PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
DEMANDES D'AUTORISATION
DE MISSIONS D'INFORMATION
M. le président. M. le président du Sénat a été saisi :
- par M. Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information afin de se rendre en Bulgarie et en Roumanie dans la perspective de l'examen de leur candidature à l'adhésion à l'Union européenne ;
- par M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner deux missions d'information afin de se rendre : en Chine, afin d'y étudier la situation économique et budgétaire ; en Allemagne et en Pologne, dans la perspective du futur élargissement de l'Union européenne.
Le Sénat sera appelé à statuer sur ces demandes dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.
DIFFUSION DE LA CULTURE
SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 22.
M. Jacques Valade attire l'attention de Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies sur la place croissante prise par les sciences et les techniques dans l'évolution du monde et de la société, comme le montrent les débats passionnés suscités par la procréation assistée, les organismes génétiquement modifiés, la thérapie génique, l'énergie nucléaire ou encore le rayonnement électromagnétique de la téléphonie mobile.
La commission des affaires culturelles a adopté, en juillet dernier, les conclusions de la mission d'information qu'elle avait constituée sur la diffusion de la culture scientifique, mission présidée par M. Pierre Laffitte, avec pour rapporteurs M. Ivan Renar et Mme Marie-Christine Blandin.
Dans le rapport qu'elle a publié, elle estime que la diffusion de la culture scientifique et technique doit être érigée en priorité nationale et toucher l'ensemble de la population. Elle invite les pouvoirs publics à mieux coordonner leurs politiques et à soutenir davantage les initiatives locales et régionales, de façon à assurer une diffusion par capillarité sur l'ensemble du territoire de ces connaissances qui sont devenues indispensables à la compréhension du monde d'aujourd'hui.
Il demande à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies les suites que le Gouvernement envisage de réserver aux propositions formulées dans ce rapport pour améliorer la diffusion de la culture scientifique et technique.
La parole est à M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles et auteur de la question.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous ayons l'occasion de débattre aujourd'hui de la diffusion de la culture scientifique et technique et de poursuivre ensemble la réflexion qu'a lancée la commission des affaires culturelles quand, il y a un peu plus de deux ans, elle a décidé la création d'une mission d'information sur ce sujet.
Cette mission d'information, présidée par Pierre Laffitte et dont les rapporteurs étaient Ivan Renar et Marie-Christine Blandin, a rendu ses conclusions au mois de juillet dernier.
Le fait que le président de cette mission d'information et ses deux corapporteurs appartiennent respectivement à la majorité et à l'opposition de notre assemblée me paraît devoir être souligné : il montre que, sur des question fondamentales pour l'avenir de notre pays, des hommes et des femmes venus d'horizons politiques différents peuvent se retrouver sur des constats partagés et des recommandations communes.
Je n'entrerai pas dans le détail des conclusions que la mission d'information a présentées à la commission des affaires culturelles et que celle-ci a adoptées à l'unanimité : son président et ses deux rapporteurs, qui s'exprimeront dans la suite de notre débat, ne manqueront pas, j'en suis sûr, de vous les présenter avec la force d'une conviction qu'ils ont su nous faire partager.
Je me contenterai, pour ma part, de rappeler les considérations qui ont conduit la commission à réfléchir à la diffusion de la culture scientifique et technique, de résumer les constats auxquels nous sommes parvenus et de vous demander de nous préciser, madame la ministre, l'écho que nos recommandations ont trouvé auprès du Gouvernement.
Notre commission a toujours porté une attention vigilante à la diffusion du savoir, sous toutes ses formes, car elle y voit une condition essentielle du bon fonctionnement de notre démocratie. Ainsi, il y a une dizaine d'années, elle avait déjà, sous l'impulsion d'un de mes illustres prédécesseurs, Maurice Schumann, contribué à la création d'une mission commune d'information relative à l'accès au savoir par la télévision, présidée, déjà, par notre collègue Pierre Laffitte.
Nous sommes, en effet, convaincus que, dans un système de société démocratique où tout citoyen est appelé à participer à la définition des grands choix qui commandent l'avenir du pays, il est indispensable que chacun ait accès à ce corpus de connaissances partagées et d'outils intellectuels qui constituent ce que l'on appelle la « culture générale » et qui permettent de s'orienter dans le monde changeant et complexe qui est le nôtre.
Nous croyons que, sans citoyens éclairés, il n'y a pas de démocratie véritable.
Or nous avons très fortement le sentiment que les sciences et les techniques ne tiennent pas, dans la culture de nos concitoyens, une place à la mesure du rôle qu'elles ont pris dans le monde contemporain.
Aujourd'hui, en effet, les disciplines scientifiques et techniques sont au coeur des grandes problématiques auxquelles nous sommes confrontés. Il n'est pour s'en persuader que d'examiner le rôle qu'elles jouent dans la plupart des grands débats de société qui nous occupent, qu'il s'agisse du réchauffement climatique, de l'utilisation de l'énergie nucléaire, des organismes génétiquement modifiés, des biotechnologies, ou des nombreux bouleversements juridiques, économiques et sociaux induits par le développement de l'Internet et des technologies de l'information. La liste des grands problèmes politiques ou éthiques qui comportent une forte composante scientifique ou technique est longue et ne finit pas de s'allonger.
Mais, dans le même temps, nous constatons que les sciences et techniques continuent d'être considérées par beaucoup comme un champ de connaissances hermétiques, réservées par nature à quelques spécialistes, étrangères à l'homme cultivé et, a fortiori, au commun des mortels.
Cet écart entre le rôle croissant des sciences et la place marginale qui est faite à leur compréhension nous semble lourd de menaces. Une méconnaissance des méthodes, des avancées et des applications des sciences ne peut qu'alimenter, dans le public, des réactions passionnelles et émotionnelles à l'égard de la recherche scientifique et de ses applications technologiques.
Faute de références précises permettant de mieux évaluer les risques et les enjeux, l'opinion pourrait s'abandonner à une attitude de rejet systématique qui bloquerait toute innovation et tout progrès.
Les auditions et les recherches auxquelles a procédé la mission d'information nous ont confirmé que ces craintes étaient fondées. Beaucoup de chercheurs et de professionnels de la médiation scientifique ont le sentiment que les sciences ne sont plus perçues dans l'opinion de manière aussi positive que par le passé. Certains phénomènes concrets renforcent cette appréhension, notamment la diminution du nombre d'étudiants inscrits dans les filières scientifiques. Celle-ci reflète une diminution de l'intérêt des nouvelles générations pour les disciplines scientifiques, considérées comme plus difficiles au regard de filières apparemment plus accessibles.
C'est une tendance inquiétante pour notre appareil de recherche, qui devra remplacer de nombreux départs en retraite dans les prochaines années. Elle l'est aussi pour notre économie, dont le dynamisme repose plus que jamais sur l'innovation, dont les scientifiques et les techniciens sont les acteurs.
Elle l'est, enfin, pour notre société tout entière, qui ne peut, sans dommage, se détourner des sciences.
Ce constat nous a conduits, reprenant les conclusions de notre mission d'information, à recommander au Gouvernement d'ériger la culture scientifique et technique en priorité nationale et d'en assurer la diffusion sur l'ensemble du territoire.
Malgré les atouts sur lesquels elle peut s'appuyer, notre politique de diffusion de la culture scientifique nous a paru, dans sa conduite, très éclatée entre diverses administrations et, dans son application, excessivement concentrée sur Paris et la région parisienne.
Notre mission d'information a noté que les actions conduites par l'Etat en faveur de la culture scientifique relevaient actuellement, pour l'essentiel, de trois ministères : celui de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, auquel se rattache votre département ministériel, madame la ministre, celui de la culture et de la communication et, enfin, celui de l'industrie.
L'entrée en vigueur de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances pourrait, fort opportunément, fournir l'occasion d'une identification plus claire des actions conduites ou projetées par ces différentes administrations, des objectifs qui leur sont assignés, des moyens qui leur sont consacrés et des programmes dans lesquels ces actions ont vocation à s'inscrire. Cette clarification constituerait un préalable utile à la coordination de ces politiques et à la réduction de leur dispersion.
Il nous paraît en outre indispensable que le ministère de la culture ne limite pas son action en ce domaine au seul exercice de la tutelle, au demeurant partagée, qu'il exerce sur la Cité des sciences et de l'industrie. Nous souhaitons qu'il considère la culture scientifique, technique et industrielle comme l'une des composantes de la culture au sens large et qu'il intègre sa diffusion dans les actions qu'il conduit à l'échelon national et à l'échelon régional. Nous ne doutons pas que votre collègue M. Jean-Jacques Aillagon, qui fut l'initiateur de l'« Université de tous les savoirs », accueillera cette proposition avec un grand esprit d'ouverture.
La commission des affaires culturelles du Sénat regrette en outre que les efforts financiers, certes non négligeables, que l'Etat consacre à la culture scientifique ne profitent pour l'essentiel qu'à quelques grands établissements parisiens, dont l'action reste encore trop centrée sur la capitale.
Les travaux de la mission d'information du Sénat ont souligné l'existence d'un important déséquilibre géographique dans les financements de l'Etat. Nous avons, certes, relevé que les subventions versées par votre ministère étaient largement déconcentrées. Cependant, celles-ci représentent à peine le dixième de la subvention inscrite en faveur de la Cité des sciences au budget du ministère de la culture. Quant aux crédits provenant du ministère de l'enseignement supérieur, ils sont absorbés pour l'essentiel par le palais de la Découverte, le Musée des arts et métiers et le Muséum national d'histoire naturelle, certes de très haute qualité, mais parisiens.
Nous ne contestons pas l'intérêt pour la France de disposer dans sa capitale de grandes institutions prestigieuses, dépositaires d'une longue mémoire et de compétences reconnues. Nous souhaitons cependant rappeler que leur mission de diffusion de la culture scientifique est une mission de service public, qu'elle s'étend à l'ensemble du territoire et qu'elle ne saurait, en conséquence, se limiter à l'accueil du public dans l'enceinte de leurs locaux.
Les éléments recueillis par la mission d'information du Sénat ont, en effet, mis en lumière le très grand nombre d'organismes qui participent à l'échelle régionale ou locale à la médiation scientifique : centres de culture scientifique, technique et industrielle, musées d'histoire naturelle en région, mais aussi nombreuses structures associatives reposant, pour l'essentiel, sur le bénévolat et qui exercent, au plus près de la population et des réalités locales, une action en profondeur qui n'est pas suffisamment reconnue et soutenue.
Ces organismes constituent de précieux relais pour la diffusion de la culture scientifique sur l'ensemble du territoire et nous estimons, tout en respectant leur autonomie, que les grands établissements devraient les seconder davantage, en réalisant des expositions à la mesure de leurs capacités d'accueil et de financement, et en mettant à leur disposition, le cas échéant, les médiateurs scientifiques nécessaires.
Dans les recommandations à mi-parcours qu'elle avait adoptées en juin 2002, notre commission avait invité le Gouvernement à rappeler au président de la Cité des sciences, alors en cours de nomination, que la mission qui incombait à cet établissement de « rendre accessible à tous les publics le développement des sciences, des techniques et du savoir-faire industriel » devait s'étendre à tout le territoire et qu'à ce titre il devait participer effectivement à leur diffusion dans les régions. Cet appel n'est pas resté sans réponse de la part du Gouvernement. Nous avons relevé avec satisfaction que la lettre de mission adressée par M. Luc Ferry, M. Jean-Jacques Aillagon et vous-même au nouveau président de la Cité, Jean-François Hébert, le 10 octobre 2002, rappelait l'attachement des trois ministres de tutelle à ce que le rayonnement de l'établissement s'étende aux régions et l'invitait à formuler des propositions concrètes pour renforcer son action territoriale.
M. Jean-François Hébert, que nous avons rencontré lors d'une visite de la Cité des sciences, le 26 février 2003, nous a, depuis, confirmé sa détermination d'oeuvrer en ce sens.
Peut-être pourrez-vous, madame la ministre, nous exposer les premiers résultats de ces nouvelles orientations ?
La commission des affaires culturelles s'est également intéressée de près au rôle essentiel que peuvent jouer en ce domaine le système scolaire dans son ensemble, ainsi que les médias, en particulier la télévision. Même si ces sujets ne relèvent pas directement, je le sais, de votre département ministériel, j'aborderai rapidement les conclusions auxquelles nous sommes parvenus.
Le rôle du système scolaire nous a paru fondamental, car l'école touche, en France, la totalité de la population, quelles que soient ses orgines sociales ou géographiques. En outre, la capacité du système scolaire à susciter l'intérêt et à dispenser les connaissances de base nécessaires conditionne très largement les autres voies de diffusion de la culture scientifique et technique.
Notre mission d'information, s'appuyant sur une évaluation réalisée par l'OCDE - le programme PISA, programme international pour le suivi des actifs -, a relevé que le rendement du système éducatif français était plutôt honorable eu égard aux comparaisons internationales, et nous nous en réjouissons.
Elle s'est, en revanche, alarmée de la diminution relative de l'effectif des étudiants inscrits dans les filières scientifiques, phénomène qui touche non seulement la France mais aussi les autres pays industrialisés. Cette désaffection ne concerne pas l'enseignement secondaire, mais elle est sensible dans l'enseignement supérieur et se concentre sur les premiers cycles universitaires. Ceux-ci ont enregistré, en dix ans, une diminution moyenne de 8 % de leurs effectifs, plus marquée dans certaines filières, puisqu'elle est de 27 % en biologie et de 46 % en physique-chimie.
Il s'agit là d'une évolution extrêmement préoccupante à laquelle votre département ministériel et vous-même, en tant que scientifique, madame la ministre, ne pouvez rester insensibles.
Nous avons exploré différentes pistes possibles pour rendre plus attrayant l'enseignement des sciences à l'école : nous nous sommes intéressés à l'opération « La main à la pâte » défendue par notre prix Nobel, le professeur Charpak, et aux pédagogies qui, dès l'enseignement primaire, favorisent l'observation et l'expérimentation. Nous recommandons aussi une plus grande ouverture sur l'extérieur des établissements scolaires, car nous sommes convaincus du caractère stimulant pour les jeunes élèves, des visites de laboratoires de recherche ou de technopôles, l'expérience personnelle de Pierre Laffitte dans ce domaine illustre tout à fait ce propos.
Enfin, nous suggérons que la mise en place du nouveau système « licence-mastère-doctorat », le LMD, soit mise à profit pour réviser les cursus de l'enseignement supérieur, et en particulier pour les ouvrir à d'autres enseignements que les enseignements majeurs de la discipline considérée. Pourquoi ne pas dispenser des enseignements d'histoire des sciences et de philosophie des sciences aux étudiants des disciplines scientifiques ? En sens inverse, des éléments de culture scientifique ne seraient-ils pas aussi utiles aux étudiants des disciplines littéraires, juridiques ou économiques ?
Il s'agit là de points sur lesquels certains d'entre nous sont déjà intervenus lors du débat d'hier sur l'école, et peut-être pourrez-vous, madame la ministre, nous rappeler l'état de la réflexion du Gouvernement sur ce sujet.
Les médias ont également un rôle essentiel à jouer compte tenu de la place qu'ils tiennent dans l'information de l'opinion.
Malgré les qualités intrinsèques de la radio et de l'Internet, la télévision s'impose encore aujourd'hui comme le vecteur le plus universel. Notre commission a relevé que, d'après un récent sondage de la SOFRES, 62 % des Français interrogés jugeaient insuffisante l'information scientifique à la télévision. Certes, l'analyse des grilles de programme montre que les chaînes diffusent globalement un nombre non négligeable d'émissions scientifiques, mais celles-ci sont presque toujours reléguées sur des plages horaires peu favorables ; les différentes disciplines y sont très inégalement représentées ; enfin, le degré d'exigence de ces émissions est très variable.
Le succès très remarqué de L'Odyssée de l'espèce, réalisée avec l'appui du paléontologue Yves Coppens, montre qu'un documentaire sérieux et exigeant peut être un succès en termes d'audience et qu'il mérite d'être diffusé à une heure de grande écoute.
Il faut tirer les leçons de ce succès et inciter les chaînes de télévision à nouer plus souvent ce type de collaboration fructueuse avec les grands noms de la science ainsi qu'avec les laboratoires de recherche des établissements publics qui dépendent de votre ministère.
L'émergence de nouvelles chaînes thématiques devrait constituer un support de développement pour ces émissions.
C'est sur cette touche, qui se veut optimiste, que je terminerai mon intervention.
Le succès remporté par des initiatives comme l'« Université de tous les savoirs » montre qu'il existe dans notre pays un véritable appétit de connaissances. Il en va de même pour certaines expositions thématiques à base scientifique qui rassemblent enfants et parents, les premiers entraînant souvent les seconds. Nous devons répondre à ce besoin d'information scientifique que nous sentons dans le public et que nous confirment les enquêtes d'opinion.
La commission des affaires culturelles a voulu attirer l'attention du Gouvernement sur ce point. Nous souhaiterions, madame la ministre, que vous nous présentiez les actions que le Gouvernement envisage pour donner à la diffusion de la culture scientifique et technique, en France, la place qui doit aujourd'hui être la sienne.
Il est clair que la préoccupation exprimée à travers la question que j'ai posée au Gouvernement, dont je viens de préciser la motivation, compte tenu des travaux que la commission des affaires culturelles a pu effectuer et qui vont faire l'objet des interventions de mes collègues, s'inscrit dans le contexte plus général de la place de la recherche française dans la compétition internationale.
Madame la ministre, le présent débat a été suscité et organisé il y a plusieurs semaines. Comme vous, nous ne sommes naturellement pas indifférents aux préoccupations exprimées actuellement par les chercheurs français dans le cadre du mouvement « Sauvons la recherche ». La commission des affaires culturelles a pris l'initiative d'organiser des auditions publiques sur le sujet afin de préparer un débat au sein de la Haute Assemblée dans des formes qui seront ultérieurement précisées. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 51 minutes ;
Groupe socialiste, 28 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Lucien Lanier.
M. Lucien Lanier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, dans sa grande sagesse, la commission des affaires culturelles du Sénat a voulu donner l'alerte sur le fait indéniable, et grave, de l'amoindrissement, depuis une dizaine d'années, de l'effort de recherche en France, voire d'une certaine désaffection pour la recherche.
Dès 1993, sous l'impulsion de nos collègues Pierre Laffitte et René Trégouët, une mission d'information réfléchissait sur l'accès au savoir, en particulier par les moyens audiovisuels.
Dans le même esprit, le président de la commission des affaires culturelles, Jacques Valade, a voulu, à bon escient, relancer l'information en l'élargissant aux thèmes, et donc aux problèmes, de la diffusion de la culture scientifique. La mission, présidée par Jacques Laffitte et dont nos collègues Marie-Christine Blandin et Ivan Renar ont été les rapporteurs, a déposé son très estimable et exhaustif rapport en juillet dernier.
Pour qu'il ne se fonde pas en un seul succès d'estime, notre collègue Jacques Valade a voulu relancer le débat par la question orale qui nous réunit aujourd'hui, et qui nous permet, d'une part, de clarifier dans toute sa mesure un constat qui n'est hélas ! que trop évident et, d'autre part, de réfléchir aux conclusions de la commission, qui restent toujours d'une parfaite actualité.
Les rapporteurs préconisent en effet que la diffusion de la culture scientifique et technique soit considérée comme une priorité nationale.
Est-il meilleure illustration de l'« ardente obligation » voulue en son temps par le général de Gaulle, et que vous êtes à même de comprendre mieux que quiconque, madame le ministre, parce que vous en avez bénéficié en tant que chercheur et que vous devez la rétablir en tant que ministre ?
Le constat de la commission est en effet sans fard. Elle décrit une situation aujourd'hui préoccupante, et qui sera demain pathétique si l'on n'y prend garde. Je cite en effet nos deux rapporteurs : « Notre appareil économique verra sa compétitivité compromise, car elle dépend de son aptitude à l'innovation technique... » Une nation se mesurera en nombre d'innovateurs, de brevets déposés, de chercheurs et, si possible, de trouveurs.
Voilà le problème posé clairement. La recherche d'une nation est source d'intelligence, par la réflexion, de morale, s'adressant à tous par les bienfaits de l'innovation, de développement économique, par ses applications dans leur diversité.
Et c'est pourquoi, madame le ministre, nous vous devons un premier remerciement, car vous avez su maintenir un juste équilibre entre ce qu'il est convenu d'appeler la recherche fondamentale et la recherche appliquée. L'une et l'autre sont indissociables ; la seconde est étroitement dépendante des découvertes de la première.
Une des premières tâches de l'éducation est de faire comprendre à tous que la production de brevets rentables n'a rien d'instantané ni de simple. « Eurêka » n'existe plus au fond d'une baignoire, mais implique un long processus qui exige modestie, solidarité et continuité de la recherche, dont les applications techniques iraient s'étiolant, si elles ne s'alimentaient à la recherche fondamentale. Moins spectaculaire, plus fermée, cette alternance d'espoirs et de déceptions est indispensable aussi, dans son essence, pour mûrir et offrir les fruits du développement.
Il faut faire comprendre également que, si les efforts financiers consentis pour la recherche n'aboutissent pas toujours à la création, ils ne sont pas perdus pour autant, car leurs éléments pourront servir dans l'avenir et se rassembler là où on ne les attendait pas dans l'immédiat.
Il convient donc de faire comprendre, et dès le plus jeune âge, la nature même de la recherche scientifique, organisme clef d'une nation, indispensable à son épanouissement et à son avenir. L'un de vos grands prédécesseurs, madame le ministre, Hubert Curien, avait ainsi poussé à l'organisation de la « fête de la Science ».
En effet, la diffusion efficace de la culture scientifique commence par une prise de conscience nationale, susceptible de faire comprendre la loi de l'effort mais aussi la joie d'un travail qui intensifie la personnalité et lui offre un avenir.
C'est en réalité les formes d'accès à la culture scientifique qu'il convient, semble-t-il, de rajeunir, d'adapter à son temps et dans toutes ses différentes étapes.
Cela est vrai pour tous les vecteurs de diffusion de la culture, et d'abord pour notre système scolaire et d'enseignement. Je ne puis, à cet égard, que considérer le bon sens du rapport qui nous meut : « améliorer la présentation des sciences à l'école, de façon à réfuter le sentiment suivant lequel ces matières seraient à la fois arides et difficiles, et à promouvoir la conviction que, si ces études requièrent effectivement une grande constance dans l'effort, elles débouchent sur une véritable joie de connaître et de comprendre ».
On ne saurait mieux dire que la diffusion de la culture scientifique commence par un enseignement adapté, attractif, engageant, mais surtout décloisonné et dont les acteurs sauraient s'ouvrir sur l'extérieur.
La science est par nature diversifiée et s'alimente des multiples apports qui peuvent vivifier des données souvent absconses.
Comme l'indique le rapport, la rénovation de l'enseignement des sciences exige non pas une réforme des programmes, mais plutôt une approche nouvelle pour les mieux faire comprendre et accepter, en les libérant d'un trop grand académisme scolastique.
Cela, bien entendu, ne doit pas nous empêcher de comprendre que toute formation serait vaine si elle ne reposait, dès le plus jeune âge, sur des bases élémentaires, solides fondements de toutes les compréhensions ultérieures, celles d'un enseignement supérieur progressivement plus diversifié et plus finement élaboré pour des étudiants motivés.
Mais l'effort consenti ne serait rien s'il ne reposait que sur la responsabilité des maîtres préposés à l'éducation. Le relais des entreprises privées, par le biais de leurs propres laboratoires de recherche et par la formation qu'ils peuvent dispenser, s'avère indispensable. Il convient de corriger le déséquilibre existant entre le public et le privé, marqué par une collaboration insuffisante, comme si l'Etat était seul responsable de la diffusion des connaissances et de la formation des scientifiques.
Certes, les exceptions encourageantes se multiplient, mais elles ne sont pas assez courageuses encore pour décloisonner des mentalités devenues de plus en plus anachroniques face à la mondialisation de la science et aux indispensables coopérations qu'elle suscite.
Car c'est bien des mentalités qu'il s'agit, et particulièrement de celles des jeunes, dont le divorce semble se confirmer avec les filières scientifiques : certaines ont perdu près de 46 % de leurs effectifs entre 1995 et 2002. Les viviers se dépeuplent au moment même où la relève, d'ici cinq ans, s'avère impérative.
Quelles sont les causes de cette désaffection ? Beaucoup cherchent à les discerner, car elles sont nombreuses. Je citerai, entre autres, les changements des mentalités, qui suivent les transformations de la société.
Consciente de ces évolutions, l'UNESCO envisage une enquête concertée des secteurs éducatifs et scientifiques afin de tenter d'élaborer des solutions ciblées à partir d'une analyse précise de la désaffection pour les études scientifiques, mal commun à plusieurs pays européens. La mise en oeuvre d'une telle résolution permettra en tout cas d'obtenir des données utiles à la recherche de possibles remèdes.
Vous vous engagez dès maintenant dans cette voie, madame le ministre, par un heureux choix des priorités. Ainsi, vos mesures en faveur des jeunes chercheurs, si elles sont encore modestes, marquent une heureuse orientation pour répondre à la crise des vocations.
Il convient d'accroître le nombre et la qualité des bourses offertes, mais surtout - voilà bien l'essentiel - l'attractivité de la condition des chercheurs, sans céder à la facilité des seules concessions matérielles, en recherchant plutôt de meilleures bases psychologiques, intellectuelles et morales.
Il faut faciliter le choix du chercheur, l'aider à trouver un centre de recherche adapté à sa discipline, un laboratoire conforme à sa vocation, où s'affirmera sa compétence, sa confiance, son goût d'un avenir souhaité. Il est indispensable d'éviter l'isolement, l'incertitude du chercheur en lui offrant un déroulement de carrière, en lui faisant partager l'idée que la recherche ne se compare pas à un métier et que, mises à part quelques splendides exceptions, elle n'occupe qu'un moment plus ou moins fécond de la vie d'un être, mais un moment qui permet bien des rebondissements.
Voilà pourquoi nous appelons de nos voeux ce « statut d'enseignant chercheur » à l'élaboration duquel vous vous consacrez, madame le ministre. Pourriez-vous nous dire où elle en est et faire également le point de la rénovation du DEUG scientifique ?
Peut-être, aussi, l'année 2004 verra-t-elle une nouvelle loi d'orientation de la recherche ? Votre action, en effet, qu'on le veuille ou non, est obligatoirement liée à la modernisation des structures qui ont, avec bonheur, fait leur temps, mais qui aujourd'hui, et surtout demain, n'épousent plus leur époque : ce qui, récemment encore, évoluait par période mesurée progresse aujourd'hui avec une rapidité révolutionnaire dans le seul moment de la vie d'un chercheur ou d'un mentor, qui doivent eux-mêmes se tenir à jour, à peine de perdre pied.
Evoluer fait partie de l'ardente obligation et prédispose à la curiosité du lendemain ainsi qu'à une vue d'ensemble et à moyen terme des perspectives de la recherche. Foin donc de l'immobilisme structurel, dont les inconvénients s'accroissent avec le temps ! Les situations acquises qui perdent leur allant quand elles ne sont plus justifiées, le refus du changement ou sa critique systématique, la crainte, surtout, de l'avenir, la peur d'en faire trop, ou pas assez, ou pas du tout, bref, d'être dépassé, méritent que l'on prenne soin de l'humain derrière le scientifique !
Tout entière tournée vers l'avenir, la recherche scientifique doit répondre aux exigences grandissantes de la science, à la complexité accrue des moyens qui lui sont attachés, à la mondialisation des effets qui en découlent.
Rester à niveau, c'est aussi l'espoir d'une solidarité scientifique européenne dont la cohésion accrue pourra tenter de répondre aux défis de demain.
Or, madame le ministre, vos efforts sont insérés dans l'étroitesse : la recherche civile est par essence interministérielle, ce qui entraîne un morcellement du dispositif de recherche ainsi qu'une prolifération des structures surimposées ou juxtaposées des organes de coordination. Tout cela absorbe une part importante de votre autorité et affaiblit l'élan d'une recherche trop disparate parce que trop éparse. Dans un milieu porté par essence à l'individualisme, c'est la solidarité qui en subit les conséquences.
Sans nuire d'aucune façon à l'autorité de chacun des départements ministériels, l'heure est venue de coordonner leurs actions de façon rationnelle. Ce pourrait être la mission d'un ministre de la recherche délégué auprès du Premier ministre capable de proposer les choix les plus urgents, puis les plus prometteurs ; capable de renouer avec la méthode des actions concertées entre les très différents acteurs de la recherche ; capable enfin de définir les voies d'orientation de la recherche en établissant la communauté de l'effort dans la compréhension mutuelle.
Madame le ministre, contrairement à ce qui est trop souvent répété, le problème de la recherche est à l'évidence un problème de moyens. Mais il me semble qu'il est aussi, et peut-être davantage, un problème de talents. La diffusion de la culture scientifique doit les susciter, l'organisation de la recherche peut les révéler.
Le groupe UMP souhaite de tout coeur vous aider dans cette tâche. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier M. Valade d'avoir pris l'initiative, par sa question orale, de ce débat sur la culture scientifique.
Je voudrais aussi remercier Mme la ministre d'avoir accepté la proposition qui lui a été faite, même si je pense que, pour être totalement loyal, le débat aurait dû voir la participation du ministre de la culture et de la communication et du ministre de l'éducation nationale, qui doivent eux aussi avoir bien des choses à dire sur ce dossier.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Tout à fait !
M. Ivan Renar. Cela dit, tout étant dans tout et le reste dans Télémaque (Sourires), je suis persuadé que vous ne ferez pas rougir feu l'évêque de Cambrai, même si les responsabilités que vous allez devoir assumer sont plus collectives. C'est d'autant plus vrai que, sans vouloir tomber dans le mélodrame, la situation est grave. Ce débat tombe donc à point.
Je ferai une photographie rapide du paysage, bien que beaucoup de choses aient déjà été dites à l'instant par M. Valade ou sont formulées dans le rapport de la mission.
Les jeunes se détournent des filières scientifiques, et l'on peut même parler de désaffectation massive. Les chercheurs français se plaignent légitimement de l'insuffisance de leurs moyens. La fuite des cerveaux s'accélère.
Comment accepter de laisser l'éducation scientifique et technique en souffrance ? Sauf à dire que notre pays renonce au progrès, à la raison même et à l'avenir, une telle situation est non seulement préoccupante, mais inacceptable.
C'est pourquoi la commission des affaires culturelles du Sénat a accepté à l'unanimité le titre du rapport que j'ai eu l'honneur de présenter, avec Mme Marie-Christine Blandin, au nom de la mission d'information présidée par M. Pierre Laffitte : La culture scientifique et technique pour tous : une priorité nationale.
La science, la recherche : voilà l'audace de l'homme ! Comment renoncer à cette impétueuse audace alors qu'elle répond à des impératifs incontournables, que ceux-ci soient sociaux, économiques, ou même politiques ? Ce n'est pas seulement pour des raisons électorales que les Américains relancent actuellement un ambitieux plan de conquête de l'espace, générateur par incidence de découvertes qui dépassent le seul domaine spatial !
Dans ce monde lézardé par les sectarismes et la violence, la lutte contre l'illettrisme scientifique est un enjeu plus que jamais crucial pour peser sur les choix et sur les conséquences environnementales, éthiques et sociales qui résultent des avancées scientifiques elles-mêmes.
Dans notre société peuplée d'objets techniques et technologiques toujours plus nombreux, comment concevoir que la culture scientifique puisse être en recul ? N'est-ce pas là un archaïsme indigne d'un pays développé comme la France ?
Promouvoir la place et le rôle de la culture scientifique relève donc du principe de précaution. J'oserai dire que c'est une belle façon de préparer l'à-venir, car, sans mesure allant dans ce sens, le risque est grand d'un pays en régression, à la traîne des pays européens et des autres continents. Cette promotion est même indispensable si l'on examine les mutations techniques auxquelles nos sociétés sont confrontées, qui sont d'une ampleur et d'une force d'innovation parmi les plus grandes qu'ait connues l'histoire humaine.
Avec les autoroutes électroniques de l'information, la révolution numérique, le multimédia et les réalités virtuelles, « l'en-commun des hommes » est affecté dans toutes ses dimensions : mémoire, représentations du monde et imaginaire. L'esprit est touché par les mutations techniques comme le corps est bouleversé par les mutations biotechniques.
Tout cela se développe sous le signe de l'accélération, amenant certains à penser que l'humanité a trouvé son « Sésame ouvre-toi » - ce sont les technophiles - et d'autres à croire que l'humanité a rencontré son désastre - ce sont les technophobes.
Sans vouloir arbitrer un débat myope entre technophobes et technophiles, je ne saurais oublier que la technique pense quelquefois qu'elle peut se passer de la pensée, de même que certains technocrates pensent que la société peut se passer de la science, des savants, de la connaissance, de la culture, des artistes, et qu'un jour, certainement, des ordinateurs feront des films que, sans aucun doute, d'autres ordinateurs iront voir ! (Sourires.)
Au-delà de la boutade, face à ces innovations créées par l'homme, il est nécessaire et urgent de prendre le temps de la maîtrise éthique, esthétique et sociale de ces processus inédits et de dégager aussi, pourvu que l'homme soit au centre de tout, de nouvelles possibilités d'émancipation générale et de libération de chaque individu. Et moi qui suis de parti pris - je ne le cache jamais -, nourri de la tradition des Lumières, celle qui a fondé les principes de la République, je pense à Condorcet : « Il n'y a pas de liberté pour l'ignorant. » Ce grand mot phosphorescent de la République pourrait utilement rejoindre le tryptique « Liberté-Egalité-Fraternité » au fronton de nos établissements publics. Du pain, des livres et des nouvelles technologies, en quelque sorte... (Sourires.)
On nous dit trop souvent : cela coûte cher. Certains comptables supérieurs, arrogants et glacés, parlent toujours du coût de la culture - mais se gardent bien de se poser la question du coût de l'absence de culture !
Il faudra bien un jour que l'on sorte de cet aspect de la pensée unique selon lequel « il est fatal que la culture soit toujours traitée après » et la culture scientifique encore après, alors que l'on assiste à une demande croissante de culture scientifique de la part des citoyens, comme l'attestent le succès de la Science en fête et de l'Université de tous les savoirs ainsi que la fréquentation de nos établissements de culture scientifique.
En tant qu'élu, je le constate : si l'Etat hésite, on voit vite les collectivités bégayer. Les soustractions d'en haut encouragent les soustractions d'en bas.
Cela dit, unir dans un même souci le culturel, la connaissance, l'économique, le social, les savoirs comme les « savoir-faire », n'est-ce pas là une bonne façon, à notre époque, de considérer l'homme dans toute sa dimension ?
On nous pose parfois la question : cette démarche n'est-elle pas trop ambitieuse ? Mais pourquoi les habitants de notre pays n'auraient-ils pas droit au meilleur de ce qu'est capable de créer l'homme, dans le domaine des arts comme dans celui des sciences ou de la médecine ?
« Soyons élitaires pour tous », pour reprendre la belle expression d'Antoine Vitez. Notre problème est de répondre aux besoins non pas seulement matériels, mais aussi intellectuels et moraux de nos concitoyens : la culture scientifique n'est pas un supplément d'âme ni une décoration que l'on porte à la boutonnière.
Dès lors, comment ne pas dire un mot des coups portés à l'investissement en matière grise dans notre pays ? Après la baisse concomitante et inédite des budgets de la culture, de l'éducation et de la recherche, voilà qu'est remis en cause le régime des intermittents du spectacle, dans une logique destructrice de tout ce qui touche au développement des capacités humaines. En témoigne également l'absence d'ambition de la politique scientifique - malgré vos efforts, madame la ministre -, marquée par un recrutement encore en baisse des chercheurs et la confiscation des moyens. Que ceux-ci soient aussi loin d'être à la hauteur des enjeux de notre temps compromet gravement l'avenir de notre pays.
Or, on le sait bien, quand le service public recule, « c'est le marché sans conscience ni miséricorde qui avance », pour reprendre la belle formule d'Octavio Paz, prix Nobel de la paix.
Reconnaître le rôle irremplaçable de la culture et de la création dans la société reste un combat. L'utilité sociale, la fonction sociale de l'art, des artistes, des scientifiques, des chercheurs, voilà ce qui cogne à la vitre de notre pays.
La question qui, en fait, est fondamentale, cruciale, est de savoir si la société, en ce début de siècle, est prête à accueillir les avancées scientifiques, à se les approprier, à les transformer en force de réflexion. Car, sans idéaliser des lendemains numériques qui chanteraient, la culture, et par conséquent la culture scientifique, est bien au centre de la vie ; elle est aussi une réponse de civilisation et la condition même de notre civilisation.
Si j'avais un message à délivrer cet après-midi, je dirais : « N'ayons pas peur de la création, du neuf, de l'invention, de l'imagination ! Attention à la rouille historique : les savants et les artistes travaillent avec des mains d'avenir ! »
Nous avons besoin d'invention : « J'invente donc je suis. », a écrit le poète. Comment vivre avec son temps sans penser au futur et sans, pour autant, insulter le passé ? Etre un héritier au sens fort du terme, n'est-ce pas préserver et faire fructifier l'acquis, en faisant pour cela hardiment appel à l'innovation ? N'est-ce pas, en quelque sorte, se souvenir de l'avenir ?
Soit dit entre nous, la question : « Est-ce utile ? » n'est pas une vraie question, parce que le mot « utile », avec quelques lettres de plus, devient « utilitaire », « utilitariste », et aussi « utilisé ». Or c'est à une autre profondeur qu'intervient la fonction irremplaçable de la culture scientifique.
Ceux qui créent, inventent, découvrent et, par là même, nous interpellent, appartiennent à l'espèce des dérangeurs, des semeurs de désordre, comme disent nos amis physiciens, au sens thermodynamique du terme, rassurez-vous, madame la ministre ! (Sourires.)
L'histoire le prouve : l'art, la recherche et la vie progressent par dissonances, et bien imprudents seraient ceux qui bouderaient tous les apports de la création, d'où qu'elle vienne.
J'aime à relire André Malraux : « La création est un domaine de rigueur tout nourri d'aventure. Ayez pitié de nous qui vivons cette longue querelle de l'ordre et de l'aventure ! »
La culture scientifique s'impose en raison même de l'évolution en accéléré de la science. Sa démocratisation est plus que jamais un enjeu déterminant. Il importe de donner à tous et à chacun les clés nécessaires à l'appréhension de notre monde de plus en plus complexe. Il s'agit moins de « vulgariser » la science que, au contraire, de lui rendre ses lettres de noblesse, tout en la démythifiant et en la désacralisant.
En effet, chacun, fût-ce à son corps défendant, est concerné dans son quotidien et son mode de vie : « mal-bouffe », qualité de l'eau, écologie, santé, manipulations génétiques, réchauffement de la planète, etc. La science constitue d'ailleurs, à cet égard, un outil indispensable, y compris pour déjouer les méfaits de la science !
Cet outil est d'autant plus nécessaire que l'on assiste aussi, à notre époque, à une montée en puissance de l'irrationnel, liée paradoxalement aux évolutions rapides et inédites de la science même. Cette irrationalité engendre peurs, préjugés, prolifération des sectes... On est loin de souffrir d'un excès en matière de culture scientifique, bien au contraire, et il est toujours urgent et prioritaire de lutter contre les sophistes et autres gourous de tout poil !
On mesure toute la nécessité de démocratiser l'accès à la culture scientifique quand on prend conscience qu'elle est aussi un enjeu majeur pour la démocratie elle-même. Il n'y a pas de démocratie sans généralisation et partage des savoirs. Il s'agit ni plus ni moins de permettre que chaque citoyen puisse, en connaissance de cause, peser sur les choix scientifiques qui dessineront le monde de demain, savoir faire la différence entre les nouveaux scientifiques et les nouveaux sorciers de la société moderne. Vulgarisation et vulgarité ne sont pas une même chose.
La culture scientifique doit faire pleinement partie de la culture générale et devenir une priorité sur l'ensemble du territoire national, les crédits de la diffusion de la culture scientifique profitant pour l'essentiel, actuellement, à Paris et à sa région. Alors que l'on n'a jamais autant parlé qu'aujourd'hui de décentralisation, comment accepter une telle situation ? Certes, votre ministère, madame, est celui qui répartit le mieux ses crédits sur l'ensemble du territoire national, mais le problème tient, en ce qui le concerne, à l'insuffisance de ceux-ci.
En ce sens, développer la culture scientifique et, par conséquent, la compréhension de ses enjeux, c'est aussi développer la citoyenneté, au service d'une éthique à construire le plus largement possible. Il n'y aura jamais trop de sentinelles sur la ligne de front de l'obscurantisme ! Chaque avancée scientifique, sur le plan biotechnologique par exemple, apporte des réponses, mais soulève également de multiples questions en matière d'éthique, de philosophie, de rapport à la vie, à l'environnement, à l'autre.
Il s'agit de passer du petit cercle des connaisseurs au grand cercle des connaisseurs. En dehors de l'action des musées et centres de culture scientifique et des efforts de milliers de véritables militants de la culture scientifique, deux vecteurs me paraissent déterminants pour développer la culture scientifique : l'école et la télévision. Il n'est nul besoin de faire la démonstration que l'une comme l'autre pourraient engendrer une réelle appétence pour la science et susciter les vocations qui font défaut aujourd'hui. Parce que tout le monde regarde la télé, et ce de plus en plus longuement, il est indispensable de renforcer la place de la culture scientifique sur le petit écran.
Le succès de la fiction l'Odyssée de l'espèce, réalisée avec l'appui du paléontologue Yves Coppens, y invite. Produisons en masse des films de culture scientifique et diffusons-les à des heures de grande audience !
En ce qui concerne l'école, j'ai dit hier à M. Ferry ce que je pensais de la tristesse de la situation de marginalisation, pour ne pas dire de déshérence, non pas tant des enseignements que de la culture scientifique elle-même, s'agissant en particulier du contact vivifiant avec les savants et les chercheurs, trop souvent absents de l'école parce que l'on ne fait pas appel à eux.
Les arguments et les faits tirés de l'actualité ne manquent pourtant pas pour donner raison à toutes celles et à tous ceux qui sont déterminés à lutter contre l'illettrisme scientifique afin que chacun puisse peser les conséquences éthiques et morales qui découlent des avancées scientifiques. Autrement dit, il s'agit ici du droit de savoir pour disposer du pouvoir de décider : il faut « repolitiser la science » au meilleur sens du terme, afin qu'elle retrouve sa place au coeur de la cité, dans le débat civique et politique.
Cela est d'autant plus nécessaire que, à tort ou à raison, la science fait aujourd'hui de plus en plus peur et suscite la méfiance, alors même qu'elle a bénéficié, pendant plusieurs décennies, d'une aura très positive, étant étroitement liée au progrès de nos sociétés et, en quelque sorte, au bonheur.
C'est pourquoi il est urgent de promouvoir une science « nouvelle » qui cherche à « réenchanter » le monde. Les universités, les chercheurs, les étudiants, la collaboration et la coopération des centres et musées de culture scientifique, ainsi que de nombreuses structures associatives, ont vocation à susciter et à fédérer les actions dans ce sens.
Puisque l'homme a déjà été chassé du paradis, il ne court plus de risque à goûter toujours davantage aux fruits de l'arbre de la connaissance, qui permettent de construire un monde du meilleur, contre ceux qui prônent un monde du pire.
A cet égard, il s'agit bien de promouvoir une action en profondeur de sensibilisation à la science, mais aussi d'expérimentation du type « La Main à la pâte », au plus près des populations.
Comme le dit le proverbe chinois, « plutôt que de fulminer contre les ténèbres, il vaut mieux allumer une petite lumière », surtout si cette lumière est celle de la culture, en particulier scientifique, donc celle de la liberté. En effet, la culture, et donc la culture scientifique, nous rappelle en permanence que nous faisons partie d'une communauté qui se nomme l'humanité. C'est une question éminemment politique, au meilleur sens du terme : il s'agit bien ici de la politique qui fait que l'on assume son destin au lieu de le subir.
La science a sa place au coeur de la culture de notre temps. Comment prétendre aujourd'hui être « cultivé » si l'on ne possède pas un minimum de culture scientifique ?
Mais à tous, à commencer par vous, madame la ministre, je dis qu'il y a urgence, car, comme dit le poète : « Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Jacques Valade, que je remercie d'avoir posé cette question orale avec débat, a déjà brillamment présenté la problématique sociale, culturelle et économique qui a été étudiée dans le rapport d'information du Sénat sur la diffusion de la culture scientifique. Mon collègue et ami Ivan Renar a évoqué les conclusions de ce dernier, qui se trouvent au coeur de notre débat. Je sais, madame la ministre, que vous-même et vos services en êtes convaincus.
Certaines des réflexions que nous avons formulées ont d'ailleurs d'ores et déjà produit quelques effets. Par exemple, avec l'aide d'Electricité de France, une exposition itinérante intitulée « Qu'y a-t-il derrière la prise ? » a été organisée par la Cité des sciences. Elle se trouve actuellement à la fondation Sophia-Antipolis, où nous sommes obligés de limiter le temps imparti aux classes des collèges qui la visitent l'une après l'autre. Nous faisons face, en effet, à un véritable embouteillage ! Les élèves se pressent pour comprendre les mystères de l'électricité. Ce constat confirme le grand « appétit » du public, en particulier des jeunes, pour la culture scientifique, technique et industrielle.
Je sais que vous réfléchissez, madame la ministre, à la mise en oeuvre des suggestions émanant du Sénat et de divers publics que vous avez désiré rencontrer, en particulier au Futuroscope de Poitiers, où nous étions ensemble, en attendant votre visite, très attendue, à Sophia-Antipolis ! A cette occasion, nous reparlerons, notamment, de la nécessité d'allier l'esprit de découverte à l'esprit d'innovation, ce qui correspond tout à fait aux objectifs que vous avez brillamment exposés avec votre collègue Nicole Fontaine lors d'une intervention relative au plan pour l'innovation.
Ces objectifs, vous les avez inscrits pour partie dans votre action à l'occasion de l'élaboration de la loi de finances de 2004, malgré les difficultés que chacun connaît. Nous espérons tous que vous les atteindrez dans une très large mesure, comme le laissent augurer la dernière initiative et le dernier discours du Président de la République sur ce sujet. Préparons-nous donc en vue de l'examen du projet de budget pour 2005, préparons-nous éventuellement à construire une loi de programmation pour la recherche pour la période 2005-2008, de façon que notre pays retrouve véritablement la dynamique qui avait été insufflée à la fin de la IVe République et, surtout, par le général de Gaulle, une dynamique de projets à long terme, lesquels sont indispensables dans le domaine scientifique et dans le contexte de mondialisation de l'économie que nous connaissons.
A cet égard, l'Europe ne pourra maintenir sa place dans le monde qu'au prix d'un effort massif en matière d'innovation. Vous savez, madame la ministre, que nous menons une croisade en vue d'obtenir que soit contracté un emprunt de 150 milliards d'euros par la Banque européenne d'investissement, à la mesure des objectifs arrêtés par les chefs d'Etat de l'Union européenne à Lisbonne, qu'il convient d'atteindre le plus rapidement possible.
Allier l'esprit de découverte, la joie de connaître, chantée par Pierre Ternier, ce jeune poète issu du corps des Mines, au plaisir de créer des richesses et des emplois par l'innovation, voilà ce qui me paraît tout à fait fondamental !
Il se trouve que les travaux au Grand Palais vont obliger le palais de la Découverte à procéder à quelques aménagements de ses activités. Le rapport de la mission d'information sur la diffusion de la culture scientifique a souligné la qualité des liens unissant les équipes du palais de la Découverte aux centres de diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle de province.
Peut-être est-ce l'occasion, pour une partie de ces équipes, de participer au projet de création d'une sorte de palais de la Découverte et de l'innovation près de Sophia-Antipolis, sous la forme d'un organisme mixte, à la fois public et privé, qui associerait des partenaires tant français qu'étrangers, tels que des instituts de recherche, des établissements d'enseignement supérieur, des associations, des fondations, à de jeunes entreprises innovantes, aux directions de la prospective et de la recherche de grands groupes.
La vocation d'un tel centre serait de présenter toute une série d'opérations, notamment « La Main à la pâte » et ses fameuses mallettes, ainsi qu'une rétrospective des publications de l'« Université de tous les savoirs », expérience copiée dans le monde entier. Des expositions, des cycles de formation à l'entreprenariat innovant et des présentations d'innovations réalisées ou en voie de réalisation y seraient également organisés.
En outre, avec éventuellement l'appui du Gouvernement, des collectivités, de la société civile et, bien sûr, des industriels, des prix annuels de l'innovation pourraient être décernés, à l'échelon non seulement national, mais aussi euroméditerranéen, Sophia-Antipolis étant, par structure, très internationale. Certes, ces prix n'auraient pas le prestige des prix Nobel, mais il faut un début à tout. Si nous ne nous engageons pas dans cette voie, notre pays ne se dotera jamais de l'équivalent de la célèbre académie suédoise. Pourquoi ne pas l'instituer dans cette partie de la France située à la charnière entre l'Europe et le monde méditerranéen ?
Par ailleurs, en s'impliquant dans une mise en réseau, notamment par voie de télévision interactive, sur l'Internet, de l'ensemble des centres de diffusion de la culture scientifique et technique, ce nouvel établissement pourrait alimenter une muséographie moderne dans ses domaines de spécialité et contribuer à la création d'une cinémathèque de l'innovation, avec la participation de France Télévision, plus particulièrement de La Cinq, dont c'est la vocation, ainsi que de divers organismes de télévision éducative.
Enfin, le palais de la Découverte et de l'innovation de Sophia-Antipolis pourrait s'associer aux cités des sciences de Tunis et de Naples, par exemple. Nous pourrions confronter les réalités françaises à celles de Munich ou de Barcelone. Le centre Nausicaa serait lui aussi susceptible de s'insérer dans ce maillage interactif, fortement uni par des réseaux de communication de grande capacité, partout maintenant accessibles. Il conviendrait également, bien entendu, de nouer des relations avec les musées d'Amérique ou d'Asie, qui, parfois, font preuve de dynamisme, bien que, pour l'heure, les institutions européennes me semblent disposer encore d'une certaine avance du point de vue pédagogique.
La mise en oeuvre d'un tel projet ferait bénéficier la recherche d'une meilleure compréhension par le public. Or notre société doit retrouver la confiance dans le progrès qu'elle a quelque peu perdue. Elle doit se tourner vers le progrès avec dynamisme, avoir la volonté d'assurer un développement durable grâce à lui. Seule une utilisation intelligente de la science permettra d'atteindre cet objectif, au profit de notre jeunesse et de notre population tout entière.
A cet égard, une démocratie qui aurait perdu l'espoir, qui n'aurait plus ni vitalité ni enthousiasme serait menacée. Certes, la création d'un palais de la découverte et de l'innovation ne peut suffire à résoudre tous les problèmes, mais lorsqu'il sera animé par l'ensemble des forces vives de notre pays, publiques ou privées, il sera un excellent outil, qui nous permettra de retrouver la dynamique que j'évoquais. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque M. Pierre Laffitte a pris l'initiative d'instituer une mission d'information en vue d'étudier la diffusion de la culture scientifique, il a répondu à une préoccupation des sénateurs de la commission des affaires culturelles et du président de celle-ci, M. Jacques Valade. Nous avons pu constater, sur ce sujet, l'existence de nombreux points de convergence en termes de diagnostic et d'aspirations.
De la lutte contre l'obscurantisme aux fondations de recherche-développement, de l'école à L'Odyssée de l'espèce, des centres de culture scientifique, technique et industrielle au Palais de la découverte, nos investigations ont révélé l'ampleur des enjeux, qui est encore plus grande que nous ne le soupçonnions.
Les orateurs qui m'ont précédée ont évoqué le secteur audiovisuel et, surtout, les dégâts, en matière de compétitivité, que nous ne manquerions pas de subir si nous persistions à laisser en friche le champ de la culture scientifique.
Pour ma part, je commencerai par établir un état des lieux.
Si quatre ministères au moins subventionnent des actions ou des institutions, un simple regard sur l'aménagement du territoire révèle une injustice scandaleuse. Pour avoir accès à un lieu équipé, à des médiateurs rémunérés, il vaut mieux vivre en Ile-de-France, et surtout à Paris. Pour les autres, des miettes, difficilement obtenues par des collectivités territoriales, âprement négociées en échange d'un financement local. Ce qui semble un dû dans la capitale reste un luxe ou un privilège ailleurs.
En ce qui concerne le ministère chargé de l'enseignement supérieur, ce sont environ 30 millions d'euros qui sont dépensés pour 11 millions de Franciliens, contre seulement 20 millions d'euros pour les 48 millions de Français qui vivent hors de l'Ile-de-France.
En ce qui concerne le ministère de la culture, quelque 86 millions d'euros sont affectés à la Cité des sciences ; les autres établissements sont négligés.
En ce qui concerne le ministère de la recherche, l'engagement financier est modeste. Néanmoins, une gestion déconcentrée permet de financer, à hauteur d'environ 8 millions d'euros, des actions de proximité harmonieusement réparties.
Il ne serait certes pas juste de refuser à une capitale des équipements dignes de son statut, et nous ne souhaitons pas fragiliser le travail exemplaire d'institutions historiques comme le Palais de la découverte, le Muséum d'histoire naturelle ou le Musée des arts et métiers. Nous en appelons simplement à la justice. Il ne peut y avoir deux vitesses dans l'accès au savoir, surtout quand l'argent de tous sert à financer les équipements de quelques-uns.
Les activités bien réparties, comme la Fête de la science, les projets d'action éducative, quelques actions en contrats de plan Etat-région ou les CCSTI - centres de culture scientifique, technique et industrielle - et des muséums qui tirent parfois le diable par la queue nous sont indispensables, mais ne nous suffisent pas.
Certes, un établissement comme la Cité des sciences et de l'industrie affiche encore 2,5 millions de visiteurs et une succession de brillantes expositions mises en scène grâce à un millier de salariés, mais quelle est l'accessibilité à ce savoir pour un jeune de Maubeuge ou d'Arles ?
Et comment ne pas s'étonner qu'avec tant d'argent l'exposition Climax ait encore besoin de Total, de Peugeot et du CEA, le Commissariat à l'énergie atomique, pour définir l'avenir de la planète. D'ailleurs, la première salle de cette exposition diffuse un étrange cocktail de données vérifiées - température, taux de CO2 - et de solutions techniques ubuesques, se refusant à parler de l'humanité, des plus vulnérables au Sud et de nos dégâts actuels, sinon pour les présenter comme anecdotiques et réversibles.
Mais revenons aux injustices : aller à Paris, fût-ce avec son lycée, payer l'entrée, fût-ce à tarif réduit, a un coût qui rend le déplacement exceptionnel et hors de portée d'une majorité d'élèves.
Or, pour l'instant, malgré une lettre de mission en ce sens, l'heure n'est pas encore à la production d'expositions modulables, qui seraient transportables et utilisables sur tout le territoire. L'appui aux petites structures, sans hégémonie, avec un véritable souci d'écoute de leurs besoins et la mise à disposition de moyens logistiques, voire humains, est une piste indispensable.
A l'injustice territoriale d'investissement correspond l'injustice territoriale de soutien à l'émergence et au fonctionnement.
J'ai vécu, comme présidente de la région Nord - Pas-de-Calais, l'enthousiasme de la naissance d'un forum des sciences, concrétisation du brillant travail d'une association, Alias. Je cite cet exemple, car beaucoup ont vécu des situations analogues dans d'autres régions.
Chacun s'engageait, la ville, la région et l'Etat, sur un projet ambitieux. Puis l'Etat n'a pas concrétisé. Et non content de nous mettre en difficulté, il a accumulé toutes les démarches sourcilleuses, faisant régner dans la structure un climat délétère : trésorier-payeur contestant le statut, DRAC - direction régionale des affaires culturelles - proposant de licencier pour boucler le budget, préfet peu zélé pour solliciter les fonds européens.
Nous en étions arrivés à une situation inacceptable : le budget amputé de la juste contribution de l'Etat permettait la vie de l'établissement, mais ni la création, ni la diffusion dans la région.
Et faute d'argent public, on voyait venir EDF pour le nucléaire ou Avantis pour les OGM, mais sans autre participation. Si les contributions, voire les positions militantes, des groupes privés ont toute leur place - les centres sont aussi de culture industrielle -, elles ne sauraient remplir l'espace par manque d'argent public, appauvrir la liberté par manque de diversité d'approche, confondre l'industrie et tous ses savoirs avec l'entreprise et ses intérêts particuliers, dont le premier est quand même de vendre.
Alors, les collectivités ont versé encore plus. Et ce n'est pas là notre conception de la décentralisation. Celle-ci ne saurait se résumer au non-respect des promesses de l'Etat et à son désengagement.
Non, la culture scientifique, loin de Paris, n'est pas une sinécure.
Pourtant, le talent existe : nous avons rencontré, par exemple, Nausicaa à Boulogne-sur-Mer.
Nous l'avons rencontré auprès des animateurs de CCSTI. Ils veulent être mieux épaulés, mieux reconnus, disposer de facilités d'accès aux lieux de diffusion, et de facilités pour leur mise en réseau.
Le colloque du 11 septembre 2002 a révélé l'incroyable foisonnement d'initiatives et de médiateurs passionnés et vertueux de la culture scientifique.
Il ne se passe d'ailleurs pas une semaine sans que telle ou telle structure aux actions innovantes et remarquables nous reproche de l'avoir oubliée dans les auditions ou dans les invitations, tant le fourmillement est méconnu.
M. Pierre Laffitte. C'est vrai !
Mme Marie-Christine Blandin. Ce débat lui-même sèmera des frustrations : citerai-je l'énergie des « Petits Débrouillards », le dévouement des maîtres d'école « Freinet », la modernité sur Internet de « Télé-savoirs », la convivialité du « Bar des sciences », l'engagement des « Foyers ruraux » ? J'en oublie forcément et je me fais, de nouveau, des ennemis ! (Sourires.)
Je voudrais vous faire partager la tristesse de ce bénévole astronome qui, après avoir fait briller les yeux de toute la salle en expliquant, lors du colloque, ce qu'il faisait, a conclu : « Dans les ministères, ils ne savent même pas que tout cela se fait, que cela draine des milliers de visiteurs et, quand cela s'arrêtera, quand je serai mort, ils ne s'en rendront même pas compte ! (Nouveaux sourires.)
Voilà, mesdames, messieurs, ce qui blesse et ce qui fâche, à savoir non seulement l'injustice territoriale en matière de moyens, mais le manque de reconnaissance pour tout ce savoir-faire ingénieux et enthousiaste au service du plaisir de comprendre et de l'intérêt public qui mériterait d'être mieux recensé.
Nous avons besoin d'une évaluation globale, et par ministère, de vos engagements. Il faut que vous identifiez ce qui se fait et les objectifs que vous vous fixez. J'y reviendrai, nous ne nous satisfaisons pas des limites que se donne le ministère de la culture en la matière.
On ne saurait oublier le lieu, par excellence, de la formation - dont la formation scientifique - qu'est l'école. Contrairement à certaines idées reçues, une étude internationale sur l'aptitude des jeunes à exploiter leurs connaissances face aux défis de la vie révèle une performance française un peu supérieure à la moyenne pour ce qui est des mathématiques, et une place honorable en matière de culture scientifique.
Mais les faits sont là : moins 27 % d'inscriptions en DEUG de biologie et moins 46 % en physique-chimie ! Ces chiffres datent d'il y a deux ans, mais la tendance ne s'est pas inversée.
Si le bac S ou les classes préparatoires attirent encore, les motivations sont plus de l'ordre de la sélection et de l'excellence que de l'amour des sciences.
La situation est si préoccupante que l'on prévoit une pénurie d'enseignants scientifiques dans les années à venir.
Les Français aiment leurs chercheurs, ils considèrent que ce métier est « attirant », « valorisant socialement », « ouvert sur le monde », mais quand on demande aux jeunes quel regard ils portent sur les études scientifiques, 67 % d'entre eux estiment que les cours sont « non attrayants » et 88 % pensent que les matières sont « trop difficiles ».
Après avoir dressé ce constat inquiétant du mépris des enjeux, mais qui n'est pas pessimiste, car le potentiel existe, tout comme existe la volonté sur le terrain, notre mission a choisi de qualifier la culture scientifique pour tous de nécessaire « priorité nationale ».
Il faut réveiller le désir de sciences à l'école et familiariser les enfants avec cette matière dès leur plus jeune âge. Pour que le toucher, l'observation, la question, la suggestion soient vraiment des instants agréables et féconds de l'apprentissage, les maîtres doivent être sensibilisés, aidés et outillés dès leur formation. Beaucoup viennent de filières littéraires et ont besoin d'appui dans les instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM. Tous ceux qui en ont bénéficié disent combien la classe en a profité, non seulement pour l'éveil à la science, mais aussi comme support motivant pour les autres matières.
Certains disent, sur le sujet, que le collège est ennuyeux et que le lycée est rébarbatif. La généralisation est abusive mais, avant de penser à réformer en profondeur les programmes, nous devons parler d'approches, de méthodes et de conditions de travail.
Nous préconisons les regards croisés et une transversalité accrue. L'histoire des sciences n'est pas une matière à part, elle est la science aussi. De même, nous prônons l'ouverture sur l'extérieur : des stages des enseignants en milieu de recherche, des visites de laboratoires par les élèves, la découverte des autres métiers de la sciences, tels les ingénieurs.
Arrivée à ce point des suggestions, je dois faire un plaidoyer en faveur des enseignants. Le carcan administratif et le poids des règles, des délais et des risques sont tels que le dynamisme d'un professeur n'a qu'une alternative : le renoncement ou la désobéissance.
M. Ivan Renar. Absolument !
Mme Marie-Christine Blandin. Imaginez un professeur de sciences et vie de la terre dans un collège ou dans un lycée. Il a environ dix classes ; deux sorties par an seraient un minimum, ridicule au regard de nos ambitions. Cela représente, pour l'enseignant, une sortie tous les quinze jours, anticipée de trois mois chacune pour avoir l'aval du conseil d'établissement, la collecte des autorisations, la négociation avec les collègues pour les perturbations de l'emploi du temps, la prise de risque, et la recherche de fonds.
M. Pierre Laffitte. C'est vrai !
Mme Marie-Christine Blandin. Dans le carcan rigidifié de nos moeurs scolaires, gageons qu'il passera vite pour un perturbateur.
Se repliera-t-il sur l'animation d'un club ? Là aussi, les contraintes horaires du ramassage scolaire priveront les enfants de milieu rural de tout accès à ce supplément d'âme. Nous appelons donc à un remaniement en profondeur de la méthode, et un regard renouvelé sur les suggestions de Célestin Freinet ne serait pas du luxe.
Le vide démographique qui s'annonce dans les rangs des étudiants se destinant à l'enseignement scientifique impose de prendre des mesures radicales et rapides : lever toutes les réticences féminines par des aides spécifiques, des bourses, des prix, la médiatisation des réussites, le dialogue ; annoncer, plusieurs années à l'avance, les postes disponibles aux concours, car un avenir ne se prépare pas à l'aveugle ; restaurer un système comparable aux IPES - indicateurs pour le pilotage des établissements secondaires - par des bourses de prérecrutement. Le financement des études après concours fut, dans ma région, un formidable ascenseur social, et une excellente occasion de mixité culturelle avec les jeunes issus de l'immigration polonaise. Au vu de cette réussite, et du besoin, toujours d'actualité, de mixité et d'insertion par la qualification, il nous faut rétablir ce système.
J'évoquerai les autres acteurs.
Si tout ce qui est rencontre, démarche d'échange, tentative d'aller au contact de publics non sensibilisés, doit être encouragé, encore faut-il que nos chercheurs, nos étudiants en thèse soient reconnus et valorisés quand ils consacrent un peu de leur temps à la pédagogie. Dire ce que l'on fait ne doit pas pénaliser une carrière.
Des initiatives comme l'Expérimentarium de l'université de Dijon, qui met de jeunes chercheurs en situation d'expliquer leur travail à des élèves d'école primaire, sont démystifiantes et stimulantes.
Chacun doit sortir de la facilité de faire pour soi. A la Cité des sciences le devoir de travailler pour le reste du pays. Aux CCSTI la mission d'essaimer et de partager les bonnes pratiques. A chacun de fabriquer des vecteurs mobiles pour toucher une population variée. Aux universités et centres de recherche la responsabilité d'affecter des moyens, et du temps de ressources humaines, à la diffusion. A ceux qui donnent statut aux métiers et cadre fiscal aux activités et billeteries le devoir d'être plus attentifs aux métiers de la médiation.
Je terminerai par une réflexion sur les causes plus profondes de la place étriquée donnée à la culture scientifique dans notre pays.
Un premier symptôme doit nous alerter : le ministère de la culture n'en a cure ! A lui les missions d'épanouissement de l'homme et de la femme - la musique, le théâtre, les lettres, les arts -, mais fi donc du droit de chacun à s'émanciper par la compréhension du monde où il vit et par le plaisir de savoir.
C'est très grave. Ce renoncement est lourd de sens et l'alibi de La Villette, artificiellement inscrit dans les lignes de la culture un jour de quête de 1 % budgétaire, ne fait pas illusion.
Un second symptôme est la diffusion persistante d'un mensonge : la science serait, à en croire certains, rébarbative. Au point que les grilles des programmes de télévision publique, au nom de l'Audimat, ne respectent pas leur cahier des charges - c'est l'avis du CSA -, sinon avec des artifices horaires qui éloignent des heures de grande écoute la culture scientifique. Interrogée, France 2 ne peut nous signaler que le Téléthon et la Nuit des étoiles ! Ce désert n'empêche pas les chaînes, lors de leurs informations télévisées, de dire tout et son contraire, d'évoquer, par exemple, le clonage médiatique dans une secte.
Pourtant, le savoir-faire et le plaisir du citoyen peuvent être au rendez-vous. Sur France 3, je pense à des émissions comme Thalassa, C'est pas sorcier ou l'Odyssée de l'espèce, que tout le monde a citées. A la radio, je songe à CO2 mon amour, qui interroge notre maltraitance de l'environnement, et aux chroniques de Marie-Odile Monchicourt, dans lesquelles le plaisir de se plonger dans les merveilles qui nous entourent fait vibrer les auditeurs.
C'est ce plaisir, ce désir que nous devons cultiver, et éveiller chez les plus jeunes. Voilà quelques décennies, cela passait par la lecture de Jules Verne. Aujourd'hui, beaucoup d'enseignants ou de médiateurs constatent que des milliers, des centaines de milliers de jeunes « n'accrochent » pas. Tout se passe comme si, entre eux et le plaisir de comprendre, il y avait un rideau de fumée, une frontière invisible, un bruit de fond qui rendrait inaudible la petite musique de la culture scientifique.
Interrogeons-nous sur ce bruit de fond qui fait écran. N'est-il pas lié, au moins pour partie, au vacarme de la fièvre consumériste : entre promotion des marques, publicités, hypermarchés, textos, logos et sons de la téléphonie mobile, CD et singles des créatures de Star Academy ou de PopStar, et toutes suggestions destinées à faire croire que le mal-être se résout dans l'apparence et la consommation, y a-t-il encore beaucoup de place pour les stimuli du savoir ? Et ce marché, qui aimerait vendre n'importe quoi aux gens et aliéner les habitants dans leurs choix, a-t-il intérêt à un public cultivé et émancipé, à un public affranchi qui doute et questionne ?
Interrogeons-nous aussi sur la posture élitiste que se sont donnée certains scientifiques enfermés dans leur tour d'ivoire, défendant jalousement le caractère forcément altruiste incontestable de leur découverte, et tenant les citoyens à l'écart de la compréhension. Cette espèce serait en voie de disparition. Tant mieux ! Mais l'environnement raréfié en argent public en a fait naître une autre : celle des laboratoires publics-privés, dans lesquels il devient difficile d'évaluer l'intérêt public.
Aujourd'hui ceux qui veulent vendre sans contrôle, ceux qui veulent s'enrichir sans scrupules ni bénéfice pour l'humanité ont tout intérêt à une société qui réfléchit peu, qui mange, qui consomme et croit n'importe quoi.
Une science hautaine et confisquée, des négligences ministérielles en matière de culture scientifique, une éducation à la science étriquée, des institutions accessibles aux seuls Parisiens leur rendent service et servent l'intérêt des charlatans.
M. Laffitte a vu, dans notre mission, un outil de lutte contre l'obscurantisme. Je partage ce souci devant la montée de l'irrationnel, de l'astrologie, des sectes.
Mais quand certains membres du conseil scientifique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'en prennent à Yves Coppens, au motif qu'il a introduit le principe de précaution dans la charte de l'environnement, ou quand certains qualifient d'ayatollahs ceux qui posent des questions sur les OGM et sur le nucléaire, je me dis qu'il y a peut-être, là aussi, un fond culturel savant qui n'a pas encore pris la mesure de la nécessité d'une « science citoyenne », c'est-à-dire d'une « culture scientifique partagée ».
Ceux qui refusent la culture scientifique pour tous, ceux qui contestent la pertinence du doute, ou de l'expertise d'usage, sont ceux qui nous affirmaient l'innocuité des éthers de glycol ou l'arrêt du nuage de Tchernobyl à la frontière. Contre ces obscurantismes-là, la science citoyenne est une urgence démocratique.
Nous sommes élus, et amenés à faire des choix publics. Pour être assistant de sénateur, il faut être bachelier. Pour être élu, aucun diplôme n'est requis, c'est la démocratie, un monde où chacun peut gouverner et être gouverné, et c'est bien ainsi.
Encore faut-il bien mesurer l'importance des choix qui vont être faits, surtout en matière de développement durable. Ce sont nos pratiques d'agriculture, votées et financièrement orientées, qui feront nos assiettes, nos nappes phréatiques et les sols de demain. C'est notre gourmandise en énergie qui assombrit l'avenir de la planète.
Nous aussi, comme tous les citoyens, nous avons besoin d'occasions de savoir et de la pédagogie des messages. Elle est fondamentale, sinon ce qui passe, c'est non pas le savoir, mais le charisme, et il n'est pas gage de vérité.
Les citoyens qui, dit-on, n'ont « pas le niveau » pour analyser l'ensemble du bilan énergétique, les impacts biologiques d'un accident ou le cycle du césium ont néanmoins le droit de choisir leur avenir. Pour ce faire, les conférences de citoyens reposent sur un travail exemplaire d'acquisition d'une base de savoirs requis, de formation au débat et de commande d'auditions contradictoires.
En Allemagne, un projet dénommé « Futur » s'est appuyé sur la demande citoyenne de recherche pour la détermination de ses objectifs. Les axes prioritaires qui en sont sortis ne feraient pas rougir nos chercheurs : comprendre la pensée, créer un accès ouvert aux mondes d'apprentissage de demain et jouir toute la vie d'une bonne santé grâce à la prévention.
Cela montre bien que le partage de la science et de la réflexion sur la science est fécond.
Nous avons, nous aussi, besoin d'une recherche libre. Or le foisonnement non productif de la recherche s'étiole. Il vaut mieux aujourd'hui se lancer dans le génome que dans la biodiversité des lichens. Aux uns, les plateaux ultramodernes et confidentialisés, aux autres, le vieux bec Bunsen et la galère. (Sourires.)
Les champs explorés sont les champs financés et les champs financés deviennent les champs rentables de suite. Il ne semble plus de mise de poser de « fausses » questions entre recherche publique et recherche privée, entre recherche fondamentale et recherche appliquée.
Néanmoins, comment le citoyen peut-il être rassuré, avec l'érosion des budgets de la recherche qui ne laisse plus place qu'à ces « élites » dociles qui, hier, nous affirmaient que l'amiante ne présentait aucun risque, que les faibles doses radioactives ne se cumulaient pas dans l'organisme ou encore que les OGM restaient bien sagement enfermés dans les champs expérimentaux ?
Oui, des citoyens s'interrogent quand l'Institut national de la recherche agronomique et les grands groupes semenciers mélangent leur argent, leurs chercheurs, leurs conclusions, pour dire aux ministres que les OGM ne nuiront jamais à la santé..., alors que, à Bruxelles, ces mêmes semenciers ont réussi à supprimer du texte de la Commission leur responsabilité financière éventuelle.
La société civile est en demande de changement dans les processus de décision politique.
La culture scientifique est une forme d'appropriation généraliste permettant d'aborder la complexité du monde qui nous entoure. Elle tourne le dos aux affirmations simplificatrices ; elle donne des outils au citoyen pour qu'il soit inclus dans la procédure participative, particulièrement dans les situations de forte incertitude.
Enfin, l'évaluation des politiques publiques, et donc des choix technologiques qu'elles ont favorisés, requiert aussi l'appétit, le désir de culture scientifique et technique de tous.
Les innovations techniques pénètrent la vie quotidienne ; leurs conséquences ne sont pas limitées dans le temps et l'espace ; leur choix répond à des objectifs et à des valeurs qui doivent être énoncés.
Nous ne réussirons pas sans les citoyens. Soyons vigilants : notre retard à permettre une société émancipée en matière de culture scientifique creuse le même fossé entre citoyens et science qu'entre citoyens et politique. La défiance, le rejet, l'abstention, l'indifférence sont des risques majeurs dans ces deux domaines déterminants pour l'avenir de la société comme pour l'avenir de l'humanité. Raison de plus pour faire de la diffusion de la culture scientifique une priorité nationale !
Madame la ministre, nous sommes ravis de votre présence. Vous avez entendu nos recommandations, et nos critiques, aussi. Cela étant, si la culture scientifique ne se développait pas, vous en seriez la première victime. Nous avons plus de colère contre vos collègues de la culture et de l'éducation, qui sont responsables en amont de la situation, que contre vous, qui avez su harmoniser les efforts de votre ministère sur tout le territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.
M. Christian Gaudin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la science et la technique sont de plus en plus présentes dans la vie moderne. Au travail, dans nos loisirs, dans les médias, l'évolution de la technologie tient une place prépondérante. Le grand public utilise ces techniques en constante évolution dans sa vie quotidienne : téléphones portables, voitures, ordinateurs, télévisions et appareils photos numériques. Il en apprécie notamment toute la portée dans le domaine médical. Or cette évolution suscite souvent des interrogations, voire de l'inquiétude.
La science et la technique bénéficiaient hier encore d'une image très positive, car elles se rattachaient, sans contrepartie, à la notion de progrès. Puis les innovations techniques se sont multipliées, l'image du progrès s'est brouillée. Le public a suivi les affaires du sang contaminé, les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine, l'effet de serre, sans parler des OGM, des rayonnements des portables et des antennes relais.
La science est donc devenue l'objet de débats soumis à toutes les passions et traversés des craintes les plus irraisonnées.
Le fait que 61 % des personnes interrogées estiment que « la science change trop rapidement nos modes de vie » traduit ces nouvelles réticences. Or les mêmes enquêtes montrent que le public, français et européen, ne s'estime pas suffisamment informé des questions scientifiques.
Sachant que l'appréhension du public est d'autant plus aiguë que sa méconnaissance d'une technologie est grande, il importe de répondre à ces inquiétudes légitimes en prévoyant une large information scientifique.
C'est pourquoi nous ne pouvons que regretter la place réservée à la connaissance et à la diffusion de la culture scientifique et technique, qui est loin de correspondre à l'importance qu'ont prise dans notre vie moderne ces deux domaines.
Grâce à notre collègue président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, nous pouvons aujourd'hui, madame la ministre, vous exprimer combien il est nécessaire et urgent d'améliorer et de diffuser la culture scientifique.
Etant membre de la commission des affaires économiques, et non pas des affaires culturelles, j'ai pris connaissance, à l'occasion de ce débat, de l'excellent travail accompli par M. Pierre Laffitte ainsi que par Mme Marie-Christine Blandin et M. Ivan Renar, dans le cadre de la mission d'information chargée d'étudier la diffusion de la culture scientifique dont ils ont été respectivement le président et les rapporteurs.
En tant qu'ancien universitaire et chercheur, je veux ici m'associer aux membres de cette mission, en demandant l'application des propositions visant à assurer une meilleure diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle, sur l'ensemble du territoire.
Je n'ignore pas que de nombreuses actions destinées à tous les publics, de tous âges, ont vu le jour depuis quelques années. Certaines ont rencontré tout de suite un franc succès et un grand retentissement comme l'Université de tous les savoirs, la Fête de la science, la Nuit des étoiles. D'autres initiatives ont été prises, à la périphérie de l'école, reposant souvent sur le bénévolat, ce qui n'enlève rien à la démarche, bien au contraire. L'important est d'ouvrir les esprits, et cela le plus tôt possible. C'est ce qu'avait bien compris le professeur Georges Charpark avec l'opération La Main à la pâte.
Une culture scientifique, ce n'est pas seulement un ensemble de connaissances, c'est d'abord l'apprentissage d'un raisonnement. C'est poser des questions : Pourquoi ? Comment ? C'est éveiller la curiosité. C'est une attitude qui est tout sauf passive.
Or, dans une démocratie, la culture scientifique doit permettre de comprendre les évolutions scientifiques, techniques et industrielles, ne pas les craindre mais, surtout, ne pas les subir.
Les chercheurs sont de plus en plus nombreux à aller à la rencontre de la population pour mieux comprendre les appréhensions du public. Ils proposent de plus en plus aux scolaires et aux médias une présentation de leur travaux, la science sur le vif, en laboratoire, telle qu'ils l'expérimentent tous les jours.
Toutefois, comme pour les nouvelles technologies, il est nécessaire d'assurer la diffusion de la culture scientifique sur l'ensemble du territoire.
Pour diffuser leurs connaissances, les scientifiques ont besoin de structures de médiations tels les centres de cultures scientifiques, techniques et industriels, les CCSTI.
Dans mon département, la diffusion s'appuie sur un triptyque efficace : les chercheurs de l'école doctorale ou de l'INRA exposent leurs travaux aux élèves du primaire et du secondaire grâce au CCSTI, qui est un excellent vecteur d'information et de diffusion. En un an, il y a eu autant de visiteurs dans les trente CCSTI répartis sur l'ensemble du territoire français qu'à la Cité des sciences et de l'industrie, à Paris ! Il est néanmoins impératif que les musées nationaux des sciences et techniques accentuent leurs efforts vers la province en multipliant des expositions temporaires.
Enfin, je regrette, et je ne serai pas le seul, le nombre insuffisant d'émissions scientifiques à la télévision. Je relèverai pourtant deux émissions particulièrement intéressantes : C'est pas sorcier et Va savoir. Suscitons chez nos jeunes, par l'antenne, l'envie de découvrir plutôt que de les laisser subir devant l'écran des films de fiction, véhiculant souvent la violence.
Rappelons qu'il n'y a pas d'innovation sans diffusion de la culture scientifique. Si les travaux des chercheurs n'emportent pas l'adhésion du public faute de communication, la population rejette l'innovation.
Bien sûr, l'institution scolaire reste l'endroit privilégié pour l'apprentissage des sciences et des techniques. C'est pourquoi j'aborderai à présent, plus particulièrement, le cadre scolaire et les carences que l'on peut relever dans l'enseignement des sciences, dont l'une des plus importantes me paraît l'absence de l'histoire des sciences et des techniques. Si, adultes, on peut aborder facilement en société des sujets comme le Quattrocento ou les Encyclopédistes, c'est un silence qui suivra le rappel de grandes avancées scientifiques ou l'énoncé des noms de Galois, Hertz ou Planck.
Madame la ministre, j'en viens au point que je juge essentiel : la formation des chercheurs.
Je n'ignore pas que vous avez bien compris la nécessité d'augmenter l'effort national en faveur de la recherche. Nous avons déjà débattu de tout cela lors de l'examen de votre budget. J'ai apprécié, et je vous l'avais dit, l'orientation stratégique que vous avez proposée, notamment par l'incitation fiscale et le rapprochement de la recherche avec l'entreprise.
Mais les difficultés ne sont pas seulement financières. Le Conseil d'analyse économique vient de publier un rapport alarmant sur l'état de l'université française. M. Maurice Porchet a rédigé ces deux dernières années deux rapports sur la désaffection des jeunes envers la science. Constatant une forte désaffection des jeunes envers les études scientifiques depuis les années quatre-vingt-dix en Europe, il a précisément examiné quelles étaient les filières désertées.
La situation selon les filières scientifiques est en effet très contrastée. Si l'on peut noter une légère baisse des effectifs des classes préparatoires aux grandes écoles, celle-ci est compensée par les effectifs des classes préparatoires intégrées.
Les effectifs des IUT connaissent en revanche une hausse notable de 12 %. Cette hausse est de 14 % dans les sections de techniciens supérieurs, les STS. En fait, la baisse touche uniquement les sciences en université, où elle est, en moyenne, de 24 %.
Les étudiants, après un IUT ou une école d'ingénieurs, rejoignent en deuxième ou troisième cycle l'université, fort heureusement. Mais, là encore, on note une forte augmentation des DESS professionnalisants au détriment des DEA, orientés vers la recherche.
Les structures de l'enseignement supérieur demeurent trop cloisonnées. Le manque de moyens des universités comme la dualité université-classes préparatoires rendent peu lisible et peu attractif le système français à l'étranger.
Je souhaite que la réforme LMD, ou licence-master-doctorat, conduise à une refonte de ces structures, qui ne sont plus adaptées, compte tenu de l'harmonisation européenne, et qui ne répondent plus à l'attente des étudiants et au marché de l'emploi. Il faut intégrer les filières techniques et technologiques, STS et IUT, qui sont de plus en plus choisies par les jeunes, prévoir des formations complémentaires et des passerelles en offrant aux étudiants une parfaite lisibilité professionnelle, tout au long de leur parcours.
La crise aiguë que connaît la recherche aura, je l'espère, le mérite de conduire le Gouvernement à réfléchir sur les moyens et les réformes structurelles qui doivent être arrêtés de toute urgence. Je sais, madame la ministre, combien c'est aujourd'hui votre préoccupation.
La décennie qui s'amorce sera cruciale. En termes de créations d'emplois scientifiques - enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens - on prévoit 20 % d'emplois nouveaux liés à l'innovation et 80 % d'emplois pour compenser les départs massifs à la retraite.
Or, dans un pays qui se désindustrialise dramatiquement, la recherche et l'innovation deviennent deux secteurs prioritaires, secteurs dont dépend tout simplement notre avenir.
L'élargissement de l'espace européen et la mondialisation de la recherche aboutissent à une concurrence aiguë entre les pays, avec une forte attractivité des meilleures zones de formation et des bassins d'emploi les plus novateurs.
La recherche est au coeur de cette compétition. La richesse d'une région ou d'une nation se mesurera à la qualité de la production de ses chercheurs et au nombre de brevets déposés, c'est-à-dire à sa capacité de former et d'innover.
En conclusion, si notre pays ne redresse pas très vite une situation alarmante, il met en jeu son avenir. A nous d'en prendre rapidement conscience ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez à quel point je suis heureuse de pouvoir aborder aujourd'hui avec vous un sujet qui me tient particulièrement à coeur, la diffusion de la culture scientifique et technique, amorce d'un débat beaucoup plus large encore.
Toute politique de recherche doit se décliner sur différents plans et sur différents temps. Il s'agit - on en a beaucoup parlé ces derniers jours - d'assurer à notre pays les moyens adaptés pour qu'il maintienne sa place face à une concurrence internationale de plus en plus aguerrie, mais il faut aussi prévoir et assurer le renouvellement de notre potentiel de recherche sur le long terme, effectivement, monsieur Valade. Cela suppose tout autant d'assurer un certain nombre de réformes de structure - vous savez que nous y travaillons - que de veiller à renforcer la place de la science dans la société. Cette dernière dimension indique tout l'enjeu du débat d'aujourd'hui.
Pour ce qui est de l'évolution du cadre dans lequel doit s'inscrire notre politique de recherche, nous aurons l'occasion d'en débattre abondamment lors de la préparation de la loi d'orientation prévue pour la fin d'année.
Le constat a fait ici l'unanimité : nos concitoyens, à commencer par les plus jeunes d'entre eux, s'éloignent progressivement des connaissances scientifiques qui, il est vrai, sont de plus en plus difficiles à maîtriser et qui font peur parfois, peut-être parce qu'elles sont de moins en moins associées à ces valeurs que nous partageons de la découverte et de l'aventure scientifiques. Il s'agit, bien entendu, aujourd'hui de redresser la barre pour contrarier cette évolution : il y va de l'avenir de notre pays, mesdames, messieurs les sénateurs.
Permettez-moi de rappeler deux chiffres : les départs en retraite vont concerner chaque année environ 4 % des chercheurs et des enseignants - chercheurs, dont un tiers de femmes, pour 2003, l'évolution du nombre des étudiants inscrits dans les disciplines des sciences et structures de la matière fait apparaître une diminution de 4 % des effectifs.
Ces deux chiffres représentent les deux éléments d'une équation que nous ne pouvons plus accepter.
J'ai rencontré récemment les chercheurs inquiets, ceux qui ont signé la pétition Sauvons la recherche. Nous avons évoqué ensemble les différentes actions susceptibles d'être conduites à court terme et à long terme, et ils ont spontanément évoqué le groupe de travail « science et société » comme étant l'un des facteurs à prendre prioritairement en considération en ce sens.
Si je comprends tout à fait la sensibilité de la communauté scientifique quant au recrutement des chercheurs sur le court terme, je voudrais aussi exprimer mon inquiétude sur la situation à l'horizon de dix ou quinze ans.
Comment nous faut-il penser ensemble le renouvellement de nos chercheurs sur le temps long ? D'ici à dix ou à quinze ans, nous n'aurons probablement plus assez de docteurs en physique, de docteurs en chimie. Cette « chronique d'une catastrophe annoncée », aucun de ceux qui se trouvent réunis aujourd'hui ici ne l'accepte. Bien sûr, nous pourrions nous inscrire dans une logique de désaffection inéluctable des filières scientifiques : ce n'est pas mon choix. Ce n'est pas votre choix. Certes, il n'y a pas de remède miracle, mais ce n'est pas une raison pour ne rien tenter.
Eriger la diffusion de la culture scientifique et technique en priorité s'impose. Tel sera l'objet du plan national que nous présenterons, à la fin du mois de février, en conseil des ministres, conformément à ce qu'avait annoncé le Président de la République, dans son allocution du 6 janvier.
S'il est possible d'agir aujourd'hui concrètement et avec détermination, c'est parce qu'il existe une réflexion d'ensemble, déjà très riche, sur cette question qui, je le vois avec plaisir, rallie toutes les convictions et toutes les énergies. A cet égard, je veux souligner l'importance du rapport de la mission d'information sénatoriale que vous avez présidée, monsieur Laffitte, et à laquelle ont collaboré si intensément vos collègues, Mme Blandin et M. Renar. Ce document nous permet d'engager une action sur des bases solides. Si j'ai pris beaucoup d'intérêt à sa lecture, j'ai pris plus de plaisir encore à écouter aujourd'hui les interventions de très haut niveau que vous nous avez proposées, et dont je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs.
Si je m'arrête sur ce rapport, c'est pour signifier qu'il est vraiment emblématique d'un travail mené en profondeur et en étroite concertation avec l'ensemble des acteurs intéressés, emblématique aussi de cette volonté de dépasser tout clivage partisan pour nous retrouver autour de cette thématique cruciale pour notre avenir commun. Il est emblématique, enfin, de la volonté de fournir tous les éléments d'une politique d'ensemble. Vous l'avez rappelé, madame Blandin, les enjeux sont d'une ampleur considérable et c'est effectivement en associant les différents éléments dont nous disposons déjà et ceux qui se dégageront de nos travaux que nous pourrons agir.
Il n'est évidemment pas dans mon intention de dévoiler aujourd'hui le contenu de la communication que je ferai en conseil des ministres à la fin du mois de février, mais je voudrais tout de même vous en présenter les quelques lignes directrices que vous avez vous-mêmes évoquées et qui répondent à certaines de vos interrogations.
J'insisterai d'abord sur la volonté du Gouvernement de mener une action d'ampleur prenant en compte l'ensemble des espaces d'intervention possibles : des écoles aux musées, des laboratoires de recherche aux bibliothèques. Pour cette raison, nous avons travaillé, Jean-Jacques Aillagon, Luc Ferry et moi-même, à décliner une gamme d'actions prenant en considération l'ensemble du mécanisme d'apprentissage des savoirs et l'envie d'apprendre, du plus jeune âge jusqu'aux forums de discussion ouverts au grand public.
Nous devons bien sûr dynamiser l'ensemble de l'offre de culture scientifique disponible, notamment en en permettant une meilleure accessibilité.
Il faut aussi prendre en considération l'ensemble des vecteurs de transmission : aussi bien les manuels scolaires que l'image sous toutes ses formes ou encore l'information scientifique et technique dans ses différents aspects.
Quelques actions ont déjà été entreprises en 2003 et devront être renforcées en ce qui concerne l'image ; MM. Ivan Renar et Christian Gaudin ont insisté sur ce point. Ainsi, nous créons une structure légère, le GISC, qui devra aider à la rédaction de scénarios scientifiques, lesquels seront ensuite proposés aux chaînes. Cette rédaction de scénarios de thèmes scientifiques est souvent accompagnée de lourdeurs et de difficultés ; c'est pourquoi nous souhaitons avancer ensemble dans ce domaine, ministère de la recherche, organismes de recherche et centre national de la cinématographie.
Cette action nous permettra également, je crois, de rassembler toutes les forces de proximité, dans les régions et les collectivités locales.
J'indique dès maintenant que les journées du patrimoine seront consacrées en 2004 au patrimoine scientifique, ce qui est une belle façon de mettre en valeur notre histoire et notre projection vers l'avenir.
Bien entendu, tout le monde doit être mobilisé et rien ne se fera sans la communauté scientifique.
A côté des missions de recherche et d'enseignement, la diffusion de la culture scientifique doit mieux être reconnue dans les parcours des chercheurs. Certes, les chercheurs acceptent déjà de plus en plus et avec beaucoup de talent de venir à la rencontre de leurs concitoyens et, si le seuil du million de visiteurs de la Fête de la science a été franchi, cela leur est largement dû.
Mais il reste encore beaucoup à faire, notamment pour sensibiliser les plus jeunes des enseignants-chercheurs - ceux qui vont avoir le plus à transmettre - à cet impératif de restitution sociale de ce qu'ils ont appris ou découvert.
L'école doit, bien entendu, être le creuset d'un apprentissage des pratiques scientifiques ouvert sur les défis de la recherche d'aujourd'hui, M. Lanier l'a souligné.
A l'enseignement supérieur doit être associée l'idée d'accentuer les passerelles, les échanges entre chercheurs et enseignants, entre grands noms de la science et jeunes élèves avides de découvrir, d'expérimenter, de rêver.
Nous avons des éléments tout à fait concrets pour mettre en oeuvre cette action dès 2004 : la formation des jeunes enseignants, des jeunes chercheurs, les modules de diffusion de la culture scientifique et technique dans les écoles doctorales, l'intégration de la science, de l'histoire des sciences dans la formation des maîtres au sein des IUFM.
Dans les activités des allocataires de recherche, il faut inclure la possibilité d'être tuteurs auprès des jeunes pour diffuser la culture scientifique, faire partager la passion de la recherche qui anime les chercheurs et qui doit être transmise tout en faisant connaître les métiers de la recherche. Voilà des éléments majeurs.
Je ne voudrais pas que l'on se méprenne sur mes propos. Je ne dis pas qu'il n'y avait rien auparavant et que nous allons tout faire maintenant. Bien évidemment, nombre d'initiatives stimulantes existent déjà. Le rapport de votre mission en a établi un inventaire très riche. Aujourd'hui, il s'agit de construire des bases pérennes d'action, mais également d'instituer une meilleure coordination afin d'assurer, vous l'avez tous mentionné, une irrigation plus réussie du territoire national.
L'ensemble des intervenants de la culture scientifique et technique, à commencer par les responsables des centres de culture scientifique et technique, dont M. Gaudin a loué l'action, ainsi que les multiples associations dont on parle peu, mais qui font un travail considérable et mènent une action de proximité tout à fait essentielle, doivent être mieux associés à un effort de portée nationale.
Cette mission locale, régionale, à côté d'actions de plus grosse envergure, est tout à fait essentielle à la fois pour prendre en compte tous les talents et pour les reconnaître. J'insiste particulièrement sur les actions associatives et les actions de proximité, qui n'ont pas été suffisamment soutenues jusqu'à présent.
Il faut ainsi innover pour assurer une diffusion pleinement réussie, en établissant des réseaux cohérents et bien distribués sur tout notre territoire. Il s'agit aussi de susciter, comme vous l'avez proposé, la mise en place de vecteurs itinérants. Cette idée des vecteurs itinérants est intéressante en ce sens qu'elle permettrait peut-être de vaincre certaines des lourdeurs du système.
Pour encourager toutes ces initiatives, pour leur donner un dynamisme fort, j'ai eu l'occasion depuis quelques mois d'affirmer mon soutien au lancement de nouveaux instruments comme des fondations de recherche.
Il s'agit en effet de créer une meilleure synergie entre partenaires publics et privés, entre scientifiques et journalistes, avec le soutien de toutes les personnes intéressées, qui ont envie de faire de la culture scientifique un bien commun et partagé par tous nos concitoyens.
Aussi, comme l'a suggéré le rapport de votre mission, je souhaite qu'une fondation de recherche destinée à la culture scientifique et technique soit très concrètement lancée en 2004.
Les premiers contacts sont pris. Grâce à cette fondation, nous devrions pouvoir élargir certaines des missions actuellement prises en charge par les pouvoirs publics pour dégager des modes d'interaction nouveaux.
Cette fondation devrait également favoriser la mise en place d'une réflexion approfondie sur les enjeux, notamment éthiques, de la culture scientifique et technique. Cette volonté de reflexion n'est pas strictement française. J'ai eu l'occasion, avec mes partenaires étrangers, de constater à quel point l'éthique scientifique, la déontologie sont des éléments importants dans la responsabilité des chercheurs. Ce sera donc l'occasion de renouveler les lieux de discusion ouverts à tous et d'engager de nouvelles formes d'échange.
La fondation permettra de renforcer le dispositif existant quand il satisfait aux missions qui sont les siennes et de susciter des initiatives nouvelles mieux à même de répondre aux attentes de la société, et ce dans la proximité. D'ailleurs, cette proximité, la fondation devrait, à mon sens, la favoriser à tous les niveaux.
Ce plan national en préparation suppose une action volontariste couvrant tout le champ des besoins. C'est pourquoi il était particulièrement important que nous puissions échanger nos idées aujourd'hui pour qu'ensuite nous inscrivions tout cela au coeur de notre politique.
Permettez-moi de citer quelques actions simples qui peuvent donner assez rapidement des résultats.
Voilà trois ans, l'Allemagne avait organisé une année de la physique, et l'année 2005 sera une année internationale de la physique.
Cette initiative a été pilotée, assez spontanément, par une société anonyme à responsabilité limitée, au sein de laquelle se retrouvent le monde de la recherche et celui de l'entreprise ; elle fut soutenue par le ministère fédéral allemand de la recherche. La Wissenschaft in Dialog a ainsi rapproché aussi bien les associations que les médias, les scientifiques tout autant que les journalistes. La physique a envahi les écrans comme les salles de conférences. Le succès a été au rendez-vous : un nombre énorme de spectateurs ont été intéressés, mais aussi et surtout presque un tiers d'étudiants en plus se sont inscrits dans la filière universitaire correspondante.
Ne désespérons donc pas, des choses peuvent être mises en place avec un réel succès ! Cet exemple prouve bien que, si nous nous en donnons les moyens, nous pourrons réussir tous ensemble à rapprocher la science de nos concitoyens et surtout de nos jeunes.
Quelqu'un a parlé à l'instant de « réenchanter » le monde, de « réenchanter » la science, de reprendre goût au rêve, de reprendre goût au défi avec audace, n'est-ce pas monsieur Renar ? Nous avons tous besoin de retrouver cette confiance en l'avenir, en ce rapport privilégié entre la science et le progrès qui s'est quelque peu délité, ce qui va au-delà du débat qui nous occupe aujourd'hui. M. Laffitte a évoqué cet aspect des choses.
M. Gaudin nous a demandé de faire attention au rejet de l'innovation par incompréhension, non-appropriation. Introduisons la référence à l'histoire pour faire progresser les éléments. Tout cela est vraiment essentiel.
La diffusion de la culture scientifique s'inscrit dans une volonté politique forte : celle de renforcer la cohésion sociale de notre nation.
Monsieur le président de la commission, vous l'avez rappelé dès le début de votre intervention, comme d'ailleurs M. Lanier, le Gouvernement a engagé une lutte résolue contre tous les clivages sociaux. Il s'agit de combattre toutes les formes d'intolérance.
M. le Premier ministre a encore rappelé tout récemment l'absolue nécessité de combattre les dérives sectaires, les formes d'exclusion telles que l'antisémitisme. Je suis heureuse de souligner que j'ai souhaité, sur ce thème particulier, que mon ministère soutienne les recherches engagées.
La compréhension de ces phénomènes passe par le dialogue, la discussion ; elle passe aussi par la recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales qui nous aident à mieux appréhender les évolutions de la société et nous permettent de trouver une réponse adaptée à ses grands enjeux.
De même, l'accès à la culture constitue un véritable fondement de la démocratie, nous le reconnaissons tous. L'accès à la culture scientifique, pour chacun d'entre nous, est un impératif absolu. Il s'agit de multiplier les lieux de discussion ouverts à l'ensemble de nos concitoyens comme les espaces de partage des informations et des découvertes. Il s'agit également de donner tout son sens à une transmission large, efficace, des connaissances.
Je suis convaincue, et je sais que vous l'êtes tous aussi qu'en redonnant un tel souffle à la diffusion des savoirs, nous donnerons à notre pays les nécessaires ferments de sa cohésion sociale.
Plusieurs idéaux ont émaillé notre débat, comme ils ont émaillé les récents débats organisés autour de la recherche : je veux parler de l'idéal des Lumières, bien sûr, mais aussi de l'idéal qui a inspiré la politique du général de Gaulle en faveur de grands projets scientifiques, plus prosaïquement, de celui qui fut à l'origine du colloque de Caen, dont on reparle beaucoup ces derniers jours, ou de la création de la délégation générale à la recherche scientifique et technique. Tous ces modèles supposaient un large partage des avancées de la recherche. Nous devons nous resituer dans cette dynamique.
Je souhaite refaire de la diffusion de la culture scientifique et technique une priorité nationale. C'est cette ambition qui doit nous animer si nous voulons assurer à notre société un avenir harmonieux. (Applaudissements.)
M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.