PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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Prélèvements obligatoires
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, pour la quatrième année consécutive, le Sénat débat du rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.
Au nom du Sénat tout entier, vous comprendrez que, sachant traduire les sentiments de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs, je m'en félicite.
Prévu par notre nouvelle constitution financière, la loi organique relative aux lois de finances, ce débat a pour origine un amendement conjoint de nos commissions des finances et des affaires sociales, ainsi que peuvent le confirmer leurs présidents, ici présents. Fruit d'une initiative sénatoriale, il permet une approche globale de l'ensemble des prélèvements : Etat, organismes sociaux, collectivités territoriales.
J'ai fait en sorte, messieurs les ministres, que, malgré la lourdeur des travaux parlementaires, ce débat essentiel puisse être maintenu. L'ensemble des sénateurs y tenait beaucoup !
Le fait que le Sénat ne soit saisi qu'après l'Assemblée nationale du projet de loi de finances nous en donne la possibilité. Il convenait d'en saisir l'opportunité.
Ce débat récompense les efforts constants et que je suis à même d'apprécier, comme vous toutes et tous, de nos collègues Jean Arthuis et Philippe Marini, respectivement président et rapporteur général de la commission des finances.
Je tiens à remercier vivement le Gouvernement pour le geste qu'il fait ainsi en direction du Sénat. Nous y sommes très sensibles tout en nous rappelant que, comme le disait Jules Ferry, mon illustre prédécesseur, le Sénat est là pour veiller à ce que la loi soit bien faite.
Ce débat de synthèse, mes chers collègues, nous offre une vision d'ensemble décisive pour définir une stratégie cohérente des finances publiques.
Après l'expérimentation réussie d'une discussion rénovée du projet de loi de règlement, ce débat ne doit pas devenir un simple exercice rituel. Il doit au contraire marquer une nouvelle étape de réflexion et de prospective. Il se situe dans la perspective des temps forts qui vont rythmer notre automne : loi de financement de la sécurité sociale « nouvelle version », loi de finances rénovée et « collectif » de fin d'année Voilà un programme copieux ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
La parole est à M. le ministre délégué au budget.
M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, les discussions autour des prélèvements obligatoires se résument bien souvent à un combat de chiffres : on se focalise sur leur niveau, sur leur évolution, sur les comparaisons à faire avec les autres pays. Il vaut à mon avis sans doute la peine, à l'occasion de notre rencontre de ce soir, de sortir un peu de ce carcan traditionnel pour poser ensemble la question de la finalité, de l'efficacité de nos prélèvements obligatoires.
En effet, ce que les Français attendent de nous, c'est une politique cohérente, au service d'objectifs clairs, notamment en termes d'emploi et de compétitivité, et je n'emploie pas ces mots par hasard : ce sont eux qui structurent la réflexion qui est la nôtre, aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle nous avons voulu mobiliser tous les leviers à notre disposition et bâtir une stratégie globale qui engage tous les acteurs, ainsi que je vais m'efforcer, de même qu'après moi mon collègue et ami Philippe Bas, de vous le démontrer dans mon propos.
Cette stratégie repose sur quatre piliers : une réforme fiscale d'envergure des impôts de l'Etat, la poursuite de la politique d'allégement de charges sociales, la réforme de la gouvernance de nos finances locales et, enfin, la réforme de l'Etat, car personne ne peut imaginer une réforme fiscale qui se traduirait par une baisse des impôts financée à crédit- mais j'aurai l'occasion d'y revenir.
C'est d'abord sur la réforme fiscale que je veux particulièrement mettre l'accent. On prétend souvent qu'il n'est possible d'entreprendre une ample réforme fiscale qu'en début de législature. Pourtant, ces derniers mois, vous l'avez constaté soit pour vous en réjouir, soit pour vous y opposer, nous avons tenté de faire bouger les lignes en matière de fiscalité dans notre pays. Nous allons en effet transformer en profondeur notre paysage fiscal au profit de deux objectifs majeurs : l'emploi d'abord, la justice sociale ensuite.
L'emploi est notre première priorité et, pour tout dire, toutes nos propositions portent une marque de fabrique, qui tient en trois idées : d'abord, le refus d'opposer sans cesse, de manière idéologique, l'économique et le social, et donc, finalement, d'opposer les Français les uns aux autres ;...
M. Guy Fischer. Bien sûr !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ....ensuite, la rupture avec la logique de l'assistance, qui a si longtemps tenu lieu de politique sociale à notre pays ; enfin, l'engagement d'accompagner tout le monde, chacun aussi longtemps qu'il le faut, sur le chemin du retour à l'emploi dans un esprit de responsabilité partagée.
C'est cette logique qui nous a conduits à consacrer la quasi-totalité des allégements d'impôts prévus dans ce budget pour 2006 à l'emploi, avec notamment une revalorisation de la prime pour l'emploi à hauteur de 500 millions d'euros dès 2006, et autant en 2007.
C'est également pour favoriser l'emploi que nous avons décidé des mesures fiscales en faveur de la mobilité géographique, mais aussi une prime de 1 000 euros pour le retour à l'emploi des demandeurs d'emploi et titulaires de minima sociaux reprenant un travail. A chaque fois, l'idée est la même : creuser l'écart entre les revenus du travail et ceux de l'assistance, renforcer le pouvoir d'achat des Français qui travaillent. C'est là pour nous un objectif majeur qui, bien entendu, sous-tend aussi la réflexion engagée sur la modernisation de notre système des minima sociaux, à laquelle travaillent deux de vos collègues : Michel Mercier et Henri de Raincourt.
Si je tiens à parler tout particulièrement de l'emploi, c'est parce que je veux évoquer avec vous la question de la compétitivité de la France et plus précisément de la délocalisation, ce mot qui nous fait tant de mal et de peur !
Je sais que la pratique combinée de l'injure et de l'amnésie fait particulièrement florès en cette période de préparation du congrès du parti socialiste. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Ça attaque sec !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Il serait peut-être temps, ce soir, de participer à l'exercice qui consiste à remettre quelques pendules à l'heure.
Notre objectif est de lutter contre les délocalisations, et ce pour une raison simple : elles constituent un sujet d'inquiétude majeure pour tous les Français qui ont légitimement peur pour leur avenir et pour leur emploi. Or, face à un tel enjeu, le débat ne peut pas se résumer, d'un côté, à la critique systématique et, de l'autre, à l'initiative. A mon sens, il dépasse très largement les clivages politiques traditionnels.
Si je le dis, c'est parce que, parmi les décisions que nous avons prises, il en est une qui a trait à la réflexion concernant l'impôt sur le patrimoine. Je tiens à préciser d'emblée que la suppression de ce prélèvement, qu'il s'agisse de l'impôt de solidarité sur la fortune ou d'autres impositions sur le patrimoine, n'a jamais été envisagée.
Cela n'aurait d'ailleurs aucun sens. En revanche, prendre des mesures en faveur de l'emploi et de la compétitivité de notre pays présente un intérêt.
En effet, personne, à droite comme à gauche, ne peut se réjouir en apprenant par voie de presse le départ de certains à l'étranger ou la vente de fleurons de notre industrie à des groupes étrangers. Chacun a encore en mémoire le cas d'une certaine entreprise de pneumatiques...
M. le président. Monsieur le ministre, vous savez que l'on apprend beaucoup de choses dans les journaux !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. C'est vrai, monsieur le président. On y lit même parfois des informations totalement fausses !
Face aux délocalisations, phénomène dont personne ne peut se satisfaire, nous sommes tous placés devant nos responsabilités.
De ce point de vue, la gauche a montré la voie en 1982, lorsque le président Mitterrand a exigé que les oeuvres d'art soient exclues de l'assiette de l'ISF. Heureusement qu'il l'a fait, autrement l'ensemble de notre patrimoine culturel se trouverait aujourd'hui à l'étranger.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Absolument ! Il a très bien fait !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. En 1988-1989, la gauche a montré la voie une seconde fois, en exonérant les biens professionnels de l'ISF, afin que les chefs d'entreprise n'aient pas à payer cet impôt sur leur outil de travail.
Là encore, heureusement qu'une telle mesure a été prise, sinon les chefs d'entreprise auraient quitté la France, laissant les usines vides et les gens au chômage.
Il restait des effets aberrants à corriger ; c'est ce que nous faisons aujourd'hui.
Etait-il normal que certains Français paient jusqu'à 120 % ou 130 % de leurs revenus en impôts ? Non ! C'est pourquoi nous avons mis en place un mécanisme de plafonnement fiscal à 60 % des revenus, mécanisme que nous soumettrons à votre assemblée. Ce taux a été beaucoup discuté et notre choix à été guidé par la volonté de nous adosser à la moyenne européenne, sachant que ce plafonnement concerne en priorité les foyers modestes. C'est une mesure équitable.
Etait-il normal que les patrons conservent indéfiniment la direction de leur entreprise au seul motif qu'ils seraient fiscalement très imposés en passant la main ? Certainement pas ! C'est pourquoi le Gouvernement a accepté un amendement tendant à exonérer à 75 % les parts ou actions détenues par les salariés, dirigeants, anciens salariés et anciens dirigeants, sous réserve de leur conservation pendant six ans.
Etait-il normal que, en cas de transmission d'une entreprise, les héritiers actionnaires soient obligés de vendre leurs parts, le plus souvent à des groupes étrangers ? Non ! C'est pourquoi nous exonérons à hauteur de 75% la détention de parts ou d'actions minoritaires dans le cadre de pactes d'actionnaires.
Etait-il normal que les dirigeants détenant des parts de leur entreprise soient exonérés, mais pas les salariés ? Evidemment non ! Aussi avons-nous étendu aux salariés la mesure prise par la gauche à l'avantage des seuls dirigeants.
En matière d'ISF, ce sont les seules mesures que nous avons prises. De ce point de vue, les procès d'intentions qui nous ont été faits paraissent en total décalage avec le discours de tous les grands partis de la gauche européenne, en Espagne, en Allemagne ou au Royaume-Uni.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Cela est d'autant plus vrai que le deuxième pilier de notre réforme fiscale est marqué par un souci constant de justice sociale. La justice, c'est en effet le mot-clé de cette réforme.
D'abord, cette réforme est juste parce qu'elle vise les classes moyennes et modestes qui gagnent moins de 3 500 euros par mois. En effet, nous consacrons sur elles près de 70 % du coût de cette baisse d'impôt, soit 2,4 milliards d'euros sur les 3,6 milliards d'euros prévus. En intégrant la prime pour l'emploi, la PPE, ce taux s'élève à 75 %.
En prenant en compte les diminutions d'impôts décidées au cours de l'ensemble de la législature, 3,5 millions de foyers auront profité d'une baisse d'impôt d'au moins 30 % et plus de 90 % d'entre eux ont un revenu inférieur à 24 000 euros par an !
Ensuite, cette réforme est juste parce qu'elle cantonne les gains pour les hauts revenus. Le nouveau taux marginal de l'impôt sur le revenu est fixé à 40 %, alors que l'intégration mécanique de l'abattement de 20 % aurait dû conduire à le fixer à 38 %.
Enfin, cette réforme est juste parce qu'elle propose un mécanisme de double plafonnement. Nous aurons, monsieur le président de la commission des finances et monsieur le rapporteur général, l'occasion d'en parler à nouveau. Il s'agit à la fois de plafonner la charge fiscale à 60 % du revenu et les avantages fiscaux, les fameuses « niches », pour éviter les cumuls abusifs.
Lors de la discussion budgétaire, nous aurons l'occasion d'aborder dans le détail chacun de ces points ; je souhaitais d'ores et déjà vous dire que, dans ces domaines, nous avons souhaité faire bouger les lignes dans une logique de compétitivité, d'attractivité de notre territoire, mais aussi d'emploi, afin d'enrayer les délocalisations.
Il nous reste bien des chantiers à explorer. Je ne mentionnerai que celui de la fiscalité de l'épargne.
Monsieur le rapporteur général, vous proposez à ce sujet des pistes d'améliorations intéressantes ; soyez assuré que le Gouvernement entend travailler en étroite coopération avec vous et la commission des finances, comme il l'avait fait l'an dernier pour l'exonération des plus-values de cessions sur les titres de participation.
Ainsi que M. Thierry Breton l'a indiqué devant la Haute Assemblée, nous proposerons au Parlement, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative, un dispositif qui permettra d'exonérer les plus-values mobilières de manière progressive, à l'issue d'une conservation d'une durée minimale de cinq ans, afin de promouvoir une plus grande stabilité de l'actionnariat de nos entreprises.
J'en viens à présent aux allégements de charges sociales.
Là encore, je crois que nous devons sortir des faux débats. Maintenant que les allégements de charges sont stabilisés, il faut les pérenniser et les rendre plus lisibles pour les entreprises.
De ce point de vue, le Gouvernement avait pris une bonne décision en 2004 en supprimant le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC. Cette véritable boîte noire était en effet une structure opaque entre l'Etat et la sécurité sociale.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Le Gouvernement a également pris une bonne décision en 2005 en affectant les ressources correspondantes à la sécurité sociale. C'était d'autant plus justifié que les allégements de charges constituent bien, pour les entreprises, une diminution de leurs prélèvements obligatoires. Cela n'a donc rien à voir avec de la dépense discrétionnaire. Par conséquent, exclure ces allégements de la norme de dépense est légitime.
C'est un sujet sur lequel M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, reviendra dans son propos et sur lequel nous avons beaucoup travaillé ensemble.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, vous émettez des réserves sur la décision de transférer un panier de recettes à la sécurité sociale pour financer les allégements de charges sociales, et vous proposez de substituer 3,3 points de TVA aux neuf taxes dont nous souhaitons le transfert.
Cette question est très importante et nécessite trois débats.
Le premier débat est celui du financement des allégements de charges : autrement dit, le panier de recettes proposé permet-il de compenser dans de bonnes conditions les allégements de charges ? La réponse est « oui », car, contrairement à ce que j'ai pu lire, ce panier de recettes n'est pas un « inventaire à la Prévert ».
Certes, il se compose de neuf taxes, mais il est justifié. En effet, ces taxes ont un rapport direct ou indirect avec des questions de santé, donc avec les dépenses qu'elles financent.
M. Jean-Jacques Jégou. Même la taxe sur les salaires ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je vais y venir !
Qu'il s'agisse de la taxe sur l'alcool, de la TVA sur les médicaments, de la TVA sur les tabacs, de la taxe sur les primes d'assurance automobile en lien avec le taux d'accidents, ou même de la taxe sur les salaires, qui, je le rappelle, monsieur Jégou, est acquittée à 45 % par les établissements de santé,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et le reste par les banques !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ... tous ces prélèvements sont bien en relation avec les questions de santé. Leur dynamisme est globalement en ligne avec celui de la masse salariale du secteur privé au cours des dix dernières années, celle-ci progressant même en moyenne, comme les allégements de charges en régime de croisière.
Ce panier atteint donc parfaitement son objectif, qui est de financer les allégements de charges.
J'ajoute que le partage de la TVA entre l'Etat et la sécurité sociale ne serait pas une option saine pour les finances publiques : d'aucuns pourraient y voir un « droit de tirage » sur le budget de l'Etat, au moment où nous voulons identifier clairement ses dépenses, ainsi que celles de la sécurité sociale.
De plus, si l'on décidait de s'engager dans cette voie, il faudrait s'attendre chaque année à une polémique - est-ce bien utile, alors que nous en avons déjà tellement dans ce pays ? - sur la clé de répartition entre l'Etat et la sécurité sociale pour la TVA. C'est le contraire de la logique de découplage financier que nous essayons de mettre en place.
La deuxième question est la suivante : les allégements de charges sont-ils efficaces par rapport à notre objectif ?
M. Guy Fischer. Non !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Ça, c'est autre chose...
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Effectivement !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Les allégements de charges augmenteront de 1,8 milliard d'euros en 2006 : certains s'interrogent sur l'opportunité de cet effort supplémentaire, et le ministre du budget que je suis, conscient qu'il y a quelque 19 milliards à décaisser, sait de quoi il s'agit.
Je rappellerai simplement que ces allégements de charges en progression ne tombent pas du ciel. Ils correspondent à des décisions pour certaines antérieures à notre gouvernement, qu'il nous faut nécessairement assumer au nom de la continuité de l'Etat et du respect de la parole donnée.
Ainsi, lorsque nous avons massivement augmenté le SMIC, comme ce fut le cas en juillet 2003 et en juillet 2004, il a naturellement fallu compenser cette hausse pour les entreprises. Personne n'imagine en effet qu'il revient aux entreprises de financer l'augmentation du SMIC ! Parallèlement, le dispositif d'allégement des charges issu de la loi Fillon, pour neutraliser les conséquences de cette augmentation du SMIC, a achevé sa montée en puissance.
Cela étant - et je le dis ici très sereinement -, une évaluation plus précise de l'effet des allégements de charges est certainement nécessaire. Il est vrai que de nombreuses critiques sont émises sur leur efficacité, à gauche comme à droite. L'ampleur de l'effort qu'ils représentent pour les finances publiques justifie parfaitement qu'on s'interroge sur leur efficience. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'est engagé à présenter à l'Assemblée nationale un rapport sur ce sujet. J'ai naturellement sollicité les corps d'inspections compétents sur ce point.
Désormais, la question est de savoir si nous devons aller au bout de notre logique ; ce débat n'est pas médiocre, bien au contraire. Devons-nous ou non nous engager dans la voie de la « barémisation » de ces allégements ? Le véritable taux de cotisations patronales pour le SMIC est de quatre points - et non de trente -, et l'ensemble des charges sociales pesant sur les salaires de ce niveau est de vingt points - et non de quarante-six, comme cela est aujourd'hui indiqué sur les feuilles de paie. Autant que cela se voit ! C'est un peu, monsieur le président de la commission des finances, la même opération de transparence qu'avec la suppression de l'abattement de 20 % pour l'impôt sur le revenu.
Présenter au reste du monde - et donc aux investisseurs étrangers présents et futurs - un barème correspondant à la vérité, tant pour les charges sociales que pour l'impôt sur le revenu, est une idée qui mérite sans doute d'être étudiée. En tout cas, nous y travaillons, et un rapport sur ce sujet sera présenté à l'Assemblée nationale et au Sénat.
La troisième question est celle de la modernisation du mode de financement de notre sécurité sociale.
Je suis, pour ma part, favorable à ce que l'on débatte en toute transparence, sans tabou, des voies d'amélioration possibles du financement de la sécurité sociale.
La TVA sociale, sujet abondamment évoqué, est une piste possible. De prime abord, l'idée est séduisante : substituer aux cotisations patronales, assises sur les salaires, une taxe assise sur la consommation, voilà qui donne une impression de modernité. Du coup, on rend plus chers les produits importés et plus compétitifs les produits made in France. Tous ces éléments plaident en faveur de cette formule.
Certes, si les entreprises jouent le jeu intégralement, le système peut très bien fonctionner. Mais le véritable risque est que les entreprises profitent de cette baisse des cotisations patronales et ne les répercutent pas sur les prix de leurs produits. Dans ce cas, la hausse de TVA se traduirait par un dérapage des prix : le véritable perdant serait alors le consommateur.
M. Aymeri de Montesquiou. Dans ce cas, les entreprises n'arriveraient pas à vendre !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. D'effet vertueux, on passerait alors à un cercle vicieux. On pourrait s'interroger sur la fiabilité du dispositif.
Le débat sur la TVA sociale, qui est à la fois passionnant et passionné, doit se poursuivre et être élargi à l'ensemble des parties concernées, y compris les entreprises.
Le Premier ministre a d'ailleurs confié à M. Raymond Soubie une étude à ce propos, dont il convient d'attendre les conclusions. Ce sera, me semble-t-il, une contribution majeure à notre débat.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument ! M. Soubie est un esprit libre !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Nous devons toutefois garder à l'esprit une priorité : derrière la question de la bonne structure fiscale pointe celle du poids excessif de nos dépenses publiques.
M. Guy Fischer. Ah ! nous y voilà !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Tous les dix ans ou vingt ans, il est de bon ton, dans notre pays, de créer une nouvelle assiette au nom de l'efficacité économique, pour faire face à l'envolée des dépenses sociales.
Ainsi, en 1954, la TVA avait été imaginée pour financer la politique familiale. Puis, au début des années 1990, la contribution sociale généralisée, la CSG, a été créée pour financer une partie du revenu minimum d'insertion, le RMI. Aujourd'hui, l'introduction d'une TVA sociale est envisagée pour faire face aux dépenses liées aux évolutions démographiques, notamment au vieillissement de la population. Voilà un sujet lourd sur lequel nous devrons poursuivre nos réflexions.
J'évoquerai maintenant très brièvement la réforme de la gouvernance des finances locales.
Elu local, je suis évidemment très attaché à la libre administration des collectivités locales, ainsi qu'à leur autonomie financière.
Mais, là encore, il ne faut pas se tromper de débat : notre économie vit sans cesse sous la menace de délocalisations. Cela se traduit à chaque fois par des fermetures d'entreprises. Des salariés sont laissés sur le carreau. Les territoires concernés doivent ensuite relever des défis considérables !
Je suis donc de ceux qui pensent qu'on ne peut pas, d'un côté, verser des larmes lorsque nos entreprises se délocalisent et, de l'autre, fermer les yeux sur les hausses des taux de fiscalité locale. Celles que nous avons observées au cours des dernières années étaient parfois excessives.
C'est d'ailleurs pour inciter à la modération fiscale que j'ai proposé que l'Etat et les collectivités locales assument chacun leurs responsabilités, dans le cadre tant de la réforme de la taxe professionnelle que du plafonnement à 60 % des impôts. Ce sujet est évidemment très important.
S'agissant de la taxe professionnelle, j'ai proposé que l'Etat prenne à sa charge les augmentations de taux intervenues entre 1995 et 2004, 2004 devenant alors l'année de référence. Le coût pour l'Etat de cette prise en charge s'élèvera à 1,4 milliard d'euros. Les collectivités locales prendront en charge, à compter de cette année et pour les années futures, les hausses de dégrèvements au titre du plafonnement effectif à 3,5 %.
Nous aurons un débat approfondi sur ce sujet. Je suis évidemment ouvert à la mise en place d'un mécanisme correcteur, et j'examinerai avec vous les clauses de sauvegarde pour éviter que certaines collectivités ne se trouvent dans des situations désespérées. Mais nous en reparlerons.
De la même manière, je suis ouvert à une réflexion sur la mise en oeuvre du plafonnement des impôts locaux à 60 % des revenus. J'ai ainsi entendu l'appel d'Hervé Mariton à l'Assemblée nationale tendant à ce que, si l'Etat est responsable du dépassement de ce seuil, il lui appartient alors de le prendre en charge.
Toutes ces questions devront être évoquées à l'occasion de la conférence annuelle des finances publiques. Cette première conférence, que je souhaite réunir au mois de novembre, sera essentiellement méthodologique.
Elle sera l'occasion d'aborder les perspectives d'évolution de nos finances publiques sur la période 2006-2009, ainsi que les composantes des relations financières entre l'Etat, les collectivités locales et les administrations de sécurité sociale.
Pour terminer, j'évoquerai la réforme de l'Etat, sujet sur lequel la Haute Assemblée travaille beaucoup. Cela ne vous étonnera pas, je suis comme vous déterminé à maîtriser la dépense de l'Etat.
Ce que les Français attendent, c'est non pas une dépense publique en augmentation, mais une dépense publique efficace, le meilleur service public au meilleur coût.
De ce point de vue, le Premier ministre a clairement indiqué que l'objectif pour 2007 serait de tendre vers la stabilisation des dépenses en valeur. Cela signifie que l'Etat doit financer les services rendus à nos concitoyens à dépenses courantes inchangées. En volume, la stabilisation à zéro constituait déjà un progrès ; en valeur, elle représentera un effort majeur de modernisation, qui exigera des gains de productivité.
Dans ce contexte, l'élaboration du projet de budget pour 2007 est déjà entamée. Cette démarche s'inscrit dans le cadre d'une nouvelle méthode de travail, grâce à la LOLF. L'ensemble des administrations de l'Etat fera l'objet d'une vague d'audits. Le Premier ministre annoncera demain sur ce sujet des décisions importantes. Ces audits, inspirés par ce qui se pratique au Canada, ainsi que dans les grandes entreprises privées, sont, me semble-t-il, une manière d'engager la modernisation de la dépense publique.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les informations dont je tenais à vous faire part en introduction à cet important débat sur les prélèvements obligatoires.
Sur tous ces sujets, les Français nous demandent de la lisibilité, de la justice, de l'efficacité : de la lisibilité d'abord, parce qu'ils veulent une fiscalité qui soit claire pour tout le monde ; de la justice ensuite, parce qu'ils savent qu'il n'est pas de décision importante et de réforme courageuse si elles ne sont pas d'abord justes ; de l'efficacité enfin, parce que tous les Français veulent en avoir pour leurs impôts.
C'est l'efficacité même du service public qui est en jeu, et c'est à cela que nous allons travailler ensemble. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les réflexions de la commission des finances et de la commission des affaires sociales du Sénat ainsi que l'intervention de M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat ont parfaitement mis en lumière l'importance des enjeux liés à la maîtrise des prélèvements obligatoires.
Je suis heureux qu'un tel débat puisse se tenir ce soir au Sénat, au moment où le Parlement délibère du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
En effet, il est essentiel que la représentation nationale puisse discuter de l'évolution de nos prélèvements obligatoires, en tournant le dos aux approches compartimentées et à tiroirs, ainsi qu'aux cloisonnements qui, trop souvent, empêchent d'affirmer les vues d'ensemble sans lesquelles il n'est pas de bonne politique.
Les comptes sociaux et ceux de l'Etat ne font qu'un dans l'esprit de nos compatriotes, et ce sont ces derniers, bien sûr, qui ont raison. Pour eux, ces comptes sont votés par le Parlement et dépendent, en exécution, du Gouvernement. C'est donc la responsabilité politique qui est en cause.
Quelle que soit la géographie des inscriptions comptables - budget de l'Etat ou comptes de la sécurité sociale -, il s'agit toujours de faire fonctionner des services publics aussi importants que l'école ou l'hôpital. Le fait que l'une soit financée par l'Etat et l'autre par la sécurité sociale est, en définitive, de peu d'intérêt. Ce qui importe avant tout, c'est que les services publics fonctionnent bien.
De même, le fait que les retraites des salariés du secteur privé soient financées par la sécurité sociale tandis que celles des fonctionnaires relèvent du budget de l'Etat est, à l'évidence, moins important que le fait que l'avenir des retraites soit désormais garanti, grâce à la réforme de 2003.
Et puisque vous m'y avez invité, je ne m'attarderai pas sur des considérations de court terme, dans lesquelles le sacro-saint principe de l'annualité budgétaire nous enferme trop souvent.
La question que nous devons nous poser est la suivante : d'ici à cinq ans, à dix ans, peut-être davantage, dans quels secteurs les besoins de financement publics seront-ils les plus importants ? Et, plus précisément, dans quels secteurs ces besoins progresseront-ils le plus vite ?
De la réponse à ces questions dépendent les choix politiques et financiers de l'avenir.
Examinons les différents chapitres en cause, à commencer par celui des dépenses régaliennes. Depuis 2002, sous l'impulsion du Président de la République, un immense effort de rattrapage a été accompli dans ce domaine, en investissement comme en fonctionnement.
Cet effort se traduit chaque année par la mise en oeuvre en loi de finances d'une nouvelle tranche d'exécution des grandes lois de programmation pour la défense, pour la justice et pour la sécurité intérieure. Il était temps de le faire, et on ne dira jamais assez combien le ralentissement de l'effort de défense de la nation entre 1997 et 2002 a retardé, à cette époque, la nécessaire modernisation de nos armées, aujourd'hui relancée au prix d'un effort d'autant plus grand que les retards s'étaient accumulés. Puisque cet effort atteint aujourd'hui un niveau exceptionnel dans tous les domaines concernant notre sécurité intérieure et extérieure, il devra sans aucun doute se poursuivre. Rien n'indique pour autant, compte tenu de son niveau élevé, qu'il devra encore être amplifié à moyen terme.
Examinons maintenant l'école et la recherche. Les besoins dans ces secteurs sont immenses. Le Gouvernement s'efforce d'y répondre en mettant en oeuvre la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, ainsi qu'une amplification sans précédent de nos programmes de recherche. Mais l'évolution de la démographie ne laisse pas prévoir, à moyen terme, une progression irrésistible des crédits que la nation devra consacrer à l'éducation, beaucoup étant déjà fait grâce à un meilleur emploi des moyens très importants que nous consacrons à ce grand service public. C'est l'une des exigences de la politique que conduit le Gouvernement dans ce domaine, sous l'autorité de Gilles de Robien.
La politique de l'emploi mobilise également, sous la conduite de Jean-Louis Borloo, des crédits très importants. Mais il est certain que ces dépenses diminueront avec l'amélioration de la situation de l'emploi et qu'elles seront moins nécessaires dans quelques années, pour des raisons qui tiennent, d'une part, à la politique que mène Dominique de Villepin, dont les premiers résultats sont encourageants, et, d'autre part, à la démographie.
Il en va tout autrement s'agissant des dépenses de santé et de prise en charge des besoins des personnes très âgées. C'est donc à ces secteurs que devront progressivement être affectées les ressources publiques les plus dynamiques, comme le sont déjà la CSG et les cotisations sociales. Il nous faudra à l'évidence continuer de diversifier ces ressources.
D'ici à 2050, le vieillissement de la population pourrait conduire à une augmentation des dépenses publiques comprise entre 3 % et 7 % du PIB. Dans la plupart des Etats membres de l'Union européenne, cet impact budgétaire se fera sentir dès 2010, les répercussions les plus importantes étant attendues entre 2010 et 2030. En outre, la croissance des dépenses de santé devrait se traduire, dans l'ensemble des Etats membres de l'Union, par des augmentations des dépenses publiques comprises entre 1,5 % et 4 % du PIB.
Nous savons donc que ces dépenses augmenteront à moyen et à long terme. Nous voulons qu'elles n'augmentent que dans la mesure strictement nécessaire à la satisfaction des besoins qui relèvent de la solidarité. Pour cela, nous mettons en oeuvre les politiques qui permettent de maîtriser les évolutions en améliorant la gestion de notre système.
Mais nous savons aussi que, pour faire face à ces évolutions, il faudra veiller au dynamisme des recettes sociales et fiscales affectées à la sécurité sociale. La nation devra en effet mettre ses moyens là où les besoins progressent le plus, en restant fidèle au pacte scellé voilà soixante ans lors de la création de notre système de sécurité sociale, sans accepter que la solidarité se désengage. Il y va de notre cohésion sociale, de la confiance des Français en l'avenir et aussi, de ce fait, de notre dynamisme économique à moyen terme.
Le financement de la protection sociale représente - Jean-François Copé vient de le rappeler - la moitié des prélèvements obligatoires dans notre pays, soit 340 milliards d'euros, c'est-à-dire un peu plus d'un cinquième de la richesse nationale. C'est une proportion considérable, qui n'a cessé de croître, reflétant l'aspiration des sociétés modernes à une plus grande protection.
Depuis la mise en oeuvre de notre système de protection sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la place des dépenses de protection sociale dans l'économie a progressé régulièrement : alors que celles-ci équivalaient à environ 12 % de notre produit intérieur brut en 1950 - 15 % en 1960, 20 % en 1970, 25 % en 1980 -, elles en représentent aujourd'hui 30 %.
Au cours des années, ces dépenses ont connu une forte progression, du fait non seulement des dépenses consacrées aux retraites et à la santé, mais aussi du poids de l'indemnisation du chômage.
Quand nous nous battons pour l'emploi, pour le pouvoir d'achat et pour une croissance sociale, nous nous battons également pour l'équilibre de nos comptes sociaux. C'est vrai en dépenses comme en recettes.
Notre système social a évidemment un prix, qui nous oblige à faire appel à la responsabilité de tous - assurés sociaux, prescripteurs, industriels, organismes complémentaires - pour maîtriser durablement l'évolution des dépenses, non pas par des mesures conjoncturelles, mais par un changement profond des comportements, y compris en matière de lutte contre la fraude, les abus et les gaspillages.
L'importance des ressources consacrées aux dépenses de sécurité sociale et l'accroissement de la part affectée au financement de ces dépenses dans l'ensemble des prélèvements publics sont bien compréhensibles. Il est en effet naturel que les ressources publiques soient affectées au secteur de la vie nationale dans lequel les besoins sont les plus importants et les plus dynamiques.
Notre choix politique est d'assurer le financement de ces besoins par la solidarité. Celle-ci est en effet au coeur du pacte républicain, auquel nous tenons à demeurer fidèles. Cela impose évidemment de veiller à la qualité et à la maîtrise de la dépense. J'y reviendrai.
Il est bien sûr nécessaire de diversifier, de stabiliser et de dynamiser les recettes sociales, qui sont très dépendantes de la conjoncture économique. C'est pourquoi, même si la part des cotisations sociales demeure prépondérante, ces dernières années ont permis une certaine fiscalisation des prélèvements sociaux, depuis le basculement des cotisations salariales d'assurance maladie et d'allocations familiales sur la CSG.
Ce mouvement de diversification des recettes de la sécurité sociale se poursuivra nécessairement. Au stade où notre prélèvement social en est arrivé, il ne peut peser uniquement sur les cotisations salariales, c'est-à-dire sur le travail.
M. Philippe Bas, ministre délégué. Je voudrais rappeler le choix du Gouvernement de financer, dès 2006, les allégements généraux de cotisations sociales par l'affectation à la sécurité sociale de recettes fiscales, notamment d'une part de la taxe sur la valeur ajoutée, à hauteur de 5 milliards d'euros.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. « Sociale » par destination !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Mais cette décision participe du même mouvement de diversification et de consolidation des ressources de la sécurité sociale : l'ensemble des recettes destinées à financer les allégements généraux de cotisations sociales - soit 18,9 milliards d'euros en 2006 -, qui affectent directement et en premier lieu la sécurité sociale en la faisant contribuer aux politiques de l'Etat, comprendra ainsi l'essentiel de la taxe sur les salaires, pour 10 milliards d'euros, les droits sur les alcools et, à hauteur de plus de 5 milliards d'euros, la fraction de la taxe sur la valeur ajoutée assise sur les tabacs et les produits pharmaceutiques.
L'affectation d'une partie de la TVA qui s'inscrit pour moi dans une démarche d'avenir, la variété de ces recettes et les garanties entourant leur évolution permettront, dans l'immédiat, d'apporter à la sécurité sociale des ressources dynamiques, ne pesant pas uniquement sur le coût du travail.
Mais au-delà de ces réflexions sur la nature et sur la structure des prélèvements sociaux, la clé de la réussite n'est pas à chercher aujourd'hui dans de nouveaux financements. L'enjeu décisif réside désormais dans notre capacité à maîtriser l'évolution des dépenses.
Aucune perspective de recettes supplémentaires ne nous permettrait d'ailleurs de faire l'économie de cet effort. Ce dernier a été trop longtemps éludé. Je pense, pour être précis, à cette période pas si lointaine où les dépenses de santé galopaient de 5 à 7 % par an alors qu'elles ont depuis lors été ramenées à une progression d'à peine plus de 2 % par an.
La question à cet égard est non pas de débattre sans fin de la ligne de partage entre la solidarité et l'initiative individuelle, mais de mettre en oeuvre une régulation de nos dépenses sociales qui permette d'en contenir l'évolution tout en répondant aux besoins des Français. C'est tout le sens des réformes engagées depuis 2002 pour les retraites et l'assurance maladie.
Le maintien de notre compétitivité, au service de la croissance et de l'emploi, seuls capables de garantir nos droits sociaux et de permettre la satisfaction de nouvelles exigences de solidarité, n'est pas compatible avec la poursuite de la hausse de nos prélèvements, déjà parmi les plus élevés au monde.
Les réformes structurelles qui ont été engagées sont conduites avec détermination par le Gouvernement. C'est notre devoir de les poursuivre et de les approfondir.
La loi portant réforme des retraites a, sans conteste, mis en oeuvre une réforme nécessaire, juste, historique et trop longtemps différée. Les décisions prises devraient ainsi permettre de réduire d'environ un tiers le besoin de financement du régime général de l'assurance vieillesse à l'horizon 2020 - déjà diminué par la réforme de Simone Veil en 1993 - et de moitié celui des fonctions publiques.
La réforme de l'assurance maladie, instaurée par la loi du 13 août 2004, constitue le deuxième pilier de cette politique. Elle a déjà permis d'enrayer la dérive des déficits et de sauvegarder l'assurance maladie. Sans la réforme, le déficit aurait été de 16 milliards d'euros au 31 décembre 2005 ; or il a été ramené, comme l'a indiqué la commission des comptes de la sécurité sociale voilà quelques semaines, à un déficit prévisionnel de 8,3 milliards d'euros.
L'effort est considérable, car, si l'assurance maladie a bénéficié d'un apport de recettes complémentaires de 4 milliards d'euros dans le cadre du plan de redressement, on voit bien que, par rapport à un déficit tendanciel de 16 milliards d'euros, le reste du chemin a été fait grâce à de moindres dépenses, d'autant que nous avons aussi perdu 1,2 milliard de ressources de cotisations sociales en raison d'une croissance insuffisante.
La mise en oeuvre de la réforme se traduit donc par une réelle maîtrise des dépenses, notamment s'agissant des soins de ville.
Pour la première fois depuis des années, et malgré le scepticisme initial de certains observateurs pas toujours bien intentionnés, l'objectif de dépenses d'assurance maladie sera respecté en 2005. Il le sera aussi en 2006.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce défi de la croissance historique des dépenses sociales, nous nous donnons les moyens de le relever ensemble par une réelle maîtrise des dépenses, notamment d'assurance maladie, afin de ramener la progression des dépenses sociales prises en charge par les mécanismes de solidarité nationale à un rythme proche de celui de la croissance économique.
C'est seulement ainsi que nous serons à même de maîtriser l'évolution de nos prélèvements obligatoires pour préserver le pouvoir d'achat et maintenir notre compétitivité, au service de la croissance et de l'emploi. En dépensant mieux, en évitant les gaspillages, en développant l'esprit de responsabilité, nous pourrons continuer d'aider nos concitoyens qui en ont le plus besoin, les malades, les personnes âgées dépendantes, les personnes handicapées, mais aussi bien sûr les familles, parce qu'elles sont l'avenir de notre pays. Et ces progrès, nous les réaliserons en évitant de freiner ou d'entraver tous ceux qui, par leur travail, rendent cette solidarité possible en France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat est un privilège du Sénat, car notre ordre du jour en ce début d'automne nous laisse le temps de la réflexion.
Je voudrais, au début de ce débat et après MM. les ministres, formuler des remarques et quelques propositions.
Monsieur le ministre délégué au budget, il est vrai que le Sénat va bientôt aborder l'examen du projet de loi de finances qui comporte des mesures structurelles sur le plan fiscal : limitation de la charge fiscale des ménages au titre de leurs revenus, réforme globale de l'impôt sur le revenu, dispositions visant à résorber au moins dans une première étape ce qu'il est convenu d'appeler « les niches fiscales ».
Mais nous allons aborder l'examen de ces mesures en nous préoccupant du paysage d'ensemble qui est celui des prélèvements obligatoires. Ces derniers sont encore plus sociaux que fiscaux. La limite entre comptes sociaux et comptes de l'Etat est de plus en plus difficile à tracer. A cet égard, le débat que nous menons concernant les ressources fiscales destinées à compléter la couverture des charges de la sécurité sociale est assurément intéressant.
La commission des finances ne souhaite pas que les changements de portage perturbent trop l'appréciation de la règle du « zéro volume », qui lui semble représenter un minimum pour les dépenses de l'Etat. Elle voudrait aussi que l'affectation de recettes fiscales à la sécurité sociale ne se borne pas à résoudre un problème comptable immédiat, mais qu'elle permette de tracer des perspectives dans une dynamique et pour l'avenir.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Enfin, la réflexion fiscale se diffuse dans notre pays, et la commission des finances a étudié avec intérêt - même si les propositions qui en résultent ne sont manifestement pas applicables en l'état - un document de valeur publié récemment par le Conseil d'analyse économique, placé auprès du Premier ministre. Ce rapport, intitulé Croissance équitable et concurrence fiscale, est dû aux professeurs Christian Saint-Etienne et Jacques Le Cacheux. L'an dernier, le document à la mode était le rapport Camdessus,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... qui posait la question de la viabilité du modèle social français. Cette année, grâce au Conseil d'analyse économique, nous sommes en mesure de réfléchir à la « soutenabilité » de notre modèle fiscal, qui n'est à la vérité que le reflet de notre modèle social.
Or nous pensons - c'est mon deuxième point - que ce modèle fiscal français souffre aujourd'hui de grandes insuffisances et de beaucoup de contradictions. Il comporte même de nombreux effets pervers. Notre tempérament national conduit, au nom du principe d'égalité, à considérer beaucoup de cas particuliers dont on ne saurait dire si on les traite par perfectionnisme ou en raison d'une certaine propension au clientélisme.
Or une telle logique a atteint ses limites. Par ailleurs, plus il est fait droit à des demandes particulières, plus il s'en présente de nouvelles au guichet.
La complexité de notre code général des impôts résulte de toutes ces sédimentations. Bien trop souvent, en matière fiscale, il n'est pas de règle générale qui ne soit aussitôt assortie de nombreux cas particuliers, de nombreuses exonérations, de nombreuses incitations, de nombreux dégrèvements ou de mécanismes analogues.
La conviction des membres de la commission des finances est qu'il faudrait vraiment avoir le courage de porter un regard neuf sur tous ces dispositifs et - pourquoi pas ? - de pratiquer un certain « minimalisme fiscal », c'est-à-dire d'évoluer vers un système dans lequel on ne paye pas forcément moins d'impôts, mais dans lequel les différents régimes fiscaux soient plus simples, plus fonctionnels, moins sophistiqués, plus lisibles.
Certes, mes chers collègues, trop d'impôt tue l'impôt, mais trop d'exceptions dissolvent la règle qui perd alors à la fois efficacité et légitimité.
A la vérité, nous sommes incités à mener cette réflexion par les coups de butoir de la concurrence fiscale, qui est inévitablement de plus en plus intense. Mais, prenons-y garde, la concurrence fiscale et l'attractivité du territoire national s'expriment plus en taux affichés, en taux apparents de la fiscalité, qu'en taux réels. Le Conseil d'analyse économique a fort bien souligné que l'essentiel est la compétitivité fiscale ressentie, et que cette dernière conditionne vraiment les choix de localisation de l'investissement. Dans ce domaine, les agents économiques peuvent être victimes d'une sorte d'illusion nominale : en effet, dans notre dispositif, les taux apparents sont très élevés, souvent contrariés par des dérogations et incitations qui les réduisent dans la réalité, mais, de l'extérieur, ce que voit l'investisseur, c'est l'affichage de taux qui, en vérité, nous défavorisent dans la concurrence internationale.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cette concurrence est d'ailleurs beaucoup plus diverse qu'on ne pourrait le croire : il y a tout d'abord la concurrence pour la localisation des activités et de l'emploi, qui fait essentiellement intervenir des facteurs structurels tels que la situation et la taille des marchés, la réalité du savoir-faire, les compétences, la qualité des infrastructures et des biens publics, le dynamisme de la recherche, etc. Ce sont bien là les facteurs essentiels de cette vraie concurrence.
Mais il est une autre concurrence. : la concurrence pour la localisation des bases d'imposition, plus technique, qui dépend directement des régimes fiscaux de chaque pays dans lesquels s'effectue le processus productif. Elle dépend en quelque sorte de la façon dont chaque Etat sait vendre son couple protection-attractivité - attractivité pour l'implantation de nouveaux projets économiques -, son couple services publics-dépenses publiques.
Mais, bien que la concurrence fiscale soit une guerre tout autant psychologique que rationnelle, il faut bien comprendre un aspect essentiel que MM. les ministres ont d'ailleurs souligné tout à l'heure dans leurs propos introductifs : une fiscalité hyper-concentrée sur les facteurs de production les plus mobiles - le capital et les compétences humaines - représente un handicap dans la compétition internationale.
Il faut donc, mes chers collègues, à l'occasion d'un tel débat, tracer des pistes, rechercher des orientations et s'interroger sur la refondation de l'ensemble de notre modèle fiscal qui, un jour, pourrait en résulter.
C'est à ce titre que la commission des finances s'est efforcée, de façon déjà persévérante, de labourer des pistes, de formuler des idées. Permettez-moi d'évoquer rapidement deux d'entre elles : la TVA sociale et la nécessaire rénovation de notre fiscalité de l'épargne.
Ainsi que M. Jean-François Copé l'a rappelé, la problématique de la justice fiscale est essentielle. La recherche de l'équité est un élément essentiel d'une politique économique et fiscale. Mais l'équité est à la fois horizontale et verticale. L'équité horizontale, c'est le fait de traiter de la même façon tous ceux qui sont dans une situation identique, ce qui n'est pas si simple. L'équité verticale, c'est faire une juste part dans les systèmes fiscaux à la proportionnalité et à la progressivité. Il nous faut, sur ces deux plans que sont l'équité horizontale et l'équité verticale, trouver la meilleure combinaison possible.
De ce point de vue, messieurs les ministres, la problématique de la TVA sociale est fondatrice. En quelque sorte, c'est une épine dorsale incontournable du débat fiscal. Jean Arthuis développera tout à l'heure ce sujet avec la conviction et la constance qui sont les siennes.
Vous avez bien perçu, monsieur le ministre délégué au budget, l'esprit dans lequel nous abordons l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 : le cocktail de neuf taxes, d'un côté, et l'affectation d'une quote-part de TVA, de l'autre.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous faisons cette proposition pour deux raisons.
La première est d'ordre pédagogique : c'est une façon d'acclimater la TVA comme ressource affectée à la sécurité sociale, ce que l'on a d'ailleurs déjà commencé de faire, ainsi que M. Philippe Bas nous l'a expliqué, mais c'est aussi l'annonce d'une évolution sans doute plus globale et qui serait vraiment facteur de compétitivité.
En d'autres termes, dans la zone euro, on ne peut plus dévaluer,...
M. Aymeri de Montesquiou. Malheureusement !
M. Jacques Blanc. Heureusement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... heureusement et malheureusement, d'une certaine façon : nos produits sont chers, les prix de revient sont grevés de charges fort lourdes qui nous défavorisent dans la compétition internationale.
L'idée de faire contribuer aussi bien les produits importés que les produits réalisés sur place est profondément sociale,...
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... car elle vise à faire contribuer les produits issus de pays qui ne se sont pas dotés du même modèle social que nous...
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et qui entretiennent, et entretiendront encore un certain temps, des systèmes beaucoup moins protecteurs que le nôtre à l'égard de la personne humaine au travail. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Donc, l'idée de TVA sociale, c'est bien de trouver des marges nouvelles de compétitivité par l'application de cette problématique.
Monsieur le ministre, vous nous dites que les neuf taxes se justifient...
M. Philippe Marini, rapporteur général. ...en fonction de leur nature. Cela me rappelle un peu certaines démonstrations sur les écotaxes faites voilà quelques années.
Si les taxes qui frappent des comportements contraires à la santé publique ont un avenir, c'est bien de voir leur rendement décroître ! Si l'on veut alimenter les régimes sociaux par une ressource de rendement et une ressource régulière et si l'on veut cultiver l'idée de simplicité, la formule que nous préconisons mérite au moins l'attention, me semble-t-il.
Très brièvement, j'évoquerai aussi, à titre de piste pour l'avenir, la question de la fiscalité de l'épargne.
Nous avons en France une tendance naturelle, structurelle, historique, à préférer l'épargne liquide sans risque, tendance qu'encourage l'Etat à travers ses incitations fiscales, financées en quelque sorte par les contribuables. Le livret A en est la meilleure illustration.
Le livret A est certes affecté au logement social, mais d'autres circuits de financement permettraient de drainer des ressources équivalentes dans tout le système bancaire.
La Caisse des dépôts et consignations, qui centralise cette épargne liquide réglementée, n'est pas en mesure de la consacrer en totalité au logement social. Selon les dernières indications dont nous disposons, 56 % seulement des ressources des fonds d'épargne ont été employées en 2004 au financement du logement social. Pourquoi ? En raison du niveau trop élevé tant des taux de collecte que, par rapport au marché, des taux d'intérêt susceptibles d'être consentis aux organismes d'HLM. C'est une réalité.
Je rappelle que le plafond du livret A est de 15 300 euros, que chaque personne dans un foyer fiscal peut disposer d'un tel livret et qu'il est possible de continuer à le doter au-delà de la limite.
Je citerai simplement quelques chiffres à cet égard : 6 % des détenteurs de livrets enregistraient en 2004, par le jeu des intérêts cumulés, des dépôts supérieurs au plafond : cette toute petite minorité détenait à elle seule plus de 43 % des encours, c'est-à-dire près de 50 milliards d'euros. A ce titre, elle bénéficiait à elle seule de 43 % de la dépense fiscale, qui s'élève au total à 440 millions d'euros.
Mes chers collègues, rappeler ces chiffres, c'est simplement vouloir lutter contre une hypocrisie structurelle de notre système de fiscalité de l'épargne.
Permettez-moi quelques brèves considérations sur les allégements d'impôts.
Monsieur le ministre, nous partageons totalement le propos que vous avez exprimé tout à l'heure : le mouvement général de baisse des taux d'imposition, faciaux et réels, semble irréversible. Toutefois, ce mouvement peut nous placer dans une situation difficile si nous ne savons pas compenser l'impact de ces diminutions par une vraie réduction des charges permanentes du secteur public. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.) C'est une absolue nécessité, c'est une nécessité arithmétique, car, s'il devait y avoir une asymétrie, c'est la dette qui ferait la différence, et l'on financerait à crédit les baisses d'impôts, ce que nous ne saurions raisonnablement admettre...
M. Philippe Marini, rapporteur général. ...et ce que vous ne ferez certainement pas.
Monsieur le ministre, vous allez nous convier, dans quelques semaines, à travers l'examen du projet de loi de finances, à souscrire à la conception, qui me semble excellente, du bouclier fiscal. Nous aurons donc l'occasion d'en reparler.
A ce stade, la commission des finances considère que, dans un but pédagogique, il convient de bien prendre en compte l'ensemble des prélèvements sur les revenus et d'y intégrer, au moins pour le raisonnement, la contribution sociale généralisée et son annexe, la contribution pour le remboursement de la dette sociale, les revenus non taxables en numéraire constituant le dénominateur de la fraction. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
En conclusion, mes chers collègues, l'essentiel est bien, à travers un modèle fiscal, à travers un système de financement du budget de l'Etat et du budget de la protection sociale, d'aboutir, pour l'avenir, au meilleur rapport qualité-prix possible de la dépense publique.
Il n'a jamais été dans les conceptions de la commission des finances du Sénat de remettre en cause en quoi que ce soit la légitimité de l'impôt et de la dépense publique. Mais notre conviction est que le rapport qualité-prix de la dépense publique dans ce pays est très perfectible et que nous parviendrons ensemble à l'améliorer, notamment par le maniement adéquat des indicateurs de performance et des leviers qu'apportera au Parlement la loi organique sur les lois de finances.
Oui, mes chers collègues, le débat sur le modèle fiscal est indispensable, car, si nous ne l'avons pas en toute clarté et devant l'opinion, nous savons bien ce qui continuera à se passer dans notre pays : trop de choix lourds de conséquences résultent en fait de décisions non pensées, d'enchaînements administratifs, voire de lâchetés collectives, c'est-à-dire de questions non posées à la lumière du débat public. Eclairer l'opinion sur les enjeux, permettre à nos concitoyens d'exercer, le moment venu, leur droit de suffrage en toute connaissance de cause, telle est bien la première et la vraie responsabilité d'une assemblée parlementaire, la première et la vraie responsabilité du Sénat de la République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux de la loi de financement de la sécurité sociale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, intervenant après mon éminent collègue Philippe Marini, rapporteur général du projet de loi de finances, qui lui-même succédait à deux ministres non moins éminents, délégués respectivement au budget et à la sécurité sociale, je doute fort que mes propos apparaissent aussi enthousiasmants que les leurs.
Qui plus est, j'ai noté qu'à chaque fois que nous parlions de la sécurité sociale les travées de notre assemblée avaient tendance à s'éclaircir, alors que, dès qu'il est question de la loi de finances, le rapporteur général et le président de la commission des finances parviennent presque à faire salle comble,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Seulement le dernier soir ! (Sourires.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faut fondre les deux discussions !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. ... au moins au moment du vote du projet de budget, puisque nous devons être physiquement présents. Ce n'est pas encore le cas s'agissant de la loi de financement de la sécurité sociale !
Cela étant, nous évoquons aujourd'hui les prélèvements obligatoires, dans lesquels, il est vrai, les prélèvements sociaux tiennent une part non négligeable.
La situation de notre pays est connue : le niveau des prélèvements obligatoires y est très élevé. Il devrait s'établir à 43,9 % du produit intérieur brut en 2005, soit une augmentation de 0,5 point par rapport à 2004, et à 44 % du PIB en 2006, soit une variation peu importante par rapport à celle de 2005.
Cette stabilité globale recouvre toutefois des tendances divergentes selon les sous-secteurs. Ainsi - mais ce n'est une découverte pour personne ici, vous connaissez tous parfaitement ces questions -, les prélèvements de l'Etat accusent une baisse, ce dont on ne peut que se féliciter. Les prélèvements sociaux et les prélèvements au profit des collectivités locales continuent, quant à eux, immanquablement leur progression.
M. Guy Fischer. Et voilà le tour de passe-passe !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Le résultat de cette évolution est que, pour la première fois cette année, les prélèvements sociaux devraient constituer à eux seuls plus de la moitié des prélèvements obligatoires, ...
M. Jean-Jacques Jégou. Eh oui !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. ... à savoir 389 milliards sur un total de 775 milliards d'euros, ce qui représente quelque 22 % du PIB, soit le cinquième de la richesse nationale.
L'augmentation des prélèvements sociaux a plusieurs causes.
En 2005, elle est d'abord la conséquence de la réforme de l'assurance maladie et notamment d'une hausse de la CSG, de la taxe sur les salaires - Philippe Bas en a parlé tout à l'heure -, pour un montant total de 3 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent les hausses de cotisations sociales qui, elles, ont été décidées par les partenaires sociaux.
En 2006, la progression des prélèvements sociaux s'accélère encore : ils passent de 20,9 % à 22,1 % du PIB, soit une hausse de 1,2 point du PIB, ce qui, vous le constatez, mes chers collègues, est loin d'être négligeable.
Les raisons de cette hausse sont principalement au nombre de deux : l'effet des mesures nouvelles liées au projet de loi de financement de la sécurité sociale, d'une part, et la conséquence des transferts importants en provenance du budget de l'Etat, d'autre part.
Parmi les mesures nouvelles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, que nous examinerons dans quelques jours plus longuement, figurent quatre mesures que je souhaite en particulier évoquer.
La première mesure consiste en la soumission aux prélèvements sociaux des intérêts produits par les plans d'épargne logement de plus de dix ans, sans attendre leur échéance. Elle devrait rapporter 860 millions d'euros.
La deuxième mesure est une taxe exceptionnelle sur l'industrie pharmaceutique. Je crois que l'Assemblée nationale a prévu d'en modifier le taux, mais on espère un rendement de l'ordre de 300 millions d'euros.
La troisième mesure, c'est l'extension de la contribution sociale de solidarité sur les sociétés au secteur public relevant du secteur marchand, dont le produit devrait atteindre 140 millions d'euros.
Enfin, la quatrième mesure consiste en la suppression de l'abattement de cotisations pour temps partiel, qui représentera 100 millions d'euros.
Au total, 1,66 milliard d'euros supplémentaires de prélèvements sociaux est attendu, auquel il faut ajouter 1,3 milliard d'euros de hausses de cotisations.
Toutefois, mes chers collègues, c'est surtout un transfert qui justifie la forte augmentation des prélèvements sociaux en 2006. En effet, le financement des allégements généraux de cotisations patronales sera compensé par l'Etat non plus par des crédits budgétaires, mais par une affectation de recettes fiscales, déclinées tout à l'heure par M. Copé puis par M. Marini, qui a évoqué un « panier fiscal » comportant neuf mesures.
Je voudrais m'arrêter un instant sur cette disposition, car elle est, compte tenu des masses budgétaires en jeu, extrêmement importante.
Il existe actuellement deux types d'exonérations de charges : des allégements généraux sur les bas salaires compris entre 1 fois et 1,6 fois le SMIC, issus de plusieurs lois successives, notamment les lois Aubry et la loi Fillon, et des allégements ciblés, concernant par exemple les emplois dans les départements d'outre-mer ou dans les zones franches urbaines.
L'ensemble de ces mesures sont, pour la première fois, précisément recensées et même chiffrées dans une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale, l'annexe 5. C'est là le résultat de dispositions de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale que nous avons adoptée au mois de juillet dernier, la création de cette annexe ayant été - vous vous en souvenez certainement, mes chers collègues - expressément demandée par le Sénat. Je me félicite de son existence, car en permettant d'instaurer une véritable transparence pour l'ensemble des dispositifs, elle autorise un débat objectif et approfondi.
L'ensemble de ces allégements représentent 21,6 milliards d'euros, dont 18,9 milliards d'euros au titre des allégements généraux et 2,7 milliards d'euros pour les allégements ciblés.
Tous ces allégements doivent être compensés par l'Etat : c'est une obligation depuis la loi Veil de 1994, dont quelques gouvernements passés ont tenté, parfois avec succès, de s'affranchir. Il s'agit d'appliquer un principe simple : la sécurité sociale ne doit pas financer la politique de l'emploi. Je crois que chacun en convient, et M. Copé l'a rappelé lui-même tout à l'heure. Il appartient à l'Etat de prendre ses responsabilités - c'est le cas -, et, s'il estime que le niveau des prélèvements sociaux est trop élevé pour permettre aux entreprises d'embaucher alors que sa priorité est d'obtenir une diminution du chômage, ce qui est tout à fait légitime, il doit financer les exonérations de charges qu'il estime utiles et combler le manque à gagner subi par la sécurité sociale.
Jusqu'à présent, les crédits relatifs à cette compensation étaient inscrits au budget du travail pour les allégements généraux et éparpillés entre les différents fascicules budgétaires pour les allégements ciblés. Il n'était pas facile de s'y retrouver et de s'assurer que la compensation intégrale était apportée. D'ailleurs, elle ne l'était pas...
Pour 2006, le Gouvernement propose de remplacer la compensation par crédits budgétaires par le transfert à la sécurité sociale d'un panier de neuf recettes fiscales comprenant principalement la taxe sur les salaires, ainsi que le produit de la TVA sur les produits pharmaceutiques et sur le tabac.
Ce panier est évalué à 18,9 milliards d'euros, soit précisément le montant des exonérations générales de charges à compenser. Une clause de révision en cas de divergence entre le coût des allégements et le rendement des recettes transférées est prévue à l'article 41 du projet de loi de finances. Je me permets d'insister sur ce point et d'appeler l'attention de M. le ministre délégué au budget et des membres de la commission des finances sur cette clause, car elle est importante. Aux yeux de la commission des affaires sociales, il s'agit là d'une disposition essentielle.
On peut espérer que, en 2006, ce mécanisme fonctionnera bien - vous nous le confirmerez, monsieur le ministre délégué au budget -, et qu'une compensation à l'euro près sera assurée. Je sais que M. Philippe Bas s'y est montré particulièrement attentif. Il me semble que, dans le cadre des échanges interministériels, vous avez réussi à aboutir à un accord qui est traduit à l'article 41 du projet de loi de finances. Je ne peux que m'en réjouir.
Pour 2006, donc, nous ne devrions pas a priori avoir trop de soucis. Mais, pour les années suivantes, je ne peux m'empêcher d'être davantage sceptique. En effet, la clause prévue est loin d'offrir une garantie suffisante. Elle prévoit une procédure complexe, avec la remise d'un rapport au Parlement et l'intervention d'une commission présidée par un magistrat de la Cour des comptes et chargée de donner un avis. Elle laisserait en outre, ce qui est à la source de l'inquiétude de la commission des affaires sociales, un écart de 2 % à la charge de la sécurité sociale.
M. Guy Fischer. Et voilà !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cela n'est pas acceptable à nos yeux, et si tel devait être le cas, on s'éloignerait de la compensation intégrale sur laquelle l'Etat s'était engagé. C'est pourquoi je vous proposerai, mes chers collègues, lors de la discussion du projet de loi de finances, et dans la mesure où les membres de la commission des affaires sociales partageront ce point de vue - mais il me semble qu'ils n'en sont pas loin - de supprimer la partie du dispositif concernant les années 2007 et suivantes.
M. Guy Fischer. Vous pouvez compter sur nous !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Comment analyser ces tentatives répétées de remise en cause de la compensation des exonérations de charges ?
La principale motivation me semble être la progression très dynamique et difficilement maîtrisable de ces dépenses. En 2006, on devrait ainsi enregistrer un accroissement de plus de 10 % des crédits de compensation. Pour le budget de l'Etat, qui est par ailleurs soumis à de fortes contraintes - réduction du déficit sans augmentation des impôts, tout en assumant les dépenses incompressibles que sont les charges de personnel et de pensions, la charge de la dette et les dépenses régaliennes -, l'équation est, je l'admets, presque impossible à résoudre.
Le Gouvernement s'y essaie depuis plusieurs années, et peine à trouver la solution qui permette de tendre vers l'équilibre en faisant disparaître le déficit budgétaire de l'Etat, qui représente, je le rappelle, 45 milliards d'euros pour un budget de l'ordre de 290 milliards d'euros, alors que le déficit de la sécurité sociale est de quelque 15 milliards d'euros, à rapporter à un budget de 400 milliards d'euros. Il convient donc de relativiser le déficit de la sécurité sociale au regard de celui de l'Etat, et je pense que nous devons réfléchir ensemble aux moyens de contenir leur évolution.
Quoi qu'il en soit, la tentation est bien entendu forte d'essayer de figer cette masse budgétaire liée à la compensation des exonérations de charges afin d'en limiter la progression dans les années futures, mais cela ne nous paraît pas recevable. Je le redis : la sécurité sociale ne doit pas financer la politique de l'emploi.
C'est d'ailleurs également l'avis des partenaires sociaux. En effet, lorsque j'ai procédé aux auditions de ces derniers, ils ont tous émis un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, non pas en raison des mesures concernant la politique de maîtrise des dépenses, mais parce qu'ils n'avaient pas eu connaissance de l'annexe 5, qui leur aurait permis de savoir comment allaient être compensés les allégements de charges sociales accordés.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Ils n'avaient donc aucune garantie quant à l'avenir et à la lisibilité de cette compensation, et c'est la raison essentielle qui les a amenés à émettre un avis négatif sur le PLFSS au sein des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale. Il faut que le Gouvernement en soit conscient et que nous sachions en tirer des enseignements.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Lors des débats sur la réforme de l'assurance maladie et à l'occasion de l'examen du projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale, ce n'était pas de gaieté de coeur que j'appelais sans relâche l'attention du Gouvernement sur ces sujets et que je semblais le « titiller » ; c'était parce que je savais pertinemment que le sentiment qui était le nôtre, au sein de la commission des affaires sociales, était très largement partagé dans l'opinion publique, en tout cas parmi les partenaires sociaux.
Cela étant, je comprends le souci de la commission des finances de limiter la progression globale des dépenses,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. ... de dégonfler les masses budgétaires, de réduire le poids des prélèvements de l'Etat, bref de prendre les moyens d'apparaître comme budgétairement vertueuse. Toutefois, cela ne peut se faire au détriment des finances sociales.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ah !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. D'autres solutions ont été proposées pour traiter ces dépenses de compensation et, plus généralement, pour remédier aux difficultés récurrentes du financement de la sécurité sociale.
Il y a d'abord la fameuse « barémisation » - M. Copé en a parlé en exprimant des réserves -, qui consiste à intégrer dans le barème des cotisations sociales les exonérations de charges patronales.
Cette mesure, qui a été présentée par le biais d'un amendement du rapporteur général de l'Assemblée nationale, est apparue d'une grande lourdeur technique à la commission des affaires sociales du Sénat, car sa mise en oeuvre supposerait la modification des logiciels de paye des entreprises afin de prendre en compte la situation individuelle de chaque salarié rémunéré jusqu'à 1,6 fois le SMIC, ainsi qu'une modification des programmes des URSSAF.
On pourrait peut-être, à la rigueur, s'accommoder de cela, mais l'application de cette disposition rendrait en outre plus difficile l'identification des sommes compensées - je crois que M. le ministre délégué au budget n'est pas insensible à cet aspect des choses - et « brouillerait », en quelque sorte, la politique menée par l'Etat en faveur de l'allégement du coût du travail pour les bas salaires. Retenir cette solution ne paraît donc pas opportun.
M. le président. Ce serait une usine à gaz !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cela pourrait en effet le devenir !
Il faut noter que cette proposition s'accompagne désormais de plus en plus souvent d'une remise en cause des exonérations de charges sociales elles-mêmes. Aurait-on atteint aujourd'hui la limite de cette politique ? Vous vous êtes posé vous-même la question tout à l'heure, monsieur le ministre délégué. Une analyse détaillée de l'incidence de ces mesures pourrait le dire, et l'Assemblée nationale a d'ailleurs demandé au Gouvernement de procéder à une évaluation du dispositif. Pour l'heure, toutefois, les économistes s'accordent à reconnaître le rôle joué par les allégements de cotisations dans l' « enrichissement » de la croissance en emplois peu qualifiés. Les résultats sont là, les chiffres parlent d'eux-mêmes à cet égard, et cette politique n'a donc pas été entièrement négative s'agissant de l'emploi.
Une autre piste, chère à M. Jean Arthuis - M. Philippe Marini y a fait référence tout à l'heure -, est celle de la TVA sociale. D'une certaine façon, le Gouvernement contribue à lancer le débat en incluant des produits de la TVA dans le panier de recettes fiscales qu'il transfère à la sécurité sociale.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Certes, n'est concernée que la TVA affectant deux catégories de produits bien précises, les produits pharmaceutiques et le tabac, mais il ne s'agit pas moins d'une ouverture.
De fait, la TVA est une recette qui présente une bonne dynamique, assez proche de celle de la masse salariale. Cela répond à votre préoccupation, monsieur le ministre délégué, qui est aussi celle de la commission des affaires sociales, car personne ne pourra affirmer aujourd'hui que nous parviendrons à une croissance nulle des dépenses de santé.
Nous savons bien, en effet, quelle est l'évolution de la recherche et de l'innovation, nous connaissons le coût des nouvelles molécules, des nouveaux médicaments et des nouvelles technologies. Il serait illusoire de penser que nous pourrons soit réduire durablement, soit enrayer totalement la croissance des dépenses en matière de santé. Aucun gouvernement ne saurait, à mon sens, aller dans cette direction.
Il faut donc accompagner cette évolution de recettes dynamiques. L'essentiel est que la progression des recettes puisse compenser la hausse des dépenses, sans pour autant aller au-delà du niveau de prélèvements obligatoires actuellement supporté par les Français, à travers des cotisations supplémentaires ou un alourdissement de l'impôt.
C'est donc la quadrature du cercle ; il s'agit sans doute d'une équation difficile à résoudre, mais nous devons nous y attacher.
Dans cette perspective, je partage le point de vue qui a été développé par les membres de la commission des finances, au travers d'un rapport auquel M. Copé a bien voulu faire allusion, s'agissant des limites d'un panier de recettes fiscales dont certaines ne présentent pas du tout la même dynamique que la TVA.
En effet, monsieur le ministre délégué, vous semblez vous satisfaire de ces recettes, en faisant valoir que, en s'appuyant sur la TVA affectant les produits pharmaceutiques et sur la TVA pesant sur le tabac, on pourra sans aucune difficulté compenser les allégements de charges sociales consentis.
Or la politique de santé publique qui a été définie par le Gouvernement et approuvée par les deux assemblées tend précisément à favoriser une diminution de la consommation de tabac, et l'on essaie en outre depuis plusieurs années d'infléchir l'évolution de la dépense de médicaments. Dès lors, si nous parvenons à atteindre ces objectifs, il est clair que le produit de la TVA pesant sur les médicaments et le tabac ne compensera plus intégralement les allégements de charges sociales.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. C'est la raison pour laquelle la proposition de la commission des finances du Sénat nous paraît beaucoup plus recevable et acceptable que celle que j'ai d'abord évoquée. L'essentiel, c'est la dynamique des ressources.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Bien entendu, on peut nous objecter que la question sera ensuite de savoir où l'on place le curseur en matière de recours à la TVA pour financer la compensation des allégements de charges sociales.
Je crois cependant, monsieur le ministre délégué, que vous n'avez aucun souci à vous faire sur ce point. Si tout le monde est d'accord pour jouer la carte de la transparence et de la sincérité, et puisque la Cour des comptes, conformément aux dispositions de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale que nous avons votée, certifiera les comptes de la sécurité sociale, nous disposerons de tous les éléments d'information nécessaires pour déterminer où s'arrêtera le curseur, sans polémiques inutiles entre la commission des affaires sociales, la commission des finances, le ministre chargé du budget et le ministre chargé de la santé.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cela ne m'inquiète en rien : je fais confiance à mes collègues pour que la règle du jeu soit honnête, claire et transparente.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. C'est pourquoi cette solution est sans doute, à mon avis, l'une des solutions vers lesquelles il faut avancer. Il faudra aller beaucoup plus loin. Cela permettra de répondre à l'objectif de TVA sociale que propose M. Jean Arthuis.
Ne nous faisons pourtant pas trop d'illusions quant à la TVA sociale : s'il fallait couvrir la totalité des dépenses de la sécurité sociale grâce à cette TVA, il faudrait que le taux de cette dernière atteigne 50 % ; or nous sommes limités par un plafond, fixé au niveau européen à 25 % - c'est d'ailleurs le taux retenu par la Suède. Je pense, monsieur Arthuis, que telle n'est pas votre volonté ? Il est vrai qu'un peu de TVA permettrait d'accompagner la dynamique de ces dépenses.
Je conclurai en vous rappelant une disposition extrêmement importante incluse dans la loi organique et influant sur les prélèvements obligatoires : dorénavant, tout déficit supplémentaire qui serait transféré à la caisse d'amortissement de la dette publique devra être couvert, à l'euro prêt, par une recette.
Cette mesure place le Gouvernement et le Parlement devant leurs responsabilités. Elle doit amener l'ensemble des partenaires sociaux et des gestionnaires de caisses à un comportement responsable.
Je souhaiterais enfin rappeler, au nom de la commission des affaires sociales, que, pour favoriser la stabilisation et la stabilité des prélèvements sociaux, il faut conforter notre action en faveur d'une maîtrise des dépenses sociales. C'est une nécessité absolue : aucune assiette n'est à même de supporter l'évolution des dépenses constatée au cours de ces dernières années.
Par ailleurs, il me semble important d'éviter la création de nouveaux prélèvements spécifiques et complexes comme il en fut institué ces derniers temps. Je pense ici au fameux jour férié travaillé, dont les recettes viennent alimenter la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA.
L'existence de cette caisse a-t-elle sa pertinence ? La commission des affaires sociales a auditionné ce matin le directeur de la CNSA, et j'ai eu le sentiment d'une relative complexité du système mis en place.
Il sera donc difficile de suivre l'évolution des dépenses de cette caisse et d'évaluer la contribution qu'elle apportera aux collectivités locales que sont les départements dans le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, et de l'allocation de compensation qui a été prévue.
On se demande d'ailleurs aujourd'hui si les ressources de cette caisse seront suffisantes. On a annoncé aux handicapés une allocation de compensation destinée à compenser intégralement le coût du handicap dont ils souffrent. Ne seront-ils pas déçus ?
Tels sont, mes chers collègues, les objectifs et les préoccupations de la commission des affaires sociales. J'espère que les arguments et les sentiments que j'ai exprimés sont partagés par le plus grand nombre d'entre vous.
L'essentiel, en définitive, n'est-il pas de nous retrouver, tous ensemble, pour travailler, au profit de notre pays, à une meilleure maîtrise des dépenses, à un meilleur équilibre des dépenses et des recettes, pour contenir l'évolution des déficits qui pèsent très lourdement sur la capacité contributive des Françaises et des Français ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord me réjouir de la qualité de ce débat consacré aux prélèvements obligatoires. Il me semble que, d'année en année, ce débat s'enrichit.
Je veux souligner, de plus, la convergence des pensées qui ont sous-tendu les exposés de MM. les ministres, de Philippe Marini et d'Alain Vasselle voilà un instant.
Il est heureux que nous puissions périodiquement conduire une réflexion sur la pertinence de nos prélèvements obligatoires. Nous sommes souvent prisonniers de considérations portant sur des mesures ponctuelles, sur des détails qui, en fait, nous cachent la logique des prélèvements obligatoires.
Demain, les chefs d'Etat ou de gouvernement se réuniront en sommet européen à Hampton Court. Ils s'interrogeront sur les effets de la mondialisation.
MM. les ministres ont souligné à quel point nous étions entrés dans une époque de concurrence fiscale entre Etats. Nous devons tous avoir à l'esprit que la matière imposable, les assiettes sur lesquelles reposent nos impôts et nos prélèvements sont devenues extrêmement volatiles.
Malgré tous les débats possibles, débats marqués par l'idéologie et l'idée que nous nous faisons de la justice, les propositions qui en découlent sont souvent réduites par la puissance de cette concurrence internationale.
Au-delà de la maîtrise des dépenses publiques - dépenses de l'Etat et dépenses de protection sociale -, la question que nous devons nous poser est celle du rythme de croissance soutenu et durable que doit retrouver notre pays. Les prélèvements obligatoires sont-ils des activateurs de croissance ou des freins à cette dernière ? La structure de nos prélèvements obligatoires nous aide-t-elle à créer de la croissance ?
Pour ma part, je pense que les prélèvements obligatoires tendent à activer les délocalisations d'activités et d'emplois.
Puisque Philippe Marini m'a laissé le privilège d'évoquer plus longuement la TVA sociale, je voudrais, quitte à sembler faire preuve d'une excessive constance (Sourires), souligner l'importance cruciale de cet élément de la réforme.
Nous avons consacré au financement de la protection sociale des prélèvements qui pèsent plus lourd que ceux auxquels procèdent l'Etat et les collectivités territoriales.
Le système français était tout entier fondé, à l'origine, sur des prélèvements assis sur les salaires. Est-il légitime pourtant, mes chers collègues, de faire reposer le financement de la santé et de la politique familiale sur des cotisations sociales, sur les salaires ? La santé, la politique familiale concernent l'ensemble des Français. C'est par conséquent la solidarité qui doit s'exercer.
Si nous maintenons ces prélèvements sur les salaires, nous concentrons sur l'emploi en France le poids de la solidarité. Ce sont en quelque sorte des droits de douane à l'envers, que seuls paient ceux qui produisent en France, qu'ils produisent des services ou des biens de consommation.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pouvons-nous maintenir un tel système sans nous rendre suspects d'activer de quelque façon la délocalisation ?
Le Gouvernement souhaite contribuer à l'amélioration du pouvoir d'achat des Français, autrement dit faire baisser les prix. C'est louable. Toutefois, messieurs les ministres, la recherche d'une baisse des prix, d'une part, et la création d'emploi, la lutte efficace contre le chômage, d'autre part, sont-elles compatibles ?
Le modèle français se résume bien souvent à cette formule : moins cher pour moins d'emploi.
Nous connaissons tous dans nos circonscriptions des situations particulièrement préoccupantes d'entreprises qui disparaissent. Ceux qui font du profit sont ceux qui mettent les biens sur le marché. Ceux qui produisent sont au contraire pratiquement condamnés, pour rester compétitifs, à prendre les uns après les autres la voie du nomadisme économique.
La France consacre 47,3 % de l'ensemble des prélèvements obligatoires aux organismes de sécurité sociale, alors que ce taux est de 24 % dans l'ensemble des pays de l'OCDE. Nous sommes donc dans une situation singulière, et, si nous n'y portons pas remède, messieurs les ministres, nous prenons le risque de voir nos prévisions de croissance déçues.
Il nous faut nous demander ce qui peut donner souffle et élan aux entreprises, ce qui peut les mettre en situation de créer de l'emploi et de produire de la croissance.
L'heure me paraît venue de procéder à un nouveau partage des responsabilités.
Il me semble, monsieur le ministre délégué au budget, que, dans une économie qui s'est globalisée, il est vain de présenter le budget en opposant ce que paient les entreprises et ce que paient les ménages. Y a-t-il un seul impôt payé par les entreprises qui, en définitive, ne soit acquitté par les ménages ? Même les « retraites chapeau » des présidents qui prennent congé de certains groupes de distribution sont payées par les consommateurs.
Les Français doivent pouvoir comprendre cette analyse, et c'est tout le sens du débat que nous devons faire vivre devant l'opinion publique.
La sanction des impôts de production est trop souvent la délocalisation des activités et de l'emploi. Cessons donc d'asseoir les cotisations sur la production.
Cette assiette affecte également dans une large mesure la taxe professionnelle. Les responsables des entreprises et les représentants des élus territoriaux ont été entendus par la commission Fouquet. Vous avez vu, monsieur le ministre, à quel point les attentes des uns et des autres s'opposaient frontalement. Les uns, pour rester compétitifs, demandaient que l'on allège substantiellement la taxe professionnelle ; les autres entendaient défendre cette taxe, ressource qui leur permet d'équilibrer les budgets.
Il me semble donc, monsieur le ministre, que le rôle des entreprises doit être la créativité, l'innovation, la création de biens, de services, de richesses et la création d'emploi.
Quant à la cohésion sociale, elle me semble relever de la responsabilité des citoyens, ce qui justifie un impôt de consommation : la TVA.
Si l'on admet que doivent disparaître les impôts de production, qui représentent de larges fractions des impôts acquittés par les entreprises et qui participent du prix de revient de la production, il faut refonder le pacte fiscal, le pacte républicain sur une contribution assise soit sur la consommation, soit sur le revenu, soit sur le patrimoine. Nous connaissons les limites à ne pas transgresser.
Telle serait la répartition des rôles que nous pourrions mettre en place. Il nous reste à programmer la disparition des impôts de production. Il faut mettre un terme à ces droits de douane à l'envers.
D'aucuns avancent qu'un supplément de TVA serait de nature à créer de l'inflation. Je n'y crois pas. Les seuls produits et services qui seront mis sur le marché national à un prix plus élevé sont ceux qui viennent de l'extérieur. En revanche, ce qui est produit sur le territoire national sera produit à un prix hors taxe inférieur à ce qu'il est aujourd'hui, et le supplément de TVA n'entraînera pas d'inflation, toutes taxes comprises.
Certains font observer que l'augmentation de la TVA de 2 % en 1995 a été une expérience malheureuse. Je dois dire qu'à l'époque le plan de communication n'avait pas été des meilleurs. Au surplus, si nous avions imaginé d'augmenter la TVA, c'était non pas pour financer autrement la protection sociale, mais pour combler un déficit. L'exercice, ici, n'est absolument pas le même, vous l'avez compris : il s'agit de substituer à des impôts de production des impôts de consommation.
Puisque seuls les produits et services importés verraient leurs prix augmenter, cette mesure relève peut-être du concept de patriotisme économique, messieurs les ministres. Nous protégerions l'emploi sur le territoire de façon plus satisfaisante, me semble-t-il.
C'est pourquoi, messieurs les ministres, vous nous entendrez souvent évoquer ces schémas. Les déclarations contenues dans votre propos liminaire, monsieur le ministre délégué au budget, sont tout à fait encourageantes. Il semble que ce qui, hier, apparaissait comme un blocage, soit en train de s'estomper.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il nous appartient, aux uns comme aux autres, de faire vivre le débat avec assez de conviction et de demander aux partenaires sociaux d'exprimer également leurs points de vue.
C'est un vrai sujet de débat, au niveau européen. Les Allemands s'en préoccupent, et je ne serais pas étonné qu'ils augmentent prochainement leurs taux de TVA. Je rencontrais récemment un responsable gouvernemental du royaume de Belgique : cette problématique est également d'actualité dans ce pays.
J'ajoute - Philippe Marini et moi-même nous étions rendus au Danemark l'an passé - que les Danois ont supprimé les charges sociales en 1987 et porté la TVA à 25 %. Que je sache, le Danemark connaît le plein emploi, un taux de croissance satisfaisant, et est un pays social-démocrate de chez social-démocrate. (Sourires.)
Dissipons tout malentendu : il peut y avoir là, me semble-t-il, une justice sociale. A ceux qui disent que la TVA est un impôt injuste, je veux préciser que les gens modestes qui consomment l'intégralité de leurs revenus paient des cotisations sociales lorsqu'ils achètent des produits ou des services français mais s'en exonèrent lorsqu'ils achètent des produits étrangers.
Il faut casser le tabou qui affecte la TVA et aller sur un terrain suprapartisan ; voilà quelques semaines, M. Strauss-Kahn lui-même évoquait cette possibilité. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ses propositions, il est vrai, sont variables !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ses propos, manifestement, n'ont pas reçu un accueil très enthousiaste de la part de ses amis du parti socialiste, mais je trouve symptomatique qu'il ait cru pouvoir en parler. Cela signifie que certains tabous sont en train de s'estomper et, pour ma part, je m'en réjouis.
Puisque vous avez besoin, monsieur le ministre, de près de 19 milliards d'euros pour équilibrer le budget de la sécurité sociale, la proposition de Philippe Marini de substituer une fraction de TVA à un inventaire à la Prévert de taxes me paraît bonne. Cette proposition sera probablement soutenue par la commission des finances et par la commission des affaires sociales, ce dont je me réjouis. Nous avons donc rendez-vous, monsieur le ministre, à l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La TVA sociale existait du temps du budget annexe des prestations sociales agricoles, le BAPSA, lequel était équilibré très largement par une affectation de TVA.
M. Jacques Blanc. Voilà un président qui connaît bien les dossiers !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci ! Je pense donc que l'innovation fiscale sera pleinement au service de la croissance et du développement de notre pays.
Il est temps, je vous l'ai dit, de briser le tabou fiscal qui pèse sur la TVA. A l'heure de la « croissance sociale », osons avancer sur la voie de la TVA sociale. Sans réforme fondamentale de notre modèle des prélèvements obligatoires, nos discours convenus ne seront qu'incantations et nous constaterons chaque jour un peu plus que notre modèle, c'est « moins cher pour moins d'emplois ». (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il me revient l'honneur de clore la première partie de notre discussion, avant de laisser la parole aux orateurs des groupes.
Je ne voudrais pas redire ce qu'ont excellemment évoqué le président et le rapporteur général de la commission des finances, ainsi qu'Alain Vasselle, le rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux de la loi de financement de la sécurité sociale. Je souhaite simplement vous faire part d'un certain nombre d'observations.
La première de ces observations est un regret, que notre commission a déjà plusieurs fois exprimé. Le document sur lequel nous débattons est, selon les termes de la loi organique du 1er août 2001, déposé « en vue de l'examen et du vote du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale ». Or, il est imprimé sous forme de « bleu budgétaire », avec l'en-tête du projet de loi de finances pour 2006. Il concerne donc l'ensemble des prélèvements obligatoires, mais il est élaboré, monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, par les seuls services de Bercy. (MM. les ministres sourient.) Cela vous fait rire, je dois dire que moi aussi !
Je regrette que les services du ministère chargé de la sécurité sociale ne soient pas associés à sa préparation et qu'il ne soit pas imprimé sous le double sceau des ministères des finances et des affaires sociales.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Très juste !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'en aurait, me semble-t-il, que plus de poids.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est vrai !
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Peut-être est-ce un voeu pieux, mais j'ose formuler de nouveau le souhait que ce document soit à l'avenir élaboré conjointement par les deux ministères. Cela pourrait notamment contribuer à rendre plus étroites et plus confiantes les relations entre l'Etat et la sécurité sociale.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je vous rappelle d'ailleurs, mes chers collègues, que notre débat de ce soir est l'unique occasion pour la commission des affaires sociales de dialoguer avec le ministère des finances.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. C'est vrai !
M. Jean-Jacques Jégou. C'est une blague !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui, c'est vrai !
Or, cette année encore - et la mise en oeuvre de la LOLF n'a semble-t-il rien changé aux pratiques des années précédentes -, nous nous trouvons devant le fait accompli. Les services de Bercy ont, une nouvelle fois, changé la méthode de traitement du financement des allégements de charges. La justification invoquée, « simplifier les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale », ne me paraît pas lumineuse. Elle est en fait, j'en ai peur, un alibi commode pour l'affichage d'une progression nulle des dépenses en volume du budget de l'Etat.
Cette première observation me paraît d'autant plus justifiée que les prélèvements sociaux représentent désormais plus de la moitié des prélèvements obligatoires. A cet égard, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur quelques ordres de grandeur qui permettent de bien resituer les finances sociales dans leur contexte.
Les dépenses sociales représentent une masse de plus de 380 milliards d'euros, soit 100 milliards d'euros de plus que le budget de l'Etat, soit encore un tiers de charges supplémentaires.
Mais le déficit de la sécurité sociale - pardonnez-moi de le rappeler - est inférieur au tiers de celui de l'Etat : 14,4 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes de base et des fonds en 2006 au lieu de 46 milliards d'euros pour le budget de l'Etat,...
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ...déficit qui, en pourcentage, représente 3,8 % des dépenses pour la sécurité sociale et 16,7 % des dépenses pour l'Etat.
Cette comparaison vise à montrer que, si le problème du déficit de la sécurité sociale est bien réel et nécessite des mesures de financement évidentes, il est néanmoins sans commune mesure avec celui du budget.
Qui finance la sécurité sociale ?
Les entreprises assurent près de 40 % du financement des régimes de base, dont 33 % au titre des cotisations patronales. Cette part était, rappelons-le, d'environ 54 % en 1989 et de 46 % en 1995. L'apparition et la montée en charge de nouvelles recettes, notamment la CSG, mais aussi le poids grandissant des exonérations des charges sociales patronales expliquent cette baisse importante.
Les ménages assurent, quant à eux, 32 % du financement des régimes de base et l'Etat employeur, 19 %.
Au total, les cotisations représentent un peu plus de la moitié des ressources - 53 % exactement - et les impôts et taxes affectés 21 %, chiffre en progression constante au cours des dernières années, dont 17 % au seul titre de la CSG.
Il faut désormais ajouter à ces deux grandes masses les cotisations prises en charge par l'Etat, qui représentent 6,2 % du total.
Ces données sont le résultat des deux évolutions majeures de la structure des prélèvements sociaux constatées au cours des dernières années : d'une part, la fiscalisation du financement de la protection sociale, d'autre part, la diminution de la part des entreprises essentiellement au profit de celle de l'Etat.
Dans ce contexte, quelles sont les perspectives d'évolution du mode de financement de la sécurité sociale ?
Les orateurs précédents ont esquissé des pistes, et je n'y reviendrai pas, même si je les approuve. Cela étant, je voudrais vous faire part d'une réflexion.
L'analyse de la situation montre que le déficit social actuel doit plus que celui d'il y a dix ans à l'augmentation des dépenses. Les recettes, en effet, ne se sont pas effondrées et, si l'évolution de la masse salariale est depuis 2002 inférieure à sa tendance de longue période, elle a néanmoins continué à progresser, de l'ordre de 2,5 % par an. Or, dans le même temps, les dépenses, surtout celles de l'assurance maladie, ont augmenté de plus de 5 % par an.
C'est pourquoi l'objet des réformes menées actuellement ne consiste pas simplement, si j'ose dire, à accroître les recettes pour faire face aux dépenses et combler le déficit, mais bien à agir sur les dépenses, de façon à en maîtriser la progression.
La nouveauté est donc d'avoir entrepris de responsabiliser l'ensemble des acteurs - usagers, professionnels de santé, gestionnaires - et d'avoir mis en place les conditions pour que les efforts conjugués de chacun permettent de parvenir à une maîtrise réelle et durable des dépenses.
Une telle politique n'est évidemment pas simple à mettre en oeuvre. Elle produit néanmoins déjà des résultats : pour la première fois depuis 1998 - M. Philippe Bas l'a d'ailleurs souligné -, l'ONDAM sera respecté cette année.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est historique !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les soins de ville sont en nette décélération - 2,7 % en 2005 au lieu de 7 % à 8 % par an sur la période 2000-2003 -, notamment grâce à la poursuite de la baisse des indemnités journalières mais aussi par une inflexion des dépenses de médicaments. Ces bons résultats ne peuvent pour autant être considérés comme acquis et demandent à être confirmés dans la durée.
Ils sont malheureusement compensés par une hausse des versements aux établissements de santé, ce qui montre l'ampleur des efforts qui restent à entreprendre, en particulier auprès de l'hôpital.
Dans ce contexte, pour améliorer et renforcer le pilotage de l'ensemble de la politique publique de sécurité sociale, la loi organique du 2 août 2005 a redéfini dans un sens positif le contenu et la présentation des lois de financement de la sécurité sociale.
Elle a ainsi, en partie sur l'initiative du Sénat et de sa commission des affaires sociales, renforcé la transparence et la sincérité des équilibres financiers, introduit une dimension pluriannuelle dans la présentation des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses, accru l'autonomie financière de la sécurité sociale, introduit une démarche objectifs-résultats dans la gestion des branches, à l'image des programmes de performance de la LOLF.
Ce faisant, le Parlement disposera de moyens plus adaptés pour suivre et contrôler l'ensemble du système, l'évolution des recettes et des dépenses ainsi que le comportement des diverses parties prenantes.
La création d'une MECSS, ou Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, au sein de notre commission aura aussi cette fonction. Elle est pour nous l'instrument indispensable de mise en oeuvre d'une action suivie et approfondie de l'application de la loi de financement de la sécurité sociale qui intervient, comme vous le savez, dans des secteurs aussi variés que parfois très complexes.
Le cadre organique renouvelé des discussions de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, que nous allons appliquer pour la première fois simultanément cette année, ouvre une nouvelle période.
Il serait opportun que, à l'image de ce qui va se passer pour les discussions de ces deux textes majeurs de notre vie publique, nous nous efforcions de moderniser et de dynamiser ce débat sur les prélèvements obligatoires dès l'année prochaine.
Vous le savez, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est le Sénat qui a institué ce débat, grâce à l'initiative de Philippe Marini et de notre ancien collègue Charles Descours. C'est aussi uniquement au Sénat qu'il est organisé, et il se tient aujourd'hui pour la quatrième fois.
Je forme donc le souhait qu'il devienne un moment important de nos travaux, par une mise en perspective du cadre général du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, quelques jours avant leur examen par notre assemblée.
Ce débat doit également constituer le lieu indispensable du dialogue croisé et décloisonné entre les finances sociales et les finances de l'Etat, entre les ministères financiers, les ministères sociaux et le Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, n'ayant que peu de temps pour m'exprimer, j'irai à l'essentiel, d'autant que je partage pleinement ce qui a été dit par le président de la commission des finances et par le rapporteur général.
Mon propos portera sur quatre points : le soutien absolu à la position du président de la commission des finances sur la TVA sociale ; la nécessaire maîtrise de la dépense pour maîtriser les prélèvements ; le rejet, monsieur le ministre délégué au budget, de votre dispositif de bouclier fiscal intégrant les prélèvements opérés par les collectivités, étant entendu que j'offrirai une solution de remplacement ; une proposition de réforme radicale pour que notre société puisse évoluer.
S'agissant de la TVA sociale, le président de la commission des finances en ayant parfaitement décrit le mécanisme, je ne ferai qu'un bref commentaire.
Pour que les choses soient compréhensibles et acceptées, l'allégement des charges pesant sur la compétitivité doit bénéficier, il faut le dire clairement, aussi bien aux entreprises qu'aux salariés.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Philippe Adnot. Une part de cet allégement doit être consacrée à l'amélioration de la compétitivité des entreprises, une autre étant destinée à donner du pouvoir d'achat aux salariés. C'est essentiel si l'on veut que cette réforme puisse voir le jour. Pour ma part, j'appuie pleinement les propositions de la commission des finances en la matière.
La maîtrise des prélèvements, messieurs les ministres, passe par la maîtrise de la dépense. Permettez à quelqu'un qui préside depuis quinze ans un conseil général de vous faire part de son expérience. Peut-être pourrez-vous, si vous voulez bien m'écouter, en tirer quelque profit
Aussitôt après avoir été élu à la tête de ce conseil général, je me suis méfié de tous ces rapports sans incidence financière qui sont presque toujours adoptés l'unanimité, mais qui se révèlent finalement, sans qu'on s'en aperçoive, être sources de nouvelles dépenses. Or, une fois que telle décision est prise, force nous est d'en assumer les conséquences.
C'est pourquoi j'affirme que, si l'on veut maîtriser un jour la dépense, il faut arrêter de créer des sources de dépenses. Or c'est ce que le Gouvernement fait tous les jours à travers les dispositions qu'il nous soumet !
C'est ainsi que dernier texte sur le handicap conduira les départements à apporter des financements à des handicapés, mais sans pouvoir tenir compte des ressources de ceux-ci.
Si une personne victime d'un accident de voiture est très bien assurée ou si l'accident est intervenu dans le cadre de son travail, elle percevra une indemnisation considérable ; néanmoins, les départements seront éventuellement amenés à lui verser 5 000 euros par mois, parce qu'ils n'ont pas le droit de tenir compte des ressources de la personne pour l'attribution d'une telle allocation !
Pour maîtriser la dépense, il nous faut commencer par arrêter d'élaborer des lois qui la génèrent sans retenue. C'est un point que vous devez garder présent à l'esprit, messieurs les ministres, si vous voulez qu'on arrête de charger la barque !
J'en viens au dispositif du bouclier fiscal.
Dans la mesure où il intègre les collectivités locales, il ne sera pas tenable. Il récompensera avant tout les mauvais gestionnaires, ceux qui ont augmenté les impôts par le passé. Quant à ceux qui ne les ont pas augmentés, ils se trouveront dans une véritable impasse s'ils doivent faire face à de nouvelles charges. Or, des charges nouvelles, vous nous en donnez !
Pour ce qui concerne mon département, l'impasse de financement se chiffre à 4 millions d'euros pour le RMI, ce qui représente plus de cinq points de fiscalité !
Comment les départements feront-ils, enfermés par les contraintes du bouclier fiscal et du plafonnement de la taxe professionnelle, pour financer de telles impasses ?
La solution ne passe donc pas par l'association des collectivités locales au bouclier fiscal, mais par la mise en place, concernant les collectivités, d'une politique très volontariste et très responsable consistant à encadrer l'évolution des taux, avec un plancher et un plafond.
Un plancher est en effet nécessaire dans la mesure où il n'y a aucune raison pour que les collectivités très riches qui prélèvent peu d'impôts demandent ensuite à bénéficier de la solidarité nationale, au travers de différentes dotations ! S'il leur était fait obligation de prélever un minimum, elles n'auraient plus à demander à bénéficier de certaines dotations et les fonds pourraient être affectés à la solidarité envers celles qui en ont le plus besoin. Tout le monde y trouverait son compte !
Quant aux départements qui ont déjà dépassé le plafond, ils seraient mis dans l'impossibilité de continuer à le crever davantage.
Cela serait beaucoup plus efficace, monsieur le ministre délégué au budget, que de chercher à résoudre la quadrature du cercle grâce au bouclier fiscal !
M. Philippe Adnot. Je vous remercie de le préciser, monsieur le ministre.
M. Philippe Adnot. Pour finir, je veux évoquer une mesure que je souhaite proposer depuis longtemps. Jusqu'à présent, j'avais hésité à le faire, mais, vu le nombre de pays qui progressivement l'adoptent, je me dis que nous serions bien inspirés d'y songer également.
L'avenir d'un pays, mes chers collègues, ne dépend pas de sa capacité à répartir un budget étriqué.
M. Philippe Adnot. Il dépend de sa capacité à créer des richesses.
Dès lors, il faut produire un choc qui libère les énergies, en montrant à nos concitoyens qu'ils peuvent participer pleinement à cette création de richesses. Je propose que, à cette fin, nous adoptions le taux unique d'imposition sur le revenu.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Satanas ! (Sourires.)
M. Philippe Adnot. J'entends déjà d'ici les exclamations scandalisées ! Pourtant, l'imposition à taux unique est déjà très largement pratiquée !
La TVA et la taxe intérieure sur les produits pétroliers s'appliquent à tous les citoyens avec le même taux, quels que soient leurs revenus. Il en va de même pour la CSG et pour les droits de mutation. L'essentiel des prélèvements actuels s'opère donc déjà à un taux unique.
Toutefois, ce qui nous manque, c'est un choc psychologique tel que ceux qui, aujourd'hui, renoncent à produire - parce qu'ils considèrent que le fruit de leurs efforts leur échappe ou qu'ils n'en tirent plus un bénéfice suffisant pour continuer - retrouvent de l'intérêt à créer des richesses. Eh bien, je pense que ce choc psychologique peut résider dans l'instauration d'un taux unique d'imposition sur le revenu.
Essayons d'imaginer un instant que toute cette matière grise consacrée à essayer de ne pas payer l'impôt soit consacrée à créer de la richesse. Essayons d'imaginer ce qui se passerait si tous ceux - les meilleurs d'entre nous - qui s'arrêtent de travailler parce qu'ils sont fatigués de le faire pour rien, étaient convaincus qu'il est de nouveau intéressant pour eux de créer de la richesse. Cette libération des énergies permettrait à notre pays de relever les défis qui sont devant lui !
Messieurs les ministres, je vous demande de réfléchir à ces quelques propositions. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)