SEANCE DU 8 OCTOBRE 2002
COMMUNICATION DU MÉDIATEUR
DE LA RÉPUBLIQUE
M. le président.
L'ordre du jour appelle la communication du Médiateur de la République sur son
rapport annuel.
Huissiers, veuillez introduire M. le Médiateur de la République.
(M. le
Médiateur de la République est introduit avec le cérémonial d'usage.)
Permettez-moi, monsieur le Médiateur de la République, de vous souhaiter, au
nom du Sénat tout entier, une cordiale bienvenue.
Pour la deuxième année consécutive, vous venez présenter dans cet hémicycle
votre bilan, les perspectives de votre action et les modifications législatives
qui vous paraissent opportunes. Le rapport que vous avez remis la semaine
dernière, en particulier, au président du Sénat montre que le Médiateur est
devenu une véritable « institution de proximité », ce dont nous nous
réjouissons.
La parole est à M. Bernard Stasi, Médiateur de la République.
M. Bernard Stasi,
Médiateur de la République.
Monsieur le président, mesdames les
sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est pour moi un honneur de me trouver
devant vous en ce début de session afin de vous présenter le rapport d'activité
du Médiateur de la République pour l'année 2001.
Permettez-moi toutefois, monsieur le président, cher ami, de vous remercier au
préalable de vos paroles de bienvenue, auxquelles j'ai été, croyez-le bien,
très sensible.
C'est également avec plaisir que je viens vous rendre compte directement, sous
le regard bienveillant de mon prédécesseur, M. Jacques Pelletier, que je salue
amicalement, des activités d'une institution dans le fonctionnement de laquelle
vous jouez, mesdames, messieurs les sénateurs, un rôle essentiel. Vous êtes, en
effet, les partenaires du Médiateur de la République, relais de la saisine de
l'institution et des réformes que je propose.
Je me félicite d'ailleurs que le dialogue permanent que j'entretiens avec vous
se fonde, dans le respect des valeurs républicaines, sur une relation de
confiance mutuelle. Dans un esprit constructif, je m'efforce de servir nos
concitoyens et de renforcer l'Etat de droit.
Lieu de concertation et de réconciliation, l'institution du Médiateur de la
République est aussi un des observatoires privilégiés de la société française.
Et la société française est perturbée !
Je suis fondé à parler de ce constat. Quotidiennement, je traite de
réclamations toujours plus nombreuses et, quotidiennement, à travers elles, je
constate la multiplication des sources de litige, je perçois les besoins qui
émergent, j'entends les revendications qui s'expriment.
Trop nombreux sont encore ceux de nos concitoyens qui se trouvent dans
l'incapacité d'affronter le maquis juridique que constitue notre droit. Trop
nombreux sont ceux qui, plus généralement, se sentent démunis, désarmés,
abandonnés.
Ce sentiment s'est révélé dans sa dimension la plus inquiétante lors de la
longue et troublante période électorale que nous avons vécue au printemps
dernier, période pendant laquelle tant de citoyens, se sentant incompris, voire
rejetés, se sont désintéressés de la chose publique.
Pourtant, les Français sont attachés aux principes d'un Etat de droit ainsi
qu'à notre Etat républicain, qui constitue, en France, le fondement de la
cohésion nationale.
Cette inflation et cette instabilité des normes juridiques, conjuguées parfois
à une certaine opacité de la répartition des compétences entre les très
nombreux acteurs du service public, s'accompagnent d'une montée des situations
conflictuelles, source de difficultés auxquelles je tente de remédier avec mes
collaborateurs, que ce soit au siège parisien, rue d'Iéna, ou dans les
départements.
Chargé d'aider les administrés à résoudre à l'amiable les conflits qu'ils
peuvent connaître avec les services publics, je ne suis cependant ni l'avocat
du citoyen ni le procureur de l'administration.
Institution indépendante, le Médiateur de la République tient une place unique
dans le champ de la médiation. Il n'est pas inutile de le rappeler à l'heure où
se multiplient toutes sortes de médiateurs, où chaque entreprise, privée ou
publique, où chaque administration se dote de son médiateur interne. Comment
reconnaître alors au Médiateur de la République son originalité et sa
spécificité ?
Si je me réjouis de l'évolution de notre société, parfois trop rigide, vers ce
que j'appellerai une « culture de compromis », je regrette la confusion qui en
résulte et suis inquiet de voir le mot « médiateur » ainsi banalisé et parfois
galvaudé.
(M. Patrice Gélard applaudit.)
Le Médiateur de la République est l'un des symboles forts de la vitalité
démocratique de la France et il sert très souvent de modèle à la création
d'institutions similaires à l'étranger. Pourtant, contrairement à la plupart
des médiateurs ou
Ombudsmen
du monde, son existence n'est pas prévue
constitutionnellement et n'est pas garantie par la Constitution.
Je soumets donc la question du statut constitutionnel du Médiateur de la
République à votre réflexion, mesdames, messieurs les sénateurs !
Plus concrètement, je me suis attaché, en 2001, à poursuivre trois fortes
ambitions : rapprocher davantage encore l'institution de nos concitoyens,
notamment des plus démunis d'entre eux, dans la volonté de remailler le lien
social ; utiliser pleinement le pouvoir de proposition de réforme dévolu à
l'institution dans la volonté d'accompagner la modernisation de l'Etat ; enfin,
développer l'action européenne, francophone et internationale du Médiateur,
dans la volonté de contribuer à l'évolution d'une mondialisation qui, au lieu
d'aboutir, comme on pourrait le craindre, à la domination dans tous les
domaines de l'injustice et de l'arbitraire, c'est-à-dire à la loi du plus fort,
doit au contraire permettre le renforcement à travers le monde des droits des
citoyens.
Au cours de l'année 2001, plus de 58 000 citoyens ont fait appel aux services
du Médiateur de la République, soit 8,3% de plus par rapport à l'année
précédente.
Cette augmentation ne signifie en aucune manière que l'administration
fonctionne de plus en plus mal et commet de plus en plus d'erreurs. Je tiens
ici devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à rendre hommage à la
compétence et au dévouement de la très grande majorité des fonctionnaires de
notre pays avec lesquels - je m'en félicite - l'institution entretient des
relations de confiance réciproque.
Cette augmentation est significative de l'importance des difficultés
rencontrées par nombre de nos concitoyens dans leur vie quotidienne et dans
leurs relations avec les services publics, qu'il s'agisse de la lenteur ou de
la complexité des procédures administratives, de l'incompréhension de certaines
décisions ou de certains agissements des services de l'Etat, des collectivités
territoriales, des établissements publics ou de tout autre organisme investi
d'une mission de service public.
Sur ces 58 000 affaires, près de 5 000 ont été traitées par le siège et, dans
huit cas sur dix, ont connu une issue favorable. Le mérite de ce succès revient
surtout à mes collaborateurs du siège, dont les compétences juridiques, la
parfaite connaissance des rouages de l'administration et le sens de la
négociation permettent d'instruire les dossiers les plus complexes. Que leur
travail soit ici reconnu et salué.
Par ailleurs, plus de 53 000 demandes ont été directement traitées par les 232
délégués qui, en 2001, m'ont représenté sur l'ensemble du territoire. Ils sont
aujourd'hui 258, preuve, s'il en est, de la nécessaire proximité qu'attendent
nos concitoyens afin que se rétablisse le lien de confiance avec les services
publics ; preuve, également, du succès du programme de développement
territorial que j'ai mis en oeuvre au sein des quartiers difficiles, afin de
permettre au plus large public d'accéder aux possibilités ouvertes par la loi
du 3 janvier 1973 et afin de contribuer à la mise en oeuvre des priorités
nationales que sont le rapprochement des services publics de la population,
l'élargissement de l'accès au droit et la lutte contre les exclusions. Il
s'agit, par là même, de toujours mieux prendre en compte les besoins, les
attentes et les revendications des plus démunis.
Si l'année 2000 avait été marquée par la mise en place du développement
territorial et par l'augmentation significative du nombre de délégués du
Médiateur de la République - puisque plus de 100 nouveaux délégués avaient été
recrutés -, l'année 2001 a été l'année de la première évaluation concrète du
programme. A cette fin, j'ai créé à mes côtés, au siège, une direction du
développement territorial chargée tout à la fois d'adapter les outils
nécessaires au bon exercice de la fonction de délégué, de remodeler le cadre
d'action des délégués et d'assurer une coordination globale du réseau avec tous
nos interlocuteurs, au premier rang desquels vous figurez, mesdames, messieurs
les parlementaires.
En outre, compte tenu de l'importance du nombre de délégués désormais présents
sur l'ensemble du territoire, j'ai décidé de créer au niveau local une nouvelle
fonction de « coordonnateur départemental », afin de disposer, dans les
départements où le nombre des délégués le justifie, d'un interlocuteur
privilégié et de dynamiser ainsi l'animation du réseau et le relais des
informations.
Ces 232 délégués, qui constituent l'échelon de proximité de l'institution, ont
traité les réclamations des citoyens directement, sur leurs lieux de permanence
situés dans les chefs-lieux des départements, à la préfecture ou au coeur des
quartiers en difficulté, dans des structures faciles d'accès telles que les
maisons de la justice et du droit, les maisons de services publics ou encore
les centres sociaux, structures présentant l'avantage de réunir un réseau
d'acteurs complémentaires et d'offrir des conditions satisfaisantes d'accueil
des publics.
Il convient de noter que l'augmentation du nombre de délégués au sein des
quartiers difficiles, ajoutée à l'accroissement de leur activité, a élargi leur
sphère d'action. En effet, les délégués du Médiateur de la République,
représentants d'une institution indépendante, apparaissent de plus en plus
comme des interlocuteurs privilégiés, notamment aux yeux de nos concitoyens en
situation difficile, qui espèrent trouver auprès d'eux une aide à la solution
de leurs problèmes, quelle qu'en soit la nature.
Aussi, au-delà du traitement purement juridique des réclamations qui relèvent
de la compétence de l'institution, les délégués ont largement développé leur
rôle pédagogique d'écoute, d'information et d'orientation dans des domaines qui
ne relevaient pas strictement des compétences dévolues à l'institution par la
loi du 3 janvier 1973.
Mais, si mes délégués peuvent être sollicités pour des questions de toute
nature, la médiation institutionnelle ne peut se réduire à l'écoute, même
bienveillante. Sa crédibilité et sa force s'appuient sur la sûreté juridique de
l'action de ses délégués et sur une attitude conforme aux principes fondateurs
de l'institution : l'indépendance et l'autorité morale.
C'est d'ailleurs pour aider mes délégués à faire face à la diversité des
publics qu'ils rencontrent et des demandes qui leur sont faites que j'ai
développé, en 2001, leur formation initiale, notamment en matière d'accueil des
publics en difficulté.
Pour ma part, j'ai décidé de poursuivre ce programme de développement
territorial, qui concerne aujourd'hui, au titre de la politique de la ville,
trente-deux départements, mais qui devrait toucher près d'une trentaine
d'autres. Les zones rurales les plus fragiles ont, elles aussi, des besoins qui
mériteraient d'être pris en considération !
Mais je ne pourrai le faire sans votre concours, l'expérience révélant
certaines difficultés qui doivent être surmontées avant d'aller plus loin. Je
ne mentionnerai aujourd'hui que la principale d'entre elles, qui concerne la
nécessaire clarification de la situation juridique des délégués du Médiateur de
la République.
Dans les faits, ceux-ci agissent dans un esprit qui est celui du bénévolat.
C'est ainsi que le public perçoit leur intervention et c'est aussi de cette
façon que je conçois leur mission, comme tous mes prédécesseurs avant moi.
Mais il se trouve que cette conception consensuelle n'a pas encore trouvé sa
traduction dans un texte, ce qui crée aujourd'hui de sérieuses difficultés pour
les délégués en fonction et risque de réduire les possibilités de
recrutement.
C'est pourquoi je souhaite, dans l'intérêt du public comme dans celui des
délégués, que puisse vous être soumis dès que possible un texte qui viendrait
compléter l'article 6-1 de la loi du 3 janvier 1973 en précisant que la
fonction de délégué est exercée à titre bénévole. Je serai naturellement prêt,
le moment venu, à exposer cette question de façon détaillée devant votre
commission spécialisée.
Face à ce que j'appellerai le sentiment « d'insécurité administrative »
qu'éprouvent les plus fragiles de nos concitoyens, il est indispensable de
simplifier les relations avec les administrations, d'améliorer la qualité du
service rendu, de rendre adaptés et plus accessibles les normes et les textes.
Comment, en effet, assurer le respect du droit s'il n'est pas compris par
chacun ?
Cette modernisation de l'administration s'inscrit dans le cadre, plus large,
de la nécessaire réforme de l'Etat, à laquelle les citoyens aspirent et à
laquelle nous devons ensemble oeuvrer.
En effet, en tant que Médiateur de la République, je suis habilité par la loi
à proposer des réformes et à participer activement à l'amélioration des textes
et à la modernisation de l'administration. Aussi, j'aborderai maintenant le
volet préventif de mon action.
L'année 2001 fut, là encore, une année d'évaluation après que la loi du 12
avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les
administrations, a élargi mon champ d'action et a permis d'inscrire le
développement de cette mission réformatrice parmi mes objectifs
prioritaires.
L'attention et l'intérêt que vous portez, mesdames, messieurs les sénateurs,
aux suggestions de réforme du Médiateur de la République sont un encouragement
à la poursuite du renforcement des relations de travail entre nos deux
institutions dans ce domaine. Je tiens à vous en remercier.
Afin que nos concitoyens retrouvent confiance dans la capacité de l'Etat à
évoluer, et fort de mon pouvoir d'auto-saisine, j'ai décidé de mettre en
chantier des réformes susceptibles d'avoir un plus grand retentissement dans le
champ social, en travaillant plus particulièrement sur le thème de la place des
handicapés dans notre société.
L'année 2001 a également été marquée par la satisfaction de quinze de mes
propositions de réforme qui, bien que caractérisées par leur aspect plus
technique, n'en demeurent pas moins importantes aux yeux des catégories de
citoyens qu'elles concernent. Je citerai, par exemple, l'assouplissement des
conditions de validation des périodes de service militaire légal par le régime
d'assurance vieillesse et les régimes alignés, l'assouplissement des règles de
remboursement des aides aux jeunes agriculteurs et la possibilité, pour les
agents en activité et pour les retraités de la fonction publique des
départements d'outre-mer, de percevoir l'allocation de logement familial.
Si, par les missions qui lui sont dévolues et par son pouvoir de proposition
de réforme, le Médiateur de la République est un des symboles de la démocratie
française, son action ne peut se limiter aux frontières de notre pays et
j'évoquerai, pour terminer, les activités internationales de l'institution,
domaine dans lequel j'ai suivi l'action engagée par mon prédécesseur, M.
Jacques Pelletier.
Tout d'abord, il faut noter que, sous l'effet de l'élargissement de la liberté
de circulation des personnes et des biens sur le territoire de l'Union
européenne, l'année 2001 a été marquée par une augmentation sensible du nombre
de dossiers relevant de la compétence de différents médiateurs de l'Union et de
l'application du droit communautaire. Cet état de fait m'a conduit à collaborer
encore plus étroitement avec mes collègues européens ainsiqu'avec le Médiateur
de l'Union européenne.
Par ailleurs, dans le cadre du pacte de stabilité et en liaison avec le
Conseil de l'Europe, j'ai aidé à la création d'instances de médiation dans
différents pays de notre continent, notamment en Albanie, en
Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en Ukraine.
Au-delà de l'Europe, l'action internationale du Médiateur de la République
s'est poursuivie, en 2001, dans de nombreux pays qui, engagés dans un processus
de démocratisation ou désireux de renforcer l'Etat de droit, ont décidé de
créer une institution indépendante ayant pour vocation de régler les conflits
entre les citoyens et l'administration. La collaboration du Médiateur de la
République a été notamment sollicitée par le Bénin, le Liban et le Maroc.
Je me réjouis de la création de ces ombudsmans ou médiateurs, que je considère
comme une étape essentielle en même temps qu'un signal fort dans la voie de la
construction ou de la consolidation d'un Etat démocratique. Je me réjouis
également de constater que, très souvent, le modèle français est pris comme
référence.
Dans ce contexte, je n'ai cessé, tout au long de l'année écoulée, de
développer mon action internationale, notamment dans le cadre de la
francophonie, ayant été élu, en octobre 2001, président de l'Association des
ombudsmen et médiateurs de la francophonie, qui regroupe quarante-quatre
institutions appartenant à vingt-neuf pays différents.
Certes, la vitalité et le rayonnement de la francophonie, l'aide aux pays en
voie de démocratisation, la défense des droits de l'homme dans le monde, la
construction d'une Europe fondée sur l'Etat de droit, ne relèvent pas
explicitement du domaine de compétence du Médiateur de la République. Mais il
est, j'en suis convaincu, conforme à l'esprit de notre République et aux
exigences de notre temps qu'une institution comme celle dont j'ai la charge,
tout en accomplissant du mieux possible la mission qui est sa raison d'être,
apporte sa contribution à l'action internationale de la France dans les
domaines qui concernent les droits des citoyens.
Je voudrais dire enfin que, si le gouvernement précédent a accordé son soutien
au Médiateur de la République, notamment en l'aidant à mettre en place le
réseau des délégués et en lui permettant de renforcer les effectifs de ses
collaborateurs au siège de l'institution, je me réjouis d'avoir rapidement créé
les conditions d'une confiante collaboration avec les nouveaux responsables
gouvernementaux, particulièrement avec ceux qui ont en charge la réforme de
l'Etat, la décentralisation et la politique de la ville.
Cette continuité dans la coopération entre les hautes autorités de l'Etat et
le Médiateur de la République témoigne, s'il en était besoin, que le droit de
l'administré à être, en toutes circonstances, considéré et respecté comme un
citoyen à part entière dans ses relations avec les services publics est une de
ces valeurs de la République qui transcendent les clivages politiques.
Cette conviction, mesdames, messieurs les sénateurs, ne peut que renforcer ma
volonté et celle de mes collaborateurs de tout mettre en oeuvre pour répondre
aux attentes de nos concitoyens et aussi, sans jamais mettre en cause
l'indépendance qui est l'essence même de l'institution, pour être dignes de la
confiance des élus de la nation et des responsables de l'Etat.
(Applaudissements.)
M. le président.
Le Sénat vous donne acte de cette communication, monsieur le Médiateur de la
République.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, mes chers collègues, il convient tout d'abord de saluer la
présentation qui nous a été faite aujourd'hui, et pour la deuxième année
consécutive, par le Médiateur de la République, M. Bernard Stasi, de son
rapport annuel.
Je rappellerai que la loi de 1973 eut pour origine un texte de notre excellent
collègue, de mon prédécesseur, M. Jacques Larché, à la demande du Premier
ministre, Pierre Mesmer, qui souhaitait adapter l'ombudsman institué en Suède
en 1809.
Les raisons à l'origine d'une telle création sont plus que jamais d'actualité
: nos concitoyens n'acceptent plus d'être confrontés à certaines situations, de
se heurter à des refus, justifiés parfois dans la perspective d'une stricte
application du droit, alors qu'ils ont le sentiment profond qu'une
interprétation des faits et des textes peut conduire à des solutions plus
équitables. Le besoin de justice et de proximité est très grand, comme le
montre la création des juges de proximité, dont notre assemblée débattait la
semaine dernière.
La procédure qui se déroule en cet instant s'inspire de celle qui est suivie
pour la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes et doit permettre
de renforcer l'impact de ce rapport du Médiateur en lui donnant une plus grande
solennité.
Le Médiateur peut ainsi attirer directement l'attention des deux assemblées
sur les dysfonctionnements relevés et, le cas échéant, demander les
modifications législatives qui lui paraissent opportunes.
Vous l'avez dit, monsieur le Médiateur, le nombre de réclamations reçues
chaque année a crû de façon très sensible. Il est ainsi passé de 1 773 en 1973
à plus de 58 000 aujourd'hui.
L'activité du Médiateur a d'ailleurs encore connu une progression de 8,3 %
cette année, comme vous venez de le dire.
Dans le même temps, votre institution a connu une mutation profonde. En effet,
qui désormais s'adresse à vous ? Des citoyens souvent déboussolés par
l'évolution rapide de l'économie et par l'instabilité des normes juridiques,
qui se sentent abandonnés et risquent donc de se marginaliser. Vous les aidez à
combattre l'anonymat, l'indifférence et la précarité, vous contribuez au
remaillage du tissu social, notamment en faveur des personnes les plus
vulnérables.
Ainsi, pour mieux remplir votre mission, vous vous êtes décentralisé, puisque
vous êtes désormais assisté de 232 délégués départementaux, dans tous les
départements, dont près de la moitié sont installés dans les quartiers
difficiles afin de rétablir le dialogue entre les citoyens et l'administration.
Par ce mouvement qui vous rapproche des citoyens et de leurs problèmes, vous
apportez la preuve qu'un Etat ou qu'une institution ne peuvent normalement
accomplir leur mission qu'en se rapprochant des hommes, de leurs problèmes
quotidiens. Vous contribuez donc activement à réformer l'Etat.
Cependant, au-delà de cette première mission de traitement des réclamations
individuelles, vous vous êtes également affirmé en développant une fonction de
proposition.
Ce pouvoir de proposition constitue le complément logique de la fonction
d'intercession entre les citoyens et l'administration. Il a d'ailleurs connu un
développement significatif.
La faculté d'auto-saisine qui vous a été reconnue par la loi relative aux
droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration en 2000, et que
le Sénat avait d'ailleurs fermement soutenue, vous a ouvert de nouvelles
perspectives.
On compte ainsi une trentaine de propositions de réforme par an, dont plus de
80 % donnent lieu à des modifications de textes législatifs ou réglementaires,
les autres étant rendues publiques après un délai fixé par vous-même.
Parmi ces propositions de réforme ayant abouti, je pense plus particulièrement
à l'indemnisation des atteintes corporelles pour les victimes d'attentats,
reprise par la loi du 6 septembre 1986 relative à la lutte contre le
terrorisme, mais aussi à l'obligation pour le parent divorcé ou séparé ayant la
garde des enfants de notifier son changement d'adresse à l'autre parent de
manière à préserver la relation de l'enfant à ses deux parents, ainsi que le
droit reconnu dans la loi portant sur la lutte contre les exclusions du 29
juillet 1998 aux personnes sans domicile fixe d'être inscrites sur les listes
électorales et d'ouvrir un compte bancaire ou postal.
Encore récemment, certaines de vos propositions ont été retenues par la loi
relative aux droits des malades de mars 2002, notamment en matière
d'indemnisation des victimes de contamination par le virus de l'hépatite C,
ainsi que de celle des accidents causés par une vaccination obligatoire des
personnels hospitaliers.
S'agissant plus particulièrement des réformes législatives introduites par le
Sénat à votre demande, je pense notamment à la disposition de la loi du 26
janvier 1984 sur l'enseignement supérieur relative aux chargés d'enseignement
venant de perdre leur emploi, à une disposition de la loi du 18 décembre 1998
relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits accordant
de plein droit le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux anciens combattants
pour les instances portées devant les juridictions compétentes en matière de
pensions militaires.
Votre intervention, en octobre 2001, devant la délégation du Sénat aux droits
des femmes et à l'égalité entre hommes et femmes lors de l'examen du projet de
loi relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et des pupilles de
l'Etat a d'ailleurs bien montré votre efficacité.
Il y aurait encore bien d'autres exemples à relever.
Sans doute vos suggestions récentes, telles que l'établissement d'une peine de
travail d'intérêt général pour réprimer le défaut de permis de conduire ou
d'assurance pour les personnes peu solvables ou la réduction du montant de la
redevance de l'audiovisuel au profit des sourds et des malentendants
feront-elles prochainement l'objet d'un débat devant notre assemblée.
Nous comptons d'ailleurs sur nos bancs votre prédécesseur, notre excellent
collègue M. Jacques Pelletier, en qui vous trouvez toujours un ardent défenseur
des propositions de la Médiature et que je voulais à mon tour saluer.
Vous avez développé une activité internationale très importante, ce qui ne
manquera pas de satisfaire les Français installés à l'étranger, dont vous savez
qu'ils sont représentés au Sénat.
Le Parlement et la Médiature entretiennent des liens étroits qui ne peuvent
que se renforcer car les propositions de la Médiature constituent en définitive
une nouvelle source d'initiatives législatives qui ne peut que se développer
utilement.
Médiateur et parlementaires, il s'établit entre nous une forme de
connivence.
Les uns et les autres, nous sommes au contact de nos concitoyens. Dans la
collaboration qui s'établit entre nous, en déclenchant votre intervention, nous
agissons ensemble dans l'intérêt commun.
Je dois dire que je vous écris souvent, monsieur le Médiateur et que je dois
me féliciter de la rapidité et de l'efficacité des réponses. J'ai encore trois
courriers sur mon bureau qui attendent d'être transmis aux personnes
concernées. Par conséquent, en quelque sorte, je contribue à votre malheur !
En un peu plus d'un quart de siècle, le Médiateur est devenu une pièce
essentielle de notre vie administrative et de notre vie sociale, alors même
qu'il avait été accueilli - pourquoi ne pas le dire ? - avec scepticisme, voire
avec une certaine méfiance.
Son action a démontré qu'en respectant les prérogatives de chacun et les
équilibres nécessaires à notre organisation administrative, il permettait en
définitive à l'ensemble des citoyens de mieux voir reconnaître leurs droits et
de se défaire de ce sentiment d'isolement et de solitude qui était trop souvent
le leur.
Je ne peux à cet égard que saluer l'action de tous vos délégués, qui ont
inventé une nouvelle mission pour votre institution : l'explication pédagogique
des normes juridiques et l'orientation des citoyens, que leurs demandes
relèvent ou non de vos compétences.
Pour cela, vous me permettrez, monsieur le Médiateur, de vous remercier
personnellement, comme notre président l'a fait au nom du Sénat, et au nom de
tous mes collègues.
M. le président.
Huissiers, veuillez raccompagner M. le Médiateur de la République.
(M. le Médiateur quitte l'hémicycle.)
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