SEANCE DU 15 NOVEMBRE 2002
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures cinq, sous
la présidence de M. Serge Vinçon.)
présidence de m. serge vinçon
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi
pour la sécurité intérieure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, je voudrais me plaindre de ce que le règlement ne
permet pas actuellement.
Lorsqu'un amendement est déposé, son auteur le présente, puis la commission et
le Gouvernement donnent leur avis. Un débat s'instaure donc. Si l'amendement
est ensuite retiré, personne ne peut s'exprimer contre l'amendement.
Ainsi, ce matin même, notre ami Michel Charasse a exposé un amendement visant
à ce que la loi Besson soit appliquée dans chacun des arrondissements de
Paris.
M. Michel Charasse.
Dans dix arrondissements sur vingt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Or le plus petit département de France n'est pas le Territoire-de-Belfort,
comme beaucoup le croient : c'est Paris. J'aurais donc aimé que l'on nous
explique où dans Paris pourraient être aménagés des emplacements pour
accueillir les gens que vous appelez « du voyage ». Est-ce dans les jardins du
Luxembourg pour le sixième arrondissement ?
M. Jean-Claude Carle.
Rue Guynemer !
M. Michel Charasse.
On ne se pose pas la question !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il faut dire les choses comme elles sont !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Il faut les dire à M. Charasse ! C'est un débat interne !
M. Marcel Debarge.
Vous aussi, vous avez des débats internes !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais c'est à lui que je m'adresse, monsieur le ministre, bien entendu ! Après
l'avoir entendu nous expliquer qu'il avait ménagé l'ancien maire de Paris, nous
comprenons mal qu'il ne ménage pas l'actuel maire de Paris !
En tout cas, je suis sûr que, sur ce point, tous les Français, et pas
seulement les Parisiens, sont d'accord. Les pauvres ne manquent pas, que je
sache, à Paris ! Nous condamnons totalement cet amendement, qui est tout à fait
incompréhensible.
Nous aurions aimé pouvoir le dire ce matin ; à défaut, je vous remercie,
monsieur le président, de m'avoir donné la possibilité de le faire.
M. Michel Charasse.
Mais moi, je ne peux pas répondre !
M. le président.
Je rappelle au Sénat que l'article 49, alinéa 6
bis
, du règlement
prévoit qu'« un amendement retiré par son auteur, après que sa discussion a
commencé, peut-être immédiatement repris par un sénateur qui n'en était pas
signataire. La discussion se poursuit à partir du point où elle était parvenue
».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'avais bien pensé le reprendre, mais cela aurait été mal compris.
M. le président.
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 70, présenté par M. Carle et les membres du groupe des
Républicains et Indépendants, est ainsi libellé :
« Après l'article 19, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le II de l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à
l'accueil et à l'habitat des gens du voyage est ainsi rédigé :
« II. - En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I,
y compris sur le domaine public, le maire peut, par voie de requête, saisir le
président du tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner
l'évacuation forcée des résidences mobiles.
« Le juge peut, en outre, prescrire aux occupants, le cas échéant sous
astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée en application de la
présente loi à défaut de quitter le territoire communal et ordonner l'expulsion
de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction.
« Le juge statue en la forme des requêtes. Sa décision est exécutoire à titre
provisoire. En cas d'urgence, il est fait application des dispositions du
troisième alinéa de l'article 494 du nouveau code de procédure civile. »
L'amendement n° 113 rectifié, présenté par MM. Vasselle, Gournac et François,
est ainsi libellé :
« Après l'article 19, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le premier alinéa du II de l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5
juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage est ainsi
rédigé :
« En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I, y
compris sur le domaine public, le maire peut, par voie de requête, saisir le
président du tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner
l'évacuation forcée des résidences mobiles.
« II. - Le dernier alinéa du II du même article est ainsi rédigé :
« Le juge statue en la forme des requêtes. Sa décision est exécutoire à titre
provisoire et au seul vu de la minute. En cas d'urgence, il fait application
des dispositions du dernier alinéa de l'article 494 du nouveau code de
procédure civile. »
L'amendement n° 112, présenté par M. Peyrat, est ainsi libellé :
« Après l'article 19, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa du II de l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet
2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage est ainsi rédigé
:
« En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I, y
compris sur le domaine public, le maire peut, par déclaration écrite ou verbale
enregistrée au secrétariat-greffe de la juridiction, saisir le président du
tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l'évacuation forcée des
résidences mobiles. Les parties seront dispensées du ministère d'avocat. »
L'amendement n° 71 rectifié, présenté par M. Carle et les membres du groupe
des Républicains et Indépendants, est ainsi libellé :
« Après l'article 19, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le II de l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à
l'accueil et à l'habitat des gens du voyage est complété par un alinéa ainsi
rédigé :
« Le juge saisi par voie de requête peut étendre les effets de l'ordonnance
rendue en la forme des référés à l'ensemble des occupants du terrain non visés
par l'ordonnance initiale lorsque le requérant démontre l'impossibilité absolue
de les identifier. »
La parole est à M. Jean-Claude Carle, pour présenter l'amendement n° 70.
M. Jean-Claude Carle.
Cet amendement est retiré au profit de l'amendement n° 71 rectifié, que je
défendrai dans quelques instants, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 70 est retiré.
L'amendement n° 113 rectifié n'est pas soutenu.
L'amendement n° 112 n'est pas soutenu.
La parole est à M. Jean-Claude Carle, pour présenter l'amendement n° 71
rectifié.
M. Jean-Claude Carle.
Cet amendement vise à rendre plus efficace et plus rapide la procédure
d'expulsion en cas d'occupation illégale des terrains publics ou privés.
En effet, la procédure actuelle est très difficile, coûteuse, et très longue à
mettre en oeuvre : il faut assigner l'ensemble des personnes occupant le
terrain et contrôler leur identité. C'est irréaliste, notre collègue Michel
Charasse le soulignait ce matin.
Mon amendement vise donc à prévoir de façon plus explicite que l'ordonnance de
référé prise à l'encontre de certaines personnes vaudra pour l'ensemble des
personnes présentes occupant illégalement le terrain. Cette mesure, monsieur le
ministre, fait partie de celles qu'attendent les élus.
M. Michel Charasse.
Excellent amendement !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Il s'agit effectivement, par cet amendement, de permettre
l'évacuation d'un terrain même lorsqu'on ne dispose que de l'identité de
certaines personnes présentes. Ce système est celui que la jurisprudence fait
prévaloir en matière d'occupation d'usines, notamment : dès lors que l'identité
des délégués du personnel est connue, la décision d'expulsion à leur encontre
vaut aussi pour tous les autres occupants.
L'idée de notre collègue M. Carle me paraît tout à fait judicieuse : sans
renoncer à la procédure contradictoire du référé, elle pourrait permettre de
gagner en efficacité en utilisant une des caractéristiques des ordonnances sur
requête.
La commission, qui est
a priori
intéressée par cette idée, souhaite
connaître la position du Gouvernement afin de s'assurer qu'aucune difficulté ne
lui a échappé, d'autant qu'elle n'a pu se prononcer sur la rectification de
l'amendement.
A titre personnel, j'émets un avis favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Il est vrai qu'il est difficile de connaître l'identité de tous
les occupants d'un terrain et que l'ordonnance de référé n'a d'effet qu'à
l'égard des seules parties assignées, ce qui, concrètement, réduit
considérablement la portée de la mesure d'expulsion.
Votre amendement, monsieur le sénateur, vise à étendre les effets de cette
ordonnance, sur décision du juge statuant sur requête. Le juge pourra en effet
constater à cette occasion l'impossibilité d'identifier tous les occupants.
Cette ordonnance sur requête pourra être sollicitée par le maire, en même
temps que sont assignées les parties en référé.
Le Gouvernement est donc favorable à cet excellent amendement.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
L'avis du Gouvernement confirme l'appréciation que j'ai
portée, à titre personnel, sur cet amendement n° 71 rectifié que la commission,
je le rappelle, n'a pas étudié dans sa dernière version.
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, contre l'amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'ai eu l'impression que M. le ministre s'exprimait sur l'amendement n° 70 -
qui a été retiré sans avoir été exposé - et non sur le n° 71 rectifié.
(M.
le ministre fait un signe de dénégation.)
En effet, l'amendement n° 71 rectifié mentionne l'ordonnance de référé, alors
que l'amendement n° 70 évoquait la requête.
Ce dernier, il est vrai, présentait un très grave inconvénient : la procédure
qu'il instaurait n'était pas contradictoire, ce qui est évidemment inadmissible
en la matière.
J'en viens à l'ordonnance de référé pour m'étonner de la position de M. le
ministre. Certes, il ne s'exprimait pas sur l'amendement n° 71 rectifié, car
jamais il n'aurait accepté que l'on écrive : « La décision du juge est
exécutoire à titre provisoire », alors que toutes les ordonnances de référé
sont par nature exécutoires à titre provisoire. Il serait tout de même
regrettable de faire figurer une telle incongruité juridique dans la loi !
En vérité, j'aurais aimé que l'on nous cite la jurisprudence, car j'ai déjà vu
des décisions qui s'appliquaient à l'ensemble des occupants d'un terrain.
Peut-être pourriez-vous penser à demander aux gens du voyage d'élire des
représentants, de manière que vous puissiez appliquer le dispositif existant en
matière d'évacuation d'usines ?
La vérité vraie, et vous le savez, est qu'il y a déjà eu des ordonnances de
référé - dans certains cas, on est même parvenu à obtenir que les occupants
s'en aillent spontanément -, mais que l'on n'a jamais vu de préfet recevoir
instruction de donner la force publique pour exécuter les ordonnances de référé
!
M. Michel Charasse.
C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Est-ce qu'aujourd'hui même, monsieur le ministre, aucune ordonnance de référé
n'est rendue en France ? Montrez-nous donc que vous n'êtes pas comme vos
prédécesseurs - comme tous vos prédécesseurs, quels qu'ils aient été -...
M. Michel Charasse.
Absolument !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et faites donner la force publique pour l'exécution d'une ordonnance de
référé ! Ainsi, nous saurons qu'effectivement vous êtes arrivé et que les
choses ont changé. Jusqu'à présent, on ne l'a pas constaté !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Vous ne l'avez pas constaté, mais ne généralisez pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je n'ai pas été ministre de l'intérieur ! Je pensais à M. Pasqua, par exemple,
que vous connaissez bien et qui a été, longtemps et à plusieurs reprises,
ministre de l'intérieur, ainsi qu'à bien d'autres, que je ne citerai pas tous.
Mais nous en avons connu beaucoup qui venaient de la « majorité présidentielle
», comme vous l'appelez, en excluant, évidemment, une bonne part de ceux qui se
sont résignés à voter pour l'actuel Président de la République. Mais ce n'est
pas notre propos !
(Non ! sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Notre propos est, en effet de nous prononcer contre cet
amendement, qui n'ajouterait strictement rien, étant entendu, je le répète,
qu'une ordonnance de référé est exécutoire à titre provisoire. Si jamais
ressurgissait l'amendement n° 70, qui a été retiré sans que personne ne le
reprenne, nous nous exprimerions de nouveau à son sujet.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, avec l'amendement n° 71 rectifié, M. Carle et ses amis
abordent un vrai problème, qui est d'ailleurs tout à fait complémentaire de
celui que signalait M. Michel Dreyfus-Schmidt voilà un instant.
Souvent, en effet, nous obtenons des ordonnances de référé que nous n'arrivons
pas à faire appliquer : c'est un fait que nous constatons depuis longtemps et
sous tous les gouvernements.
La seule solution, c'est celle que M. Carle propose, mais j'ai peur qu'elle ne
soit tout de même un peu difficile à appliquer, et je vais lui dire amicalement
pourquoi.
D'abord, il faut savoir que, dans ce cas-là, les identités sont relevées par
les gendarmes ou la police. Par conséquent, si le requérant est un particulier,
il n'a pas le droit de relever les identités ; si c'est un maire, il pourrait
le faire puisqu'il est officier de police judiciaire, mais, étant seul, il n'a
pas les moyens pratiques d'y procéder. Ce sont donc les gendarmes qui s'en
chargent.
M. Jacques Mahéas.
Ou la police !
M. Michel Charasse.
Ou la police en zone urbaine, c'est vrai, monsieur Mahéas !
Or, que se passe-t-il ? Actuellement, le juge exige - et on ne peut pas lui en
faire le reproche, car c'est normal - d'avoir l'identité de toutes les
personnes à qui la mesure doit s'appliquer.
MM. Jacques Mahéas et Michel Dreyfus-Schmidt.
Non ! Non !
M. Michel Charasse.
Si ! C'est en tout cas vrai dans mon département : excusez-moi, mais je parle
de ce que je connais ! Dans mon département donc, le juge des référés demande
la liste complète.
Ainsi, imaginez que trois ou quatre personnes plantent une caravane en
stationnement irrégulier durant deux ou trois jours et aillent se cacher
quelque part.
Tant qu'il n'a pas la liste complète, le juge dit ou peut dire - en tout cas,
cela est arrivé chez moi ! -...
M. Jacques Mahéas.
Il peut le dire !
M. Michel Charasse.
... qu'il n'expulse pas ! Et le temps passe, le temps passe...
Cher collègue Carle, mieux vaudrait donc, à mon avis, modifier la rédaction et
remplacer le membre de phrase : « lorsque le requérant démontre l'impossibilité
absolue de les identifier » - j'attire d'ailleurs votre attention sur le mot «
absolue », qui pourrait amener le juge, si dix personnes s'étaient absentées
pour deux ou trois jours, à déclarer qu'il faut attendre leur arrivée, ce qui
leur ferait gagner encore trois ou quatre jours - par la phrase suivante : «
lorsque le requérant déclare qu'il est impossible de les identifier tous ». En
effet « démontre » et « déclare » ne signifient pas la même chose, et le mot «
absolue » est une porte largement ouverte pour la fuite en avant, car on pourra
toujours considérer que l'impossibilité n'est pas absolue, c'est-à-dire patente
et définitive.
Je ne veux pas en faire un « potage » à ce stade du débat. Je crois néanmoins,
monsieur le rapporteur, qu'il ne sera pas inutile d'examiner ce point en
commission mixte paritaire pour éviter de se trouver dans une situation telle
que la bonne idée serait inapplicable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 71 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 19.
Article 20