SEANCE DU 22 OCTOBRE 2002


M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin, auteur de la question n° 42, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
M. Jacques Oudin. Le problème que je souhaite évoquer est ancien mais il s'aggrave d'année en année. Il s'agit de la mortalité des abeilles due à l'utilisation de certains insecticides.
Déjà, le 19 février dernier, j'adressais à M. Jean Glavany, une question qui y était consacrée. Au nom de la rigueur scientifique, il avait alors retardé toute décision politique, en attente des conclusions d'une étude multifactorielle qui aurait dû être lancée depuis déjà plus d'un an et qui piétine.
J'ai également abordé ce sujet avec Hervé Gaymard au cours d'un entretien que nous avons eu en juillet dernier et à travers différents courriers. Il m'a laissé entendre que l'incrimination des produits Gaucho et Régent dans cette affaire n'était pas encore complètement prouvée.
Je comprends qu'il convient de fonder les décisions gouvernementales sur des données sûres et vérifiées. Cependant, les abeilles sont systématiquement décimées chaque été au moment de la floraison. Cette destruction ne peut en rien être assimilée aux conséquences isolées de mauvaises pratiques agricoles, explication qui a parfois été avancée.
Aujourd'hui, il ne subsiste plus aucun doute quant à la culpabilité des matières actives incriminées. En effet, les derniers résultats scientifiques présentés en juin 2002 par le CNRS et l'INRA confirment la présence de matière active du Gaucho dans les fleurs de maïs ainsi que la présence, dans le nectar de tournesol, d'une dose moyenne d'imidaclopride vingt fois supérieure à la dose minimale susceptible de faire mourir les abeilles.
Au regard de ces résultats, le Conseil d'Etat, dans sa décision du 9 octobre dernier, a demandé au ministre de l'agriculture le réexamen de l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho dans un délai de trois mois.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, s'est elle-même montrée favorable à l'interdiction de l'emploi du Gaucho et du Régent sur toutes les cultures. Les associations de consommateurs, elles aussi, s'inquiètent de l'utilisation de matières actives dans la mesure où leurs effets sur la santé humaine n'ont même pas été vérifiés.
Le monde agricole peut produire sans ces matières actives. Les programmes excluant tout usage de semences traitées au Gaucho ou au Régent, proposés à l'échelle de leurs deux départements par l'ensemble des syndicats agricoles de Vendée et des Deux-Sèvres, en témoignent.
Les enrobages des semences avec les produits Gaucho et Régent vont reprendre dès la fin du mois. Si l'on veut éviter une sixième année noire pour les apiculteurs, il faut réagir rapidement.
De surcroît, en l'absence de soutien économique d'urgence de la part du Gouvernement, les pertes massives d'abeilles, répétées chaque été depuis cinq ans, ont amené de nombreux apiculteurs à cesser leur activité au cours des dernières années, ce qui est catastrophique pour le tissu économique rural et l'aménagement du territoire.
Le simple principe de précaution, rappelé à maintes reprises par le Président de la République, a déjà été appliqué dans ce dossier en 1999. Mais faudra-t-il attendre une catastrophe encore plus grave pour prendre enfin les mesures qui s'imposent ?
Compte tenu des résultats particulièrement probants qui ont déjà été obtenus, l'attente des conclusions d'une nouvelle enquête multifactorielle n'a plus d'utilité.
C'est pourquoi je souhaite savoir si M. le ministre de l'agriculture entend prendre trois décisions immédiates, essentielles à la survie de nos apiculteurs : premièrement, le retrait immédiat du Gaucho, comme l'a préconisé le Conseil d'Etat, compte tenu des résultats présentés par des laboratoires scientifiques publics et, j'insiste sur ce point, indépendants ; deuxièmement, la suspension du Régent, au nom du principe de précaution, et ce pour une durée de trois ans minimum, afin d'effectuer les contrôles qui s'imposent, étant entendu qu'il serait possible, ensuite, soit de l'interdire définitivement si les récoltes retrouvaient un meilleur niveau, soit de remettre le Régent sur le marché si les problèmes perduraient ; troisièmement, la mise en place d'aides économiques d'urgence aux apiculteurs, accompagnées d'un plan de relance de l'apiculture, et le maintien des mesures collectives agri-environnementales contenues dans les contrats techniques d'exploitation apicole, qui viendraient en complément des aides à la reconstitution du cheptel déjà prévues.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, retenu ce matin au Parlement européen, M. Gaymard, ministre de l'agriculture, m'a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
La situation de la filière apicole préoccupe le Gouvernement. En effet, celle-ci est confrontée à un manque de structuration, à des importations accrues, à une baisse sensible de ses performances techniques ainsi qu'à l'arrivée du varroa, cet acarien parasite des abeilles, et de nouveaux virus. S'y ajoute une interrogation sur l'incidence des traitements insecticides sur la santé des abeilles.
Depuis 1997, les apiculteurs font état de baisses imporantes des miellées de tournesol et de troubles du comportement des abeilles, phénomènes qu'ils imputent au Gaucho.
Ce produit, homologué depuis 1990 dans une centaine de pays, n'avait fait, jusqu'alors, l'objet d'aucune critique.
En janvier 1999, en application du principe de précaution, le ministre de l'agriculture a décidé le retrait provisoire de l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho pour le traitement des semences de tournesol, le produit restant autorisé pour le traitement des semences de maïs et de betteraves.
Toutefois, en octobre 2000, le même ministre a refusé le retrait du Gaucho pour les usages liés au traitement des semences de tournesol, de maïs et de betterave.
Le 9 octobre dernier, le Conseil d'Etat a annulé ce refus pour le traitement du maïs, ne le mettant pas en cause s'agissant de la betterave.
Comme l'y invite le Conseil d'Etat, M. Gaymard va donc statuer à nouveau dans un délai de trois mois sur le retrait de l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho pour le traitement des semences de maïs.
Il va saisir à cet effet, dans les plus brefs délais, la commission d'étude de la toxicité et le comité d'homologation, afin que ceux-ci réexaminent la question au vu de l'ensemble des données scientifiques disponibles, de manière à obtenir une certitude quasi absolue.
C'est ensuite que sera prise la décision de maintenir ou non l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho pour le traitement des semences de maïs.
Parallèlement, le ministre de l'agriculture entend que soit menée à terme l'étude épidémiologique multi-factorielle visant à faire la lumière sur l'ensemble des causes potentielles de mortalité rapportée dans les ruches, notamment les incidences possibles du Gaucho et du Régent.
Le comité scientifique et technique lui remettra dans les toutes prochaines semaines un rapport d'étape qui sera naturellement rendu public.
De plus, les services du ministère de l'agriculture se sont engagés dans un important travail de clarification sur la question de l'utilisation des mélanges de pesticides.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que m'a chargé de vous apporter le ministre de l'agriculture, qui juge indispensable de conforter la structuration de la filière, notamment en associant plus étroitement les apiculteurs au réseau de surveillance mis en place cette année, et de mieux intégrer l'apiculture dans l'agriculture française.
M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin.
M. Jacques Oudin. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous m'avez apportées.
Le fait de poursuivre les discussions avec les apiculteurs est une bonne chose. Cela dit, je n'ignore rien des intérêts économiques qui sont en jeu dans cette affaire.
Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas que se reproduisent, fût-ce à une moindre échelle, les problèmes que nous avons connus avec les farines animales. On savait que l'utilisation de ces farines était néfaste mais on a quand même continué à les produire.
Dans le cas des pesticides cités, il n'y a plus de doute. De nombreux organismes ont été consultés, les scientifiques en ont débattu. Le Conseil d'Etat, qui n'est tout de même pas une instance frivole, s'est prononcé au vu des pièces du dossier d'homologation, lequel est accablant, ainsi que j'ai moi-même pu le constater.
Peut-être de nouvelles consultations sont-elles encore nécessaires, mais il y a un moment où il faut bien prendre une décision. En l'occurrence, il faut la prendre de toute urgence.
J'ai demandé au ministre de l'agriculture qu'une décisoin intervienne avant la fin du mois de novembre. Si cette décision n'est pas prise rapidement et que des conséquences graves s'ensuivent, on nous reprochera, à nous, parlementaires, de ne pas avoir été assez vigilants et à vous, Gouvernement, de ne pas avoir suivi le Parlement sur ce point.
Nous avons, au Sénat, l'avantage de la durée. Eh bien, nous sommes décidés à suivre ce dossier année après année, mois après mois. Nous pensons qu'il y a là un vrai problème et qu'il faut le résoudre promptement. Pour ma part, je fais confiance à Hervé Gaymard et au Gouvernement pour y parvenir.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.