SEANCE DU 29 NOVEMBRE 2002
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur les crédits figurant au titre
IV.
Mme Marie-Christine Blandin.
Monsieur le ministre, la discussion générale sur le budget de la culture a eu
lieu, et nous voici parvenus au titre IV, qui concerne les crédits
d'intervention.
Vue du ministère, la progression est visible, elle dépasse 3 %.
Vue de notre commission, il y manque une certaine clarté. Philippe Nachbar,
notre rapporteur, n'a il pas dit pas en commission : « Compte tenu du caractère
très global de la présentation retenue par les documents budgétaires, il est en
fait impossible à leur seule lecture d'apprécier la portée des mesures
nouvelles inscrites au projet de budget [...] Votre rapporteur devra se fier
aux indications fournies par le ministère ».
Enfin, vue des compagnies, ce n'est pas la fête !
Tout d'abord, le système des reports annonce un avenir précarisé pour l'année
suivante. Sur le terrain, chacun sait qu'une sous-consommation des crédits
n'est pas synonyme d'une absence de besoins. Pis, la sous-consommation
engendrée par la complexité des démarches et les atermoiements des financeurs
est parfois, pour les acteurs culturels, le douloureux souvenir d'agios
bancaires pour manque de trésorerie.
La morosité vient également de ce que les attaques contre le spectacle vivant
viennent de toute part. Vous nous avez dit, monsieur le ministre : « En matière
de culture, on n'est jamais seul. » Certes, c'est fort bien, si, comme vous, on
évoque l'élan populaire et les collectivités. Mais il eût mieux valu être seul
plutôt qu'accompagné de mauvaises fées : je pense au porte-avions, au MEDEF et
à Bercy.
Politiquement, la mort de l'objectif du 1 % sonne le glas de la priorité d'un
idéal, à l'épanouissement humain.
Socialement, sur l'initiative du MEDEF, la loi Fillon du 29 août 2002 a doublé
les cotisations UNEDIC pour les intermittents, ce qui fait 10 millions d'euros
de moins pour les compagnies de spectacle vivant.
Enfin, financièrement, Bercy traite les missions de service public du
spectacle vivant comme des entreprises et l'Etat, par la fiscalité, reprend
souvent d'une main ce qu'il attribue chichement de l'autre. Si bien que les
régions actives en matière de décentralisation culturelle se demandent parfois
si leurs subventions financent les acteurs et le décor ou le racket de
Bercy.
Reprenez donc la main, monsieur le ministre ! Donnez-nous la preuve que le
sort fait aux intermittents n'est qu'une mauvaise passe conjoncturelle ! Exigez
par exemple de Bercy que la TVA sur les 140 premiers spectacles, qu'ils soient
sur le lieu de création ou en tournée, soit fixée à 2,1 % pour les compagnies
de spectacles vivants subventionnées.
Vous nous mettiez en garde tout à l'heure contre le rêve. Les petites mesures
que je propose sont pragmatiques ; elles sont simplement de nature à éviter le
cauchemar à ces structures qui comptent et recomptent sans arriver à boucler
leur budget.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
M. le président.
L'amendement n° II-21 rectifié
ter
, présenté par MM. Arthuis, Marini et
Gaillard, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
« Réduire les crédits du titre IV de 1 000 000 euros. »
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Yann Gaillard,
rapporteur spécial.
Cet amendement, vous le savez, fait suite à la
décision de la commission des finances de proposer, sur l'ensemble du budget de
l'Etat, une économie de 100 millions d'euros pour compenser, très
imparfaitement, la baisse des recettes de 700 millions d'euros. C'est une
démarche largement symbolique, mais peut-être pas si symbolique que cela,
d'ailleurs, si l'on en juge par les difficultés que nous avons à la faire
accepter depuis deux jours.
Le ministère de la culture, en dépit de la très grande sympathie qu'on lui
porte, ne peut donc échapper à cette opération générale qui touche tous les
ministères.
Toutefois, il fait l'objet d'un traitement particulier puisque, contrairement
à la doctrine qu'elle suit, la commission des finances a accepté que la
réduction totale souhaitée de 2 millions d'euros porte, d'une part, sur des
crédits ordinaires et, d'autre part, sur les crédits d'investissements.
Par conséquent, au titre IV, nous proposons une réduction de 1 million d'euros
sur le chapitre 43-92. Au départ, la commission des finances envisageait de
faire porter la réduction sur l'ensemble des trois chapitres du titre IV, à
charge pour le ministère de répartir ces réductions à proportion des dotations
de ces chapitres.
Nous avons accédé au souhait du ministère de la culture, qui préférait que
cette réduction porte sur ce chapitre 43-92, ce qui est, semble-t-il, mieux
pour lui.
J'indique dès maintenant que la commission des finances demandera un scrutin
public sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Aillagon,
ministre.
Monsieur le sénateur, pour ma part, je regrette l'initiative
qu'a prise la commission des finances. Je vous ai dit combien le budget du
ministère de la culture avait été établi de manière rigoureuse, en prenant en
compte la réalité des besoins et notre capacité à dépenser les moyens que la
nation mettra à notre disposition.
Je ne fais donc que prendre acte de la décision de la commission, que je
regrette car elle fragilise le budget de mon ministère sur le secteur qu'elle
concerne.
J'ai pris le parti de vous demander l'affectation de l'économie que vous
souhaitiez sur le chapitre 43-92 de façon à préserver les crédits destinés à
l'action du ministère de la culture dans les régions et de façon à préserver la
capacité de soutien que le ministère de la culture apporte à l'ensemble du
tissu culturel de notre pays par le biais des compagnies chorégraphiques, des
orchestres, des festivals, etc.
M. le président.
La parole est à M. Ivan Renar, contre l'amendement.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à cette
heure-ci nous aurions pu faire relâche sans l'obstination de la commission des
finances à proposer des économies. A la place, nous avons droit à une
proposition de réduction de 2 millions d'euros des dépenses de la
décentralisation culturelle, qui vient s'ajouter aux diminutions déjà
effectuées par le ministère lui-même.
Ce qui est en cause avec cet amendement culturicide de la commission des
finances, c'est, ni plus ni moins, le soutien à la diffusion de programmes
audiovisuels ou cinématographiques, l'appui que les directions régionales des
affaires culturelles peuvent apporter aux multiples manifestations organisées
autour du livre, le financement attaché à certains festivals estivaux, ou
encore l'activité de compagnies théâtrales, pourtant déjà dramatiquement
touchées - j'en ai l'exemple dans le Nord - Pas-de-Calais - par la réforme de
l'aide aux compagnies.
En effet, comme on le dit de temps à autre, mes chers collègues de la
commission des finances, derrière les chiffres il y a des faits, il y a en
partie la vie culturelle de la nation, que vous réduisez exagérément à de
simples considérations comptables, alors qu'elle est d'abord affaire de
création, de diffusion, d'essaimage et d'accès du plus grand nombre à la
culture et à la beauté.
Cet amendement est symptomatique : alors que vous annoncez que vous ne
toucherez ni aux crédits de la justice ni à ceux de la sécurité ou de la
défense, vous vous attaquez frontalement aux dépenses culturelles comme aux
dépenses de formation, sans doute parce qu'elles sont moins nobles à vos yeux
que les dépenses précitées. Cela est très significatif et caractérise
clairement les véritables préoccupations qui vous animent.
En effet, s'il faut véritablement faire des économies, alors réparons
correctement, une fois pour toutes, notre porte-avions nucléaire au lieu d'en
prévoir un second, qui sera, nous le savons déjà, un véritable gouffre
financier et qui ne sera pas d'une grande efficacité pour grandir l'image de la
France !
La force de la France, vous le savez, c'est l'estime des peuples du monde,
c'est la recherche des dialogues entre les civilisations. Le général de Gaulle
n'a-t-il pas déclaré, lorsqu'il inaugura, en présence d'André Malraux, la
maison de la culture de Bourges : « La culture n'est pas qu'un refuge, une
consolation, c'est la condition même de notre civilisation. »
On nous parle souvent du coût de la culture. Avec Jack Ralite, nous avons
coutume de dire : a-t-on réellement mesuré le coût de l'absence de culture ?
Vous savez, monsieur le ministre, que les soustractions d'en haut encouragent
les soustractions d'en bas et que, lorsque l'Etat hésite, les collectivités
bégaient. En conséquence, je ne peux qu'inviter mes collègues du Sénat à
rejeter cet amendement qui porte atteinte à la liberté de création et d'accès à
la culture, et à le faire par scrutin public.
Monsieur le ministre, cher Jean-Jacques Aillagon, Jack Ralite parlait tout à
l'heure d'un véritable croche-pied. Pour ma part, j'ajoute : trop, c'est trop !
Nous sommes au Sénat, à deux pas du Panthéon, et j'ai envie de crier : Malraux,
réveille-toi, ils sont devenus fous !
M. le président.
La parole est à M. Henri Weber, pour explication de vote.
M. Henri Weber.
Evidemment, nous voterons contre cet amendement.
On pouvait espérer qu'une baisse de 5,2 % du budget de la culture suffisait,
même pour un gouvernement dont la culture n'est vraiment pas la priorité, voire
qui la considère comme le cadet de ses soucis.
Apparemment, cela ne suffisait pas : il faut une coupe supplémentaire ! Et le
Gouvernement l'accepte, je l'ai entendu. Nous ne pouvons que le déplorer
doublement.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Je voudrais d'abord saluer M. le
ministre de la culture, rendre hommage à l'ambition qui l'anime et à son talent
personnel.
M. Henri Weber.
Bien mal récompensé !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Je tiens à dire à M. Renar comme
à M. Weber que l'art de l'illusion doit cesser. Les budgets de ces dernières
années, et l'audit de MM. Nasse et Bonnet en porte témoignage, étaient
largement des budgets d'affichage.
A quoi sert-il de tromper les Français en inscrivant des crédits que l'on
n'engage pas parce qu'on n'en a pas les moyens ?
Nous avons pu constater que les prévisions économiques telles qu'elles étaient
fondées au moment de la mise en forme du projet de loi de finances pour 2003
devaient être revues et, pour la première fois, le Gouvernement nous a demandé
- c'est à son honneur -, au nom de la sincérité, de l'exigence de vérité, de
modifier l'article d'équilibre afin de tirer les conséquences d'une moins-value
fiscale de l'ordre de 700 millions d'euros. C'est dans ces conditions que la
commission des finances invite le Sénat à procéder à quelques économies.
Lorsque nous retrouverons la croissance et les moyens financiers, alors nous
pourrons aller de l'avant.
C'est dire si l'exercice auquel nous invitons le Sénat est délicat, et c'est
avec un vrai désagrément que nous lui demandons de l'accomplir. Toutefois, ce
faisant, nous pensons assumer notre responsabilité.
M. le président.
La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre.
A titre personnel, je le dis franchement, je ne suivrai pas sur cet amendement
mon collège Jean Arthuis.
M. Henri Weber.
Bravo !
M. Jacques Legendre.
Mais ceux qui combattent cet amendement ont tenu des propos qui m'ont choqué.
En effet, il ne me paraît pas convenable de faire référence à la grande figure
d'André Malraux en laissant entendre que, au nom de la défense d'une politique
culturelle, il aurait négligé la défense de son pays. Quand on évoque le
général de Gaulle et André Malraux, on n'oppose pas la nécessité de dégager des
moyens pour la défense du pays, d'avoir un et même deux porte-avions, par
exemple, et l'attachement que nous avons les uns et les autres pour une culture
resplendissante et partagée par tous.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jacques Aillagon,
ministre.
Pour que les choses soient claires, j'entends réagir à
l'intervention de M. Weber.
Il va de soi que je n'approuve pas cet amendement. Néanmoins, j'en comprends
la motivation.
Il y a, selon moi, un acte de responsabilité à se sentir solidaire des choix
du Gouvernement, ou des choix du Parlement, quand il s'agit de défendre les
grands équilibres économiques et budgétaires de notre pays.
Je ne suis pas assuré que cette amputation des crédits du ministère de la
culture soit vraiment de nature à contribuer au rétablissement de ces
équilibres. Je retiens toutefois qu'elle marque, dans l'esprit de la majorité
de cette assemblée, la nécessité de mettre à contribution l'ensemble des
secteurs d'action de l'Etat, et donc l'ensemble des ministères.
M. Henri Weber.
Pas vraiment !
M. Jean-Jacques Aillagon,
ministre.
Quoi qu'il en soit, je m'en remets à la sagesse de la Haute
Assemblée. J'aurais préféré, je l'ai dit, qu'on s'en tienne à l'équilibre sur
la base duquel ce budget a été construit.
Cela étant, je peux rassurer M. Renar sur un point : cette amputation vise un
chapitre tel que la capacité du ministère à soutenir l'action culturelle
décentralisée ne s'en trouvera pas ébranlée, puisque nous avons choisi de faire
porter l'économie sur les crédits d'acquisition.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° II-21 rectifié
ter.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l'une de la
commission des finances et, l'autre, du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 314 |
Nombre de suffrages exprimés | 305 |
Majorité absolue des suffrages | 153 |
Pour l'adoption | 186 |
Contre | 119 |
Le Sénat a adopté.
M. Ivan Renar. Hélas ! Trois fois hélas ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix, modifiés, les crédits figurant au titre IV.
(Ces crédits sont adoptés.)
ÉTAT C
M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 290 611 000 euros ;