SEANCE DU 30 OCTOBRE 2002
M. le président.
La séance est reprise.
La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Monsieur le président, monsieur le garde
des sceaux, mes chers collègues, la commission des lois a apporté son soutien
au retrait de l'amendement n° 1 par M. le rapporteur.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 124, 167 rectifié, 1
rectifié et 86 ?
M. René Garrec,
rapporteur.
La commission est défavorable à l'amendement n° 124, qui est
contraire à la position qu'elle a prise. L'inscription, en tête de la
Constitution, du principe selon lequel l'organisation de la République est
décentralisée permettra de consacrer symboliquement la décentralisation et de
marquer l'irréversibilité du processus. Elle permettra à la fois de réaffirmer
solennellement le caractère unitaire de l'Etat et de marquer la spécificité de
son organisation par rapport à d'autres pays européens, en particulier les
états fédéraux.
L'affirmation du caractère décentralisé de l'organisation de la République
deviendra ainsi la pierre de touche de l'ensemble des droits reconnus aux
collectivités territoriales dans la Constitution, qu'il s'agisse du principe de
subsidiarité, du droit à l'expérimentation locale, du pouvoir réglementaire des
collectivités territoriales ou de leur autonomie financière.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 167 rectifié, pour
les mêmes raisons.
L'avis de la commission sera le même sur l'amendement n° 1 rectifié ; cela ne
surprendra personne. L'emploi du terme « organisation administrative » semble
inopportun dans la mesure où les collectivités territoriales sont administrées
par des conseils élus au suffrage universel direct.
Faire de la décentralisation un simple processus de réorganisation
administrative serait par trop réducteur, alors qu'elle vise à améliorer
l'efficacité de l'action publique et à approfondir la démocratie. La commission
propose donc à l'auteur de cet amendement de le retirer. Sinon, elle émettra un
avis défavorable.
L'avis de la commission est identique sur l'amendement n° 86.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'ensemble
de ces amendements pour quatre raisons.
Premièrement, l'article 1er énonce les grands principes. Or la
décentralisation est, à nos yeux, un grand principe.
Deuxièmement, nous voulons conjuguer en même temps et de manière équilibrée
l'indivisibilité de la République et la décentralisation. C'est la raison pour
laquelle nous voulons que ces deux notions figurent dans le même article.
Troisièmement, nous voulons, en les plaçant en tête du dispositif
constitutionnel, c'est-à-dire au sein de ce que René Cassin appelait « la
prolongation du préambule », indiquer au Conseil constitutionnel, lorsqu'il y a
lieu à interprétation, notre volonté d'établir un équilibre entre
l'indivisibilité de la République et la décentralisation. J'indique à M. Sueur,
au demeurant, que le deuxième alinéa de l'article 3 garantit l'indivisibilité
de la République et que, bien entendu, personne ne songe à y toucher !
Enfin, quatrièmement, nous considérons que l'organisation administrative est
décentralisée, mais que, au-delà, c'est aussi le pouvoir politique qui est
décentralisé, puisque la décentralisation vise des organes élus, donc
politiques.
Je voudrais aussi rappeler à M. Charasse, qui nous a tout à l'heure un petit
peu « chatouillés » gentiment, aimablement, courtoisement et avec toute la
culture dont il est capable, ce que le général de Gaulle disait au moment du
référendum de 1969 car, s'il est vrai que nous avons tous fait du chemin en ce
qui concerne la Constitution de la Ve République, vous en avez fait aussi,
monsieur Charasse, comme beaucoup de socialistes : ces derniers, en 1982, grâce
à vous, monsieur Mauroy, ont accepté le principe de la décentralisation.
Le général de Gaulle disait, à Lyon, le 24 mars 1968 : « L'effort
multiséculaire de centralisation, qui lui fut longtemps nécessaire - il parlait
de notre pays - pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des
provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s'impose plus
désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent
comme les ressorts de sa puissance économique de demain. »
Il disait encore : « Il est nécessaire de donner à chaque région une vie
propre pour que notre pays mette en valeur tout ce qui vaut dans chacune de ses
parties et cesse, en se vidant lui-même, d'amasser sa substance à Paris et à
ses alentours. »
Monsieur Charasse, nous n'avons nullement le sentiment de renier le général de
Gaulle en nous inscrivant dans cette continuité.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Hélène Luc, pour explication de vote sur les amendements
indentiques n°s 124 et 167 rectifié.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, j'ai demandé tout à l'heure à M. le ministre de nous
informer de l'avis du Conseil d'Etat.
Monsieur le ministre, vous ne m'avez pas répondu.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
C'est vrai !
Mme Hélène Luc.
Je voudrais avoir une explication. En effet, je trouve absolument incroyable
que ce soit le journal
Le Monde
qui nous ait appris la seule chose que
nous connaissions de cet avis !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Il a commis une indiscrétion !
Mme Hélène Luc.
Qu'on nous fournisse le texte, ou en tout cas l'essence de son contenu, car
j'aimerais bien connaître l'avis du Conseil d'Etat !
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Madame Luc, vous avez tout à fait raison : j'ai omis de
répondre à votre demande tout à l'heure, mais je vais le faire maintenant.
Naturellement, il n'est pas question de communiquer cet avis, qui est couvert
par le secret, et ce pour une raison tout à fait compréhensible : dans cette
fonction d'avis, le Conseil d'Etat agit non pas en tant que juge, mais comme
conseil.
M. Claude Estier.
Cet avis a été communiqué à la presse !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Quand vous allez consulter un avocat pour obtenir un
avis éclairé sur un litige vous concernant, vous ne souhaitez pas que cet
avocat rende public l'avis qu'il vous a donné ! Dans le cas présent, c'est la
même chose.
Mme Hélène Luc.
Cela permet de se faire un jugement ! Pourquoi et comment la presse en
a-t-elle eu connaissance ?
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Aux termes de l'article 39 de la Constitution, « l'initiative des lois
appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement. Les
projets de lois sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil
d'Etat... » Le Conseil d'Etat figure donc dans la Constitution ! Il est vrai,
monsieur le ministre, que cet avis est confidentiel et qu'il est réservé au
Gouvernement.
M. Josselin de Rohan.
Et voilà !
M. Michel Charasse.
Par conséquent, en principe, cet avis n'est pas communicable. Mais je vous
pose la question suivante, monsieur le président, et je pense qu'elle sera
soulevée lors d'une prochaine réunion du bureau du Sénat : nous faudra-t-il
ajouter à notre carte de sénateur la carte de presse pour avoir droit à ce
qu'on distribue aux journalistes et qu'on refuse aux parlementaires ?
Mme Hélène Luc.
Exactement !
M. Michel Charasse.
Ou bien l'avis du Conseil d'Etat est secret, et il l'est pour tout le monde,
ou bien il n'est pas secret et, dans ce cas-là, il faut nous le communiquer
!
Je n'accepterai jamais que des personnes extérieures au Parlement puissent
obtenir des informations que l'on refuse au législateur, alors que c'est lui
qui est chargé de faire la loi. Et, comme je n'ai pas envie d'aller fouiller
moi-même les poubelles du Conseil d'Etat, puisque je ne suis pas pigiste au
Monde (Sourires) -,
car c'est ainsi que cela se passe -, je souhaite
que, désormais, soit on veille à garder le caractère strictement secret des
avis du Conseil d'Etat, soit, à partir du moment où il y a des fuites, on les
distribue. Or, cher monsieur Devedjian, il se trouve qu'il y a eu une
fuite,...
M. Alain Vasselle.
Ce n'est ni la première ni la dernière ! Et c'est la même chose avec la Cour
des comptes !
M. Michel Charasse.
... puisque ce texte a circulé sous le manteau et a été publié par extraits
dans tous les journaux. Dès lors, y a-t-il une difficulté majeure à communiquer
cet avis aux parlementaires qui en font la demande ?
J'ajoute que la tradition veut que l'avis soit quelquefois communiqué, à titre
personnel, au président de la commission des lois - ce qui est tout à fait
normal, d'ailleurs -, mais que celui-ci n'en fasse pas état. Ce n'est pas parce
qu'il est lui-même membre du Conseil d'Etat que je dis cela, mais il se trouve
que c'est la tradition.
Nous sommes tout de même dans une situation baroque ! Je n'accuse pas le
Gouvernement d'avoir organisé la fuite, je dis simplement que pour nous,
parlementaires, la situation est insupportable. Si l'Etat n'est pas capable de
protéger ses propres secrets, alors qu'il en tire les conséquences !
Vous le constatez, c'était un vrai rappel au règlement, monsieur le président
!
(Applaudissements.)
M. le président.
Plus qu'un rappel au règlement, c'était un rappel à la Constitution, monsieur
Charasse !
Mme Hélène Luc.
C'était même plus !
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur les
amendements identiques n°s 124 et 167 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur.
J'expliquerai également mon vote sur l'amendement n° 1 rectifié de M.
Charasse.
Je n'avais pas prévu de prendre la parole mais, compte tenu de ce qui s'est
passé au sein de la commission des lois, j'ai décidé de m'exprimer. En effet,
mes chers collègues, la commission des lois, à la suite d'un long et riche
débat, avait adopté à la majorité la rédaction suivante : « Son organisation
territoriale est décentralisée. » Nous avons donc été très surpris de voir le
président de la commission, également rapporteur, retirer cet amendement sans
qu'il y ait eu de débat préalable entre nous. Ce débat a eu lieu par la suite
et, en quelques minutes, la majorité de la commission des lois a décidé de
changer d'avis et de suivre son président-rapporteur.
M. Josselin de Rohan.
C'est son droit !
M. Jean-Pierre Sueur.
C'est effectivement son droit le plus strict !
Pour notre part, nous considérons que, sur le plan de la méthode et de la
forme, un tel acte pose un réel problème de fonctionnement ; nous l'avons
dit.
Pour ce qui est du fond, à partir du moment où nous sommes profondément
attachés à l'idée de la République telle qu'elle est définie dans l'article 1er
de la Constitution, il ne nous paraît pas possible de dire que la totalité de
la République procède d'une « organisation décentralisée », et ce pour des
raisons évidentes que chacun connaît : outre le Président de la République, le
Gouvernement ne saurait procéder d'une « organisation décentralisée » et, fort
heureusement, l'ensemble de l'administration de l'Etat n'est pas
décentralisée.
Car, pour que l'Etat soit ce qu'il est et ce qu'il doit être, y compris par
rapport aux collectivités décentralisées, il faut qu'il procède du principe de
la déconcentration, et non pas du principe de la décentralisation.
La majorité de la commission des lois avait considéré - c'est important ! -
que le mot « territorial » permettait une certaine clarification : en parlant
d' « organisation territoriale de la République », on ne parlait pas de
l'organisation de tout ce qui, dans la République, ne peut pas être
décentralisé. C'était tellement clair que cette formulation avait fait l'objet
d'un assez large accord, même si elle n'avait pas recueilli l'unanimité.
Il nous paraît particulièrement grave de revenir sur ce point ; nous nous
permettons même de dire que c'est une erreur profonde.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste demande que le Sénat se
prononce par scrutin public sur ces amendements identiques.
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin.
Je suis non seulement une militante de la décentralisation, mais également une
praticienne. Je vous rappelle que la région Nord - Pas-de-Calais a été la
première à assurer la gestion du transport express régional, le TER, dans le
respect de l'intérêt des usagers, du budget de la région et du statut des
cheminots ! Par conséquent, inscrire la décentralisation dans la Constitution
aurait tout pour me plaire.
L'organisation décentralisée telle qu'elle est formulée, telle qu'elle a été
disséquée par mes amis du groupe socialiste, ne peut qu'inquiéter. J'approuvais
la sagesse de la commission des lois, à laquelle je n'appartiens pas, d'avoir
fait la juste analyse en retirant le mot « territorial » de cet endroit pour le
placer ailleurs.
Le revirement brutal auquel nous venons d'assister a ému la nouvelle élue que
je suis, mais je me suis dit que ce revirement n'était pas un problème, car il
serait toujours possible de saisir le Conseil constitutionnel. Eh bien ! non,
car c'est de la Constitution dont nous traitons aujourd'hui. Ce qui va se
passer ici est donc grave. Chacun assumera la responsabilité de son vote.
J'aurais souhaité que le Sénat agisse au nom de la raison et non pour
s'aligner sur un gouvernement qui n'a peut-être pas mesuré la gravité des
dispositions qu'il nous propose.
(Applaudissements sur les travées
socialistes. - Protestations sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote
M. Michel Charasse.
Je voterai, bien entendu, comme mon groupe, les amendements identiques tendant
à supprimer l'article 1er, et ce pour des raisons qui ne sont pas
fondamentalement différentes de celles que viennent d'exposer mes collègues du
groupe socialiste.
En premier lieu, cette disposition aurait davantage sa place dans l'article 72
de la Constitution, puisque le titre XII traite des collectivités territoriales
: inscrire, dans le chapitre relatif aux collectivités locales, que
l'organisation de la République est décentralisée paraît s'imposer logiquement
et ne donner lieu à aucune discussion possible. En revanche, je ne peux que
regretter que cette disposition figure dans l'article 1er de la Constitution,
qui pose les grands principes, car, dans ce cas-là, elle revêt une
signification tout à fait différente.
En second lieu, mes chers collègues, je me prononcerai contre l'article 1er,
car je ne sais pas ce que l'on va voter ! Et en bon Auvergnat j'ai horreur que
l'on me vende un âne dans un sac : je préfère voter contre cette disposition
plutôt que m'y rallier alors que personne, jusqu'à présent, n'a été capable de
me dire ce qu'elle signifiait.
S'agit-il, mes chers collègues, de l'interprétation du Gouvernement ? Nous
avons entendu les ministres, mais, pour ma part, je me réfère à l'exposé des
motifs du projet de loi.
M. Michel Mercier.
C'est une bonne chose !
M. Michel Charasse.
Je le cite : « Principe d'organisation administrative, la décentralisation,
sans remettre en cause l'unité de la nation » - l'unité de la nation est donc
confirmée - « enrichit la vie démocratique et contribue à une application plus
effective et moins abstraite du principe d'égalité. »
Par conséquent, le Gouvernement renforce le principe d'égalité. On peut
toujours discuter, mais, à la limite, je suis d'accord.
Ou bien s'agit-il de l'interprétation de la commission ? Je vous livre le
texte qui figure dans son rapport : « Sur le plan juridique, l'inscription de
cette disposition en tête de la Constitution ne devrait pas rester sans effet
sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel et l'interprétation
particulièrement stricte qu'il donne de l'application des principes de
l'indivisibilité de la République... »
Les uns veulent renforcer, les autres assouplir ! Alors, on vote quoi ? On
n'est pas en train de voter une loi que l'on pourra modifier comme on voudra,
dans quinze jours ! Il s'agit de la Constitution...
Mme Hélène Luc
Effectivement !
M. Michel Charasse.
... c'est-à-dire du texte sacré de la République !
Dans l'Histoire - M. Mercier le sait comme tout bon universitaire - ce pays a
connu dix-sept ou dix-huit constitutions, et bien des dispositions ont souvent
été regrettées. Celle-ci touche à l'essence même, au coeur, au noyau de la
République, et l'on ne peut pas rester dans une telle incertitude.
Si la commission des lois nous dit que, en fait, ce qu'elle a écrit ne
correspond pas vraiment à la réalité et que, au titre des travaux
préparatoires, c'est l'interprétation du Gouvernement qui prévaut, nous serons
déjà rassurés. Mais nous n'en sommes pas là.
J'ajoute un point parce que, mes chers collègues, il faudra bien se poser la
question à un moment ou à un autre.
Le général de Gaulle, dans l'article 89 de la Constitution de 1958, a fait
écrire
in fine
deux alinéas. Premièrement, on ne peut pas réviser la
Constitution si le territoire français est partiellement occupé - c'est le
souvenir de 1940.
M. Josselin de Rohan.
Mais il ne s'agit pas de cela ici !
M. Michel Charasse.
Deuxièmement, la forme républicaine du Gouvernement ne peut pas faire l'objet
d'une révision - c'est aussi le souvenir de 1940.
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
Chers collègues, ces deux dispositions existent. Si j'en crois les
explications du Gouvernement, ce n'est pas cela ici. Mais, avec le commentaire
que nous fait la commission, j'avoue que je suis un peu secoué.
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Je suis conseiller
général de Châteldon, à quinze kilomètres de Vichy, et je sais ce que les
textes constitutionnels veulent dire ! Et je ne soupçonne pas de turpitudes
affreuses nos collègues et amis de la commission des lois, dont l'écriture a
certainement dépassé la pensée.
(Protestations redoublées sur les mêmes travées.)
M. Jean-Guy Branger.
Ce n'est pas le sujet !
M. Michel Charasse.
J'ai entendu à l'instant Mme Blandin. Le Conseil constitutionnel s'est
interdit, c'est vrai, d'examiner les textes d'origine référendaire, considérant
qu'il n'avait pas à revenir, ce qui est normal, sur la souveraineté nationale,
qui s'exprime à travers le référendum. Mais ici, ce n'est pas cela, c'est un
texte voté par le Parlement. Or, aux termes des articles 17 et 18 de la loi
organique sur le Conseil constitutionnel, le Conseil est compétent pour
examiner la conformité des lois votées par le Parlement.
(M. Michel Mercier
s'exclame.)
Et le Congrès du Parlement, ce n'est quand même pas le congrès
des maires de France !
(Protestations sur les travées de l'Union centriste.)
Donc, je dis qu'il peut toujours y avoir lieu à demander au Conseil
constitutionnel ce qu'il en pense, parce que, sinon, méfiez-vous : si un jour
quelqu'un propose de réviser la Constitution alors que la France est occupée ou
propose de supprimer la République
(Exclamations sur les travées du RPR)...
M. Josselin de Rohan.
Ce n'est pas sérieux !
M. Michel Charasse.
Monsieur de Rohan, je ne parle pas des dirigeants actuels, je raisonne pour
l'avenir. Ne faites pas semblant de ne pas comprendre ce que je veux dire et ne
me faites pas l'injure de penser que j'aurais voté, au deuxième tour des
présidentielles, pour quelqu'un qui n'est pas un républicain ! Je suis sûr
qu'il l'est, d'autant plus que, élu dans la Corrèze, il a certainement quelque
raison de l'être.
Mais je vous dis simplement qu'on ne sait pas de quoi l'avenir est fait et
que, par conséquent, il faut bien qu'il y ait une autorité qui interprète ces
dispositions de la Constitution, sauf, bien entendu, si le texte est
l'expression directe du suffrage populaire, mais c'est une autre affaire.
En tout cas, voilà les raisons pour lesquelles, comme je ne sais pas ce que
l'on nous demande de voter, je préfère supprimer !
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Nicole Borvo, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo.
Je voterai, bien entendu, les amendements de suppression.
Dès le début du débat, en commission des lois, nous avons constaté que
l'insertion de la notion de décentralisation dès l'article 1er de la
Constitution posait problème. D'où des tentatives pour édulcorer la portée de
la phrase, l'ajout du terme « territoriale » et le déplacement de cet ajout de
l'article 1er à l'article 2. Aucun des membres de la commission des lois qui
appartient à mon groupe n'a voté le premier amendement de la commission,
tendant à déplacer la phrase de l'article 1er à l'article 2 en y ajoutant le
mot « territoriale ».
On aurait pu considérer plus judicieux, effectivement, d'ajouter ce principe
de décentralisation dans le titre XII.
Or, précisément, il s'agit de l'insérer non pas dans le titre XII, mais bien
dès les premiers articles de la Constitution, et même dans l'article 1er, le
plus fondateur, qui concerne l'unité de la République.
Toutes les explications qui ont été données et, finalement, le revirement de
la majorité de la commission des lois, qui a abandonné son propre amendement,
ne font que nous confirmer dans la démarche qui nous a amenés au dépôt d'une
question préalable tendant au rejet non pas de la décentralisation, mais de
cette réforme constitutionnelle, en l'état.
Le dispositif proposé par le Gouvernement recèle une très grande ambiguïté, et
l'on aura beau vouloir me prouver le contraire, cela n'y changera rien.
(Protestations sur les travées du RPR.)
L'acharnement mis à modifier de cette manière l'article 1er de la
Constitution, qui fonde pourtant l'unité de la République, prouve que, sans le
dire tout à fait mais en le disant un peu, on s'oriente bel et bien dans le
sens d'une République fédérale !
M. Josselin de Rohan.
Vous affirmez n'importe quoi !
Mme Nicole Borvo.
Les invectives ne sont pas des arguments, monsieur de Rohan !
M. Josselin de Rohan.
Mais vous dites n'importe quoi !
Mme Nicole Borvo.
Alors, donnez-moi des arguments !
M. Josselin de Rohan.
Je persiste : vous dites n'importe quoi !
Mme Nicole Borvo.
Où sont vos arguments ? Vous pouvez continuer, les invectives ne sont pas des
arguments !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie !
Mme Nicole Borvo.
En tout état de cause, nous refusons de rédiger ainsi l'article 1er de la
Constitution, article fondateur s'il en est, qui pose les principes de l'unité
et de l'indivisibilité, principes sacro-saints de la République. C'est pourquoi
nous voterons pour la suppression de l'article 1er.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen)
.
M. Alain Vasselle.
Si je comprends bien, vous voterez la suppression, quels que soient les
arguments avancés !
M. le président.
La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
A ce stade de la discussion de l'article
1er, il convient, me semble-t-il, de remettre un peu les pendules à l'heure !
(Exclamations amusées sur les travées socialistes.)
Un petit historique, d'abord. Je rappelle que la majorité de la commission des
lois, après une longue discussion, a adopté un amendement. Or, à ma
connaissance, ni les commissaires membres du groupe communiste républicain et
citoyen ni ceux du groupe socialiste n'ont voté cet amendement.
Par la suite, la même majorité a décidé, en fonction de l'évolution du débat
qui s'est instauré, de retirer cet amendement et d'appuyer le rapporteur dans
cette affaire. Ce qui m'étonne, c'est de voir nos collègues socialistes
soutenir maintenant l'amendement que nous avions retiré, et le soutenir avec
passion.
Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que le projet de loi
constitutionnelle constitue un projet de loi de décentralisation. La majorité
parlementaire est pour que la décentralisation figure dans les principes
fondamentaux de la Constitution.
Il y a sans doute une différence entre vous et nous, chers collègues. Nous,
nous sommes pour affirmer le caractère essentiel de la décentralisation en la
faisant figurer dans les grands principes de la République. Or, sur ce point,
nous n'allons pas pouvoir nous entendre, puisque vous estimez que cela ne peut
pas être un grand principe.
Mais je me tourne vers M. Charasse. Cher collègue, dessinez-moi un âne dans un
sac !
(Rires.)
M. Michel Charasse.
Vous savez ce qu'est un chameau ? C'est un cheval dessiné par une assemblée,
avait dit Churchill !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Nous sommes tous d'accord, au sein de la
majorité sénatoriale, pour faire de la décentralisation un principe essentiel.
Savoir si ce principe essentiel doit figurer à l'article 1er, à l'article 2, à
l'article 72 ou à n'importe quel autre article de la Constitution relève de la
quadrature du cercle...
Mme Nicole Borvo.
Ah ? C'est intéressant !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
... ou du débat sur le sexe des anges
!
M. Pierre Mauroy.
Non, pas du tout !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Nous avons décidé que, la
décentralisation étant un principe essentiel et fondamental de la République,
elle devait figurer en tête de la Constitution !
M. Claude Estier.
Vous aviez décidé le contraire !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
La question de l'emplacement, à
l'article 1er ou à l'article 2, est donc tout à fait secondaire...
Mme Nicole Borvo.
Comme c'est curieux...
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
... et je ne tiens pas à poursuivre un
débat sur des mots, qui trouverait plus naturellement sa place sous la coupole
de l'Académie française.
M. Pierre Mauroy.
Pas du tout !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
La majorité a une position claire : elle
veut que la décentralisation soit un principe essentiel, le reste est
secondaire !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi.
Je ne vois pas pourquoi la gauche est aussi virulente aujourd'hui.
M. Jean-François Picheral.
Elle n'est pas virulente !
M. Pierre Mauroy.
Elle est exigeante !
M. Jean-François Picheral.
Nous ne sommes pas des godillots, nous !
M. Roger Karoutchi.
Que n'a-t-on entendu depuis tout à l'heure, sur cet article 1er !
J'ai entendu le groupe communiste républicain et citoyen parler d'un coup de
force contre la République.
Mme Hélène Luc.
Oui, et je suis prête à le redire !
M. Roger Karoutchi.
En clair, c'est un putsch !
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Roger Karoutchi.
Cela veut dire que, lorsque le Sénat délibère, il peut lui-même, en votant la
loi, faire un putsch ? C'est une définition intéressante...
M. Gérard Delfau.
Vous parlez en orfèvre !
M. Roger Karoutchi.
Ensuite, et je le dis avec tout le respect que j'ai pour lui, on a entendu M.
Charasse envisager une occupation partielle du territoire.
M. Jean Chérioux.
Tout à fait !
M. Roger Karoutchi.
Certes, le cas est prévu par la Constitution, mais ce n'est pas le débat
d'aujourd'hui.
M. Michel Charasse.
Non !
M. Roger Karoutchi.
M. Charasse en est sûrement lui-même conscient, de l'excès ne naît pas
forcément la lumière dans le débat.
La République est une et indivisible, oui, mais la France a changé.
Monsieur Mauroy, vous-même, à la fin des années soixante-dix, lorsque ce
mouvement a connu une ampleur nouvelle, vous aviez pris conscience que la
France avait changé.
M. Claude Estier.
Vous étiez contre, à l'époque !
M. Roger Karoutchi.
A l'époque, j'étais encore bien jeune pour être contre ou pour ! A l'époque,
je vous rassure, je n'étais pas parlementaire !
Mme Nicole Borvo.
Vous étiez contre en 1982 !
M. Roger Karoutchi.
La France a donc changé.
Aujourd'hui, si nous en restons à une France figée, à une France qui se refuse
à toute évolution, nous allons vers de plus en plus de contestations, notamment
des structures. Ce qui s'est passé au printemps dernier n'est qu'un symbole,
mais il manifeste que la France, dans ses profondeurs, n'accepte plus des
structures figées à jamais.
M. Michel Charasse.
La France a besoin d'un Etat !
M. Roger Karoutchi.
Si nous avions connu plusieurs révisions de la Constitution au cours des dix
dernières années, c'est bien que nous savions qu'il fallait faire évoluer la
situation.
Aujourd'hui, le Gouvernement entreprend une deuxième étape de la
décentralisation, ouvre la République à un souffle nouveau et fait en sorte que
la démocratie puissse irriguer l'ensemble de ce pays.
Les Françaises et les Français veulent...
M. Michel Charasse.
Un Etat !
M. Roger Karoutchi.
... de la décision de proximité, ils veulent de la décentralisation. Ils ne
remettent pas en cause l'indivisibilité de la République.
M. Michel Charasse.
La France a besoin de l'autorité de l'Etat !
M. Roger Karoutchi.
Parce qu'ils ne remettent pas en cause cette indivisibilité, il faut faire en
sorte qu'ils aient toujours, à l'avenir, confiance dans la République. Si nous
adaptons la République, alors, oui, la République sera une, respectée et
indivisible.
Si nous décidons de ne pas la faire évoluer, alors vous aurez une République
contestée. Ce qui s'est passé au printemps dernier nous interpelle tous, sur
toutes les travées.
J'ai entendu dire que la péréquation, c'était la constitutionnalisation de
l'inégalité. Mais cette inégalité, elle existe déjà, puisque tout le monde
demande de la péréquation. D'ailleurs, un certain nombre de textes ont déjà été
votés, qui prévoient des transferts lourds.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas au niveau de la Constitution ! C'est au niveau de l'arrêté
municipal !
M. Roger Karoutchi.
Une décision plus proche du citoyen, une péréquation plus grande, voilà à quoi
doit servir la décentralisation.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas du domaine de l'article 1er !
M. Roger Karoutchi.
Sincèrement, mes chers collègues, je crois qu'il faut affirmer le principe de
la décentralisation dès l'article 1er de la Constitution.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Hélène Luc, pour explication de vote.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il faut
appeler les choses par leur nom, comme l'a dit Aragon.
(Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Il n'y a que lui qui a dit cela ?
(Sourires.)
Mme Hélène Luc.
Ce sont des paroles dont il faut se souvenir de temps en temps, surtout quand
on va émettre un vote aussi important.
La modification que vous voulez faire voter par le Parlement, par le Sénat
d'abord, changera la Constitution, même si vous prétendez le contraire. On ne
peut pas mettre sur le même plan les techniques, les modalités de la
décentralisation et les principes fondamentaux de la République, en
l'occurrence celui de l'unité et de l'indivisibilité.
Nous avons connu une première étape de la décentralisation avec les lois
Defferre, et cette étape a été positive. Il nous faut aller plus loin.
Cela étant, le vote que nous allons émettre aujourd'hui est très grave.
L'objectif politique, je veux le redire, est clair : il s'agit de mettre la
France en harmonie avec l'Europe des régions.
Mais qui, parmi nous, sait ce qu'il va voter et quel sera le contenu qui sera
donné à un dispositif adopté ici dans le plus grand flou ?
Qu'allons-nous voter ? L'inégalité des Français devant la loi ? La flexibilité
au titre des expérimentations ?
Certaines régions, celles qui auront les moyens, pourront avoir des
universités d'excellence ; les autres n'en auront pas. Certains départements
pourront avoir de très beaux collèges ; d'autres ne le pourront pas. Comment se
fera, alors, l'égalité entre les Français, entre les enfants, cette égalité
dont on parle tant ?
Certains départements pourront mener une action culturelle d'envergure ;
d'autres ne le pourront pas.
Le ministre de la culture lui-même a déclaré que l'argent manquait et qu'il
fallait que les régions et les départements, désormais, assument l'entretien du
patrimoine national.
Qui s'occupera, je le redis - M. Fischer y a fait allusion tout à l'heure -,
de donner un toit à tous les Français ? Il faut une loi que l'ensemble des
départements et des régions appliqueront, je reviens là sur le rôle national
des collectivités territoriales.
Vous parlez beaucoup de rapprocher les Français des centres de pouvoir, mais
vous vous préparez, en réalité, à les en éloigner. L'intervention du ministre
de l'intérieur en Corse en est la preuve. Cela est dit très ouvertement en ce
qui concerne les rémunérations des surveillants et des aides éducateurs, que
vous voulez faire assumer par les régions et les départements.
M. Lambert a dit que 25 % de fonctionnaires étaient en trop.
(M. le garde des sceaux s'étonne.)
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
C'est n'importe quoi !
Mme Hélène Luc.
Oui, vous pouvez le dire comme moi, monsieur le garde des sceaux ! Ne faites
pas l'étonné, vous l'avez lu ! Je tiens à votre disposition une liste des
citations de tous les membres du Gouvernement à propos des fonctionnaires !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Les Français sont loin d'imaginer aujourd'hui les dispositions que le
Gouvernement veut faire adopter par le Parlement. Notre groupe va s'adresser
aux Français et, comme nous l'avons fait pour le traité de Maastricht, nous
allons publier le projet de loi tel qu'il nous est proposé. D'ici à son examen
par l'Assemblée nationale, nous rencontrerons les Français pour discuter avec
eux, et, vous le savez, nous pouvons avoir des surprises !
En conclusion, le groupe communiste républicain et citoyen ne prendra pas la
responsabilité de voter cet article 1er et va alerter les Français sur les
dangers qu'il comporte.
M. le président.
La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.
M. Laurent Béteille.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre
délégué, mes chers collègues, l'on est pour la décentralisation ou l'on est
contre. A ce sujet, certains, en particulier Mme Borvo et ses collègues du
groupe communiste républicain et citoyen, nous ont fait un véritable éloge du
centralisme. C'est leur droit, mais ce n'est pas notre position.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il faut écouter ! Il n'a rien compris du tout !
M. Laurent Béteille.
C'est votre droit ! Vous avez fait un éloge de la loi, de l'
imperium
de
la loi...
M. Jean-Pierre Sueur.
Simplification outrancière !
M. Laurent Béteille.
... qui permet de tout égaliser sur le plan national. Ce n'est pas notre
position ! Nous sommes pour la décentralisation, que nous tenons pour un grand
principe, et nous souhaitons qu'il figure en exergue de la Constitution.
M. Michel Charasse.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Laurent Béteille.
Le terme « décentralisation » est aujourd'hui parfaitement défini en termes
constitutionnels. Je vous renvoie aux ouvrages de droit constitutionnel,
notamment au
Dictionnaire de droit constitutionnel
de M. Olivier
Duhamel, que chacun connaît ici, lequel explique que la décentralisation est un
mode d'organisation territoriale. L'adjectif « territorial » concerne bien la
décentralisation !
Mme Nicole Borvo.
Ah !
M. Laurent Béteille.
Si j'en crois l'auteur de cet ouvrage, la décentralisation consiste à
accroître les pouvoirs d'autorités élues qui ne sont compétentes qu'à l'égard
d'une fraction territoriale de la collectivité étatique.
Mme Nicole Borvo.
Relisez le titre XII de la Constitution !
M. Laurent Béteille.
C'est donc parfaitement clair et il est inutile de nous distraire par des
élucubrations parfaitement absurdes sur le Président de la République ou sur le
Gouvernement, qui font effectivement partie du pouvoir central, car nul ne
songe à supprimer quoi que ce soit ou à éclater en quoi que ce soit le pouvoir
central.
Nous souhaitons renforcer le pouvoir des collectivités territoriales. Tel est
le seul et unique sens de la décentralisation que nous appelons de nos voeux.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le vice-président de la commission, croyant éclairer le débat et,
sans doute, confondre les opposants, vous avez fait une démonstration qui est
tout de même très étonnante.
En effet, vous avez affirmé vouloir « inscrire le principe de décentralisation
dans la Constitution ». A titre personnel - je l'ai dit depuis le début de ce
débat - je n'y suis pas défavorable ; je suis prêt, avec une majorité de
parlementaires, à passer ce nouveau contrat, à franchir cette nouvelle
étape.
Toutefois, je note que la formule du Gouvernement est contestée, et qu'il
s'est trouvé une majorité au sein de votre commission pour la récuser. Puis,
expliquant votre revirement, vous nous dites : « Après tout, que cette
disposition soit inscrite à l'article 1er, à l'article 2 ou à l'article 4, cela
n'a pas d'importance ». Il est confondant que vous puissiez vous exprimer ainsi
à propos de l'article 1er de ce projet de loi constitutionnelle, dont chacun
sait qu'il est l'architecture même de la République.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Non !
M. Gérard Delfau.
Dire qu'une disposition aussi importante peut être placée indifféremment dans
tel ou tel article, c'est avouer qu'il n'y a là qu'une position
circonstancielle, et non une expression de fond, comme si n'avaient pas été
mesurées les conséquences de fond de cet ajout à la Constitution.
(Très bien
! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Pierre Mauroy, pour explication de vote.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur Béteille, vous soutenez que la droite aurait pris le relais en
matière d'innovation et que la gauche ferait la démonstration de son opposition
à tout changement. Vous voulez rire ! Bien qu'ayant de la sympathie pour nombre
de ceux qui sont présents dans l'hémicycle, j'ai bien compris que la gauche
était la locomotive et que vous, vous étiez souvent le serre-freins...
M. Laurent Béteille.
La locomotive a déraillé !
M. Pierre Mauroy.
Tel fut le cas lors de l'examen de nombreuses lois.
En l'espèce, il s'agit d'un texte de nature constitutionnelle. Je ne comprends
ni votre obstination, ni celle des ministres, qui vous conduit à refuser de
faire figurer ultérieurement dans le projet de loi que la France peut avoir une
organisation territoriale décentralisée. C'est pourtant une évidence, et nous
vous proposerons des amendements en ce sens.
Mais, à l'article 1er, vous vous obstinez à indiquer que l'organisation de la
République - qui renvoie à l'Etat, aux territoires, un peu à tout - est
décentralisée. Non ! Je le dis avec d'autant plus de conviction que nous
construisons l'Europe. Nous travaillons avec des pays décentralisés, dont
certains sont frontaliers du nôtre, qui pourraient très bien inscrire cette
disposition à l'article 1er de leur Constitution. Le caractère distinctif de
notre République est justement de former un Etat unitaire...
Mme Nicole Borvo.
Bien sûr !
M. Laurent Béteille.
Cela n'a rien à voir !
M. Pierre Mauroy.
Il faut s'entendre ! Si vous soutenez le contraire, on ne comprend plus rien
du tout. La République est un des fondements de notre cohésion, de notre union.
Pourquoi essayer de remettre ce fait en cause alors que vous pourriez dire les
choses beaucoup plus simplement ? Nous sommes pour la République jusqu'au
bout.
M. Roger Karoutchi.
Nous aussi !
M. Pierre Mauroy.
Nous sommes tous des républicains et nous voulons garder ce caractère. Par
conséquent, la disposition qu'il est proposé d'insérer n'a pas du tout sa place
à l'article 1er de la Constitution.
S'il y avait une rupture, ce serait une rupture de ton, de méthode. Sur un
point aussi essentiel, nous pourrions montrer plus de cohésion, au nom de la
République ! Il est regrettable que nos travaux achoppent sur l'article 1er,
s'agissant d'un sujet aussi important.
Celui qui vous dit cela est un décentralisateur, et il l'a montré. Il est
aussi un républicain attaché à la forme spécifique de notre République. Je ne
souhaite pas entamer l'acte II de la décentralisation par un acte de régression
!
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet.
A ce stade du débat, je n'y vois toujours pas clair. J'y vois même de moins en
moins clair. M. Delfau a raison : il est assez confondant de constater que,
s'agissant d'une disposition aussi essentielle, l'endroit où elle peut figurer
n'a pas d'importance et que l'on peut ainsi, au fil du temps, selon l'évolution
des choses - ou, peut-être, en raison de certaines pressions, je n'ose
l'imaginer - changer le vote émis par la commission, même si nous n'avons pas
approuvé complètement ce vote.
M. Gélard a tort. Nous n'avons pas dit que nous étions favorables au texte
qu'il a présenté au nom de la commission.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Je n'ai pas dit cela !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Ce que j'ai dit, notamment lors de la discussion générale, c'est que la
disposition qu'il proposait avait mieux sa place à l'article 2, mais que,
malgré tout, c'était encore mieux à l'article 72, au titre XII, pour des
raisons qui ont été longuement expliquées et sur lesquelles je ne reviendrai
pas.
De toute façon, c'est vrai, nous n'aurions pas voté cet amendement, mais vous
ne nous donnez pas d'explication sur votre changement de cap.
On nous dit : la France doit bouger. Mais jusqu'où doit-elle aller ?
Doit-elle aller jusqu'à la rupture dont nous parlait tout à l'heure M. le
garde des sceaux, ce qui éclairerait d'ailleurs ses propos ? A ce compte-là,
nous serions tout à fait inquiets !
On nous dit que nous sommes d'accord sur l'unicité, sur le fédéralisme. Mais
prouvez-le ! N'avancez pas des affirmations gratuites ! Répondez à nos
questions !
Ces grands principes de laïcité, d'unicité, entreront-ils en conflit à un
moment ou à un autre avec celui de la décentralisation ? A ce moment-là, qui
tranchera ?
Ces principes sont-ils au même niveau de dignité ? Il s'agit là d'un point
majeur sur lequel vous ne nous apportez aucune explication, pas plus que vous
n'avez donné de réponse aux interrogations de M. Charasse.
M. Béteille, lui aussi, tient des propos inquiétants. Il est faux d'affirmer
que nous sommes des centralisateurs. Je vous rappelle, Gaston Defferre l'a dit
et répété, que la décentralisation est non pas l'abaissement de l'Etat, mais
bien au contraire le renforcement de l'Etat.
Nous ne sommes donc pas du tout des centralisateurs, bien au contraire.
Mais peut-être cela va-t-il devenir votre philosophie : vouloir que l'Etat
soit complètement abaissé
(Protestations sur plusieurs travées du RPR),...
M. Josselin de Rohan.
Qu'est-ce que ça signifie ?
M. Jean-Claude Peyronnet.
... qu'il n'ait plus ni pouvoir ni autorité et qu'il soit épluché comme un
artichaut ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit.
Vous ne nous donnez pas la preuve du contraire, en tout cas, et c'est la
raison pour laquelle notre inquiétude s'accroît et que nous pensons de plus en
plus, devant votre gêne, que nous avions raison de poser la question de cette
évolution vers le fédéralisme qui nous préoccupe
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. Roger Karoutchi.
Mais personne ne veut ça !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Il n'en est pas question !
M. Michel Charasse.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Nous sommes en train de discuter depuis un long moment les uns et les autres,
surtout les uns
(M. Michel Charasse désigne les travées de la majorité
sénatoriale)
- cela me rappelle d'ailleurs l'histoire du gars qui, sur un
marché du Cantal, disait : « J'ai deux boeufs, ils se ressemblent comme deux
gouttes d'eau, surtout l'un ! »
(Sourires)
- au-delà de la nécessité
d'adopter l'article 1er de ce projet de loi constitutionnelle, sur le point de
savoir s'il vaut mieux faire figurer la disposition qu'il introduit à l'article
1er ou à l'article 72 de la Constitution. Or je rappelle, monsieur le
président, que des amendements tendant à insérer cette disposition à l'article
72 de la Constitution ont été déposés.
Par conséquent, ne serait-il pas plus logique d'examiner par priorité le moins
avant d'aller au plus, c'est-à-dire de consulter le Sénat d'abord sur les deux
ou trois amendements relatifs à l'article 72 de la Constitution et, ensuite, si
le Sénat décide clairement de ne pas inscrire la disposition à l'article 72 de
la Constitution, d'en revenir au vote sur l'article 1er ?
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Je m'efforce, en faisant cette proposition, de clarifier les choses.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Cela ne clarifie rien !
M. Michel Charasse.
Je vois Patrick Devedjian qui fait la moue !
(Sourires.)
M. Michel Mercier.
C'est normal de faire la moue face à une telle proposition !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Quand on connaît ses saints, on les honore !
M. Michel Mercier.
C'est la Toussaint !
M. Michel Charasse.
Cette manière de procéder ôterait 99 % de la critique sur le fond de cette
disposition puisque le contexte de l'article 72 de la Constitution n'est pas le
même.
M. Gérard Delfau.
Absolument !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Mais ce n'est pas ce que la commission
propose !
M. Michel Charasse.
Tel est l'objet de ma demande d'examen par priorité des amendements dont je
n'ai malheureusement pas le numéro sous les yeux - je vous prie de m'en
excuser, monsieur le président -, le dérouleur n'allant pas jusque-là.
Je propose donc de procéder aux explications de vote sur l'ensemble de
l'article 1er et des amendements restants en discussion, d'examiner ensuite les
deux ou trois amendements relatifs à l'article 72 de la Constitution et, s'ils
sont repoussés, d'en revenir au vote sur l'article 1er.
Mme Hélène Luc.
Il a raison !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur cette demande de priorité ?
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
La demande de priorité aurait dû être
formulée avant que le Sénat n'aborde l'examen de l'article 1er.
Maintenant que la discussion sur l'article 1er est lancée, il convient de la
mener jusqu'à son terme. En conséquence, la commission émet un avis défavorable
sur cette demande de priorité.
Mme Hélène Luc.
C'est pourtant une pratique qui a été assez souvent utilisée dans notre
assemblée !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur la demande de priorité ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette
demande de priorité.
Le débat que nous avons depuis un certain nombre d'heures sur cet article 1er
est très intéressant et enrichissant. J'ai cru comprendre, personnellement, que
l'opposition socialiste et communiste était au fond assez gênée !
(Protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Le présent projet de loi constitutionnelle, soutenu par la majorité
parlementaire, vise à affirmer très clairement l'option décentralisatrice de
cette nouvelle majorité.
M. Michel Mercier.
Tout à fait !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Comme l'opposition n'est pas très désireuse de
conjuguer ses efforts avec ceux de la nouvelle majorité parlementaire, elle
cherche des échappatoires
(Protestations sur les travées socialistes),
nous accusant de vouloir déstabiliser les fondements de la République alors
qu'il s'agit simplement de compléter l'article 1er de la Constitution. La
clarté de l'article 1er du projet de loi est évidente.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Michel Charasse.
Cette obscure clarté...
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je relisais cet article en vous écoutant, monsieur
Charasse, et je me demandais quelle interprétation en ferait un étudiant ou un
lycéen. Il comprendrait que nous confirmons la tradition unitaire, indivisible
et sociale de notre République et que nous lui ajoutons la notion
d'organisation décentralisée. Tout cela est d'une grande simplicité !
Pourtant, depuis quelques heures, vous tentez de compliquer le débat...
M. Michel Charasse.
Et que fait la commission ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
... pour démontrer que le présent projet représente une
menace pour les fondements de la République.
Mme Hélène Luc.
Il y en a bien une !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le vote qui va intervenir permettra au Sénat de
trancher la question et, comme vous le savez, monsieur Charasse, les
amendements relatifs à l'article 72 de la Constitution n'auront plus d'objet.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. Michel Charasse.
Justement !
Mme Nicole Borvo.
Nous avons donc des raisons d'être inquiets !
M. le président.
Je mets aux voix la demande de priorité formulée par M. Charasse.
(La priorité n'est pas ordonnée.)
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 124 et 167 rectifié.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Majorité absolue des suffrages | 158 |
Pour l'adoption | 107 |
Contre | 208 |
M. Michel Charasse. Vive la République quand même !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Sur ce point, nous sommes d'accord !
Mme Hélène Luc. L'année du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo !
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 1 rectifié.
M. Michel Charasse. J'ai entendu tout à l'heure M. le garde des sceaux nous donner le commencement d'une explication.
Je reste tout de même sur ma faim pour savoir ce que l'on va voter dans l'article 1er. Est-ce la thèse du projet de loi du Président de la République ou est-ce la thèse de la commission des lois ? Je ne fais de procès d'intention ni aux uns ni aux autres, mais ce qu'écrit la commission des lois, ce n'est pas ce qu'écrit et semble dire le Gouvernement !
Mers chers collègues, comme cette disposition donnera lieu à de nombreuses interprétations de la part du Conseil constitutionnel, il faut tout de même qu'il dispose d'un minimum de travaux préparatoires sur lesquels il puisse fonder son raisonnement. Dès lors, je pose à nouveau la question : s'agit-il, comme l'affirme le Gouvernement, de renforcer l'indivisibilité et l'égalité, ou bien s'agit-il, comme le dit la commission des lois, d'assouplir l'indivisibilité et l'égalité ?
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Les deux !
M. Michel Charasse. Non, il ne s'agit pas des deux !
Porter atteinte au principe d'égalité, c'est, d'une certaine manière, emboîter le pas à certains extrémistes. Nous n'avons pas voté, les uns et les autres, dans notre immense majorité au sein de cet hémicycle, comme nous avons voté au printemps dernier pour aboutir à cela ! En outre, je pense que ce n'est pas une bonne manière que de laisser un projet de cette nature sous la signature du Président de la République, parce que ce n'est sûrement pas sa conception. (M. le garde des sceaux proteste.)
M. Josselin de Rohan. N'invoquez pas cette personne !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je veux rassurer M. Charasse et dissiper ses états d'âme juridiques. A supposer qu'il y ait une prétendue thèse de la commission des lois, comme cette dernière a retiré son amendement, la prétendue thèse serait sans portée juridique.
M. Michel Charasse. Il ne portait pas sur ce point, monsieur le ministre !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. L'amendement reposait sur cette thèse. Or l'amendement a été retiré. Donc la thèse elle-même, c'est-à-dire l'argumentaire, est retirée en même temps que l'amendement.
M. Michel Charasse. Donc, c'est plutôt la thèse du Gouvernement !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 86 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 1er.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 16:
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Majorité absolue des suffrages | 157 |
Pour l'adoption | 208 |
Contre | 105 |
Articles additionnels après l'article 1er