SEANCE DU 14 FEVRIER 2002


M. le président. L'amendement n° 27 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur et Sutour, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le début du texte proposé par le I de l'article 12 pour l'article 225-12-1 du code pénal :
« Le fait pour un majeur de solliciter... » La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit d'une question qui a suscité un débat au sein de la commission des lois - débat auquel ont pris part les sénateurs socialistes membres de ladite commission -, et la discussion reste tout à fait ouverte.
Le texte que nous examinons prévoit la pénalisation de la relation avec une ou un prostitué, que les intéressés soient majeurs ou mineurs, adultes ou adolescents âgés de quinze à dix-huit ans.
Je considère que, dans le domaine de la sexualité - et il s'agit bien de cela, ce n'est pas la peine de nous leurrer, c'est-à-dire d'un domaine où sont en cause les aspects les plus complexes et les plus pulsionnels de l'être humain - l'âge a une importance que l'on ne peut méconnaître.
Certes, la pédophilie relève véritablement du crime, car il n'y a pas de procédé plus odieux. Mais, si l'on considère les mineurs âgés de quinze à dix-huit ans, les choses deviennent différentes ! On ne peut pas comparer un enfant de douze ou treize ans à un adolescent de dix-sept ou dix-huit ans quand il s'agit de sexualité !
En ce qui concerne les adolescents - les jeunes gens, car c'est d'eux qu'il est question - la réalité est la suivante. Je prends à dessein l'exemple d'un adolescent âgé de seize ou dix-sept ans, qui n'a pas d'amie et qui, pour des raisons qui tiennent à la fois à l'effervescence sexuelle et, dans bien des cas, à des difficultés sexuelles, recourt aux services d'une prostituée. Pour lui, ce qui serait licite avec une prostituée plus âgée deviendrait illicite avec une prostituée de son âge ? Ce mineur, appelé alors « client » ou « consommateur », n'est-il pas plutôt en péril ? Je suis convaincu que, devenu adulte, sa sexualité évoluera, mais l'effervescence sexuelle et les problèmes sexuels liés à l'adolescence peuvent expliquer, alors, son comportement.
Pénaliser cet acte et traduire inévitablement un mineur devant le juge pour ce qui devient alors une infraction ne me paraît pas bon - je ne dis même pas juste - car on ne peut pas méconnaître les conséquences de cette disposition sur l'être humain en devenir.
Certes, nous le savons, des mineurs violents de dix-sept ans peuvent se livrer à des actes abominables, à des « tournantes » - je crois que cela s'appelle ainsi - mais tout cela est déjà prévu par le code pénal, qui punit très sévèrement toutes ces formes d'agressions, de viols, de tentatives de viol.
On nous demande aujourd'hui de punir le simple fait de la relation du mineur avec une mineure contre rémunération, celle-ci se livrant à la prostitution.
Je rappelle, pour que les choses soient claires, que l'article 227-25 du code pénal, qui a été voté le 17 juin 1998 - donc sous cette législature - punit le fait d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans. Mais le mineur qui exercerait cette atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans n'est pas visé ! L'article précise bien : « Le fait, par un majeur, d'exercer sans violence... » Dans ce cas, bien plus grave que celui qui nous concerne, la pénalité est réservée au majeur. Voilà ce que nous avons décidé il y a dix-huit mois à peine.
S'agissant de mineurs - puisque c'est à eux que l'on s'adresse - il ne me paraît pas bon de dire que l'une, ou l'un, bénéficiera, ce qui est légitime, de la protection du magistrat alors que l'autre sera l'objet d'inévitables sanctions.
Je ne crois pas que cette solution soit équilibrée, je ne crois pas que ce soit dans cette direction qu'il nous faille aller, mais la discussion est ouverte ; je vous ai donné très franchement, pour ma part, mon sentiment.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission souhaite entendre le Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Avec l'échelle des peines, le présent amendement constitue l'un des deux points clés de ce débat. Sur le reste, le Gouvernement suivra les propositions de M. Badinter ou de la commission des lois, mais il ne peut en être de même dans le cas présent.
Je vous ai écouté avec attention, monsieur Badinter. Vous avez développé des arguments forts. Je vais m'efforcer de vous convaincre et de vous expliquer, par un engagement et par quelques arguments, pourquoi le Gouvernement souhaite le retrait de votre amendement.
L'engagement, c'est que, comme vous l'avez rappelé, le projet de loi relatif à l'esclavage moderne a été déposé sur le bureau du Sénat et que s'il se révèle nécessaire d'aménager ou d'améliorer les dispositions de cette proposition de la loi, nous le ferons. Ce filet de sécurité vous permettra ainsi de procéder à quelques ajustements.
Mais j'en viens aux arguments.
Un débat est aujourd'hui ouvert dans notre pays sur l'ordonnance de 1945 : certains pensent qu'elle est insuffisamment sévère pour des mineurs qui se comportent parfois comme des majeurs, avec leur brutalité et leur violence physique. Or l'amendement n° 27 rectifié vise à créer une situation où même l'ordonnance de 1945 serait trop sévère. Nous serions ainsi en train de créer un nouveau délit pour protéger les victimes de la prostitution, mais nous dirions, nous, Gouvernement, nous, législateurs, que, pour les majeurs, c'est punissable, alors qu'en dessous de dix-huit ans il n'y a plus de sanction pénale.
Nous sommes en train d'ériger un interdit très fort dans notre société et, dans la mesure où l'âge de la majorité demeure fixé à dix-huit ans - il n'est pas question de le modifier -, nous ne rendrions pas service aux mineurs en leur trouvant systématiquement des circonstances atténuantes pour des comportements que la société condamne ! La loi pénale nomme l'interdit, lui donne un sens, et elle doit faire référence pour tous ! Votre amendement est donc un peu en contradiction avec celui que vous avez présenté tout à l'heure et auquel tout le monde s'est rallié, puisque vous formulez une interdiction en disant immédiatement qu'elle doit ne viser que les majeurs, exonérant ainsi implicitement les mineurs de toute responsabilité.
Si nous pensons que la loi pénale fait référence, édicte la norme, pose des interdits qui s'imposent à tous, si nous pensons que les jeunes ont besoin d'être protégés par des adultes qui ont le courage de dire un certain nombre de choses, de montrer l'exemple, de poser des interdits pour leur permettre de grandir, alors il nous faut en rester au dispositif de l'ordonnance de 1945, qui permet d'ores et déjà de prendre en compte toutes les préoccupations que vous avez exprimées : le principe même de cette ordonnance est de privilégier les mesures éducatives pour les mineurs, d'atténuer la responsabilité puisque l'excuse de minorité divise par deux les peines et d'interdire la détention provisoire en matière délictuelle pour les mineurs de seize ans.
Quant à l'objection que vous soulevez et qui est tout à fait importante s'agissant du jeune qui n'a pas forcément l'intention de nuire et qui se retrouverait devant un tribunal, je pense que nous pouvons faire confiance au parquet des mineurs pour apprécier l'opportunité des poursuites ! Je pense même que, dans le cas que vous soulevez, le mineur ne serait pas interpellé.
De plus, la situation des mineurs clients par rapport aux mineurs victimes peut recouvrir des cas très différents. Bien sûr, il peut y avoir des relations consenties entre mineurs du même âge, mais le cas qui nous intéresse relève de la prostitution, c'est-à-dire du paiement d'un acte sexuel, avec, souvent, un tiers intervenant.
Pour m'être occupée pendant trois ans, au sein de l'éducation nationale, de la question des violences - en particulier des violences sexuelles -, je peux vous dire qu'au-delà des problèmes de trafic, qui appellent déjà une dissuasion à l'encontre des grands mineurs, il existe aussi une prostitution minable de proximité, née de rapports de force entre petits groupes : je veux parler de la jeune fille de quinze ans qui, pour ne pas perdre l'affection de son copain, va accepter de rendre quelques services sexuels au groupe de garçons à la sortie du collège. Dans ce cas, il n'y aura pas paiement direct, le garçon ne va pas se sentir proxénète, alors qu'il est pourtant bien, en l'occurrence, proxénète et qu'il s'agit bien de prostitution puisque la jeune fille achète l'assurance de continuer à être intégrée au groupe et de bénéficier de la protection de tel ou tel garçon. C'est bien ce type de cas que nous visons !
Par rapport aux viols collectifs et aux « tournantes », dont la condamnation est liée au passage à l'acte, ce qui est extrêmement intéressant dans le fait de considérer que la simple qualité de client est un délit, c'est que ce sera dissuasif. Croyez-moi, la loi pénale est très vite connue ! Je crois beaucoup à la peur du gendarme, à la peur de la loi, à la peur de la prison, et, le jour où cette loi sera votée, les victimes seront protégées en amont, car les jeunes ne prendront plus de risques. C'est bien pour les dissuader de passer à l'acte, pour les inciter à aller voir, éventuellement, une prostituée majeure et non pas une prostituée mineure que nous vous proposons cette mesure !
Comment imaginer que, dans un quartier, des policiers puissent interpeller des clients majeurs au vu de leur carte d'identité et ne pas inquiéter les mineurs ? Alors que l'on reproche - souvent avec des arguments auxquels je ne souscris pas, mais avec des arguments que l'on entend fréquemment -, alors que l'on reproche, dis-je, aux mineurs de narguer les policiers, comment imaginer que nous puissions donner un tel signal à ces mêmes mineurs, qui sont souvent impliqués dans ce genre de comportements ?
Je répète qu'en tout état de cause le parquet dispose, parce qu'il s'agit de mineurs, de l'opportunité des poursuites. Quant à la police, elle doit intervenir de façon simple et préventive, y compris pour faire des rappels à la loi : je pense que, dans les cas que vous évoquez, un bon rappel à la loi est déjà de nature à recadrer un certain nombre de jeunes, surtout s'ils ne sont pas encore passés à l'acte. C'est important compte tenu de tout ce qui se passe, hélas ! aux abords des établissements scolaires.
Dans de nombreux cas, des déséquilibres importants subsistent entre la position du client mineur et celle du prostitué mineur. Je pense en particulier - le juge des enfants nous en parle beaucoup - aux mineurs en fugue.
Vous le savez, des jeunes filles de quinze à dix-sept ans peuvent être complètement immatures et en fugue. N'ayant jamais eu de repères familiaux, elles peuvent se retrouver complètement ballottées, voire instrumentalisées par des garçons plus jeunes. Des jeunes filles qui sont en errance sont prostituées par des garçons, simplement parce qu'ils ont une force physique supérieure et qu'ils sont en groupe. On ne peut donc pas schématiser le rapport avec l'âge parce qu'il recouvre non seulement les solutions que vous avez évoquées, monsieur le sénateur, mais bien des sujets différents.
Enfin, vous avez évoqué le fait que le code pénal réserve aujourd'hui la pénalité d'atteinte sexuelle aux majeurs. Mais cet argument plaide justement en faveur du maintien du délit dans le droit commun tant pour les mineurs que pour les majeurs.
L'atteinte sexuelle est précisément, vous le savez, une atteinte sans violence ni contrainte. C'est pour cette raison qu'elle est réservée aux majeurs. Deux enfants de même âge, en revanche, on les place tous les deux en assistance éducative, on les soigne, mais on ne les met pas en prison.
Or, si votre amendement était adopté, monsieur le sénateur, on serait dans l'impossibilité d'exercer toute répression, y compris à l'encontre d'un grand mineur sur un mineur de quinze ans puisque ces atteintes sexuelles ne peuvent être commises que par des majeurs, comme le prévoit avec raison l'article 227-25 du nouveau code pénal. En outre, le délit aggravé prévu à l'article 225-12-2 ne pourra pas non plus être constitué puisqu'il suppose que soient déjà réunis les éléments constitutifs de l'article 225-12-1 parmi lesquels figure la majorité du client.
Enfin, j'ajoute une fois de plus qu'il s'agit là de prostitution, et non d'atteinte sexuelle, sans violence ni contrainte. Nous venons en effet de voter l'interdiction de la prostitution des mineurs, car nous considérons que, dans tous les cas, un mineur prostitué est une victime qui doit être protégée, qui doit sortir de la prostitution.
Par conséquent, au nom de la cohérence de la loi pénale, au nom de la protection des mineurs et au nom du fait que notre société doit affirmer son autorité - on lui reproche souvent de ne pas le faire - j'affirme que l'on ne rend pas service aux mineurs en leur accordant systématiquement des circonstances atténuantes qui, au demeurant, sont déjà prévues dans l'ordonnance de 1945. Aller au-delà brouillerait, je crois, les repères que nous sommes en train d'élaborer aujourd'hui.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Le problème soulevé par l'amendement de notre éminent collègue est grave et aurait mérité, je pense, une réflexion beaucoup plus approfondie que celle à laquelle nous nous sommes livrés au travers de l'examen d'amendements à une proposition de loi dont la finalité n'était pas celle-là, puisqu'elle a trait à l'autorité parentale.
Les conditions dans lesquelles nous avons examiné ces différents amendements ne sont pas satisfaisantes. Si nous l'avons fait, c'est parce que nous avons considéré qu'il fallait accepter de nous saisir de ce problème et trouver des dispositions qui puissent permettre de lutter contre ce fléau qu'est la prostitution des mineurs.
Cela dit, il est vrai que, sur un certain nombre de dispositions, des questions se posent, des questions graves à propos desquelles nous aurions pu procéder à des auditions et à une réflexion plus approfondie. C'est le cas précisément de cet amendement.
Le problème qui se pose est qu'il n'y a pas de véritable raison d'exonérer les mineurs du nouveau délit qui a été créé ; je pense particulièrement aux mineurs de quinze à dix-huit ans qui peuvent avoir recours à la prostitution de mineurs de quinze ans, c'est-à-dire d'enfants très jeunes.
Les mineurs ne sont pas tous, on le sait bien, des enfants de choeur. Il y a les « tournantes » que M. Badinter a rappelées. Il y a aussi des mineurs qui se livrent au proxénétisme, infraction qui est punie par ailleurs, c'est vrai. Cela nous montre que l'on ne peut pas considérer qu'à partir du moment où il a seize ou dix-sept ans le mineur est forcément une espèce de victime parce qu'il est client d'une prostituée, surtout si, je le répète, elle est très jeune.
Il y a lieu de s'interroger sur ce point. Si l'on n'adopte pas cet amendement, les mineurs seront effectivement incriminés mais, en tout état de cause, ils bénéficieront devant le juge des enfants, devant le tribunal pour enfants, non pas de l'excuse mais de la clause de minorité, de sorte que la pénalité ne sera évidemment pas égale à celle qui aurait été appliquée à un majeur. Les mineurs seront en outre jugés à huis clos, avec toutes les garanties que cela implique.
Tous ces éléments m'amènent à dire que si, lorsqu'il s'agit d'un mineur de dix-sept ans qui a eu recours à une prostituée de son âge, l'opportunité des poursuites n'est en effet peut-être pas démontrée, elle peut l'être dans d'autres cas. Je pense donc que cette incrimination peut être utile, et c'est la raison pour laquelle je m'en remets à la sagesse de notre assemblée, cet avis ayant toutefois une teinte négative.
M. le président. Monsieur Badinter, l'amendement n° 27 rectifié est-il maintenu ?
M. Robert Badinter. J'ai écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt tant Mme la ministre que notre rapporteur.
Madame la ministre, je vous le dis très franchement, j'aurais souhaité que, ce matin, votre collègue garde des sceaux fût à vos côtés s'agissant de matières qui relèvent du droit pénal et du droit commun au premier chef. Cependant, si vous m'assurez que, si vous ne pouvez pas prendre cet engagement vous-même, vous demanderez au garde des sceaux d'envoyer au parquet une circulaire générale - c'est de son pouvoir et c'est son devoir - précisant que le cas particulier d'un mineur de dix-huit ans s'étant borné à avoir des relations avec une autre adolescente relève au premier chef de mesures éducatives, alors je retirerai volontiers l'amendement. Il est en effet nécessaire que l'action des parquets soit orientée dans ce sens. Il faut bien marquer, dans ce domaine aussi, la priorité de la mesure éducative, de la mesure d'assistance sur la sanction pénale.
Si vous interrogiez tous ceux qui se consacrent aux troubles de l'enfance et de l'adolescence dans le domaine de la sexualité - je pense que l'avez fait, mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas de tous nos collègues - sur les conséquences d'une procédure pénale pour un adolescent de seize ou dix-sept ans, vous sauriez les traumatismes qu'elle peut engendrer et dont l'adolescent ne se remettra pas ; je dis bien « ne se remettra pas ».
Si vous intervenez, si vous prenez position au nom du Gouvernement, si vous faites dire aux parquets que, dans ce cas, la politique à suivre est en priorité la mesure d'assistance éducative, dans ces conditions, oui, je retire l'amendement.
Je rappelle que pour tous les actes de violence, d'agression, de proxénétisme, pour toutes les formes de viols, nous disposons, dans le code pénal, de toute une batterie de sanctions parfaitement adaptées.
Je précise enfin que ce dont nous parlons en cet instant, c'est simplement de la relation de mineur à mineur, c'est tout.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Monsieur Badinter, je vous remercie pour cette prise de position. Vous savez que nous travaillons en liaison très étroite avec Mme Lebranchu et que nous avons bien sûr préparé le débat ensemble. Je lui transmettrai bien volontiers vos suggestions, qui sont tout à fait utiles.
Je rappelle que cette disposition a aussi un but préventif. Bien évidemment, ni les uns ni les autres, nous ne voulons voir des jeunes en prison. Mais s'ils ont bien intégré les interdits - et cela, c'est notre responsabilité d'adulte - nous pouvons penser qu'ils ne passeront pas à l'acte et qu'il n'y aura donc pas de dégâts considérables à réparer ni pour eux-mêmes ni pour leurs victimes.
Je vous remercie d'avoir présenté cette position de compromis. Elle nous permet d'avancer.
M. Robert Badinter. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je retire l'amendement n° 27 rectifié après l'engagement qui vient d'être pris et qui vaut, selon moi, au-delà du ministre présent, pour le Gouvernement tout entier, donc, pour Mme le garde des sceaux, qui, j'en suis absolument certain, partage mon opinion.
M. le président. L'amendement n° 27 rectifié est retiré.
L'amendement n° 29 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur et Sutour, est ainsi libellé :
« A la fin du texte proposé par le I de l'article 12 pour l'article 225-12-1 du code pénal, remplacer les mots : "cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende" par les mots : "deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende". »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Cet amendement a trait au niveau de fixation des peines.
L'article 12 adopté en première lecture prévoit, pour une relation simple contre rémunération, c'est-à-dire sans violence ni viol, une peine de cinq ans d'emprisonnement.
Je rappelle que, dans ce même code pénal, s'agissant des cas où la relation avec le prostitué ou la prostituée s'accompagnerait de violences ou de viol, nous serions dans une échelle de peines tout à fait différente.
Je rappelle aussi que le texte qui nous est soumis prévoit un certain nombre de circonstances aggravantes, notamment le fait de répéter habituellement le délit, c'est-à-dire d'avoir des relations sexuelles - j'imagine - avec une prostituée ou un prostitué régulièrement, et l'abus d'autorité, dont nous parlerons tout à l'heure. Dans ce cas, dans le texte présenté, la peine prévue était de dix et elle a été réduite à sept ans.
La question est extrêmement difficile, car elle porte sur l'articulation des peines à l'intérieur du code pénal. Je le sais d'autant mieux que, lorsque j'ai présidé la commission de révision du code pénal pendant trois ans, j'ai pu constater que nous butions chaque fois sur ce point.
On ne peut pas fixer une peine sans prendre en considération l'ensemble.
Ici, je propose deux ans d'emprisonnement. Je sais que c'est inférieur aux trois ans pour vol simple. Mais je suis prêt pour ma part à réduire la peine pour les vols simples à deux ans.
Je propose deux ans d'emprisonnement, disais-je, pour la simple relation avec une jeune prostituée ou un jeune prostitué adolescent parce que c'est la peine fixée s'agissant d'atteintes sexuelles sur mineurs de quinze à dix-huit ans commises par un ascendant ou par une personne ayant autorité. Je relève à cet égard qu'il s'agit là de comportements beaucoup plus graves que la simple relation sexuelle avec une prostituée.
Je suis le premier à dire qu'elles sont des victimes, mais victimes, d'abord, du terrible réseau de proxénétisme que l'on évoquait tout à l'heure. Je pense que le dispositif s'articule bien ; nous passerons ensuite à cinq ans.
S'agissant, ce qui est tout à fait différent, d'une relation sexuelle avec une prostituée de moins de quinze ans, je considère qu'on est à la limite de la pédophilie et je demanderai donc que l'on aille au-delà des cinq ans. Mais, dans un premier temps, nous proposons l'échelonnement des peines à deux ans, cinq ans et sept ans.
Une chose me paraît devoir aussi attirer l'attention de la Haute Assemblée : c'est le proxénétisme simple. Je ne parle pas du proxénétisme aggravé, c'est-à-dire envers mineurs, qui, à mes yeux, est une infraction majeure : rien n'est pire à mon sens, s'agissant des enfants.
Celui qui vit de la prostitution, qui l'organise, qui est le véritable créateur de la chose - Dieu sait que le droit le connaît depuis l'Antiquité - encourt une peine de cinq ans. Punir des mêmes peines que le proxénète simple celui qui a une relation - s'il en a plusieurs, il encourra cinq ans de prison - serait une rupture qui ne me paraît pas justifiable.
Enfin, en termes de procédure pénale - puisque la procédure pénale a son importance -, avec une peine de deux ans, nous avons toutes les possibilités de flagrant délit, nous avons la procédure de comparution immédiate, nous avons la procédure de citation directe, c'est-à-dire toutes les possibilités de répression. Nous n'avons pas - mais je considère que c'est mieux ainsi - la possibilité de placement en détention provisoire dans le cadre de l'ouverture d'une instruction. Nous avons assez parlé du problème de la détention provisoire !
Je rappelle qu'il s'agit là seulement d'une relation. Si elle devenait habituelle, la peine encourue serait de cinq ans et l'on retomberait dans le cas de figure précédent. Une peine d'emprisonnement de deux ans nous paraît convenable au regard des cinq ans et sept ans, c'est-à-dire de l'échelle des peines que j'ai évoquée.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission des lois accepte le principe de la pénalisation du recours à la prostitution des mineurs de quinze à dix-huit ans. Elle est cependant favorable à un abaissement de la peine, fixée par le texte à cinq ans.
En première lecture, le Sénat avait insisté sur la nécessité de punir moins le client que le proxénète. Il semble qu'une peine de cinq ans ne permettrait pas d'établir de manière assez marquée la différence avec le proxénétisme simple, qui est puni de sept ans d'emprisonnement du fait de l'augmentation de la pénalité qui résulte du texte relatif à la sécurité quotidienne.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Nous abordons là le second point délicat de discussion, qui mérite, en effet, réflexion.
Pour ma part, j'aurais préféré le maintien de la peine initialement votée par le Sénat et par l'Assemblée nationale, qui a, au cours de ce débat, bien rétabli l'échelle des peines - ce qui était nécessaire - dans la mesure où le proxénète est davantage condamné que le client.
Le Gouvernement est prêt à s'en remettre à la sagesse du Sénat si celui-ci souhaite vraiment diminuer les peines encourues pour les délits de recours à la prostitution de mineurs, étant entendu que c'est une peine maximale et que le parquet, comme le juge, ont l'opportunité d'apprécier le niveau de la condamnation par rapport aux circonstances du délit.
Pour ma part, je ne verrais pas le mauvais signal qui serait donné, surtout que nous venons de voter le principe solennel de l'interdiction de la prostitution des mineurs, si la décision était prise de passer de cinq ans à deux ans. Toutefois, si le Sénat décidait d'adopter cet amendement, il serait souhaitable de le rectifier pour ne pas descendre en dessous de trois ans, cela afin de garder la hiérarchie des valeurs dans notre société.
En effet, trois ans sanctionnent le vol simple ou les violences légères sur mineur. Je pense, comme vous, j'en suis certaine, qu'il est plus grave d'acheter un corps d'enfant ou de mineur que de commettre un vol simple ou des violences légères n'ayant pas entraîné une ITT de plus de huit jours. Cela mérite au moins trois ans. Le fait d'avoir des rapports sexuels tarifés avec un mineur - pratique dont nous venons de voter l'interdiction - constitue nécessairement une forme de violence au moins aussi grave.
En outre, il est plus cohérent de prévoir une peine de trois ans d'emprisonnement pour le délit de base. Je vous suis tout à fait, monsieur Badinter, quand vous parlez des circonstances aggravantes, puisque, précisément, les peines du délit aggravé prévues par l'article 225-12-2 du code pénal seront de cinq ans d'emprisonnement. Or la règle non écrite, mais constamment respectée par le nouveau code pénal, est en effet de passer de trois ans à cinq ans lorsqu'une infraction fait l'objet d'une circonstance aggravante, et non de deux ans à cinq ans.
C'est le cas pour les homicides volontaires, pour les violences, pour les menaces sans condition : toutes ces peines s'échelonnent de trois ans à cinq ans dès lors qu'il y a la circonstance aggravante.
Je vais également dans le sens de M. le rapporteur, puisque la loi qui a été promulguée le 15 novembre 2001 aggrave les condamnations pour le proxénétisme simple en les faisant passer de cinq ans à sept ans.
Si vous souhaitez ne pas maintenir les cinq ans d'emprisonnement, le fait de passer à trois ans permettrait de conserver la hiérarchie des peines. En effet, le client sera condamné à trois ans maximum d'emprisonnement et le proxénète à sept ans. Cela me paraît cohérent par rapport au nouveau code pénal, à la gravité des faits et aux valeurs de notre société.
M. Laurent Béteille, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille, rapporteur. J'aimerais obtenir une précision de la part de Mme la ministre. Doit-on considérer que le Gouvernement dépose un sous-amendement ? Dans cette hypothèse, quel est le montant de l'amende, sachant qu'il faut une cohérence entre l'amende et la peine d'emprisonnement ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. A l'emprisonnement d'une durée de trois ans est associée une amende de 45 000 euros. Je demande à l'auteur de l'amendement s'il accepte de le rectifier. A défaut, je déposerai un sous-amendement.
M. le président. Monsieur Badinter, acceptez-vous de rectifier votre amendement en ce sens ?
M. Robert Badinter. Le monopole de la parole est si malvenu au sein d'un groupe que j'aurais volontiers laissé à M. Dreyfus-Schmidt le soin de s'exprimer !
Après avoir consulté tous les sénateurs socialistes membres de la commission présents, je vais vous donner mon sentiment.
Madame la ministre, je ne suis pas une « jeune moustache » ; j'ai une longue expérience et j'ai pendant très longtemps exercé une belle profession. Je vais vous dire ce qui va advenir.
Bien au-delà de la discussion relative à deux ans ou trois ans d'emprisonnement, aux circonstances atténuantes, etc., quelle sera la véritable sanction ? Il y aura citation devant le tribunal correctionnel, audience publique. Dans une ville de petite ou moyenne importance, la presse étant présente, tout le monde saura que M. X aura eu des relations sexuelles avec une jeune prostituée de quinze, seize ou dix-sept ans. Il n'est nul besoin de dire ce que cela signifiera en termes de conséquences familiales, les plus importantes, sociales et professionnelles dans une vie. Et cela n'est pas lié aux deux ou trois ans ! Il ne faut pas perdre de vue cet aspect.
Les magistrats du parquet auront à coeur, je l'espère, avec les nouvelles possibilités que nous leur avons données, de s'entretenir avec celui qui a cédé à la tentation, car il ne faut pas oublier la réalité profonde des êtres humains, ce que les canonistes appelaient justement la temptatio diabolica. Le domaine des sens est plus complexe que vous ne semblez parfois le mesurer. Cela existe la tentation ! Tout le monde n'a pas la vertu janséniste austère qui permet d'y résister sans mal.
C'est pourquoi je le dis, deux ou trois ans, là ne me paraît pas être le coeur du problème. Après avoir consulté tous les commissaires, nous sommes d'accord, à la majorité, pour une peine de trois ans. En conséquence, je rectifie mon amendement tout en insistant, sur la base de l'expérience que j'ai connue, sur le fait qu'il ne faut pas se leurrer ni vivre dans l'angélisme !
Derrière les jeunes filles et les jeunes gens prostitués, il y a les organisations de proxénètes. Il se formera inévitablement des gangs de tels voyous qui organiseront des provocations, se serviront des jeunes personnes comme appât, puis, des années durant, exerceront le chantage face à la menace de la comparution en correctionnelle. A l'époque où existait le délit d'homosexualité, j'ai vu, parmi les hommes qui avaient cédé à la tentation, des êtres humains être véritablement détruits pour un moment de faiblesse. Il ne faut pas méconnaître la réalité si complexe des êtres humains !
M. le président. Je suis donc saisi d'amendement n° 29 rectifié bis, présenté par M. Badinter, Mme André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur et Sutour, qui est ainsi libellé :
« A la fin du texte proposé par le I de l'article 12 pour l'article 225-12-1 du code pénal, remplacer les mots : "cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende" par les mots : "trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende". »
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission n'ayant pas examiné cet amendement rectifié, il m'est difficile de donner un avis.
A l'occasion de la première lecture, la commission, qui s'était arrêtée sur une durée d'emprisonnement de cinq ans, s'est ralliée, après les explications de notre collègue Robert Badinter, à la disposition consistant à abaisser cette durée à deux ans.
Cela dit, il est incontestable que, quelle que soit la durée de la peine retenue, la situation de la personne citée devant le tribunal correctionnel pour ce type d'infraction sera absolument catastrophique !
M. Robert Bret. Ce serait dissuasif.
M. Laurent Béteille, rapporteur. Une comparution devant le tribunal peut, dans certains cas, briser toute une vie. Or ne risque-t-on pas d'aboutir à cela et donc de sanctionner une infraction plus lourdement qu'on le souhaiterait ?
Cela dit, il y a un choix à faire. Il a été fait, c'est celui de sanctionner le recours à la prostitution des mineurs. Nous devons en assumer les conséquences.
Quant au niveau de la peine, on peut effectivement s'aligner soit sur les atteintes sexuelles non rémunérées commises par un ascendant, qui sont punies de deux ans d'emprisonnement, soit sur les agressions sexuelles autres que le viol sur mineurs de quinze à dix-huit ans, qui sont punies de cinq ans d'emprisonnement. Entre les deux, il y a différentes possibilités : trois ans d'emprisonnement en est une. Elle est sans doute assez équilibrée. C'est pourquoi j'émets un avis de sagesse, positive cette fois-ci !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 29 rectifié bis, accepté par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 225-12-1 du code pénal.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE 225-12-2 DU CODE PÉNAL