SEANCE DU 25 NOVEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° I-64 rectifié, présenté par MM. Charasse, Angels, Auban, Miquel, Demerliat, Haut, Lise, Marc, Massion, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
« Avant l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le produit brut des frais facturés par les banques à leurs clients lorsque ceux-ci effectuent des retraits d'espèces sur leur compte, ou dans les distributeurs automatiques, est reversé à l'Etat dans des conditions prévues par décret. »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit d'un amendement que l'on pourrait considérer comme un amendement d'appel, puisqu'il a pour objet d'appeler l'attention des pouvoirs publics, notamment celle du Gouvernement, sur une pratique bancaire que je trouve, personnellement, très inquiétante : la facturation des retraits en espèces.
Autant on peut admettre que les banques peuvent facturer leurs prestations dès lors que celles-ci ont un caractère facultatif, autant le retrait en espèces est le minimum de service obligatoire à partir du moment où il y a une obligation généralisée de paiement par chèque, même pour les petites sommes comme les allocations familiales, les prestations familiales, les petits salaires, les petites retraites, etc.
A mon avis, par cette facturation, on touche à l'application stricte du droit de propriété. En effet, le droit de propriété, qui est un droit constitutionnel, permet à chaque citoyen de disposer librement de son argent à tout moment. Par conséquent, prévoir une taxe sur le retrait de cet argent, même si celui-ci a lieu non pas au guichet de la banque dont l'intéressé est client mais au guichet d'une autre banque, constitue une atteinte grave au droit de propriété et donc à un droit constitutionnel.
L'amendement n° I-64 rectifié est élémentaire : il prévoit simplement que les sommes facturées au client seront reversées directement au Trésor public pour dissuader un peu les banques de procéder ainsi.
Je ne sais pas si Alain Lambert est en état de donner des précisions à ce sujet aujourd'hui, car c'est un sujet qui relève plutôt de la direction du Trésor (M. le ministre fait un signe d'assentiment) , il n'empêche que je souhaite vraiment que l'on réfléchisse à ce sujet.
On peut très bien facturer certains services bancaires tels que les prêts, les avances, l'envoi de renseignements ou toute autre chose, mais facturer le retrait en espèces est une atteinte insupportable au droit de propriété. Cher Alain Lambert, si d'aventure un client en vient un jour à faire un recours, il a de fortes chances de le gagner car le droit de propriété dans ce domaine jouera pleinement devant le tribunal.
Je souhaitais attirer l'attention sur ce point et j'entendrai avec intérêt ce que nous diront M. le rapporteur général et, éventuellement, M. le ministre du budget.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'intervention de Michel Charasse soulève à juste titre un grand nombre de problèmes, en particulier un point de droit concernant les conditions d'accès des personnes à leurs propres avoirs.
J'imagine que le système bancaire lui rétorquerait que les frais facturés rémunèrent un service : la mise à disposition d'un matériel censé fonctionner dans telle ou telle condition. Sur cet aspect des choses, nous serons naturellement très attentifs à l'avis du Gouvernement.
Je crois, mes chers collègues, que la question posée s'inscrit dans un cadre plus vaste qui est celui de l'adaptation des pratiques bancaires au grand marché européen.
On ne peut à la fois voir s'opérer les restructurations bancaires en Europe et considérer que rien ne doit changer dans nos pratiques, ni en ce qui concerne la rémunération des comptes courants des déposants ni en ce qui concerne la rémunération des banques à raison des services qu'elles offrent, parmi lesquels figurent naturellement la tenue des comptes de chèques. C'est donc bien le débat sur la mise en cause du principe « ni-ni » - ni rémunération des comptes courants ni facturation des chèques - qui émerge de l'amendement de nos collègues.
L'ancien président de la commission des finances qu'est M. le ministre connaît fort bien ces sujets pour avoir dirigé notamment, il y a quelques années, un groupe de travail dont le rapport, très remarqué, s'intitulait : Banques : votre santé nous intéresse. Ce rapport décrivait les conditions d'évolution de la compétition et débouchait sur des propositions de nature structurelle quant à la nécessité de secouer les conservatismes ambiants dans l'intérêt même des professions, dans l'intérêt des différentes grandes maisons de banque dont nous disposons à Paris et dans l'intérêt des personnels concernés.
Monsieur le ministre, c'est en évoquant cette toile de fond que je m'adresse à vous pour solliciter votre avis. Pour ce qui la concerne, la commission, compte tenu des analyses dont je viens de vous faire part, ne peut qu'émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. M. le rapporteur général a retourné le couteau dans la plaie en évoquant ce rapport. Je me souviens parfaitement des positions très claires, d'ailleurs confirmées par la commission des finances, qui avaient été prises alors.
Il serait aujourd'hui indécent de ma part de m'en désolidariser, d'autant que mes convictions n'ont pas changé. Mais je voudrais tenter de rassurer Michel Charasse, qui a le sens pratique - c'est peut-être celui d'entre nous qui en est le plus doté - en disant : de deux choses l'une, soit les clients de la banque ont les moyens, auquel cas, s'ils ne sont pas satisfaits du coût des prestations qui leur sont offertes, ils changent d'établissement, soit les clients n'ont pas les moyens et, dans cette hypothèse, le Gouvernement veut faire en sorte que les catégories les plus fragiles puissent disposer d'un accès gratuit minimal, par carte de retrait, à leurs avoirs détenus en compte, notamment par le biais du service bancaire de base.
Je puis vous indiquer, mon cher collègue, que le comité de la médiation bancaire présidé par le gouverneur de la Banque de France, qui est chargé de suivre les relations entre les banques et leur clientèle, devrait se réunir pour examiner la question que vous avez posée.
C'est ce qui me conduit à vous demander de bien vouloir retirer votre amendement, que vous avez vous-même qualifié d'amendement d'appel puisque, si j'ai bien compris, vous entendez attirer l'attention du Gouvernement sur la situation des populations les plus démunies.
M. le président. Monsieur Charasse, répondez-vous à l'invitation de M. le ministre ?
M. Michel Charasse. Il y a les services bancaires et il y a le retrait d'espèces ; ce sont deux choses différentes. Le retrait d'espèces, c'est véritablement l'accès direct à son patrimoine. Même si j'ai bien entendu ce qu'a dit M. le ministre concernant les personnes en situation difficile, comme celles qui n'ont pour ressources que les allocations familiales, il n'empêche que l'accès aux espèces, c'est l'exercice plein du droit de propriété. On peut taxer tout le reste. D'ailleurs, mes amis ont des positions très nuancées sur ce sujet : on peut en discuter en considérant qu'on peut taxer tel service et qu'on ne peut pas taxer tel autre. Mais là, c'est un autre problème.
L'amendement que nous avons déposé avec mes amis avait surtout pour objet, au-delà de cette enceinte, d'attirer l'attention sur le fait qu'un certain nombre d'entre nous - en dehors même des rangs du groupe socialiste - ne se laisseront pas faire sur ce sujet particulier du retrait d'espèces, parce qu'il y va, en l'occurrence, de l'application du droit de propriété.
Cela étant, nous retirons cet amendement en attendant de voir venir !
M. le président. L'amendement n° I-64 rectifié est retiré.

Article 6