SEANCE DU 29 NOVEMBRE 2002
M. le président.
Dans la suite de l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant le travail, la parole est à Mme Annick Bocandé, rapporteur pour
avis.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la formation
professionnelle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, l'année qui vient sera cruciale pour notre système de formation
professionnelle.
Celui-ci a évolué, cette année, dans un contexte lourd d'incertitudes. La
négociation interprofessionnelle, rompue voilà plus d'un an, n'a toujours pas
été renouée. Souhaitons qu'elle puisse reprendre dès le lendemain des élections
prud'homales du 11 décembre prochain.
Malgré l'ampleur des enjeux, la réforme de la formation professionnelle est
donc au point mort.
Depuis plusieurs années, l'effort de l'Etat en faveur de cette dernière n'a
cessé de régresser. Pour l'année 2002, les organismes de formation prévoient
une baisse de leur chiffre d'affaires de 6 % par rapport à 2001. Enfin,
l'environnement institutionnel de la formation professionnelle est lui-même
modifié, la nouvelle convention d'assurance chômage et la loi relative à la
démocratie de proximité ayant bouleversé en profondeur l'architecture d'un
système déjà fort opaque.
C'est dans ce contexte très particulier que s'inscrit le projet de budget pour
2003 de la formation professionnelle.
Le bilan que je viens de dresser appelle une politique volontariste, à la
hauteur de la tâche à mener. En dépit de la dimension par nature conjoncturelle
de l'exercice, le Gouvernement présente un budget offrant d'intéressantes
pistes de sortie de crise, tout en ménageant un espace de liberté indispensable
à la négociation entre les partenaires sociaux.
En effet, les crédits de la formation professionnelle augmenteront de près de
1 %, pour atteindre plus de 4,5 milliards d'euros en 2003. Il s'agit là de la
première augmentation effective depuis 1998.
Cela dénote, de la part du Gouvernement, une volonté de proposer un projet de
budget réaliste et pragmatique : réaliste, car il anticipe la dégradation
actuelle du marché de l'emploi ; pragmatique, car il prépare la mise en oeuvre
prochaine de l'assurance emploi et pose le socle de la formation tout au long
de la vie, ce qui correspond à deux engagements pris par le Président de la
République.
Dans ce projet de budget pour 2003, trois points me semblent mériter une
attention particulière : le soutien apporté aux formations en alternance,
l'effort consacré à la formation des demandeurs d'emploi et l'approfondissement
de la décentralisation.
Cette année encore, les formations en alternance représentent le poste
budgétaire le plus important.
Près de deux milliards d'euros y sont consacrés, soit plus de 40 % du budget.
D'aucuns se borneront à constater une réduction de 5 % des crédits et
s'empresseront de dénoncer un désengagement de l'Etat. Je les invite à un
examen plus approfondi, qui leur révèlera que ce réajustement ne devrait
entamer en rien la vigueur des flux d'entrée ni entraver le « bouclage »
budgétaire nécessaire.
Pour les contrats d'apprentissage, le réajustement découle largement du
transfert aux régions d'une partie des primes relatives à ces contrats.
Pour les contrats de qualification jeunes, le Gouvernement tente d'ajuster un
budget à la réalité des besoins prévisibles et s'engage cette année à ne pas
ponctionner l'Association de gestion du fonds des formations en alternance,
l'AGEFAL. Depuis 1997, la trésorerie de cette dernière a, en effet, fait
l'objet de prélèvements successifs, compromettant l'accomplissement de sa
mission de régulation du système.
Enfin, pour les contrats de qualification adultes, la diminution des crédits
est la conséquence de mesures techniques décidées par le précédent
gouvernement, à savoir le remplacement des exonérations de cotisations sociales
par un dispositif d'allégement de droit commun lié à la réduction du temps de
travail et à la modulation de la prime pour chaque contrat, qui ne serait plus
versée à la signature mais au bout d'un an. De plus, il convient de prendre en
compte l'effort financier complémentaire prévu par l'UNEDIC dans le cadre de la
nouvelle convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001.
Quoi qu'il en soit, les crédits affectés à la formation en alternance
devraient permettre de financer près de 390 000 contrats, soit 8 % de plus
qu'attendu pour 2002.
Monsieur le ministre, ma première question porte sur la faible attractivité
des contrats de qualification adultes. Nous craignons, en effet, que les
difficultés rencontrées par ce dispositif intéressant ne soient structurelles.
Je fais référence à l'insuffisance des incitations financières en faveur des
organismes collecteurs agréés, aux lourdeurs de la formation des adultes, plus
difficile à mettre en oeuvre que celle des jeunes, ou encore aux réticences des
entreprises à embaucher au SMIC à taux plein un salarié consacrant à la
formation le quart de son temps de travail. Au-delà d'une simple contribution
budgétaire, quelles actions prévoyez-vous de mener pour surmonter ces obstacles
et relancer le dispositif ?
J'en viens maintenant à la deuxième ligne de force de ce projet de budget :
l'encouragement à la formation des demandeurs d'emploi.
Le projet de budget prévoit une augmentation de près de 10 % des crédits
destinés à financer la rémunération des stagiaires de la formation
professionnelle.
Cette revalorisation substantielle mérite d'être soulignée. En effet, elle
contribuera à prévenir les abandons de formation en cours de stage pour un
emploi précaire, préjudiciables à une insertion professionnelle durable.
Cette mesure accompagne l'engagement croissant de l'UNEDIC en faveur de la
formation des demandeurs d'emploi.
Par ailleurs, l'Association pour la formation professionnelle des adultes,
l'AFPA, devrait bénéficier d'un soutien budgétaire important pour sa
modernisation. Le contrat de progrès 1999-2003 conclu entre l'Etat et l'AFPA
entre dans sa dernière année. Dans ce cadre, l'AFPA a pour mission d'accueillir
les demandeurs d'emploi que lui adresse l'ANPE et de les aider à construire un
projet de formation. A cet égard, le projet de budget prévoit une augmentation
significative de la subvention de fonctionnement, qui représente les trois
quarts des recettes de l'association.
On notera également que le Gouvernement doublera les crédits affectés au
financement de l'allocation de fin de formation. Ces dotations serviront à
financer la poursuite des actions de formation des chômeurs en fin
d'indemnisation par l'assurance chômage.
Enfin, comment ne pas souligner que le montant des crédits consacrés à la
validation des acquis de l'expérience sera multiplié par cinq ? Ainsi, 2003
représentera véritablement l'année de lancement de la validation des acquis de
l'expérience.
Mais un budget ne suffit pas à faire une politique si les moyens opérationnels
ne suivent pas. Or la Commission nationale de la certification professionnelle,
chargée de la gestion d'un répertoire national, tarde à se mettre en place. Tel
est, monsieur le ministre, l'objet de la deuxième question que je voudrais vous
poser : avez-vous prévu des mesures d'activation de ce dispositif, encore trop
méconnu tant des professionnels que des publics concernés ?
La dernière ligne de force du projet de budget pour 2003 est l'engagement
d'une dynamique nouvelle en matière de décentralisation.
Cette volonté est traduite de deux manières : premièrement, le Gouvernement a
veillé à ce que les transferts de charges opérés en direction des régions
s'accompagnent d'une compensation financière significative ; deuxièmement,
répondant aux inquiétudes de certaines régions, il a fait le choix d'une
décentralisation progressive et adaptée aux aspirations locales.
Pour ce faire, il prévoit une dotation de décentralisation de 1,5 milliard
d'euros, en augmentation de 6,5 % par rapport à 2003.
Les transferts relatifs à l'apprentissage porteront, à terme, sur une somme
supérieure à 750 millions d'euros, dépense que de nombreuses régions ne sont
pas capables d'assumer dans l'immédiat. C'est pourquoi l'article 77, rattaché
pour son examen aux crédits de la formation professionnelle, prévoit que le
versement de la compensation financière de ce transfert se fera progressivement
jusqu'en 2006. Mais encore faut-il que les régions aient les moyens
opérationnels d'assurer ce transfert dans les meilleures conditions.
Par ailleurs, parce que la décentralisation ne peut se réduire à un slogan, le
Gouvernement choisit non pas de « plus », mais de « mieux » décentraliser.
Monsieur le ministre, lors de votre audition, par la commission des affaires
sociales du Sénat, le 7 novembre dernier, vous nous avez assurés de votre
détermination à inscrire l'effort de décentralisation dans la voie de
l'équilibre et de l'efficacité. Je ne doute pas de votre engagement.
Cependant - ce sera ma troisième question - je m'interroge sur les modalités
d'une décentralisation aux contours encore incertains. Comment comptez-vous,
monsieur le ministre, assurer la lisibilité du système de formation sur le plan
régional et éviter l'apparition de nouvelles disparités ? Quels pourraient être
les principes d'une nouvelle réforme législative ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard de
la profonde inadéquation entre l'offre et la demande de travail dont témoigne
la pénurie persistante de main-d'oeuvre qualifiée dans certains secteurs, la
formation professionnelle doit cesser d'être le parent pauvre de la politique
de l'emploi. En effet, faute de citoyens formés, la compétitivité de l'«
entreprise France » risque de se détériorer durablement.
La commission des affaires sociales attendait donc une réaction d'envergure :
le présent projet de budget est une première réponse, et elle a émis un avis
favorable à son adoption.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord
remercier M. Souvet, qui s'était déjà engagé personnellement lors des débats
sur le projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des
jeunes en entreprise et sur le projet de loi relatif aux salaires, au temps de
travail et au développement de l'emploi, d'avoir montré à quel point la
politique de l'emploi que conduit le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin
rompt avec les principes qui avaient été suivis ces dernières années et dont la
mise en oeuvre explique, pour une large part, que, malgré une croissance forte,
la France demeure l'un des pays européens les plus frappés par le chômage.
La première question de M. Souvet portait sur la situation financière de
l'UNEDIC. Je n'ai pas besoin de rappeler au Sénat qu'il s'agit d'un régime
conventionnel et qu'il appartient donc aux partenaires sociaux de prendre leurs
responsabilités pour déterminer les voies et moyens d'en rétablir l'équilibre
financier.
Nous sommes tous très attachés au paritarisme, et nous sommes souvent inquiets
de constater que celui-ci s'essouffle dans bien des domaines. Il convient donc
de ne pas l'affaiblir dans les secteurs où les partenaires sociaux ont
démontré, dans le passé, leur capacité à prendre des décisions courageuses,
comme ce fut le cas lors de la signature de l'accord du 19 juin dernier. Si
l'Etat sera extrêmement attentif aux décisions qui seront prises par les
partenaires sociaux, il veut aussi leur faire savoir que, comme à l'occasion de
l'élaboration de l'accord précité, il les soutiendra, prendra ses
responsabilités et fera preuve d'au moins autant de courage qu'eux-mêmes.
L'Etat a montré, par le passé, qu'il était prêt à appuyer les efforts demandés
par l'UNEDIC aux salariés, aux entreprises et aux chômeurs. Ainsi, en 1992 et
en 1993, il avait contribué au rétablissement de l'équilibre financier du
régime d'assurance chômage par des concours s'élevant à 6,7 milliards d'euros
au total. Récemment, à la suite de l'accord du 19 juin dernier, le Gouvernement
a validé les mesures envisagées par les partenaires sociaux en agréant
l'ensemble des avenants à la convention d'assurance chômage, en particulier
celui qui est consacré au régime des intermittents du spectacle,
structurellement déséquilibré. A ce propos, peu de gouvernements avaient eu le
courage de suivre les préconisations des partenaires sociaux, qui, je le
répète, ne relèvent pas d'une seule organisation, puisque la gestion est
paritaire.
En ce qui concerne les 1,2 milliard d'euros dus par l'UNEDIC, à l'Etat au
titre de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001, le Gouvernement
a accepté la demande, formulée par les partenaires sociaux, d'en reporter le
versement à 2003. A la fin de l'année, des négociations importantes
s'engageront pour examiner les moyens de faire face au déficit prévu du régime.
J'étudierai avec beaucoup d'attention les solutions proposées par les
partenaires sociaux, en fonction de la situation financière de l'UNEDIC, dans
le cadre de la procédure d'agrément. Vous comprendrez, monsieur le rapporteur
pour avis, qu'il ne me soit pas possible d'en dire plus tant que ces
propositions ne m'auront pas été communiquées.
La deuxième question de M. Souvet portait sur le futur contrat de progrès
entre l'Etat et l'ANPE, ses objectifs, ses lignes directrices et l'état de la
négociation.
Avant de vous répondre, monsieur le rapporteur pour avis, je voudrais
souligner combien l'ANPE a progressé dans la mise en oeuvre du projet d'action
personnalisé pour un nouveau départ, le PAPND. Depuis le 1er juillet 2001, tous
les nouveaux inscrits ont bénéficié d'un projet d'action personnalisé. D'ici à
la fin de l'année, un PAP aura été proposé à la totalité des demandeurs
d'emploi inscrits avant cette date.
L'implication totale des conseillers de l'ANPE permet aujourd'hui aux agences
locales pour l'emploi, les ALE, d'effectuer plus de 600 000 entretiens par
mois, qui concernent simultanément des demandeurs d'emploi nouvellement
inscrits et des demandeurs d'emploi bénéficiant du PAP depuis six mois ou
depuis douze mois.
Les services prescrits aux demandeurs d'emploi sont aussi plus nombreux,
puisque, en août 2002, près de 50 % des demandeurs d'emploi depuis plus de six
mois ont bénéficié d'un appui individualisé, et 17 % d'un accompagnement
renforcé. Enfin, plus de 72 000 formations auront été prescrites pour ce seul
mois.
Il sera temps, en 2003, pour l'Etat comme pour les partenaires sociaux
gestionnaires de l'UNEDIC, de tirer un bilan circonstancié du PAPND et, bien
entendu, nous prendrons en compte ces évaluations dans le cadre du quatrième
contrat de progrès Etat-ANPE qui sera conclu pour la période 2004-2008.
L'idée, aujourd'hui, c'est que ce contrat vienne consolider les acquis de la
mise en oeuvre du PAP. Pour cela, il s'appuiera sur les travaux d'évaluation du
troisième contrat de progrès et sur le bilan qualitatif du PARE et du PAP. Il
s'agira, au fond, de franchir une nouvelle étape et d'aller plus loin dans la
personnalisation du service rendu par l'ANPE aux demandeurs d'emploi. Il
s'attachera à améliorer l'offre de service de l'agence aux entreprises. Enfin,
il devra répondre aux nouveaux enjeux des dynamiques territoriales, en
renforçant les partenariats avec les collectivités, dans le cadre de la
décentralisation.
M. Souvet m'a ensuite interrogé sur l'avenir des jeunes concernés par le
dispositif emplois-jeunes. Le Gouvernement, soucieux, avant toute chose, du
sort des jeunes concernés, pour lesquels, je le rappelle, rien n'avait été
prévu, a abordé avec pragmatisme le devenir du programme « Nouveaux
services-emplois-jeunes ».
La décision que nous avons prise d'arrêter les nouvelles entrées ne peut être
considérée comme un désintérêt ni comme un abandon des 150 000 jeunes encore
présents. D'ailleurs, le poids budgétaire, dans le présent projet de loi de
finances, de ce programme - 2,7 milliards d'euros - atteste l'intérêt que le
Gouvernement porte à ce programme.
Je me suis engagé sur des mesures de pérennisation des emplois créés, afin
d'accompagner les associations dans leur recherche de sources alternatives de
financement. Pour les associations qui, au terme des cinq ans, n'ont pas
atteint leur autonomie, des conventions d'une durée de trois ans pourront, de
façon dégressive, prolonger l'aide de l'Etat.
Ces mesures de pérennisation seront mises en oeuvre avec une exigence
renforcée quant à la professionnalisation des jeunes et aux actions de
formation susceptibles d'être engagées par l'employeur.
Les 10 millions d'euros relatifs au soutien financier exceptionnel permettront
de conclure un petit nombre de contrats dont la procédure d'agrément était en
cours au moment où la décision de suspendre le programme a été prise.
Pour les jeunes qui ne peuvent pas entrer dans le cadre des dispositifs de
pérennisation des emplois et qui ne trouveraient pas de solution immédiate sur
le marché du travail, le service public de l'emploi sera totalement mobilisé.
Ces jeunes bénéficieront de l'ensemble des prestations prévues par le PAPND :
entretien individuel, bilan de compétence, actions de formation. J'ai demandé à
mes services de réunir les conditions d'un suivi individualisé spécifique de
ces jeunes.
S'agissant, monsieur le rapporteur, de votre proposition de favoriser l'entrée
de ces jeunes dans le secteur marchand, dans un certain nombre de cas, les
études de la direction de l'animation de la recherche, des études et des
statistiques, prouvent que deux jeunes sur trois sortis du programme par
eux-mêmes retrouvent un emploi sans aide particulière. Il ne nous a donc pas
semblé, aujourd'hui, nécessaire de prévoir un dispositif d'aide spécifique à
l'insertion de ces jeunes dans le secteur marchand.
Bien entendu, cette possibilité existe dans le cadre des dispositifs
existants, et rien n'interdit à un jeune sorti du programme emplois-jeunes de
conclure un contrat « jeune en entreprise » s'il remplit les conditions d'âge
et de diplôme : 20 % des jeunes dans les associations, par exemple, ont moins
de vingt-deux ans, et 20 % ont un niveau de qualification inférieur au
baccalauréat.
Cela me donne l'occasion - et je suis sûr que vous y serez sensible, monsieur
le rapporteur -, de faire un petit point sur la mise en oeuvre du contrat jeune
en entreprise.
D'abord, au 21 novembre dernier, le nombre de contrats jeune en entreprise
s'élevait à 19 500, c'est-à-dire plus que nos prévisions, puisque, je le
rappelle, celles-ci prévoyaient 20 000 contrats avant la fin de l'année. Je le
précise à l'attention de tous les oiseaux de mauvais augure, qui avaient
annoncé à l'avance, et même dès le démarrage du dispositif, l'échec de ce
programme.
Ensuite, et cela ira certainement droit au coeur du rapporteur que vous avez
été, cette montée en puissance ne se fait en aucun cas au détriment des
programmes de formation en alternance et des contrats de qualification,...
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis.
Très bien !
M. François Fillon,
ministre.
... puisque les contrats d'apprentissage, qui étaient en
baisse, ont recommencé à croître en octobre dernier, de 1,9 %, et les contrats
de qualification pour les jeunes sont en forte augmentation, de 4,3 % en
octobre dernier.
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis.
Très bien !
M. Adrien Gouteyron.
Bonne nouvelle !
M. François Fillon,
ministre.
Tous ces chiffres, mis en parallèle avec les chiffres du
chômage que je vous ai donnés tout à l'heure, et, encore une fois, sans vouloir
prévoir un avenir nécessairement incertain compte tenu de la conjoncture
économique générale, montrent qu'il faut relativiser les catastrophes
annoncées, tant sur le plan de l'emploi que sur le plan social, par ceux qui
ont sans doute intérêt à les prédire.
MM. Adrien Gouteyron et Paul Blanc.
Très bien !
M. François Fillon,
ministre.
Enfin, monsieur le rapporteur, les procédures de pérennisation
de certains postes, le contrat jeune, le CIVIS, dont j'ai déjà parlé, qui
pourra également concerner certains de ces jeunes, ainsi que la mobilisation
des services de l'emploi me paraissent offrir une palette de solutions à la
disposition des jeunes qui, progressivement, vont sortir du dispositifs des
emplois-jeunes.
Vous m'avez ensuite interrogé sur le devenir des CES et des CEC, qui
constituent l'un des sujets sur lesquels le Gouvernement réfléchit à une
réforme d'ensemble. Si je vous ai indiqué que notre priorité était de
privilégier la politique de l'emploi et le soutien de l'activité favorisant la
création et le développement d'emplois dans le secteur marchand, cela ne veut
pas dire pour autant que le Gouvernement entend se priver d'instruments qui
permettent de venir en aide à des jeunes ou à des personnes en très grande
difficulté, qui ont des besoins spécifiques d'insertion.
Il nous semble cependant que les CES et les CEC constituent des outils qui
mériteraient d'être rendus plus souples. Nous sommes en train d'y réfléchir. En
particulier, nous réfléchissons à la rénovation, à la redéfinition de la gamme
des outils utilisés par le service public de l'emploi pour lutter contre le
chômage de longue durée, qui est un sujet de mobilisation : j'ai indiqué tout à
l'heure qu'il continuait, lui, de progresser.
Nous avons fait un certain nombre de constats sur les insuffisances des
mesures CEC et, surtout, des CES, dont l'effet, en termes de retour à l'emploi,
est notoirement insuffisant.
J'envisage de proposer un contrat unique d'insertion, qui s'adressera aux
personnes très éloignées de l'emploi et aux employeurs du secteur non
marchand.
Je souhaite, en premier lieu, renforcer les actions d'accompagnement et de
soutien des bénéficiaires, ces actions devant permettre de valoriser le passage
de la personne dans ce type de contrat et d'accélérer le retour à l'emploi
classique.
Je souhaite, en second lieu, aboutir à un contrat plus modulable, qui pourrait
être, mieux qu'aujourd'hui, adapté à la situation particulière de chaque
bénéficiaire.
Je souligne, à ce titre, que cette nouvelle mesure, qui sera proposée dans le
cadre de réformes qui interviendront en 2003, s'inscrira dans le cadre de
l'action territorialisée du service public de l'emploi, à l'instar des CES et
des CEC, et contribuera à la mise en oeuvre d'une véritable politique locale
d'insertion menée par le service public de l'emploi, en liaison avec les
collectivités locales et, notamment, avec les départements, dont les
compétences devraient s'accroître sur ce sujet.
Enfin, M. Souvet m'a interrogé sur la question de la place des salariés de
plus de cinquante ans dans l'entreprise et sur la politique du Gouvernement par
rapport aux différents dispositifs de préretraite.
Le soutien public massif aux préretraites a, vous en conviendrez monsieur le
rapporteur pour avis, banalisé les départs anticipés comme unique outil de
gestion des âges dans les entreprises.
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis.
Hélas !
M. François Fillon,
ministre.
Une politique progressive de réduction des aides vise à
favoriser une prise de conscience des effets pervers de cette évolution pour la
société et pour les personnes.
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis.
C'est nécessaire !
M. François Fillon,
ministre.
Il s'agit donc de développer les pratiques alternatives,
internes aux entreprises, de réflexion sur l'âge et sur le travail.
Aujourd'hui, le recours aux préretraites est une pratique généralisée dans les
grandes entreprises, et très peu mise en oeuvre dans les petites entreprises.
Très peu de grandes entreprises mettent en oeuvre des pratiques de gestion des
âges, comme le bilan des compétences, la validation des acquis ou la formation
professionnelle pour une évolution interne, alors qu'elles en auraient les
moyens.
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis.
Bien sûr !
M. François Fillon,
ministre.
Il est donc nécessaire d'inverser les priorités. Le ministère
du travail mais aussi les partenaires sociaux doivent, dans ce domaine, se
mobiliser pour développer et diffuser les bonnes pratiques dans les
entreprises.
La refonte du système de formation professionnelle et le développement de la
formation tout au long de la vie constituent une priorité. C'est en formant les
personnes en milieu de carrière qu'on leur donne les moyens de s'adapter aux
évolutions de l'entreprise.
Il faut aussi mettre à plat les différentes mesures qui freinent le retour
dans l'emploi des salariés les plus âgés. La contribution Delalande en fait
partie.
(M. le rapporteur pour avis opine.)
L'urgence, c'est la prise de
conscience de l'ensemble des partenaires sociaux pour aborder toutes ces
questions à l'occasion des négociations qu'ils vont ouvrir.
J'en profite pour indiquer au Sénat que, comme je l'avais souhaité, notamment
à l'occasion du débat sur les 35 heures, les partenaires sociaux ont répondu à
l'appel du Gouvernement pour engager une négociation sur la formation
professionnelle, comme ils se sont engagés également à le faire sur la révision
des dispositions relatives aux plans sociaux.
S'agissant des mesures d'âge, j'en viens aux mesures spécifiques prévues dans
le budget.
La hausse des contributions pour 2003 porte essentiellement sur les
préretraites progressives, où les taux vont être triplés en moyenne, le taux
moyen passant de 3,6 % à 10 %.
Pour les allocations spéciales du fonds national de l'emploi, les ASFNE, les
taux seront aussi augmentés, mais en faisant porter prioritairement l'effort
sur les plus grandes entreprises et sur les départs dérogatoires à
cinquante-six ans, et non à cinquante-sept ans. Les critères d'attribution des
ASFNE ne sont pas modifiés. Il s'agit toujours des secteurs en difficulté, des
publics en difficulté et des PME ainsi que des bassins d'emploi difficiles. Il
convient du reste de noter que la plupart des ASFNE sont attribuées à des PME
en liquidation judiciaire, donc sans participation de l'entreprise.
Mme Bocandé m'a interrogé sur les contrats de qualification adultes. Ce
contrat, créé par la loi de 1998, a été pérennisé en 2002. Je partage votre
avis sur l'intérêt de ce dispositif, compte tenu de ses spécificités. Il
s'adresse à des personnes sans emploi âgées de vingt-six ans et plus, qui
rencontrent des difficultés sociales et professionnelles du fait de
l'insuffisance de qualification. La formation est obligatoire : elle représente
25 % de la durée du contrat. Dans le cadre du plan d'aide au retour à
l'emploi-projet d'action personnalisé, le PARE-PAP, cette formation peut
d'ailleurs être financée par l'UNEDIC pour les chômeurs indemnisés.
L'objectif est double. Il s'agit à la fois de permettre aux personnes qui
rencontrent des difficultés pour trouver un emploi d'accéder à une
qualification reconnue, mais aussi d'aider les entreprises ayant des
difficultés de recrutement à embaucher des salariés qualifiés.
Les contrats de qualification adultes ont concerné, en 1999, qui est l'année
de démarrage expérimental, 3 000 personnes. La montée en charge a été lente,
puisque l'on prévoit, pour 2002, 11 000 contrats, c'est-à-dire un peu moins que
la prévision initiale de l'année, à savoir 14 000. La principale raison de
cette montée en puissance difficile est évidemment la remontée du chômage, qui
affecte depuis un an l'ensemble des dispositifs et des contrats de
qualification.
Nous prévoyons, pour 2003, 14 000 contrats : autrement dit, nous reprenons
l'objectif initial non atteint de l'année passée. Cet objectif ne me paraît pas
hors d'atteinte, compte tenu de la situation réelle de l'économie et de
l'emploi.
Les derniers chiffres dont nous disposons laissent même présager une
progression plus forte : 1 200 entrées ont été enregistrées en octobre de cette
année, alors que la moyenne des autres mois était plutôt de l'ordre de 700.
Cela représente une augmentation considérable.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Très bien !
M. François Fillon,
ministre.
De toute façon, une modification du dispositif en 2003, alors
qu'il en est à sa première année de mise en oeuvre dans les nouvelles
conditions, serait plutôt de nature à freiner la montée en charge qu'à la
stimuler. Il faut, s'agissant d'un dispositif complexe, laisser aux acteurs le
temps de se l'approprier.
Pour ma part, je suis déterminé à encourager mes services à développer ce
dispositif, notamment en se rapprochant des branches professionnelles qui ne
cessent de nous dire qu'elles manquent de main-d'oeuvre qualifiée.
Votre deuxième question, madame Bocandé, porte sur la décentralisation de la
formation professionnelle et sur les inquiétudes qui se sont fait jour.
Vous avez souligné le risque de manque de lisibilité en cas de
décentralisation de la formation professionnelle. Pour ma part, je considère
que c'est à l'heure actuelle qu'existe une illisibilité de la formation
professionnelle en raison de l'enchevêtrement des compétences et des
financements entre les différents acteurs de la formation que sont les
partenaires sociaux - qui ont une responsabilité ô combien importante - les
collectivités territoriales, les régions essentiellement, et l'Etat.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis.
C'est clair !
M. François Fillon,
ministre.
Il faut rappeler en effet que les régions ont reçu une
compétence de droit commun en matière d'apprentissage et de formation
professionnelle depuis les lois de 1983 et de 1993. Mais, en réalité, l'Etat
continue d'assumer de nombreuses compétences.
Ainsi, en ce qui concerne l'apprentissage, c'est lui qui agrée les collecteurs
et qui effectue les contrôles pédagogiques et financiers. Pour les jeunes en
insertion, une partie du financement des missions locales et le programme TRACE
sont de la responsabilité de l'Etat. Il prend en charge la majeure partie des
formations des demandeurs d'emploi adultes, notamment dans le cadre de
l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA,
ainsi que leur rémunération. Il aide les entreprises et les branches
professionnelles à développer leur effort de formation grâce aux engagements de
développement de la formation.
Pour ma part, je considère donc que, avant d'aller plus loin dans la
décentralisation de la formation professionnelle, il faudrait clarifier le
paysage.
D'abord, il faudrait préciser les rôles respectifs de l'Etat et des régions.
L'Etat doit, me semble-t-il, conserver la responsabilité d'ordre législatif et
réglementaire de la définition et du contrôle du système de formation
professionnelle, ainsi que de la certification, c'est-à-dire les titres et
diplômes sanctionnant les parcours de formation ou la validation des acquis
d'expérience. L'Etat doit aussi rester garant de l'égalité d'accès et de
traitement des personnes au regard de la formation.
Ensuite, il conviendrait de définir les blocs de compétences qui pourraient
être transférées aux régions, en ayant à l'esprit que certains pans de la
formation professionnelle sont extrêmement liés à la politique de l'emploi qui,
elle, devrait rester de la compétence de l'Etat.
Par ailleurs, se pose le problème spécifique de l'AFPA pour laquelle plusieurs
scénarios peuvent être envisagés.
Enfin, il faudrait prévoir, à côté d'un « plus » de décentralisation, un «
mieux » de décentralisation, qui pourrait conduire à affirmer le rôle des
régions en matière de coordination des différentes politiques de formation
ainsi que de politiques d'accueil et d'orientation des personnes afin d'assurer
à chacun une véritable formation tout au long de la vie, ce qui, vous le
savez, est le fil conducteur de la politique du Gouvernement dans ce
domaine.
Ces clarifications, cette meilleure définition de la responsabilité des uns et
des autres, ces compétences nouvelles transférées aux régions devraient
évidemment s'accompagner d'une prise en compte, par les partenaires sociaux, de
l'échelon régional, qui, aujourd'hui, n'est pas tout à fait entré dans leurs
habitudes.
En termes de réformes législatives, enfin, est d'abord prévue, vous le savez,
une réforme constitutionnelle. C'est à l'issue celle-ci et des assises
régionales des libertés locales, au cours desquelles les régions auront pu
exprimer leurs souhaits, qu'un projet de loi organisant des transferts de
compétences et, le cas échéant, sur ce sujet complexe, des expérimentations
sera déposé au Parlement au printemps 2003.
Enfin, Mme Annick Bocandé m'a interrogé sur la validation des acquis de
l'expérience.
Nous avons prévu - et vous l'avez souligné, madame - de faire un effort
considérable en 2003 pour déployer ce dispositif, auquel le Gouvernement croit
beaucoup. Nous avons donc multiplié par cinq les crédits destinés à la mise en
place du réseau d'information et de conseil en validation des acquis de
l'expérience au développement des actions de validation, y compris les frais de
jury, et des actions d'accompagnement des candidats pour l'accès aux
certifications et, bien entendu, au financement de la Commission nationale de
la certification professionnelle et à celui du répertoire national des
certifications professionnelles.
La mise en oeuvre de ces trois objectifs est bien avancée.
Ainsi, six des septs décrets d'application de la loi de modernisation sociale
portant sur ce volet sont parus. Le dernier, qui permettra d'imputer les
dépenses de validation des acquis de l'expérience sur l'obligation légale de
formation continue, doit paraître très prochainement.
De plus, le réseau sur l'information-conseil en validation des acquis de
l'expérience est en cours de constitution, à l'échelon régional : il s'appuie,
vous le savez, sur un partenariat très étroit entre les régions et les services
de l'Etat.
Par ailleurs, le dispositif de validation du ministère des affaires sociales
pour l'accès à ses titres professionnels est en cours de constitution avec
l'aide de l'AFPA.
Enfin, pour en venir au point qui vous intéresse plus particulièrement, la
Commission nationale de la certification professionnelle, qui est placée auprès
du Premier ministre et qui comprend des représentants des partenaires sociaux,
des régions, des chambres consulaires et des ministères, a commencé ses travaux
de construction du répertoire national. La mission de cet organisme est de
clarifier le paysage des diplômes, des titres et des certificats de
qualification professionnelle - il en existe aujourd'hui 12 000 - en
constituant, à travers le répertoire, un véritable outil de référence et de
transparence pour les actifs, notamment pour faciliter l'accès à la validation
des acquis de l'expérience. Les données du répertoire doivent notamment servir
au réseau d'information-conseil en validation des acquis.
Un site provisoire, dont l'adresse est
www.cncp.gouv.fr,
est en cours
de finalisation. Il permettra de renseigner les parties intéressées, dès
décembre 2002, sur les diplômes et les titres délivrés au nom de l'Etat, ainsi
que sur les certifications homologuées inscrites au répertoire. Il sera
définitivement configuré à partir de juin 2003.
Je vous invite dès maintenant à le consulter : vous pourrez ainsi vous assurer
que la volonté du Gouvernement en la matière peut, à terme - vous l'avez
souligné, madame Bocandé -, déboucher sur une véritable révolution de
l'approche qu'a notre pays de la formation professionnelle.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
Nous passons aux questions.
Je rappelle que chaque intervenant dispose de cinq minutes maximum pour sa
question, que le ministre dispose de trois minutes pour répondre et que
l'orateur dispose d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mercredi
11 décembre prochain, 16 millions d'électeurs voteront pour élire leurs
conseillers prud'hommes. Cette élection quinquennale concerne une juridiction
unique en Europe.
Une très large majorité de Français a une bonne opinion des prud'hommes.
Pourtant, bien que le scrutin ait toujours lieu un jour ouvrable, le taux de
participation, lors du précédent renouvellement en 1997, n'a pas dépassé 34 %
dans le collège salariés et 21 % dans le collège employeurs. On ne peut se
satisfaire d'un tel signe de désintéressement, parce que c'est tout l'équilibre
de notre droit du travail qui pourrait, à terme, être affecté.
L'institution prud'homale, avec sa compétence, sa simplicité, sa proximité et
son paritarisme, constitue un rouage essentiel de notre cohésion sociale, dans
un environnement dynamique, puisque vivant. Si progrès économique et justice
sociale peuvent et doivent être rendus indissociables - vous en avez clairement
et fortement exprimé la volonté à cette tribune, monsieur le ministre, le 22
octobre dernier, à l'occasion de la discussion de la loi relative aux salaires,
au temps de travail et au développement de l'emploi -, cela tient à l'existence
de bonnes lois et à une bonne pratique des lois.
La justice prud'homale et sa jurisprudence peuvent et doivent contribuer à
cette conciliation entre la complexité de la vie et les principes éthiques qui
inspirent le cadre législatif et, selon vos propres propos, à ce bon
positionnement du curseur entre l'efficacité économique et la justice
sociale.
Animé par ce souci, je souhaiterais donc savoir ce que le Gouvernement a prévu
pour l'organisation de ces prochaines élections prud'homales, qui sont
réellement indissociables de l'harmonie architecturale de la vie économique et
sociale de notre pays, au même titre que le projet de budget que vous nous
présentez pour 2003.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Monsieur le sénateur, votre question me donne l'occasion de
souligner devant le Sénat l'importance de l'engagement de l'Etat dans
l'organisation des prochaines élections prud'homales, et je vous en
remercie.
C'est en effet une opération très lourde, puisqu'elle suppose de refondre les
listes électorales, d'organiser les opérations électorales, de mettre en place
de très nombreux bureaux de vote. Afin de préparer ces élections dans les
meilleures conditions, les services de l'Etat se sont mobilisés. Les mairies
les ont grandement aidés, et je voudrais ici les remercier tout
particulièrement.
Jamais autant de bureaux de vote n'auront été installés. Un effort tout
particulier a été fait pour qu'ils soient situés à proximité des lieux de
travail et qu'ils aient des horaires d'ouverture adaptés : pour la première
fois des bureaux de vote ont été installés dans des lieux privés, notamment
dans les halls des tours du quartier de La Défense. Dans la seule ville de
Strasbourg, le nombre des bureaux de vote est passé de un à près de soixante...
Ainsi, allons au-devant des salariés et des employeurs pour qu'ils puissent
voter.
En outre, nous avons considérablement facilité les modalités du vote par
correspondance. Enfin, nous avons lancé, par la voie de la presse écrite
audiovisuelle, une grande campagne d'information et de communication qui se
déroule actuellement et dont l'objet est de favoriser la participation à ces
élections.
Bien entendu, toute une série de difficultés sont apparues dans la mise en
oeuvre de ces dispositions : par exemple, il a fallu en même temps réorganiser
la distribution des bureaux de vote et envoyer dans les délais prescrits les
cartes d'électeur, lesquelles doivent elles-mêmes porter mention du bureau où
l'électeur votera.
Je voudrais aujourd'hui, à l'occasion de cette séance du Sénat, renouveller
mon message, à l'adresse de tous les salariés et de tous les employeurs : il
faut aller voter, il faut se mobiliser, car ce scrutin est d'une grande
importance non seulement, bien sûr, pour les relations du travail, mais
également, de manière indirecte, pour le monde syndical de notre pays et, par
conséquent, pour le dialogue social, que le Gouvernement appelle de ses
voeux.
Je vous remercie donc, monsieur le sénateur, de m'avoir donné l'occasion de
lancer de nouveau cet appel.
M. le président.
La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'exprimerai
tout d'abord, au nom du groupe socialiste, mon regret que l'organisation de la
discussion budgétaire nous limite à deux questions de cinq minutes sur un sujet
aussi important que l'emploi et le chômage.
M. Guy Fischer.
Il a raison !
M. Gilbert Chabroux.
C'est ainsi !
Pourtant, ce sujet, nous le savons bien, constitue la première préoccupation
des Français, et les questions sont nombreuses.
Devant donc être bref, j'évoquerai l'aggravation du chômage au cours de
l'année écoulée et sa conséquence, la dégradation inquiétante de la situation
financière de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans
l'industrie et le commerce, l'UNEDIC. Le rapporteur pour avis de la commission
des affaires sociales, M. Louis Souvet, a lui-même exprimé son inquiétude, et
je partage son analyse.
Vous avez apporté quelques éléments de réponse, monsieur le ministre, mais ils
ne nous semblent pas suffisants.
A la fin du mois de septembre 2002, le nombre de demandeurs d'emploi des
catégories 1 et 6 s'élevait à 2 678 200. A la fin du mois d'octobre 2002 - vous
venez de nous en indiquer les chiffres -, la situation est à peu près stable,
avec une légère diminution du chômage. Cependant, en une année, l'augmentation
est de 5,4 %.
Il faut d'ailleurs remarquer que le nombre de radiations administratives,
notamment celles qui sont liées au PARE, s'est dans le même temps fortement
accru, connaissant une progression de 72,8 %, de même que les entrées en stage,
qui augmentent de 25 %. Bref, la situation de l'emploi s'est fortement
dégradée.
Au cours des cinq années précédentes, 2 millions de créations nettes d'emplois
ont été enregistrées grâce à une politique de soutien à la croissance, avec
notamment le dispositif d'aménagement et de réduction du temps de travail,
l'ARTT, qui a apporté 300 000 emplois... et des mesures telles que les
emplois-jeunes. De juin 2001 à juin 2002, l'emploi salarié s'est encore accru
de 183 400 postes.
(Protestations sur les travées du RPR.)
Les différents organismes d'études constatent aujourd'hui un fort
ralentissement : presque plus aucun emploi n'est créé, ainsi que le relève
d'ailleurs le rapporteur pour avis, M. Louis Souvet.
L'emploi intérimaire, qui sert souvent d'amortisseur, est lui aussi en repli ;
il a perdu environ 80 000 postes en un an. Le chômage des jeunes continue de
progresser, en augmentation de 0,9 %, comme le chômage des femmes, en hausse de
1,5 %.
L'enquête trimestrielle d'activité de l'INSEE livrée le 6 novembre dernier
indique des commandes en repli, des capacités de production sous-utilisées, des
stocks importants et des perspectives d'emploi décevantes.
Dans son édition du 18 novembre dernier, le journal
Les Echos
- qui
n'est pas défavorable au Gouvernement ! - dresse un bilan plutôt pessimiste de
la situation : « Pour l'avenir, l'incertitude prévaut », ajoutant : « Selon
notre baromètre, les chefs d'entreprise ne sauteront pas sur les contrats
jeunes mis en place par le Gouvernement ; 74 % disent que cette mesure ne les
incitera pas à embaucher. »
M. Paul Blanc.
Pourquoi ?
M. Gilbert Chabroux.
Le journal
Les Echos
fait-il partie des oiseaux de mauvais augure,
monsieur le ministre ?
M. François Fillon,
ministre.
Cela arrive !
M. Gilbert Chabroux.
Partagez-vous cette analyse ? Comment voyez-vous l'avenir des contrats jeunes
?
Plus largement, la situation de l'emploi et l'aggravation du chômage soulèvent
deux questions : celle des comptes de l'UNEDIC, d'une part, et celle de la
pertinence de la politique gouvernementale de l'emploi, d'autre part.
Le régime d'assurance chômage terminera l'année 2002 avec un déficit de 3,7
milliards d'euros, et l'année 2003 ne s'annonce pas meilleure. D'ores et déjà,
l'UNEDIC a dû se résoudre à recourir à l'emprunt, pour un montant de 2,9
milliards d'euros, afin de faire face à ses échéances et de rétablir sa
trésorerie. Dans ces conditions, on ignore comment elle pourra rembourser à
l'Etat l'emprunt qui lui avait été consenti en 1993 ! Quel est le point de vue
du Gouvernement ?
Nous savons bien que c'est le dialogue social qui doit prévaloir - c'est ce
que vous avez dit -, mais l'Etat ne peut être indifférent aux mesures qui
seront éventuellement prises, sachant qu'il pourrait s'agir de la révision à la
baisse des règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi ou de l'augmentation
du taux des cotisations d'assurance chômage.
Ces risques semblent d'autant plus grands qu'une importante série de plans
sociaux d'envergure est annoncée. D'ici à la fin de l'année, ce sont des
milliers d'emplois qui seront supprimés, sans compter la sous-traitance, qui
sera également directement touchée.
Comment le Gouvernement voit-il l'évolution de la situation de l'emploi, celle
du chômage et celle de l'assurance chômage ? Quelles mesures nouvelles
envisagez-vous de prendre, monsieur le ministre, pour contrecarrer l'évolution
prévisible, qui est particulièrement inquiétante ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Les chiffres sont les chiffres, monsieur Chabroux,...
M. Gilbert Chabroux.
Je les ai cités aussi !
M. François Fillon,
ministre. ...
et il est toujours difficile de voir les chiffres ne plus
correspondre aux propos que l'on tient !
M. Gilbert Chabroux.
Les chiffres sont objectifs !
M. François Fillon,
ministre.
On est alors obligé de faire de l'équilibrisme pour pouvoir
continuer à dérouler un discours qui, de notre point de vue, ne correspond pas
à la réalité et avec lequel nous avons souhaité rompre.
Nous voulons que notre pays soit en état de recueillir le moindre souffle de
croissance pour créer des emplois et, si la croissance venait à se raffermir et
à se renforcer, pouvoir enfin réaliser des performances en matière économique
et en matière d'emploi qui soient comparables à celles des meilleurs de la
classe européenne.
Aujourd'hui nous figurons parmi les mauvais élèves, malgré les artifices - car
c'étaient bien des artifices ! - qui ont été employés par le Gouvernement
précédent en matière de réduction du temps de travail et en matière d'emplois
aidés. Car ces derniers ont un coût pour l'économie française et pour sa
compétitivité ! Bien des signes apparaissent inquiétants pour l'avenir, pour la
place de la France dans l'évolution des grandes sociétés industrielles, pour
l'attractivité du territoire français pour les investissements non seulement
étrangers, mais même français.
Je voudrais, monsieur Chabroux, attirer votre attention sur le fait que les
cent premières entreprises françaises ont réalisé en France, l'année dernière,
moins de 15 % du total de leurs investissements. Et je ne parle là que de
groupes français, de groupes qui ont leur siège social dans notre pays !
Nous devons être capables de trouver des réponses à cette situation
extrêmement grave, sous peine de voir notre pays se désindustrialiser
progressivement, reculer en termes de richesse par habitant, en termes de taux
d'emploi, alors que nous sommes déjà à un rang qui ne correspond pas à ce que
nous représentons, à notre potentiel, à nos capacités. Tout cela finira par
peser gravement sur notre modèle social, que nous souhaitons pourtant conserver
et renforcer.
S'agissant de l'UNEDIC, monsieur Chabroux, je sais bien que vous allez être
extrêmement déçu de la réponse que je vais vous faire. Pourtant, quel ministre
de l'emploi, quel ministre chargé du travail pourrait vous en faire une autre ?
Des négociations se déroulent actuellement entre les partenaires sociaux.
M. Christian Demuynck.
Et voilà !
M. François Fillon,
ministre.
Comment voulez-vous qu'aujourd'hui le Gouvernement indique à
l'avance aux partenaires sociaux - mais peut-être était-ce là la conception que
vous aviez du dialogue social ! - dans quelle direction ils doivent aller, sur
quels points l'Etat veut les voir avancer ? Si nous le faisions, les
partenaires sociaux seraient en droit de nous remettre la décision entre les
mains. Nous ne le ferons pas, et j'attendrai qu'ils présentent leurs
propositions pour faire mes commentaires.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Les chiffres sont les chiffres, et ceux que j'ai cités sont parfaitement
objectifs.
M. Jean Chérioux.
Mais les commentaires ne le sont pas !
M. Gilbert Chabroux.
La situation de l'emploi s'aggrave, et nous en sommes tous conscients.
Vous-même, monsieur le ministre, soulignez que l'avenir est incertain, même si
vous voulez relativiser « les catastrophes annoncées par ceux qui y ont intérêt
», selon vos propres termes. Une avalanche de plans sociaux va se produire ; la
situation ne va cesser de se dégrader.
Pour ma part, je m'interroge sur l'adéquation de la politique suivie depuis
six mois par le Gouvernement et sur sa capacité à contrecarrer cette
évolution.
La suppression, effective ou programmée, des emplois-jeunes ; la fin du
programme TRACE du fait de la suppresssion de la bourse d'accès à l'emploi ; la
limitation du nombre de contrats emploi-solidarité, les CES, de contrats
emplois consolidés, les CEC, de contrats initiative-emploi, les CIE,
l'augmentation des heures supplémentaires, au détriment de l'emploi, liée à la
modification de la loi sur les 35 heures ; la baisse des crédits d'insertion
par l'économique ; l'abrogation prochaine des articles de la loi de
modernisation sociale relatifs aux licenciements et aux plans sociaux : tout
cela constitue un ensemble de mesures qui va manifestement à l'encontre de
l'insertion professionnelle des demandeurs d'emploi et, surtout, des personnes
en difficulté.
La seule politique que vous sachiez mener en matière d'emploi consiste en une
nouvelle augmentation des allégements de cotisations sociales patronales.
M. Paul Blanc.
Eh oui !
M. Gilbert Chabroux.
La réorientation vers le secteur marchand est donc exclusive. Dans un contexte
de croissance atone, cela pourrait avoir pour conséquence, après plusieurs
années de propagande sécuritaire qui ont marqué les esprits, que l'emploi
revienne au premier plan. Il n'a d'ailleurs jamais cessé, dans tous les
sondages publiés, d'être la première préoccupation exprimée par les Francais,
et nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous en soyez pleinement
conscient.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Paul Blanc.
Baisse de 0,1 %, voilà le chiffre de ce matin !
M. le président.
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Dans le contexte économique et social que nous connaissons, marqué par la
dégradation de la situation de l'emploi et par des annonces en cascade de plans
sociaux, vous nous présentez, monsieur le ministre, un projet de budget en
baisse d'environ 290 millions d'euros, et la majorité sénatoriale, pour faire
bonne mesure, propose de supprimer 5 millions d'euros supplémentaires.
C'est sur le titre IV, qui regroupe l'essentiel des crédits de votre
ministère, que les mouvements sont les plus importants. La disparition des
emplois-jeunes est programmée, de même que celle des deux tiers des CES. Le
financement du dispositif TRACE et des entreprises d'insertion est lui aussi
largement amputé. La seule ouverture significative de crédits concerne les
contrats jeunes en entreprises.
Votre politique de l'emploi, tournée vers le seul secteur marchand, est axée
sur l'abaissement du coût du travail.
Pour prendre la mesure du coût global de la politique de l'emploi, il convient
toutefois d'évoquer les montants colossaux qui sont consacrés aux allégements
de cotisations sociales patronales. Le rapport spécial de la commission des
finances confirme nos craintes. En 2003, « le coût des allégements de charges
financés par le FOREC s'élèvera à 16,56 milliards d'euros, soit un montant pour
la première fois supérieur à celui prévu pour le budget du travail : 15,72
milliards d'euros ».
La politique d'exonérations générales sur les bas salaires apparaît comme la
seule ambition du Gouvernement.
Non seulement vous ne vous dotez pas des bonnes armes pour mener le combat
pour l'emploi, mais, de surcroît, vous négligez l'amélioration des conditions
de travail, la préservation de la sécurité et de la santé des salariés.
Pourtant, après le scandale de l'amiante, après la catastrophe d'AZF à
Toulouse, qui constitue le plus grave accident du travail de ces dernières
décennies, la question de la prévention et de l'évaluation des risques dans les
entreprises est devenue incontournable.
Les logiques de l'emploi et de la prévention ne sont pas inconciliables. Il
convient par conséquent, d'une part, de faire avancer le concept d'évaluation
des risques dans l'entreprise et hors de l'entreprise et, d'autre part, de
responsabiliser chacun des acteurs de la prévention, parmi lesquels figurent,
au premier rang, les chefs d'entreprise, mais aussi l'inspection du travail,
les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de
l'environnement, les DRIRE, la médecine du travail, les salariés et leurs
représentants, par le biais des comités d'hygiène, de sécurité et des
conditions de travail, les CHSCT, ainsi que les services des caisses régionales
d'assurance maladie, les CRAM.
Je ne pense pas, monsieur le ministre, que vous ayez réellement la volonté de
remplir en ce domaine votre devoir d'extrême vigilance. L'attentisme des
pouvoirs publics concernant les éthers de glycol, par exemple, dont la nocivité
est admise par tous, est dangereux. Vous avez certes annoncé la semaine
dernière la présentation prochaine d'un projet de loi relatif à la prévention
des risques industriels, vous entendez renforcer le rôle des entreprises et
celui des CHSCT - les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de
travail, mais votre budget ne contient aucun signe incitatif en ce sens.
Au contraire, les crédits du fonds pour l'amélioration des conditions de
travail, le FACT, géré par le ministère, enregistrent une baisse. Dans ces
conditions, comment vouloir que cet outil participe à la dynamisation de la
démarche de prévention au sein des entreprises ? Les crédits servant à financer
les projets structurants de modernisation du système de prévention des risques
professionnels diminuent, eux aussi, de 4,36 %.
Quant à l'évaluation
a priori
des risques, le code du travail contient
cette obligation, qui découle de la directive européenne du 12 juin 1989. Douze
ans plus tard, un décret du 5 novembre 2001 a fait obligation aux employeurs de
formaliser dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques, à
la suite de quoi, enfin, les débats ont été ouverts dans les entreprises.
Mais, par les orientations données aux inspecteurs et aux contrôleurs du
travail chargés de contrôler et de faire appliquer les lois et réglementations
protectrices de salariés, vous avez, monsieur le ministre, en quelque sorte
sapé la dynamique de la démarche de prévention.
Non seulement ce corps de contrôle n'est pas assez important - seules 1 200
personnes doivent veiller aux conditions de travail de 15 millions à 16
millions de salariés -, mais, en outre, alors que 1 % seulement des infractions
constatées en matière de santé et de sécurité du travail sont relevées, par une
circulaire du mois de juin 2002, la direction des relations du travail a
demandé à ses inspecteurs de se montrer « compréhensifs » à l'égard des
employeurs !
Monsieur le ministre, la santé, la vie des salariés méritent au contraire une
action déterminée et inflexible des pouvoirs publics. Quels moyens comptez-vous
y consacrer ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Monsieur le sénateur, depuis un an, les entreprises sont tenues
d'établir un document unique d'évaluation des risques pour la santé et la
sécurité des travailleurs.
Il s'agit certes d'une contrainte administrative supplémentaire, mais dont
l'objectif est que chaque entreprise entreprenne une démarche d'évaluation
régulière des risques et en déduise les mesures préventives à prendre. C'est
dans cet esprit que je veux considérer ce document. L'analyse du risque est en
effet la première étape pour celui-ci, voire, si c'est possible, pour
l'éliminer.
Ce sujet de la prévention des risques nécessite une implication de tous les
acteurs, et le Gouvernement y est particulièrement attaché. C'est la raison
pour laquelle j'ai indiqué qu'il n'était pas souhaitable de repousser la mise
en oeuvre des sanctions pénales.
Cette obligation est prévue par une directive de 1989 sur la santé et la
sécurité au travail. Par ailleurs, certaines sanctions pénales prévues par le
décret du 7 novembre 2001 peuvent être appliquées à compter du 8 décembre 2002.
Le Gouvernement a décidé de ne pas modifier ce décret, qui correspond à une
obligation ancienne et utile dans son principe.
Je vais cependant donner aux inspecteurs du travail un certain nombre
d'indications sur la manière dont le Gouvernement comprend cette démarche
d'évaluation. En effet, il s'agit pour moi moins d'une formalité bureaucratique
que d'une véritable réflexion préventive, et sa portée ne peut manquer d'être
en rapport avec la nature des risques encourus et la taille de l'établissement
en cause.
La mission de contrôle et, le cas échéant, de sanction ne saurait donc être
exercée sans discernement et sans un accompagnement préalable des entreprises,
dans une démarche partagée de prévention.
Pour les petites et moyennes entreprises, en particulier, le recours à des
modèles simples est envisageable, mais il doit reposer sur une réelle démarche
d'évaluation et de prévention des risques. Différentes organisations
patronales, tant au niveau interprofessionnel qu'au niveau des branches, ont
réalisé et diffusé à l'ensemble de leurs adhérents des brochures d'explication,
voire des modèles. Plus d'une centaine de ces démarches sont en cours. Ces
actions très positives, et que nous encourageons, ne doivent pas exonérer
chaque entreprise d'une réflexion plus en profondeur sur les risques
encourus.
S'agissant des moyens mis en oeuvre, l'évaluation des risques au sein des
entreprises implique, vous le savez, outre le chef d'entreprise, l'ensemble des
acteurs chargés de la sécurité au travail, plus particulièrement les médecins
du travail, en leur qualité de conseillers du chef d'entreprise, mais aussi les
comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail, comme j'ai eu
l'occasion de le souligner la semaine dernière lors d'un colloque organisé sur
ce thème par le Conseil économique et social.
Cela suppose une approche pluridisciplinaire des questions de sécurité au
travail impliquant l'ensemble des acteurs.
Je souligne, à cet égard, qu'un projet de décret est en cours de préparation ;
il vise précisément à organiser cette approche pluridisciplinaire, les
partenaires ayant été consultés sur ce projet dans le cadre du Conseil
supérieur de la prévention des risques professionnels.
Bien entendu, ce projet respectera le principe même de l'indépendance du
médecin du travail, indépendance qui sera renforcée dans le cadre des décrets
pris en application de la loi du 17 janvier 2002.
M. le président.
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le ministre, il est indispensable que le débat sur les risques
professionnels ne soit pas seulement nourri par des affirmations politiques,
même généreuses, en l'absence des moyens humains et financiers nécessaires et
d'une réelle volonté.
Vous avez évoqué l'inspection du travail. Il faut bien dire que l'inspection
du travail n'a jamais fait preuve d'une répression extrême à l'égard des
employeurs. Cela découle des instructions qu'elle a reçues en permanence et qui
ne datent pas d'aujourd'hui.
Et la situation ne s'arrange pas avec les orientations de votre ministère !
J'ai cité tout à l'heure la circulaire de juin 2002. En privilégiant, là aussi,
le partenariat avec les entreprises, dont on nous abreuve dans les discours,
vous abandonnez le nécessaire contrôle rigoureux de celles-ci.
Vous savez, par ailleurs, que peu d'entreprises disposent de CHSCT,
d'organisations syndicales.
Quant à la médecine du travail, elle exerce sa fonction dans le cadre d'un
lien de subordination, soit direct avec l'employeur, soit indirect lorsqu'il
s'agit de services interentreprises.
Je crois vraiment qu'en n'abordant pas avec suffisamment de détermination
cette question de l'évaluation des risques dans les entreprises, c'est
vous-même qui prenez des risques énormes.
L'évaluation est faite par les employeurs, et c'est en fonction d'elle que la
réglementation s'applique ou non. Il y a bien là un problème !
Si l'on fait le bilan, on ne peut que constater une multiplicité d'acteurs -
vous en avez parlé - une dispersion des moyens, une inefficacité certaine et un
résultat désastreux quant à la surmortalité ouvrière.
Les chiffres de l'INSEE montrent qu'un ouvrier sur cinq meurt entre vingt-cinq
et cinquante-quatre ans. C'est un chiffre terrible, qui devrait interpeller les
pouvoirs publics, mais qui continue à être soigneusement ignoré.
La prévention des risques doit devenir réellement une politique publique ;
c'est le souhait que nous émettons.
Jusqu'à ce jour, le Gouvernement n'a absolument pas laissé penser que telle
était sa volonté ; c'est extrêmement préoccupant.
Vous venez de nous indiquer qu'un certain nombre de décrets allaient paraître
; nous les examinerons avec la plus grande attention, en espérant qu'ils
contiennent des éléments de réponse à ce grave problème que posent les
centaines de milliers de salariés qui risquent leur vie au travail.
M. le président.
La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc.
Monsieur le ministre, vous connaissez mon engagement auprès des personnes
handicapées. Ma question, qui concerne leur insertion dans le monde du travail,
ne vous étonnera donc certainement pas.
La politique en faveur de l'emploi des personnes handicapées repose sur trois
dispositifs complémentaires.
Le premier est l'obligation d'emploi, dont le bilan est plutôt mitigé. En
effet, dans le secteur privé, les situations sont très constrastées d'une
entreprise à l'autre. Quant au secteur public, qui fait figure de mauvais
élève, si je puis dire, la situation devrait s'améliorer avec le renforcement
des moyens du fonds d'insertion des travailleurs handicapés.
Le deuxième est constitué des financements de l'association pour la gestion du
fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, dont les
aides sont précieuses mais dont les réserves diminuent, et qui ne prennent pas
en compte la nécessité d'accompagnement social des travailleurs handicapés.
Vous avez d'ailleurs tout à l'heure insisté, évoquant les CES, sur cette
nécessité d'accompagnement social de ceux qui sont dans les plus grandes
difficultés.
Le troisième dispositif est celui de l'emploi en milieu protégé, qui est
essentiel pour permettre aux travailleurs plus lourdement handicapés d'avoir
une activité professionnelle.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement a fait de l'insertion
professionnelle des travailleurs handicapés une de ses priorités. A ce titre,
les moyens consacrés sont renforcés puisque vous parlez de la création de 3 000
places en centres d'aide pour le travail, les CAT, et de 500 en ateliers
protégés.
Nous ne pouvons que nous féliciter de ces orientations, qui traduisent
d'ailleurs la volonté exprimée par le Président de la République, le 14 juillet
2002.
Pour autant, l'effort est à poursuivre, notamment pour l'insertion
professionnelle en milieu ordinaire.
En effet, l'emploi des travailleurs handicapés reste insuffisant : le nombre
de demandeurs d'emploi handicapés est ainsi passé le 135 000 en 2000 à 142 821
en 2001, ce qui représente 5,8 % du total des demandeurs d'emploi. Or les
travailleurs handicapés constituent l'une des catégories les plus vulnérables
sur le marché de l'emploi.
La dégradation de la conjoncture en 2002 et les incertitudes concernant la
croissance en 2003 - même si les chiffres cités ce matin montrent une légère
diminution des demandeurs d'emploi - laissent craindre une détérioration plus
que proportionnelle de la situation de l'emploi des personnes handicapées,
notamment des plus jeunes.
Or on constate depuis quelques années une tendance à la baisse des aides à
l'emploi en faveur des personnes handicapées.
Ainsi, les contrats aidés en faveur des personnes handicapées - CES, CEC et
CIE - sont devenus moins nombreux et sont désormais moins attractifs pour les
employeurs, notamment le CIE, dont la prime a été baissée. Pourtant, ces
contrats constituent un moyen d'accès privilégié à l'emploi des personnes
handicapées.
En 2001, ils représentaient 55 % des contrats conclus après l'intervention du
réseau « Cap emploi », alors qu'ils en représentaient encore 67 % en 1999.
Cette diminution de la proportion des contrats aidés tient à la diminution des
contrats aidés en général financés par l'Etat, lequel a souhaité, fort
légitimement d'ailleurs, un recentrage vers les publics les plus éloignés de
l'emploi.
De même, les primes à l'insertion des personnes handicapées, versées par
l'AGEFIPH, ont été révisées à la baisse en 2001 alors qu'elles contribuent
fortement à l'insertion professionnelle.
Si ces révisions à la baisse pouvaient, à la limite, se justifier au moment où
le chômage diminuait fortement, elles ne sont plus d'actualité quand celui-ci
augmente, même si, je l'ai dit tout à l'heure, on annonce aujourd'hui de
meilleurs chiffres. En effet, une augmentation du chômage touche au premier
chef les travailleurs handicapés, qui sont souvent en bout de la « file
d'attente » des demandeurs d'emploi.
Les employeurs considèrent d'ailleurs que ces aides à l'emploi peuvent
constituer une bonne méthode pour favoriser l'embauche des personnes
handicapées.
J'ai pris l'initiative, en juillet dernier, de déposer un amendement afin de
rendre plus favorables encore les contrats jeunes en entreprises pour les
jeunes handicapés, qui me semblaient être parmi les publics qui en avaient le
plus besoin.
J'ai aussi souhaité améliorer en faveur des personnes handicapées le
dispositif d'allégement des charges sur les bas salaires que nous avons voté en
octobre.
Je connais le contexte budgétaire dans lequel le pays se trouve, mais
j'aimerais cependant que vous puissiez nous exposer, monsieur le ministre,
quelles sont les pistes sur lesquelles vous travaillez pour continuer à
favoriser l'insertion professionnelle des personnes handicapées, qui doit
demeurer prioritaire.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Tout le monde connaît l'engagement personnel - et d'une grande
efficacité - de M. Paul Blanc en ce domaine, et je tiens à lui répondre le plus
précisément possible.
Le taux d'emploi direct des travailleurs handicapés dans les entreprises du
secteur privé et du secteur public industriel et commercial est de 4,1 % en
2000 - c'est le dernier chiffre à notre disposition -, ce qui correspond à 219
000 personnes employées. L'objectif de 6 % prévu par la loi de 1987 n'est donc
pas atteint. Le taux d'emploi stagne autour de 4 %. En 2000, 36,7 % des
entreprises assujetties, c'est-à-dire les entreprises qui emploient plus de
vingt salariés, n'employaient aucun travailleur handicapé.
Le Gouvernement ne peut évidemment pas se satisfaire de cette situation.
L'insertion professionnelle est un facteur décisif d'insertion sociale des
personnes handicapées et celle-ci doit être recherchée en priorité dans le
milieu ordinaire de travail.
Pour l'entreprise, employer un travailleur handicapé n'empêche nullement de
bénéficier de compétences adaptées à ses besoins.
Il faut que les mentalités changent en la matière. Afin d'inciter à l'embauche
des travailleurs handicapés, une loi de janvier 2002 a complété les textes sur
l'obligation d'emploi avec la prise en compte des titulaires de contrats
d'insertion en alternance dans les bénéficiaires de l'obligation d'emploi, avec
la possibilité de s'acquitter partiellement de cette obligation en accueillant
des personnes handicapées en stage au titre de la formation professionnelle et,
afin d'inciter les partenaires sociaux à se mobiliser pour l'emploi direct dans
l'entreprise, avec l'insertion obligatoire d'un plan d'embauche dans les
accords de branche, d'entreprise ou d'établissement conclus dans le cadre de
l'obligation d'emploi.
La convention d'objectifs 1999-2003 conclue entre l'AGEFIPH et l'Etat permet
de faire converger les moyens du fonds pour l'insertion professionnelle des
personnes handicapées, d'une part, et ceux du service public de l'emploi,
d'autre part, au profit d'emplois prioritaires visant l'embauche et le maintien
de travailleurs handicapés dans l'entreprise.
Ainsi, l'AGEFIPH a prévu de consacrer, en 2002, 411 millions d'euros aux
mesures d'aide aux travailleurs handicapés, dont 17 millions d'euros au
conseil, au diagnostic et à la formation dans les entreprises, 33 millions
d'euros à l'aménagement des postes de travail, 73 millions d'euros aux primes
aux employeurs et aux travailleurs handicapés et 25 millions d'euros à la
création d'activités.
Par ailleurs, les travailleurs handicapés font partie des publics prioritaires
de la politique de l'emploi, pour lesquels le ciblage des mesures a été
renforcé. Leur part dans les CIE, par exemple, était de 19 % en 2001 alors
qu'elle ne représentait que 8 % en 1996. Les 119 structures Cap emploi,
maintenant solidement constituées en réseau au service de l'emploi des
travailleurs handicapés, ont réalisé, en 2001, 42 258 placements, dont 45 % en
CDI et 72 % par contrat de plus de douze mois.
L'année qui vient sera donc, monsieur le sénateur, celle du renouvellement de
la convention entre l'Etat et l'AGEFIPH. Sur la base notamment des derniers
rapports de l'IGAS - l'inspection générale des affaires sociales - et de la
Cour des comptes, et au vu de la situation présente de l'insertion
professionnelle des personnes handicapées, cette nouvelle convention sera
l'occasion de s'interroger sur les relations et les engagements réciproques
entre cet organisme et l'Etat, sur la complémentarité nécessaire des mesures de
droit commun et des mesures spécifiques, sur l'extension du périmètre
d'intervention de l'AGEFIPH, - fonction publique, milieu de travail protégé -
et sur de possibles évolutions statutaires ou législatives, notamment dans le
cadre de la révision de la loi d'orientation de 1975.
A cette occasion seront pris en compte celles des soixante-quinze propositions
contenues dans le rapport de M. Blanc pour une politique de compensation du
handicap portant sur les domaines du travail en milieu ordinaire et en milieu
protégé, six d'entre elles, notamment, citant expressément les évolutions
attendues de l'AGEFIPH.
Il n'est pas acceptable, monsieur le sénateur, comme vous l'avez dit, qu'un
tiers des entreprises, dans le champ de la loi de 1987, n'ait jamais embauché
un travailleur handicapé. Il faut que nous fassions tomber les obstacles
psychologiques et l'assimilation erronée du handicap à l'incompétence ; c'est
le grand chantier que le Président de la République a lancé et qui va donner
lieu à la discussion d'une grande loi en 2003.
M. le président.
La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc.
Monsieur le ministre, je pense que la renégociation des conventions avec
l'AGEFIPH permettra de prendre en compte l'accompagnement social qui doit
obligatoirement être prévu dans le cadre du fonctionnement handicap-emploi. En
tout cas, je suis à votre entière disposition pour discuter avec vous de ces
problèmes.
M. le président.
La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question
portera sur la considérable diminution des actions en faveur des publics
prioritaires.
Le financement global de ces actions est en baisse de 33 %. Les crédits des
contrats emploi-solidarité perdent 72,5 % de leur montant : du jamais vu, sauf
lorsqu'un gouvernement entend supprimer une mesure. Les crédits des contrats
emploi consolidés sont en baisse de 4 % et les contrats initiative emploi,
pourtant destinés au secteur privé, qui a toutes vos faveurs, monsieur le
ministre, diminuent de 38 %.
Quant aux crédits de l'insertion par l'économique, ils baissent de 11 %, comme
la dotation affectée au RMI. Les dotations pour les stages d'insertion et de
formation, les SIFE, sont en baisse de 20 millions d'euros.
Les mesures en faveur des jeunes connaissent le même sort, avec l'extinction
des emplois-jeunes, dont la dotation baisse de 450 millions d'euros, et la
suppression de la bourse d'accès à l'emploi, qui garantissait aux jeunes la
possibilité de rester dans le programme TRACE jusqu'à leur insertion. Vous
économisez ainsi sur ces jeunes en difficulté 50 millions d'euros, tout en
prétendant qu'un même nombre d'entre eux sera accueilli dans le programme.
Même si vous utilisez la totalité des reports comme vous voulez le faire, on
voit mal comment vous parviendrez à maintenir en état de marche ces
dispositifs. Nous assistons à un véritable carnage budgétaire, qui risque
d'aboutir à de graves difficultés sociales.
En revanche, les dotations pour les allégements de cotisations sociales
patronales connaissent une croissance exponentielle de près de 18 milliards
d'euros, sans qu'aucune contrepartie soit esquissée pour les salariés. Bien au
contraire, vous êtes en train de faire voter une loi visant à stopper le
processus de réduction du temps de travail.
Tout cela est le reflet d'un choix politique, voire idéologique, mais la
question se pose de savoir s'il s'agit bien d'un choix mûrement réfléchi en
matière économique et sociale.
Or la croissance est aujourd'hui en capilotade à peu près partout dans le
monde. L'environnement économique est donc défavorable, ce qui ne peut manquer
d'avoir de fâcheuses répercussions sur l'emploi.
Bien entendu, nous le constatons dès à présent dans nos permanences, ce sont
les personnes les moins qualifiées, les plus fragilisées, tant
professionnellement que personnellement, qui font les premières les frais de
cette situation.
C'est curieusement ce moment que le Gouvernement a choisi pour diminuer dans
des proportions jusqu'alors inconnues tous les dispositifs en direction de ces
personnes. Que vont-elles devenir ?
Espérez-vous vraiment que le secteur privé va, à lui seul, absorber non
seulement l'ensemble des demandeurs d'emploi immédiatement employables mais
aussi tous ceux qui sont en difficulté ? Pensez-vous que tous les jeunes qui
passaient depuis 1997 par le sas de l'emploi-jeune vont, demain, trouver un
emploi en entreprise ?
Nombre d'élus de la majorité éprouvent aussi de l'inquiétude à cet égard, à
commencer par M. Jacques Barrot, président du groupe à l'Assemblée nationale,
qui a tiré la sonnette d'alarme dès l'annonce des coupes sur le budget des CES.
M. Barrot connaît, comme tout un chacun ici, l'angoisse de l'élu local dont la
permanence se remplit de salariés victimes de plans sociaux et de personnes qui
attendent un contrat aidé que l'on ne peut pas financer.
Le Gouvernement a donc été amené à reculer, tout au moins verbalement, et à
annoncer que 20 000 CES seraient créés chaque mois. Voilà qui paraît
difficilement réalisable puisque vous ne changez pas votre prévision budgétaire
! Sans doute des ajustements au fil de l'eau seront-ils effectués.
Ce n'est pas jouer les Cassandre que rappeler le nombre impressionnant de
plans sociaux en préparation : une cellule de crise a même été mise en place
pour y faire face. Des conséquences sur des bassins d'emploi tout entiers, par
l'effet de la sous-traitance, sont prévisibles.
Les chefs d'entreprise, selon toutes les enquêtes disponibles, ne manifestent
aucune intention d'investir ; ce peut être compréhensible, mais c'est surtout
préoccupant ! Ainsi que cela a déjà été rappelé, 74 % des chefs d'entreprise
interrogés par le journal
Les Echos
ont d'ailleurs indiqué qu'ils ne
comptaient pas utiliser vos contrats jeunes.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, si, dans ce contexte économique
défavorable, vous espérez réellement endiguer la montée du chômage en vous en
remettant presque exclusivement au secteur marchand.
Ne craignez-vous pas de mener ainsi, en matière d'emploi, une politique dont
les primo-demandeurs d'emploi et les moins favorisés seront les victimes et,
accessoirement, face à laquelle les élus locaux se trouveront en première ligne
?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Madame le sénateur, vous considérez que la lutte contre le
chômage passe par la création d'emplois aidés dans le secteur public. Nous
pensons le contraire.
Vous et vos amis devriez d'ailleurs être plus modestes dans vos affirmations
sur ce sujet compte tenu de l'échec de la politique que vous avez conduite.
M. Paul Blanc.
Exactement !
M. François Fillon,
ministre.
Vous annoncez, parfois même avec un peu de gourmandise, des
avalanches de plans sociaux. Nous verrons si se produiront demain de telles
avalanches ! Aujourd'hui, ce que je constate, c'est que nombre de ces plans
sont le résultat de la politique que vous avez conduite.
M. Christian Demuynck.
Voilà la réalité !
M. François Fillon,
ministre.
Ces entreprises délocalisent, en effet, leurs activités dans
des pays voisins parce qu'elles estiment que, aujourd'hui, la France ne remplit
pas suffisamment les conditions propres à la rendre compétitives. Et cela
concerne de très grandes entreprises, auxquelles nous sommes très attachés : je
pense notamment à nos constructeurs automobiles, qui délocalisent très
largement leurs activités, notamment vers des pays d'Europe de l'Est où les
conditions faites à l'entreprise sont très différentes de celles que vous avez
mises en oeuvre.
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. François Fillon,
ministre.
Votre réquisitoire contre la politique de l'emploi du
Gouvernement est, en réalité, la constatation d'un changement de support : nous
donnons la priorité à l'emploi marchand et à l'assouplissement des règles qui,
aujourd'hui, contraignent de manière excessive les entreprises, et nous en
tirons toutes les conséquences dans le cadre de ce budget.
Vous me permettrez, s'agissant des CES, de vous confirmer simplement que nous
sommes engagés sur un rythme de création moyen d'environ 20 000 contrats par
mois. Avec les 80 000 CES prévus dans le projet de loi de finances et les 80
000 autres qui résultent des crédits reportés de 2002 sur 2003, nous disposons
déjà d'un socle de 160 000 contrats possibles. Comme nous sommes pragmatiques,
comme nous ne faisons pas de la création d'emplois dans le secteur public
l'outil essentiel de la lutte contre le chômage, nous adapterons ce dispositif,
à la hausse ou à la baisse, en fonction de la réalité de la situation de
l'emploi qui, pour le moment, ne semble pas souffrir des catastrophes que vous
continuez d'évoquer inlassablement, sans tenir compte de la réalité de
l'économie.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le ministre, vos réponses ne me satisfont pas. Le Gouvernement a fait
le choix d'une société libérale très dure, en mettant en place des mesures qui
fabriqueront des exclus en grand nombre.
Qu'en est-il du discours du Premier ministre se disant à l'écoute des gens
d'en bas ?
M. Jean Chérioux.
Il les écoute !
M. le président.
La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Votre projet de budget, monsieur le ministre, se caractérise notamment par la
réorientation des crédits en faveur des emplois aidés vers le secteur marchand
et par le rééquilibrage réalisé entre les dispositifs d'insertion des personnes
les plus éloignées de l'emploi.
Vous opérez, en particulier, un recentrage des dispositifs des contrats
emploi-solidarité et des contrats emploi consolidé vers les publics les plus en
difficulté.
Je considère que cette orientation est souhaitable. En effet, ces aides ont un
coût budgétaire élevé - plus de un milliard d'euros dans le projet de loi
initial pour 2002 - alors que les résultats en matière d'insertion sont, pour
le moment, encore faibles : seule une personne sur cinq bénéficiaire d'un CES
trouve un emploi non aidé par la suite.
Toutefois, la baisse des crédits consacrés aux CES et aux CEC dans le projet
de loi de finances pour 2003 a suscité une certaine inquiétude au moment de la
présentation de votre budget.
En effet, si ces contrats ne sont pas totalement satisfaisants du point de vue
des résultats en matière d'insertion professionnelle, ils permettent cependant
à certaines des personnes les plus en difficulté de rester en contact avec le
monde du travail, avec ses droits mais aussi ses devoirs.
Il faut également noter que la baisse des crédits n'est pas si massive qu'il y
paraît puisqu'il faut prendre en compte le report de crédits de 2002 sur
2003.
Vous avez donc annoncé, monsieur le ministre, un certain nombre de mesures qui
revoient à la hausse le nombre de contrats prévus ainsi que le taux de prise en
charge financière par l'Etat. Cette annonce est, bien sûr, de nature à rassurer
les personnes concernées et les professionnels de l'insertion. Toutefois,
certaines questions demeurent en suspens.
Ainsi, selon quels critères le taux majoré jusqu'à 95 % sera-t-il accordé pour
la prise en charge financière des contrats ?
Dans quel cadre les entreprises d'insertion qui gèrent ces contrats
pourront-elles demander que les personnes dont elle s'occupent en bénéficient
?
Sur la totalité des CES, quelle part bénéficiera, selon vous, du maintien des
taux majorés, et pour quel coût ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement, comme je viens de le
dire, entend maintenir un volume suffisant de CES, avec un rythme de création
moyen d'environ 20 000 contrats par mois. A ce stade, nous disposons de crédits
pour 160 000 CES en 2003 dont 80 000 seront financés sur des crédits reportés
de 2002 sur 2003. Ce chiffre constitue un plancher, qui pourra être revu à la
hausse en cours d'année, comme cela a toujours été le cas depuis la création
des CES, si les besoins des publics concernés le justifient.
Nous savons cependant que subventionner sur fonds publics des emplois à
hauteur de 95 % ne constitue une solution ni pour réduire le chômage ni pour
offrir une insertion durable sur le marché du travail. C'est précisément pour
éviter ce type de dérives du traitement social du chômage que le Gouvernement a
décidé de ne plus subventionner à cette hauteur l'emploi de CES.
Chacun peut mesurer les effets pervers d'un tel système : déresponsabilisation
de l'employeur, déconnexion des emplois aidés avec la réalité du marché du
travail.
Nous reviendrons, s'agissant des taux de financement public des CES, aux
dispostions, qui n'ont d'ailleurs jamais été abrogées, du décret du 30
janvier 1990, c'est-à-dire 65 % et 85 % pour les publics les plus en
difficulté.
La mise en oeuvre de ces règles ne doit cependant compromettre ni la viabilité
des structures d'insertion les plus fragiles, ni l'emploi des personnes les
plus vulnérables. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de conserver, à
titre temporaire, la possibilité de maintenir des taux de prise en charge
majorés jusqu'à 95 % dans deux cas : d'une part, celui des jeunes en grande
difficulté, notamment ceux qui sont engagés dans un parcours TRACE et qui sont
suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, car ils ne peuvent entrer
tout de suite dans le dispositif de soutien des jeunes en entreprise ; d'autre
part, celui des chantiers d'insertion, qui constituent une première réponse,
souvent d'urgence, à des situations de grande précarité et d'exclusion.
Enfin, je rappelle que, de mon point de vue, la politique de l'emploi ne peut
se réduire aux CES ni, plus largement, au soutien à l'emploi public ou
parapublic. C'est pourquoi le Gouvernement a choisi de réorienter nos
dispositifs d'aide à l'emploi et à l'insertion vers l'entreprise et le secteur
marchand, notamment avec la mise en place des contrats jeunes et le
développement de l'alternance, qui se voit dotée de crédits en augmentation
importante. Les contrats aidés du secteur marchand comme les CES devront
dorénavant être très clairement réservés aux personnes les plus éloignées de
l'emploi.
M. le président.
La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Je veux simplement remercier M. le ministre de ses réponses, qui vont tout à
fait dans le sens de ma propre analyse du problème de l'emploi.
J'ajoute qu'on est loin du « carnage » et de la politique irréfléchie
qu'évoquait tout à l'heure notre collègue socialiste.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Eric Doligé.
M. Eric Doligé.
Avant d'aborder le thème qui fait l'objet de ma question, monsieur le
ministre, je voudrais apporter un témoignage à la suite de ce que je viens
d'entendre : dans mon département, un tiers des salariés de l'industrie
travaillent dans des entreprises à capitaux étrangers, essentiellement des
entreprises américaines. Or celles-ci nous ont indiqué qu'elles ne feraient
plus un euro d'investissement en France en raison des 35 heures et des nombreux
changements de cap survenus durant les cinq années écoulées.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur spécial.
Et voilà !
M. Eric Doligé.
C'est là une réalité qui explique pourquoi nous connaissons actuellement de
grandes difficultés.
Monsieur le ministre, votre politique de l'emploi marque une rupture avec
celle du gouvernement précédent. Vous avez décidé de réorienter les aides à
l'emploi pour faciliter les embauches dans le secteur marchand, idée que j'ai
toujours également défendue.
Les contrats jeunes en entreprise, l'allégement des charges sur les bas
salaires qui s'accompagnent de l'unification du SMIC sont autant de mesures
dont nous nous félicitons et que nous attendions. Il n'était que temps d'avoir
une véritable politique de l'emploi qui ne soit pas un leurre !
Les mesures que vous prenez sont de nature à offrir des emplois et une
insertion durable dans le secteur privé.
Dans cette optique, vous avez pris la décision de mettre un terme à l'entrée
de nouveaux jeunes dans le programme « nouveaux services, emplois-jeunes » et
d'en organiser la disparition progressive. Le présent projet de budget prévoit
ainsi une diminution de 13,6 % des crédits correspondants.
Le Sénat avait établi un bilan très réservé de cette mesure fort coûteuse, ne
présentant que peu de perspective de pérennisation des postes et d'insertion
professionnelle des jeunes concernés. Je ne peux donc qu'approuver la décision
que vous avez prise.
Pour autant, un secteur particulier va devoir faire face à la fin annoncée des
emplois-jeunes : celui des associations. Pour certaines d'entre elles, ces
emplois se sont révélés précieux. Une aide exceptionnelle de soutien à ces
emplois dans les associations est prévue cette année pour une somme de 10
millions d'euros. Ce dispositif devrait être reporté sur trois années
supplémentaires. Plus de 40 millions d'euros sont, en outre, destinés à la
conclusion de conventions d'objectifs pluriannuelles dégressives pour les
organismes de droit privé à but lucratif.
Quelques questions demeurent cependant. Quelles associations seront concernées
? Quelles sont les caractéristiques des emplois qui pourront être prolongés ?
Quel sera le montant des aides qui seront attribuées à chaque emploi ?
Vous avez aussi annoncé la création d'un contrat d'insertion dans la vie
sociale, le CIVIS, qui devrait être applicable dès juillet 2003. Pouvez-vous
nous en décrire les grandes lignes ? Quel sera le public visé ? Quels seront
les moyens mis en oeuvre pour que ce dispositif ne soit pas un dispositif
d'assistance, comme l'était trop souvent le contrat emploi-jeunes, mais bien un
contrat d'insertion professionnelle durable des jeunes concernés ?
Enfin, je souhaiterais soulever la question de l'avenir des emplois-jeunes qui
travaillent dans les collectivités locales, pour lesquelles certains de ces
emplois se sont révélés utiles, de même que pour beaucoup d'établissements à
caractère social.
Désormais, ce sont les collectivités elles-mêmes qui devront financer ces
emplois-jeunes. Or cette prise en charge risque de représenter pour certaines
d'entre elles une charge nouvelle brutale. Envisagez-vous des mesures qui
permettraient d'opérer à cet égard un lissage dans le temps ?
Dans un tout autre domaine, monsieur le ministre, je me permets d'évoquer une
piste : seriez-vous prêt à envisager l'extension du chèque emploi-service aux
très petites entreprises ? Ce chèque donne entière satisfaction aux
particuliers et garantit les droits sociaux des salariés. Je souhaiterais que
vous puissiez expérimenter cette possibilité très différente de celle qui avait
été proposée au début de l'année 2002.
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
J'ai déjà, au cours de ce débat, rappelé quelle était la
philosophie du Gouvernement s'agissant de la réorientation de la politique de
l'emploi vers le secteur marchand : nos raisons sont liées tant à la
dynamisation de notre économie qu'à notre souci de voir les jeunes s'engager de
manière pérenne dans des filières professionnelles ; il s'agit aussi d'alléger
les charges qui pèsent sur l'ensemble de la nation et de financer les priorités
qui sont celles du Gouvernement, notamment dans le domaine de la sécurité.
L'ensemble de ces dispositifs est donc destiné à donner à notre pays de
nouveaux atouts à la fois pour son développement et pour le renforcement de son
pacte républicain.
Cependant, le Gouvernement n'a pas choisi de pratiquer une politique de
rupture. Il a maintenu le dispositif emplois-jeunes à hauteur de 2,7 milliards
cette année, ce qui permet aux collectivités locales, en particulier, de
s'organiser, comme elles auraient d'ailleurs dû le faire de toute façon : la
philosophie du programme - les débats auxquels a donné lieu la mise en place du
programme l'attestent - était bien de susciter de nouveaux services, avec une
aide de l'Etat pendant une période de cinq ans et l'espoir - mais le Sénat,
notamment, avait averti qu'il serait vain dans bien des cas - de voir les
collectivités locales et les associations prendre le relais.
S'agissant des associations, nous avons mis en place un plan de pérennisation.
Le critère de sélection des associations, permettant d'établir des priorités,
sera celui de leur utilité sociale ; il offre l'avantage d'une grande souplesse
dans l'application.
S'agissant des collectivités locales, le Gouvernement n'envisage pas de
mesures spécifiques de pérennisation des emplois-jeunes.
D'ailleurs, il nous semble très important que les collectivités locales ne
laissent pas se créer une sorte de « sous-fonction publique territoriale » ne
bénéficiant pas des niveaux de salaires et des avantages qui sont ceux de la
fonction publique territoriale : on ne peut négliger les risques de tension
sociale, voire de conflits qu'entraînerait la mise en oeuvre pérenne de ce
dispositif.
Le CIVIS, dont nous envisageons la création afin de répondre pour une part aux
besoins des associations, ne pourrait, dans l'esprit du Gouvernement, avoir
d'application dans le secteur des collectivités locales, justement pour éviter
cette difficulté, que nous avons d'ailleurs connue par le passé dans d'autres
domaines : je pense aux maîtres auxiliaires dans l'éducation nationale. Au
demeurant, les jeunes qui sont aujourd'hui en voie de sortir de ces
emplois-jeunes émettent des revendications à ce sujet se montrant extrêmement
critiques à l'égard tant du dispositif lui-même que de ceux qui l'ont mis en
oeuvre, précisément parce que rien n'a été prévu pour la suite.
M. Jean Chérioux.
Absolument !
M. François Fillon,
ministre.
Une manifestation importante, soutenue par le maire de Nantes,
en faveur des emplois-jeunes a récemment été organisée, et cette manifestation
a réservé quelques surprises à ses organisateurs, car les cibles principales
des critiques des jeunes n'ont pas été celles qu'ils espéraient.
(M. Paul
Blanc approuve.)
Pas de sortie, pas de formation, pas de financement des charges...
M. Jean Chérioux.
En matière de chômage !
M. François Fillon,
ministre.
... en matière de chômage : ce bilan un peu lourd explique que
nous ayons voulu rompre avec ces mauvaises orientations.
Je conçois bien, monsieur le sénateur, que cela n'ira pas sans poser certains
problèmes aux collectivités locales - j'ai quelques raisons de le savoir
moi-même - mais, à la fois pour les équilibres financiers de notre pays et pour
les collectivités locales elles-mêmes, pérenniser progressivement les emplois
qui pourraient être maintenus m'apparaît comme une solution raisonnable.
Enfin, s'agissant de l'extension aux très petites entreprises du chèque
emploi-service, en liaision étroite avec M. Dutreil, nous envisageons une
expérimentation de ce dispositif, qui pourrait aller dans le sens que vous
souhaitez, monsieur Doligé.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Eric Doligé.
M. Eric Doligé.
Sans avoir besoin d'utiliser les deux minutes de temps de parole qui me sont
imparties, je me bornerai à indiquer que les excellentes réponses qu'a données
M. le ministre étaient celles que j'attendais.
Il m'avait semblé important de l'interroger pour qu'il puisse faire le point
sur la réflexion qui a été entreprise afin que des éclaircissements soient
ainsi apportés aux collectivités et aux associations sur l'avenir d'un certain
nombre d'emplois.
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux état B et
C concernant le travail, la santé et la solidarité : I. - Travail.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 43 774 516 euros. »