SEANCE DU 10 DECEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 54
bis.
- I. - Il est institué, au choix de l'intéressé, une
réduction d'impôt de 27 439 EUR au titre de la seule année 2003 ou de 5 487 EUR
qui s'imputent sur la cotisation, due au titre de l'impôt sur le revenu
annuellement, à compter de 2003, au bénéfice de toute personne mineure de moins
de vingt et un ans au moment où l'arrestation est intervenue, à l'exception de
celles visées par le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une
mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de
persécutions antisémites, ou dont la mère ou le père, durant l'Occupation, a
été déporté à partir de la France, a été fusillé ou massacré pour faits de
résistance ou pris en otage et a trouvé la mort lors de son arrestation, de sa
détention, de son transfert ou de sa déportation.
« Si le montant de la réduction dépasse le montant de l'impôt dû, il n'est pas
procédé à restitution.
« Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application des
dispositions ci-dessus.
« II. - Les pertes de recettes pour l'Etat sont compensées, à due concurrence,
par la création d'une taxe additionnelle aux articles 575 et 575 A du code
général des impôts. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° II-153, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° II-75, présenté par MM. Fischer et Foucaud, Mme Beaudeau, M.
Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi
libellé :
« Remplacer les deux premiers alinéas du I de cet article par un alinéa ainsi
rédigé :
« Le bénéfice du décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 est étendu aux
orphelins de déportés par mesure de répression, à ceux des fusillés et
massacrés pour faits de résistance ou pris comme otages et à ceux des patriotes
résistants à l'occupation. »
La parole est à M. le ministre délégué, pour défendre l'amendement n°
II-153.
M. Alain Lambert,
ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.
L'article 54
bis
vise à instituer une réduction d'impôt au profit des orphelins dont
les parents ont été victimes du nazisme, étendant ainsi à tous les orphelins
dont les parents ont été victimes du nazisme l'indemnisation qui est accordée
par un décret du 13 juillet 2000 aux seuls orphelins dont les parents ont
trouvé la mort en déportation dans le cadre des persécutions antisémites.
Cette question de l'indemnisation des orphelins des victimes de la déportation
et des crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale est un sujet grave, qui
doit être traité avec un souci d'équité absolue, en dehors de toute
considération de nationalité, de race ou d'opinion.
Cette exigence d'équité ne doit souffrir aucune exception. Elle commande que
nous allions au fond des choses sans nous arrêter aux apparences. Or la
décision d'indemnisation instituée par le décret du 13 juillet 2000 avait non
pas pour objet de créer une inégalité entre les différentes victimes mais de
réparer, cinquante ans plus tard, une injustice de l'histoire. Des milliers
d'orphelins, de victimes de persécutions antisémites avaient en effet été
considérés comme des victimes civiles et avaient été exclus, pour des raisons
de nationalité, des dispositifs d'indemnisation institués en 1948, ce qui
n'était pas le cas des autres victimes. Il nous faut donc maintenant nous
assurer que toutes les victimes, sans exception aucune, ont bien été prises en
considération et veiller à ce qu'aucune injustice ne soit créée. Toutes les
victimes doivent être indemnisées de façon équitable.
A cette fin, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport sur cette
question, au plus tard le 1er septembre 2003. Ce rapport s'avère nécessaire
compte tenu de la complexité du sujet, dont ne tient pas suffisamment compte la
mesure fiscale instituée par l'article 54
bis,
qui est source
d'iniquité, notamment parce qu'elle ne s'appliquerait qu'aux personnes
imposables et qu'elle créerait des doubles emplois.
Dès lors, il est indispensable d'attendre les conclusions de ce rapport avant
de légiférer. C'est la raison pour laquelle je demande, dans l'immédiat, à la
Haute Assemblée de bien vouloir voter l'amendement proposé par le Gouvernement,
qui vise à supprimer la mesure que l'Assemblée nationale a adoptée en première
lecture. Avec mon collègue M. Hamlaoui Mékachéra, je prends l'engagement ferme
et clair auprès du Sénat que des dispositions concrètes seront prises sur cette
question dès l'année 2003.
M. le président.
La parole est à M. Thierry Foucaud, pour présenter l'amendement n° II-75.
M. Thierry Foucaud.
L'article 54
bis
du présent projet de loi de finances tend à régler la
question de la reconnaissance du préjudice subi par les enfants de déportés, de
fusillés et de résistants durant les années de l'Occupation.
Cette question est au centre de propositions de loi déposées par plusieurs
groupes de notre assemblée et de l'Assemblée nationale lors de la législature
précédente, à la suite de la publication du décret du 13 juillet 2000 sur la
reconnaissance du préjudice subi par les victimes des persécutions
antisémites.
Nous avions alors regretté que ce décret ne concerne qu'une partie des
victimes des crimes nazis, créant ainsi une rupture pour le moins artificielle
et malvenue.
Ce décret prévoit que les personnes concernées peuvent choisir entre deux
possibilités. Il est ainsi proposé le versement, soit d'une indemnité de 180
000 francs en une fois pour solde de tout compte, si l'on peut dire, soit le
versement d'une rente viagère mensuelle de 3 000 francs.
On observera que, dans un cas comme dans l'autre, les sommes perçues par les
ayants droit n'ont pas le caractère d'un revenu imposable : il s'agit d'un
versement direct du budget de l'Etat et non d'une dépense fiscale.
Pour ces raisons, l'équilibre trouvé dans le cadre de la première lecture de
la loi de finances ne nous convient pas.
Deux articles additionnels, apparemment contradictoires, figurent aujourd'hui
dans le texte voté par l'Assemblée nationale.
Le premier, rattaché au budget des anciens combattants, prévoit la publication
d'un rapport sur l'extension du bénéfice du décret de juillet 2000.
Le second - c'est l'article 54
bis
du projet de loi de finances - tend
à créer une forme d'extension limitée mais induisent une transformation des
indemnités prévues par le décret en source de réduction d'impôt, qui ne
s'appliquera d'ailleurs que fort imparfaitement aux bénéficiaires éventuels de
la mesure.
Sur le principe, nous estimons qu'il est fallacieux, et même intolérable, de
maintenir une forme de « catégorisation » entre victimes des mêmes exactions
commises pendant la Seconde Guerre mondiale.
Cela n'a guère de sens et il convient donc de déterminer aujourd'hui une
égalité de traitement, comme nous le faisons par le biais de notre
amendement.
Nous devons bien cela, au nom de la mémoire collective, à ceux qui ont
souffert de perdre leurs parents parce qu'ils étaient différents ou parce
qu'ils luttaient contre l'occupant.
Il sera bien temps, ensuite, de procéder à la suppression éventuelle de
l'article additionnel introduit dans le budget des anciens combattants, dans le
cadre normal d'une seconde délibération, par coordination.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter cet amendement
de réécriture de l'article 54
bis
du projet de loi de finances.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Cette question particulièrement
douloureuse avait été traitée par le Sénat l'an dernier, à peu près à la même
date, à l'occasion de l'examen d'un amendement qui avait été présenté par
Michel Charasse.
Nous voyons combien il est délicat de vouloir opérer des tris dans l'histoire.
L'histoire est un tout, qu'il faut assumer comme tel. Nous voyons aussi qu'il
est souvent de mauvaise politique, en tout cas de mauvaise politique
législative, de chercher à résoudre les problèmes par le biais de solutions
techniques peu appropriées.
Or il est à présent question d'un article 54
bis
nouveau qui a été
introduit par l'Assemblée nationale avec les meilleures intentions du monde,
mais qui ne traite ce sujet, ô combien douloureux, que de façon incomplète. Il
s'agit, je le rappelle, d'accorder une réduction d'impôt aux orphelins de
déportés, de fusillés ou de massacrés autres que ceux qui ont été victimes de
persécutions antisémites.
Ces diverses propositions ont pour origine les travaux de la mission d'étude
présidée par Jean Matteoli, qui ont été rendus publics en avril 2000 et qui ont
abouti à l'adoption du décret du 13 juillet 2000. Ce décret institue un régime
d'indemnisation pour une certaine catégorie d'enfants de déportés, catégorie
infiniment respectable bien sûr, mais qui n'est point la seule, et nous savons
que les sommes qui ont été mises en oeuvre par l'Office national des anciens
combattants et victimes de guerre sont, à ce titre, déjà substantielles. Ainsi,
dans le cadre du régime existant, cette dépense s'élevait à près de 164
millions d'euros pour l'année 2001. Sur la base des bénéficiaires définis par
le décret, de nombreux dossiers de demande sont parvenus au ministère de la
défense.
Pour compléter ce rappel des faits, j'indique, mes chers collègues, que les
conditions dans lesquelles le décret du 13 juillet 2000 a été pris étaient
certainement critiquables, au regard du droit en tout cas, puisque le Conseil
d'Etat, dans son arrêt du 6 avril 2001, a précisé, au terme d'un long examen de
la question, que « d'autres champs d'application auraient pu être retenus,
notamment celui qui aurait englobé également les orphelins de déportés
résistants ».
Le Conseil d'Etat constatait que le gouvernement de l'époque avait restreint
le champ d'application de cette disposition, mais il indiquait, en se référant
à l'équité, qu'il aurait été concevable -et - si on lit entre les lignes -
conforme à la justice d'appréhender plus largement l'ensemble de celles et ceux
dont les parents ont été victimes dans leur chair de la répression nazie.
L'an dernier, lors de la discussion de la loi de finances rectificative de
2001, un amendement avait été voté afin d'étendre le dispositif du décret aux
orphelins dont les parents avaient été victimes pendant la dernière guerre de
persécutions en raison de leur race et qui avaient trouvé la mort dans les
camps de déportation.
L'Assemblée nationale a, à juste titre, estimé que cette question à la fois
grave, symbolique et signifiante devait être considérée de manière plus large
mais toujours dans le respect du principe d'équité. Mais - et nous en arrivons
au présent article - l'Assemblée nationale ne pouvait décider, en raison des
règles de recevabilité financière, d'étendre la mesure d'indemnisation prévue
par le décret. Elle ne pouvait qu'utiliser un biais, c'est-à-dire l'instrument
fiscal de la réduction d'impôt sur le revenu qui nous est ici proposée.
Que nous dit le groupe communiste républicain et citoyen ? Par l'amendement
présenté par Thierry Foucaud, il voudrait étendre cette réduction d'impôt. Or
Thierry Foucaud sait bien que cette réduction, par définition - il nous le dit
abondamment sur d'autres sujets -, ne peut porter avantage que vis-à-vis de
ceux qui paient l'impôt. D'ailleurs, je m'étonne un peu de cette proposition
qui, sur le plan social, ne me semble pas être dans la ligne de ce que
défendent habituellement nos collègues qui siègent dans la partie gauche de
l'hémicycle.
Que nous dit le Gouvernement ? Il accepte, bien entendu, de considérer le
problème dans toute son étendue. Il nous dit aussi que le décret du 13 juillet
2000, élaboré avec une hâte excessive et dont la portée était incomplète,
n'était pas satisfaisant. Voulant précisément se garder de tout risque de
décision hâtive, il confie donc à des personnalités irréprochables, sous la
présidence de M. Philippe Dechartre, le soin de réexaminer tout le sujet,
d'identifier l'ensemble des solutions envisageables et de présenter des
propositions qui puissent enfin être transcrites dans la loi.
Le Gouvernement, à raison, me semble-t-il, veut rompre avec des méthodes
parcellaires, hâtives et qui ont contribué plutôt à compliquer le sujet qu'à
bien le résoudre. A la différence du précédent gouvernement, celui-ci, qui a le
temps nécessaire pour formaliser correctement et assumer ses choix, entreprend
la bonne démarche.
M. le ministre délégué au budget nous a rappelé son engagement d'aller aussi
loin que possible dans le traitement de cette question, de le faire, alors que
tant d'années se sont écoulées, dans le respect de l'histoire, et d'une façon
qui soit exemplaire pour la génération d'aujourd'hui.
Le Gouvernement a donc raison de considérer que la réduction d'impôt n'est pas
techniquement une bonne solution. En effet, mes chers collègues, si nous
votions cette réduction d'impôt, et même si nous l'étendions, que se
passerait-il aussitôt ? Dans nos départements, des personnes seraient hors du
champ d'application de la mesure, alors qu'elles devraient être concernées. En
effet, qu'il s'agisse d'orphelins de déportés ou de personnes ayant subi de
lourds préjudices de la part de l'occupant, les bénéficiaires potentiels
peuvent très bien aujourd'hui ne pas être imposables. Dès lors, de nouvelles
demandes s'exprimeraient et nous serions probablement obligés de revenir sur ce
sujet dans un an ou deux.
Assurément, cette méthode n'est ni correcte ni digne pour traiter un problème
que nous considérons comme étant d'une gravité exceptionnelle et emblématique
de notre mémoire collective.
Mes chers collègues, suivons par conséquent la position du Gouvernement,
supprimons cet article, entendons les engagements qui ont été pris, évitons de
nous engager sur une voie fiscale inappropriée et faisons en sorte que les
conclusions de la commission Dechartre débouchent sur une législation
contribuant à plus de justice et à l'oeuvre de mémoire.
Vous l'avez compris, la commission est favorable à l'amendement n° II-153 et
défavorable à l'amendement n° II-75. Leur examen n'a pas été simple, et croyez
bien que la commission s'est préalablement imprégnée de ce sujet et s'est
efforcée d'en prendre toute la dimension.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Hamlaoui Mékachéra,
secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
Comme cela vient d'être
rappelé, le Gouvernement est résolu à résoudre au plus vite et de la meilleure
façon ce problème des orphelins de déportés. Il a entendu le message du
Parlement et perçu les attentes du monde combattant, qui fut, il faut le
reconnaître, divisé sur le décret du 13 juillet 2000, lequel concerne, nous en
sommes tous conscients, des principes très forts et très graves.
Le Gouvernement, le Parlement et la communauté nationale ne veulent pas qu'une
nouvelle injustice soit commise en réparant ce qui en est déjà une, puisque
certains orphelins reçoivent très légitimement une indemnité dont d'autres ne
peuvent bénéficier.
C'est la raison pour laquelle j'ai confié une mission à M. Philippe Dechartre,
ancien résistant que nous connaissons très bien, ancien ministre du général de
Gaulle et de Georges Pompidou, afin de conduire une concertation tous azimuts
et de présenter au Gouvernement un rapport faisant le point sur cette affaire,
y compris sur le sentiment de toutes les parties prenantes. Il va de soi que
cette mission doit être menée à son terme et que le Gouvernement informera la
Haute Assemblée de la teneur de ce rapport.
L'article 54
bis
n'est pas cohérent avec la démarche générale du
Gouvernement. En effet, la réparation par voie de réduction d'impôt qui y est
prévue crée une autre inégalité pour les personnes qui demandent actuellement
une indemnité. C'est pourquoi le Gouvernement souhaite l'adoption de
l'amendement de suppression n° II-153.
Avant de prendre une décision sur ce dossier, le Gouvernement s'assurera
préalablement que toutes les questions posées auront reçu une réponse. Je
confirme enfin que la teneur de l'amendement de M. de Courson, à l'origine de
l'article 54
bis,
sera évidemment présentée à M. Dechartre, afin que
cette disposition soit prise en compte.
M. le président.
Le Gouvernement est donc, je suppose, défavorable à l'amendement n° II-75 ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Le Gouvernement est en effet défavorable à l'amendement
n° II-75.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° II-153.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 54
bis
est supprimé et l'amendement n° II-75
n'a plus d'objet.
Article additionnel après l'article 59 quater