plus large d'évaluation de la qualité de la prise en
charge sanitaire de la population, avec notamment la mise en oeuvre d'actions
d'évaluation des pratiques professionnelles.
La réforme de l'organisation des professions médicales et paramédicales était
elle aussi nécessaire. Le fonctionnement des ordres est rendu plus transparent
par la création, notamment, de chambres disciplinaires indépendantes présidées
par des magistrats administratifs, par la création, au sein de l'ordre national
des pharmaciens, d'une section H, destinée à valoriser la fonction de
pharmacien hospitalier et à reconnaître sa spécificité, ainsi que de l'office
des professions paramédicales. Tout cela contribuera à l'amélioration de la
gestion du système de santé et à la promotion de la qualité des soins.
La possibilité pour le préfet de suspendre immédiatement un praticien en cas
de danger grave, possibilité détenue aujourd'hui par les seuls ordres, dont les
procédures sont longues, est une expression importante du principe de
précaution.
Ce projet de loi est bon parce qu'il privilégie, ensuite, une approche globale
de la santé.
Tout d'abord, il renforce la politique de prévention et de promotion de la
santé, jusque-là trop négligée, tant dans ses objectifs que dans ses moyens, et
qui a pourtant fait ses preuves. Il lui donne désormais une place équivalente à
celle des soins dans notre politique de santé. L'introduction d'un nouveau
chapitre dans le code de la santé publique qui regroupe les dispositions
éparses et fragmentaires actuellement en vigueur, la définition de programmes
et la création de structures spécialisées participent de cette volonté forte
qui engage l'avenir de la santé.
Ce projet de loi permet également le développement des réseaux de soins.
Ceux-ci ont pour objet de mieux répondre à la satisfaction des besoins de la
population ; ils jouent un rôle déterminant quant à la dimension territoriale
de la politique de santé. L'élargissement de leur mission et l'assouplissement
de leur organisation doivent leur permettre de se développer pour pouvoir
assurer un prise en charge adaptée aux besoins de la personne sur le plan tant
de l'éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins.
Participe encore de cette approche globale l'institution des conseils
régionaux de santé.
En fédérant en un lieu unique les missions dévolues à plusieurs instances
consultatives, le Gouvernement rend encore un peu plus pertinent l'échelon
régional pour la conception et l'organisation d'une politique de santé proche
et adaptée aux besoins des populations.
Je souhaite toutefois que les collectivités locales y soient plus associées,
au-delà de leur seule représentation dans ces conseils. Je ne plaide absolument
pas pour une régionalisation du système de santé dans le cadre d'une
décentralisation de ce domaine de compétences. Néanmoins, je crois que les
autorités locales, dont de nombreuses politiques sont liées à l'état de santé
de leur population, doivent pouvoir se prononcer sur les orientations et les
programmes de santé mis en place sur leur territoire. Tel est le sens d'un
sous-amendement que j'ai déposé à titre personnel à l'article 25.
En effet, les projets de carte sanitaire et les schémas régionaux
d'organisation sanitaire ont des conséquences directes en matière d'aménagement
régional dans des compétences relevant des conseils régionaux, par exemple le
transport ou l'aménagement du territoire, l'équilibre géographique des
régions.
Par ailleurs, les collectivités locales financent bien souvent des organismes
amenés à évaluer et à prévenir certains risques spécifiques. Pour ma région,
par exemple, il existe un registre des cancers liés à la présence importante
d'industries nucléaires.
Le droit des malades et la qualité du système de santé imposent une égalité de
traitement sur l'ensemble du territoire national, en matière d'équipement, bien
sûr, mais surtout de démographie médicale. Certaines régions, vous le savez,
monsieur le ministre, connaissent de très graves difficultés de recrutement
pour faire face aux obligations minimales de santé publique.
J'ai déjà eu l'occasion de suggérer la création de zones prioritaires de
santé, dans lesquelles serait mise en place une politique de discrimination
positive. Vous avez d'ailleurs très largement commencé à répondre à cette
préoccupation, monsieur le ministre, et je vous en remercie.
De nombreuses collectivités locales mènent déjà des actions pour tenter de
remédier à ces disparités territoriales. Leur souci d'être informées et
consultées pour avis quant à la définition des programmes prioritaires de santé
sur leur territoire me paraît donc parfaitement légitime. A l'évidence, cet
avis n'aurait aucun effet suspensif sur le processus décisionnel. Ainsi, les
conseils généraux et régionaux ne seraient plus simplement la caisse de
résonance d'intérêts parfois contradictoires de différents établissements de
santé puisqu'ils devraient eux aussi définir leurs priorités et les
avaliser.
Nonobstant cette proposition, monsieur le ministre, ce texte constitue une
formidable avancée quant à la qualité de notre système de santé et à son
fonctionnement démocratique. Vous vous doutez bien qu'à ce titre l'ensemble du
groupe socialiste y apportera son soutien.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Ce projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de
santé est, vous l'avez dit, monsieur le ministre, un texte fondateur issu d'une
véritable concertation menée dans le cadre des Etats généraux de la santé. Il
est fondateur par plusieurs aspects.
Tout d'abord, il prend véritablement en compte l'importante évolution de notre
société depuis une cinquantaine d'années : le citoyen veut aujourd'hui être
l'acteur des différents actes de sa vie, plus particulièrement dans ce qui lui
est le plus personnel, sa santé.
Le patient respectueux et parfois naïf d'hier a grandi ; il est devenu adulte.
Il veut aujourd'hui mieux connaître son état de santé - éventuellement celui de
ses proches - non par simple curiosité intellectuelle, mais parce qu'il veut
comprendre les logiques médicales qui lui sont présentées et participer aux
choix des décisions qui peuvent le concerner.
Le patient est devenu un client avec deux grandes exigences : être éclairé et
être respecté.
Ce texte est ensuite fondateur, car cette évolution intervient dans un
contexte véritablement historique de progrès scientifique et social. La
médecine a fait un véritable bond en avant, tandis que l'accessibilité aux
soins se développait au fur et à mesure de la prise en compte sociale.
Enfin, il faut bien dire - et c'est tout à fait paradoxal - que les pratiques,
la formation continue et la réparation n'ont pas évolué à la même vitesse, les
unes par tradition, les autres par difficulté d'adaptation ou par insuffisance
de la législation.
Aujourd'hui, il nous est proposé, au travers des trois titres de ce texte, de
prendre en compte cette évolution sociétale et scientifique, à savoir de
reconnaître les droits fondamentaux de la personne malade, d'assurer la qualité
du système de santé et de construire un véritable système de garantie
sanitaire.
Ces prises en compte successives donnent à ce texte une véritable cohérence.
Sans entrer dans un certain nombre de détails déjà évoqués, j'aborderai
plusieurs aspects qui me paraissent liés et qui me semblent facteurs de cette
cohérence.
Il s'agit, d'abord, de la relation médecin-malade qui est évoquée dans le
titre Ier au travers d'un certain nombre de pratiques. Bien que déjà souvent
appliquées pour certaines, ces pratiques ont le mérite d'être rassemblées ici :
droit à la dignité, au respect de la vie privée ; droit de savoir et même, pour
certains, de ne pas savoir, avec pour corollaire obligatoire le secret
médical.
Mme Hélène Luc.
Tout est là !
M. Bernard Cazeau.
Je soulignerai plus particulièrement l'accès direct au dossier, qui a fait
l'objet de nombreux débats et qui me paraît être l'un des éléments essentiels
de ce chapitre.
Je souhaite dire à Francis Giraud, rapporteur du titre Ier, qu'il a raison de
déclarer que « c'est la confiance mutuelle » qui compte. Mais, justement, dans
la société d'aujourd'hui, cette confiance mutuelle ne peut être fondée que sur
la clarté. Le déficit d'information est en effet souvent facteur de suspicion,
voire parfois de judiciarisation.
Je veux également lui dire qu'il a raison de demander que « droits et devoirs
aillent de pair ». Le malade a aussi des devoirs : d'abord, celui d'informer
complètement son médecin, ce qui n'est pas toujours le cas ; ensuite, celui
d'éviter l'errance que pratiquent de plus en plus un grand nombre de nos
citoyens, facteur de coût pour la société, et qui peut aussi être la cause
d'erreurs parfois graves ; enfin, celui d'éviter des comportements
irresponsables lorsqu'il sait qu'il est porteur de maladies transmissibles.
Il est évident que cette confiance dont nous venons de parler doit
obligatoirement s'accompagner de la compétence professionnelle ; c'est l'objet
du titre II.
Comment peut-on, en effet, envisager de pratiquer de telles professions
pendant plus de trente ans sans formation continue, compte tenu de l'évolution
formidable des connaissances et des pratiques ? Peut-on se contenter de suivre
l'évolution de ces connaissances à travers l'expertise des laboratoires et de
leurs collaborateurs que sont les visiteurs médicaux ? Peut-on aveuglément
faire confiance à une presse spécialisée qui est en grande partie financée par
l'industrie pharmaceutique ?
Le caractère obligatoire de la formation médicale et pharmaceutique continue
est une mesure tellement naturelle et attendue que l'on se demande pour quelles
raisons elle ne vient que maintenant, du moins dans sa formulation applicable,
car il est vrai qu'elle existait, mais était inapplicable.
Il nous reste, dans le même contexte de compétence, à nous féliciter des
dispositions qui nous sont proposées dans trois domaines d'exercice.
Pour la chirurgie esthétique, la nouvelle procédure d'autorisation préalable
des installations nous rassure. Elle évitera, je l'espère, des prises de
risques dans des situations où l'irresponsabilité confine parfois à la
malhonnêteté, mais elle doit aussi pouvoir préserver les petits actes de
médecine esthétique pratiqués par les dermatologues. Nous y reviendrons
peut-être à l'occasion de l'examen d'un amendement.
Pour l'ostéopathie et la chiropraxie, je me rends, monsieur le ministre, aux
arguments que vous avez développés en commission, à savoir qu'il est préférable
de reconnaître une pratique pour mieux la réglementer, plutôt que de persister
à l'ignorer, comme ce fut longtemps le cas, et ce d'autant plus que sa
reconnaissance dans un certain nombre de pays européens proches et l'absence
quasi systématique de poursuites des parquets laissaient un vide juridique
porteur d'incertitudes et donc de risques.
Pour la gynécologie médicale, l'amendement adopté par l'Assemblée nationale a
le mérite de fournir une solution sur un dossier dans lequel les protagonistes
ont, eux, trouvé toutes les raisons de s'affronter.
Enfin, dernier facteur de cohérence, peut-on, dans la société d'aujourd'hui,
évoquer le droit à la santé et la compétence des professionnels de santé sans
aborder, dans le même temps, la question de la réparation lorsque survient
l'accident médical, prévisible ou imprévisible, mais souvent lié aux progrès de
la technique sous toutes ses formes ?
Vous nous proposez, monsieur le ministre, un projet novateur sur la
responsabilité médicale. Novateur, pourquoi ?
D'abord, parce que, reposant sur la notion de faute, il réaffirme et clarifie
les grands principes de la responsabilité médicale, en instituant à la fois une
obligation d'assurance pour les professionnels de santé, mais aussi une
obligation d'assurer à la charge des assureurs, à travers le bureau central de
tarification.
Ensuite, et c'est là l'originalité du texte, est prévue la prise en compte des
accidents sans faute à travers l'aléa thérapeutique ou médical.
En effet, la médecine n'est pas infaillible et, malgré ses progrès et une plus
grande efficacité prouvée chaque jour, le risque médical existe et existera
d'autant que, paradoxalement, l'augmentation du nombre des accidents médicaux
va de pair avec les avancées des connaissances scientifiques.
Dans ce cas-là, qui doit assumer ? La victime ou le médecin ? S'il est
moralement et socialement injuste de laisser la victime supporter seule le
poids de la malchance, il est aussi injuste de mettre en cause la
responsabilité du médecin qui n'a commis aucune faute.
Avec le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, nous disposerons
à l'avenir d'une loi d'indemnisation et non de responsabilité.
Son originalité est double. D'une part, au titre du droit à réparation, il
permet d'allouer des dommages et intérêts de plein droit aux victimes en cas
d'accident médical sans mise en cause des médecins ; d'autre part, il prévoit
le financement de la réparation par une prise en charge collective du risque
médical, qui confère un caractère social au dispositif.
J'ajoute que le dispositif de règlement amiable des accidents médicaux, même
si j'ai entendu le président de la commission des affaires sociales dire tout à
l'heure qu'il serait difficilement applicable, me paraît pertinent.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
On peut essayer !
M. Bernard Cazeau.
En effet, il laisse à la victime le choix entre la médiation et la voie
judiciaire.
J'avais l'intention d'intervenir sur l'arrêt Perruche, mais Michelle Demessine
a déjà dit beaucoup de choses et Jean-François Picheral va poursuivre après
moi. Je souhaite effectivement que l'on ne débouche pas uniquement sur une
logique juridique, comme ce fut le cas à l'Assemblée nationale ; je n'en dirai
pas plus.
Au terme de cette législature qui a vu bien des textes majeurs voir le jour en
matière sociale et sociétale, monsieur le ministre, on peut se féliciter que
soit enfin rassemblé dans un texte tout ce qui conditionne une relation moderne
entre le citoyen et la santé, et même entre le droit du citoyen à la santé et
le droit des médecins de se préserver d'une tendance à la judiciarisation.
Il faut espérer qu'en normalisant certaines pratiques et en réglant la plupart
des contentieux, nous éviterons de tomber dans la dérive du recours
systématique, tel qu'on la voit notamment aux Etats-Unis.
Monsieur le ministre, il reste cependant un droit qu'il faudra bien un jour
que le législateur prenne en compte, je veux parler du droit à une mort digne,
librement demandée.
Certes, le développement, sous votre autorité, des soins palliatifs a permis
déjà un premier pas, mais, en ce domaine, beaucoup reste à faire, d'autant que
certains de nos voisins, qu'il s'agisse des Pays-Bas ou de la Suisse, ont mis
en oeuvre des mesures législatives et que d'autres sont sur le point de les
limiter.
Il nous reste à espérer que, dans un avenir proche, nous saurons vaincre les
résistances qui sont encore fortes dans la société française et que nous
adopterons une législation qui permette à chacun, le moment venu, de bénéficier
de ce droit.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François Picheral.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes
donc aujourd'hui invités à discuter de la proposition de loi, présentée à
l'Assemblée nationale par mon ami Jean-François Mattei, le 10 janvier dernier,
et intégrée à ce jour au sein de cet ambitieux projet de loi relatif au droit
des malades et à la qualité du système de santé.
Fort opportunément, le Gouvernement a, en effet, choisi d'insérer dans son
dispositif ce texte amendé visant à répondre à la question qui avait été posée
par la Cour de cassation sur la réparation du préjudice constitué par le fait
d'être né handicapé.
Avec cet amendement inséré dans le projet de loi, il nous est donc proposé,
mes chers collègues, d'accroître non seulement l'efficacité pratique, mais
aussi la cohérence juridique du texte voté par l'Assemblée nationale.
Au préalable, il me paraît opportun de souligner combien il est pertinent
d'envisager ces questions dans le cadre plus général du projet de loi qu'il
nous est donné de discuter aujourd'hui.
Par ailleurs, et sans pour autant mener une politique de l'autruche, ce
problème demande que l'on agisse avec une très grande prudence.
Prudence, sagesse et recherche d'un consensus : voilà donc les mots qui
doivent dicter notre réflexion en ce domaine.
L'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 novembre 2000
avait déclenché une controverse très vive qu'il s'agit désormais d'apaiser.
Par un texte de compromis, un texte d'équilibre, il nous revient donc de
concilier des intérêts souvent antagonistes et contradictoires.
Toutes les parties dans ce débat s'accordent à reconnaître qu'il est
nécessaire d'assurer aux personnes handicapées et à leurs familles des moyens
matériels suffisants pour compenser les dépenses et les préjudices divers que
leur cause le handicap.
Parce qu'une société a le devoir de se révéler pleinement solidaire, nous
devons éviter d'ajouter au handicap des conditions de vie intolérables. C'est
d'ailleurs dans ce même esprit que la Cour de cassation avait, par son
désormais fameux arrêt Perruche, proposé d'apporter une solution face à ces
enjeux.
Or ceux que la Cour de cassation a voulu indemniser, les familles dans
lesquelles un enfant handicapé était né, ont incontestablement ressenti cette
décision comme un affront. Justifiée ou non, la réaction indignée et émue tant
des familles de handicapés que de certains professionnels de la santé devait
être entendue.
En outre, la reconnaissance, par la Cour de cassation, d'un préjudice
indemnisable causé à un enfant né handicapé a pu faire craindre l'émergence
d'un « droit à ne pas naître ».
De même, pour certains, et notamment par l'interprétation doctrinale dont la
décision a fait l'objet, indemniser l'enfant handicapé dans ce cas revenait à
consacrer l'eugénisme ou, du moins, son succédané.
Cependant, même si ces craintes ont pu paraître fondées sur certains aspects,
il convient désormais de les dédramatiser et de les relativiser.
En résumé, et au-delà des convictions éthiques et morales propres à chacun, il
est un fait que l'arrêt Perruche aura eu le mérite de poser le problème de la
place du handicap dans notre société, problème qui connaît une acuité toujours
plus grande.
Devant le tumulte occasionné, nos collègues de l'Assemblée nationale ont
adopté la formule désormais célèbre : « Nul, fût-il né handicapé, ne peut se
prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance ». Nous serons peut-être
amenés à modifier cette proposition.
Je me félicite, à ce titre, de la modification apportée par la commission des
lois du Sénat, qui a fort opportunément corrigé le texte en précisant qu'un
préjudice ne pouvait pas être constitué du seul fait de la « naissance
handicapée ».
Par ailleurs, s'il est apparu que la décision de la Cour de cassation a établi
un lien de causalité distendu permettant à l'enfant d'obtenir réparation alors
que ce lien n'existait qu'entre la faute avérée du médecin et le préjudice de
la mère, trois arrêts ultérieurs, de cette même juridiction, rendus le 13
juillet de l'année dernière, à propos de cas semblables, tout en confirmant le
principe dégagé par la jurisprudence Perruche, n'avaient, en l'espèce, pas
ouvert droit à indemnisation, notamment du fait de l'absence d'un lien de
causalité suffisamment étroit entre la faute et le préjudice de l'enfant.
Il semble donc que la Cour de casssation s'était fixé des règles strictes,
précisant ainsi les limites de sa première décision.
Visant à réaffirmer ces conditions limitatives, l'alinéa 2 de l'amendement
proposé par le Gouvernement et adopté par l'Assemblée nationale précise les
principes généraux du droit de la responsabilité en matière médicale.
De plus, il faut ajouter que, de jurisprudence constante, l'absence de
détection d'une anomalie foetale ne pouvait être en soi considérée comme
fautive. Toute erreur de diagnostic ne constitue donc pas automatiquement une
faute.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Bien sûr !
M. Jean-François Picheral.
Ainsi, afin de répondre aux professionnels de santé, qui craignaient à juste
titre que ne pèse sur leurs actes une obligation de résultat, le législateur a
redéfini la notion de faute médicale pouvant entraîner la mise en jeu de la
responsabilité des professionnels de santé.
Cette disposition, une fois encore, trouve donc un écho dans le corps du
projet de loi que nous examinons aujourd'hui, dont l'une des dispositions
réaffirme expressément qu'une simple obligation de moyen pèse sur les actes des
différents personnels de santé.
Enfin, l'amendement du Gouvernement tend à dégager un équilibre entre, d'une
part, la nécessaire prise en charge du handicap tout au long de la vie, dans
laquelle la solidarité nationale a un rôle prioritaire et principal à jouer,
et, d'autre part, le respect des principes fondamentaux du droit de la
responsabilité.
Pour ce faire, certains ici ont proposé que la réparation des parents ne
puisse être subséquente qu'à leur préjudice moral. Or, il ne fait aucun doute
que le préjudice ne peut être simplement qualifié de moral, au risque, sinon,
d'arriver à un dispositif contraire au principe d'une réparation de l'entier
préjudice qui a été évoqué tout à l'heure par notre collègue.
Il me semble, en outre, que cette restriction de l'action exercée par les
parents constituerait un retour en arrière, faisant fi de la question que nous
posaient les juges de la Cour de cassation et, avec eux, tous ceux pour qui la
prise en charge de la vie handicapée est loin d'être satisfaisante.
Le texte voté par l'Assemblée nationale nous semble, en revanche, une base
solide pour une réflexion encore en devenir.
Nos collègues de la commission des lois, afin d'améliorer le dispositif ainsi
adopté, tendent à le préciser. Ainsi, en cas de faute médicale n'ayant pas
permis de déceler un handicap pendant la grossesse, une indemnité correspondant
aux charges particulières du handicap pourra-t-elle être allouée aux parents
qui auront agi à ce titre. Bien évidemment, cette action reste soumise aux
conditions du droit de la responsabilité médicale en vigueur, notamment
l'existence d'une faute, dont il conviendra ou non de déterminer la nature.
Les précisions devront être, de toute façon, discutées ultérieurement au cours
de l'examen des amendements.
Le but visé est, en tout état de cause, de ne mettre à la charge des
praticiens que la part des charges matérielles résultant du handicap qui n'est
pas assumée au titre de la solidarité nationale.
L'articulation de cette disposition avec les termes de l'article 59 permet
d'incarner au mieux l'exigence d'un équilibre à trouver.
La mise en place d'un bureau central de tarification, dont le rôle exclusif
est finalement de fixer le montant de la prime en vue de garantir le risque, se
présente dès lors comme le pendant objectif d'une solidarité nationale à mettre
véritablement en oeuvre dans la prise en charge du handicap.
Pour finir, il est bien évident que cette recherche d'un consensus auquel nous
devrions parvenir, je l'espère, au terme de cette semaine, s'inscrit
immanquablement dans une politique globale du Gouvernement en faveur des
personnes handicapées. C'est là une autre cohérence qu'il convient ici de
souligner.
Cette politique est fondée sur le principe que la personne handicapée ne peut
construire un projet de vie autonome sans que soient prévus non seulement une
prise en charge précoce et convenable des familles et de leurs enfants, de leur
scolarisation jusqu'à l'emploi, mais aussi l'accessibilité du logement, celle
des transports ou encore l'adaptation de l'environnement urbain. Tout cela vise
à faire de la personne handicapée un citoyen à part entière. De nombreux
intervenants l'ont dit ce soir.
Tel est le sens des deux plans pluriannuels décidés par le Gouvernement en
début de législature. Tel est également l'objectif qui devra présider à la mise
en oeuvre prochaine de la révision de la loi d'orientation du 30 juin 1975 sur
le handicap.
Le travail n'est certes pas achevé, mes chers collègues, notamment en ce qui
concerne les centres d'aide par le travail pour les adultes handicapés, mais la
volonté politique est là, et tend, notamment grâce à ce projet de loi, à
améliorer l'ensemble du dispositif de prise en charge du handicap.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du groupe communiste républicain et citoyen. M. le rapporteur pour avis
applaudit également)
.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs,
mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai écouté avec une grande attention
l'ensemble des interventions sur ce projet de loi relatif aux droits des
malades et à la qualité du système de santé.
Je ferai d'abord remarquer, répondant de façon peut-être un peu télescopique à
plusieurs observations, que si l'intitulé de ce projet de loi, initialement
appelé texte de modernisation du système de santé, a été changé, ce n'est pas
par malice, comme je l'ai entendu dire de façon excessive
(M. le président
de la commission des affaires sociales sourit)
, mais tout simplement pour
éviter que l'on ne confonde ce projet avec le texte de modernisation
sociale.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Voilà !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Sur le fond, c'est toujours le même texte. Le terme de
modernisation avait ma préférence puisque c'était celui que nous avions
initialement choisi, mais nous avons ensuite pensé qu'entre les deux textes
l'intitulé pouvait prêter à confusion.
Vos interventions ont été riches et constructives ; je vous en remercie.
Certaines ont été excessives ; je ne sais si je dois vous en remercier !
(Sourires.)
Je suis convaincu, en effet, que la discussion, telle qu'elle s'est engagée
dans cet hémicycle, qui a été d'une grande qualité, passionnante sur l'ensemble
des sujets portés par ce projet, servira notre système de soins, les personnes
malades, ainsi que le personnel médical.
J'ai entendu un certain nombre de compliments, beaucoup de critiques, bien
sûr, dont certaines sont sans doute justifiées. Je sais que ce texte n'est pas
parfait. Il a été amélioré par l'Assemblée nationale et il le sera de nouveau
au Sénat, grâce à vous. Ainsi en est-il du processus d'élaboration d'un texte
qui, je crois, est très attendu et dont, je le répète non pour m'en vanter,
j'avais rédigé certaines parties en 1992. C'est vous dire la lenteur, certes,
de ce gouvernement, mais aussi de beaucoup d'autres !
J'ai été attentif à vos propositions et nous en discuterons dès demain. Nombre
d'entre elles qui visent à améliorer le texte et à le compléter me paraissent
devoir retenir l'attention et sans doute être acceptées.
Je vais m'efforcer de répondre sur les principaux points qui ont été
soulevés.
Monsieur le rapporteur pour le titre Ier, vous vous êtes demandé si ce texte
va contribuer à apaiser les esprits. Vous avez exprimé vos doutes sur ce point
et vous avez un peu raillé, mais avec gentillesse, la fiction de la démocratie
sanitaire.
Je ne crois pas qu'à lui seul ce texte puisse apaiser toutes les angoisses des
uns et des autres. Et pour répondre très concrètement à vos nombreuses
interrogations, notamment à celle qui a été formulée par Mme Demarescaux et M.
Murat, je dirai que ce texte n'a pas vocation à répondre aux mouvements
sociaux. D'ailleurs, pour avoir été pendant presque dix ans ministre « du même
métal », je peux vous assurer que des mouvements sociaux, dans le monde de la
santé, il y en a tous les jours et que si, à chaque fois, vous deviez
légiférer, vous y seriez encore...
J'ai dit ici - peut-être, madame, ne m'avez-vous pas entendu ? - que j'étais
très attentif, parfois au point d'en être bouleversé, à l'anxiété qui s'exprime
aujourd'hui dans les mouvements sociaux. Cette anxiété puise ses racines dans
la différence, qui s'accentue, entre la médecine généraliste pratiquée dans nos
villes et plus encore dans le milieu rural et la médecine hospitalière, qui
dispose de plateaux techniques, de nouveaux appareillages, d'une précision dans
chaque discipline, chaque spécialité. Ce sont presque deux mondes
différents.
J'essaye de rééquilibrer la situation. Cela ne transparaît pas dans ce texte,
dont ce n'est pas l'objet, mais vous avez sans doute suivi les actions que nous
avons menées en aval et en amont, c'est-à-dire en termes de formation.
Désormais, les médecins généralistes seront formés par l'internat, ce qui va
changer les choses. Nous disposerons de réseaux, en aval, et, entre-temps, nous
allons constituer des équipes médicales et développer la présence de ceux que
j'appelle « les praticiens à temps partiel ». Certes, ce n'est pas parfait -
j'ai entendu les remarques concernant les praticiens à temps partiel et les
praticiens à temps plein - mais il n'empêche que le système, je l'espère,
bénéficiera d'une plus grande unité.
J'admets ne pas répondre aux questions de l'heure, et je n'entendais pas le
faire ce soir. Je crois qu'une question sera posée demain à ce propos dans le
cadre des questions d'actualité au Gouvernement et je m'efforcerai d'y
répondre.
Pour le reste, je crois qu'il est difficile de demander tout et son contraire.
Je pense avoir été depuis dix ans - et certains s'en souviennent - assez
constant dans mes demandes. Je pense que si nous ne parlons pas du financement
du système de santé, nous ne parlons de rien. Si nous n'en parlons pas, alors
épargnez-moi, je vous prie, la litanie de vos demandes auxquelles je ne peux
apporter aucune réponse ! Si vous me dites qu'il n'y a que 45 000 postes et
qu'il en faudrait 90 000, je vous répondrai : « D'accord, mais comment les
finançons-nous ? » Et, s'il vous plaît, n'en appelez pas toujours à l'Etat !
Dans notre système, à moins de le changer - ce dont je suis infiniment
partisan mais ce changement n'est pas pour demain -, nous avons la CNAM, dont
les fonds proviennent de la cotisation sociale généralisée et des cotisations
patronales, ce qui n'a rien à voir avec l'argent de l'Etat. Sur ce point, de
grâce, arrêtons de nous voiler la face !
Ou alors, on change de système ! Pour ma part, je suis partisan du changement,
mais ne prenons pas exemple, oserais-je dire, sur l'Angleterre, ne nous
tournons pas vers des systèmes pires que le nôtre ! On change pour le mieux,
mais dans ce cas, à un moment donné, nous aurons évidemment à poser la question
à ceux qui paient, c'est-à-dire tous les Français, de savoir s'ils acceptent de
payer un peu plus.
Dès lors qu'ils seront informés, je crois que les Français répondront par
l'affirmative, et l'on en revient là, messieurs les rapporteurs, à
l'information : plus on informe les patients et mieux ils collaborent avec les
médecins.
Cependant, ne me demandez pas de mettre un litre et demi dans un litre,
c'est-à-dire l'impossible, tout en me reprochant de ne pas y parvenir !
La santé coûte cher, et elle coûtera de plus en plus cher. Arrêtons d'ailleurs
de nous raconter des histoires : il n'y a pas d'économie en matière de santé.
On peut, évidemment, gommer les redondances, accroître l'harmonisation...
Savez-vous qu'il y a 120 mouvements d'harmonisation dans nos hôpitaux ? Cela
peut paraître suffisant, mais ça ne l'est pas ! Nous avons 4 000 établissements
de santé pour 60 millions d'habitants, alors que l'Italie, pour la même
population, en a 1 000. Certes, ce ne sont pas les mêmes pays. Cela tombe bien
d'ailleurs : les malades italiens viennent se faire soigner en France !
Même si je ne veux pas parler trop longtemps - j'en suis cependant très
capable, car c'est un sujet que je commence à connaître - et même si ce n'est
pas l'objet de ce projet de loi, comme vous me faites des reproches, je suis
obligé de redire, non pas pour me défendre, car je ne me sens pas attaqué -
quoique vos reproches soient parfois très injuste -...
M. Bruno Sido.
Passons...
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
... que c'est le même ministre qui fut humaniste, et
que c'est le même humaniste qui est ministre. Je vous l'assure, je n'ai pas
changé.
En tout état de cause, si l'on veut modifier le système en tenant compte de
tous les excellents exemples que vous avez cités, - à cet égard, j'ai été très
sensible aux propos de M. Murat même si, heureusement, la lettre de réponse
présente sous un jour un peu meilleur la radiothérapie à Brive-la-Gaillarde -
ne nous trompons pas les uns les autres.
J'ai, par exemple, changé le mode de répartition des IRM, et je vais essayer,
car nous avons, en effet, un retard à rattraper, de procéder au remplacement de
tout l'appareillage de radiothérapie. Mais qui paie ? Pas le Gouvernement !
C'est vous qui payez ! Ce sont les Français !
Veulent-ils donner plus ? Posons-leur la question mais, surtout, informons-les
!
C'est dans la transparence absolue, dans une espèce de permanence de la
dépense et de ses ajustements nécessaires - à quoi sert l'argent, où va-t-il ?
- que nous pourrons, avec eux - c'est eux qui décideront, ce n'est pas moi -,
décider d'eventuelles augmentations.
D'ailleurs, l'augmentation annuelle des dépenses n'est pas considérable. Mais
évidemment, au bout du compte, on arrive quand même à une progression qui se
fait, de toute façon, sur fond de grogne et de manifestations sociales
permanentes.
Je suis infiniment partisan de ce système et infiniment partisan, non pas de
détruire le paritarisme à la française, qui s'est d'ailleurs détruit lui-même,
d'une certaine façon - pardonnez-moi de rappeler que le patronat n'en fait plus
partie... - mais de le maintenir en y donnant une place aux associations de
malades ainsi qu'aux professionnels de santé. C'est ce que je fais à ce niveau,
dans ce texte. Ainsi, nous parlerons de la même chose.
Quant aux urgences, certains ont pris l'exemple des brancards dans les
couloirs des hôpitaux. Croyez-vous que cela m'amuse de voir les brancards dans
les couloirs, moi qui y passe mes nuits ?
Savez-vous ce qui se passe dans les hôpitaux ? On considère que les malades
des urgences ne sont ni de gentils ni de beaux malades : ce sont des malades
pauvres, des mauvais malades dont personne ne veut. Dans le plus grand hôpital
de France, il faut aussi le savoir, il n'y a que trois services qui acceptent
les malades des urgences.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Bien sûr !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
J'ai organisé des réunions pour convaincre les services
d'accueillir les malades des urgences plutôt que de les laisser dans les
couloirs. Eh bien, cela ne marche pas !
Je suis évidemment d'accord pour reconnaître qu'il y a un manque de personnel.
L'entrée en vigueur des 35 heures, dans les hôpitaux, au 1er janvier, ne s'est
pas accompagnée de la mise à disposition de la totalité des effectifs
nécessaires. Cela, ce n'est pas possible. Nous ne changeons pas le
fonctionnement actuel, avec le compte épargne-temps. Mais nous créons 45 000
emplois ; je dis bien 45 000 emplois en plus ! Et vous me dites que ce n'est
pas assez ! Je précise qu'ils s'ajoutent aux 20 000 qui manquaient auparavant.
Je rappelle que 26 436 infirmières sont actuellement en formation dans ce pays
et qu'il n'y en a jamais eu autant. Peut-être n'est-ce pas assez, mais c'est en
tout cas beaucoup plus qu'auparavant et c'est quand même 8 000 de plus que l'an
dernier !
La notion de démocratie sanitaire, n'est pas une mauvaise idée ; elle est
nécessaire. Je suis d'accord pour dire que les malades n'ont pas que des droits
; ils ont aussi des devoirs. Mais, comme Bernard Cazeau l'a dit, dans les
devoirs, il faut aussi inclure le devoir d'information de notre part envers les
patients, ceux qui attendent.
Vous le savez, le mot « patient » fait depuis longtemps l'objet de
discussions. « Patient », cela veut dire : « j'attends ». Mais, aujourd'hui,
les malades ne l'entendent plus ainsi. Moi, je préfère dire « personne malade
». Je conviens que le mot « usager » n'est pas brillant, tout en sachant que
notre système a un aspect de consumérisme dont je ne suis pas très satisfait.
Alors, disons plutôt « personne malade ».
Quoi qu'il en soit, celles-ci doivent être informées, afin qu'elles sachent
qu'il ne faut pas « tirer sur la corde » en permanence, au risque de la casser,
ni accuser sans cesse le Gouvernement de ne pas en faire assez. Croyez-moi, si
je le pouvais, je ferais davantage, mais c'est de l'argent de
l'assurance-maladie qu'il s'agit, et non pas des finances du Gouvernement.
Ainsi, que l'on ne me dise pas non plus, comme souvent, qu'il faut renoncer à
construire un porte-avions ! Cela n'a rien à voir ! Ou alors, changeons les
règles du jeu, et décidons que le budget de l'Etat financera les dépenses de
santé. Ce serait peut-être plus facile, même si pour ma part je ne le crois pas
; en tout cas, cela représenterait à mes yeux un terrible retour en arrière.
Tout le monde le sait, arrêtons de nous voiler la face !
Je voudrais maintenant évoquer la relation particulière qui se noue entre le
malade et son médecin.
Je ne souhaite pas bouleverser cette relation ; je veux seulement tirer les
conséquences des évolutions des mentalités. La confiance est essentielle, je
crois l'avoir déjà suffisamment souligné. Si elle n'existe pas, la relation
médecin-malade ne pourra qu'en pâtir gravement, mais je suis comme vous tout à
fait persuadé que l'information des patients permettra de la renforcer ou de la
rétablir.
En effet, les personnes malades nous disent avec force qu'elles en ont assez
que l'on se mette systématiquement à leur place. Il s'agit d'adultes - le cas
des enfants pose un autre problème - en mesure de s'informer. M. Cazeau a
souligné que cette information ne devait pas être assurée par les laboratoires.
Je suis tout à fait d'accord avec lui, et je relève d'ailleurs avec
satisfaction que la presse professionnelle a beaucoup évolué. Cependant, quand
on lit cette presse, on constate que transmettre l'information aux médecins est
très difficile.
A cet égard, j'évoquerai avec précaution deux exemples.
Tout d'abord, j'ai essayé de mettre en oeuvre un plan permettant de réduire
quelque peu le recours à l'antibiothérapie dans notre pays, celle-ci induisant
d'importantes résistances microbiennes.
Or les médecins m'ont répondu qu'ils savent quand il convient de prescrire des
antibiotiques et que les injonctions ministérielles ne sont pas utiles.
J'accueille leur réaction avec respect, mais l'on voit que l'information est
difficile à faire passer !
Par ailleurs, nous avons entrepris une campagne de vaccination contre la
méningite dans le Puy-de-Dôme, qui n'est pas encore achevée. Des médecins
généralistes m'ont adressé des protestations véhémentes, se plaignant de ne pas
avoir été informés et de ne pas être en mesure de répondre aux questions qui
leur sont posées. Mais comment voulez-vous que nous communiquions avec chacun
des médecins ! Disposer d'un réseau internet serait nécessaire, et nous allons
d'ailleurs le mettre en place, mais un certain nombre de syndicats médicaux ont
refusé, dans le passé, de participer à la création d'un réseau « santé sociale
».
Par conséquent, que puis-je faire ? Les méningites sont quand même largement
étudiées au cours de la formation médicale ! Cela étant, je reconnais qu'un
effort de pédagogie aurait dû être consenti s'agissant de la vaccination. J'ai
présenté des excuses aux médecins sur ce point, mais je ne sais comment
procéder.
Il en va de même pour les patients : leurs médecins devraient leur parler
beaucoup plus, dans la transparence, mais il faudrait pour cela que ces
derniers soient moins accablés de travail. Bien entendu, multiplier les actes
ne leur permettra pas de dégager du temps. On me dira qu'il faut revaloriser
les actes, or c'est justement ce que nous venons de faire. Ce n'est pas
suffisant, mais rien n'est jamais suffisant !
(M. Francis Giraud,
rapporteur, sourit.)
La revalorisation représente 3 000 francs de plus par mois et par médecin.
Peut-être n'est-ce pas assez, mais quand même ! Je vous donnerai des chiffres à
cet égard.
En matière de sémantique, le terme d'usager suscite des interrogations. L'acte
médical serait-il devenu une simple prestation de service ? Je ne le crois pas.
Cependant, la relation entre le médecin et le malade a évolué et nous devons en
tenir compte. Le terme d'usager, que je n'aime pas, indique d'abord que tous
ceux qui s'adressent au système de santé ne sont pas des malades, ni même des
patients. Des personnes vont consulter, et les choses se passent désormais
ainsi : un bilan est fait, et cela ne signifie pas forcément que l'on soit
malade. Cela étant, consulter un médecin, ce n'est bien sûr pas comme aller au
supermarché. Personne ne prétend cela.
De nombreux amendements ont été déposés, et j'ai beaucoup apprécié les
remarques qui ont été formulées à propos des titres Ier et II.
Je voudrais d'ailleurs évoquer au passage la réforme du conseil national de
l'Ordre des médecins. Elle a été décidée après concertation avec ledit conseil
et son président,...
M. Jean-François Picheral.
Oui !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
... qui a changé depuis, sans que cela modifie les
conclusions auxquelles nous avons abouti. Que voulez-vous que je fasse de plus,
mesdames, messieurs les sénateurs ? Que vous appeliez cette instance « conseil
» ou « ordre » n'a guère d'importance à mes yeux
(Sourires),
mais je
tiens à la réforme. Vous choisirez la dénomination qui vous conviendra, mais
établir une correspondance entre le mot « patient », à connotation de
passivité, et le mot « ordre », qui évoque une certaine fermeté, ne me semble
plus de mise aujourd'hui : il ne s'agit plus de patients, et l'on ne peut plus
donner d'ordres.
MM. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociale,
et M. Francis Giraud,
rapporteur.
On rédige des ordonnances !
(Rires.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je vous l'accorde ! Mais il s'agit surtout, pour les
médecins, de conseiller : on voit bien dans quel sens évoluent les mentalités.
Ce n'est pas une simple question de sémantique.
Je voudrais maintenant indiquer à M. Dériot que j'accepte ses critiques sur le
manque de cohérence du titre II du projet de loi.
(Exclamations amusées au
banc de la commission.)
Ce titre regroupe en effet des dispositions
diverses. Cependant, celles-ci ont pour point commun de viser à améliorer la
qualité du système de santé et à moderniser celui-ci.
Quoi qu'il en soit, j'ai été très attentif à ce que ce titre ne se transforme
pas en un texte portant diverses mesures d'ordre social par le biais d'un ajout
inconsidéré de dispositions étrangères à son objet. J'estime donc qu'il
manifeste une certaine cohérence, même si je ne suis sans doute pas parvenu à
aller jusqu'au bout de mes intentions à cet égard.
M. Lorrain a quant à lui minutieusement décrit le dispositif et les raisons
qui nous ont poussés à légiférer. J'ai compris, monsieur le rapporteur, que
vous approuviez la philosophie générale du texte, et les amendements que vous
comptez soutenir sont loin de me choquer.
Je répondrai à votre intervention plus longuement demain, à l'occasion de la
discussion des articles, mais j'ai relevé que vous avez regretté, comme nombre
de vos collègues, qu'aucune réponse ne soit apportée aux victimes de l'hépatite
C.
Vous connaissez mon sentiment à ce propos : le texte prévoit une prise en
charge incomplète et insuffisante, certes, mais instaure l'inversion de la
charge de la preuve et permet de faciliter les recours introduits devant les
tribunaux.
C'était la seule solution envisageable, car aucun gouvernement n'aurait pu
accepter, à l'heure actuelle, de mobiliser 25 milliards de francs à ce titre.
La dépense sera néanmoins importante puisque l'assurance-maladie apporte son
concours financier à la transfusion sanguine.
Je suis très peiné de ne pas avoir réussi jusqu'à présent à traiter ce
problème, mais je m'y efforce depuis 1992. Je me souviens parfaitement que
Simone Veil et Philippe Douste-Blazy m'avaient dit, à leur arrivée au
gouvernement, qu'ils reprendraient mon texte à leur compte. Ils ne sont pas
parvenus à régler la question, et il devait en aller de même pour moi bien plus
tard... Nous avons beaucoup travaillé avec les associations qui ont été citées,
en particulier avec les victimes de l'hépatite C. Nous avons abouti à la
conclusion que cette manière de procéder permettrait tout de même non seulement
de faire avancer les procédures contentieuses, mais surtout de les éviter.
Croyez que je le regrette autant que vous, mais telle est la réalité. Aller
plus loin nécessiterait des dépenses considérables. L'inversion de la charge de
la preuve constituera tout de même un progrès.
J'ai été très sensible aux interventions de M. le président de la commission
des affaires sociales et de Mme Demessine. En outre, j'ai été impressionné par
le niveau du débat relatif à l'arrêt Perruche.
Quant à M. Fortassin, il a évoqué la relation entre le médecin et le malade,
le dossier médical et l'effort à consentir en matière de transparence. Que je
sache, mesdames, messieurs les sénateurs, la consultation du dossier médical
n'est pas une obligation ! Je comprends très bien vos objections, s'agissant en
particulier de la psychiatrie.
Ainsi, nous avons élaboré ce texte en concertation avec les associations de
malades psychiatriques et de familles de malades psychiatriques. Ces personnes
veulent pouvoir dialoguer avec les médecins et accéder à ce document
mystérieux, voire tabou, qu'est le dossier médical. C'est une volonté unanime
de leur part et, dans tous les autres pays, les progrès des relations entre
médecins et malades ont permis une telle évolution.
Nous n'y échapperons donc pas, mais je sais très bien, cela étant, qu'un
certain nombre de détails, d'explications et de réflexions ne peuvent être
communiqués. Par exemple, les notes des médecins ne doivent pas être transmises
aux malades, cela va de soi. Cependant, la façon de rédiger le dossier
évoluera, et l'amélioration de l'écriture médicale représentera un progrès pour
tous.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
C'est sûr !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je parle non seulement de l'écriture cursive,
c'est-à-dire des pleins et des déliés, mais aussi de l'écriture médicale, les
choses doivent être dites simplement, sans « diafoirusades ». Tout cela est
fini ! Une émission de télévision permet à un malade d'obtenir des informations
qu'il demande à son médecin de préciser le lendemain. Ce dernier, qui n'a pas
eu le temps, car il travaille beaucoup, de regarder ladite émission, n'est pas
en mesure de le faire. Et je ne parle pas d'internet ! Lorsque apparaît le
moindre espoir de phase 2 ou de phase 3 dans l'expérimentation d'un médicament,
les malades atteints d'un cancer ou du sida en sont informés avant tout le
monde, parce qu'ils sont attentifs à tout ce qui a trait à leur maladie.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Bien sûr !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
C'est d'ailleurs très bien ainsi ! Je sais qu'un
certain nombre d'adaptations seront nécessaires, et j'ai été sensible à
l'argument employé par M. Jacques Blanc, s'agissant de la lettre de M. Pierre
Godeau. J'ai pour ce dernier une vive admiration, mais on ne devra plus écrire
en trois temps les dossiers médicaux. C'est fini ! Ce temps est révolu ! Si le
médecin a des réflexions à consigner, il le fera sur son carnet personnel.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Absolument !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
De plus, Pierre Godeau, très grand spécialiste de la
médecine interne, avait des patients très difficiles. On le consultait lorsque
le diagnostic était délicat et que la démarche à entreprendre était très
incertaine. Dans son cas, il était donc légitime qu'il ne souhaite pas livrer
certaines explications ou hypothèses. Je le comprends très bien.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Il ne faut pas
communiquer aux patients les cahiers des externes !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
C'est certain !
M. Jacques Blanc a également demandé l'installation d'un médiateur des
hôpitaux. C'est inutile ! Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, il existe
déjà des médiateurs dans les hôpitaux. Ce dispositif ne fonctionne d'ailleurs
pas très bien : cela dépend de l'hôpital, de son directeur, etc.
Pour ma part, je souhaite l'instauration d'un défenseur des droits des malades
qui soit une référence et qui dispose simplement d'un bureau à la direction
générale de la santé, pas davantage ! Je n'ai nullement l'intention de mettre
en place une infrastructure similaire à celle dont bénéficie le Médiateur de la
République. Sûrement pas ! Je reçois trois mille lettres de doléances par mois
: il suffit que quelqu'un puisse répondre au courrier et téléphoner à la
commission régionale ou à un directeur d'hôpital au nom de la direction
générale de la santé, afin d'essayer de régler les problèmes. C'est tout ! Ce
défenseur des droits des malades disposera de très peu de moyens, mais il devra
avoir la confiance du corps médical.
S'agissant encore du droit d'accès au dossier médical pour le malade, je
répète que l'on peut très bien choisir de ne pas savoir. Ainsi, dans les
services d'éthique clinique qui sont notre modèle, en particulier à l'hôpital
de Chicago, les malades ne demandent pas beaucoup plus qu'auparavant à
consulter leur dossier. Il ne faut pas s'attendre à une ruée subite ! Dans la
plupart des cas, le rapport établi entre le médecin et le malade suffira. De 10
% à 20 % au maximum des patients souhaiteront accéder à leur dossier médical.
Ils seront alors accompagnés par leur médecin de famille ou par une autre
personne, afin qu'ils ne découvrent pas seuls le contenu du dossier. Il s'agit
de prévenir l'apparition d'une angoisse excessive pouvant mener au suicide :
nous avons tous connu des exemples de cet ordre.
Par ailleurs, tous les orateurs m'ont interrogé sur la démographie médicale,
qui ne concerne cependant nullement les droits des malades. Sachez que se
tiendra le 4 mars prochain, au ministère de la santé, avenue de Ségur, une
journée sur la démographie médicale. J'espère que tous les syndicats y
participeront. Des groupes de travail seront formés pour conduire la réflexion.
Nous avons déjà rédigé deux documents sur ce thème, et je sais très bien que
les difficultés seront très grandes à partir de 2015 ou de 2020. Nous devrons
absolument y parer. Savez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, combien
d'internes ont choisi la chirurgie à Paris ce semestre ? Trois ! Et à Lyon ?
Zéro ! Il ne suffit pas de décider de former des chirurgiens. Il faut que les
métiers pénibles soient choisis par les étudiants, qui ont singulièrement
changé, croyez-moi ; je les ai beaucoup rencontrés. Il faut que l'attractivité
du métier soit assurée.
M. Gérard Dériot,
rapporteur.
D'accord !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Nous sommes d'accord sur ce point. Comment puis-je le
faire ? Avec vous tous, car je ne pourrai jamais le faire seul. En effet, ils
ne doivent pas tous choisir la dermatologie. Je n'ai rien contre la
dermatologie ; elle ne me donne pas de boutons, si je puis dire.
(Sourires.)
Pardonnez-moi, c'était pour vous détendre !
La revalorisation du prix des consultations représente 3 000 francs de plus
par mois. Certes, il y a encore un malaise. Je le déplore. Je veux y mettre un
terme et je vais prendre quelques initiatives à cet effet.
M. Alain Vasselle n'est plus là. C'est dommage car j'aime bien lui répondre.
(Sourires.)
Je le ferai demain.
La loi de 1975, il faut bien sûr la réviser. Personne ne l'a fait.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Nous le ferons !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Nous devons le faire, mais je ne sais pas quand !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Là ! Mettons-nous au
travail !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
En tout cas, on s'attache à le faire.
Monsieur Fischer, nous avons créé un groupe de travail avec les sociétés
d'assurance, qui a très bien fonctionné, sous la direction de Jean-Michel
Belorget, et que je rencontre à peu près chaque mois. Nous avons beaucoup
avancé. Désormais, les choses se présentent bien.
S'agissant des indemnités en fonction des incapacités, se posent encore des
problèmes. Nous arriverons à les résoudre. Il y aura non seulement une
obligation d'assurance, mais également une possibilité d'assurance. Il faudra
prévoir un plafond, car, à partir d'un certain montant, la cotisation est trop
importante. Nous avançons.
Concernant la convention, le processus conventionnel a duré deux ans et se
poursuit. La commission de suivi s'est fixé un programme de travail qui vise à
faire évoluer le dispositif.
Le défenseur des droits des malades, j'en ai parlé, monsieur Fischer, c'est un
facilitateur, et rien de plus. Il ne s'agit absolument pas d'une nouvelle
agence.
Quant au DES de gynécologie médicale, que puis-je faire ?
(Sourires.)
M. Gérard Dériot,
rapporteur.
Dites-le nous !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Vous vous trompez tous : c'est fait ! De surcroît, cela
a été fait contre mon gré. J'ai eu une migraine en séance publique à
l'Assemblée nationale, les psychosomaticiens qui siègent ici comprendront.
(Sourires.)
Les gynécologues m'ont « filé » la migraine. J'étais vert,
j'en avais absolument assez. J'ai dit : réglons ce problème ! Je voulais, comme
les gynécologues-obstétriciens, instituer un tronc commun après lequel on
s'orienterait vers la gynécologie médicale ou vers la gynécologie-obstétrique.
Mais je n'ai rien compris à ce qui se passait. Il y a non pas deux certificats
sur un diplôme, mais deux diplômes : l'un de gynécologie médicale et l'autre de
gynécologie-obstétrique. C'est très clair !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Et plus personne ne
veut faire de gynécologie-obstétrique.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Non !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
La gynécologie
médicale, c'est tellement plus calme !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
C'est peut-être plus calme, mais la vocation
chirurgicale demeure. Cette année nous avons ouvert à l'internat - il faudra
que je vérifie les chiffres - quarante ou soixante postes en gynécologie
médicale. Sauf erreur de ma part, il y aura cent vingt postes en
gynécologie-obstétrique. Donc, nous ne perdons pas de vue les nécessités.
Avançons.
Monsieur Fischer, j'ai déjà répondu sur l'hépatite C.
Madame Campion, vous avez rappelé l'implication du Premier ministre, et je
vous en remercie. C'est à partir des Etats généraux de la santé que tout s'est
mis en place. Ces Etats généraux, au-delà des dispositions du présent projet de
loi, exigeaient qu'on se préoccupe des droits des malades.
Il faut insister, comme vous l'avez fait, pour permettre au malade de
s'approprier ce qui concerne sa santé, car c'est aussi s'assurer de sa
confiance. J'en suis persuadé et vous l'avez souligné à juste titre.
Vous souhaitez, madame, la mise en place d'un dispositif de suivi du
certificat de gynécologie médicale. C'est de la suspicion. Faut-il suivre tous
les certificats ? Cela ne me semble pas nécessaire. Il faut préciser, si vous
le souhaitez, qu'il s'agit d'un DES de gynécologie médicale.
M. Guy Fischer.
Voilà !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
C'est fait. Après, laissons-le vivre. Ce qu'il faut,
c'est créer des postes d'enseignants. En effet, nous ne les avons pas et
l'enseignement de la gynécologie médicale va être une autre paire de
manches.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
C'est vrai !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
C'est la raison pour laquelle je voulais qu'il y ait un
tronc commun. Comment va-t-on faire ? Je me suis laissé dépasser par les
événements. Que va-t-il se passer s'il n'y a pas de lieu pour faire des stages
? L'animosité ayant été un peu réduite par le vote unanime de l'Assemblée
nationale - j'espère un vote unanime du Sénat - la situation semblait
s'arranger, mais on n'a pas créé de postes pour autant.
M. Gérard Dériot,
rapporteur.
C'est tout le problème !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Or, il faut de l'enseignement.
Madame Campion, je vous remercie d'avoir rappelé les dispositions relatives à
la douleur et aux soins palliatifs. Elles s'inscrivent dans le droit-fil de ce
que j'ai dit précédemment.
Madame Desmarescaux, vous n'avez pas été gentille, mais il est vrai que vous
n'étiez pas là pour ça.
(Sourires.)
Où avez-vous trouvé que je veux
nationaliser la médecine libérale ? C'est le contraire de ma pensée. Mon
expression a peut-être été vague ou confuse, mais je n'ai jamais dit cela.
L'intérêt de notre système de santé, c'est sa dualité : il y a un système
libéral et un système hospitalier. Personne ne veut changer ce dispositif. Les
médecins généralistes voulaient 20 euros, ils ont eu 18,50 euros, c'est-à-dire
3 000 francs de plus par mois.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Encore un petit effort
!
(Sourires.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Ils auront leurs 20 euros. Quand ? Je n'en sais rien !
(Nouveaux sourires.)
Ils auront même plus de 20 euros.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Adopté !
(Sourires.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
En effet, après 20 euros, ils en demanderont 22. Il en
va toujours ainsi. La Caisse nationale d'assurance maladie, qui négocie à
partir d'aujourd'hui avec les infirmières libérales, doit trouver des
ressources pour tout le monde. Comme vous n'avez pas voulu, avec moi, changer
le système et que celui-ci est toujours financé par l'assurance maladie qui
provient de nos concitoyens, on ne peut pas inventer l'argent. Je comprends,
bien sûr, ce qui se passe dans la profession, surtout pour les généralistes.
Mais la solution ne réside pas uniquement dans la revalorisation du prix de la
visite, elle réside aussi dans la manière d'exercer leur métier.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Sûrement !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Nous allons essayer ensemble de la leur procurer.
Ainsi, ils auront plus de temps pour les malades et pour eux-mêmes. En effet,
ils n'aiment pas cette sorte d'augmentation de la fréquence des visites et des
consultations, et ils ont raison.
Certains développent l'argument selon lequel le montant de 18,50 euros ne fera
pas baisser la fréquence des consultations. Je ne sais pas où l'on va.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
C'est adopté. N'en
parlons plus !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Madame Desmarescaux, vous dites que ma conception
manque d'humanité. La plupart du temps, on me reproche plutôt d'être
humanitaire. Vous n'avez sans doute pas vraiment lu le texte. En effet, il fait
preuve d'une certaine humanité. Il a été débattu avec cent organisations, qui
ont constitué notre pool de travail durant un an, sinon pendant trois ans.
Quand on a commencé à écrire ce projet de loi, je partais pour le Kosovo, autre
exercice humanitaire.
Je l'ai déjà dit : les personnes malades ne sont ni des usagers ni des
patients et elles ne doivent pas recevoir des ordres.
M. Barbier, entre le
french doctor
et le ministre, il n'y a pas
l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette. Les
french doctors
, qui
ont d'ailleurs oublié que j'étais leur fondateur, détestent bien sûr le
ministre. Quant au ministre, il n'a pas oublié les
french doctors
. Pour
vous en convaincre, vous pourrez vous procurer la dépêche qui a fait état de la
création non pas de « Médecins sans frontières » mais de « Malades sans
frontières », il y a deux jours, à Genève. En effet, nous avons commencé, avec
le Fonds mondial pour le sida - la France doit en être fière -, à traiter les
malades par trithérapie en Afrique. Il s'agit d'une simple incidente. Je ne me
suis pas senti blessé. Aussi, je n'ai pas besoin de prouver que je n'ai pas
changé.
Selon vous, j'aurais dit que le malade était humilié. Votre affirmation ne me
plaît pas. En effet, je n'ai jamais dit cela. Le malade n'est pas humilié quand
il entre à l'hôpital, il est affaibli et diminué parce qu'il est malade. Il
n'est pas humilié par le service hospitalier. Si je me suis mal exprimé, je
vous prie de m'en excuser.
M. Gilbert Barbier.
Vous avez utilisé le mot « humilié » !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Si l'humiliation est ce qu'il ressent, alors je suis du
côté du malade humilié, comme je suis du côté de tous les humiliés.
Vous avez employé le mot « désacralisation ». Oui, il faut vous y faire, une
désacralisation a eu lieu. En effet, la relation médecin-malade repose sur la
confiance, la certitude scientifique et le rapport personnel, et non plus sur
la sacralisation de ce rapport. Quand les médecins étaient des sorciers, quand
ils imposaient les mains, on pouvait parler de sacralisation. Aujourd'hui, on
parle de la science, et ce n'est pas sacré.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Il y aura les ostéopathes !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
En effet !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
S'agissant des ostéopathes, mes chers amis, puisque
vous m'incitez à m'exprimer sur ce point, je dirai que vous avez eu raison de
demander un audit. Cela dit, aujourd'hui, vous ne le demandez plus...
M. Gérard Dériot,
rapporteur.
Si !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
J'étais tout à fait d'accord pour dire qu'il fallait
faire un audit s'agissant des ostéopathes. Mais vous vous trompez car nous
avons simplement dit qu'il fallait les reconnaître. En effet, les tribunaux ne
les poursuivant plus sur plaintes du conseil de l'ordre, une réglementation
était nécessaire. Nous considérons qu'il faut « mettre le nez » dans les
écoles, faire des recommandations et même interdire certaines d'entre elles.
Mais, pour ce faire, il fallait d'abord les reconnaître. Pour ma part, j'étais
d'accord avec l'audit. Je suis, comme vous, un peu sceptique. Mais les
ostéopathes que j'ai rencontrés m'ont fourni des preuves de compétence et de
bonne volonté, que je dois reconnaître. En tout cas, nous sommes le dernier
pays à ne pas avoir reconnu les ostéopathes. De là à en faire des docteurs en
médecine à tous crins... Je suis prêt, si vous le souhaitez, à ce qu'ils
fassent une année de premier cycle. Nous y reviendrons lors de l'examen des
amendements.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Oui, on verra cela demain !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je précise simplement qu'ils s'inscriraient dans la
filière de l'ostéopathie et, dans ces conditions, ils n'auraient pas à choisir
ensuite.
M. Nicole About,
président de la commission des affaires sociales.
Nous sommes d'accord
!
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
En cet instant, je n'en dirai donc pas plus sur ce
point.
M. Murat n'est plus présent. S'agissant de l'irradiation au centre hospitalier
de Brive, le problème est réglé.
Vous pourrez lui dire - je le lui dirai moi-même si je le rencontre - que le
système de santé n'est pas à bout de souffle. C'est le meilleur du monde ! Il
demande un peu d'argent pour souffler. Nous sommes très bien soignés en France.
D'ailleurs, la longévité de la population, dont nous sommes fiers, le prouve.
Le système donc n'est pas à bout de souffle. Il a simplement le souffle un peu
court !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Parce qu'il ne dort pas assez !
(Sourires.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
En effet ! Allons-nous coucher !
Je veux simplement dire à Mme Demessine que demain, lors de la discussion des
articles, si je souhaite que ces dispositions soient adoptées à l'unanimité par
le Sénat, je devrai tenir compte, en prévision de la commission mixte
paritaire, de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale. Vous le savez, au
détail près, au mot près, l'exercice est un peu difficile. Je ne peux renier ni
la parole ni la proposition du Gouvernement. Je vous parle franchement. J'ai
été très sensible aux propos qui ont été tenus au cours de cette discussion
générale quant à la manière selon laquelle on veut réparer ce que la solidarité
nationale ne fait pas suffisamment, malgré les 180 milliards de francs, en
demandant réparation à un médecin qui n'y était pour rien, en tout cas dans le
handicap. J'ai bien compris cela. Je comprends moins le préjudice moral. Je
souhaite que nous aboutissions à un texte que les sénateurs pourront présenter
en commission mixte paritaire. En effet, j'ai été très impressionné par les
arguments avancés ici même par les intervenants, quelles que soient les travées
sur lesquelles ils siègent. Nous devons absolument nous entendre.
Monsieur Godefroy, les réseaux de soins et l'échelon régional ont été l'objet
de notre attention. Cependant, l'échelon régional plus les collectivités
locales, avec un président seul, si ce n'est peut-être pas suffisant, c'est
déjà pas mal. Le président sera peut-être un peu « noyé » face aux techniciens,
mais c'est une façon de mettre en oeuvre la régionalisation ; je suis tout à
fait d'accord avec vous.
Quant aux registres des cancers, je sais que leur usage n'est pas assez
répandu. Nous essayons de les développer dans toutes les régions, mais ils font
terriblement défaut. Nous avons encore beaucoup d'efforts à faire à cet
égard.
En ce qui concerne la démographie, j'ai déjà parlé de la journée du 4 mars.
Nous prendrons connaissance, ce jour-là, des propositions émanant des
représentants des huit régions prioritaires.
Monsieur Cazeau, le droit de ne pas savoir est reconnu dans ce texte, dont je
vous remercie par ailleurs, d'avoir souligné la cohérence avec le respect du
droit des malades, qui devra s'inscrire dans un système de santé dont la
qualité sera, je l'espère, renforcée.
Vous avez évoqué le droit à une mort digne. J'ai assisté à l'ouverture de la
réunion, qui a eu lieu à l'Assemblée nationale, de l'association oeuvrant pour
le droit à mourir dans la dignité. Je suis partagé : je suis en effet un peu
méfiant à l'égard de cette revendication et en même temps je la comprends.
Malheureusement, je ne peux pas vous répondre de façon satisfaisante sur un
sujet qui mériterait de longs développements ; nous y reviendrons lors de la
discussion des articles. Je vais simplement vous faire part des deux questions
que j'ai posées aux représentants de ladite association.
Pouvez-vous nous reprocher d'avoir développé les soins palliatifs ? Ils ont
répondu par la négative. Ne pensez-vous pas qu'à un moment donné,
insensiblement, on passe d'une option à l'autre ? Ils l'ont admis. Je crois
que, sur ce sujet également, nous devrions pouvoir nous entendre. Des textes
très violents circulent à travers l'Europe, mais il y a peut-être surtout un
défaut de réflexion sur certains manques des équipes de soins palliatifs. Quoi
qu'il en soit, nous avançons.
J'ai bien entendu été sensible aux propos de M. Fauchon. Je me méfie un peu du
juridisme parce qu'il est des situations nouvelles qui créent le droit. Il y a,
vous le savez, des situations - je le dis avec précaution - qui exigent
l'illégalité avant que ne change la loi. Il y a un petit passage entre ce
moment-là, où les philosophes du droit, les inventeurs du droit, voire la
société civile, que sais-je, sont à l'oeuvre, et le moment où ce qui n'était
pas le droit prend de la force et devient la loi. C'est ainsi que je comprends
le problème tout en reconnaissant le bien-fondé de votre argument, à savoir la
possibilité constitutionnelle de porter plainte, ce qui me gêne un peu. C'est
pourquoi il me semble nécessaire de revoir le texte du Gouvernement à l'aune de
la réalité que j'ai découverte avec vous.
M. Picheral a bien qualifié l'attitude que nous devons avoir en appelant à la
prudence, à la sagesse et au consensus.
Dans son argumentation, M. le président de la commission des affaires sociales
a repris les propos de l'avocat général M. Sainte-Rose. Mais M. Sainte-Rose
n'était pas le seul juriste à la Cour de cassation !
Nous sommes donc devant un choix entre ce que vous proposez, monsieur Fauchon,
et ce que propose la commission des affaires sociales, auquel, à titre
personnel, je suis très sensible, et qui, me semble-t-il, s'est trouvé renforcé
par tout ce qui a été dit ici. Ainsi, monsieur Fauchon, entre les deux
approches, même si le juriste en vous se rebelle, il faudra bien prendre une
décision dans un sens ou dans l'autre !
Il faudra bien, demain, parvenir à établir un texte raisonnable qui ne «
hérisse » pas la commission mixte paritaire. Celle-ci pourra alors établir un
texte définitif. Il y va de l'intérêt de tous : des parents d'enfants
handicapés, qui ne doivent pas être choqués par nos démarches, mais aussi, bien
entendu, des médecins, qui sont terriblement inquiets de la dérive qui vise
notre système de médecine anténatale.
Tout ce que je viens de dire est un peu confus, mais je ne pouvais pas ne pas
l'être sauf à choisir immédiatement l'un des termes de l'alternative et à
repousser l'autre.
Je sais que nous avons un gros effort à faire. Mais où pourrait-on le faire
sinon ici, au Sénat, qui saura, en l'occurence, j'en suis sûr, mobiliser toute
sa sagesse.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
DÉPÔT DE PROJETS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation
de l'amendement à la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements
transfrontières de déchets dangereux et leur élimination.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 198, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la
ratification du protocole additionnel à l'accord entre la France, la Communauté
européenne de l'énergie atomique et l'Agence internationale de l'énergie
atomique relatif à l'application de garanties en France.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 199 distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
10
TRANSMISSION DE PROJETS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et l'Organisation des Nations unies
concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 195, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention d'Unidroit sur
les biens culturels volés ou illicitement exportés (ensemble une annexe).
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 196, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
11
TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, complétant la
loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 194, distribuée et renvoyée à
la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
12
DEPÔT DE RAPPORTS
M. le président.
J'ai reçu de M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au
nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les
dipsositions restant en discussion du projet de loi relatif à la démocratie de
proximité.
Le rapport sera imprimé sous le n° 192 et distribué.
J'ai reçu de M. Patrice Gélard un rapport, fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, modifiant la loi n° 77-808 du 19 juillet
1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion
(n° 184, 2001-2002).
Le rapport sera imprimé sous le n° 193 et distribué.
J'ai reçu de Mme Maryse Bergé-Lavigne un rapport, fait au nom de la commission
des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le projet de
loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord
entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation des Nations
unies concernant l'exécution des peines prononcées par le tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie (n° 195, 2001-2002).
Le rapport sera imprimé sous le n° 197 et distribué.
13
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au jeudi 31 janvier 2002 :
A neuf heures trente :
1. Suite de la discussion du projet de loi (n° 4, 2001-2002), adopté par
l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif aux droits des
malades et à la qualité du système de santé.
Rapport (n° 174, 2001-2002) de MM. Francis Giraud, Gérard Dériot et Jean-Louis
Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Avis (n° 175, 2001-2002) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission
des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
A quinze heures et le soir :
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Suite de l'ordre du jour du matin.
Délai limite pour le dépôt des amendements
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration
d'urgence, portant rénovation des rapports conventionnels entre les professions
de santé libérale et les organismes d'assurance maladie (n° 171, 2001-2002).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 5 février 2002, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 31 janvier 2002, à zéro heure vingt.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD
NOMINATION DE MEMBRES
ET DÉSIGNATION DU BUREAU
MISSION D'INFORMATION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES CHARGÉE
D'ÉTUDIER LA DIFFUSION DE LA CULTURE SCIENTIFIQUE
Dans sa séance du mercredi 16 janvier 2002, la commission des affaires
culturelles a procédé à la désignation des membres de la mission
d'information, constituée en son sein, chargée d'étudier la diffusion de la
culture scientifique.
Ont été désignés : Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Claude Carle, Pierre
Laffitte, Pierre Martin, Ivan Renar et Jean-Marie Vanlerenberghe, en qualité de
membres titulaires, et MM. Michel Guerry et Philippe Richert, en qualité de
membres suppléants.
La mission d'information, réunie le 29 janvier 2002, a procédé à la
désignation de son bureau qui est ainsi constitué :
Président :
M. Pierre Laffitte.
Rapporteurs :
Mme Marie-Christine Blandin et M. Ivan Renar.
MISSION D'INFORMATION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES CHARGÉE
D'ÉTUDIER L'ÉVOLUTION DU SECTEUR DE L'EXPLOITATION CINÉMATOGRAPHIQUE
Dans sa séance du mercredi 16 janvier 2002, la commission des affaires
culturelles a procédé à la désignation des membres de la mission
d'information, constituée en son sein, chargée d'étudier l'évolution du secteur
de l'exploitation cinématographique.
Ont été désignés : MM. Christian Demuynck, Pierre Laffitte, Philippe Nachbar,
Jack Ralite, Michel Thiollière, Marcel Vidal et Henri Weber, en qualité de
membres titulaires, et Mme Annie David, MM. Ambroise Dupont et Louis Duvernois,
en qualité de membres suppléants.
La mission d'information, réunie le 29 janvier 2002, a procédé à la
désignation de son bureau qui est ainsi constitué :
Président :
M. Marcel Vidal.
Rapporteurs :
MM. Jack Ralite et Michel Thiollière.
MISSION D'INFORMATION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES CHARGÉE
D'ÉTUDIER LA GESTION DES COLLECTIONS DES MUSÉES
Dans sa séance du mercredi 16 janvier 2002, la commission des affaires
culturelles a procédé à la désignation des membres de la mission d'information,
constituée en son sein, chargée d'étudier la gestion des collections des
musées.
Ont été désignés : MM. Xavier Darcos, Yves Dauge, Fernand Demilly, Ambroise
Dupont, Philippe Nachbar, Ivan Renar et Philippe Richert, en qualité de membres
titulaires, et MM. Daniel Eckenspieller et Marcel Vidal, en qualité de membres
suppléants.
La mission d'information, réunie le 29 janvier 2002, a procédé à la
désignation de son bureau qui est ainsi constitué :
Président :
M. Philippe Nachbar.
Vice-président :
M. Xavier Darcos.
Rapporteur :
M. Philippe Richert.
Secrétaire :
M. Ivan Renar.
NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL,
DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Henri de Richemont a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 440
(2000-2001) de M. Aymeri de Montesquiou tendant à rendre imprescriptibles les
crimes et incompressibles les peines en matière de terrorisme.
Mme Nicole Borvo a été nommée rapporteur de la proposition de loi n° 374
(2000-2001) de Mme Nicole Borvo et de plusieurs de ses collègues tendant à
créer une Journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de
mort.
M. Patrice Gélard a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 163
(2001-2002) de M. Robert Badinter relative à la coopération avec la Cour pénale
internationale.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Réforme des études médicales
1272.
- 30 janvier 2002. -
M. Marcel-Pierre Cléach
appelle l'attention de
M. le ministre de l'éducation nationale
sur les conséquences pour l'enseignement des autres disciplines scientifiques
que risque de provoquer la réforme des études médicales. Au regard des
informations dont disposent les présidents d'université, il semblerait que les
étudiants puissent, à l'avenir, accéder à plusieurs filières formant aux
métiers médicaux et péri-médicaux à partir de l'obtention de la première année
du premier cycle des études médicales (PCEM1). Ainsi, en s'inscrivant en
première année de médecine, les étudiants auront le choix par un jeu de
coefficients entre plusieurs débouchés possibles : médecine, pharmacie,
ergothérapie, sage-femme, etc. Les concours de recrutement des sages-femmes
commencent d'ailleurs à se mettre en place selon cette configuration. L'effet
de la réforme sera de rendre le premier cycle des études médicales
particulièrement attractif puisque ce sera l'un des seuls débuts d'études
supérieures universitaires ouvrant l'accès à plusieurs filières réglementées
par le biais d'un concours unique aux coefficients variés. On peut
raisonnablement supposer que cela entraînera un afflux d'étudiants vers cette
filière au détriment des autres formations scientifiques ou techniques. En
détournant des étudiants ayant un esprit scientifique de filières où ils font
déjà cruellement défaut, cette réforme, qui a par ailleurs ses mérites, pose un
premier problème. Elle aura en outre très vraisemblablement d'importantes
répercussions sur les universités et les villes universitaires dans lesquelles
la formation ne sera pas offerte. Cette situation serait, par exemple,
particulièrement préjudiciable pour l'université du Maine qui n'a pas de
formation médicale mais dispose de laboratoires scientifiques de très bonne
réputation. On risque donc de pénaliser involontairement certaines universités
tout en suscitant à l'inverse des goulets d'étranglement, par exemple en
matière de logements estudiantins, dans d'autres villes. Pour y remédier,
peut-être serait-il possible de permettre la formation de première année dans
toutes les villes universitaires et de répartir les formations péri-médicales
sur l'ensemble des sites, cela tout en conservant la formation des médecins,
pharmaciens et odontologues aux seules universités liées à un centre
hospitalier universitaire (CHU). Il souhaitait connaître son appréciation sur
ces quelques réflexions et, surtout, l'avenir réservé à cette proposition avant
que ne soit définitivement arrêté le projet de réforme des études médicales,
projet qui implique aussi le ministère de la santé.
Plafond de recouvrement sur la succession
des allocataires du Fonds national de solidarité
1273.
- 30 janvier 2002. -
M. Jean Boyer
attire l'attention de
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité
sur le décret n° 82-116 du 1er février 1982 qui fixe à 250 000 francs le
plafond de recouvrement sur la succession des allocataires du Fonds national de
solidarité. Depuis cette date, il semble qu'aucune actualisation de ce montant
n'ai été effectuée. De ce fait, les bénéficiaires de succession se retrouvent
dans des situations dramatiques. En effet, ces allocataires sont, pour la
plupart, des personnes retraitées aux revenus très modestes. Une actualisation
de la référence de remboursement paraît devoir s'imposer dès que possible. En
effet, en 2001, la valeur immobilière retenue est totalement différente de
celle ayant cours en 1982. Il est également très important de souligner la
nécessité que représente, pour les personnes âgées, le fait de posséder une
certaine somme d'argent. Il s'agit pour eux d'une question de sécurité et de
tranquillité en cas d'hospitalisation ou d'hébergement en maison de retraite.
Bien que des abattements sur la valeur de référence du foncier non bâti soient
intervenus, il lui demande de bien vouloir étudier la possibilité d'une
actualisation qui s'impose, afin d'apporter à nos retraités la sécurité
concernant très souvent leur modeste succession.
Lieu d'implantation de la brigade
affectée à la sécurité du tunnel du Somport
1274.
- 30 janvier 2002. -
M. Auguste Cazalet
rappelle à
M. le ministre de la défense
que la toute prochaine ouverture, dans un premier temps aux véhicules légers,
du tunnel routier franco-espagnol du Somport va s'accompagner de la mise en
place d'un nouveau dispositif territorial de gendarmerie chargé d'exercer
l'ensemble des missions relatives au maintien de la paix et de la sécurité
publique. Afin de répondre aux impératifs qu'exige le service exclusif de la
sécurité du tunnel et de ses abords, permanence au PC d'exploitation et
capacité de monter rapidement en puissance en cas de problème, une brigade
motorisée autoroutière devait être implantée à Urdos. En effet, dans la mesure
où cette commune n'est située qu'à 7 kilomètres du tunnel et dispose, avec
l'actuelle gendarmerie et avec un immeuble de 12 logements, propriété des
Douanes, des ressources immobilières permettant de loger les personnels et
leurs familles, ce choix paraissait évident. Or, il semblerait que ce choix ait
changé et que l'unité spécialisée serait implantée dans une commune située à
cinquante kilomètres du tunnel du Somport et sans bâtiments immédiatement
disponibles. Il attire son attention non seulement sur la vive émotion et
l'incompréhension qu'une telle décision ne manquerait pas de susciter auprès
des élus et de la population de la vallée d'Aspe mais surtout sur les risques
qu'elle ferait peser sur l'efficacité du service de la sécurité des usagers du
tunnel. Il lui demande de bien vouloir lui faire connaître sa décision.