SEANCE DU 8 OCTOBRE 2002
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 27, adressée
à M. le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Godefroy.
Madame la ministre, à la suite de l'attentat de Karachi, qui a coûté la vie à
onze de nos compatriotes salariés de DCN ou de sous-traitants, je vous faisais
part, dans une question écrite, le 30 mai puis le 11 juillet, de mon inquiétude
quant à l'avenir des familles des victimes.
Je me permets aujourd'hui de renouveler cette question, madame la ministre,
dans la mesure où ces familles m'ont fait savoir qu'elles rencontraient des
difficultés pour l'obtention de leur droit à réparation et concernant les
réponses sur l'avenir de leurs enfants.
Lors de l'hommage qui a été rendu à Cherbourg, le Président de la République
et le Gouvernement avaient exprimé leur solidarité avec les familles touchées.
La cellule de soutien aux familles des victimes ainsi que la direction de DCN
ont alors mis en oeuvre toutes les mesures réglementaires à leur disposition
dans le cadre de la loi du 23 janvier 1990. Cependant, il apparaît aujourd'hui
que ces mesures sont loin de couvrir les besoins et de répondre aux inquiétudes
des familles. En effet, si celles-ci ont bien perçu la rente accident du
travail et la pension de réversion, seules deux familles bénéficient du fonds
national de garantie, et les services de l'action sociale des armées ont
attribué 200 euros à une seule famille, comme secours d'urgence.
Aujourd'hui, les moyens dont disposent les familles des victimes pour vivre
accusent donc une très forte diminution, passant, en moyenne, de 2 200 euros à
1 100 euros par mois. La Légion d'honneur, qui a été attribuée à titre posthume
aux victimes, donne à leurs familles l'accès à l'association d'entraide des
membres de la Légion d'honneur, donc à une formation dans ses écoles pour les
filles, ainsi qu'à la fondation De-Lattre ; mais ce sont des aides multiples
que les familles connaissent mal, qu'elles doivent solliciter et qui sont
aléatoires et conditionnées.
Si DCN applique parfaitement la législation et la réglementation en vigueur,
des mesures dérogatoires doivent être prises pour permettre à ces familles de
retrouver des moyens d'existence à la hauteur de ceux dont elles disposaient
précédemment, et ce au moins jusqu'à l'âge prévu de la retraite des victimes.
En effet, toutes les mesures susceptibles d'être aujourd'hui mises en oeuvre
sont plafonnées.
Il serait souhaitable, par ailleurs, que les veuves soient considérées comme
veuves de guerre. Il faut rappeler, à cet égard, que cette procédure fut
appliquée lors de l'explosion, le 30 avril 1997, de la gabarre
La
Fidèle,
au large de Cherbourg, qui avait fait cinq victimes.
Concernant les enfants - il y a vingt-sept orphelins, dont des enfants en très
bas âge - quelles garanties peuvent être données aux familles pour leur
scolarité ? A quoi le titre de « pupilles de la nation » donne-t-il droit
exactement ? Couvrira-t-il les frais de la scolarité de ces enfants, quels
qu'en soient le niveau et la durée ?
Quant aux enfants aujourd'hui majeurs, deux ont reçu des propositions
d'emploi, dont un récemment comme ouvrier chaudronnier à statut d'Etat, ce qui
est une avancée remarquable.
Pour les épouses, j'avais suggéré dans ma question écrite, madame la ministre,
que des emplois pérennes au sein des services de l'Etat leur soient proposés,
afin de leur garantir une sécurité sur le long terme. Aujourd'hui, une seule
proposition a pu être acceptée, ce qui est déjà bien, mais, de manière
générale, les emplois sont proposés au titre de contrats à durée déterminée ;
ce sont des heures de ménage dans des entreprises de sous-traitance de DCN, tôt
le matin et tard le soir, soit des horaires difficilement compatibles avec la
prise en charge psychologique d'enfants qui sont déjà privés de leur père.
Je ne doute pas de la volonté du Gouvernement, madame la ministre, mais je
pense qu'un traitement plus spécifique, rapide et individualisé de ces cas, est
indispensable. Faut-il envisager plutôt la déclaration de « faute inexcusable
de l'entreprise », ce qui serait de nature à régler toutes les difficultés dont
je viens de faire état ?
Je vous remercie, madame la ministre, de l'attention que vous portez à ce
dossier et, comme les familles, j'attends beaucoup de votre réponse.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie,
ministre de la défense.
Monsieur le sénateur, nous avons tous été
effectivement très touchés par l'attentat de Karachi. Je me souviens que la
Haute Assemblée elle-même a rendu hommage aux victimes et a exprimé sa
compassion aux familles.
Comme vous l'avez souligné, le Gouvernement, dès l'annonce de l'attentat,
s'est préoccupé d'apporter toute l'aide possible aux familles et aux blessés.
Un accompagnement social et psychologique adapté à chacun a, tout d'abord, été
mis en place. Les blessés en avaient besoin, car, comme j'ai pu le constater
sur place, puis au cours des entretiens téléphoniques que j'ai eus, à plusieurs
reprises, certains d'entre eux étaient très choqués.
Ces blessés, qui sont toujours suivis par les services médicaux et de
rééducation, continuent, comme il est normal, à percevoir leurs
rémunérations.
En ce qui concerne les familles des victimes, il faut distinguer les problèmes
généraux qu'elles rencontrent de ceux, plus spécifiques, des veuves et des
enfants.
Les familles ayant des enfants à charge n'ont pas connu de rupture dans leurs
ressources. Les pensions de réversion comme les rentes allouées en cas
d'accident du travail ont été versées dès la fin du mois d'août. La procédure a
donc été relativement rapide, compte tenu des lenteurs administratives. Le
capital décès a été versé, selon les cas, au mois de juin ou au mois de
juillet, et le bénéfice du fonds de garantie a été attribué à l'ensemble des
familles. Ces mesures, importantes, étaient destinées à assurer à chacune des
familles un minimum de ressources, ce qu'elles ne contestent d'ailleurs pas.
Concernant les veuves, j'ai demandé à DCN de proposer aux veuves qui le
souhaitent des emplois pérennes - non pas des contrats à durée déterminée mais
bien, au moins, des contrats à durée indéterminée. Trois de ces veuves sont
actuellement concernées. L'une d'elles est en cours d'embauche, et j'ai demandé
qu'un effort particulier soit fait pour les autres. Il me paraît tout à fait
normal de leur offrir cette faculté d'embauche.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, en la matière, toutes les formules
légales et réglementaires ont été appliquées, sans toutefois, il est vrai,
couvrir la totalité des situations. M. le Premier ministre a reçu, voilà
quelques semaines, à l'hôtel de Brienne, un certain nombre de ces familles.
Nous les avons écoutées longuement et nous veillerons, en recherchant toutes
les solutions possibles, à ce que chacune d'entre elles obtienne la meilleure
indemnisation possible. Aujourd'hui, toutes les voies réglementaires normales
ont été épuisées. Je ne vais pas vous répondre sur la formule qui sera
finalement retenue, mais sachez, monsieur le sénateur, que notre préoccupation,
sur le fond, est bien celle-là.
En ce qui concerne maintenant les enfants, ce drame a laissé vingt-sept
orphelins, dont dix mineurs. Les onze enfants de moins de vingt et un ans ont
été adoptés par la nation comme pupilles de la nation, ce qui leur ouvre un
certain nombre de possibilités et les fait bénéficier de la protection et du
soutien, tant matériel que moral, de l'Etat. Il s'agit, notamment, de
subventions pour faire face à la vie courante, d'aides pour les études, pour la
recherche du premier emploi ou encore de prêts pour l'installation
professionnelle, donc de toute une série de facilités.
En ce qui concerne les enfants majeurs, dont nous avions dit qu'ils devraient
pouvoir être embauchés, nous avons constaté certaines lenteurs et des
complications.
J'ai donc renouvelé fermement mes instructions. L'un de ces jeunes majeurs est
aujourd'hui en cours d'embauche comme ouvrier d'Etat à DCN. Evidemment, nous
sommes obligés de vérifier qu'il existe des emplois correspondant à la
qualification ou aux compétences des intéressés, et c'est sur ce point que
peuvent apparaître quelques difficultés.
En tout état de cause, monsieur le sénateur, les conséquences individuelles
d'un tel drame ne sauraient être appréhendées globalement : il faut faire du «
sur-mesure », en sachant écouter et trouver les solutions les plus adaptées à
chacun. Tel est bien le sens de mon action.
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