SEANCE DU 5 NOVEMBRE 2002


PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République.
Dans la suite de la discussion de l'article 4, nous en sommes parvenus à l'amendement n° 11, présenté par M. Garrec, au nom de la commission.
Cet amendement est ainsi libellé :
« Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 72 de la Constitution, remplacer les mots : "le ressort des" par le mot : "les". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 12 est présenté par M. Garrec, au nom de la commission.
L'amendement n° 147 est présenté par MM. Peyronnet, Bel, Charasse et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 72 de la Constitution, supprimer les mots : ", représentant de chacun des membres du Gouvernement,". »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 12.
M. René Garrec, rapporteur. Nous nous étions demandé comment traiter convenablement les préfets, qui représentent le Gouvernement, et comment faire en sorte que la déconcentration aille de pair avec la décentralisation. Nous n'étions pas satisfaits de la formule, et j'aimerais que M. le ministre puisse nous éclairer sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour présenter l'amendement n° 147.
M. Jean-Claude Peyronnet. La rédaction proposée au dernier alinéa de l'article 4 pour l'article 72 de la Constition est un peu particulière et conduit à s'interroger sur le rôle du préfet.
Lors des débats sur la première décentralisation, il avait été souligné que le rôle du préfet n'était en rien minoré par la décentralisation et qu'au contraire il en retirait une autorité plus grande sur les services extérieurs de l'Etat. Gaston Defferre avait même déclaré devant le Sénat qu'il souhaitait que les directeurs départementaux de l'équipement ne puissent plus s'adresser directement à Paris. Les espoirs qu'il exprimait là ne se sont pas concrétisés !
Le dernier alinéa de l'article 4 confère au préfet des pouvoirs tout à fait exceptionnels puisqu'il aurait autorité jusque sur les représentants de la justice. Même si, j'en suis convaincu, cela ne correspond pas aux souhaits du Gouvernement, nous avons là une preuve supplémentaire que la rédaction du texte a été un peu hâtive, ce qui justifie le dépôt de l'amendement n° 147.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements. Il s'agit non pas de donner au préfet autorité sur l'ensemble des services, notamment sur les chefs de cour ou sur les recteurs de l'éducation nationale, mais d'affirmer, à l'heure où commence une nouvelle étape de la décentralisation, qu'il est le représentant unique des membres du Gouvernement, étant précisé que les textes donnant compétence au chef de service de telle ou telle administration restent applicables.
L'inscription de ce principe dans la Constitution est importante d'un point de vue symbolique, et notre souhait commun que, parallèlement aux progrès de la décentralisation, on assiste à un renforcement de la déconcentration au cours des prochaines années lui donne tout son sens.
Telles sont les raisons pour lesquelles je demande à M. le rapporteur de bien vouloir retirer son amendement.
Le ministre de la justice que je suis peut vous affirmer que la rédaction retenue par le Gouvernement ne signifie nullement que le préfet aurait autorité sur le procureur de la République, pour prendre un exemple à la limite de la caricature.
M. le président. L'amendement n° 12 est-il maintenu, monsieur le rapporteur ?
M. René Garrec, rapporteur. Nous nous demandions comment donner une place éminente au préfet, et nous n'étions pas certains que le projet de loi y parvienne. Dans la mesure où M. le ministre me confirme que la rédaction de l'article 4 permet d'atteindre cet objectif, je retire l'amendement n° 12.
M. le président. L'amendement n° 12 est retiré.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 147 est-il maintenu, monsieur Peyronnet ?
M. Jean-Claude Peyronnet. Il l'est !
M. le président. La parole est à M. Lucien Lanier, contre l'amendement n° 147.
M. Lucien Lanier. Je ne suis pas systématiquement opposé aux amendements déposés par nos collègues, et je l'ai prouvé au cours du débat.
Cependant, dans sa sagesse, le Gouvernement a précisé à l'article 4 du présent projet de loi que le préfet était le « représentant de chacun des membres du Gouvernement ». Je ne plaide pas du tout dans un esprit corporatiste - il y a bien longtemps que je ne suis plus préfet ! -, mais je parle d'expérience : l'histoire des précédentes Constitutions montre que, invariablement, les chefs de services départementaux ou régionaux souhaitent avoir avec leur ministre des relations directes, en passant outre le représentant du Gouvernement. Chaque fois, le Premier ministre, voire le Président de la République, était obligé de rappeler que le représentant de l'Etat représentait l'Etat tout entier, c'est-à-dire non seulement le Président de la République et le Premier ministre, mais le Gouvernement dans son ensemble.
Si nous n'apportons pas cette précision, il se trouvera de nouveau des chefs de services départementaux ou régionaux - et la tendance est bien naturelle : je ne la condamne pas, je la trouve simplement mauvaise en la circonstance - pour chercher à entrer directement en contact avec leur ministre ; et les ministres, d'ailleurs, se montrent quelquefois complaisants.
Dès lors, la question est de savoir si, comme on l'a trop souvent dit, la décentralisation doit être accompagnée d'une déconcentration et si celle-ci ne peut se faire que par l'intermédiaire du représentant de l'Etat, seul capable de coordonner les actions des uns et des autres. Si nous n'agissons pas dans ce sens, nous nous heurterons de nouveau à ces chefs de services qui essaieront non pas de « doubler » le préfet, mais, en pratique, de l'ignorer. Or, comme le représentant de l'Etat est le préfet, celui-ci deviendra tôt ou tard le représentant du seul ministre de l'intérieur, ce qui ne sera pas bénéfique pour la déconcentration.
C'est la raison pour laquelle il faut être logique avec soi-même : on ne peut pas à la fois plaider la décentralisation et la déconcentration et ne pas suivre le Gouvernement dans sa sagesse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous maintenons l'amendement n° 147, parce que, à partir du moment où il y a un représentant de l'Etat dans un département ou dans une région, il représente la totalité de l'Etat : l'Etat est indivisible par définition, sinon, ce n'est pas l'Etat. Dès lors que l'on parle du représentant de l'Etat, il ne peut pas représenter une moitié ou un quart de l'Etat. Cette précision nous paraît donc superfétatoire et redondante.
Ce qui est important, monsieur Lanier, c'est la mise en oeuvre de ce que vous dites. Il est certain que, pour que la République fonctionne, les préfets doivent représenter l'ensemble des ministres. Cependant, nous avons eu la bonne idée de créer les agences régionales pour l'hospitalisation, les ARH, dont les directeurs ont des prérogatives précises ; néanmoins, le préfet représente le ministre de la santé et le ministre des affaires sociales. Il y a des recteurs, mais le préfet représente le ministre de l'éducation nationale. Il y a des trésoriers-payeurs généraux, mais le préfet représente le ministre des finances. La justice est indépendante, mais le préfet représente le garde des sceaux, etc.
Il s'agit donc non pas tant de préciser ce qui va de soi que de traduire dans la pratique le fait que le préfet est bien le représentant de l'ensemble des ministres, conformément d'ailleurs à l'esprit des lois Defferre et de la loi de 1992, qui, toutes, prévoyaient la déconcentration.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 147.

(L'amendement n'est pas adopté).
M. le président. L'amendement n° 188, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Compléter le texte proposé par cet article pour l'article 72 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé :
« L'Etat est garant de la cohésion nationale et de l'égalité devant la loi. »
La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Nous ne rappellerons jamais assez le rôle de l'Etat comme garant de la cohésion nationale et de l'égalité devant la loi.
L'exposé des motifs du projet de loi souligne que c'est à l'Etat, et d'abord au Parlement, qu'il appartient de définir les grands principes. L'Etat assumera d'autant mieux ce rôle qu'il se recentrera sur ses missions principales. Or, à nos yeux, l'éducation, la culture, la santé, l'emploi, les activités économiques, l'environnement, la lutte contre les exclusions, font partie des missions principales de l'Etat, de celles dont il ne saurait se défaire sauf à décider sciemment de mettre en cause l'essentiel : l'égalité des citoyens.
Pourtant, c'est bien ce que, tant par sa philosophie que par la plupart de ses dispositions, le projet de loi organise : un véritable éclatement de l'unité nationale. Cela nous inquiète beaucoup, et inquiète un nombre toujours croissant de nos concitoyens. Car la première responsabilité de la nation est de garantir l'égalité des citoyens dans tous les domaines de l'action publique et d'assurer la cohésion nationale, afin d'éviter ce que nous avons eu l'occasion de nommer un « retour à des féodalités ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Cette précision, madame, est inutile, puisque l'article 1er de la Constitution affirme déjà le principe d'égalité des citoyens devant la loi et que le texte que propose le projet de loi constitutionnelle pour l'article 72-2 de la Constitution pose celui de la péréquation.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 188.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
Mme Hélène Luc. Le groupe CRC vote contre.

(L'article 4 est adopté.)

Article additionnel après l'article 4