SEANCE DU 28 NOVEMBRE 2002
M. le président.
Nous poursuivons l'examen du projet de loi de finances concernant la jeunesse,
l'éducation nationale et la recherche : I. - Jeunesse et enseignement
scolaire.
La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac.
Monsieur le ministre, permettez-moi tout d'abord de vous féliciter de nous
avoir présenté une politique scolaire consciente des priorités de l'école, une
politique qui exclut toute action à coups de réformes perpétuelles. En effet,
notre système éducatif s'est trop longtemps laissé engluer dans de perpétuelles
réformes en tous genres, réformes plus novatrices les unes que les autres, mais
qui, malheureusement, se sont bien souvent avérées aussi déstabilisantes
qu'infructueuses.
Je me suis particulièrement réjoui de constater que la lutte contre les
multiples formes d'exclusions, qui frappent tant les écoliers que les
étudiants, est l'une de vos grandes priorités. En cela, on revient à l'une des
principales fonctions de notre système scolaire : son objet est non pas - vous
l'avez d'ailleurs régulièrement expliqué, monsieur le ministre - d'innover en
inventant sans cesse de nouvelles méthodes, mais au contraire de permettre
simplement aux élèves d'acquérir les savoirs de base.
Ainsi, aucun enfant ne doit rester sur le bord du chemin. Or force est de
constater que c'est bien trop souvent le cas : certains n'intègrent jamais le
système scolaire, d'autres le quittent précocement, avant d'avoir eu le temps
d'acquérir les savoirs fondamentaux et indispensables à leur avenir.
C'est pourquoi, je le répète, l'école doit être ouverte à tous et permettre à
nombre d'enfants de s'extraire des diverses difficultés sociales, économiques
ou physiques auxquelles ils sont trop souvent confrontés.
Je rappellerai brièvement les nombreuses mesures simples que vous comptez
développer contre divers facteurs d'exclusion : la lutte contre l'illettrisme,
avec plus d'heures consacrées chaque jour à la lecture et à l'écriture ; la
lutte contre la violence scolaire ; une pré-scolarisation réservée de
préférence aux enfants vivant dans un environnement social dangereux - les
zones d'éducation prioritaires et autres quartiers - le développement des
dispositifs relais pour un meilleur encadrement des élèves.
Mais j'aimerais aborder à présent un problème crucial, celui de l'intégration
des enfants handicapés en milieu scolaire. Nous avons le devoir, en effet, de
permettre aux jeunes handicapés de se construire un avenir, notamment un avenir
professionnel. Régler les problèmes, c'est les prendre à la source et ne pas
attendre qu'il soit trop tard.
Aussi, l'une des très bonnes initiatives qui figurent dans le projet de loi de
finances tend à faciliter l'accès des handicapés « à une scolarité en milieu
scolaire normal », donc relancer l'initiative baptisée « Handiscol », mise en
place par le gouvernement socialiste en avril 1999 en faveur des écoliers, des
collégiens et des lycéens handicapés. Le projet de loi de finances prévoit
ainsi d'en augmenter les crédits de 7,1 %. Là encore, vous nous prouvez que le
changement pour le changement n'est guère une solution et qu'il faut savoir
conserver les méthodes qui ont fait leurs preuves.
Par cette continuation de l'opération Handiscol vous avez répondu à l'un des
engagements phares pris par le Président de la République lors de la campagne
pour l'élection présidentielle. Ainsi, Jacques Chirac avait déclaré à Bordeaux,
le 3 avril dernier : « La nation doit reconnaître le droit à la compensation du
handicap. Il faut définir pour chaque personne handicapée un projet de vie, et
d'abord, pour chaque enfant handicapé, un parcours de scolarité. » Le Président
de la République concluait sa déclaration en ces termes : « Trop d'enfants
handicapés demeurent en effet exclus de l'enseignement. »
Vous avez également répondu, monsieur le ministre, au désarroi de nombreux
parents qui rencontrent fréquemment de grandes difficultés pour trouver un
établissement acceptant leur enfant, au désarroi de nombreux enseignants qui se
sentent souvent impuissants face au manque d'aides, de moyens et de supports
appropriés pour aider les enfants handicapés.
Faciliter l'accès des handicapés « à une scolarité en milieu scolaire normal »
me semble primordial. Il ne faut pas, en effet, que les enfants handicapés qui
peuvent intégrer des filières classiques se voient orientés trop
systématiquement vers des écoles, des structures spécialisées. Ils doivent
pouvoir suivre les cours avec les autres élèves.
Nous nous félicitons également de constater, monsieur le ministre, que vous
n'avez pas oublié le sort des étudiants handicapés pour lesquels le projet de
loi que vous venez de nous présenter institue une revalorisation des
remboursements des frais de déplacement.
J'en viens à ma question sur le budget, monsieur le ministre. Vous avez prévu
de dégager 8,64 millions d'euros en faveur des élèves handicapés. Comment
seront-ils précisément répartis ?
La formation, notamment dans les IUFM, doit en effet être adaptée et préparer
les futurs enseignants à aider au mieux les élèves handicapés. Je souhaite
souligner, par ailleurs, que les crédits alloués à la création des postes de
personnels médico-sociaux - 262 sont prévus - sont dans cette perspective, très
encourageants. J'aimerais connaître la manière dont ces postes seront répartis
dans les établissements.
Enfin, à combien s'élèveront les moyens destinés à l'achat du matériel et du
mobilier nécessaires aux élèves handicapés et ceux qui sont alloués à
l'élaboration de programmes scolaires, de logiciels adaptés à leur handicap
pour leur permettre un apprentissage rapide ?
En conclusion, il s'agit d'un projet de loi objectif dans lequel des crédits
sont affectés à des changements prioritaires et qui témoigne de la volonté de
faire évoluer enfin l'éducation dans le bon sens par une recherche de résultats
concrets et, surtout, le souhait de ne voir aucun enfant exclu du système.
Enfin, monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour
améliorer la condition réservée aux enfants précoces ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
Monsieur le sénateur, je tiens tout d'abord à vous dire que c'est un sujet qui
me touche à titre personnel. J'ai été très choqué, en arrivant à ce ministère,
de voir que le principe fondamental selon lequel tous les enfants, quels qu'ils
soient, avaient droit à une scolarisation n'était pas appliqué dans la
réalité.
J'ai donc décidé de mettre en place un plan qui poursuivra, mais en
l'amplifiant de façon considérable, le plan Handiscol ; je l'annoncerai très
bientôt. Il s'agira d'un plan pluriannuel pour lequel 25 millions d'euros sont
d'ores et déjà prévus.
Cette année, ce plan se verra doté de 10 millions d'euros : 2,8 millions
d'euros pour le premier degré, c'est-à-dire pour les classes d'intégration
scolaire, les CLIS, 4,3 millions d'euros pour le second degré, parce qu'un
effort important doit être accompli sur les unités pédagogiques d'intégration,
les UPI, et 3 millions d'euros pour le transport. Si l'on décompose les
missions considérées, 8 millions d'euros sont affectés au matériel qui équipe
ces CLIS et ces UPI et 3 millions d'euros concerne le transport.
Il faut savoir qu'environ 103 000 enfants handicapés sont scolarisés, à peu
près la moitié à titre individuel et la moitié dans des classes du type CLIS ou
UPI.
Nous devons être plus performants pour ce qui est de l'aide individuelle à
apporter aux enfants handicapés qui sont scolarisables en milieu scolaire
normal. C'est la raison pour laquelle, sans tour de passe-passe à la Majax, de
même que j'ai l'intention qu'il y ait à la rentrée 2003 plus de surveillance
dans les établissements par redéploiement du dispositif des assistants
d'éducation, j'ai l'intention de tripler, voire de quadrupler le nombre des
auxiliaires de vie scolaire, les AVS, qui aident aujourd'hui à la scolarisation
des enfants handicapés scolarisables.
Cela signifie qu'il faudra procéder à des redéploiements. Cela prouve
également que, s'agissant des missions qui sont remplies actuellement par les
emplois-jeunes et par les aides-éducateurs, les répartitions sont quelque peu
surréalistes. Tout à l'heure, on évoquait le cas des aides-éducateurs qui
remplissaient des fonctions d'enseignant de langue dans le premier degré. Je
dis très clairement que c'est inacceptable. En revanche, il faut savoir que,
sur les 60 000 aides-éducateurs, 1 101 seulement sont des AVS. C'est
dramatiquement insuffisant ! Nous disposons donc d'une marge de manoeuvre pour
affecter à cette mission, qui est indispensable, un plus grand nombre
d'aides-éducateurs ou d'assistants d'éducation à la rentrée prochaine.
M. le président.
La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac.
Monsieur le ministre, vous avez dit que ce sujet vous tenait à coeur. Je le
sais, et c'est pourquoi je me suis permis de poser mes questions de cette
manière.
S'agissant du problème du transport, vous m'avez répondu que 3 millions
d'euros y seraient consacrés. Cette mesure est très intéressante.
Pour ce qui est du redéploiement - certes, on peut toujours tout critiquer, et
nous sommes dans un pays où l'on s'adonne volontiers à la critique -,
l'important est d'attribuer les aides là où elles sont nécessaires.
Il serait donc judicieux d'augmenter le nombre des personnels d'encadrement
dans les écoles qui accueillent des handicapés. Dans ma ville, les malvoyants
et les non-voyants sont reçus de la maternelle au collège ; ceux-ci sont très
bien acceptés par les autres élèves, qui sont très solidaires. Il n'en reste
pas moins - la principale du collège ou les directeurs d'école me le disent -
qu'un accompagnement est absolument nécessaire. On ne peut pas accueillir ces
personnes en difficulté comme les autres. Il faut s'en occuper, en particulier
lors des repas et pour toutes sortes d'activités.
Monsieur le ministre, je vous félicite : vous êtes sur la voie de la réussite
en ce qui concerne l'aide à apporter aux handicapés. Vous savez que ce sujet me
touche. J'en suis donc très heureux.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, premier
budget de la nation, le budget de l'enseignement scolaire pour l'année 2003,
n'enregistre qu'une hausse de 2,1 %, soit l'accroissement le plus faible des
crédits alloués pour le devenir de nos enfants depuis plus de dix ans.
Vous affichez, monsieur le ministre, de nombreuses priorités, parmi lesquelles
se trouve la lutte contre l'illettrisme. Cette priorité nécessite un
financement certain. Or aucun crédit spécifique ne figure à ce titre dans votre
budget. Cela démontre bien que la mise en oeuvre de vos priorités est déjà
compromise. L'utilisation plus appropriée des crédits de l'enseignement que
vous mettez en avant afin de justifier la rigueur du budget pour 2003 ne vous
permettra pas de mener à bien les réformes nécessaires à l'éducation
nationale.
La stagnation, dans les faits, de votre budget risque de vous contraindre à
une série d'actions éparses en réponse aux multiples dossiers en attente, ce
qui correspondrait à un vrai saupoudrage.
Les bonnes intentions qui vous animent ainsi que l'approche que vous défendez,
au-delà des effets d'annonce, ne paraissent pas viables au regard des
arbitrages budgétaires qui ont été effectués en votre défaveur, aux dépens de
l'enseignement scolaire.
Au niveau de l'enseignement primaire, dont le traitement n'est pas des plus
favorables, l'enseignement des arts et des langues étrangères semble compromis
par vos coupes budgétaires, monsieur le ministre, malgré les explications que
vous donnez.
La grève administrative des directeurs d'école perdure depuis des mois - même
si, comme vous l'avez dit à juste titre, elle est antérieure à votre nomination
-, et les crédits de 12,2 millions d'euros d'indemnités au titre de sujétions
spéciales ne semblent pas avoir convaincu. Pourtant, il vous faudra bien,
monsieur le ministre, pour régler définitivement la situation des directeurs
d'école, prendre d'autres initiatives.
Au-delà de ce conflit propre à l'enseignement primaire, l'illustration la plus
évidente de la pauvreté de ce budget pour 2003 est le désengagement de l'Etat à
l'égard de l'enseignement secondaire. La réflexion médiatique engagée très
récemment sur le devenir du collège unique ne suffit pas à masquer la réalité
cruelle de votre action. L'enseignement secondaire en est la victime désignée
pour l'année 2003. Votre budget apparaît comme un abandon des personnels
enseignants et non enseignants de l'enseignement secondaire. L'argument de la
décroissance démographique des classes d'âge, que toute personne de bonne foi
pensait oublié, et pour cause, a pourtant été exhumé pour justifier l'absence
de création de postes d'enseignants du second degré, signifiant au passage
l'absence de respect des engagements pluriannuels.
Le taux d'encadrement des élèves a lui aussi été utilisé pour masquer le
manquement à la parole donnée de la République. Tout le monde s'accordera
pourtant à reconnaître que ce taux d'encadrement faible pour la France - 12,8
élèves par professeurs - ne reflète que très partiellement les réalités des
disparités géographiques ; les élus, qui connaissent leur département, le
savent bien.
Le signal clair que vous donnez, monsieur le ministre, ne paraît pas de nature
à valoriser les vocations de professeurs, alors que 40 % de la profession devra
être renouvelée dans la décennie à venir. A cela viennent s'ajouter les
personnels non enseignants des collèges et lycées. Les fins de contrats non
renouvelés des aides-éducateurs ainsi que la suppression des maîtres d'internat
et surveillants d'externat augmentent le malaise et le sentiment d'abandon.
Les contrats des aides-éducateurs, qui s'intégraient dans le dispositif
emplois-jeunes mis en place par le gouvernement de Lionel Jospin, ont permis à
20 000 jeunes de remplir des missions de service public au sein
d'établissements qui ont souvent du mal à encadrer les élèves. Malgré vos
explications, monsieur le ministre, ces jeunes, dont le contrat ne sera pas
pérennisé, vont se retrouver au chômage, alors que nous connaissons une
conjoncture sociale et économique difficile. S'agissant des maîtres d'internat
et surveillants d'externat, ce sont 5 600 de ces postes que vous supprimez.
Quel dommage ! Les élèves étaient encadrés souvent avec professionnalisme, et
les étudiants pouvaient financer leurs études.
Afin de remplacer aides-éducateurs ainsi que maîtres d'internat et
surveillants d'externat, vous avez, dans un premier temps, préconisé le
recrutement d'assistants d'éducation élargi aux mères de familles et aux jeunes
retraités.
(M. le ministre fait des signes de dénégation.)
Je me réfère,
sur ce point précis, à une note que votre directeur de cabinet a envoyée aux
recteurs et aux inspecteurs d'académie. Vous avez, cependant, depuis précisé
que le recrutement de ces assistants d'éducation au statut indéfini se ferait
prioritairement parmi les étudiants. Cette rétractation montre le flou qui
entoure vos projets en matière d'encadrement des élèves.
Les enseignants, même si le cadre de leur formation et leur profil de
compétences devront être réactualisés et redéfinis en même temps que les IUFM,
n'ont certainement pas pour vocation de s'occuper de « pacification » dans les
collèges et les lycées en dehors de leurs heures de cours. Cette fonction était
parfaitement remplie par les maîtres d'internat et surveillants d'externat et
par les aides-éducateurs, que vous supprimez.
Pour un gouvernement et des élus qui ont tant su mettre l'accent sur la
violence scolaire lors de la précédente législature, le fossé qui sépare les
effets d'annonce de la réalité de l'action ne parle guère en votre faveur,
monsieur le ministre !
La lecture de la presse de ce matin et les explications que vous venez de nous
donner non seulement sur les modalités de recrutement de ceux qui seront
désormais chargés du suivi éducatif des élèves en dehors des cours mais aussi
sur les moyens que vous y consacrerez me font penser, de surcroît, que vous
n'avez pas prévu les moyens réellement nécessaires à ces recrutements.
En effet, sauf erreur de calcul de ma part, avec une enveloppe de 14 millions
d'euros pour recruter, à la rentrée 2003, 11 000 personnes qui travailleront
les quatre derniers mois de l'année, cela fera 318 euros par mois pour chacune.
Peut-être mon calcul est-il simpliste : vous allez sans doute m'éclairer sur ce
point.
Pour terminer, monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur
un sujet particulier qui me tient à coeur : l'avenir des enseignants dans les
sections d'enseignement général et professionnel adapté. Les 7,25 millions
d'euros que vous avez affectés à la réduction de service des enseignants
spécialisés de SEGPA ont permis de réduire le nombre de leurs heures
hebdomadaires, qui est passé de vingt-trois à vingt et une. Cette initiative va
dans le bon sens. Cependant, les revendications des enseignants de SEGPA
avaient, entre autres, pour objet l'harmonisation du nombre d'heures qu'ils
effectuent au niveau de celui de leurs collègues enseignants du second degré,
soit dix-huit heures par semaine. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre,
pour régler de manière définitive le dossier des enseignants de SEGPA qui
méritent une attention toute particulière en raison de la difficulté de leur
mission ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Je ne voudrais pas vous lasser en revenant pour la quatorzième
fois sur la question des MI-SE ou des emplois-jeunes.
(Sourires.)
Je
crois vous avoir dit à peu près tout ce que j'avais à vous dire sur ce point.
Nous annoncerons le nouveau dispositif des assistants d'éducation dans les
semaines, dans les jours, voire dans les heures qui viennent. Nous pourrons
alors reprendre de manière concrète notre dialogue, fût-il critique.
Les mesures que j'annonce ne sont pas crédibles, dites-vous, parce qu'elles ne
coûtent rien. L'idéologie qui sous-tend le propos m'inquiète. Ainsi donc, seul
le budgétivore serait crédible ? Prenons l'exemple, tout simple, de la lutte
contre l'illettrisme. J'ai demandé à tous les inspecteurs du premier degré - à
tous, monsieur le sénateur - de s'assurer que l'on fait lire et écrire les
élèves deux heures et demie par jour. C'est, dans le dispositif que je propose,
la mesure la plus importante, et pourtant y elle ne coûte rien. Dois-je en être
pénalisé pour autant ?
Il en est de même pour la création de classes en alternance. Etant donné, en
effet, que les lycées professionnels, par ailleurs très bien équipés, ont
perdu, depuis 1985, entre 150 000 et 160 000 élèves, il est logique de proposer
qu'ils accueillent ces classes en alternance. La mesure ne coûte rien. Est-elle
pour autant désastreuse ?
Je pourrais évidemment vous donner de nombreux autres exemples. Je réfléchis
en termes plus qualitatifs que quantitatifs. Il me semble préférable, chaque
fois que je le peux, de proposer une mesure - surtout si elle est excellente !
- qui ne coûte rien.
Il est vrai que je ne suis ni un professionnel de la politique ni un
économiste, mais, en prenant mes fonctions, j'ai été très surpris de constater
que 98,9 % de mon budget étaient en réalité intangibles, ou alors la réforme
exigerait un courage extrême et des mesures forcément difficiles à défendre
devant l'opinion publique. Si ces données étaient connues du grand public, on
en tirerait alors la bonne conclusion, extrêmement grave au demeurant, que la
politique, pratiquement, n'existe plus et qu'elle a été remplacée par
l'économie !
Le seul moyen d'action légitime, à vos yeux, serait-il la fuite en avant et
l'aggravation du déficit budgétaire ? Si nous ne récupérons pas des marges de
manoeuvre budgétaires, nous signifions tout simplement la fin de la politique,
ce qui me paraît extrêmement grave.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé.
Cela dépend où l'on récupère des marges de manoeuvre !
M. Luc Ferry,
ministre.
Permettez-moi quelques mots sur la violence. Là aussi, parlons
entre nous sans polémique
(Sourires.)
Monsieur le sénateur, quand un collégien était, de mon temps, comme disent
les vieux mammifères, renvoyé pour trois jours, la sanction était vécue comme
une infamie, et le retour à la maison était plutôt délicat... Aujourd'hui,
l'élève sanctionné vous rétorque que trois jours, c'est bien, mais que quinze
jours l'arrangeraient davantage !
Une fois que les enfants ont eu intégré l'idée qu'ils étaient des usagers du
système éducatif jusqu'à l'âge de seize ans, toutes les sanctions, jusqu'aux
plus infamantes pour nous, enfants, sont devenues désuètes. Les heures de
colle, cela ne sert à rien ; renvoyer un élève pendant trois jours, cela n'a
plus aucun sens. D'où la nécessité d'inventer et de réinventer d'autres formes
d'autorité, d'autres modalités de sanction.
Nous proposons des classes relais ou des ateliers relais ; c'est une vraie
réponse pour les enseignants, car, pour eux, cela signifie être débarrassés -
il faut dire les choses comme elles sont - pendant quelque temps d'un élève
très difficile, mais aussi pour les élèves, puisque nous leur proposons une
pédagogie adaptée. On ne les met pas en prison, tout de même, contrairement aux
fariboles que l'on peut lire dans les mauvais journaux !
Pour véritablement traiter le problème de la violence à l'école, cessons
d'imaginer un policier ou un aide-éducateur derrière chaque élève : ce n'est
pas ainsi que l'on éradiquera le problème de fond.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées des RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini.
Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre. Sachez que, sur le
plan philosophique, je souscris en grande partie à votre propos.
Cela dit, les chiffres et les faits sont têtus et vous vous doutez bien que je
ne puis être convaincu par vos arguments.
J'ai été instituteur de base. Alors, certes, si l'illettrisme est la priorité
des priorités de votre ministère, on doit faire lire et écrire les enfants deux
heures et demie par jour. Mais n'est-ce pas déjà ce que font les enseignants et
les instituteurs, et depuis longtemps ? Etonnez-vous, après, que cette mesure
ne coûte rien !
Non, monsieur le ministre, les mesures qui ne coûtent rien sont pure
démagogie, surtout pour la priorité des priorités de votre action. Le
gouvernement auquel vous appartenez est déjà un fervent partisan du décalage
entre le discours officiel et la réalité de l'action. Le sens des formules et
l'application acharnée dont fait preuve le Gouvernement pour maîtriser la
communication vous font oublier la réalité du terrain.
Je crois, moi, que les enseignants font leur travail. Or, à cause de cette
focalisation excessive, vous ne prenez pas en compte la réelle dimension des
problèmes éducatifs dans notre pays.
Les réformes que vous proposez ne sont, pour la plupart, que le prolongement
d'idées développées par vos nombreux prédécesseurs, de droite ou de gauche,
augmentées toutefois de projets dangereux, pour ne pas utiliser d'autres
qualificatifs.
Les hommes et les femmes qui, quotidiennement, travaillent sur le terrain à
résoudre les difficultés de l'éducation nationale et, surtout, de nos jeunes
voient leurs efforts sanctionnés par votre politique et votre budget pour 2003.
Je tenais à vous le dire.
M. le président.
La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron.
C'est une position assez redoutable que d'intervenir en dernier. Je ne sais
pas si tout a été dit, monsieur le ministre, mais j'ai le sentiment d'arriver
trop tard.
(Sourires.)
Néanmoins, je vais m'efforcer de me faire une petite
place.
Monsieur le ministre, nous sommes ici très nombreux à adhérer à vos objectifs
et à votre méthode.
M. René-Pierre Signé.
Pas tous !
M. Alain Gournac.
Il a dit : « nombreux » !
M. Adrien Gouteyron.
Je viens même d'entendre l'un de nos collègues qui siègent sur les travées de
gauche dire qu'il partageait votre philosophie, monsieur le ministre. Nous nous
en réjouissons !
Nos rapporteurs ont dit tout ce qu'il fallait sur les caractéristiques de ce
budget, ce dont je les félicite.
M. Luc Ferry,
ministre.
Absolument !
M. Adrien Gouteyron.
Je voudrais simplement rappeler que le Sénat avait, il y a quatre ans à peine,
constitué une commission d'enquête sur la gestion des emplois, des postes et
des personnels.
M. Pierre Laffitte.
Exact !
M. Adrien Gouteyron.
Cette commission d'enquête, que j'avais l'honneur et le plaisir de présider,
avait procédé à quelques constatations et émis quelques suggestions. J'ai été
heureux de vous entendre dire qu'on allait s'occuper des surnombres - enfin !
-, qu'on allait examiner de plus près le volume des heures supplémentaires -
enfin ! -, volume qui ne diminue pas, alors qu'on prétend gager des postes sur
des heures supplémentaires. On ne peut que s'en réjouir. Non que l'on ait
diminué les moyens, mais simplement parce que le pouvoir politique se donne les
capacités de rendre compte à la nation de la gestion de ceux qu'elle met à sa
disposition.
M. Luc Ferry,
ministre.
Absolument !
M. Adrien Gouteyron.
C'est encore une bonne chose.
J'aurais pu vous interroger sur la violence scolaire. Mon collègue Christian
Demuynck, qui devait intervenir à ma place, avait des raisons particulières de
vous questionner, parce que le département qu'il représente est, évidemment,
très frappé par le phénomène. Vous avez amplement répondu sur ce sujet, et je
ne m'attarderai donc pas.
Permettez-moi, en revanche, de revenir sur deux points. Le premier concerne
les classes en alternance, pièce essentielle du dispositif qui est le vôtre.
Vous l'avez rappelé, 60 000 jeunes ou adolescents sortent chaque année du
système scolaire sans diplôme, sans réelle qualification. On ne peut pas dire
que cette situation soit satisfaisante. Il faut faire quelque chose, vous
voulez faire quelque chose, et je vous en félicite. Bien entendu, il est
nécessaire de prendre des précautions, monsieur le ministre, et vous en avez
indiqué quelques-unes. D'abord, si ces classes sont accueillies, pour des
raisons évidentes de place et de disponibilité en matériels, dans les lycées
professionnels, où ces élèves recevront-ils l'enseignement général ? Quel sera
leur statut ? J'imagine qu'ils resteront élèves de collège, mais j'aimerais
vous l'entendre préciser, parce que c'est évidemment fondamental.
Puis vous avez parlé de passerelles, et vous avez bien fait. Vous avez refusé
l'orientation précoce, et vous avez encore bien fait. Toutefois, j'y mettrai
deux conditions.
Premièrement, on ne peut pas, me semble-t-il, imaginer ce nouveau dispositif
sans regarder ce qui se passe avant, dans les classes de sixième et de
cinquième. C'est d'ailleurs en ce sens que vous allez revoir le contenu des
enseignements technologiques. Il faut vraiment tout remettre à plat, et très
vite !
Deuxièmement, il faut que les enseignements généraux eux-mêmes soient parfois
dispensés sur des bases plus simples, sans doute plus concrètes. Je vous
approuve, et avec une totale conviction, quand vous insistez sur la nécessité
de revenir à un enseignement qui redonne son sens à l'effort, qui redonne son
sens à l'acte d'apprendre, qui redonne son sens et sa valeur à la mémoire. Il
m'est tombé sous les yeux récemment un article de Roger Ikor qui avait écrit,
dans un grand quotidien, un plaidoyer
pro memoria.
Ce plaidoyer pour la
mémoire, je le fais bien volontiers pour la mémoire à l'école, parce qu'elle
est indispensable pour acquérir les connaissances fondamentales. Qu'on ne me
dise pas que ce sont les élèves le plus en difficulté qui en pâtiront : je suis
persuadé du contraire. En effet, ces élèves trouveront, dans cet enseignement,
des bases solides ; ils comprendront ce qu'on leur dit. Ils ont besoin d'être
guidés, d'être parfois encadrés. Vous le proposez, et je vous en félicite.
Permettez-moi une dernière question sur l'affectation des enseignants.
Certains établissements sont difficiles, on le sait ; certaines académies le
sont également. Or, ce sont précisément dans ces établissements ou dans ces
académies difficiles que sont nommés la plupart des enseignants qui sortent
d'IUFM. Cela constitue, évidemment, un dysfonctionnement grave. Monsieur le
ministre, quelle mesure envisagez-vous de prendre pour mettre un terme à cette
situation ? J'oserai un témoignage : la commission des affaires culturelles, à
une époque où j'y avais quelques responsabilités, avant notre collègue Jacques
Valade, s'était rendue dans un établissement difficile de la région parisienne.
Elle avait pu y faire des constats surprenants. Dans cet établissement réputé
difficile, on obtenait des résultats étonnants, grâce à un chef d'établissement
admirable qui avait réussi à constituer autour de lui une équipe de jeunes qui
avait accompli des exploits.
Comment faire, monsieur le ministre, pour que, au sortir de l'IUFM, les
enseignants ne soient plus lâchés dans des établissements difficiles sans que
leur soient donnés les moyens d'appréhender efficacement la réalité, sans
pouvoir se regrouper et faire face à des situations extrêmement complexes ?
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance des réponses que vous ne
manquerez pas de m'apporter.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Je vous remercie en retour, monsieur le sénateur, de vos
questions passionnantes.
Nous maintenons les postes à profil particulier. Cependant, dans la
perspective d'une autonomie plus grande des établissements, je pense que nous
aurions la possibilité de contractualiser, en quelque sorte, avec les
enseignants dans des situations difficiles, ce qui leur permettrait d'améliorer
leur situation et de rester éventuellement plus longtemps.
Je l'ai dit tout à l'heure, je m'engage à réduire les listes complémentaires
dans le premier degré qui posent le même problème. Nous allons donc dans le
sens que vous souhaitez.
S'agissant des classes en alternance, l'enseignement général continuera d'être
dispensé dans les collèges et les enfants qui y seront inscrits resteront des
collégiens à part entière.
Cela étant, il existe, dans les lycées professionnels, des dispositifs
excellents tels les PPCP, les projets plurisdisciplinaires à caractère
professionnel, qui permettent déjà de dispenser un enseignement général de
manière parfois beaucoup plus attrayante pour les élèves par rapport à ce
qu'ils connaissent dans l'enseignement traditionnel.
En outre, je précise que la plupart des 60 000 élèves qui sortent du système
scolaire sans qualification - en milieu de CAP ou de BEP - le doivent à un
problème d'affectation.
Il est donc crucial de mettre en place - là réside aussi tout l'intérêt des
classes en alternance - une meilleure connaissance de la réalité du lycée
professionnel, pour éviter ces erreurs d'affectation qui sont la cause d'un
très grand nombre d'échecs et de sorties du système scolaire sans
qualification.
A l'occasion du tour de France des lycées professionnels que j'ai entrepris,
j'apprends beaucoup. J'ai, par exemple, tout récemment découvert que, dans
certains lycées professionnels - il faut, là aussi, procéder avec humilité -,
certaines premières années de BEP sont organisées de telle façon que les élèves
ont la possibilité de découvrir, dans trois ateliers différents, trois métiers
différents, et sans pour autant être pénalisés. Cela a notamment permis dans ce
lycée auquel je pense de réduire considérablement le nombre de jeunes sortant
du système scolaire sans qualification.
S'agissant de la pédagogie du travail, nous devrions peut-être engager une
réflexion plus approfondie dans le cadre des classes en alternance pour savoir
comment redonner le goût de l'effort et le goût du travail.
Depuis le xviiie siècle, il faut le savoir, les philosophies de la pédagogie
ont vu s'opposer trois grandes conceptions de l'éducation.
Tout d'abord, on a envisagé l'éducation par le jeu, dont le modèle politique
est l'anarchie. Il s'agit, par exemple - déjà à l'époque -, de remplacer les
mathématiques par le jeu d'échecs. Puis ce fut, à l'inverse, l'éducation par le
dressage, dont le modèle politique est l'absolutisme : on traite les enfants
comme des animaux que l'on dresse. Enfin, chez les républicains, famille à
laquelle nous appartenons tous ici, j'en suis certain, l'éducation est à
l'exemple de l'exercice de la citoyenneté, c'est-à-dire que l'on est à la fois
actif, lorsque l'on vote la loi, et passif, quand on s'y soumet une fois
qu'elle a été votée. Dans cette école républicaine, le travail est l'activité
par laquelle l'enfant développe sa liberté en se heurtant à des difficultés
qu'il doit surmonter et, en même temps, par laquelle il est formé par la
réalité à laquelle il s'oppose. Cette pédagogie du travail doit être
revalorisée, elle qui associe la liberté et la contrainte, la liberté et la
discipline, comme l'exercice de la citoyenneté nous rend libres dans le vote,
mais soumis à la loi lorsqu'elle est votée.
Il faut donc redonner le goût du travail aux élèves, et les classes en
alternance leur permettront, à cet égard, de découvrir concrètement les métiers
dans le cadre d'établissements « les lycées professionnels », qui sont bien
équipés pour cela et dont les équipes pédagogiques sont compétentes,
suffisamment chaleureuses et sympathiques pour que ce goût du travail renaisse
chez des enfants dont on sait que, très souvent, ils sont arrivés là après
l'avoir totalement perdu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cet objectif n'est pas budgétivore, mais il
en vaut beaucoup d'autres !
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron.
Je voudrais simplement vous adresser une requête, monsieur le ministre.
J'ai évoqué la question de l'affectation des enseignants, à laquelle vous
n'avez pas pu répondre, contraint par le temps. C'est un sujet de réflexion
important, vous en êtes certainement conscient.
Nous souhaiterions obtenir dans les plus brefs délais des indications sur ce
qu'il est envisagé de faire à la fois sur le contenu de la formation en IUFM,
que plusieurs intervenants ont évoqué - M. le ministre parle de
professionnalisation - ainsi que sur les affectations et la manière dont
peuvent se constituer les équipes qui me semblent absolument nécessaires dans
les établissements difficiles.
M. le président.
Mes chers collègues, nous en avons fini avec les questions.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et
C et concernant la jeunesse, l'éducation nationale et la recherche : I. -
Jeunesse et enseignement scolaire.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 175 777 854 EUR. »