SEANCE DU 23 JUILLET 2002
AMNISTIE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 355, 2001-2002),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant
amnistie. [Rapport n° 358 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, je tiens
tout d'abord à vous remercier des paroles de bienvenue que vous avez bien voulu
m'adresser.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'amnistie est le fruit d'une très longue
tradition historique dont M. Lanier rappelle, dans son rapport écrit, les
sources athéniennes.
Cette clémence collective, qui effaçait la répression et les poursuites, avait
moins pour objet l'oubli des faits eux-mêmes que l'oubli de la discorde pour
créer la concorde.
La pratique de l'amnistie s'est ensuite étiolée, même si le Moyen Age fut le
temps du pardon individuel ou de la rémission collective accordé par les
seigneurs ou les souverains. La Révolution fit renaître l'amnistie, laquelle
fut même la seule procédure de clémence jusqu'à ce que Bonaparte réintroduise
la grâce dans le droit français sans supprimer pour autant l'amnistie.
Après la Révolution, toutes les républiques firent de l'amnistie une
prérogative du pouvoir législatif. La constitution de 1958 perpétue cette
tradition républicaine dans son article 34.
La République, en effet, a dû, au fur et à mesure qu'elle s'est établie dans
les institutions et dans les esprits, cicatriser les plaies de l'histoire,
après la Commune, après l'affaire Dreyfus, aux lendemains des guerres ou des
événements violents qui déchirèrent la nation.
Dès les débuts de la IIIe République, l'amnistie illustre la fraternité
inscrite sur les frontons des lieux publics.
Elle fut défendue ici même, dans cette conception fondatrice, par le sénateur
Victor Hugo : « La guerre civile est une faute. Sur une vaste faute, il faut un
vaste oubli. Ce vaste oubli, c'est l'amnistie. »
C'est en effet une loi républicaine, de générosité et de tolérance, qui vient
régulièrement, et en particulier après chaque élection présidentielle,
affirmer, par l'effacement de certaines infractions, la valeur de la
réconciliation et de la cohésion nationales.
Au fil des années, le champ de l'amnistie varie donc en fonction des exigences
fondamentales de la République. S'il s'agit de « panser ses blessures », selon
l'expression du général de Gaulle, il s'agit aussi, dans une France réconciliée
avec elle-même, d'affirmer des valeurs : celles de la générosité, de la
tolérance et de la solidarité ; celles du civisme, de la responsabilité et de
la sécurité.
C'est l'ensemble de ces valeurs humanistes qui fondent « la France du respect
» que Jacques Chirac a incarnée lors de l'élection présidentielle et que
souhaite porter le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
Ces principes fondamentaux forment le socle de ce projet de loi d'amnistie,
adopté voilà quelques jours par l'Assemblée nationale. C'est le projet d'un
gouvernement, qui, comme l'a affirmé le Premier ministre dans la déclaration de
politique générale que vous avez approuvée en vertu de l'article 49, alinéa 4,
de la Constitution, fait du rétablissement de l'autorité de l'Etat et d'une
justice plus sereine, plus efficace et plus humaine une priorité essentielle de
son action.
Ce projet de loi vise à amnistier certaines infractions commises avant le 17
mai 2002, date du début du nouveau mandat confié par le peuple au Président de
la République.
Sur le fond, ce projet de loi reprend, dans ses grandes lignes, les principes
de la loi d'amnistie du 3 août 1995 qui était, je le rappelle, beaucoup plus
restrictive que les lois précédentes du 4 août 1981 et du 20 juillet 1988.
Toutefois, pour tenir compte de l'évolution de notre société et de la priorité
accordée par le Gouvernement à la lutte contre les différentes formes
d'insécurité, nous avons voulu dans ce texte mieux concilier le geste de
pardon, inspiration même de l'amnistie, avec les nécessités de la répression.
Aussi le nombre des infractions expressément exclues de l'amnistie est-il en
nette augmentation.
Sur la forme, ce texte se caractérise par une présentation nouvelle.
Le projet de loi se divise en six chapitres. Le premier, qui comprend les
articles 1er à 8, porte sur l'amnistie de droit. Sous ce vocable, nous avons
regroupé deux formes traditionnelles d'amnistie : d'une part, l'amnistie
réelle, qui consiste à amnistier les infractions en raison de leur nature ou
des circonstances dans lesquelles elles ont été commises ; d'autre part,
l'amnistie en raison de la peine, dite « au quantum », qui consiste à amnistier
les infractions ayant donné lieu à une condamnation inférieure ou égale à un
maximum fixé par le législateur.
S'agissant de la première catégorie, sont notamment amnistiés les
contraventions de police, les délits punis uniquement d'une peine d'amende, les
délits de presse, les délits militaires, ainsi que les délits commis au cours
de conflits sociaux ou professionnels.
Il reviendra au ministère public de constater l'amnistie de plein droit des
condamnations intervenues après ces événements.
L'article 3 vise également à amnistier les délits commis en relation avec des
élections de toute nature, à l'exception naturellement, comme j'ai déjà eu
l'occasion de le préciser maintes fois, de tout délit commis en relation avec
le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis
politiques.
S'agissant de l'amnistie en raison du
quantum
de la peine prononcée, le
projet de loi concerne, conformément à la tradition, les délits ayant donné
lieu à une simple peine d'amende ou de jours-amende, sous réserve du paiement
de cette amende lorsqu'elle est supérieure à 750 euros.
Pour les condamnations à une peine d'emprisonnement sans sursis, ou
accompagnées d'un sursis avec mise à l'épreuve, le
quantum
de la loi du
3 août 1995 est repris : cette peine ne doit pas excéder trois mois.
Les condamnations à une peine d'emprisonnement avec sursis, assortie de
l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général, sont aussi amnistiées
lorsque le travail a été effectué et que le sursis n'a pas été révoqué, si
elles sont inférieures ou égales à six mois.
Ce régime est plus sévère que celui de la loi de 1995.
En effet, le seuil au-dessus duquel les condamnations à une peine
d'emprisonnement avec sursis simple ne sont pas amnistiées a été abaissé par
rapport à la loi de 1995 : il passe de neuf mois à six mois.
Lorsque les peines amnistiables sont prononcées en même temps qu'une peine
d'amende ou de jours-amende, l'amnistie n'est acquise qu'après paiement de
l'amende si celle-ci est supérieure à 750 euros.
Le deuxième chapitre concerne cette mesure hybride, mais également
traditionnelle, dite de la « grâce amnistiante ».
Cette mesure cumule en effet les avantages de la grâce et de l'amnistie,
puisqu'elle permet, à la différence de l'amnistie de plein droit, une
individualisation de la mesure d'oubli et qu'elle efface, tout comme
l'amnistie, la condamnation pour des faits délictueux.
Cet article permet donc au Président de la République d'accorder l'amnistie
des infractions n'entrant pas dans le champ d'application de l'amnistie de
droit : d'une part, aux personnes âgées de moins de vingt et un ans au moment
des faits ; d'autre part, à des personnes ayant servi de manière déterminante
l'intérêt général. Il s'agit, à cet égard, des personnes âgées de moins de
vingt et un ans, mais aussi des anciens combattants, des résistants et des
déportés. Sont également concernées les personnes qui se sont distinguées de
manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, scientifique ou
économique.
Par rapport à la loi d'août 1995, nous avons souhaité étendre cette
possibilité aux personnes qui se sont distinguées de manière exceptionnelle
dans le domaine sportif. En effet, dans la société contemporaine, les sportifs
de haut niveau contribuent de façon tout à fait significative à rassembler les
Français et à leur donner confiance en eux-mêmes.
Cette faculté d'amnistie individuelle concerne les infractions non exclues de
l'amnistie par l'article 13 du projet de loi, mais elle n'est accordée que si
les personnes concernées n'ont pas été condamnées avant cette infraction à
l'emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit de droit
commun.
J'ajoute que le bénéfice d'une telle mesure, par nature exceptionnelle, est
subordonné à la présentation d'une demande dans le délai d'un an à compter de
la publication de la loi ou de la condamnation définitive.
Le troisième chapitre concerne l'amnistie des sanctions disciplinaires ou
professionnelles.
Les fautes disciplinaires ou professionnelles, sanctionnées par les
juridictions professionnelles commises avant le 17 mai 2002, sont amnistiées de
plein droit, sous réserve des exclusions prévues à l'article 13.
Les fautes disciplinaires constituant des manquements à l'honneur, à la
probité ou aux bonnes moeurs ne peuvent être amnistiées que par une mesure
individuelle du Président de la République.
Comme je l'ai indiqué, ce projet de loi tient compte des priorités du
Gouvernement en matière de lutte contre l'insécurité. Il est donc cohérent avec
la politique pénale que nous entendons mener.
C'est pourquoi les exclusions du bénéfice de l'amnistie, qui font l'objet du
chapitre IV du projet, sont beaucoup plus nombreuses que lors des lois
précédentes.
Toutes les exclusions prévues en 1995 ont été reprises, certaines ont été
étendues et de nouvelles ont été prévues.
L'article 13, article unique de ce chapitre, dresse la liste précise de toutes
ces exclusions. Aux quarante et une rubriques prévues par le Gouvernement, les
députés en ont ajouté huit. Vous comprendrez que je vous fasse grâce - si j'ose
dire - de leur énumération détaillée.
Un bon nombre d'exclusions concernent des infractions anciennes, dont nous
avons augmenté le nombre. De nouvelles infractions ont aussi été exclues de
l'amnistie.
Dans la première catégorie, on trouve, outre les actes de terrorisme, les
discriminations, les faits de corruption, la fraude et la corruption
électorales, le trafic de stupéfiants, le trafic de main-d'oeuvre, les
atteintes à l'environnement. Sont également exclus les délits d'outrage, de
rébellion, de violence, d'injures ou de diffamation commis sur les personnes
dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service
public, comme les policiers, les gendarmes ou les agents de services
ferroviaires et des réseaux de transports publics.
Ce sont là des exclusions traditionnelles, mais le champ en a été élargi. Par
exemple sont exclus pour la première fois l'association de malfaiteurs et le
proxénétisme, ainsi que les infractions en matière de fausse monnaie et les
infractions relatives à la réglementation sur les armes.
Parmi les nouvelles infractions exclues de l'amnistie figurent le harcèlement
sexuel et le harcèlement moral, les infractions sexuelles commises contre des
mineurs ou encore l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une
personne.
J'ajoute que le délit de recours à la prostitution de mineur, créé par la loi
du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, figure logiquement pour la
première fois dans la liste des exclusions.
L'Assemblée nationale a étendu ce champ déjà large d'exclusions.
Y ont été ajoutés expressément les délits d'abus de biens sociaux et
assimilés, définis très largement.
Y ont été ajoutés également, à la demande du groupe communiste, l'entrave à
l'exercice du droit syndical, ainsi que les infractions relatives aux
institutions représentatives du personnel et à l'hygiène et à la sécurité.
L'Assemblée nationale a enfin exclu de l'amnistie les atteintes aux droits de
personnes liées aux fichiers informatiques, les délits de blanchiment et les
délits de soustraction d'enfants.
L'Assemblée nationale a souhaité ajouter à ces exclusions les sévices et actes
de cruauté envers les animaux.
Votre commission des lois propose, en outre, un amendement relatif à la
détention et au commerce de chiens dangereux qui peuvent être à l'origine
d'agressions très graves.
Nous partageons tous le sentiment de l'urgence et de la nécessité de lutter
avec sévérité contre l'insécurité routière, action dont le Président de la
République a souhaité faire une priorité nationale. A cet égard, le champ des
exclusions n'a cessé de s'élargir. La loi de 1981 limitait l'exclusion à la
conduite en état d'ivresse et aux délits de fuite liés à des blessures
involontaires. La loi de 1988 a supprimé cette condition de cumul. La loi de
1995 a exclu, outre ces infractions, tous les délits au code de la route ainsi
que les contraventions entraînant le retrait de plus de trois points du permis
de conduire.
L'article 13 du projet de loi exclut tous les délits et la plupart des
contraventions du code de la route.
Toutefois, conformément aux engagements pris par le Président de la République
pendant la campagne présidentielle, mais aussi, dois-je le rappeler, par
d'autres candidats à cette élection, les contraventions de stationnement
payant, de stationnement abusif et de stationnement gênant sont amnistiées,
sauf lorsqu'il s'agit de stationnement sur des emplacements réservés aux
véhicules de service public ou réservés aux personnes handicapées.
Le défaut de port de la ceinture de sécurité ou la conduite avec un téléphone
portable, contraventions de deuxième classe relatives à la conduite d'un
véhicule, sont, en tant que telles, exclus de l'amnistie.
Des exclusions supplémentaires ont été adoptées par l'Assemblée nationale, sur
avis favorable du Gouvernement ; elles concernent le stationnement sur les
trottoirs, sur les passages piétons ou encore sur les bandes d'arrêt
d'urgence.
Enfin, le projet exclut pour la première fois du bénéfice de l'amnistie les
délits et les contraventions commis en état de récidive légale, hypothèse qui
révèle une particulière dangerosité de l'auteur des faits puisque celui-ci a
commis une infraction après avoir déjà été condamné pour des faits similaires.
L'alinéa 40 de l'article 13 touchera notamment les petites infractions commises
à répétition.
Le chapitre V rappelle les effets traditionnels des lois d'amnistie, à
commencer par son principe, l'effet extinctif qui efface la condamnation et
éteint l'action publique. L'amnistie entraîne donc la remise de toutes les
peines, le rétablissement du condamné dans le bénéfice d'un sursis révoqué par
la condamnation amnistiée. Par ailleurs, l'amnistie n'entraîne pas d'effets
préjudiciables aux droits des tiers.
Comme dans la loi du 3 août 1995, l'amnistie n'entraîne pas la restitution ou
le rétablissement des autorisations administratives annulées ou retirées.
Certaines mesures ne peuvent être effacées par l'amnistie. Il s'agit, par
exemple, de la faillite personnelle, de l'interdiction du territoire français,
de l'interdiction de séjour ou de l'interdiction des droits civiques.
D'autres limites traditionnelles aux effets de l'amnistie sont posées, comme
l'absence d'effet sur les décisions de retrait de l'autorité parentale,
l'absence de réintégration de droit dans les grades ou emplois et le
non-rétablissement des distinctions honorifiques.
En effet, l'amnistie n'est pas synonyme d'amnésie.
Le projet de loi précise que les informations relatives aux faits amnistiés
sont maintenues dans les fichiers de police judiciaire. En effet, si l'amnistie
efface les condamnations, elle n'interdit pas de rappeler les faits eux-mêmes.
Il était par ailleurs indispensable de prévoir explicitement ce principe pour
garantir l'efficacité des fichiers de police judiciaire.
Le titre VI, enfin, est relatif à l'application de la loi dans les
territoires, les collectivités territoriales et les départements
d'outre-mer.
L'article 22 a pu susciter un peu de perplexité. Le dispositif de sécurité
juridique qu'il introduit est pourtant indispensable pour assurer la continuité
du service public des transports de personnes en Martinique, en Guadeloupe et
en Guyane.
Il fallait, en effet, répondre dans l'urgence au problème des concessions
d'exploitation de lignes de transports publics routiers dans ces départements
français d'Amérique. Sans revenir sur tous les épisodes d'une longue histoire,
qu'il me suffise de préciser que les conventions passées entre les
transporteurs et les collectivités locales ignorent, pour la plupart, les
règles de la loi Sapin du 29 janvier 1993.
La prorogation, depuis le 13 juin 2002 - date d'expiration de la prorogation
précédente - et jusqu'au 1er janvier 2006, de ces concessions permettra de
combler un vide juridique. Une négociation constructive entre toutes les
parties concernées pourra ensuite concilier le respect de la légalité, les
préoccupations des exploitants et les intérêts des usagers. Il n'y a donc dans
cette disposition, vous l'aurez compris, rien de fondamentalement contraire à
l'esprit d'une loi d'amnistie.
Je le rappelle, l'amnistie, par tradition républicaine, est une prérogative
essentielle du pouvoir législatif.
Les législateurs et les sages que vous êtes pourront réfléchir à l'avenir
d'une mesure qui jette périodiquement le voile de l'oubli sur certaines
infractions, dans une société où la mémoire tient une place parfois
paradoxale.
Notre temps n'est pas et ne peut pas être celui de l'oubli du passé. Il est
sans doute davantage celui de la commémoration. M. le Premier ministre a
rappelé, dimanche dernier en rendant hommage aux victimes de crimes
imprescriptibles, l'importance et l'actualité du travail de mémoire pour notre
collectivité nationale.
Certains historiens ont pu écrire que notre République a été fondée sur
l'amnistie. Celle-ci est intimement liée à une certaine idée de la citoyenneté,
qui trouve son origine dans un lointain passé.
Paul Ricoeur, dans
La Mémoire, l'histoire, l'oubli,
soulignait le «
caractère simplement utilitaire, thérapeutique » de l'amnistie républicaine.
C'est dans cette tradition que s'inscrit le texte qui vous est soumis, texte
mesuré, équilibré, que je crois profondément conforme à nos valeurs
humanistes.
Limité dans sa portée - par souci d'efficacité -, il me paraît adapté à
l'évolution contemporaine de notre société.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Au coeur
même de cette enceinte, Victor Hugo, que vous avez vous-même cité, monsieur le
garde des sceaux, et que nous célébrons plus particulièrement cette année, au
Sénat, s'exprimait en ces termes : « Il n'y a qu'un apaisement, c'est l'oubli.
Dans la langue politique, l'oubli s'appelle amnistie. »
Il est vrai qu'au sens étymologique la Grèce antique, dont procède notre
civilisation, usait du mot
Amnistia,
qui signifie « oubli ». Le droit
romain nous a transmis cette notion sous le terme plus ferme de « abolition
».
Tant d'autres traductions ont été usitées au cours des âges de par le fait que
l'amnistie s'est exercée dans les temps sur des événements profondément
différents les uns des autres et d'une gravité fort dissemblable.
C'est la raison pour laquelle il est souhaitable qu'un projet de loi
d'amnistie réponde à son sujet comme à son temps.
C'est pourquoi, pour éviter que, d'une amnistie à l'autre, l'indulgence ne
varie au gré des circonstances, c'est bien au peuple, par l'intermédiaire de
ses représentants, c'est-à-dire ses législateurs, qu'est obligatoirement confié
le soin d'apprécier les circonstances, de les actualiser, de les mesurer, bref,
de comprendre et d'épouser son temps de telle sorte qu'une loi d'amnistie ne
soit pas une cascade d'irrationalités.
Notons que l'amnistie n'est pas tout à fait l'oubli, car elle n'engage pas à
perdre la mémoire. Il convient, en effet, de distinguer l'effacement de la
faute pénale et le maintien des conséquences extra-pénales. Elle n'est pas non
plus la trop charismatique rédemption, pas plus que le pardon, trop
condescendant. Elle veut être apaisement, terme qui apparaît préférable, parce
qu'il lui confère son véritable symbole.
Elle est symbole d'équilibre entre l'indulgence et la rigueur, symbole si
souvent imparfait car humainement difficile à établir, symbole qui implique des
choix et la responsabilité du législateur : choix de la mesure et d'un juste
milieu excluant les arrière-pensées démagogiques autant que la fourberie des
sycophantes, choix qui, dans toute la mesure du possible, doit concilier la
générosité de l'amnistie et les exigences de la morale et du civisme.
En somme, bien comprise, l'amnistie est un point d'orgue, réfléchi et adapté,
dans l'usage de la répression.
Son caractère généreux ne se confond pas avec la faiblesse ; elle n'incite pas
à la permissivité ; au contraire, elle apparaît comme la chance offerte aux
contrevenants d'une nouvelle donne, encourageant ces derniers à mieux se
conformer aux lois comme aux règlements.
D'aucuns considèrent que l'amnistie est une instigation à contrevenir. C'est
en partie vrai, mais n'est-ce pas faire fi de la possibilité d'un appel à la
conscience comme à la raison du citoyen par un apaisement, au demeurant très
momentané, dans la systématique du châtiment, lequel, n'étant pas lui-même à
l'abri d'erreurs humaines, n'apparaît plus comme une fin en soi ?
Bien entendu, mon propos pourrait être taxé d'angélisme s'il ne se situait pas
dans le cadre du projet de loi qui nous est soumis et qui obéit au principe que
l'apaisement consenti par le législateur ne saurait être sans limite,
précisant, dans son exposé des motifs, que certains actes, de par leur nature
ou leur gravité, « ne peuvent échapper à la justice comme à la réprobation de
la société ».
En effet, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale présente une
amnistie moins étendue que par le passé.
Par ailleurs, il comporte des caractéristiques propres et diffère des textes
précédents par une présentation nouvelle, tendant à la clarté. Il comporte six
chapitres respectivement consacrés à l'amnistie de droit - articles 1er à 8 -,
à l'amnistie par mesures individuelles - article 9 -, à l'amnistie des
sanctions disciplinaires ou professionnelles - articles 10 à 12 -, aux
exclusions de l'amnistie - article 13 -, aux effets de l'amnistie - articles 14
à 19 -, et aux dispositions relatives à l'outre-mer - articles 20 à 22.
Il est loisible de constater que le texte qui nous est soumis est plus
restrictif que tous ceux qui furent adoptés depuis le début de la Ve
République. Ainsi, ses conséquences sur les condamnations prononcées resteront
adaptées aux exigences actuelles de notre société.
En outre, les mesures décidées s'appliqueront aux faits qui ont été commis
antérieurement au 17 mai 2002.
Notons, tout d'abord, que le champ d'application demeure restreint.
Trois formes d'amnistie dite « de droit » peuvent être distinguées :
l'amnistie réelle, qui concerne les infractions d'une certaine nature ou ayant
été commises dans certaines circonstances ; l'amnistie en raison du
quantum
ou de la nature de la peine ; l'amnistie par mesure individuelle, dite
aussi « grâce amnistiante ».
Pour ce qui est de la nature des infractions, sont visés les contravention de
police et de grande voirie, les délits punis d'une peine d'amende, les délits
de presse, les infractions au code de justice militaire ou au code du service
national.
Les circonstances sont prises en compte sous réserve que la punition soit
inférieure à dix ans de prison. Il s'agit des délits concernant les conflits du
travail, de l'enseignement, à caractère industriel ou agricole, les délits
concernant les élections ou ceux qui sont en relation avec la défense des
droits et des intérêts des Français d'outre-mer.
Relevons que la liste des infractions amnistiées en raison de leur nature ou
des circonstances de leur commission - à cette formule, qui est ambiguë, je
préfère parler des « circonstances dans lesquelles elles ont été commises » -
est semblable à celle qui a été retenue en 1995, mais elle s'applique, de
surcroît, aux membres des professions libérales comme aux salariés et aux
agents publics.
L'amnistie en raison de la nature ou du
quantum
de la peine prononcée
vise les infractions ayant donné lieu, à titre principal, à une peine d'amende
ou de jour-amende. Elle prévoit également, à l'article 5, l'amnistie de
certaines peines d'emprisonnement, à savoir les peines d'emprisonnement fermes
inférieures ou égales à trois mois, les peines d'emprisonnement inférieures ou
égales à trois mois avec sursis assorties d'une mise à l'épreuve, ainsi que les
peines d'emprisonnement inférieures ou égales à six mois assorties du sursis
simple.
Le texte prévoit en outre que certaines infractions ne pourront être
amnistiées qu'autant que la peine aura été exécutée. C'est le cas des amendes
de plus de 750 euros. C'est également le cas des peines assorties d'un travail
d'intérêt général.
Le présent projet de loi marque, à l'évidence, une évolution de l'amnistie à
l'égard de certaines peines subordonnées à leur exécution.
Il s'agit là d'une dérogation à l'article 133-9 du code pénal, qui dispose que
l'amnistie entraîne la remise de toutes les peines. Cette évolution nous semble
positive, car elle contribue à assurer un plus juste équilibre entre l'amnistie
et la nécessaire efficacité du droit pénal.
La troisième forme de l'amnistie de droit concerne les mesures individuelles :
est confié au Président de la République le soin d'amnistier certains citoyens
selon des critères fixés par la loi. Cette possibilité s'applique aux personnes
de moins de vingt et un ans au moment des faits, aux pensionnés et blessés de
guerre, aux déportés et résistants, aux engagés volontaires de 1914-1918 et de
1939-1945, aux résistants dont un ascendant est mort pour la France, aux
personnes s'étant distinguées de manière exceptionnelle en matière humanitaire,
culturelle, scientifique, économique ou sportive, ce dernier domaine étant le
seul ajout à l'article 9.
J'en viens à l'article 13, qui est un élément essentiel du projet en ce qu'il
concerne les exclusions de l'amnistie.
En effet, nombre d'infractions sont exclues du champ de la loi afin de
rappeler l'importance particulière attachée à certaines valeurs qui sont au
fondement de la société. Il s'agit de respecter la fonction expressive du droit
pénal. C'est pourquoi le projet mentionne quarante-neuf exclusions. Je rappelle
pour mémoire combien en comportaient les lois précédentes : quatre en 1966,
trois en 1969, huit en 1974, quatorze en 1981, dix-sept en 1988 et vingt-huit
en 1995.
Initialement, l'actuel projet de loi reprenait l'ensemble des exclusions
prévues par la loi de 1995, notamment les infractions terroristes, celles qui
ont trait aux stupéfiants, les atteintes à l'intégrité d'un mineur de quinze
ans, les délits d'abandon de famille, de discrimination, d'atteinte
involontaire à la vie et à l'intégrité de la personne, du risque causé à autrui
à l'occasion de la conduite d'un véhicule.
Ont été ajoutées de nouvelles exclusions, qui touchent en particulier les
associations de malfaiteurs, les délits de proxénétisme, les agressions
sexuelles, les violences sur les personnes dépositaires de l'autorité publique
et la plupart des contraventions au code de la route.
Le dernier chapitre du projet de loi regroupe les dispositions relatives à
l'outre-mer ; les articles 20 et 21, tenant compte du principe de spécialité
législative applicable aux territoires d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie
et, dans une moindre mesure, à la collectivité départementale de Mayotte, ont
pour objet de proposer une grille de lecture de l'article 13 du projet de loi
en énumérant les exclusions pour ces collectivités. Ainsi est-il nécessaire de
viser des textes différents en matière de droit du travail ou de séjour des
étrangers.
Sur ces articles seront déposés trois amendements : le premier tend à
supprimer une mention purement pédagogique et dépourvue de portée normative ;
les deux autres visent à des coordinations avec des modifications adoptées par
l'Assemblée nationale.
L'article 22, disons-le franchement, n'a pas de lien direct avec l'amnistie,
mais son adoption est urgente car il tend à combler un vide juridique, apparu
le 13 juin 2002 du fait de la caducité de l'ordonnance du 7 mars 2002 portant
adaptation de la législation relative aux transports intérieurs dans les
départements de la Guadeloupe, de Guyane et de Martinique. Il s'agit de
proroger la validité de conventions et autorisations relatives au transport
public routier de personnes dans ces départements d'outre-mer.
Si l'on tient compte de l'importance de l'article 13 et des exclusions dont il
traite, on ne saurait dire sans mauvaise foi que le projet de loi qui nous est
soumis est teinté de laxisme. D'autant que la réflexion de l'Assemblée
nationale l'a conduite, par ses amendements, à étendre, de façon importante et
significative, le champ des exclusions : aux abus de biens sociaux,
détournements d'actifs, abus de confiance ; aux atteintes à l'exercice du droit
syndical, à la représentation du personnel dans les entreprises, à la
législation des comités d'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail
; à la plupart des contraventions pour stationnement gênant ou dangereux ; aux
délits portant atteinte au droit des personnes ; aux délits de blanchiment ;
aux soustractions d'enfants ; aux sévices et actes de cruauté infligés à des
animaux.
Tous ces ajouts apportés au champ des exclusions sont utiles parce qu'ils
tendent à actualiser celui-ci et à préciser les effets de l'amnistie.
Les effets de l'amnistie sont traités, au chapitre V, par les articles 14 à
19.
Comme à l'accoutumée, l'amnistie efface les condamnations, et toutes
références ou mentions ultérieures sont passibles de 5 000 euros d'amende.
En revanche, elle n'entraîne pas automatiquement la remise de certaines
peines, comme l'interdiction du territoire français, la privation des droits
civiques ou l'interdiction d'exercer une activité sociale ou
professionnelle.
Elle n'empêche pas non plus - cela est nouveau - le maintien dans un fichier
de police judiciaire des mentions des infractions amnistiées.
Elle n'entraîne pas de droit à réintégration dans certains offices ou
fonctions.
La rédaction initiale du projet de loi aboutissait à ce que 217 900 peines
prononcées en l'an 2000 bénéficient de l'amnistie. Ce chiffre mérite d'être
actualisé en fonction des statistiques de 2001, que nous ne possédons pas
encore.
Je n'insisterai pas sur certains arguments pour ou contre l'amnistie parce
qu'ils sont étrangers à l'essence même de l'amnistie. Selon le Gouvernement,
l'effet budgétaire négatif du présent projet de loi devrait être de l'ordre de
300 millions d'euros.
La commission des lois a approuvé les orientations du projet de loi et surtout
l'effort qu'il traduit en vue d'une actualisation de l'amnistie, en la
conciliant au mieux avec la nécessaire efficacité du droit pénal.
La commission considère qu'un juste équilibre nous est proposé, qui témoigne
d'une évolution positive au regard de la lutte contre l'insécurité, plus
particulièrement en ce qui concerne les infractions au code de la route. Au vu
des ajouts de l'Assemblée nationale, nous constatons une volonté sans précédent
de limiter l'amnistie au strict minimum raisonnable.
Nous vous proposons d'apporter quelques compléments, de telle sorte que la loi
d'amnistie soit sans effet sur l'application de l'article 1er de la loi du 12
juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements
sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés
fondamentales.
Ces compléments impliquent aussi, dans la partie du texte qui concerne les
atteintes à l'intégrité physique ou psychique d'un mineur de quinze ans,
l'exclusion des infractions commises sur les personnes présentant une
particulière vulnérabilité, que celle-ci soit liée à l'âge, à la maladie, à une
infirmité ou à toute autre cause.
Ces compléments impliquent enfin d'exclure de l'amnistie les délits prévus par
le code rural concernant la détention et le commerce des chiens dangereux, en
dehors du cadre prévu par la loi.
La commission des lois estime, par ailleurs, nécessaire d'exclure de
l'amnistie la peine d'interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de
cinq ans ou plus, une arme soumise à autorisation.
Ces quelques amendements s'inscrivent dans la droite ligne des réflexions et
des positions qui sont, depuis plusieurs années, en matière pénale, celles de
la commission des lois du Sénat.
Mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis a pu susciter des
débats de conscience. Certaines voix se sont élevées contre le principe même de
l'amnistie, considérée comme une survivance anachronique d'un monde révolu.
Nous reconnaissons à chacun le droit de penser qu'il n'y a donc plus lieu d'en
débattre. Mais chacun doit reconnaître aussi qu'il est constitutionnellement
recevable d'en débattre sans passion, avec une mesure, un bon sens et une
réflexion dignes du sujet.
Ce sujet implique l'histoire même de la société. Notre société est certes en
permanente évolution, mais il convient, me semble-t-il, d'en préserver les
valeurs d'apaisement, de tolérance et d'humanisme. C'est là le sens de
l'amnistie !
C'est d'ailleurs ce sens que lui donnèrent plusieurs candidats, et non des
moindres, à l'élection présidentielle, qui l'ont incluse dans leur projet de
candidature.
C'est aussi, mes chers collègues, le sens que lui confère votre commission des
lois, en vous proposant, sous réserve de quelques modifications, d'adopter le
projet de loi qui vous est soumis.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'en
venir à l'examen du projet de loi d'amnistie qui nous intéresse aujourd'hui, je
souhaite vous soumettre deux réflexions que mes amis et moi-même estimons
d'importance et qui portent sur le contexte de ce débat.
En premier lieu, je tiens à m'élever avec vigueur contre la généralisation des
procédures d'urgence à l'occasion de cette session extraordinaire du
Parlement.
La procédure d'urgence, qui limite de fait le débat à une seule lecture dans
chaque assemblée, est contraire à l'idée même d'un travail parlementaire
sérieux. En effet, dans ce cadre, la première assemblée saisie n'a pas
l'occasion d'examiner les amendements adoptés par la seconde, ce qui est
contraire au fondement même du bicamérisme.
Cette limitation du débat est d'autant plus préjudiciable que le Parlement est
saisi de textes traitant des droits fondamentaux. Le rapport des Français à la
justice, la sécurité de nos concioyens appellent, certes, rapidité
d'intervention de la part des pouvoirs publics, mais ces deux sujets sont
suffisamment importants pour ne pas être traités dans la précipation.
La loi d'amnistie, j'y reviendrai, aurait mérité elle aussi un débat plus
approfondi.
En second lieu, j'estime que les trois projets dont nous allons débattre dans
les quinze jours qui viennent auraient mérité une approche globale à l'aune des
déclarations du Premier ministre. Celui-ci plaçait, en effet, au centre de
l'action du Gouvernement l'écoute de la France dite d'« en bas » et un « nouvel
humanisme » que j'avoue - et je ne suis pas le seul - avoir bien du mal à
discerner au sein des dispositions répressives et stigmatisant certaines
catégories de la population qui nous seront présentées dans quelques jours au
Sénat.
M. Dominique Braye.
Cela n'a rien à voir !
M. Guy Fischer.
Ce « nouvel humanisme » enfin, est-il conciliable avec une politique
économique qualifiée de nouvelle, mais qui se caractérise surtout par les
privatisations, les baisses de charges sociales, les hausses généralisées des
tarifs des services publics et les restrictions salariales ?
L'amnistie qui nous intéresse aujourd'hui est empreinte d'humanisme. A travers
l'histoire, de la Grèce antique à la Révolution française, l'amnistie est
synonyme de générosité et de pardon.
En France, la République a voté l'amnistie avec constance puisque pas moins de
vingt-cinq lois d'amnistie ont été votées depuis 1947.
Nous sommes indéniablement face à une tradition républicaine. La question
n'est finalement pas celle du qualificatif, mais plutôt celle du contenu. Des
voix s'élèvent, à droite comme à gauche, pour renoncer au principe même de
l'amnistie, en particulier à sa répétition aux lendemains de chaque élection
présidentielle.
De nombreux détracteurs de cette loi mettent en avant la dérive de ce qui
devait être un texte de réconciliation nationale vers un texte de
circonstances, traitant essentiellement des contraventions et des délits liés à
la circulation routière et des petits délits de droit commun.
Nous comprenons parfaitement ce raisonnement et cette critique. Ils mettent en
cause non pas le principe même de ce projet de loi mais son contenu. Pour ma
part, à l'instar de mes amis députés communistes et républicains, j'estime
qu'il est nécessaire de recentrer l'amnistie sur son objet social : la
réconciliation nationale. Je vous proposerai donc des limites. L'incivisme sur
la route, par exemple, m'incite à exclure de l'amnistie les contraventions de
police et de grande voirie.
La question de l'amnistie des délits de droit commun, en raison du
quantum
ou de la nature de la peine, pose un problème complexe. Comme nous l'avions
indiqué en 1995, c'est non pas le pardon qui doit être en cause, mais l'absence
de politique de réinsertion ! Je n'ai d'ailleurs entendu personne s'élever sur
les bancs de la majorité contre la grâce présidentielle intervenue le 14
juillet dernier avec les traditionnelles remises de peines et libérations qui
l'accompagnent.
M. Josselin de Rohan.
Surtout pas, Maxime Gremetz !
M. Guy Fischer.
J'étais sûr que vous alliez me dire cela, monsieur de Rohan.
M. Dominique Braye.
C'est pour cela que nous l'avons fait !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Fischer.
M. Guy Fischer.
Peut-être cette volonté d'écarter les délits de droit commun du champ de
l'amnistie relève-t-elle de l'air du temps. Je préfère, quant à moi, me
remémorer les propos d'un ancien garde des sceaux qui siège aujourd'hui parmi
nous : « L'amnistie des peines d'emprisonnement a suscité des inquiétudes
compréhensibles. J'ai relevé que cette inquiétude avait été volontiers
entretenue par ceux qui trouvent dans la peur un argument commode en faveur
d'une pratique répressive à courte vue et qui ne résout en rien les vrais
problèmes que pose cruellement à notre société la délinquance. »
Ces propos, c'est Robert Badinter qui les a tenus à cette tribune non pas il y
a quelques semaines ou quelques mois, mais il y a vingt et un ans en présentant
un projet de loi d'amnistie le 21 juillet 1981.
Ce même jour, il affirmait avec raison : « Cet esprit de générosité est sans
doute conforme à la tradition que j'évoquais et qui a constamment animé dans
l'histoire la volonté du pardon. Mais il est plus précisément encore la marque
du mouvement de la gauche française dans l'Histoire qui, à tous les grands
moments d'élan populaire, a toujours été inspiré par une volonté et une
aspiration de générosité. »
Pour ma part, je crois profondément que les lois d'amnistie pourraient tout
simplement tomber en désuétude si des choix politiques, économiques et sociaux
fondamentaux apportaient des réponses aux drames engendrés, dans notre société
par l'angoisse du lendemain, le chômage, la précarité, toutes les formes
d'exclusion.
Dans cette société que nous appelons de nos voeux - et que nous soutenons par
notre action -, un comité de locataires n'aurait nul besoin de s'opposer
physiquement à un huissier venu saisir les biens d'une famille dans le besoin,
un agriculteur pourrait sereinement travailler à l'amélioration de la qualité
de sa production puisqu'il serait libéré de la menace que la mondialisation et
l'utilisation hasardeuse des nouvelles technologies font courir à notre
production nationale, un ouvrier ne craindrait pas que des poursuites pénales
ne portent atteinte à sa mission de représentant des intérêts du personnel de
son entreprise.
A la lumière de ce rappel historique et de ces exemples, nous voyons combien
une loi d'amnistie reflète l'état d'une société à un moment donné. Il n'est
donc pas anodin d'en évoquer les dispositions. Il est ainsi paradoxal
d'instaurer une sorte d'amnistie « à plusieurs vitesses ».
Certes, nous nous félicitons et nous approuvons l'adoption d'un amendement
excluant du présent projet les délits d'abus de biens sociaux.
Je note que notre proposition présentée en 1995 par mon regretté ami Charles
Lederman avait été alors rejetée par la majorité sénatoriale.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont toujours rejeté
l'idée même d'amnistie des délits politico-financiers. Ils seront vigilants,
aujourd'hui comme demain, pour contrecarrer toute tentative de renouveler une
telle manoeuvre, qui a déjà tant discrédité les femmes et les hommes politiques
par le passé.
M. Dominique Braye.
A l'origine : la gauche !
M. Guy Fischer.
Voyons !
M. Dominique Braye.
Il faut revenir en arrière ! C'est la réalité !
M. Guy Fischer.
Il y aurait de quoi dire, sur ce point !
M. le président.
Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Fischer !
Monsieur Braye, si vous souhaitez intervenir, demandez la parole !
M. Guy Fischer.
Je ne peux pas laisser dire n'importe quoi !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Fischer.
M. Guy Fischer.
Nous veillerons en particulier à ce qu'aucun amendement visant à préciser les
délais de prescription des abus de biens sociaux, et donc à atténuer
considérablement la portée de l'incrimination, ne soit inséré dans un des
textes de loi à venir. Les enjeux sont si importants que nous serons d'une
extrême vigilance.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
On vendra du muguet !
(Rires sur les mêmes bancs.)
M. Guy Fischer.
Par ailleurs, nous considérons l'aggravation des inégalités sociales dans
notre pays et nous constatons que c'est dans ce domaine que votre projet de loi
est le plus en retrait par rapport aux textes votés en 1981 et en 1988. Pour
nous, l'amnistie doit en priorité porter sur les infractions liées aux conflits
et aux luttes de toutes les catégories sociales pour leur emploi, leur outil de
travail, la sauvegarde du service public et la maîtrise des processus de
mondialisation afin d'apaiser des tensions collectives.
C'est pourquoi nous estimons qu'il est nécessaire de « ressourcer » la loi
d'amnistie en la renforçant sur le plan social. La violence dans notre société
n'a pas pour seul théâtre les quartiers populaires ou les banlieues difficiles
; elle est aussi présente dans l'entreprise, sur le lieu de travail. Et, sur ce
terrain-là, l'inégalité entre celui qui détient le pouvoir et le subordonné,
qu'il soit ouvrier, employé, cadre ou technicien, est manifeste. Le principe de
l'amnistie puise dans ce domaine une raison d'être incontestable.
Prenons un exemple : chaque année, depuis plus d'une décennie, dix mille
salariés protégés sont sanctionnés par leur employeur et sont licenciés. Le
projet de loi, dans ses articles 3 et 10, tend à effacer les sanctions. C'est
une bonne chose, mais il néglige, comme en 1995, un aspect essentiel de
l'amnistie en ce domaine : la nécessaire réintégration du salarié licencié. Que
signifie en effet cette amnistie si la principale conséquence de la sanction
amnistiée, le licenciement, n'est pas remise en cause ?
L'absence de réintégration réduit considérablement la portée de ce projet de
loi d'amnistie. Ces femmes et ces hommes qui représentent leurs camarades de
travail au sein d'institutions représentatives du personnel, ces hommes et ces
femmes qui, délégués syndicaux, soutiennent leurs collègues face à l'arbitraire
patronal...
(Murmures de réprobation sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Eric Doligé.
Il ne faut pas en rajouter !
M. Guy Fischer.
... doivent être réellement soutenus à l'occasion du vote de l'amnistie. Par
leur action contre la « fracture sociale », si chère, il y a sept ans, au
Président de la République, ils font honneur à notre pays, à la République.
Il ne faut jamais oublier le désarroi qui frappe une famille sur laquelle
s'abat le chômage. Lui seul permet de comprendre l'importance de cette
proposition de justice sociale, cette proposition qui, je le répète, serait de
nature à rendre à l'amnistie tout son sens, son véritable sens.
M. Paul Loridant.
Il a raison !
M. Guy Fischer.
Nous demandons au Gouvernement et à la majorité sénatoriale de nous entendre
sur ce point. Je note à cet égard que les amendements déposés par nos amis
députés communistes et républicains qui visent à exclure de l'amnistie les
délits patronaux d'entrave à l'action des syndicalistes ou des institutions
représentatives du personnel ont été adoptés. Malheureusement, tous les autres
mauvais coups contre la législation du travail - je pense, par exemple, à la
non-application ou la mauvaise application des 35 heures - seront amnistiés.
Sur ces questions de droit social, nous défendrons également un amendement
visant à empêcher la décision d'exécution provisoire d'une sanction par un juge
unique. Pour une telle décision, la collégialité paraît s'imposer. Nous
proposerons par ailleurs d'étendre le champ de l'amnistie de droit des délits
commis à l'occasion de conflits du travail, d'activités syndicales et
revendicatives de salariés, aux actions d'un autre type, comme l'expression par
voie de presse.
Enfin, je souhaite, monsieur le garde des sceaux, vous faire part de mon
inquiétude à propos de l'exclusion de l'amnistie, cette année, des délits de
rébellion à l'égard de l'autorité publique ou des actes de dégradation ou de
détérioration.
Très souvent, à l'occasion de conflits plus ou moins durs, de tels faits se
produisent. Je considère que ces actes doivent entrer dans le champ du projet
de loi.
Permettez-moi de constater que tout a été prévu pour exclure de l'amnistie les
actions de la confédération paysanne et de M. José Bové.
(Murmures sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Ivan Renar.
C'est prouvé !
M. Gérard Le Cam.
C'est gros comme un MacDo.
M. Guy Fischer.
Mais, lorsque certaines actions commises par d'autres fédérations syndicales
agricoles génèrent des milliards de francs de déprédations et de dégâts - j'ai
le dossier sous la main -, l'Etat rembourse ! Il y a deux poids, deux
mesures.
M. Eric Doligé.
C'est faux !
M. Guy Fischer.
Non ! Ce n'est pas faux ! On en discutera lors du débat.
M. Michel Charasse.
C'est comme pour la Corse. C'est toujours pareil !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le sénateur.
M. Guy Fischer.
Même si nous ne partageons pas toutes les modalités d'action de cette
organisation,...
M. Patrick Lassourd.
Elle fait partie du show-biz...
M. Guy Fischer.
... nous estimons qu'un geste de clémence aurait été pleinement conforme à la
tradition républicaine.
Ces faits sont d'ailleurs à mettre en parallèle avec le récent conflit des
médecins et des infirmières. Malgré de violents affrontements avec les forces
de l'ordre, ce conflit a fait l'objet de dispositions d'apaisement de même
nature que celles que nous souhaiterions voir appliquées à la centrale
syndicale paysanne dont je viens de parler.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Je reviendrai sur le cas de ce syndicat et je vous apporterai des précisions,
mes chers collègues.
Nous interviendrons également en faveur de l'amnistie des délits commis à
l'occasion d'une procédure d'expulsion ou de saisie. Ce sont souvent des
militants associatifs et des élus qui sont confrontés à des scènes d'une rare
violence, symptomatiques des fractures de notre société. Et croyez bien que le
conseiller général des Minguettes que je suis peut vous éclairer sur ce qui se
produit lors des expulsions qui requièrent le concours de la force publique.
Enfin, avant de conclure, je souhaite m'arrêter sur la question de la double
peine.
Le présent projet de loi, comme celui de 1995, exclut de l'amnistie la peine
complémentaire d'interdiction du territoire français par le quatrième alinéa de
l'article 15.
M. Dominique Braye.
Ce n'est pas une double peine !
M. Guy Fischer.
Les sénateurs communistes sont particulièrement attentifs à cette question.
C'est pourquoi ils ont récemment déposé une proposition de loi visant à
l'abrogation de la double peine. Il y a sept ans, ils avaient déjà oeuvré pour
obtenir l'inclusion dans l'amnistie de cette peine complémentaire, qui est
souvent la cause de déchirements familiaux dramatiques. Sénateurs communistes
et socialistes avaient alors proposé la suppression des dispositions
combattues.
De récentes décisions de tribunaux confortent notre position. En effet,
comment pourrait-on accepter une discrimination sur le plan de l'amnistie entre
la personne condamnée de nationalité française et la personne condamnée de
nationalité étrangère ?
L'une recouvre sa liberté pleine et entière ; l'autre peut être séparée de sa
famille, même si elle vit en France depuis de très nombreuses années, si elle a
du travail, si elle s'est réinsérée. La non-amnistie de la double peine
illustre malheureusement le caractère inachevé de ce projet de loi d'amnistie.
Le Sénat s'honorerait en portant un coup de grâce à cette disposition inique
qui est contestée, y compris par des membres éminents de la droite
parlementaire tels que M. François Bayrou.
Pour conclure, au-delà de la nécessaire vigilance contre toute tentative
d'amnistie des délits politico-financiers, nous estimons important de recentrer
la loi d'amnistie sur ce qu'elle devrait être : un acte de générosité et de
réconciliation sur le plan social. Le projet qui nous est soumis aujourd'hui
par le Gouvernement est bien loin du « nouvel humanisme » si cher à M. le
Premier ministre !
Ce projet de loi, ni réel texte de pardon - exception faite de la détestable
amnistie des contraventions de police - ni texte de réconciliation sociale,
puisqu'il écarte de son champ d'application des hommes et des femmes qui n'ont
d'autre tort que celui de rechercher la justice, ne peut nous satisfaire. Aussi
le rejetterons-nous, s'il reste en l'état.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Dominique Braye.
Par quel moyen recherchent-ils la justice ?
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, comment ne pas dire d'abord l'impression de malaise que
nous ressentons en écoutant depuis plusieurs semaines, et encore aujourd'hui,
ceux qui soutiennent ce projet de loi ?
On nous a tellement parlé de l'impunité zéro ! Or ce texte, ce n'est pas tout
à fait l'impunité zéro. Il en est antinomique. Il est en effet contradictoire
de réclamer l'impunité zéro et de présenter, parmi les tout premiers textes de
cette nouvelle législature, un projet de loi qui amnistie les délits de droit
commun.
Chacun ressentant et reconnaissant la contradiction, on ne peut ensuite
qu'être frappé par l'ampleur des efforts rhétoriques que vous déployez,
monsieur le ministre, monsieur le rapporteur - et nous avons pu les apprécier -
pour montrer que ce texte a une portée plus limitée, une importance moindre et
des conséquences plus réduites que tous ceux qui l'ont précédé.
Que d'efforts - il faut les saluer - pour dire et écrire ce sur quoi cette loi
ne porte pas, ce dont elle n'est pas l'objet, ce qu'elle n'efface pas, ce
qu'elle n'excuse pas, ce qu'elle n'exonère pas, mais ce qu'elle continue de
punir ! Monsieur le ministre, il ne faut ainsi pas moins de cinq ou six pages -
sept ou huit peut-être -, de quarante et un alinéas, plus les neuf alinéas
insérés par l'Assemblée nationale, soit cinquante au total, sans oublier ceux
que le Sénat, dans sa sagesse, ne manquera par d'ajouter pour énoncer tout ce
qui est exclu de cette loi d'amnistie !
En un mot, ce projet de loi décrit abondamment, surabondamment même, les
effets qu'il n'a pas, alors qu'il décrit de manière assez succincte ceux qu'il
aura et qui ne sont pourtant pas négligeables !
Le débat sur l'amnistie est très ancien. On s'est beaucoup interrogé sur les
origines monarchiques...
M. Michel Charasse.
La justice retenue !
M. Jean-Pierre Sueur.
... ou républicaines de l'amnistie, ainsi que sur les versions républicaines
de celle-ci.
Les débats ont fait apparaître qu'il y avait finalement deux formes
d'amnistie.
La première, une amnistie d'union nationale ou de rassemblement national, de
pardon national, a eu pour objet de ressouder la nation après de lourdes et
difficiles épreuves ; elle a toutefois suscité, à chaque fois, de vives
oppositions.
On nous a beaucoup cité Victor Hugo, en particulier la magnifique métonymie
par laquelle il évoque Paris qui demande l'effort d'amnistie à toutes les
communes de France. Il y a eu de telles amnisties de rassemblement national
après les guerres qui ont marqué le XXe siècle, au sujet de l'Algérie - nous
nous en souvenons -, de la Nouvelle-Calédonie. Elles furent souvent difficiles,
mais c'était une façon de refonder l'union autour de valeurs fortes, d'en
revenir à la matrice des idées et des valeurs républicaines. Ce type d'amnistie
a beaucoup de sens.
Le second type d'amnistie, celle qui nous réunit aujourd'hui, suit chaque
élection présidentielle.
M. Michel Charasse.
Depuis 1959 !
M. Jean-Pierre Sueur.
Elle n'est pas rituelle mais, contrairement à ce qu'on croit parfois, ce n'est
pas une tradition consubstantielle de la République. Ainsi, sous la IIIe et la
IVe République, on a assez peu usé de cette forme d'amnistie rituelle.
Sous la IIIe République, alors que quinze élections présidentielles ont eu
lieu - chacun s'en souvient - seules cinq d'entre elles ont été suivies d'une
loi d'amnistie.
M. Michel Charasse.
C'est exact !
M. Jean-Pierre Sueur.
Sous la IVe République, seulement une élection présidentielle sur deux a été
suivie d'une loi d'amnistie.
M. Michel Charasse.
C'est exact !
M. Jean-Pierre Sueur.
Aujourd'hui, la loi d'amnistie est devenue un rite que chacun prévoit et dont
beaucoup anticipent les effets. C'est ainsi qu'elle est devenue une sorte
d'encouragement rituel à l'incivisme.
Elle est par essence inéquitable, car on voit bien que ceux qui se sont
acquittés du montant de leurs contraventions ne seront jamais remboursés, alors
que ceux qui ne l'ont pas fait seront exonérés de tout paiement par la loi
d'amnistie.
Comme nous l'ont expliqué des juristes, les tribunaux en viennent même à
anticiper les effets de l'amnistie en ajustant les peines en conséquence !
C'est bien le signe que l'amnistie est véritablement devenue un rite, une
habitude !
On nous objectera - cela a déjà été le cas ici même - que nous avons voté les
lois d'amnistie de 1981, de 1988, et que M. Lionel Jospin en avait annoncé une
qu'il voulait fort réduite. Cela est vrai. Mais je constate que ceux-là mêmes
qui se félicitent d'honorer un engagement pris par M. Jacques Chirac -
engagement lourd lui aussi de réserves et de restrictions, on s'en souvient -
le font - vous le faites - avec beaucoup de réticences, de précautions,
d'embarras, et s'engagent à ce que cette amnistie soit finalement la dernière
!
M. Michel Charasse.
La dernière du genre !
M. Jean-Pierre Sueur.
On sent bien qu'il y a un malaise...
M. Michel Charasse.
Pas avec les Corses !
M. Jean-Pierre Sueur.
... et qu'on assiste à la fin d'un cycle, d'un rituel. Finalement, il est
heureux qu'il en soit ainsi !
Je me souviens que, durant la campagne présidentielle, de très nombreux appels
se sont élevés pour mettre un terme à ce rite. Notre collègue M. Jean-Claude
Frécon me rappelait à l'instant que, dès avant la campagne présidentielle,
l'Association des maires de France, lors de son dernier congrès, avait pris
position de manière unanime contre le principe d'une loi d'amnistie.
Ne vaut-il pas mieux - c'est en tout cas notre position -, choisir d'en finir
dès aujourd'hui avec ces lois d'amnistie postélectorales, monsieur le garde des
sceaux, surtout lorsqu'on a répété tant de fois, comme vous l'avez fait,
qu'aucune infraction, si légère soit-elle, ne doit être laissée sans réponse
?
Si votre projet de loi est voté en l'état, monsieur le garde des sceaux - cela
est très bien expliqué dans l'étude d'impact que vous nous avez fournie -, ce
sont 38 % des personnes condamnées en l'an 2000 qui en bénéficieront, soit 217
900 personnes, et le coût pour l'Etat et pour les collectivités locales sera de
300 millions d'euros, comme l'a rappelé M. le rapporteur, soit tout de même 1
milliard 900 millions de nos francs ! Cela pose beaucoup de questions !
Hier et ce matin encore, j'écoutais sur les ondes votre collègue du
Gouvernement M. Gilles de Robien. S'exprimant à propos d'un grave problème pour
notre pays, les 8 000 morts sur nos routes, il parlait avec beaucoup
d'éloquence des mesures très sévères qu'il entendait prendre en matière de
circulation routière. Il évoquait la police spéciale qu'il allait créer...
M. Gérard Delfau.
C'est bien !
M. Jean-Pierre Sueur.
... ainsi qu'une série d'autres mesures très judicieuses.
Mes chers collègues, nous pouvons aider M. de Robien en refusant dès
aujourd'hui de voter ce projet de loi. Je ne doute pas que ce coup d'arrêt
aurait une haute valeur symbolique et qu'il serait un soutien très apprécié par
M. de Robien. Chacun se souvient en effet que l'une des premières paroles qu'il
prononça après avoir été nommé ministre - et avant d'être rappelé à l'ordre -
fut pour proclamer son total désaccord avec l'amnistie qui nous est aujourd'hui
proposée ! Finalement, c'était une bonne parole !
M. Dominique Braye.
Nous espérons que vous voterez ce qu'il nous proposera !
M. Jean-Pierre Sueur.
Ça, on en reparlera !
Pour terminer, mes chers collègues, j'évoquerai quelques points plus
particuliers pour le cas, que je ne puis malheureusement exclure, où notre
position, celle du groupe socialiste que j'ai l'honneur de défendre ici, ne
serait pas suivie par le Sénat.
D'abord, il nous est apparu que ce projet de loi opérait une discrimination
entre les modes de transport. En effet, il est prévu pour ceux qui utilisent
leur voiture l'amnistie totale des contraventions figurant dans le texte.
En revanche, s'agissant des transports en commun, le défaut habituel de titre
de transport fait obstacle à l'amnistie...
M. Eric Doligé.
C'est normal !
M. Jean-Pierre Sueur.
... c'est-à-dire que si l'on ne paye jamais on n'est pas amnistié.
M. Josselin de Rohan.
Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur.
On peut trouver cela normal, mais pourquoi le serait-ce dans le cas des
transports en commun et pas dans celui de l'utilisation de la voiture ? C'est
la raison pour laquelle notre groupe a retenu une suggestion de Michel Charasse
qui consiste à plafonner à 150 euros, d'une part, les infractions au code de la
route et, d'autre part, celles qui sont liées au défaut de titre de transport.
Ainsi, il y aura une parfaite équité !
M. Dominique Braye.
Merci pour ceux qui payent !
M. Jean-Pierre Sueur.
Car où est la justice, mes chers collègues, ...
M. Dominique Braye.
Ce sont des récidivistes !
M. Jean-Pierre Sueur.
...dès lors qu'une limite est fixée dans un cas, mais pas dans l'autre ? Nous
vous suggérerons donc, au travers de deux amendements, de prévoir une limite
dans les deux cas.
En deuxième lieu, nous vous proposerons - il s'agit d'une initiative de
Marie-Christine Blandin, soutenue par notre groupe - d'exclure également de
l'amnistie les délits relatifs au code de la santé publique. En effet, compte
tenu de l'importance de la sécurité en matière sanitaire et alimentaire, mes
chers collègues, comment peut-on imaginer exclure un grand nombre d'infractions
du champ de l'amnistie et ne pas en exclure les violations à un certain nombre
de règles relatives à la santé publique, violations qui, comme vous le savez,
peuvent avoir des conséquences redoutables ?
En troisième lieu, nous vous proposerons que, dans les exclusions, soient
inscrites de manière explicite les fraudes aux examens et concours, ainsi que
les fraudes à caractère électoral.
Enfin, mes chers collègues, j'aborderai l'article 9, qui porte sur l'amnistie
par mesure individuelle. Il s'agit d'un sujet qui, depuis longtemps, fait
débat. Vous savez que le droit de grâce du Président de la République est prévu
par la Constitution. Or de nombreux juristes ont mis en cause ces lois qui
donnent, en quelque sorte, un droit de grâce supplémentaire au Président de la
République. Je citerai à cet égard Pierre Mazeaud, aujourd'hui membre du
Conseil constitutionnel, et qui a justement dit ceci : « Permettre au Président
de la République d'accorder l'amnistie par décret me paraît pour le moins
condamnable. L'amnistie résulte de la loi et de la seule loi. C'est au
législateur qu'il appartient, et à lui seul, de légiférer. »
M. Josselin de Rohan.
C'est un point de vue !
M. Jean-Pierre Sueur.
Pierre Mazeaud marquait ainsi son opposition au fait que la loi donne au
Président de la République le pouvoir d'amnistier au-delà du droit de grâce
prévu par la Constitution, dont il disait d'ailleurs que c'est une « survivance
du droit régalien ».
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que cet
article 9 relatif à l'amnistie par mesure individuelle était beaucoup plus
restrictif que toutes les dispositons des lois antérieures qui avaient le même
objet. Pourtant, nous avons observé une certaine extension, qui tient en un
seul adjectif : « sportif ». Nous portons tous un grand intérêt au sport, nous
soutenons le sport de masse, le sport de haut niveau. Nous pensons donc qu'il
convient d'encourager le sport. Mais, finalement, les sportifs attendent-ils
des mesures d'amnistie de par la grâce du Président de la République,
contrairement à toutes les traditions, à la faveur de cet article 9 ? Afin
d'éviter que l'introduction de cet adjectif ne soit interprétée comme une
mesure
ad hominem,
il nous paraît sage de supprimer cette mention.
Ainsi, il n'y aurait pas de procès d'intention, quel qu'il soit, et nous nous
inscririons tous dans cette philosophie de la restriction, de la rigueur, de
cette juste tradition dont s'honorent les défenseurs de ce projet de loi.
Mes chers collègues, pour sortir de ce malaise perceptible, pour répondre aux
attentes de nombreux responsables de ce pays, de nombreux élus, pour surmonter
les contradictions, pour rompre avec les discours défensifs et un peu
embarassés - et nous comprenons tout à fait la situation qui est la vôtre à cet
égard - enfin, pour des raisons de justice et d'équité, le groupe socialiste
considère que le plus simple, le plus clair, le plus crédible, consiste à voter
contre le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « Il
n'est pas en soi condamnable d'avoir régulièrement, dans des occasions
exceptionnelles, un pardon républicain. » Ainsi s'exprimait le Président de la
République, M. Jacques Chirac, à l'occasion de la traditionnelle interview
télévisée du 14 juillet. Car c'est bien de pardon et de réconciliation dont il
s'agit aujourd'hui dans notre hémicycle et sous cette coupole.
En effet, au-delà d'une simple amnistie-amnésie, qui consisterait uniquement à
effacer et à passer l'éponge sur toute une série d'infractions et de délits,
notre Haute Assemblée hérite aujourd'hui, après l'Assemblée nationale, de la
lourde charge du « pardon républicain » évoqué tout récemment par le Président
de la République.
Mes chers collègues, il nous revient donc, au cours de ce débat, de définir
les contours et les limites du pardon. Qu'est-ce que la République peut et ne
peut pas pardonner aujourd'hui ? Autrement dit, en termes législatifs, nous
devons nous poser la question de savoir quelles sont les infractions qui
doivent être exclues du champ de la loi d'amnistie de 2002.
Cette loi, qui vient après un séisme politique de grande ampleur, ne peut-elle
pas également être l'occasion de réaffirmer l'importance de certaines valeurs
essentielles que notre société se doit de préserver ?
Ainsi, mon intervention s'attachera à rappeler la nécessité, même très
symbolique, de l'amnistie, à condition d'en user intelligemment : d'une part,
il s'agit de ne pas en abuser et de savoir en limiter les effets en adaptant la
loi à la réalité du moment ; d'autre part, alors qu'elle fait suite à une
élection présidentielle inédite et inquiétante quant aux performances de
l'extrême droite, cette loi d'amnistie de 2002 peut constituer une première
opportunité politique pour renforcer certains grands principes républicains.
Enfin, je m'attarderai quelques instants sur l'article 22 du projet de loi
relatif au transport public routier des personnes dans les départements de
Guadeloupe, de Martinique et de Guyane, et qui présente le double avantage de
combler un vide juridique et de prévenir tout risque pénal, sorte d'amnistie
par anticipation.
L'amnistie se distingue du droit de grâce. Si ce dernier est du seul ressort
du Président de la République, l'amnistie est proposée par le Gouvernement,
puis discutée et votée par le Parlement. Il en est ainsi sous la Ve République
après chaque élection présidentielle.
La loi d'amnistie est désormais une tradition républicaine, quoique
d'inspiration athénienne, comme l'a rappelé M. le rapporteur, en passant par la
« lettre d'abolition » de notre ancien droit ou encore par cette amnistie tant
voulue par les radicaux au sortir de la Commune et qui permit l'apaisement
nécessaire à l'émergence d'une IIIe République naissante. Ainsi, l'amnistie a
marqué l'histoire des civilisations, celle de notre pays et, plus encore
peut-être, celle de la République. Etre républicain, c'est savoir pardonner et
savoir amnistier !
L'amnistie, sous la forme du « pardon républicain », demeure encore
aujourd'hui une occasion rare d'apaisement et de réconciliation entre les
citoyens et leur Etat, mais aussi entre les citoyens eux-mêmes. N'oublions pas,
mes chers collègues, qu'il y a tout juste trois mois - seulement trois mois -
notre République se trouvait une fois de plus menacée et mise en danger ! Au
regard du séisme politique et institutionnel que nous venons de vivre, la loi
d'amnistie de 2002 constitue un acte républicain d'une grande charge
symbolique.
C'est pourquoi cette première loi d'amnistie du XXIe siècle doit être
interprétée comme un premier grand pas vers la réconciliation républicaine et
le rétablissement de la nécessaire confiance entre le peuple et ses élus, mais
aussi entre « la France d'en bas » et « la France d'en haut », pour paraphraser
M. le Premier ministre.
C'est donc bien le chantier de la renaissance de notre République qui se joue
depuis l'ouverture de ce double quinquennat présidentiel et législatif, et
c'est ce même chantier qui commence, en acte, par cette première pierre très
symbolique de l'amnistie et du « pardon républicain ». Non, mes chers
collègues, ne négligeons pas les symboles, surtout quand il y va de la
République et de ses institutions !
Fidèle à la tradition républicaine et attaché au symbole du « pardon
républicain », le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, dans
sa très large majorité, ne peut être que favorable au principe d'une nouvelle
loi d'amnistie.
Toutefois, s'il est bon et utile que, « dans des occasions exceptionnelles »,
comme l'a précisé le chef de l'Etat le 14 juillet dernier, les pouvoirs
exécutif et législatif sachent faire preuve de clémence au moyen d'une loi
d'amnistie, il n'est pas possible - il n'est plus possible - de tout amnistier
de façon aveugle. Par conséquent, le « pardon républicain » doit, lui aussi,
avoir ses limites.
C'est pourquoi la loi d'amnistie se doit de concilier pardon et répression.
Soucieux du respect des valeurs républicaines, au premier rang desquelles se
trouve l'éthique de responsabilité, le groupe auquel j'appartiens se réjouit,
monsieur le garde des sceaux, de l'équilibre de votre texte entre pardon et
autorité, entre compréhension et fermeté.
En effet, ce texte s'adapte aux moeurs de notre temps en ce qu'il fixe un
seuil, une limite que je qualifierai de « limite républicaine », entre, d'une
part, ce qui est excusable, donc amnistiable, et, d'autre part, ce qui ne l'est
pas, car impardonnable dans la France d'aujourd'hui.
A l'heure où nous entendons renforcer les bases de la République et restaurer
son autorité, il est primordial de rappeler l'importance pour la société
française de certaines valeurs avec lesquelles il n'est plus possible de
transiger. Ici aussi, la force du symbole républicain et l'efficacité de
l'action politique se rejoignent et se confondent pour tenir compte des
évolutions de notre société.
Cela ne peut se traduire, bien évidemment, que par une forte augmentation du
nombre d'infractions exclues du champ d'application de l'amnistie : on recense
d'ailleurs près de cinquante exclusions dans le présent projet de loi après son
examen devant l'Assemblée nationale, contre moins de trente en 1995 et pas même
vingt en 1988. L'amnistie a donc bien ses limites !
Bien sûr, il est des exclusions à l'amnistie qui s'imposent d'elles-mêmes
comme les actes de terrorisme et le trafic de sutpéfiants, l'association de
malfaiteurs, les faits de proxénétisme, les infractions de nature sexuelle ou
encore les délits de discrimination.
Mais, aujourd'hui, avec cette loi d'amnistie, l'heure est aussi au rappel de
chacun à ses devoirs de citoyen : il s'agit d'insister clairement sur la
responsabilité individuelle et le sens civique de tout un chacun. C'est
pourquoi les actes « gratuits » et dangereux de violence routière ne sont plus
acceptables, donc pas amnistiables, pas plus que les délits de corruption ou
assimilés en matière économique et financière, ou encore l'ensemble des
infractions au code de l'environnement.
Ne pas amnistier toutes ces infractions, c'est envoyer à nos concitoyens un
signal politique fort en faveur de la responsabilisation des comportements
individuels, que ce soit au volant, au travail, dans la nature. Ne pas
amnistier la plupart des contraventions prévues par le code de la route, à
commencer par le stationnement gênant, sur des places réservées aux véhicules
de personnes handicapées ou aux véhicules de transport ou de services publics,
c'est rappeler tous les citoyens, non seulement ceux qui sont en infraction
mais aussi tous les autres, à leurs devoirs civiques tout autant qu'au respect
de la règle de droit, de cette loi dont nous avons la charge, mes chers
collègues, et que nous votons ici-même.
Par conséquent, loin d'être une simple « amnistie-anamnèse » qui se
contenterait d'oublier volontairement toute une série d'infractions, cette loi
d'amnistie 2002, qui fait suite à un séisme politique sur lequel il nous faut
continuer à réfléchir et à nous interroger, doit également prendre la forme du
passé et consacrer un retour aux sources de la République et à ses grands
principes.
Une injustice mérite d'être corrigée entre employeurs et salariés, dans le
souci d'apaiser les tensions collectives et de réablir un élément d'égalité de
traitement entre les uns et les autres, tout en excluant de l'amnistie les
récidivistes.
En effet, l'article 3 du projet de loi prévoit l'amnistie des délits commis à
l'occasion d'activités syndicales et revendicatives de salariés, lorsque les
faits sont passibles d'une peine d'emprisonnement allant jusqu'à dix ans. C'est
pourquoi je proposerai un amendement tendant à permettre l'amnistie des
employeurs condamnés au plus à un an d'emprisonnement. Nombre de chefs
d'entreprise artisanale sont souvent pénalisés à ce titre, monsieur le garde
des sceaux.
Je terminerai en faisant part de la grande satisfaction de l'élu de la Guyane
que je suis de voir intégrer au projet de loi un ultime article, l'article 22,
qui permettra de mettre un terme à une situation des plus absurdes pour les
transporteurs publics routiers de personnes dans les trois départements
français d'Amérique, Guadeloupe, Martinique et Guyane.
Cet article 22 vient, en effet, combler un vide juridique, le projet de loi de
ratification de l'ordonnance du 7 mars 2002 n'ayant pas été déposé dans le
délai imparti, soit avant le 30 juin 2002. Ainsi, l'ensemble des transporteurs
de Martinique, Guadeloupe et Guyane risquaient d'être pénalisés.
Or la caducité de l'ordonnance, fortement préjudiciable aux transporteurs
publics et, par voie de conséquence, à la population, résulte de l'inaction
regrettable du précédent gouvernement, qui a préféré remettre à plus tard la
question de l'organisation des transports publics plutôt que de déposer, comme
il y était tenu aux termes de l'article 4 de la loi d'habilitation du 12 juin
2001, un projet de loi de ratification dans un délai fixé.
L'ordonnance de mars 2002, devenue donc caduque, prévoyait, dans son article
13, une prorogation des autorisations ou concessions d'exploitation des lignes
de transport pendant une période maximale de quatre ans à compter du 13 juin
2002, comme l'exigeait l'article 19 de la loi d'orientation pour l'outre-mer du
13 décembre 2000.
Dans ces conditions, la caducité de l'ordonnance en question et l'absence, à
ce jour, de toute disposition législative d'urgence ont causé, à la date du 13
juin 2002, ce vide juridique dans lequel se trouve encore aujourd'hui le
transport public routier de ces trois départements français.
C'est pourquoi, malgré l'absence de véritable lien avec la loi d'amnistie, je
ne peux que me réjouir de la présence, dans le texte, de l'article 22 qui, en
modifiant l'article 19 de la loi d'orientation pour l'outre-mer, vient proroger
les autorisations et concessions jusqu'au 1er juin 2006 et comble parfaitement
le vide juridique né de la caducité de l'ordonnance.
Malgré les apparences et au-delà de son caractère d'urgence, cet article 22 a
sa place dans le présent projet de loi portant amnistie dans la mesure où la
prorogation de la validité des autorisations et des concessions vise à prévenir
tout risque pénal ou de gestion de fait. Mieux vaut prévenir que... punir !
Je remercie M. le garde des sceaux d'avoir intégré à son projet de loi cet
article 22 et ne doute pas que notre assemblée, pleine de bon sens, tout comme
l'Assemblée nationale avant elle, l'adoptera sans modification.
Pour toutes ces raisons, monsieur le garde des sceaux, je vous assure que le
groupe auquel j'appartiens votera bien volontiers, majoritairement, votre
projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le
premier sentiment que l'on éprouve, à la lecture des débats qu'a connus
l'Assemblée nationale à l'occasion de la discussion du projet de loi portant
amnistie ou à l'examen des commentaires qu'il a pu susciter dans les différents
médias, c'est l'étonnement ou, plus précisément, l'étonnement devant
l'indignation, réelle ou simulée, d'un certain nombre de parlementaires devant
un texte que j'ai trouvé - je le dis d'autant plus facilement, monsieur le
ministre, que ce n'est pas nécessairement une critique - d'une assez grande
modestie, pour ne pas dire d'une certaine banalité !
(Sourires.)
Si c'est au motif d'un tel texte qu'un certain nombre de nos collègues députés
veulent pétitionner - je les cite - « sur les plages, à la porte des stades ou
sur le parquet des guinguettes », réjouissons-nous pour eux que le ridicule ne
tue plus personne dans notre pays depuis fort longtemps !
M. Patrick Lassourd.
Heureusement !
M. Jean-René Lecerf.
Car enfin, depuis les débuts de la Ve République, chaque élection
présidentielle est suivie d'une loi d'amnistie, et l'alternance n'a rien changé
à cela, bien au contraire.
Sans remonter jusqu'à la Grèce antique, constatons simplement que la IIIe et
la IVe République ont également largement pratiqué l'amnistie, même de manière
moins systématique, dans un large souci de pardon, de réconciliation et de
fraternité.
Cherchons donc ailleurs, si vous le voulez bien, les raisons d'un pareil
tumulte.
Le Président de la République aurait-il, dans sa campagne, annoncé qu'il
souhaitait que le Parlement mette fin à cette tradition ? En aucune manière !
Et quoi de plus naturel que la majorité présidentielle ait à coeur de valider
l'engagement de son candidat ?
On ne refait ni l'histoire ni les élections. Mais M. Jospin n'avait-il pas
lui-même souhaité le vote rapide d'une loi d'amnistie ?
M. Jean-Pierre Sueur.
Je l'ai dit !
M. Jean-René Lecerf.
Et, si le sort des urnes avait été différent, ne serions-nous pas aujourd'hui
en train de discuter d'un projet de loi de même nature ?
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Gérard Delfau.
A front renversé !
M. Jean-René Lecerf.
Alors, c'est le contenu de ce projet de loi qui choque l'opposition, sans
doute parce qu'il prévoit une extension considérable du champ de l'amnistie ?
Pas davantage : il s'agit de l'amnistie la plus réduite qui ait jamais été
présentée, à la fois du fait de la multiplication du nombre des infractions qui
sont exclues de son champ d'application, de la limitation de ses effets et de
l'abaissement des seuils dans la fixation du
quantum
de la peine.
C'est donc avec la plus grande sérénité que l'on peut, d'un bord à l'autre de
l'hémicycle, aborder cette discussion.
Est-il opportun de réfléchir à l'avenir des lois d'amnistie ? Il est certes
indiscutable qu'elles portent atteinte à la séparation des pouvoirs que
consacre le préambule de la Constitution. N'en est-il pas de même, cependant,
de la grâce présidentielle ou, en sens inverse, de l'interprétation
contra
legem
à laquelle se livrent parfois les tribunaux, afin, nous disent les
bons auteurs, de « retirer leur venin à certains textes », c'est-à-dire de
retirer le venin que les parlementaires y ont mis.
(Sourires.)
On ne peut le nier, le passage au quinquennat et la crainte que des lois
d'amnistie plus nombreuses ne nuisent à la lutte contre l'insécurité amènent à
appréhender autrement le problème.
Le temps semble venu de renoncer aux amnisties systématiques à la suite d'une
élection présidentielle, mais ce sera aux prochains candidats à la magistrature
suprême, et à ceux qui les entourent, de prendre, sur ce point, dans moins de
cinq ans, leurs responsabilités.
Je ne comprendrais pas, en revanche, que le Parlement décide de se passer à
tout jamais de cette prérogative consacrée par la Constitution, alors que
certains événements, ou une évolution de l'esprit public sur des faits de
société, pourraient, demain, justifier à nouveau largement son utilisation.
Je suis d'ailleurs réservé sur la distinction, peut-être un peu manichéenne,
introduite par de nombreux collègues entre la bonne et la mauvaise utilisation
de l'amnistie, comme il en est de la langue d'Esope ou, pardonnez-moi cette
familiarité de langage, du cholestérol ! Ainsi donc, du bon côté de la
barrière, on trouverait l'amnistie des délits politiques, la grande amnistie de
réconciliation nationale ; de l'autre, l'amnistie de confort, décidée à
l'occasion d'une élection comme il existe, dans nos communes et nos
départements, la journée du maire ou la semaine du président du conseil général
!
M. Dominique Braye.
Autrefois !
M. Jean-René Lecerf.
Je ne suis pas convaincu que les oppositions soient aussi catégoriques et ne
puis m'empêcher de penser que, même en des temps de démocratie apaisée, hors
période de tempêtes, l'amnistie peut être un signe fort, conciliant le geste du
pardon avec les impératifs de la sécurité, et donc de la répression.
Qu'on me permette de rappeler à ceux qui s'avancent à dénoncer une application
à éclipses de la loi pénale que c'était aussi pour ne pas autoriser un « Etat à
éclipses » que le Conseil d'Etat a condamné pendant fort longtemps le droit de
grève dans les services publics. Je ne suis pas sûr que ce rapprochement
conforte leur argumentation !
Votre projet de loi, monsieur le ministre, empreint de la plus grande
modération, désamorce, par la multiplication des exceptions, l'essentiel des
cas dans lesquels l'amnistie pourrait apparaître comme un rempart de la
délinquance. Au point que l'on peut se demander, d'ailleurs, où est la règle et
où est l'exception, et s'il ne vaudrait pas mieux dresser la liste des
infractions amnistiables plutôt que celle des infractions qui ne le sont
pas.
M. Jean-Pierre Sueur.
Absolument !
M. Jean-René Lecerf.
C'est donc sans aucun état d'âme que mes amis et moi-même voterons ce texte,
et sans qu'il soit utile de faire appel à quelque discipline de vote que ce
soit !
L'amnistie qui me gêne profondément, monsieur le garde des sceaux, ce n'est
pas celle-ci, ce n'est pas celle qui est votée par le Parlement, sur
proposition du Gouvernement ; non, c'est plutôt l'amnistie honteuse, rampante,
dont profitent les délinquants et dont souffrent au quotidien les victimes.
Cette pseudo-amnistie trouve son origine dans l'extrême difficulté à obtenir,
notamment dans les quartiers difficiles, des dépôts de plaintes ou des
témoignages par peur des représailles.
Avant mon élection au Sénat, j'étais maire d'une commune de près de 40 000
habitants. Pour obtenir des témoignages, lorsque je savais que les délinquants
avaient été surpris, il m'a fallu, et à de nombreuses reprises, me rendre chez
les personnes pour les rassurer, puis les domicilier en mairie, les accompagner
au commissariat, voire demander à l'officier de police de commettre les fautes
de frappe qui transformaient M. Lebon en M. Lepan ou Mme Dupont en Mme Segond.
C'est dire l'immensité des plaintes et des témoignages qui, sans doute
fondamentaux pour la police et pour la justice, leur font cruellement défaut,
sans que l'on puisse faire à qui que ce soit le reproche de manquer de courage,
et surtout pas au père de famille, par exemple, qui craint des représailles
pour son épouse ou pour ses enfants.
La pseudo-amnistie, c'est aussi le taux préoccupant des affaires classées sans
suite et l'inexécution des décisions de justice. Quoi de plus dommageable pour
la dignité et l'exemplarité de la justice qu'un grand nombre de ses décisions
reste lettre morte ? Combien de fois avons-nous constaté, ne serait-ce que pour
l'octroi aux victimes de dommages et intérêts, que les courageux entêtés qui
finissaient pas obtenir une décision favorable se voyaient alors opposer la
mauvaise foi, l'inertie ou l'insolvabilité ? Ne pourrait-on envisager, dans ces
hypothèses, que ce soit l'Etat qui accorde l'indemnisation décidée par le juge
et qu'il soit ensuite subrogé dans les droits de la victime à l'égard de
l'auteur du dommage ?
Je m'éloigne de ce projet de loi portant amnistie. Je ne voudrais pourtant pas
anticiper sur un autre texte d'importance, le projet de loi d'orientation et de
programmation pour la justice, dont nous serons amenés à débattre dès jeudi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
MM. Dominique Braye et Patrick Lassourd.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
notre rapporteur évoquait la démocratie athénienne. Sans remonter à Solon ou à
Thrasybule, l'auteur de la première loi d'amnistie, en 403 avant Jésus-Christ,
je rappellerai que les Anciens faisaient bien la différence entre l'oubli et la
réhabilitation - cette «
amnhstia
» qui a donné en français le mot «
amnistie » - et que toutes les civilisations ont connu peu ou prou l'amnistie.
D'ailleurs, la République, depuis ses origines, l'a pratiquée, non sans de
longs débats, mais généralement au lendemain de graves crises civiles. Je ne
les citerai pas ici, mais ce furent de très douloureux moments de notre
histoire. Comment faire passer l'amnistie après la Commune, mais aussi, hélas !
après l'Occupation, avec toutes ses conséquences ? Et que dire de la
décolonisation ? Les débats furent extrêmement vifs dans notre pays, et
l'amnistie était nécessaire pour réconcilier la nation avec elle-même.
Toutefois, son vote régulier, après chaque élection présidentielle, l'a
banalisée. De plus, si la fréquence de sept ans rappelait l'année sabbatique de
la Bible, qui voyait la libération des esclaves, la remise des dettes...,
maintenant qu'elle est de cinq ans, elle n'a plus grand sens.
L'amnistie n'a plus le même sens, car elle n'a plus pour objet de garantir la
paix sociale et de refonder l'unité nationale après une crise grave. Elle
s'apparenterait plutôt à la grâce présidentielle, qui intervient chaque année à
l'occasion de la fête nationale et qui, hélas ! monsieur le garde des sceaux,
est nécessaire à la régulation de la population carcérale.
L'amnistie avait été très large en 1981, un peu moins en 1988 et moins encore
en 1995 ; au fil des ans, le législateur en a progressivement exclu un grand
nombre d'infractions, en fonction de la sensibilité sociale et des « valeurs
sociales fondamentales » qu'évoque l'exposé des motifs du projet de loi,
cependant que, parallèlement, il aggravait les peines prévues dans le code
pénal en tous ces domaines. Car, régulièrement, nous ajoutons des peines, alors
qu'il faudrait peut-être commencer par mieux appliquer celles qui existent.
Il en va de même - mais cela relève de l'anecdote - pour les contraventions de
stationnement : aujourd'hui, le projet de loi d'amnistie exclut celles qui
concernent les emplacements réservés aux véhicules de transport public, aux
taxis - corporation qui s'est bien défendue ! - ou aux personnes
handicapées.
Dans le projet de loi figurent quarante et une exclusions, portées à
quarante-huit par l'Assemblée nationale. M. le rapporteur - il a eu raison - en
a ajouté une quarante-neuvième, et peut-être nos collègues nous en
proposeront-ils quelques autres. Cela démontre à l'évidence combien l'évolution
des mentalités tend à transformer l'amnistie en une survivance peu justifiée
sur le plan de l'équité et de la morale publique.
C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les infractions au code de la
route : alors que, naguère, une grande tolérance régnait en ce domaine, la
lutte permanente et nécessaire contre l'insécurité routière, qui est à
l'origine de tant de drames, qui a brisé tant de vies justifie pleinement que
soit fortement réduite l'amnistie des contraventions de police en la
matière.
Encore pourrait-on objecter que, même limitée au stationnement, l'amnistie est
une incitation à l'incivisme et, de plus, s'apparente à une véritable loterie
dont les résultats varient en fonction de la diligence des services chargés du
recouvrement des amendes. Les collectivités locales pourraient de surcroît se
plaindre de la perte d'une partie des recettes leur permettant de financer les
équipements de sécurité routière ; car, nous le savons tous, les amendes de
police servent aussi à cela !
Dans ce domaine de la sécurité routière, l'amnistie semble avoir épuisé tous
ses bienfaits. Il serait sans doute plus convenable d'abandonner à l'avenir une
telle pratique, qui ne se justifie plus guère.
Faut-il pour autant supprimer toute amnistie, notamment celle des infractions
visées à l'article 3, qui sont commises « dans des circonstances particulières
qui justifient une mesure d'apaisement contribuant à la cohésion nationale » ?
Je répondrai par la négative, car l'amnistie correspond alors réellement au
rôle qu'elle a toujours joué après des troubles politiques ou sociaux, ou lors
de conflits du travail ou professionnels.
Reste l'amnistie en raison du
quantum
ou de la nature de la peine des
infractions visées aux articles 4 à 6 du projet de loi. Elle est plus délicate
à nos yeux, car elle a deux effets différents : d'une part, elle dispense de
l'exécution de la peine, et, d'autre part, elle efface la condamnation du
casier judiciaire.
Nous connaissons tous le taux trop faible et très variable de l'exécution des
peines, notamment des peines de courte durée, particulièrement dommageable,
vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, à la crédibilité de la
justice. L'amnistie ne serait-elle qu'une mesure de « déstockage », au lieu
d'être une mesure d'équité ?
A son caractère assez aléatoire s'ajoute en outre une certaine disparité. En
effet, le bénéfice de l'amnistie est conditionné par l'exécution réelle de la
peine dans le cas des travaux d'intérêt général, mais non dans le cas d'une
peine privative de liberté. Nous pouvons donc à juste titre nous interroger sur
l'équité de la mesure.
Il n'en demeure pas moins que l'autre effet de l'amnistie des condamnations
est leur effacement du casier judiciaire. Le code de procédure pénale prévoit
certes l'effacement des peines, en l'absence de nouvelle condamnation, mais au
bout de... quarante ans ; bien sûr, des exceptions existent pour les mineurs
devenus majeurs. Cependant, l'« oubli » des condamnation passées, selon une
définition qui, je le rappelle, limite celles-ci à raison de leur
quantum
et de leur nature, paraît être une mesure utile et susceptible
de conforter la réinsertion des condamnés à de courtes peines en leur donnant
une nouvelle chance dans la vie. C'est là, à mes yeux, l'une des justifications
réelles et permanentes de l'amnistie, et peut-être pourrions-nous imaginer un
autre système, qui permette, après un certain temps, d'effacer les courtes
peines et de donner aux intéressés la possibilité de prendre un nouveau
départ.
Je comprends ceux qui, par principe, refusent toute amnistie parce qu'ils
estiment qu'elle est peu compatible avec le souci général de tendre vers moins
d'impunité et moins d'incivisme et qu'elle représente un contre-exemple. Un de
nos collègues citait tout à l'heure Jean-Jacques Rousseau, sinon dans la
lettre, du moins dans l'esprit, arguant que, si les gouvernements sont bons, il
y aura moins de criminels et que l'amnistie ne sera plus nécessaire. C'est
faire montre d'une certaine naïveté ! A Rousseau, je préfère Montesquieu, qui
écrivait : « C'est un grand ressort des gouvernements modérés que les lettres
de grâce. Le principe du gouvernement despotique qui ne pardonne pas, et à qui
on ne pardonne jamais, le prive de ses avantages. »
Il serait malséant de faire sur ce point surenchère de vertu politique,
d'autant que j'ai cru comprendre qu'il est parfois difficile pour les candidats
à la présidence de la République - qui, s'ils ne font aucune proposition,
répondent néanmoins souvent à des questions sur ce thème - de s'engager dans un
refus total de l'amnistie et d'en rejeter même l'idée.
Quoi qu'il en soit - et j'espère avoir démontré le côté positif, par certains
aspects, mais aussi limité du projet de loi qui nous est soumis -, si ce texte
redonne espoir à quelques-uns, pourquoi ne pas suivre la voie de la modération
chère à Montesquieu ?
C'est en ce sens que la majorité de mes collègues du groupe de l'Union
centriste votera le projet de loi.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je
suis favorable à l'esprit de conciliation, à la pratique du pardon que
représente le vote d'une loi d'amnistie, si fréquent depuis les origines de la
République. Le ton moralisateur de ceux qui la combattent ne m'impressionne
pas. Ces diatribes me semblent plus céder à l'air du temps, à un climat de
frilosité et de repli sur soi si caractéristique de notre époque, qu'à une
réflexion sur la marche de notre société et sur le sens des institutions.
Cela étant, encore faut-il examiner de très près le contenu du projet de loi.
Est-il équilibré ? Ne fait-il pas la part belle aux délits des puissants ? Ne
risque-t-il pas d'inciter une fraction de la population à poursuivre sur un
chemin dangereux, celui de l'insécurité routière, par exemple ? Bref, c'est sur
le fond que je jugerai.
Trois points déterminants, notamment, doivent être clarifiés : premièrement,
l'amnistie des infractions, délits et contraventions mettant en danger la
sécurité routière et la vie ou l'intégrité des personnes à l'occasion de la
conduite d'un véhicule ; deuxièmement, l'amnistie éventuelle des délits
politico-financiers ; troisièmement, l'amnistie des délits syndicaux.
Je reviens - brièvement, puisque mon collègue M. Othily a déjà largement
développé ce point - sur l'exclusion de l'amnistie des infractions, délits et
contraventions visés aux 8° et 9° de l'article 13 du projet de loi, le 8° se
référant au code pénal et le 9° au code de la route. Cette disposition rendrait
la loi très restrictive en matière d'infractions routières. En effet, en
seraient exclus les infractions et délits au code de la route qui mettent en
danger directement ou indirectement la sécurité et l'intégrité physique des
personnes.
Je soutiens totalement ces restrictions, et ce d'autant plus que les mesures
annoncées ces jours derniers par le ministre des transports en matière de
sécurité routière - encore faudra-t-il qu'elles prennent forme ! - devraient
donner à la collectivité nationale les moyens de diminuer sensiblement la
mortalité routière. J'espère simplement que M. de Robien persévérera dans cette
voie malgré les pressions.
L'amnistie des délits de stationnement apparaît donc comme un geste de bonne
volonté avant une reprise en main sévère, mais nécessaire et urgente. Cet avis
est d'ailleurs partagé par de nombreux experts.
Le deuxième point qui retiendra mon attention concerne l'exclusion de
l'amnistie, sous quelque forme que ce soit, des délits politico-financiers. Je
serai vigilant à toute tentative d'amnistie en la matière, fût-elle déguisée,
en particulier à celles qui pourraient intervenir lors de la commission mixte
paritaire, c'est-à-dire en fin de session extraordinaire.
A ce propos, je félicite mes collègues socialistes de l'Assemblée nationale
pour l'amendement qu'ils ont déposé et fait adopter, tendant à insérer à
l'article 13 un 4°
bis
qui exclut du champ de l'amnistie l'abus de biens
sociaux. Cet alinéa vient en complément du 4° de l'article 3 excluant les
délits politico-financiers. Je resterai très attentif au cours de l'examen des
amendements ainsi que lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de
programmation pour la justice, qui sera l'occasion pour le Gouvernement de nous
donner la preuve de sa rigueur en la matière.
Le troisième point que je tiens à aborder porte sur un sujet beaucoup plus
controversé : l'amnistie des infractions et délits liés à l'activité syndicale
des organisations de salariés, d'agriculteurs et de professions libérales. J'ai
d'ailleurs déposé quatre amendements sur ce point.
Une telle amnistie est combattue par certains juristes au motif que tout
trouble à l'ordre public, assorti souvent d'une atteinte au droit de propriété,
est condamnable. Si l'opinion publique approuve généralement ce principe, sa
position, en réalité, fluctue selon les cas. Elle est même souvent favorable à
des actions musclées de salariés lorsque ceux-ci défendent leur emploi, ou
d'agriculeurs qui essaient de sauver le fruit de leur travail par des
initiatives symboliques : elle considère qu'ils sont alors en état de «
légitime défense ». Sa compréhension s'arrête, en revanche, dès qu'il y a
violence gratuite ou dégradation grave du patrimoine public ou privé.
Dès lors - et c'est là que je voulais en venir -, où classer dans cette
rubrique le cas de José Bové ? Le saccage du McDonald's de Millau peut-il être
considéré comme la réaction à une menace, au moins indirecte, contre la
profession paysanne telle que la conçoit le leader agricole ? Il est vrai que
l'épisode de la destruction des plants d'OGM est peut-être plus discutable,
puisque le champ dévasté faisait partie d'une expérimentation contrôlée par les
pouvoirs publics.
A vrai dire, dans les deux cas, on est à la limite de l'action syndicale et de
l'action politique, dans la filiation d'un courant ancien du syndicalisme
français. Or, dans l'ordre du politique, la liberté de manoeuvre des citoyens
et des organisations représentatives est moindre : le fonctionnement de notre
démocratie est strictement encadré, c'est bien naturel !
Ces considérations expliquent sans doute que l'incarcération, puis le maintien
en détention de José Bové n'aient provoqué de réactions négatives que dans une
frange minoritaire des mouvements attachés à la défense des droits de
l'homme.
Je partage le sentiment général de nos concitoyens : je n'approuve pas les
méthodes mises en oeuvre lors du saccage du McDonald's ou de la destruction des
plants d'OGM, même si les problèmes politiques soulevés à cette occasion
méritent de l'être. Pour tout dire, je condamne l'excès même de ces
manifestations, je réprouve que le passage à l'illégalité soit érigé en
stratégie syndicale : tous les moyens ne sont pas bons, même lorsque l'on
milite pour une juste cause.
Mais la question demeure, mes chers collègues : à quoi sert la prison face à
ce type de comportement ? Quel sens cela a-t-il d'incarcérer, au milieu de
détenus de droit commun, un homme qui se bat pour ses idées et dont l'intégrité
personnelle est indiscutable ? Notre société n'a-t-elle d'autre réponse à
apporter à cette provocation délibérée, à ce souci de mise en scène médiatique,
qu'une cellule dans une maison d'arrêt ? Ne faut-il pas craindre que cet
exemple ne fasse jurisprudence et ne porte atteinte aux droits syndicaux ?
La disproportion entre la sanction et les faits, le caractère inadéquat de la
mesure prise, tout cela peut préfigurer une aggravation de la répression de
l'action syndicale, en ces temps où la sécurité des biens et des personnes est
devenue la préoccupation lancinante des Français.
Pour toutes ces raisons, je crois que l'amnistie dont nous débattons doit
s'appliquer aussi au cas de José Bové.
Mesure de réparation pour les uns, moyen de sortir d'une impasse pour
d'autres, qu'importe ? A coup sûr, c'est un geste d'humanité. C'est bien, me
semble-t-il, l'objet même d'une loi d'amnistie, et c'est le sens des
amendements que j'ai déposés.
Comme les membres de tous les autres groupes, mes amis radicaux de gauche sont
partagés. Les uns éprouvent de la mauvaise conscience ou craignent les pièges
dissimulés dans un texte touffu et technique ; les autres, dont je suis, n'ont
aucune hostilité de principe à une loi d'amnistie. Tous ont décidé d'attendre
l'issue du débat pour se déterminer
(Applaudissements sur les travées du
RDSE).
M. le président.
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard.
Le projet de loi portant amnistie qui vient de nous être présenté par M. le
garde des sceaux et que rapporte notre excellent collègue Lucien Lanier
intervient dans un contexte totalement différent des précédentes lois
d'amnistie.
Les mass media, en particulier la télévision, comme les porte-parole des
différentes formations ont en effet pris position et il apparaît que ce type de
loi fait désormais l'objet d'une attaque quasi générale.
En outre, le contexte est à la recherche de la sécurité et l'opinion publique
voit donc d'un mauvais oeil l'amnistie de certaines catégories de
condamnation.
Dans le même temps, notre système pénal, Jean-Jacques Hyest l'a souligné, est
de plus en plus rigoureux : d'année en année, le code pénal aggrave les
sanctions et la liste des délits et des crimes ne cesse d'augmenter. Dès lors,
la répression fait figure d'élément principal alors que le pardon - terme
plusieurs fois utilisé - ne semble plus à l'ordre du jour.
Je crois que c'est une erreur. Les mass media et l'opinion publique se
trompent quand ils estiment que l'amnistie est hors du temps et ne correspond
plus aux nécessités de l'époque moderne.
Tout d'abord, il convient de relever quelques éléments de forme.
Première remarque, on assiste à une confusion grandissante dans les
différentes lois portant amnistie entre les contraventions, les délits et les
crimes.
La contravention, d'après notre Constitution, relève de la compétence
gouvernementale. Or la loi portant amnistie, votée par le Parlement, porte sur
les contraventions. C'est une anomalie juridique qu'il importe de souligner.
Dans certains pays, les infractions administratives, qui tiennent lieu de
contraventions, font l'objet d'amnisties purement administratives, solution que
nous pourrions peut-être envisager à terme.
Sa deuxième remarque concerne le très long article 13, dans lequel sont
énumérées les exceptions aux règles posées dans les douzes premiers articles.
Sur le plan purement législatif, c'est, me semble-t-il, une mauvaise technique
que d'énoncer d'abord les principes, puis les exceptions. A l'avenir, il
faudrait faire disparaître les exceptions en ne retenant que les principes,
lesquels fixeraient par eux-mêmes le champ des exceptions. Une telle
présentation simplifierait les lois d'amnistie et les rendrait sans doute plus
compréhensibles.
Le plus grave est cependant la confusion qui règne à l'heure actuelle dans
l'opinion publique entre de nombreux concepts : l'amnistie, la grâce
amnistiante, la grâce et, plus important encore, le principe de
non-rétroactivité lorsque le Parlement adopte une loi pénale plus douce.
La loi portant amnistie recouvre, je l'ai dit tout à l'heure, les délits et
les contraventions, mais aussi - doivent-elles réellement relever d'une telle
loi ? - les fautes disciplinaires et professionnelles. La confusion ainsi
entretenue dénature dans l'opinion publique la loi d'amnistie.
Quant à la grâce amnistiante, elle permet au chef de l'Etat d'aller plus loin
que la grâce, puisque celle-ci n'efface pas les condamnations. L'amnistie, au
contraire, remet le casier judiciaire « à zéro ».
Chacun le sait, la dénaturation de la loi d'amnistie découle du fait que
l'essentiel - 90 % - des amnistiés sont des contrevenants au code de la route,
qui, pour la plupart d'entre eux, ont mal garé leur véhicule ; situation qui a
empiré de loi d'amnistie en loi d'amnistie.
Depuis le vote de la première loi d'amnistie de la Ve République, le nombre de
conducteurs automobiles s'est en effet accru, entraînant une multiplication des
infractions, à laquelle la généralisation depuis 1958 des parcmètres et autres
éléments de ce genre a aussi beaucoup contribué. On a été ainsi amené à dire,
notamment lors du vote des lois d'amnistie de 1988 et de 1995, que l'amnistie
était nécessaire pour désengorger les services du ministère de la justice et
ceux du ministère des finances qui ne parvenaient plus à encaisser les
contraventions et les amendes !
L'engorgement de ces services est un problème qu'il faudra un jour résoudre
autrement que par l'amnistie, car elle crée, à la veille de chaque élection
présidentielle, une situation qui ne devrait plus se reproduire : la
coexistence de trois catégories de citoyens.
Première catégorie : le bon citoyen, celui qui paie ses amendes au fur et à
mesure. Celui-là, à ma connaissance, le Trésor ne le remboursera pas, amnistie
ou pas !
Deuxième catégorie : le citoyen qui est également un bon citoyen en ce sens
qu'il connaît nos institutions qui sait qu'il y aura une amnistie - c'est la
tradition, la règle - et qui décide une fois pour toutes, à partir du 1er
janvier 2002, de ne plus payer ses contraventions. Celui-là est en règle avec
sa conscience, avec la Constitution et avec nos lois.
Troisième catégorie : le citoyen qui, systématiquement, ne paie pas ses
contraventions et que les services des finances ne parviennent parfois pas à
retrouver. Celui-là, amnistie ou pas, ne paiera de toute façon pas ses
contraventions. C'est, en quelque sorte, un contrevenant permanent.
Il faut mettre fin à ce système pour que l'amnistie représente à nouveau les
valeurs qui, chacun l'a dit, devraient la caractériser : le pardon, la
générosité, la tradition républicaine.
Je ne sais d'ailleurs pas si « pardon » est le terme adéquat. L'amnistie a une
double filiation, à la fois grecque et chrétienne, qui se retrouve aussi dans
la tradition musulmane, où l'
aman
est l'équivalent de l'absolution,
terme qui me semble mieux convenir : lorsque l'on pardonne, on n'oublie pas,
alors que, dans l'absolution, on oublie la confession, on passe l'éponge.
J'en viens là à la valeur fondamentale de l'amnistie, laquelle devra
d'ailleurs sans doute être déconnectée à l'avenir de l'élection présidentielle,
ne serait-ce que parce que le quinquennat rapprochera désormais un peu trop les
échéances. On risque ainsi d'oublier la finalité de l'amnistie, d'autant que,
de cinq ans en cinq ans, le champ d'application de celle-ci sera encore
restreint pour ne plus couvrir à terme que les infractions au stationnement non
gênantes !
Or, quels sont l'intérêt et le but de l'amnistie dans un système politique
comme le nôtre ? On l'a un peu oublié. On a parlé de la générosité, de la
cohésion nationale et de la restauration de la communauté. Il est une autre
dimension qu'il faut rappeler : le condamné, en particulier à des peines
criminelles ou à des peines délictuelles de longue durée, doit - surtout quand
il a accompli sa peine - pouvoir repartir de zéro. Or, tant que son casier
judiciaire lui interdira l'accès à tel emploi, telle profession ou tel métier,
ce sera impossible.
Notre société, à un moment donné, doit donc tourner la page. Elle doit faire
confiance à celui qui, après avoir accompli sa peine, « redémarre ». C'est, dès
lors, un citoyen comme les autres, sans casier judiciaire.
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Très bien !
M. Patrice Gélard.
Cette dimension de l'amnistie a progressivement été perdue de vue : la
réintégration du délinquant qui a exécuté l'intégralité de sa peine et qui a
apporté la preuve de sa volonté de se réinsérer dans la société.
L'amnistie joue en effet un rôle pédagogique essentiel en termes de
réinsertion sociale du délinquant, de l'exclu. On retrouvera ainsi une des
grandes valeurs républicaines dont on lit le nom au fronton de tous nos
édifices publics : la fraternité.
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Très bien !
Je conclurai en disant que toutes les grandes démocraties sans exception
pratiquent l'amnistie. Dans toutes les démocraties, c'est le Parlement qui vote
l'amnistie alors que c'est généralement le chef de l'Etat ou celui du
gouvernement qui exerce le droit de grâce. Il faut conserver ces outils
démocratiques essentiels, car sans l'amnistie et le droit de grâce, il n'y
aurait plus de République ! (
Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste. - M. Georges Othily
applaudit également.)
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je veux d'abord remercier M. le rapporteur de la
qualité de son travail sur ce sujet un peu austère qui, à l'évidence, suscite
moins l'enthousiasme de l'opinion publique qu'en d'autres temps...
A M. Fischer - mais ma réponse vaut aussi pour d'autres orateurs -, je dirai
que la question qui se pose à nous aujourd'hui ne doit pas être posée pour le
passé. Le débat sur l'amnistie - je le dis sincèrement et sans aucun esprit
polémique, monsieur Sueur - doit avoir lieu avant une élection
présidentielle.
Soyons en effet convenables à l'égard de nos concitoyens ! La plupart des
candidats - en tout cas MM. Jospin et Chirac, et M. Jospin tout
particulièrement - se sont déclarés clairement et très précisément en faveur de
l'amnistie, en allant jusqu'à détailler les infractions, en particulier en
matière routière, qui devraient ou ne devraient pas être visées. Je trouve un
peu inconvenant que ceux qui ont soutenu M. Jospin - à moins que vous ne
fassiez partie, monsieur Sueur, des socialistes qui n'ont pas voté pour lui !
(M. Jean-Pierre Sueur fait un geste de dénégation)
- viennent, au
lendemain des élections, expliquer qu'il ne faut pas amnistier. C'est, je
crois, une mauvaise habitude d'une partie de la classe politique française que
de dire après les élections le contraire de ce qui a pu être dit avant.
Nous nous accordons pour penser qu'il faut être un peu raisonnables quant au
champ de l'amnistie. L'évolution en la matière est nette depuis 1981, année de
la grande amnistie. Je n'en dirai rien, nous en avons tous le souvenir,
s'agissant en particulier d'antiterrorisme... En 1988, la loi d'amnistie est
devenue plus raisonnable. En 1995, son champ a été très fortement réduit.
En 2002, je vous propose, au nom du Gouvernement, une amnistie encore plus
limitée.
Cette réduction correspond, je l'ai dit dans mon propos introductif, aux
attentes de nos concitoyens. Il appartiendra aux candidats aux prochaines
élections présidentielles de nous dire à l'avance ce qu'ils feront - et je suis
convaincu qu'ils s'y tiendront.
M. Fischer a également évoqué une amnistie à plusieurs vitesses. Prenez garde,
monsieur Fischer, à rester en cohérence avec certaines des propositions émises,
en particulier, par le groupe communiste à l'Assemblée nationale, lesquelles
tendaient, me semble-t-il, plutôt à accentuer le côté « plusieurs vitesses »
!
M. Sueur a évoqué le problème du principe de l'amnistie ; je viens de lui
répondre. Je voudrais, d'une manière un peu plus large, indiquer que je ne
crois pas du tout que fermeté et amnistie soient contradictoires. Ce que nous
voulons faire en matière de lutte contre l'insécurité - et cela correspond au
souhait non pas seulement, il me semble, de la majorité parlementaire, mais de
l'immense majorité des Français - ne me paraît absolument pas en contradiction
avec l'idée qu'il puisse y avoir une amnistie. Ce qui est indispensable, c'est
d'appréhender et de juger. Une fois que le jugement est intervenu, on peut très
bien décider d'une forme de pardon - mais je sais que M. le rapporteur n'aime
pas ce mot, parlons donc plutôt d'amnistie -, qui est une façon, pour les
pouvoirs publics, pour la société, de tourner la page et de redonner une chance
aux intéressés. Je suis en tout cas, pour ma part, convaincu qu'il n'y a pas
nécessairement de contradiction, et c'est un peu ce qu'a voulu montrer M.
Delfau.
Plus largement et bien au-delà de ce qui nous occupe aujourd'hui, je crois
qu'une société doit se réserver les moyens, à certains moments, d'effacer et de
tourner la page. Il ne faudrait pas que ce débat amène le Parlement à imaginer
qu'il doit renoncer, pour l'avenir, et ce définitivement, à l'amnistie. Je
pense que ce serait une profonde erreur. Voilà quelques années encore, le
Parlement a été conduit à amnistier des actes graves, afin de restaurer la
concorde nationale. Il faut garder cela à l'esprit, et ne surtout pas dire : «
plus jamais d'amnistie ». Ce serait une très lourde erreur !
M. Othily a évoqué en particulier la nécessité de prendre en considération
l'évolution des valeurs de notre société. Je partage son point de vue, et je
lui dirai que c'est bien dans cette optique que nous avons essayé de construire
ce projet de loi.
M. Lecerf, quant à lui, a stigmatisé, à juste titre, l'amnistie rampante
résultant des difficultés de fonctionnement de la justice pénale. Ce faisant,
il a donc abordé par anticipation le débat qui nous réunira en fin de semaine,
mais je peux d'ores et déjà lui indiquer que le projet de loi d'orientation et
de programmation pour la justice que nous avons élaboré vise bien à répondre
aux préoccupations qu'il a exprimées.
M. Hyest s'est interrogé sur le principe même de l'amnistie et sur sa
pertinence aujourd'hui. Nous avons veillé à être très raisonnables, et c'est la
raison pour laquelle je partage tout à fait sa conclusion.
Par ailleurs, monsieur Delfau, ne me blâmez pas pour des intentions que je
n'ai pas eues ! Jugez-moi sur mes actes, c'est déjà bien suffisant : vous voyez
à quoi je fais allusion ! Rien n'est caché et il n'existe aucune intention
secrète.
Enfin, je fais miennes les analyses de M. Gélard quant au rôle joué par
l'amnistie dans la société.
En conclusion, je le répète, ce projet de loi est modeste. Il correspond aux
engagements qui ont été pris par le Président de la République, et c'est donc
avec beaucoup de sérénité et de conviction que je vous le soumets, mesdames,
messieurs les sénateurs.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
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