SEANCE DU 8 OCTOBRE 2002
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 38, adressée à
M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.
M. Jean-Claude Carle.
Ma question, qui s'adresse au ministre délégué au budget et à la réforme
budgétaire, elle concerne le contrôle du financement des associations par
l'administration.
Imaginez, mes chers collègues, dans votre département, une association qui
organiserait son loto annuel pour financer ses activités. Ce loto serait
composé d'une vingtaine de parties et proposerait environ soixante-dix lots,
d'une valeur moyenne de 90 euros.
Jusqu'ici, rien que de très normal. Là où les choses se corsent, c'est lorsque
ladite association propose deux ou trois lots d'une certaine valeur : si vous
êtes le président de cette association, vous avez alors la désagréable surprise
de recevoir une lettre de la direction départementale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes invoquant une loi du 21 mai 1836 -
je n'invente rien ! - qui interdit le principe des loteries et soumet à
dérogation deux types d'opérations.
La première dérogation concerne les loteries exclusivement destinées à des
actes de bienfaisance, à l'encouragement des arts et au financement d'activités
sportives à but non lucratif. Dans ce cas, la loterie doit être expressément
autorisée par le préfet, qui peut subordonner son accord à la présentation de
certaines justifications quant à l'utilisation des fonds recueillis. C'est bien
normal !
La deuxième dérogation a trait aux lotos traditionnels à but social, culturel,
scientifique, éducatif, sportif ou d'animation locale organisés dans un cercle
restreint offrant des lots dont la valeur marchande n'excède pas 400 euros.
Et, pour faire bonne mesure, le bienveillant directeur de la concurrence de
rappeler au président de cette association qu'il est pénalement responsable des
infractions susceptibles d'être relevées et peut se voir infliger une peine
d'amende de 30 000 euros et/ou une peine d'emprisonnement de deux ans, avec, à
la clé, la menace de saisir l'autorité judiciaire en cas de nouveau
manquement.
L'exemple que je viens de vous citer n'est pas puisé dans l'univers de Kafka,
il existe bel et bien et il s'est produit à plusieurs reprises dans mon
département.
Je passe, madame la ministre, sur l'image tatillonne que cette pratique peut
donner de l'administration. Après tout, celle-ci ne fait qu'appliquer les lois
de la République, et ces lois, c'est le Parlement - c'est-à-dire nous - qui a
le pouvoir de les faire ou de les modifier...
Non, ce qui m'inquiète, madame la ministre, c'est de penser que la loi peut
méconnaître à ce point la réalité du bénévolat. On connaissait déjà le
précédent des buvettes qui permettent aux associations sportives de se procurer
quelques ressources, on connaît maintenant celui des lotos.
En l'occurrence, nous savons bien que l'on ne fait pas participer des gens à
un loto en proposant seulement des filets garnis !
Les recettes en jeu sont modestes, mais elles permettent aux associations,
tels les amicales de sapeurs-pompiers, les clubs sportifs ou les associations
de parents d'élèves de pouvoir vivre. Or des recettes propres en moins, ce sont
autant de subventions en plus à leur verser.
Ce que je regrette, c'est de voir l'administration, sur le terrain, se montrer
pointilleuse avec les associations et ne pas faire preuve, par exemple, du même
zèle avec les gens du voyage, auxquels on ne demande pas de justifier leurs
ressources.
Ma question, madame la ministre, est donc très simple.
L'an dernier, nous avons fêté le bicentenaire de la loi sur les associations
et salué le rôle essentiel des bénévoles. Ne les décourageons pas : 1836-2002,
cela me paraît une période d'expérimentation suffisante ! Etes-vous disposée,
madame la ministre, à réactualiser la loi et la réglementation de façon à
préserver la vie associative, tout en maintenant, bien sûr, des garde-fous ?
Ne pourrait-on limiter la valeur globale du loto ou la valeur moyenne des lots
plutôt que la valeur d'un lot mis en jeu ? Le plafond actuel de 400 euros est
ridicule !
Je vous remercie par avance des précisions que vous pourrez nous apporter,
afin de rassurer les associations et leur permettre d'organiser leur loto en
toute sérénité.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Fontaine
ministre déléguée à l'industrie.
Vous m'interrogez, monsieur le sénateur,
sur un aspect bien particulier de la loi de 1836, loi de portée générale et
d'ordre public qui pose le principe de la prohibition générale des loteries.
Bien qu'inchangée depuis plus d'un siècle et demi, cette loi, dans la mesure
où elle permet de couvrir un champ très large, a toujours démontré son
efficacité dans le cadre de la protection des consommateurs au fur et à mesure
de l'évolution et de la complexification des marchés et des formes de la
société.
Elle a également permis de conserver, dans certaines régions, des traditions
bien ancrées et au service de tous, dont je conviens volontiers avec vous
qu'elles ne doivent pas être remises en cause.
Elle comporte des exceptions en vue d'objectifs bien précis et c'est sur ce
point, monsieur le sénateur, que porte votre interrogation aujourd'hui.
Comme vous le rappelez très justement, les articles 5 et 6 de la loi du 21 mai
1836 créent une exception à la prohibition des loteries pour permettre
l'organisation de loteries et de lotos associatifs qui contribuent au
financement de nombreuses associations à but non lucratif.
Il en résulte que la régularité du financement des associations dépend de la
destination des fonds collectés. Ceux-ci ne peuvent être destinés qu'à des
actes de bienfaisance, à l'encouragement des arts ou au financement d'activités
sportives.
Pour permettre aux associations de continuer à bénéficier de ce type de
financement, il convient en priorité d'être attentif au respect des
dispositions précitées. Tout détournement de cette source de financement doit
impérativement être évité. Seules les associations à but réellement non
lucratif doivent pouvoir y prétendre.
Le décret n° 87-430 du 19 juin 1987 fixe les conditions dans lesquelles les
dérogations prévues aux articles 5 et 6 de la loi précitée sont accordées.
Il s'agit notamment de la condition impérative d'employer la totalité des
fonds recueillis à la stricte destination pour laquelle sont organisés la
loterie ou le loto associatifs. Une loterie ou un loto dont une partie
seulement des fonds irait au but assigné tomberait sous le coup de
l'interdiction générale des loteries.
Ces dérogations ne relèvent pas, pour ce qui est de leur application, d'une
autorité administrative centralisée, mais de l'autorité départementale en la
personne du préfet. Celui-ci peut apprécier la régularité de l'organisation des
lotos associatifs en tenant compte du contexte local et de l'affectation des
sommes recueillies. Cette appréciation au niveau départemental, cette
appréciation décentralisée, nous semble être le gage d'une certaine souplesse
qui ne peut que profiter aux associations, dans un souci de totale
transparence.
Pour compléter la lettre et l'esprit de ce dispositif et afin d'éviter tout
détournement de l'objet de ce type de loterie ou loto, la valeur autorisée des
lots a été volontairement plafonnée, par arrêté du ministre de l'intérieur et
du ministre chargé du budget, à 400 euros et les lots ne peuvent ni consister
en des sommes d'argent ni être remboursés.
Dans ce contexte, l'intervention du directeur départemental de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes de Haute-Savoie a eu pour
finalité d'attirer l'attention des associations sur le remploi des fonds dans
des achats ou des offres d'un montant manifestement disproportionné qui excède
très largement le plafond autorisé.
Il s'agit donc non pas de mettre brutalement un terme à ces réunions, mais de
ramener les enjeux à des proportions plus raisonnables.
Vous l'avez bien compris, monsieur le sénateur, le Gouvernement ne souhaite
pas modifier le dispositif actuel. Sa vocation première et essentielle est de
favoriser la réunion, dans un cercle restreint qui correspond à un cadre
d'animation, de convivialité et de solidarité purement locales, des personnes
ayant le plaisir de jouer ensemble pour apporter leur contribution volontaire à
des oeuvres telles que celles que j'ai mentionnées précédemment.
J'ajoute que vous me trouverez à vos côtés pour encourager le secteur
associatif et pour favoriser tout ce que vous entreprendrez, tout ce que nous
entreprendrons ensemble.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Madame la ministre, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu
apporter et, surtout, de votre conclusion.
Je comprends que vous ne puissiez aujourd'hui donner une réponse complète et
définitive à un problème extrêmement complexe, j'en conviens. Une solution
rapide aurait néanmoins pu être trouvée en remontant le plafond par décret
conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé du budget.
Une telle démarche aurait eu le mérite de la rapidité, et peut-être
faudra-t-il y recourir, mais, c'est tout à fait vrai, elle n'aurait pas réglé
le problème de manière satisfaisante. Il me semble aujourd'hui préférable
d'agir sur le montant global des sommes mises en jeu, de façon, vous l'avez
dit, à éviter tout débordement, voire tout dévoiement.
Si vous n'apportez pas aujourd'hui de réponse juridique aux associations, je
me réjouis que vous les assuriez d'une plus grande sécurité morale. Je souhaite
donc que le message que vous venez de délivrer soit bien compris par
l'administration compétente et que celle-ci s'en tienne au respect de l'esprit
de la loi, réservant peut-être, si vous m'autorisez le terme, son «
pointillisme », voire sa maladresse, à des domaines qui l'exigent, et qu'elle
laisse les associations, qui sont le pilier du fonctionnement de notre
démocratie, de cette « France d'en bas », organiser en toute sérénité ces
manifestations.
Madame la ministre, je serai moi aussi très vigilant, et je ne manquerai pas,
si besoin était, de vous le rappeler, de le rappeler aux ministres
concernés.
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