SEANCE DU 31 JUILLET 2002
M. le président.
« Art. 3. - I. - Par dérogation aux dispositions des articles 7 et 18 de la
loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à
ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, l'Etat peut confier à une
personne ou à un groupement de personnes, de droit public ou privé, une mission
portant à la fois sur la conception, la construction, l'aménagement,
l'entretien et la maintenance d'immeubles affectés à la police ou à la
gendarmerie nationales.
« L'exécution de cette mission résulte d'un marché passé entre l'Etat et la
personne ou le groupement de personnes selon les procédures prévues par le code
des marchés publics. Si le marché est alloti, les offres portant simultanément
sur plusieurs lots peuvent faire l'objet d'un jugement global.
« Les marchés passés par l'Etat pour l'exécution de cette mission ne peuvent
comporter de stipulations relevant des conventions mentionnées aux articles L.
34-3-1 et L. 34-7-1 du code du domaine de l'Etat et à l'article L. 1311-2 du
code général des collectivités territoriales.
« II. - Le code du domaine de l'Etat est ainsi modifié :
« 1° Après l'article L. 34-3, il est inséré un article L. 34-3-1 ainsi rédigé
:
«
Art. L. 34-3-1
. - L'Etat et le titulaire d'une autorisation
d'occupation temporaire du domaine public peuvent conclure un bail portant sur
des bâtiments à construire par le titulaire pour les besoins de la justice, de
la police ou de la gendarmerie nationales et comportant, au profit de l'Etat,
une option lui permettant d'acquérir, avant le terme fixé par l'autorisation
d'occupation, les installations ainsi édifiées. Dans ce cas, le bail comporte
des clauses permettant de préserver les exigences du service public.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent
article. Il précise les conditions de passation du bail ainsi que les
conditions suivant lesquelles l'amortissement financier peut être pris en
compte dans la détermination du montant du loyer ; »
« 2° Après l'article L. 34-7, il est inséré un article L. 34-7-1 ainsi rédigé
:
«
Art. L. 34-7-1
. - Par dérogation aux dispositions du premier alinéa
de l'article L. 34-7, le financement des constructions mentionnées à l'article
L. 34-3-1 peut donner lieu à la conclusion de contrats de crédit-bail. Dans ce
cas, le contrat comporte des clauses permettant de préserver les exigences du
service public.
« Les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 34-7 sont applicables.
»
« III. - Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié
:
« 1° Le premier alinéa de l'article L. 1311-2 est ainsi rédigé :
« Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire
l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural, en
vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une
mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt
général relevant de sa compétence ou, jusqu'au 31 décembre 2007, liée aux
besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales. » ;
« 2° Après l'article L. 1311-4, il est inséré un article L. 1311-4-1 ainsi
rédigé :
«
Art. L. 1311-4-1
. - Jusqu'au 31 décembre 2007, les collectivités
territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale
peuvent construire, y compris sur les dépendances de leur domaine public,
acquérir ou rénover des bâtiments destinés à être mis à la disposition de
l'Etat pour les besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie
nationales.
« Une convention entre l'Etat et la collectivité ou l'établissement
propriétaire précise notamment les engagements financiers des parties, le lieu
d'implantation de la ou des constructions projetées et le programme technique
de construction. Elle fixe également la durée et les modalités de la mise à
disposition des constructions.
« Les constructions mentionnées au présent article peuvent donner lieu à la
conclusion de contrats de crédit-bail. Dans ce cas, le contrat comporte des
clauses permettant de préserver les exigences du service public » ;
« 3° Avant le dernier alinéa de l'article L. 1615-7, il est inséré un alinéa
ainsi rédigé :
« Constituent également des opérations ouvrant droit à une attribution du
Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée les constructions
mises en chantier, acquises à l'état neuf ou ayant fait l'objet d'une
rénovation, mentionnées à l'article L. 1311-4-1, pour lesquelles les travaux
ont reçu un commencement d'exécution au plus tard le 31 décembre 2007 et qui
sont mises à disposition de l'Etat à titre gratuit. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Je souhaite, au nom de notre groupe, attirer l'attention sur un certain nombre
de problèmes que risquent de poser l'application de l'article 3.
Comme l'a dit M. Peyronnet, nous nous réjouirons des créations d'emplois quand
les crédits correspondants seront inscrits dans le projet de loi de finances et
que les emplois seront pourvus !
Pour ce qui est de l'immobilier de la police, de la gendarmerie et de la
justice, vous innovez partiellement en mettant en oeuvre de nouveaux
dispositifs, notamment dans les paragraphes II et III de l'article 3. Vous avez
plaidé l'urgence, disant qu'il faut construire vite ou rénover rapidement les
locaux. C'est évident !
Nous voulons toutefois appeler votre attention sur trois points.
D'abord, si cet article est voté - ce qui ne fait aucun doute -, l'Etat aura
la possibilité de conclure un bail portant sur les locaux à construire avec une
société privée. En conséquence, il sera non plus maître d'ouvrage, mais
locataire. Il s'ensuit que, même si le bail comporte - comme vous l'avez prévu
- des clauses de service public, l'opération échappera à toutes les règles du
code des marchées publics. Or ce n'est pas un hasard si les constructions
publiques relèvent jusqu'à présent du code des marchés publics.
Monsieur le ministre, n'y a-t-il pas là un risque de dérives ? Dans
l'affirmative, que comptez-vous faire pour les prévenir ?
Ensuite, dans le dispositif que vous proposez, un bail peut comporter une
option d'achat, ce qui permet de reporter le paiement des nouveaux bâtiments
pendant plusieurs années.
Ce dispositif fait penser à ce que l'on pourrait tout simplement appeler une «
cavalerie budgétaire » !
Plusieurs sénateurs du RPR.
Vous êtes experts !
M. Jean-Pierre Sueur.
On reporte encore et toujours le paiement ! Mais, vous le savez très bien, mes
chers collègues, quand on paie plus tard, on paie aussi davantage... N'y a-t-il
pas un risque par rapport à la rigueur de la gestion des finances publiques
?
Enfin, vous proposez de faire très largement appel au concours des
collectivités locales pour construire sur leur terrain et à leur frais,
notamment par la procédure de crédit-bail, des commissariats, des gendarmeries
ou des locaux pour la justice. Dès lors que ce texte sera voté, ce procédé sera
largement généralisé. Il faut donc étudier avec attention les conséquences d'un
tel dispositif. Nous connaissons déjà le cas des bureaux de poste que des
maires, des conseils municipaux, souhaitent maintenir pour assurer le service
public, mais dont ils doivent prendre une partie à leur charge.
Ne risque-t-on pas de privilégier, pour la construction d'un commissariat,
d'une gendarmerie ou d'un équipement relevant du ministère de la justice, la
commune qui pourra, qui choisira ou qui souhaitera payer ? Or, monsieur le
ministre, la sécurité est, nous en sommes tous convaincus, un droit pour toutes
les Françaises et tous les Français. La sécurité donc aussi un droit aussi pour
le citoyen d'une commune dont le conseil municipal aura décidé, pour des
raisons qui lui sont propres, de ne pas s'engager dans ce processus.
Le droit à la sécurité et à des locaux décents existent aussi bien pour la
police et la gendarmerie que pour la justice. N'y-a-t-il pas un risque de
disparité en fonction des communes ?
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur.
En vertu du principe de l'égalité républicaine, la sécurité publique doit
pourtant être assurée partout, avec les mêmes équipements et dans les mêmes
conditions !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Nicolas Sarkozy
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Monsieur Sueur, je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt, mais
j'avoue que je ne comprends pas pourquoi vous n'avez pas posé ces excellentes
questions à mon non moins excellent prédécesseur, puisque je me suis inspiré,
pour la rédaction de ce texte, de l'initiative menée avec succès par Daniel
Vaillant à titre expérimental pour le commissariat de police de Strasbourg.
Lorsque c'est Daniel Vaillant qui utilise la maîtrise d'ouvrages privée avec
bail à construction, monsieur Sueur, la majorité d'hier n'y voit aucun problème
et applaudit. Je n'ose imaginer, monsieur Sueur, connaissant votre honnêteté
et votre rigueur, que vous pensez qu'il y a là un risque parce que c'est moi
qui l'utilise et non plus M. Vaillant !
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
Partant, je ne peux en conclure que le seul argument qui vous a fait présenter
cette intervention est l'omission de l'opération de Strasbourg. Le commissariat
de police de Strasbourg a été inauguré en grande pompe quelques mois avant les
élections par M. Vaillant, qui indiquait, dans un discours que je tiens à votre
disposition, que c'était la voie de l'avenir et que, s'il avait su, il aurait
généralisé cette procédure avant.
Je me suis inspiré de cette excellente initiative expérimentale pour la
généraliser. Voilà donc le groupe socialiste, par le biais de son digne orateur
du moment, pris la main dans le sac de la contradiction : ce que faisait à
Strasbourg M. Vaillant est interdit à M. Sarkozy en France ! Allez donc y
comprendre quelque chose !
Mais, monsieur Sueur, comme vous êtes un interlocuteur précis, je vais ajouter
à ma réponse une précision : la différence entre le processus de M. Vaillant et
le mien c'est que, dans le premier, la mise en concurrence était facultative,
alors que, dans le texte de l'article 3 que je vous propose, elle est
obligatoire.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Voilà donc, me semble-t-il, de quoi vous rassurer, car je ne peux imaginer que
celui qui n'était pas inquiet lorsque les pouvoirs publics avaient
l'opportunité d'organiser une mise en concurrence le serait quand les pouvoirs
publics ont l'obligation de le faire.
S'agissant des collectivités territoriales, je vous rappelle que le dispositif
qui vous est proposé est fondé sur le volontariat. C'est faire injure aux élus
départementaux et locaux que d'imaginer qu'ils pourraient monter des processus
de cavalerie ! On a connu cela à une époque qui n'est pas si éloignée, au
niveau de l'Etat, monsieur Sueur.
(Rires sur les mêmes travées.)
En
revanche, il est rare que cela se produise au niveau des collectivités
territoriales, dont je sais par expérience qu'elles sont beaucoup plus
contrôlées que ne l'est l'Etat lui-même.
De surcroît, monsieur Sueur, l'article 2 sur lequel vous vous êtes abstenu
comporte des données chiffrées qui devraient être de nature à vous rassurer.
Comment prétendre que l'article 3 présente le risque de créer des inégalités
alors que le Gouvernement vous propose une augmentation annuelle des crédits de
l'immobilier de 95 % pour la police et de 84 % pour la gendarmerie ? En vérité,
monsieur Sueur, le risque d'inégalité était grand avec le gouvernement
précédent, non pas parce qu'il avait la volonté de créer des inégalités, mais
parce qu'il n'avait pas la volonté de donner à la police et à la gendarmerie
les moyens de conduire une politique immobilière ambitieuse.
Le fait que nous proposions une augmentation de 95 % pour la police et de 84 %
pour la gendarmerie devrait au contraire vous amener à considérer que la
situation s'améliore ! Je ne dis pas, monsieur Sueur, qu'elle est parfaite,
mais considérez que de telles augmentations permettront de garantir à chacun la
tranquillité publique à laquelle il a droit.
La philosophie de cet article 3 est très simple : aller plus vite, mieux
utiliser l'argent des contribuables et sortir de ce juridisme invraisemblable
dans lequel se noie la France. A force de ne faire confiance à personne, on tue
le dynamisme des collectivités territoriales et de l'Etat.
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Chacun estime, ayant peur que le ciel lui tombe sur la tête,
qu'il est moins dangereux de ne pas avoir de commissariats ou de gendarmeries,
le principal étant de n'encourir aucun risque de contrôle !
Avec la procédure que nous vous proposons, là où il fallait sept ans, il n'en
faudra plus que deux ou trois. Oui, monsieur Sueur, nous avons bien travaillé
pour le pays !
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'article 3.
M. Jean-Pierre Sueur.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Les explications de M. le ministre ne nous ont pas totalement convaincus.
M. Dominique Braye.
On ne se faisait pas d'illusion !
M. Jean-Pierre Sueur.
Monsieur le ministre, j'ai bien pris soin de dire que mon intervention portait
sur les II et III de l'article 3. Or le membre de phrase : « selon les
procédures prévues par le code des marchés publics » figure dans le paragraphe
I. Quand vous me répondez qu'il est dans l'article, il faut être précis !
En outre, j'avais bien pris soin de dire qu'il y avait, en effet, eu des
précédents en la matière. Alors pourquoi affirmer que je suis pris la main dans
le sac de la contradiction ?
M. Patrick Lassourd.
Vous connaissez !
M. Jean-Pierre Sueur.
Le processus a été lancé par Vaillant. Il est poursuivi par M. Sarkozy et
amplifié dans des conditions qui nous paraissent poser de vrais problèmes :
celui de la « cavalerie budgétaire » - c'est une tentation qui existe bel et
bien...
M. Dominique Braye.
Vous voyez des problèmes partout !
M. Jean-Pierre Sueur.
... et vous le savez -, celui de la mise en concurrence, entre les
collectivités, du droit à la sécurité.
Monsieur le ministre, il est légitime de pouvoir poser au ministre présent des
questions sur des problèmes qui existaient déjà du temps de M. Vaillant et qui
existent encore aujoud'hui, sans que cela soit perçu pour autant comme une mise
en cause !
M. Philippe Marini.
On ne vous a pas entendu à l'époque de M. Vaillant !
M. Jean-Pierre Sueur.
Ce sont des questions précises dans un débat précis.
Compte tenu du fait que vous avez amplifié ces risques, notre groupe maintient
son opposition à la rédaction de cet article 3.
M. le président.
Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4