sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
2. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
3. Loi d'orientation agricole. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
Discussion générale : MM. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social ; Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Joël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Gérard Le Cam.
présidence de M. Adrien Gouteyron
MM. Daniel Soulage, Jean-Marc Pastor, Jacques Blanc, Jean-Michel Baylet, Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques ; Mme Gélita Hoarau, M. Jean Boyer, Mme Odette Herviaux, MM. Dominique Mortemousque, Aymeri de Montesquiou, Claude Biwer, Mme Yolande Boyer, M. Bernard Murat.
M. le président.
Suspension et reprise de la séance
présidence de M. Guy Fischer
MM. Paul Raoult, Yann Gaillard, Jean Desessard, Alain Vasselle, Claude Lise, Charles Revet, André Lejeune, Gérard Bailly, Benoît Huré, Mme Françoise Henneron, MM. Alain Fouché, Jean Bizet, René Beaumont.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre.
Motion no 576 de M. Gérard Le Cam. - Mme Evelyne Didier, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet par scrutin public.
Articles additionnels avant le titre Ier (avant l'article 1er) ou avant l'article 1er
Amendements nos 459 de M. Jean-Marc Pastor, 681 et 683 de M. Jean Desessard. - MM. Jean-Marc Pastor, Jean Desessard, le rapporteur, le ministre. - Rejet des trois amendements.
Article additionnel avant le titre Ier (avant l'article 1er)
Amendement no 602 de M. Claude Lise. - MM. Claude Lise, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
4. Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle
5. Dépôt de propositions de loi
6. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les perspectives d'activité et les fonds propres de la société DCN, établi en application de l'article 78 de la loi de finances rectificative de 2001 n° 2001-1276 du 28 décembre 2001.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
3
Loi d'orientation agricole
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation agricole (nos 26, 45, 50).
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'ouvrir la discussion, je dois vous rappeler que le Conseil économique et social a demandé que, conformément aux dispositions de l'article 69 de la Constitution, M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social, puisse exposer devant le Sénat l'avis du Conseil économique et social sur le projet de loi d'orientation agricole.
Conformément à l'article 69 de la Constitution et à l'article 42 du règlement du Sénat, huissiers, veuillez faire entrer M. Gaël Grosmaire.
(M. le rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social est introduit dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage.)
M. le président. Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 4, du règlement le représentant du Conseil économique et social expose devant le Sénat l'avis du Conseil, avant la présentation du rapport de la commission saisie au fond.
Par ailleurs, le représentant du Conseil économique et social a accès à l'hémicycle pendant toute la durée de la discussion en séance publique. A la demande du président de la commission saisie au fond, la parole lui est accordée pour donner le point de vue du Conseil sur tel ou tel amendement ou sur tel ou tel point particulier de la discussion.
Monsieur Grosmaire, nous vous souhaitons une cordiale bienvenue au Sénat.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre examen le projet de loi d'orientation agricole. Le texte qui vous est présenté est le résultat d'un travail approfondi engagé depuis plus d'un an.
Sous l'autorité de M. Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, mon prédécesseur, Hervé Gaymard, avait organisé une large consultation dans chacune des régions métropolitaines et d'outre-mer. Ces débats riches et denses, auxquels beaucoup d'entre vous ont participé, ont révélé des attentes et le besoin de tracer de nouvelles perspectives pour notre agriculture.
Ce projet de loi a été élaboré en concertation avec les représentants des professionnels, grâce aux pistes indiquées par la Commission nationale d'orientation, qui m'a remis son rapport le 20 décembre 2004. Cette élaboration progressive a permis d'apporter des réponses à l'évolution de l'agriculture et aux préoccupations des exploitants. Néanmoins, ce texte s'adresse naturellement à l'ensemble de la communauté nationale. C'est pourquoi j'ai voulu le déposer devant le Conseil économique et social, instance éminente représentant les diverses composantes des professions et de la société civile de notre pays.
A ce titre, je salue la présence de M. Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social et jeune agriculteur - il sait donc de quoi il parle ! -, qui a réalisé un travail de fond sur ce texte, alors qu'il ne disposait que de peu de temps.
Le Conseil national du développement durable a également examiné le projet de loi. Depuis le 18 mai dernier, date de l'adoption de ce texte en conseil des ministres, les discussions se sont poursuivies : les propositions formulées par de nombreux parlementaires, en particulier des parlementaires en mission - je pense notamment à M. Jacques Le Guen, député du Finistère -, ont permis de renforcer le projet de loi initialement transmis, s'agissant notamment de l'emploi. Par ailleurs, concernant le volet foncier, le texte qui vous est présenté a également bénéficié des avancées issues du rapport de M. Boisson pour le Conseil économique et social.
Enfin, le travail très approfondi et constructif réalisé non seulement par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale et son rapporteur Antoine Herth, mais aussi par le Sénat, plus particulièrement sa commission des affaires économiques et du Plan, présidée par M. Jean-Paul Emorine, ont contribué à intégrer de très utiles améliorations. Je salue par ailleurs l'engagement personnel de M. le rapporteur Gérard César, dont le travail particulièrement efficace et pertinent a permis d'apporter au projet de loi des améliorations très utiles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est aussi un jeune agriculteur (Sourires), qui vient à peine de finir ses vendanges !
M. Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. C'est juste !
M. Dominique Bussereau, ministre. Vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, ne manquerez certainement pas d'enrichir encore ce texte.
Au cours du débat à l'Assemblée nationale, qui s'est déroulé du 5 au 17 octobre dernier, plus de mille amendements ont été déposés. Cet examen s'est conclu par l'adoption, sans modification majeure, de quatorze articles, par la suppression de l'article 30 relatif à l'organisation du ministère, lequel sera repris dans le cadre d'un projet de loi d'habilitation à la simplification, et, enfin, par la modification de dix-neuf articles.
La discussion au Palais-Bourbon s'est traduite par un ajout important d'articles, qui pourront naturellement, monsieur le rapporteur, être réorganisés grâce à la création d'articles thématiques accueillant, par alinéas, les dispositions nouvelles. Nous conserverons ainsi à la loi, si vous le voulez bien, son format, certes légèrement étoffé, de quelques dizaines d'articles. Je sais que le Sénat est très attaché à la bonne présentation des textes législatifs.
Sur l'initiative du Gouvernement, le champ général des ordonnances a été fortement restreint dès le début de la discussion, afin de répondre aux demandes exprimées par les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. Les ordonnances proposées n'ont désormais d'autre objectif que de simplifier le texte, en supprimant certaines dispositions obsolètes ou techniques. Je veillerai bien sûr à ce que les parlementaires puissent disposer, durant le débat, d'un descriptif complet de chaque ordonnance.
Au total, concernant la présentation du projet de loi, une ordonnance a été supprimée, quatre ordonnances sont intégrées totalement ou partiellement, deux d'entre elles ont vu leur champ d'habilitation précisé, et, enfin, trois articles habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance restent en l'état.
Ces précisions font ressortir l'intérêt qui a été porté au texte soumis à votre approbation. Elles témoignent non seulement du travail fourni par les députés, mais aussi de l'écoute attentive, par le Gouvernement, des suggestions du Parlement. Pour autant, je tiens à souligner que l'économie générale de ce projet de loi n'a pas varié, la structure - chapitres et titres - n'ayant pas été modifiée globalement.
Quelle fut la genèse de ce texte ? Mesdames, messieurs les sénateurs, l'agriculture française a besoin de perspectives, d'une orientation. Le monde agricole attend donc cette loi d'orientation. Pour répondre aux changements de l'environnement international, aux évolutions récentes de la Politique agricole commune, la PAC, aux défis sociaux qui leur sont posés, les agriculteurs français souhaitent un cadre législatif et des perspectives claires.
Ils ont besoin d'un statut modernisé, qui favorise leur capacité à entreprendre. Ils attendent des relations mieux structurées entre la production agricole, sa transformation et sa mise en marché. Ils souhaitent plus de simplification administrative - ils ont bien raison -, de confiance, de reconnaissance pour ce qu'ils apportent à nos concitoyens. L'agriculture, qui est parfois désorientée, a besoin d'orientations, si vous m'autorisez cette formule.
Pour autant, le projet de loi d'orientation ne répond pas aux seules attentes du monde agricole. Il vise à renouveler le lien profond qui, depuis tant d'années, unit nos concitoyens à leur agriculture. Il reconnaît les nouvelles missions et les nouveaux enjeux de l'activité agricole dans une société moderne. Je pense non seulement aux enjeux de production et de développement d'une filière agroalimentaire compétitive, mais aussi aux défis relatifs à l'énergie, à l'environnement et à la sécurité sanitaire des aliments.
Il est de notre devoir d'affirmer ces nouvelles perspectives pour l'agriculture française. En effet, il existe une exception agricole comme il existe une exception culturelle. D'ailleurs, qui d'entre vous soutiendrait que l'agriculture se réduit au monde des exploitants ? Nos espaces, nos paysages, nos aliments façonnent notre identité. La France jouit d'atouts naturels, mais nos champs de blé, nos vignes, les vergers, les prairies, les forêts sont aussi le fruit du travail des hommes et des femmes. Que seraient nos arts de la table sans la qualité des produits de notre agriculture ? Qui plus est, que serait notre indépendance politique sans l'autosuffisance acquise au cours des années de forte croissance ?
Un sénateur de l'UMP. Très bien !
M. Dominique Bussereau, ministre. Vous le savez, en quarante ans, l'agriculture française a opéré une mutation sans précédent, sans doute beaucoup plus marquée que dans la plupart des autres secteurs professionnels. Nous disposons d'un immense atout : notre agriculture évolue, innove, s'adapte. Le progrès technique permet de répondre pleinement aux défis d'une agriculture propre. C'est aussi ce contrat entre agriculture et recherche qu'il faut renouveler.
Pour répondre à ces défis, le Président de la République a fixé un cap, à Murat, le 21 octobre 2004, « celui d'une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable, une agriculture fidèle à ses traditions, confiante dans sa capacité à se moderniser et à se renouveler ». Cette formule résume bien ce que doit être notre agriculture.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà pourquoi le Gouvernement vous soumet ce projet de loi d'orientation. Nous savons quel avenir nous souhaitons pour la France en matière agricole, pour les exploitants et pour nos concitoyens. Nous voulons à la fois « une agriculture économiquement forte », qui assure aux exploitants des conditions de vie et de travail satisfaisantes, et une agriculture qui maintienne un niveau élevé de confiance de nos compatriotes dans la qualité de ses aliments et respecte la nature. C'est en effet notre cadre de vie commun. La nature cultivée est une nature respectée.
Nous pouvons envisager ces orientations en toute confiance. Notre agriculture et notre industrie alimentaire jouissent d'atouts incontestables que M. le Premier ministre a rappelés le 13 septembre dernier à Rennes.
D'abord, l'agriculture est un secteur essentiel pour notre pays.
On parle toujours de la baisse du nombre d'agriculteurs, mais il ne faut pas oublier que le monde agricole et agroalimentaire représente 2,5 millions d'emplois dans notre pays ! Il nous faut conforter ces emplois non seulement parce qu'ils représentent près d'un actif sur dix, mais aussi - c'est la force de l'agriculture - parce qu'ils couvrent l'ensemble du territoire, y compris les zones les plus difficiles, comme la montagne.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Dominique Bussereau, ministre. De ce fait, le monde agricole et agroalimentaire crée d'autres activités et d'autres emplois, partout en France. Aussi l'agriculture contribue-t-elle à la cohésion de notre nation.
Le secteur agricole et alimentaire est aussi un moteur essentiel de notre dynamisme économique. Deuxième secteur industriel en termes de chiffres d'affaires, il génère un excédent commercial de plus de 8 milliards d'euros et constitue, à ce titre, le deuxième poste de la balance commerciale. Nous le savons, notre industrie agroalimentaire est puissante et dynamique parce qu'elle s'appuie en grande partie sur un approvisionnement en productions nationales, à la fois stables et de qualité, lesquelles ne sont pas - pardonnez-moi de le répéter - délocalisables.
Ensuite, l'agriculture est un secteur stratégique.
D'une part, les besoins alimentaires sont croissants du fait de l'évolution de la démographie mondiale. Notre pays entend assumer sa responsabilité envers le monde, y compris pour permettre le décollage agricole des pays en développement.
D'autre part, l'autosuffisance alimentaire garantit notre capacité à fixer nos propres normes sanitaires et à contrôler la traçabilité des biens alimentaires. Dans les périodes de crise sanitaire, toujours plus fréquentes, cette exigence de sécurité constitue un enjeu essentiel pour l'avenir.
Il n'est qu'à voir ce qui vient de se passer avec les lots de steaks hachés avariés et les effets que leur consommation a pu provoquer. En quelques jours, en quelques heures même, l'abattoir et les animaux en cause ont été retrouvés et l'ensemble des lots concernés identifiés. Cela n'a été possible que parce que nous possédons un système de traçabilité extrêmement bien organisé.
Notre modèle agricole correspond donc à un choix de société clair : le produit agricole n'est pas un produit comme les autres.
Enfin, l'agriculture est un secteur d'avenir.
Parmi les pôles de compétitivité retenus par le Gouvernement - la Haute Assemblée y est très attentive -, quinze sont d'origine agricole et agroalimentaire. La nouvelle Agence nationale de la recherche, l'ANR, a retenu en première sélection des projets touchant l'agriculture. Dans le domaine des sciences du vivant, l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, apparaît comme l'un des établissements de recherche leaders dans le monde.
L'avenir réside également dans la diversité des sources d'énergie. Je sais l'intérêt que le Sénat porte au développement des bioénergies. L'agriculture française, à travers les bioénergies, offre une alternative forte aux énergies fossiles. Première productrice de cette « énergie verte », elle doit valoriser fortement ces perspectives. Les mesures prises par les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin en faveur de l'incorporation de biocarburants concrétisent déjà cette alternative, qui constituera une orientation de plus en plus marquée du fait du renchérissement et de l'épuisement des énergies fossiles dans le monde.
Au-delà de l'énergie, la chimie verte, la thérapie génique sont autant de domaines ouverts qui apporteront des réponses sur des enjeux essentiels pour l'avenir de notre société.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quel est l'esprit de ce projet de loi d'orientation ? Dans un contexte international et communautaire en évolution, il faut que l'Etat accompagne l'agriculture française et complète ainsi, à l'échelon national, l'action engagée hors de nos frontières.
Ce projet de loi d'orientation marque une nouvelle étape de l'action des pouvoirs publics. Les grandes lois fondatrices Debré et Pisani des années soixante ont accompagné, chacun le sait, la construction communautaire qui s'amorçait en définissant un cadre stable pour l'exercice de l'activité agricole. Elles ont donné un statut fiscal, social et économique à l'exploitation agricole. Elles ont organisé le statut du fermage et favorisé le progrès technique en agriculture. Elles intervenaient dans une Europe à six en construction, dans une France encore très rurale en voie d'industrialisation rapide.
Ce projet de loi d'orientation s'inscrit modestement dans la continuité de cette action, mais prend en compte un contexte international qui a bien changé et la réforme de la PAC intervenue en 2003.
Ce texte reconnaît la diversification accrue des formes d'exploitation depuis quarante ans, ainsi que l'émergence des exigences nouvelles de nos concitoyens à l'égard des activités agricoles, notamment au cours des quinze dernières années. Il a pour ambition de contribuer à maintenir une agriculture et une industrie alimentaire françaises efficaces et performantes, répondant aux besoins de notre société et concourant à la richesse de notre économie. Agir pour l'agriculture, c'est agir pour la croissance et pour l'emploi. C'est aussi agir, au-delà du monde agricole et rural, pour l'avenir de notre pays, de son dynamisme économique et de l'attrait de ses régions.
Ce projet de loi d'orientation se veut en cohérence avec les actions que nous menons en faveur de l'agriculture à l'échelon tant international que communautaire. Notre action vise d'abord à réaffirmer - c'est l'actualité la plus immédiate - le contenu du mandat qui a été assigné par les vingt-cinq Etats membres à la Commission dans le cadre des négociations à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC.
Un sénateur de l'UMP. Oui !
M. Dominique Bussereau, ministre. Je vous rappelle les propos qu'a réaffirmés M. le Président de la République, la semaine dernière, lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens : « Nous avons une position simple et claire qui est le respect intégral de la politique agricole commune telle qu'elle a été modifiée en 2003. » Cette « ligne rouge » figure explicitement dans le mandat de la Commission : elle signifie très clairement que l'enjeu prioritaire de ces négociations, sur le volet agricole, est le maintien de la préférence européenne. Si cette ligne rouge était franchie, la France - M. le Président de la République l'a indiqué à nouveau - poserait son veto à l'accord final. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Le Cam. Chiche !
M. Dominique Bussereau, ministre. Nous étudions actuellement la dernière proposition qu'a formulée, vendredi 28 octobre, la Commission européenne et qui semble, vous le savez, aller bien au-delà du mandat confié à cette institution. C'est donc avec quelque inquiétude quant au contenu que nous nous livrons à cet examen.
Cet accord à l'OMC exige un rééquilibrage des négociations, d'abord en ce qui concerne le dossier agricole. Nos partenaires, notamment les Etats-Unis, doivent faire les mêmes efforts que ceux qu'ils exigent de nous : il leur faut réformer réellement leur loi agricole et accepter - ils s'y refusent pour l'instant - des disciplines sur leurs subventions, directes ou indirectes, aux exportations.
En outre, rien ne justifie que l'agriculture soit la variable d'ajustement de ces négociations. Il faut un rééquilibrage entre d'éventuelles concessions sur le dossier agricole et celles, significatives, que nous attendons dans les secteurs des biens et des services, en particulier de la part des grands pays émergents.
Il serait tout de même paradoxal que ce cycle consacré au développement, au service des pays les plus pauvres, se transforme en cycle d'ultralibéralisation, dont seuls les grands pays émergents, déjà développés, profiteraient, alors que les pays les plus pauvres, qu'ils soient d'Afrique ou d'ailleurs, n'en retireraient aucun bénéfice ! C'est la raison pour laquelle la France sera à la fois très attentive et très ferme, dans les semaines qui nous séparent de la conférence de Hong Kong, au mois de décembre prochain. Pour l'instant, les propositions avancées ne nous semblent pas à la hauteur des enjeux.
Si les négociations à l'OMC constituent un dossier important, celui de la politique agricole commune est tout aussi stratégique.
La France a fait, voilà quarante ans, le choix de la PAC, et c'est l'honneur des gouvernements successifs de l'avoir confirmé. Nous devons conforter ce choix, car la politique agricole commune s'est construite sur des principes qui sont toujours d'actualité : la création d'un grand marché intérieur unifié, la préférence européenne, la solidarité financière.
Qui peut contester que ce choix a entraîné une modernisation remarquable de notre agriculture et que, sans la PAC, l'agriculture française ne serait pas aujourd'hui ce qu'elle est ? Nous devons donc continuer à appuyer le développement d'une politique agricole commune désormais à vingt-cinq - c'est évidemment plus difficile qu'à six -, en rappelant quelques éléments simples.
Grâce à la politique agricole commune, l'agriculture française bénéficie d'un marché intérieur de plus de 450 millions d'habitants. En d'autres termes, lorsque nous négocions à l'OMC, nous le faisons non pas au nom de 60 millions d'habitants, mais pour un ensemble de 450 millions d'habitants.
En outre, la PAC apporte chaque année 10 milliards d'euros à l'agriculture française. La pérennité des financements est assurée jusqu'en 2013, quoi qu'en disent certains, grâce à l'accord obtenu par le Président de la République en 2002. Un tel accord a été possible, car la France a accepté la réforme de la PAC en 2003, ne serait-ce que pour rendre cette dernière compatible avec les règles de l'OMC.
La politique agricole commune est un choix d'avenir pour notre société. Elle a été - qui peut le nier ? - le véritable ciment de la construction communautaire et a su continuellement s'adapter aux nouvelles exigences de la société. Elle est en phase avec les préoccupations relatives à l'environnement et à la sécurité sanitaire des aliments.
Il s'agit donc d'un cadre pertinent que nous voulons et devons consolider, en particulier dans la perspective des négociations sur l'avenir financier de l'Union européenne. La France défend avec détermination le budget tel qu'il résulte de l'accord de 2002.
Pour autant, nous devons développer une stratégie d'initiative pour préparer l'après 2013. Comme me l'a demandé le Premier ministre, je présenterai à la Commission, avant la fin de l'année, un mémorandum sur les perspectives de la PAC.
Ce mémorandum soulignera les enjeux pour la profession agricole d'une meilleure régulation des marchés et il avancera des propositions.
La régulation des marchés doit passer par des voies nouvelles s'appuyant davantage sur les interprofessions, la contractualisation et des systèmes de péréquation. Elle requiert un examen approfondi, y compris en termes de droit de la concurrence. Cette initiative française aura également pour but de conforter notre vision de l'agriculture en gagnant l'adhésion de nos partenaires les plus proches de notre position.
Dans ce cadre international - OMC, PAC -, le projet de loi d'orientation que j'ai l'honneur de vous présenter fait le choix d'accompagner l'effort nécessaire d'adaptation et de modernisation de l'agriculture française
Il vient compléter l'action menée sur le plan international et communautaire, en essayant de donner à notre agriculture les moyens d'être plus performante et plus efficace
Nous devons baliser un chemin pour les exploitants, en particulier pour les plus jeunes qui veulent savoir où ils vont -et ils ont bien raison de poser cette question -, étant entendu que nous avons l'assurance qu'apporte, jusqu'en 2013, le double accord européen de 2002 et de 2003 pour préparer l'avenir.
Ce projet de loi affiche avec conviction son dessein, qui est de consolider l'activité économique agricole et de conforter la vision positive de la fonction productive de l'agriculture.
Il sort du principe du modèle unique de l'agriculture, que nous avons tous connu, fondé sur l'exploitation familiale à deux unités de travail homme, ou UTH, et propose différentes voies pour l'agriculture. Aux agriculteurs de les choisir.
Ce projet de loi souligne la multifonctionnalité de l'agriculture et sa contribution à des services non marchands en termes d'occupation des espaces et de préservation de l'environnement.
Enfin, il prend en compte les attentes de la société en matière de sécurité sanitaire, d'environnement et de qualité des produits.
Il s'agit de redonner des marges de manoeuvre à notre agriculture pour lui permettre de conserver son efficacité économique, afin qu'elle reste présente sur nos territoires et continue à créer des emplois.
Le présent projet de loi d'orientation agricole est donc fondé sur un triple impératif économique, environnemental et sanitaire. Le Gouvernement est déterminé à aller le plus loin possible.
J'aborderai en premier lieu l'impératif économique. La défense de notre modèle agricole, de nos industries agroalimentaires et de notre indépendance alimentaire nécessite des entreprises efficaces et performantes
Nous voulons des entreprises puissantes fondées sur la valorisation de la démarche d'entreprise
Vous le voyez bien dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs, les formes d'exploitation se sont diversifiées, en faisant place de plus en plus souvent aux formes sociétaires.
La nécessité se fait sentir, par ailleurs, d'appréhender globalement l'ensemble des facteurs de production, en tant qu'entité économique capable de dégager un revenu. Ce projet de loi vise à encourager la formation d'exploitations organisées autour d'une démarche d'entreprise, en conservant la responsabilité personnelle et la spécificité familiale.
C'est pourquoi il tend à créer un fonds agricole et à introduire la cessibilité du bail rural. Le bail cessible permettra à un exploitant de transmettre globalement une exploitation hors cadre familial. Cette possibilité supposera le libre choix entre les parties ; naturellement, elle ne se substitue pas au bail rural classique.
Le fonds agricole - c'est l'une des innovations de ce texte - permettra, quant à lui, de mieux reconnaître la valeur du travail agricole et de mieux distinguer la valeur patrimoniale de la valeur économique de l'exploitation agricole. Cependant, et j'insiste sur ce point, il ne vise pas à renchérir le coût des cessions. En effet, il ne tend à créer aucune valeur nouvelle, mais identifie les éléments de la valeur économique de l'exploitation existant aujourd'hui sans reconnaissance juridique, tout spécialement dans les exploitations individuelles.
Les députés, par amendement, l'ont rendu optionnel et, sur l'initiative de la commission des finances, lui ont donné une fiscalité favorable : les cessions seront soumises à un droit forfaitaire.
Pour promouvoir la forme sociétaire, le projet de loi permet aux associés d'exploitations agricoles à responsabilité limitée, ou EARL, de conserver leur statut fiscal de type personnel en dehors du cadre familial. Le Premier ministre a annoncé, le 13 septembre, la suppression de la cotisation de solidarité pour les associés non exploitants.
Tenant compte de l'évolution des structures d'exploitation, le projet de loi introduit deux dispositions qui sont à souligner.
Le contrôle des structures est maintenu, mais simplifié. A la suite de discussions avec l'ensemble des partenaires du monde agricole, nous avons trouvé - et cela n'a pas été facile -un point d'équilibre entre les différentes parties, en permettant d'exonérer du contrôle uniquement les opérations portant sur des liens de familles et en relevant les seuils d'opérations soumises à contrôle.
Ensuite, un mécanisme fiscal d'incitation à la transmission progressive est instauré, pour faciliter l'installation des jeunes agriculteurs.
Les débats à l'Assemblée nationale ont permis de répondre à certains défis relatifs au foncier, qui ont été soulevés récemment par le rapport du Conseil économique et social.
Les conflits d'usage entre culture et autres activités sont assez vifs - vous les vivez sur le terrain, mesdames, messieurs les sénateurs. Le débat parlementaire a permis de renforcer la prise en compte de l'agriculture dans les documents d'urbanisme.
Enfin, le projet de loi tend à apporter une réponse aux difficultés d'exercice du métier agricole : il favorise par un crédit d'impôt - Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, l'avait annoncé au Mans, lors du Congrès de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA - le remplacement pour congé des agriculteurs dans le cas où leur activité nécessite une présence quotidienne sur l'exploitation, comme c'est le cas des éleveurs.
Le Gouvernement souhaite également que, sur les marchés, l'équilibre entre les producteurs et l'aval soit mieux assuré.
Il s'agit, vous le voyez bien, de sécuriser le revenu des exploitants. C'est une nécessité absolue à un moment où les instruments communautaires de régulation sont profondément modifiés pour répondre aux nouvelles règles du commerce international. A l'intérieur des marges de manoeuvre autorisées par le cadre communautaire, le Gouvernement privilégie dans le texte qui vous est soumis le renforcement de l'offre, la gestion des risques et la baisse des charges.
Sécuriser les revenus, c'est souvent renforcer l'organisation économique des filières.
Ainsi, dans le présent projet de loi d'orientation, les missions des interprofessions sont étendues de manière à leur permettre d'intervenir dans la promotion de nouveaux débouchés ou la gestion des crises.
La contractualisation est encouragée, dans la mesure où elle permet une relation plus équilibrée entre l'amont et l'aval.
Enfin, la coopération agricole - je sais que beaucoup d'entre vous y sont attachés - a un rôle essentiel à jouer et est dotée d'un statut modernisé. Les relations financières avec les adhérents coopérateurs sont améliorées et des responsabilités nouvelles sont confiées à un Haut conseil de la coopération, conformément à l'amendement déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale et inspiré du rapport de François Guillaume.
Sécuriser les revenus, c'est encore développer les outils de gestion des risques, qu'ils soient climatiques ou conjoncturels. Nous voyons bien la terrible sécheresse qu'ont vécue et que vivent encore un grand nombre de régions de notre pays.
Ce projet de loi favorise le développement de l'assurance récolte - je sais que la commission des affaires économiques du Sénat y est très attachée - et revalorise les plafonds applicables à la déduction pour investissement et à la dotation pour aléas.
Enfin, sécuriser les revenus, c'est baisser les charges. Conformément à la volonté du Président de la République exprimée dans son discours de Murat, le Premier ministre a décidé la diminution progressive de la taxe sur le foncier non bâti pour les exploitants agricoles.
J'indique tout de suite, parce que je sais que le Sénat est très attaché à l'indépendance financière des collectivités territoriales et aux ressources des petites communes, que cette baisse de 20 %, qui vous sera proposée dans le projet de loi de finances pour 2006, sera compensée à l'euro près aux communes par l'Etat.
La commission des finances de l'Assemblée nationale a trouvé un système simple, qu'elle proposera à votre commission des finances ; ce système n'implique pas la mise en oeuvre de dispositifs complexes entre l'Etat et les communes. Il permet également, quand l'agriculteur n'est pas le propriétaire, que cette baisse bénéficie à l'exploitant et que ce dernier puisse la répercuter comme une baisse de charges dans son exploitation.
Enfin, et ce n'est pas à la Haute Assemblée que je l'apprendrai, le monde agricole est trop administré. Nous ajoutons même parfois des règles françaises aux règles communautaires, complexifiant ainsi davantage encore l'environnement administratif de nos exploitations. Il nous faut donc aller vers une simplification.
Simplifier, c'est non pas déréglementer systématiquement, mais faire en sorte que les exploitants se concentrent sur l'essentiel, à savoir sur l'action de production.
A titre d'exemple, le présent projet de loi crée l'agence unique de paiement pour les aides du premier pilier, celles du second pilier étant versées par le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, le CNASEA. Il prévoit la modernisation du dispositif de développement agricole.
M. Gérard César, rapporteur. J'y tiens !
M. Dominique Bussereau, ministre. La performance économique renforcée concourra à créer des emplois pour lesquels des dispositions spécifiques sont également proposées. Nous poursuivons, à cet effet, un triple objectif : alléger le coût total de l'emploi, améliorer la rémunération et donc le pouvoir d'achat, mais aussi accroître la sécurité de l'emploi.
Au cours des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a proposé la création d'un contrat « jeune saisonnier agricole », qui correspond aux besoins en matière de saisonnalité dans le monde agricole, la mise en place d'une incitation à la conversion de contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée et, enfin, une mesure en faveur des groupements d'employeurs.
Plusieurs de ces propositions, directement inspirées du rapport du député Jacques Le Guen, visent à mieux prendre en compte l'importance du travail saisonnier dans certaines productions agricoles.
Je veux maintenant insister sur l'impératif sanitaire. Nous voyons bien les craintes actuelles liées à l'influenza aviaire ou l'épisode malheureux de la fin de cette semaine concernant des produits consommés par de jeunes enfants et ayant entraîné les troubles que vous savez.
Notre agriculture doit répondre à toutes les exigences de la société en termes de sécurité sanitaire des aliments
Il importe de sécuriser l'alimentation, mais aussi de rassurer nos concitoyens. Le projet de loi complète le dispositif français de sécurité sanitaire des aliments, l'un des plus performants au monde, en confiant l'évaluation du risque lié aux fertilisants et aux produits phytosanitaires à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
La Haute Assemblée s'est toujours beaucoup intéressée à la qualité des produits et à la connaissance qu'en ont les consommateurs.
Le Gouvernement souhaite améliorer la lisibilité des signes de qualité, auxquels le consommateur, se perdant entre les labels inventés par les producteurs, les appellations d'origine contrôlées, la grande distribution, ne comprend parfois pas grand-chose. A cet effet, le projet de loi crée un institut unique de la qualité, en s'appuyant sur l'Institut national des appellations d'origine, l'INAO, qui a parfaitement réussi dans cette mission.
L'Assemblée nationale a également ajusté le dispositif initial en assouplissant la distinction entre appellation montagne - chère aux élus de la montagne - et AOC. Les débats ont fourni l'occasion d'enrichir le texte de loi par un volet « montagne », qui peut encore être complété. Plusieurs sénateurs, notamment M. Jacques Blanc, souhaitent que nous puissions le faire, même si le texte relatif au développement des territoires ruraux, remarquablement amendé par la Haute Assemblée, avait déjà permis d'introduire des dispositions très importantes relatives à la montagne.
M. le président. Très bien !
M. Dominique Bussereau, ministre. Cela concerne bien sûr également le massif vosgien, monsieur le président ! (Sourires.)
Cette recherche de la qualité, nos compatriotes la demandent et veulent en être informés. Ils réclament une alimentation saine, sûre, équilibrée. Le présent projet de loi vise à participer à la réalisation de cet objectif.
J'en viens au dernier impératif de ce projet de loi, l'impératif environnemental.
Nos compatriotes veulent que les exploitants agricoles respectent l'environnement, mais ils savent que nos paysages n'existeraient pas sans les exploitants agricoles, car ce sont ces derniers qui ont aménagé et entretenu la nature. Nous voulons nous associer à cette attente.
L'agriculture biologique, qui se développe dans notre pays, moins que chez nos voisins cependant, sera encouragée au travers d'un crédit d'impôt.
Le projet de loi instaure la possibilité de conclure un bail comportant des clauses environnementales dans certains territoires à enjeux environnementaux particuliers.
S'agissant des bioénergies, de la biomasse, nous en sommes encore aux débuts, mais ce sujet est un enjeu stratégique. L'agriculture nourrit ; demain, elle produira l'énergie des Français.
Le Gouvernement ouvre la possibilité à la production agricole et forestière de participer aux bilans et mécanismes de marché destinés à mettre en oeuvre nos engagements internationaux en matière de lutte contre l'effet de serre.
Monsieur le président, le texte prévoit également une mesure pour l'utilisation par les collectivités locales du bois.
M. Gérard César, rapporteur. Des Vosges ! (Sourires.)
M. Dominique Bussereau, ministre. Cette mesure incite les collectivités territoriales à utiliser le bois pour chauffer les bâtiments publics et l'ensemble de leur patrimoine
Les députés ont beaucoup travaillé sur un amendement tendant à promouvoir les huiles végétales brutes. Un point d'équilibre intéressant a été trouvé, avec une phase d'observation précédant une ouverture à l'ensemble des acteurs du monde agricole. Le carburant vert participera ainsi au lien unissant l'agriculture à notre société.
Je souhaite revenir brièvement sur le volet spécifique consacré à la montagne, en soulignant qu'un amendement de M. Jacques Blanc permettra de rassembler les diverses mesures dans un seul article leur donnant plus de visibilité. Le Gouvernement souhaite développer ce volet.
S'agissant de l'élevage, la grande loi fondamentale de 1966 organise notre dispositif génétique. Nous avons beaucoup travaillé avec les éleveurs sur la révision de cette loi, car nous souhaitions répondre au mieux à leurs besoins.
Il s'agit d'une grande ambition, car cette réforme doit simplifier et adapter le dispositif au droit communautaire tout en préservant la diversité des ressources génétiques des animaux. Nous devons à présent la finaliser afin que la publication de l'ordonnance intervienne dans les jours qui suivront celle de la loi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai essayé de vous présenter le mieux et le plus rapidement possible - ce dernier objectif n'a peut-être pas été atteint ! - ...
Un sénateur de l'UMP. Mais si !
M. Dominique Bussereau, ministre. ...le contenu du projet de loi, de retracer le cadre européen et le cadre international. Je crois très sincèrement que ce texte offre des outils importants, des outils nouveaux qui permettront d'accroître la compétitivité des secteurs agricole et agroalimentaire.
Nous accompagnerons l'agriculture dans la recherche de nouveaux débouchés, notamment de débouchés non alimentaires, et nous soutiendrons le renouvellement des générations pour maintenir vivante notre tradition agricole et dynamiser l'ensemble de nos territoires. L'agriculture marquera ainsi notre engagement en faveur du développement équilibré, d'une croissance agricole soucieuse des équilibres écologiques, d'une répartition équitable des fruits de la richesse créée et de territoires intégrés.
Enfin, nous entreprendrons la simplification des procédures et de l'organisation administratives, ô combien nécessaire dans le monde agricole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous soumettant ce projet de loi d'orientation agricole, le Gouvernement affirme donc sa confiance dans les atouts de notre agriculture et notre détermination commune à bâtir, selon la formule que j'ai déjà citée, une « agriculture économiquement efficace et écologiquement responsable ». C'est notre ambition, et je crois qu'elle peut être partagée sur toutes les travées.
Parce que l'agriculture est notre patrimoine et notre identité, je conclurai en citant la célèbre fable Le laboureur et ses enfants, autre élément de notre patrimoine : « Un trésor est caché dedans. » (Sourires.)
Mme Hélène Luc. Pour ceux qui travailleront encore !
M. Dominique Bussereau, ministre. Ce trésor, c'est le travail de tous les exploitants, madame le sénateur, et nous pouvons, ensemble, essayer de les aider.
Je voudrais par avance affirmer ma confiance dans la poursuite des débats. L'Assemblée nationale a réalisé un remarquable travail d'enrichissement, et je sais d'ores et déjà que le Sénat participera à la poursuite de l'amélioration de ce texte.
Je reste naturellement très ouvert au travail parlementaire, à la discussion des amendements, qui, avec l'aide de MM. les rapporteurs, permettront à la Haute Assemblée de faire progresser le texte. Ce dernier est maintenant soumis à votre appréciation politique. Je suis persuadé que vous en ferez le meilleur usage. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur du Conseil économique et social.
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, je préciserai tout d'abord trois éléments.
Premièrement, le Conseil économique et social a été saisi par le Gouvernement et s'est exprimé sur l'exposé des motifs ainsi que sur une trentaine de mesures contenues dans le projet de loi d'orientation agricole présenté le 6 avril dernier.
Deuxièmement, le Conseil économique et social n'a pu débattre de l'avenir de notre agriculture que durant un seul petit mois, bien trop court à notre goût.
Troisièmement, en tant que conseiller au sein du Conseil économique et social, je n'oublie pas que je suis un jeune agriculteur soucieux de son avenir, mais aussi de celui de sa profession.
Le Conseil économique et social s'est tout d'abord interrogé sur le champ de cette loi. Il est apparu rapidement que des thématiques telles que la place du foncier agricole ou du salariat dans le développement de l'agriculture avaient été ignorées.
J'évoquerai donc tout d'abord les sujets que le Conseil économique et social a tenu à enrichir.
En matière de foncier, le Conseil économique et social préconise que les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, deviennent l'interlocuteur privilégié en matière d'aménagement foncier des espaces naturels et ruraux, en partenariat avec les collectivités territoriales.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. C'est ainsi que leur droit de préemption doit être plus que jamais réaffirmé et protégé.
M. Gérard Le Cam. C'est tout le contraire que prépare le texte !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Ayons également à l'esprit le fait que le développement des entreprises agricoles passe obligatoirement par une meilleure attractivité des métiers en agriculture ainsi que par une amélioration des conditions de vie, de travail, d'emploi et de revenus.
Le Conseil économique et social s'est également interrogé sur la portée de cette loi ; en effet, légiférer, c'est prendre véritablement une orientation pour l'avenir.
L'examen du projet de loi d'orientation agricole s'inscrit dans un contexte international et européen en pleine mutation. La mondialisation des échanges a renforcé le décalage entre la notion de production - prix de revient du produit - et celle de revenu - prix de vente du produit. Or le maintien d'activités agricoles sources de revenus est vital pour l'avenir de notre planète : ne l'oublions pas, la première mission de l'agriculture est de nourrir les hommes.
L'agriculture française est déstabilisée au sein même de l'Europe, qui est à l'origine de son développement. Les différences, dans chaque pays, de coût de production, de réglementation fiscale et sociale, environnementale et sanitaire, les exigences diverses des consommateurs en termes de sécurité alimentaire, de traçabilité, de qualité et de diversité des produits, influent sur le nombre d'agriculteurs européens et sur la rentabilité économique des exploitations. Le Conseil économique et social ne veut pas d'une Europe au rabais qui nierait les spécificités agricoles de chacun des Etats membres.
Vous le voyez, les enjeux sont importants : ils concernent notre souveraineté alimentaire, la sécurité de nos approvisionnements, le maintien d'une activité économique sur l'ensemble du territoire, la création et l'entretien de paysages variés qui font de la France la première destination touristique mondiale.
Le maintien de régulations économiques efficaces est l'un des préalables pour répondre à ces enjeux. Les politiques agricoles doivent maintenir ou renforcer ces systèmes de régulation. J'en citerai plusieurs exemples.
En matière de contrôle des structures, la consultation de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, la CDOA, pour les demandes d'autorisation d'exploiter doit être maintenue.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Quant à la simplification envisagée du contrôle des structures, elle ne doit en aucun cas être synonyme de démantèlement de la réglementation : ce serait préjudiciable non seulement à l'installation, mais aussi à l'approche économique confortée par le fonds agricole.
La fin du monopole du dispositif de sélection animale ne doit pas non plus conduire à la baisse du nombre de races animales ni à un appauvrissement génétique, qui seraient fortement dommageables.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
Mme Hélène Luc. Oui, mais ce n'est pas ce qui se fait !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. De même, le nouveau mode de gestion et de contrôle des aides à l'agriculture ainsi que la restructuration des offices agricoles ne doivent pas faire perdre de vue que de nombreux emplois sont concernés et que la réflexion sur ces restructurations doit être globale.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Par ailleurs, la France se doit d'afficher de vraies ambitions en matière de formation, d'innovation, de recherche et de développement agricole, et créer des synergies dans l'ensemble de ces domaines. Le non-alimentaire doit devenir l'une des grandes priorités pour promouvoir de nouveaux débouchés et faire de la biomasse une ressource incontournable. Les biocarburants devraient permettre de créer au moins 6 000 emplois. Quant au développement des huiles végétales brutes, c'est du bon sens paysan au service de l'économie d'énergie ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Nos politiques agricoles doivent aussi être plus lisibles : la modernisation du dispositif des signes officiels de qualité et d'origine devrait permettre de mieux segmenter les marchés et de les rendre plus compréhensibles pour le consommateur.
Encourager le développement de l'agriculture biologique par le biais d'un crédit d'impôt est une idée pertinente si, parallèlement, est réalisée une véritable structuration des filières biologiques.
Le projet de loi d'orientation agricole doit également accompagner l'organisation collective au sein des filières de production : le renforcement des organisations de producteurs et des interprofessions doit être encouragé, en liaison avec la commercialisation et la contractualisation des productions. Allons même jusqu'à attribuer les aides publiques en priorité aux organisations de producteurs en ayant à l'esprit la désorganisation des marchés induite, notamment, par la réforme de la PAC.
La coopération agricole a un rôle tout particulier à jouer en matière d'organisation économique. Pour favoriser l'engagement collectif d'adhérents autour d'un projet économiquement viable, elle doit rester ciblée sur ce qui fait le coeur de son métier : c'est là le gage de son efficacité.
Le transfert de propriété vers les organisations de producteurs afin d'améliorer la commercialisation des produits est une véritable orientation pour l'agriculture de demain et ouvre une réelle possibilité de faire évoluer les comportements en faveur de l'organisation collective. Nous ne devons plus hésiter !
Les agriculteurs souhaitent également sécuriser leurs revenus. La mise en place d'outils d'assurance efficaces, soutenus par les pouvoirs publics, couvrant toute l'exploitation et accessibles à tous sur l'ensemble du territoire doit être accélérée. La question du caractère obligatoire de ces outils reste bien évidemment d'actualité.
Vous l'avez compris, l'organisation de la profession agricole s'avère cruciale si les agriculteurs veulent vivre de l'acte de production.
Le projet de loi d'orientation agricole vise à cet égard à faire de l'exploitation agricole une entité économique pérenne et transmissible. Plusieurs mesures structurantes accompagnent cette ambition.
Tout d'abord, la création du fonds agricole vise à faire de l'exploitation une unité juridique cohérente en officialisant, dans un souci de transmission et de renouvellement des générations, la séparation entre le patrimoine professionnel et les biens personnels. Le risque de démembrement de l'exploitation est ainsi écarté.
L'idée est simple : il s'agit de mieux identifier le revenu de l'exploitation, d'évaluer l'entreprise à reprendre et, par là même, d'encourager le financement et le dynamisme de l'agriculture. Toutefois, la réalisation de cette grande ambition suppose la mise en oeuvre de modalités techniques qui ne doivent pas dénaturer le concept de fonds agricole.
Le fonds n'aura de raison d'exister que si le foncier est pleinement intégré dans sa composition. Rappelons que 60 % des terres agricoles françaises sont exploitées en faire-valoir indirect et en multipropriété : la cessibilité du bail hors du cadre familial, vous l'aurez compris, devient le corollaire indispensable de la mise en place de ce fonds.
Mais il ne peut y avoir cessibilité du bail sans l'accord préalable du propriétaire. Les intérêts de chacun ont donc été pris en considération. Les garde-fous juridiques, qui ont été largement éprouvés au sein du statut du fermage, doivent être conservés.
Une autre innovation contenue dans le projet de loi d'orientation agricole, complémentaire au fonds agricole, consiste dans la mise en place du plan « crédit transmission ». A l'heure actuelle, le principal frein à la transmission des exploitations se trouve être le prix du foncier agricole. Le plan « crédit transmission » doit permettre au jeune de s'installer sans délai, grâce à une transmission progressive des parts du cédant, tout en évitant le démembrement de l'exploitation.
Si le projet de loi d'orientation agricole, comme vous avez pu le constater, tend à renouveler le statut des exploitations agricoles, les femmes et les hommes qui sont les pièces maîtresses de l'avenir de notre agriculture ne doivent surtout pas y être oubliés. Le Conseil économique et social a considéré que le renouvellement des générations en agriculture était le premier défi à relever si l'on souhaitait véritablement envisager l'avenir.
Mme Hélène Luc. Le projet de loi le permettra-t-il ?
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Nous voulons des paysans nombreux sur l'ensemble du territoire pour répondre aux exigences de la société civile et des citoyens : pas d'agriculture de qualité en même temps que de proximité, pas d'agriculture diversifiée, valorisant nos terroirs et nos savoir-faire sans agriculture à visage humain.
Pour y parvenir, nous devons attirer encore et toujours des jeunes dans l'agriculture, non par tradition, mais par nécessité. Nous devons à cet effet répondre à leurs nouvelles attentes en matière de conditions de vie et de travail : je pense notamment à la mesure de remplacement pour aménagement du temps de travail et aux dispositifs qui accompagnent l'installation sociétaire. Pour favoriser cette dernière, le Conseil économique et social a ouvert de nouvelles pistes de propositions, telle la mise en place d'un statut de salarié provisoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez pu le constater, le Conseil économique et social a fait le choix des hommes plutôt que des hectares, ...
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. ...des outils de régulation plutôt que de la libéralisation. C'est un choix ambitieux.
Lors de vos débats, vous aussi serez amenés à faire des choix. Les agriculteurs vous regardent : doivent-ils préparer leur reconversion, ou peuvent-ils encore croire en l'avenir de leur noble métier que les citoyens plébiscitent ?
Nous devons graver dans le marbre la direction que doit prendre notre agriculture. Cela engagera aussi bien les pouvoirs publics que les élus, les agriculteurs et les citoyens. La loi d'orientation doit être porteuse d'espoir et d'optimisme pour un monde agricole en manque de repères et en pleine mutation.
Mme Hélène Luc. C'est certain !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Si cette loi ne devait porter qu'un seul message, ce devrait être celui-ci : « Engagez-vous dans l'agriculture ! »
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez l'avenir de l'agriculture, de ses femmes et de ses hommes, entre les mains. Pensez-y lors des débats ! Je vous souhaite un bon travail. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le second volet de la vaste réforme législative que ce gouvernement et celui qui l'a précédé ont entreprise pour conforter et développer notre agriculture. Il y a moins d'un an, nous avons adopté l'importante loi relative au développement des territoires ruraux. Nous abordons aujourd'hui les aspects économiques et sociaux de la production agricole.
Le projet de loi initial comportait trente-cinq articles. A l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, il en compte maintenant quatre-vingt-cinq. Je tiens à cet égard à saluer le travail mené par les députés, en particulier l'action de M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Bien sûr, nous avons quelques divergences d'analyse avec nos collègues députés, et la commission des affaires économiques du Sénat vous proposera de supprimer certains ajouts de l'Assemblée nationale.
Je souhaite aborder ici quelques grands points sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir et qui me paraissent particulièrement importants.
Sans revenir sur la présentation que vient d'en faire M. le ministre de l'agriculture, je rappelle que le titre Ier du projet de loi doit permettre aux exploitations agricoles d'intégrer une véritable démarche d'entreprise, qui leur permettra de mieux répondre aux évolutions des marchés agricoles. Cette évolution est liée au contexte international des négociations à l'OMC et à la réforme de la PAC, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain.
Je saisis cette occasion pour me féliciter de ce que le Gouvernement et son ministre de l'agriculture aient fait en sorte que nous puissions examiner et - si vous en décidez ainsi - adopter ce projet de loi avant la fin de l'année. Je crois qu'il s'agit là d'un signe tangible adressé à l'ensemble du monde agricole.
Les principaux éléments de cette nouvelle démarche économique sont la création du fonds agricole, à l'article 1er, et celle du bail cessible, à l'article 2. L'Assemblée nationale a précisé que le fonds agricole était optionnel, précision utile que la commission des affaires économiques vous propose de conserver. Concernant le bail cessible, il convient de rappeler que celui-ci s'ajoute au statut du fermage mais qu'il ne supprime absolument pas le bail à ferme classique.
Nos collègues députés ont proposé que le bailleur puisse choisir le repreneur en cas de cession du bail. Il s'agit là d'un ajout critiquable car, dans la mesure où un fermier a en moyenne huit bailleurs, cette disposition compromettrait la cession d'un fonds agricole cohérent, c'est-à-dire une exploitation viable avec son foncier et son cheptel mort et vif.
Je voudrais également dire quelques mots de l'article 5, relatif au contrôle des structures. Il s'agit de simplifier ce contrôle, mais certainement pas de le supprimer. Il y a eu une confusion sur ce point chez certains députés, parce que le projet de loi supprime une référence législative aux CDOA. Mais il faut bien voir qu'il s'agit d'une mesure de coordination juridique, car les CDOA ont, depuis l'ordonnance du 1er juillet 2004, un statut réglementaire, ce qui est normal pour des commissions qui ne rendent que des avis consultatifs, que l'administration n'est pas obligée de suivre. Il faut rappeler, du reste, que nous avions déjà abordé cette question au début de l'année lors de l'examen de la loi relative au développement des territoires ruraux, dont le rapporteur était M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.
Une seconde mesure contenue dans cet article 5 suscite des interrogations. Ainsi, certains de nos collègues ont cru que cet article prévoyait la fin du contrôle des structures sur les formes sociétaires. Je les rassure, il n'en est rien : le contrôle des formes sociétaires demeure, et notre commission y reste très attachée.
Monsieur le ministre, il faudra que nous soyons très clairs sur ce point lorsque nous aborderons l'examen de l'article 5, car nous souhaitons obtenir une confirmation de votre part sur cette question.
Nous aurons également un vaste débat sur le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER. Je tiens à préciser que les amendements les concernant ont été renvoyés après l'article 10 sexies, afin que nous puissions les aborder tous en même temps.
Mais j'en reviens au présent projet de loi.
Le métier d'agriculteur est soumis à de multiples risques et aléas, qu'ils soient de nature économique ou climatique. Afin de prévenir leurs conséquences, le titre II du projet de loi tend à consolider le revenu agricole et à favoriser l'emploi. Pour cela, il explore trois grands axes.
Le premier concerne la recherche de nouveaux débouchés de nature non alimentaire. L'agriculture constitue un formidable réservoir d'énergies renouvelables, que ce soit à travers l'utilisation de la biomasse ou la production de biocarburants. Nous aurons à cet égard, à n'en pas douter, un débat très fourni sur deux points : l'interdiction des sacs en plastique non biodégradable à l'horizon 2010, mesure que je vous proposerai d'amender, et la possibilité pour les agriculteurs d'utiliser les huiles qu'ils ont produites.
Le deuxième axe a trait à l'organisation de l'offre. L'agriculture souffre en effet de sa grande dispersion face à une distribution concentrée autour de quelques centrales d'achat. Le projet de loi favorise le regroupement des producteurs au sein de différentes structures, tout en tenant compte des contraintes communautaires. Je vous proposerai, sur ce point, quelques amendements simplifiant, voire enrichissant le dispositif.
Le troisième axe a pour objet la maîtrise des aléas. Sans supprimer le Fonds national de garantie des calamités agricoles, le FNGCA, les articles 18 et 19 le réaménagent et tendent à stimuler le développement de l'assurance récolte, qui sécurise et responsabilise davantage les agriculteurs. Le président de notre commission, M. Jean-Paul Emorine, présentera à cet égard un amendement important que j'ai cosigné avec notre collègue Dominique Mortemousque. Il vise à rendre progressivement obligatoire le recours à l'assurance récolte par les exploitants. C'est là un véritable sujet de fond, et il faudra prendre le temps nécessaire pour en débattre car il est très important.
Le constat est clair, monsieur le ministre : l'agriculture a considérablement évolué ces dernières années. Après ne s'être longtemps préoccupée que de productivité et de rendement, elle s'ouvre aujourd'hui à de nouvelles préoccupations. Le titre III du projet de loi les prend en considération, en cherchant à répondre aux attentes des citoyens et des consommateurs.
Plusieurs pistes sont suivies.
La première concerne la garantie de la sécurité sanitaire. L'article 21 confie ainsi à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, l'évaluation du risque lié aux fertilisants et aux produits phytosanitaires en agriculture. Nous discuterons sur le point de savoir s'il convient également de lui transférer la décision d'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. J'indique qu'à titre personnel j'y suis favorable.
La deuxième piste a trait à la réforme du dispositif des signes de qualité. Notre pays élabore d'excellents produits, dont la qualité et la provenance sont renommées dans le monde entier. Mais la surabondance de signes de qualité entraîne souvent une confusion dans l'esprit du consommateur. Aussi, l'article 23 les regroupe autour de trois grandes catégories et élargit les compétences de l'Institut national des appellations d'origine, l'INAO, à la qualité. Si les grandes lignes en sont bien tracées, il conviendra de débattre de points qui, s'ils peuvent paraître accessoires, ont en réalité une grande portée symbolique.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Gérard César, rapporteur. Je pense, par exemple, à la dénomination même de cet organisme.
La troisième piste concerne le respect de l'environnement. Des efforts considérables - que l'on ne souligne jamais assez - ont été consentis par le monde agricole en la matière ces dernières années, et il convient de les encourager. A cet effet, l'article 24 soutient l'agriculture biologique, tandis que l'article 25 permet l'insertion de clauses environnementales dans les baux ruraux.
Je vous proposerai de compléter le dispositif en créant un chapitre spécialement consacré au développement durable de l'agriculture de montagne,...
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Gérard César, rapporteur. ... chapitre qui regroupe certaines des dispositions introduites par l'Assemblée nationale ainsi que d'autres, nouvelles, résultant des travaux du groupe d'études sur la montagne.
J'aborderai maintenant la question de l'agriculture outre-mer.
Je rappelle que, lorsque nous avions examiné la loi relative au développement des territoires ruraux, le Gouvernement s'était engagé à présenter un volet consacré à l'outre-mer dans le projet de loi d'orientation agricole, ce qu'il a fait. Je m'en félicite !
Naturellement, l'agriculture d'outre-mer a ses particularités, comme je l'ai exposé dans mon rapport écrit. Je rappellerai donc quelques points du titre V du projet de loi d'orientation agricole, relatif à l'agriculture d'outre-mer.
Les conditions du fermage domien sont alignées sur celles du fermage métropolitain, notamment en matière de baux cessibles et de clauses environnementales.
Les droits du métayer, lequel se voit reconnaître la conduite de l'exploitation ainsi qu'un droit de préemption en cas de cession de la parcelle qu'il exploite, sont également renforcés.
Afin de tenir compte de la spécificité, dans les DOM, des relations entre métayers et bailleurs, il est enfin prévu que la conversion des baux à colonat, c'est-à-dire des baux de métayage en baux à fermage, devienne automatique.
D'autres mesures spécifiques à l'agriculture ultramarine sont également prévues, sur lesquelles nous reviendrons lorsque nous aborderons l'examen de ce titre V du projet de loi d'orientation.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais vous faire part de ma conviction que ce projet de loi d'orientation agricole donne de nouvelles perspectives à notre agriculture et à nos agriculteurs. Je suis convaincu que ce texte contribuera à rapprocher le monde agricole du reste de la société française, ce qui est le préalable à son développement.
A l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, le texte a été très significativement enrichi, mais parfois trop lourdement. Les amendements que vous présentera la commission permettent donc à la fois de simplifier certains dispositifs, mais aussi d'en compléter utilement d'autres. Au total, je suis persuadé que le débat sera riche et fructueux.
Je voudrais enfin saluer le travail de mon collègue Joël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances, avec lequel j'ai eu des échanges fructueux qui ont révélé, je le crois, une pleine convergence d'analyse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation agricole, tel qu'il a été présenté en conseil des ministres le 18 mai 2005, comportait trente-cinq articles. Après son examen à l'Assemblée nationale, le texte transmis au Sénat en contient quatre-vingt-cinq, soit plus du double. C'est dire à quel point ce sujet intéresse la représentation nationale !
Il faut reconnaître que l'avenir de l'agriculture française cristallise des interrogations qui ont un retentissement dans l'ensemble de la société française. En effet, depuis les grandes lois fondatrices de 1960 et 1962, notre agriculture a connu des évolutions importantes, tant internes qu'externes, qui se sont traduites par un bouleversement radical de son environnement économique et sociologique.
Si le développement de notre agriculture au cours des cinquante dernières années a permis de placer la France au premier rang mondial des pays exportateurs de produits agricoles et de lui assurer l'indépendance alimentaire, force est de constater que le modèle agricole promu par le cadre législatif défini au début des années soixante ne répond plus que partiellement aux attentes actuelles des agriculteurs et de la société dans son ensemble.
En effet, ce modèle était celui de l'exploitation agricole familiale, dont la taille permettait d'assurer la rémunération de deux unités de travail. Au fil du temps, ce modèle a dû faire place à plus de diversité pour répondre à la multiplicité des formes d'exploitation, tandis qu'avec l'affirmation de nouvelles attentes de la société, notamment en matière environnementale, les pouvoirs publics ont envisagé sous un jour nouveau les autres missions de l'agriculture, telles que l'aménagement de l'espace rural ou des paysages et la préservation de l'environnement.
Ainsi, les évolutions liées au progrès technique, l'évolution socio-économique du monde agricole ainsi que les modifications des règles communautaires et internationales de régulation des marchés et de soutien des productions ont rendu nécessaire une redéfinition de la place de l'agriculture dans la société française afin de lui redonner une ambition, des perspectives et une légitimité renouvelée.
Dès lors, le projet de loi d'orientation agricole qui nous est transmis par l'Assemblée nationale s'efforce de relever les défis auxquels est aujourd'hui confrontée notre agriculture.
Ces défis sont de trois ordres : économique, social et environnemental. L'objectif principal de ce texte est de permettre l'adaptation du monde agricole aux évolutions du contexte international et communautaire, marqué par la poursuite des négociations internationales dans le cadre de l'OMC et par la réforme de la PAC, issue des accords de Luxembourg du 26 juin. 2003.
Ce projet de loi est structuré autour de cinq titres principaux.
Trois d'entre eux ont pour objet de redonner des marges de manoeuvre à l'agriculture française afin de la rendre plus efficace sur le plan économique et d'offrir davantage de liberté d'initiative aux exploitants agricoles.
Le titre Ier s'intéresse à l'entité fondamentale qu'est l'exploitation agricole et vise à favoriser la démarche d'entreprise.
Le titre II tend à conforter le revenu agricole en intervenant au niveau des filières, tandis que le titre IV simplifie l'environnement administratif de l'agriculture.
Le titre III vise à rapprocher l'agriculture des préoccupations sociales actuelles en matière de qualité alimentaire et d'environnement.
Enfin, le titre V a pour objet d'apporter des réponses adaptées à la situation foncière particulière de l'outre-mer.
La commission des finances du Sénat a choisi de se saisir pour avis de ce texte en raison des nombreuses dispositions fiscales qu'il contient et de l'éventuel impact budgétaire de certaines de ses mesures : au total, le coût fiscal des dispositions contenues dans ce projet de loi s'élève à quelque 80 millions d'euros par an.
Au-delà de ces critères techniques, la commission des finances ne pouvait s'exonérer de donner son avis sur un texte fondateur pour l'agriculture moderne dont les mesures phares, telle la création du fonds agricole, ont pour objectif de changer radicalement le modèle agricole qui prévaut actuellement.
Afin de relever le défi économique en modernisant l'exploitation agricole et en favorisant l'avènement de l'entreprise agricole, la création du fonds agricole, unité économique autonome, constitue une donnée essentielle.
Dans le contexte économique actuel, le principal enjeu consiste à aider les exploitations agricoles à se transformer en entités économiques autonomes, c'est-à-dire en de véritables entreprises.
Ainsi, la création du fonds agricole par l'article 1er du projet de loi, rendue optionnelle par l'Assemblée nationale, a pour objet de faire évoluer le statut de l'exploitation agricole traditionnelle vers celui d'entreprise agricole et de permettre d'appréhender dans une même unité économique l'ensemble des facteurs de production liés à l'activité agricole, qu'ils soient corporels ou incorporels.
Les objectifs visés par la création du fonds agricole sont les suivants : dépasser l'approche patrimoniale des exploitations, transmettre l'exploitation agricole, évaluer l'entreprise à reprendre en fonction de sa capacité à dégager des revenus et, plus globalement, encourager le financement et le dynamisme de l'agriculture.
Il ne faut toutefois pas passer sous silence les interrogations légitimes suscitées par la mise en place de ce nouvel outil juridique.
Parmi ces interrogations, je souhaite évoquer le risque d'un renchérissement du coût fiscal des transmissions, et par conséquent du prix du foncier agricole, ainsi que la question de l'opportunité de l'incorporation des droits incorporels cessibles dans le fonds agricole, au premier rang desquels les droits à paiement unique, les DPU, issus de la réforme de la PAC.
En effet, la valeur des éléments incorporels du fonds agricole, tels les droits à paiement unique ou les droits à produire cessibles, sera variable dans le temps, mais l'important est de pouvoir les évaluer au moment de la cession du fonds.
La commission des finances estime qu'il est nécessaire d'accepter l'idée d'un fonds agricole évolutif en fonction, notamment, de la valeur des droits incorporels cessibles, comme cela existe pour les fonds de commerce ou pour les entreprises, avec les marques ou les modèles.
Parallèlement à l'introduction de la possibilité pour l'exploitant de constituer un fonds agricole, l'article 2 du projet de loi prévoit la création d'un nouveau type de bail rural, cessible en dehors du cadre familial.
Depuis sa promulgation en 1946, le statut du fermage s'est caractérisé par l'encadrement strict des libertés et des droits du bailleur et par la protection de l'exploitant. Après avoir été longtemps considérée comme un atout, aujourd'hui, sa rigidité apparaît plus comme un obstacle au développement de l'activité agricole et de la pluriactivité rurale, particulièrement touchées par les difficultés de transmission des exploitations.
Dans ces conditions, la création d'une nouvelle catégorie de bail, soumis au statut mais dérogatoire à certaines de ses dispositions, représente un espoir pour de nombreux propriétaires ruraux ou exploitants à la recherche d'un repreneur.
Pour relever le défi économique en modernisant l'exploitation agricole et en favorisant l'avènement de l'entreprise agricole, la seconde donnée essentielle tient à la facilitation des transmissions agricoles.
L'agriculture française est aujourd'hui confrontée à un enjeu crucial de renouvellement de ses générations. On compte aujourd'hui en France métropolitaine un peu moins de 600 000 exploitations agricoles, dont 60 % sont dites professionnelles compte tenu de leur dimension économique. Le nombre de ces exploitations professionnelles est en diminution constante, de l'ordre de 2,3 % par an.
A l'horizon 2020, du fait de la pyramide des âges, 250 000 exploitants devraient quitter l'agriculture pour prendre leur retraite. De même, plus de 200 000 salariés de la production et 150 000 salariés travaillant dans les différentes organisations professionnelles agricoles partiront à la retraite pendant la même période.
Afin de favoriser ce renouvellement, donc d'inciter à l'installation en agriculture, le projet de loi prévoit différents types de mesures visant à encourager l'installation sociétaire ou à permettre la transmission progressive d'exploitations individuelles.
Ainsi, l'article 6 vise à instaurer une réduction d'impôt de 50 % des intérêts perçus au titre du différé de paiement accordé à un jeune agriculteur par un contribuable cédant son exploitation, dans le cadre d'un contrat de vente progressive. Il s'agit d'un nouvel instrument fiscal qui devrait favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, et qui est d'ailleurs très bien accueilli par les représentants de cette catégorie d'exploitants.
Le projet de loi d'orientation agricole vise également à relever le défi social en améliorant les conditions de vie des exploitants et en sécurisant leurs revenus.
A cette fin, il contient diverses mesures de nature à améliorer le quotidien des agriculteurs. On peut citer notamment les dispositions de l'article 9, qui s'adressent aux exploitants agricoles soumis à de fortes contraintes en termes de présence sur l'exploitation - je pense aux éleveurs laitiers - et constituent une incitation fiscale intéressante au remplacement pour congé par un tiers. En effet, cet article introduit un crédit d'impôt destiné à prendre en charge la moitié des coûts liés à l'emploi d'un salarié en cas de remplacement.
Cette mesure fiscale devrait permettre aux exploitants qui sont soumis à une astreinte quotidienne sur leur exploitation de bénéficier de meilleures conditions de vie et de travail. Elle devrait aussi constituer une incitation à l'installation des jeunes agriculteurs, parfois rebutés par l'intensité du rythme de travail sur les exploitations.
L'amélioration des conditions de vie des agriculteurs passe aussi par la sécurisation de leur revenu, et plus globalement par le développement des outils de gestion des risques et des aléas en agriculture.
Un des enjeux cruciaux pour l'agriculture moderne est en effet de parvenir à développer une assurance propre à ce secteur qui soit économiquement viable.
Dans un contexte d'essor de l'assurance récolte face à une augmentation des risques, les articles 18 et 19 du projet de loi visent à permettre une réorientation du Fonds national de garantie des calamités agricoles vers un nouveau partage des responsabilités entre les exploitants agricoles, les entreprises d'assurance et l'Etat.
Il s'agit de répondre aux spécificités de l'assurance récolte. Le risque de survenance des aléas est si élevé que le niveau des primes et cotisations d'assurance s'avérerait dissuasif pour une partie des exploitants, déjà confrontés à un niveau élevé de charges, en l'absence soit d'une incitation par l'Etat en phase initiale de développement de l'assurance agricole, soit d'une aide de la collectivité nationale en cas de calamité agricole.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Traditionnellement, l'assurance agricole est développée presque exclusivement contre les risques liés à la grêle et à la tempête - ainsi qu'au gel pour les exploitations viticoles - alors que les autres risques, sécheresse, inondation, échaudage, vents de sable, relèvent des calamités agricoles et la solidarité nationale lorsqu'ils ne sont pas pris en charge par les exploitants eux-mêmes.
L'indemnisation des dommages causés par les aléas climatiques aux exploitations agricoles est estimée à un coût annuel moyen de 401 millions d'euros, répartis entre les exploitants, à hauteur de 309 millions d'euros - c'est-à-dire les trois quarts -, et l'Etat, à hauteur de 92 millions d'euros. Les contrats d'assurance récolte couvrent environ 300 000 exploitations.
Dans ce contexte, la prise en charge par le Fonds national de garantie des calamités agricoles d'une partie des primes et cotisations d'assurance proposée par ce projet de loi répond à une réorientation du fonds dans le cadre de l'essor d'une nouvelle assurance multirisques climatiques. Cette prise en charge est apportée par l'Etat en contrepartie d'une extension des risques couverts.
L'article 18 du présent projet de loi crée le cadre nécessaire à cette évolution en modifiant les missions du Fonds national de garantie des calamités agricoles.
L'article 19 tend, quant à lui, à requalifier la Commission nationale des calamités agricoles en « Comité national de l'assurance en agriculture », conformément à la réorientation de l'activité du Fonds national de garantie des calamités agricoles vers l'encouragement à l'essor de l'assurance agricole.
Enfin, l'article 20 modifie les conditions d'utilisation de la déduction pour aléas, outil fiscal de gestion des risques en agriculture, de façon à la rendre plus attractive et à développer son utilisation, encore très en deçà des espérances initiales.
Sur le plan environnemental, le projet de loi d'orientation agricole, qui est un texte riche, tend à répondre aux préoccupations exprimées par la société française en encourageant des démarches écologiques : c'est son troisième objectif majeur.
Ainsi, l'article 12 contient deux mesures visant à supprimer des contraintes pesant sur deux produits de l'exploitation agricole et forestière à usage énergétique : les huiles végétales pures, qui ont été évoquées par M. le rapporteur et sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir au cours des prochains jours,...
M. Gérard César, rapporteur. Tout à fait !
M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. ...et le bois de chauffage.
Le projet de loi rappelle également les objectifs fixés par le Gouvernement en matière de production de biocarburants et d'encouragement à cette production.
En outre, l'article 24 introduit un avantage fiscal sous forme de crédit d'impôt pour les entreprises ayant achevé leur conversion à l'agriculture biologique afin de favoriser le maintien de l'activité de celles qui auront fait l'objet d'une certification en agriculture biologique.
En effet, si la France se situe dans la moyenne européenne pour les aides à la conversion, elle n'accorde en revanche, contrairement à tous les grands pays agricoles européens, aucune aide au maintien des pratiques répondant aux critères de l'agriculture biologique, aide qui devrait prendre le relais des aides à la conversion.
La commission des finances a émis un avis globalement favorable sur ce texte, bien qu'elle ait déposé quelques amendements qui, je l'espère, recueilleront l'approbation du Sénat. Enfin, je me réjouis pour conclure, monsieur le rapporteur, de l'excellente collaboration qui a régné entre la commission des affaires économiques et la commission des finances. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;
Groupe socialiste, 67 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » (Ah ! sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Ce vers de La Fontaine pourrait fort bien s'appliquer, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aux exploitations agricoles, victimes des crises à répétition, des monopoles de la grande distribution, de la PAC et de l'OMC.
Bien plus qu'une loi d'orientation agricole, ce texte « met le turbo » pour en finir avec tout ce qui a permis à des générations d'agriculteurs d'exister, de vivre ou de survivre parfois, de conquérir leur indépendance foncière, humaine et sociale depuis la Seconde Guerre mondiale. En témoigne ce titre d'Ouest-France du 19 octobre dernier : « Douze jours pour façonner une agriculture libéralisée » et, toujours dans le même article : « Les états d'âme à droite qui s'étaient manifestés lors de la discussion ont été remisés aux vestiaires... »
Le texte donne le coup de grâce à ces centaines de milliers d'agriculteurs et à leurs familles, qui, aux yeux du Gouvernement et de ceux qui le soutiennent, n'ont plus lieu d'exister. La théorie selon laquelle « moins nombreux nous vivrons mieux » n'a pourtant jamais fait ses preuves en France, où, malgré la réduction des effectifs agricoles - de 3 847 000 en 1979 à 1 189 000 en 2003 -, 60 % des ménages ne paient pas l'impôt sur le revenu !
Le texte donne également le coup de grâce à la multifonctionnalité de l'agriculture préconisée par la précédente loi d'orientation agricole de 1999. Après avoir supprimé les CTE et la modulation, il laisse libre champ à l'injuste répartition des aides et conforte le principe selon lequel 80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs. De surcroît, il ouvre de nombreuses portes à l'entrée de capitaux extérieurs à l'agriculture qui échappent au pouvoir des agriculteurs.
D'une part, le texte s'inscrit totalement dans la logique de l'OMC, qui préconise des prix agricoles mondiaux extrêmement bas ne permettant pas aux agriculteurs français de survivre. Il laisse penser qu'en augmentant la compétitivité et la productivité il serait possible de se rapprocher de cette aberration économique qu'est le prix mondial.
D'autre part, le texte s'inscrit dans la baisse des prix agricoles, la réduction et la renationalisation des aides. Le 29 mai dernier, 70 % des agriculteurs ont su dire « non » à ces orientations confirmées et amplifiées par la loi d'orientation agricole que nous nous apprêtons à examiner.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Gérard Le Cam. L'amnésie et la cécité des promoteurs de ce texte pourraient conduire à de nouvelles déceptions, mais la ligne de conduite du Gouvernement n'est-elle pas de dire : « Libéralisons, libéralisons, il en restera toujours quelque chose ! »
Venons-en à l'analyse des principales dispositions de ce texte, où le plat de résistance est servi dès l'entrée alors que les amuse-gueules viennent clore le menu !
En 1999 déjà, la majorité de droite du Sénat s'était acharnée à modifier les titres des chapitres et articles de la loi Glavany, en y introduisant systématiquement les mots « entreprise » ou « entrepreneur ». La droite a au moins un mérite, celui d'avoir de la suite dans les idées, même quand elles ne sont pas bonnes ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
L'entreprise agricole et ses nouvelles formes sociétaires permettant à des non-agriculteurs d'entreprendre est un pas de plus vers la privatisation capitalistique de l'agriculture.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Gérard Le Cam. Le dispositif de création d'un fonds agricole comparable au fonds de commerce ou artisanal intègre le foncier, le cheptel et le matériel, ce qui est normal, mais se voit grossi par des éléments incorporels tels que les quotas laitiers, les quotas de tabac, de carbone peut-être, les DPU, les marques de producteurs, les accords commerciaux.
Permettez-moi quelques remarques à ce sujet.
Premièrement, le volume financier exorbitant de ces fonds va rendre de moins en moins transmissibles les exploitations agricoles.
Deuxièmement, les éléments incorporels ne vont profiter qu'à une seule génération d'agriculteurs, appât de circonstance pour trouver grâce auprès du monde agricole.
Troisièmement, ces éléments incorporels n'ont pas été achetés par les agriculteurs, ils leur ont été accordés et ne peuvent donc être vendus. Ils sont donc inconstitutionnels au sens de l'égalité de traitement des citoyens.
Quatrièmement, ces fonds ne peuvent être amortissables sur le plan comptable ; ils pénalisent donc les futures générations, à savoir nos enfants et nos petits-enfants.
Cinquièmement, le nantissement du fonds agricole, présenté comme une garantie, risque a contrario d'accroître la dépendance des futurs acquéreurs vis-à-vis des organismes bancaires.
Sixièmement, ce fonds, censé organiser la transparence, régularise de fait les multiples pratiques frauduleuses qui intégraient déjà dans le cadre des transmissions certaines valeurs incorporelles légalement non commercialisables. Il légalise donc la fraude existante, ce qui est peu flatteur dans un texte de loi !
Le fonds agricole optionnel est une fausse bonne idée, monsieur le ministre. Opportunité d'aujourd'hui, handicap de demain et vecteur d'une financiarisation forcenée, nous le combattrons au cours du débat.
La deuxième grande idée de ce texte est le bail rural cessible hors du cadre familial. Cette mesure nous prépare à un débat succulent au sein de cette assemblée, où votre majorité va exiger toujours plus de garanties et de droits pour le bailleur, malgré les larges compensations fiscales et financières que leur accorde le texte. Cela s'appelle « le beurre et l'argent du beurre » !
Il est vrai que ce nouveau type de bail comporte de multiples inconvénients.
Premièrement, il remet en cause le statut du fermage, qui, jusqu'à présent, n'autorisait de transmettre le bail sans autorisation qu'au conjoint ou aux descendants.
Mme Hélène Luc. Cela, c'est très important !
M. Gérard Le Cam. Deuxièmement, ce type de bail s'attaque encore au statut du fermage en permettant au bailleur le non-renouvellement sans motif.
Troisièmement, il engage pour dix-huit au lieu de neuf ans, et fait flamber le loyer des terres jusqu'à 50 % de majoration.
Quatrièmement, il interdit au bailleur, sauf paiement d'une indemnité, de conserver toute maîtrise de l'avenir et du choix de ses locataires, y compris sur ses propres descendants.
Cinquièmement, il supprime le droit de préemption des SAFER.
Enfin, sixièmement, il va créer de sérieuses difficultés aux collectivités locales en matière d'acquisition et de prix pour leur développement. Ainsi, monsieur le ministre, comment pourra-t-on acheter ou exproprier des terrains faisant à la fois partie d'un fonds agricole et d'un bail cessible ? La question mérite d'être posée.
L'article 2 bis, qui autorise la participation de personnes morales aux sociétés agricoles bénéficiant de mises à disposition de biens loués, conforte notre analyse du texte. En effet, l'apport en capitaux de non-exploitants ouvre des brèches insoupçonnables quant à la maîtrise des orientations de demain et à la prise de participation de puissances financières hostiles à notre agriculture.
L'article 5 atténue le contrôle des structures de la CDOA, tout particulièrement celui des agrandissements. Il va dans le sens du libéralisme et supprime les derniers freins à la concentration en relevant les seuils de contrôle et en soustrayant du champ de l'autorisation préalable la diminution du nombre d'associés - les prises de participation au capital d'une exploitation - le contrôle des élevages hors sol et l'action régulatrice des SAFER.
Quant à l'article 6, nous proposerons de le supprimer dans la mesure où il fait porter tous les risques financiers à l'agriculteur cédant dans le cadre du crédit-transmission.
Le chapitre II a trait à l'amélioration de la protection sociale et des conditions de travail des personnes. Si les mesures d'accès au statut de conjoint collaborateur vont dans le bon sens, elles doivent être rendues obligatoires. Quant au crédit d'impôt relatif au remplacement pour congé de l'exploitant, il risque de se heurter à un déficit de main-d'oeuvre et à une précarisation de celle-ci, dans la mesure où il nécessiterait 16 000 emplois pour seulement 3 900 équivalents temps plein.
La multiplication des exonérations de charges sociales au sein de ce chapitre ne va pas dans le sens que nous préconisons et les contributions sociales des entreprises sont nécessaires au bon fonctionnement de notre modèle social, mis à mal ces dernières années. Réduire le code du travail à une peau de chagrin d'un côté et faire des cadeaux au patronat de l'autre ne relève pas d'une politique responsable.
Le titre II prétend consolider le revenu agricole et favoriser l'emploi. Pourtant, parler de revenu agricole sans évoquer la question centrale des prix agricoles relève d'un tour de passe-passe dont le Gouvernement a le secret ! Certes, la biomasse et les biocarburants peuvent être des sources de revenu non négligeables, mais la frilosité du Gouvernement en matière de défiscalisation est évocatrice du devenir de ces filières : demain, comme pour d'autres productions, ce seront l'Etat et ses taxes, les usines de transformation des matières premières, les exploitations industrielles et l'« agrobusiness » qui se « sucreront » aux dépens des producteurs ordinaires.
Quant à la participation de l'ONF dans des sociétés privées, à savoir les industries de transformation du bois, c'est le début de sa privatisation par effet inversé : le jour où elle possédera un pourcentage suffisant de capitaux dans le secteur privé, elle n'aura plus lieu de demeurer dans le giron public.
L'organisation de l'offre constitue le second volet d'une politique agricole destinée, selon le texte, à consolider le revenu. Ce volet de la loi n'est pas le moins libéral, loin s'en faut ! Sous des aspects techniques et organisationnels, il instille partout les germes d'une agriculture calquée sur le monde industriel.
Aujourd'hui, environ 50 % des producteurs ont choisi de ne pas commercialiser leurs produits par l'intermédiaire des organisations de producteurs. Cette liberté de choix est mise en cause par le mécanisme de la loi, qui privilégie les organisations de producteurs - OP - et le transfert de propriété des produits agricoles. Il s'agit, en fait, de généraliser l'intégration, de faire des agriculteurs les futurs salariés des organisations de producteurs. Nous en avons déjà constaté les dégâts dans le département des Côtes d'Armor, en Bretagne, pour la filière avicole, qui était la plus intégrée.
Dire que le regroupement de l'offre permettra de faire face aux centrales d'achat, c'est tromper le monde agricole. Les centrales achètent où elles veulent, quand elles veulent et au prix qu'elles ont décrété !
Tant que des mesures nationales et communautaires coercitives ou incitatives ne seront pas prises à l'égard des centrales d'achat, il sera vain de parler d'une véritable politique de revenus rémunérateurs pour les producteurs. Ni la loi relative aux nouvelles régulations économiques, ni la loi relative au développement des territoires ruraux, ni le coefficient multiplicateur ne sont parvenus à établir des relations équilibrées entre producteurs et centrales d'achat.
Le troisième et dernier volet de la politique des revenus a trait aux aléas climatiques et à l'assurance récolte. Les mesures préconisées encouragent le recours aux assurances privées, au détriment de mesures de solidarité nationale et de renforcement du Fonds national de garantie des calamités agricoles, le FNGCA.
En ce qui concerne la coopération agricole, le texte tue définitivement l'esprit coopératif en introduisant les parts sociales à avantage particulier pour les coopérateurs les plus argentés et en permettant aux associés non coopérateurs porteurs de capitaux de percevoir des dividendes, à l'image de ce qui se passe dans n'importe quelle société privée.
Le titre III de la loi tente de « répondre aux attentes des citoyens et des consommateurs ». Le Gouvernement se donne ainsi bonne conscience en confiant l'évaluation du risque lié aux intrants agricoles à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA. Il privatise au passage les contrôles de véhicules transportant des denrées alimentaires en habilitant des agents, via un GIE, à assurer ces contrôles en lieu et place des agents des directions des services vétérinaires, les DSV. Il adapte le régime de signes de qualité à la réglementation communautaire,... le tout par ordonnance, s'il vous plaît !
Enfin, de modestes gages sont jetés en pâture à l'agriculteur biologique, qui se voit attribuer un crédit d'impôt de 2005 à 2007 et la possibilité de conclure un bail environnemental.
Le titre IV a pour objet de simplifier et moderniser l'encadrement de l'agriculture.
La coordination des organismes d'enseignement, de formation, de recherche et de développement agricole, sans doute nécessaire, aboutira-t-elle à la pensée unique du modèle agricole français, voulue par cette loi ?
Le dispositif génétique doit passer sous les fourches caudines du service universel, ce qui veut dire, en français, qu'il est livré à la concurrence du secteur privé !
Enfin, les offices agricoles sont restructurés en un organisme de paiement, l'Agence unique de paiement, qui est concernée par les aides du premier pilier, tandis que le Centre national pour l'aménagement des grandes cultures, CNASEA, sera chargé des aides du second pilier.
Bien que très technique, l'article 29 signe le début de la fin des offices, de leurs fonctionnaires et personnels à statut public. Un signe qui ne trompe pas : l'Agence unique des paiements, l'AUP, pourra employer des personnels sous contrat à durée indéterminée.
Je laisse le soin à notre collègue Gélita Hoarau de traiter des questions spécifiques liées à l'outre-mer, domaine qu'elle connaît beaucoup mieux que moi et qu'elle aura à coeur de défendre dans quelques instants.
Monsieur le ministre, notre groupe estime que votre texte est contraire à l'idée que nous nous faisons d'une agriculture moderne du XXIe siècle.
Nous ne sommes ni des passéistes, ni des archaïques, ni des nostalgiques.
M. Jacques Blanc. Un peu quand même !
M. Gérard Le Cam. La modernité, pour nous, c'est placer l'homme au coeur des défis de notre société et non faire de lui une variable d'ajustement de la rentabilité des capitaux investis, comme le confirment vos orientations libérales et ultralibérales.
Par conséquent, nous combattrons ce projet de loi en sollicitant de nombreuses suppressions d'articles. Mais, parce que nous avons une vision de l'agriculture dont notre pays et notre ruralité ont besoin, nous proposerons aussi un certain nombre d'amendements constructifs.
Dans les dix ans à venir, l'agriculture française ira tout droit, avec cette future loi, vers une diminution spectaculaire du nombre de ses exploitations, qui va être divisé par deux ou trois.
Le modèle agricole dont la France a besoin devrait s'articuler autour d'objectifs clairement définis, qui sont les suivants.
Assurer l'indépendance alimentaire du pays à partir de structures multifonctionnelles, de taille différente, aux productions variées, au sein desquelles exploitants et salariés sont le plus nombreux possible, avec des revenus réguliers et rémunérateurs.
Donner les moyens aux jeunes, diplômés ou non, d'accéder au métier d'agriculteur, en revalorisant la dotation aux jeunes agriculteurs, la DJA, en l'accordant à tous et en assurant les compléments de formation nécessaires tout au long de la carrière.
Favoriser l'accès au sein des exploitations en développant et en modernisant les GAEC et l'achat de parts sociales.
Encourager l'agriculture familiale et multifamiliale.
Accorder les droits à produire au prorata des emplois existants sur l'exploitation et interdire leur commercialisation.
Répartir les aides différemment, en tenant compte des emplois existants et des différences de capacité productive des régions.
Adapter les cotisations sociales au revenu agricole.
Elever de manière significative le montant des retraites agricoles, en mettant à contribution les superprofits de la grande distribution et de l'« agrobusiness ».
Diversifier les modes de commercialisation, en favorisant la vente directe ou collective, les sociétés coopératives d'intérêt collectif, les sociétés coopératives de production, en interdisant la vente à perte, et en contraignant, par la loi, à pratiquer des prix rémunérateurs.
Etablir des coopérations mutuellement avantageuses avec les pays du Sud.
Repenser la PAC et sortir l'agriculture des négociations de l'OMC.
Rassembler agriculteurs, consommateurs et distributeurs autour d'objectifs solidaires tenant à la qualité sanitaire et environnementale, au prix et à la coopération.
Recréer le lien affectif entre agriculteurs et non-agriculteurs au moyen de la reconnaissance du travail et du rôle de chacun.
Conforter le rôle culturel, social et économique de l'agriculture en milieu rural et périurbain.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Oui, ces propositions non exhaustives sont aux antipodes du projet de loi qui nous est soumis ! Elles permettraient pourtant de réorienter l'agriculture dans un sens humain et moderne.
Au moment où le ciel s'assombrit puisque la PAC réduit ses soutiens internes et ses subventions aux exportations de l'Europe, baisse son pantalon devant l'OMC en proposant une baisse des tarifs douaniers de 35 % à 60 % selon les produits, et alors que la plupart des productions sont en crise, nous n'avons pas besoin d'une loi qui amplifie les causes de la situation actuelle !
« Nous sommes en guerre. Une guerre sans trêve pour conquérir le marché intérieur et le marché extérieur... », affirme le ministre brésilien de l'agriculture. Oui, le veto du Président de la République était nécessaire à Hong Kong, mais il n'était pas suffisant. Oui, critiquer le comportement du commissaire européen Peter Mandelson, qui brade l'agriculture française, c'est nécessaire, mais ce n'est pas suffisant. Il faudra, demain, réformer la PAC, l'OMC, et, de nouveau, la politique agricole française si nous voulons construire un monde meilleur pour les hommes et non pour le capital. Là est toute la contradiction de la majorité gouvernementale, qui soutient un texte moulé sur mesure pour répondre aux objectifs de la PAC et de l'OMC. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
M. Daniel Soulage. Monsieur le ministre, voilà près d'un an, votre prédécesseur, Hervé Gaymard, a lancé, sous l'autorité du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, une large concertation en vue d'élaborer un projet de loi destiné à accompagner et à aider les agriculteurs, en organisant leur activité au cours des quinze à vingt prochaines années. Son objectif, que nous connaissons tous, était d'adapter notre agriculture à la nouvelle politique agricole commune.
La France est certainement plus attachée à son agriculture que tous les autres pays européens, en tout cas plus que ne l'est la Grande-Bretagne ! Nous n'avons heureusement pas suivi son exemple : nous n'avons pas tourné le dos à notre agriculture dès le xixe siècle. Bien au contraire !
En France, l'agriculture assure l'entretien des deux tiers de la surface de l'Hexagone et participe activement à l'aménagement de notre territoire. Elle emploie 1 million de personnes, voire 1,5 million si l'on compte les personnes travaillant dans l'industrie agroalimentaire. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, avec le concours de cette dernière, ce secteur a apporté, en 2004, à la France un excédent commercial de 8 milliards d'euros.
L'agriculture nous permet également d'assurer une production de qualité et de préserver notre environnement. Et c'est justement pour la préservation de notre environnement que nous nous battons - parfois contre nos collègues européens -, en vue des prochaines négociations de l'OMC à Hong Kong.
Ces négociations dépassent largement le cadre de l'agriculture, mais je sais que vous avez à coeur, monsieur le ministre, de défendre avec toute votre énergie les intérêts de cette dernière. De plus, les concessions qui seront finalement acceptées devront être réciproques, notamment de la part des Etats-Unis en matière de soutien interne.
Mais nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le projet de loi d'orientation agricole. A ce sujet, permettez-moi de formuler deux remarques préliminaires, qui concernent plus la forme que le fond.
Tout d'abord, j'éprouve un regret. En effet, en tant que parlementaires, nous sommes appelés, députés et sénateurs, à nous prononcer sur ce texte en un mois à peine. En effet, le Gouvernement a eu recours à la procédure d'urgence, alors que ce texte a vocation à devenir la référence, pour les vingt prochaines années, de toute une profession.
M. André Lejeune. Tout à fait !
M. Daniel Soulage. Je connais, monsieur le ministre, les raisons de cette décision : la France devra être en accord avec les nouvelles règles de la PAC avant la date fatidique du 1er janvier 2006.
Cependant, en tant que parlementaire et agriculteur, je regrette, à ce double titre, que vous ayez utilisé une telle procédure, qui ne nous permet pas d'examiner dans des conditions normales un texte attendu et réclamé depuis des années par toute la profession.
M. André Lejeune. C'est vrai !
M. Daniel Soulage. Par ailleurs, monsieur le ministre, les parlementaires de l'UC-UDF sont opposés, vous le savez, au recours aux ordonnances. Il n'était pas bon qu'un projet de loi d'orientation agricole comprenne onze articles visant à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances ! Mais saluons la force de persuasion de nos collègues députés : grâce à votre total accord, ils ont ramené ce nombre à cinq articles. De plus, dans votre exposé liminaire, vous nous avez rassurés, monsieur le ministre, et nous vous en savons gré.
M. Daniel Soulage. Sur le fond, j'aborderai plusieurs points successifs.
J'évoquerai tout d'abord la mesure qui sert de fondement à ce projet de loi, à savoir le Fonds agricole, puis la cessibilité du bail.
Monsieur le ministre, cette mesure emblématique de votre projet de loi a été largement remodelée par l'Assemblée nationale puisqu'elle ne revêt plus un caractère obligatoire. Elle représente en tout cas une avancée dans la mesure où elle tend à concevoir l'entreprise agricole comme n'importe quelle entreprise à transmettre, comme le veut l'évolution de notre société.
Personnellement, j'ai toujours été favorable à une telle mesure, mais peut-être franchissons-nous le pas un peu tard ! En effet, en interrogeant divers responsables du secteur agricole, je n'ai pas eu le sentiment que la création de ce fonds changerait radicalement la situation, de telles sociétés s'étant très largement développées ces dernières années dans le monde agricole. Quoi qu'il en soit, cette mesure demeure utile.
M. le rapporteur suggère d'alléger les formalités liées à la déclaration du fonds, qui ont été rendues optionnelles par les députés. Partisan d'une rationalisation et d'une simplification des démarches administratives, je souscris tout à fait à cette proposition.
De même, concernant la cessibilité du bail, le groupe de l'UC-UDF est tout à fait favorable à l'idée de revenir à un bail réellement cessible. Toutefois, comme l'a indiqué M. le rapporteur, contracter un bail cessible est optionnel, et les propriétaires n'y seront nullement contraints.
M. Gérard César, rapporteur. Il faut le rappeler !
M. Daniel Soulage. Il est donc normal que, en contrepartie, les loyers soient plus importants. Afin de donner un élan supplémentaire à ce type de bail, notre groupe propose que les avantages octroyés aux propriétaires bailleurs soient complétés par une augmentation de 10 % du taux de l'abattement forfaitaire sur les revenus fonciers, ce qui porterait ce dernier à 25 %.
J'en viens maintenant au développement des biocarburants.
Nous nous félicitons des récentes annonces du Premier ministre en la matière ainsi que de l'insertion dans le projet de loi d'un volet les concernant.
Notre groupe, notamment par la voix de Marcel Deneux, a toujours affirmé sa volonté d'assurer à l'agriculture de nouveaux débouchés qui participent à la sauvegarde de notre environnement.
C'est pourquoi nous nous félicitons que ce projet de loi contienne enfin des dispositions précises, avec des objectifs quantitatifs chiffrés : la consommation des biocarburants devra obligatoirement représenter 5,75 % du total des carburants à la fin de l'année 2008, 7 % à la fin de l'année 2010 et 10 % à la fin de l'année 2015.
Cependant, il nous faut être vigilants et prévoir dès maintenant de manière plus précise le développement de cette filière. En effet, il serait pour le moins paradoxal que, dans quelques années, nous soyons obligés d'importer des biocarburants de pays tels que le Brésil parce que nous n'aurions pas - Gouvernement ou agriculteurs - suffisamment précisé les besoins et les potentialités du marché.
Pour ce qui concerne l'éthanol et le diester, il faut donc dès aujourd'hui afficher des objectifs ; il est nécessaire de décliner ces biocarburants par quantités et, si possible, par surfaces.
Par ailleurs, vous devez bien sûr, monsieur le ministre, conduire une politique industrielle ambitieuse.
S'agissant de la production des huiles végétales pures, notre groupe est également tout à fait favorable au développement de ce carburant agricole, dont il convient de préciser l'utilisation et les perspectives de développement. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé une série d'amendements à l'article 12 du projet de loi.
A cet égard, la discussion à l'Assemblée nationale a été très riche et intéressante. Nous proposons une solution intermédiaire entre une ouverture à la vente à tout un chacun et une autoconsommation qui se ferait uniquement sur le lieu de production de l'huile. Selon nous, ce n'est que collectivement que nous pourrons obtenir des huiles végétales pures susceptibles de répondre à des normes qui restent encore à définir.
De même, ce n'est que collectivement que les coproduits résultant de la production d'huile pourront être correctement réutilisés et gérés.
Je traiterai maintenant plusieurs points du projet de loi qui touchent plus particulièrement la filière des fruits et légumes : vous le savez, monsieur le ministre, c'est un secteur qui est cher au coeur du Lot-et-Garonnais que je suis ! (M. le ministre acquiesce.)
Pour mémoire, je me permets de vous rappeler que ce secteur représente 12,6 % de la valeur de la production agricole nationale, concerne environ 34 000 exploitations spécialisées, emploie près de 650 000 actifs et fait de notre pays le troisième producteur de fruits et légumes de l'Union européenne, derrière l'Italie et l'Espagne.
Le Sud-Ouest, comme de nombreuses autres régions - je pense notamment à la Provence, si chère à notre collègue et ami André Vallet -, a connu une année difficile. D'ailleurs, vous le savez, monsieur le ministre, puisque vous venez de présenter un plan de soutien à cette filière, dont les mesures sont certes intéressantes mais ne règleront malheureusement pas, à long terme, les problèmes.
Les producteurs de fruits et légumes attendaient - peut-être plus encore que tous les autres agriculteurs - ce projet de loi. L'étude comparée au niveau européen de l'impact de la concurrence sur l'emploi dans le secteur agricole, mission que Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait confiée à Jacques Le Guen, a montré combien le coût du travail, qui représente 50 % à 70 % du prix d'un produit, pèse sur la compétitivité de nos entreprises, notamment au niveau de la Communauté européenne.
Il est incontestable que des distorsions de concurrence existent : l'Allemagne réussit à produire à un coût horaire saisonnier de 6,15 euros, contre 8,52 euros pour la France. Et que dire des écarts avec les pays entrants et les pays tiers !
Depuis l'examen de la loi relative au développement des territoires ruraux, au cours duquel je vous avais déjà alerté sur le sujet, monsieur le ministre, vous avez réalisé de nombreuses avancées. Au vu des conclusions de son rapport, M. Le Guen a notamment proposé, lors de la discussion du présent projet de loi, des amendements qui ont été acceptés par l'Assemblée nationale. Ces dispositions vont dans le sens que réclame la profession, mais elles sont malheureusement insuffisantes.
Aujourd'hui, pour redonner espoir à nos producteurs, nous devons leur envoyer un signal très fort, en matière de charges sociales notamment. Il n'est plus supportable que seul le travail soit systématiquement taxé !
Par ailleurs, concernant le volet du projet de loi relatif à la gestion du marché, le groupe de l'UC-UDF est bien entendu très favorable aux dispositions qui tendent à prévoir une plus grande organisation économique. La loi de la jungle ne peut prévaloir, alors que l'ouverture de plus en plus grande du marché mondial révèle nos faiblesses.
Le secteur des fruits et légumes ne fait pas exception, notamment parce qu'il est très morcelé en amont et très concentré en aval. Une plus grande organisation ne peut que concourir à instaurer un plus grand équilibre dans les relations entre la production et la distribution, et surtout entre la production et la grande distribution.
L'article 14 du projet de loi concerne les organisations de producteurs et le transfert de propriété des produits à commercialiser. Il s'agit sûrement d'une démarche souhaitable pour organiser et gérer l'offre. Cependant, toutes les organisations de producteurs ne sont pas prêtes à accepter ce changement. Dans certains cas, il est vrai qu'il n'est pas facile de le mettre en oeuvre, soit parce que les critères retenus pour constituer des organisations de producteurs ne correspondent pas à une situation française, soit parce qu'ils sont inadaptés à la réalité locale, le circuit de commercialisation étant très court puisque les produits sont consommés dans la zone de production.
Par ailleurs, l'OCM fruits et légumes étant en voie d'être réformée, les organisations de producteurs manquent de visibilité quant à son devenir et aux prochains règlements qui lui seront appliqués. De nombreux producteurs de fruits et légumes ont exprimé le désir de s'en tenir à la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale. Peut-être serait-il souhaitable d'adopter cette attitude, en attendant que la réforme de l'OCM soit achevée ? Monsieur le ministre, je serais heureux de vous entendre sur ce point.
Grâce à la loi relative au développement des territoires ruraux, la filière des fruits et légumes dispose désormais de différents outils, dont le coefficient multiplicateur, que nous avons beaucoup évoqué et qui, pour limiter la portée économique des crises, est actuellement utilisé comme arme de dissuasion. Mais je sais que vous étudiez actuellement les moyens d'application les plus adaptés et je vous en remercie vivement, car ce sera utile pour gérer les crises que nous connaissons régulièrement.
Je souhaite maintenant attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le problème des contrôles, qui sont souvent très difficiles à mettre en oeuvre : nous avons tous en mémoire le récent drame qui est survenu récemment dans le Sud-Ouest, dans la circonscription de notre ami Dominique Mortemousque.
Dans l'intérêt général, il serait nécessaire et urgent d'harmoniser l'interprétation des textes régissant les modalités des contrôles exercés sur les organisations de producteurs par les cinq corps qui y sont habilités. En effet, il est fréquent qu'une même propriété ou qu'un même groupement soient contrôlés plusieurs fois la même année sans que les conclusions convergent. Cela conduit à bloquer certaines situations.
Au cours de la discussion, lors de l'examen des articles, nous aborderons également certains problèmes que rencontrent les groupements, notamment la question des charges sociales et celle de la déduction pour aléas.
Le dernier point de mon propos portera sur l'assurance récolte, outil que nous défendons avec quelques collègues depuis de nombreuses années et qui est indispensable pour les agriculteurs. Nous l'avons réclamée pendant longtemps, et elle a été inscrite pour la première fois l'an dernier dans le projet de loi de finances pour 2005. Je suis très heureux de saluer cette avancée, mais je souhaite vivement que, désormais, cette assurance se développe.
A cet égard, l'engagement qu'a pris le Président de la République il y a un peu plus d'un an, à Murat, m'a fait très plaisir : « A l'échelon national, nous allons également engager un programme ambitieux de développement des assurances. Bénéficiant du soutien de fonds publics, ce programme sera géré en concertation avec les professionnels dans le cadre d'une agence spécialisée. »
Voilà quelques semaines, à Rennes, le Premier ministre s'est prononcé lui aussi en faveur de cette assurance. Plus, il a demandé que soit étudiée la faisabilité d'une assurance revenu. Je me réjouis que cet objectif soit aujourd'hui clairement énoncé.
Quel est le bilan du dispositif - encore partiel - mis en place l'année dernière ? Grâce à vos efforts et aux aides de l'Etat, vous avez réussi, avec le concours des assureurs et de la profession, à ce que les agriculteurs souscrivent de très nombreux contrats : 65 000 dans 600 000 exploitations, soit, en tenant compte des exploitations professionnelles, 20 % de l'ensemble. Soyez en remercié et félicité.
Cependant, je me permets d'attirer votre attention sur un point primordial, à savoir le financement de ce dispositif.
Pour que son développement puisse se poursuivre, il faut impérativement que les agriculteurs aient confiance en la participation de l'Etat et soient assurés que le taux de subvention prévu sera durablement respecté. A cet égard, je m'inquiète de constater que, dès la première année - et malgré le succès des assurances -, les financements auraient été réduits. L'enveloppe des crédits serait ainsi passée de 20 millions à 18 millions d'euros, et le taux de financement aurait été réduit de 35 % à 30 %. Je souhaite vivement être démenti par vous-même, monsieur le ministre, car, si ces informations étaient avérées, le développement de l'assurance récolte serait alors largement compromis.
L'assurance récolte, voire l'assurance chiffre d'affaires ou l'assurance revenu, sont des mesures très utiles, voire indispensables dans le contexte actuel. Elles ne peuvent exister et se développer que grâce à une participation importante de l'Etat. Je rappelle que nos voisins espagnols y consacrent 230 millions d'euros par an, et les Américains 4 milliards de dollars auxquels il faut ajouter les enveloppes votées tous les deux ans par le Congrès, qui ont pour conséquence, m'a-t-on dit, de doubler cette enveloppe. (M. le ministre le confirme.) C'est un réel problème, et l'on ne pourra développer ces assurances qu'en y mettant les moyens.
Le fonds national de garantie des calamités agricoles doit absolument être maintenu, même s'il lui faut certainement évoluer. Ayant déposé un amendement sur la réassurance, je reviendrai d'ailleurs sur ce point à l'occasion de la discussion des articles.
Je n'ai pas évoqué la question des retraites agricoles, même si, depuis que je suis parlementaire, je l'ai abordée à chacune de mes interventions. Toutefois, aujourd'hui, c'est mon collègue et voisin Dominique Mortemousque qui s'en chargera.
Monsieur le ministre, les sénateurs de l'UC-UDF se sont fortement investis sur ce texte et feront de nombreuses propositions tendant à l'améliorer. J'espère que vous saurez les écouter !
Je souhaite enfin, au nom de mon groupe, féliciter de leur excellent travail notre rapporteur, Gérard César, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des finances, Joël Bourdin. J'associerai à ces remerciements les collaborateurs de ces deux commissions, qui ont été mis à rude épreuve. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi d'orientation agricole contient, comme tout projet, des éléments positifs, mais également d'autres éléments plus inquiétants, qui feront l'objet de ma part d'un certain nombre de questions.
Un tel texte a vocation à nous projeter vers les dix à quinze ans à venir. Il nous faut ainsi identifier les objectifs, s'agissant, par exemple, du nombre d'agriculteurs au terme de la période considérée : ils sont à ce jour entre 800 000 et 900 000 ; combien seront-ils dans dix ans : 300 000 ou 200 000 ? Voulons-nous une agriculture extensive à l'anglaise, ou une agriculture qui participe aux mutations de la PAC , qui les accompagne et, parfois, les devance ?
Dans cette recherche, je n'oublie pas la nécessaire et fondamentale projection économique, celle qui nous permettra de retrouver et d'identifier une agriculture compétitive, capable de rivaliser avec tous les acteurs de ce marché mondial.
Le présent texte apporte de nombreuses réponses à ces interrogations, et rapprocher l'agriculture d'un mode de gestion proche de celui de l'entreprise n'a rien d'aberrant, à la condition que, au-delà de sa mission économique, elle conserve une mission environnementale et sociale en lien avec les mutations de nos sociétés. Cela justifie d'ailleurs qu'elle bénéficie d'un statut fiscal et juridique privilégié par rapport, notamment, au monde du commerce.
Si le statut que vous nous proposez facilite un certain nombre d'installations, il suscite aussi des inquiétudes en raison de nombreuses imprécisions : qui va gérer les futurs baux, que va-t-on retrouver dans la notion de fonds agricole ? De plus, il est prévu, pour certaines des dispositions de ce texte, de légiférer par ordonnances.
L'inquiétude vient aussi d'un possible basculement vers une agriculture très libérale, incontrôlée, qui laisserait le champ libre à l'argent roi. Qui régulera le foncier, les DPU et les baux cessibles ? Est-il bien opportun de bloquer, de verrouiller les bailleurs pour mieux maîtriser le foncier ? Je ne le crois pas.
N'y a-t-il pas d'autres formes plus innovantes à trouver dans la relation entre le bailleur et le preneur ? Ne serait-il pas opportun de définir un nouveau cadre juridique et fiscal pour l'entreprise agricole ?
Qu'en est-il réellement en France ? Qu'en est-il de l'agriculture sociétaire ou individuelle dans nos zones de montagne, de piémont, dans les zones plus difficiles où l'agriculteur - et pas seulement l'agriculture - se marie pleinement avec le monde rural, participe à la vie rurale et reste l'acteur principal de ce qui identifie notre France rurale, celle qui aménage en permanence, sans le savoir, notre territoire, celle qui, par sa présence, valorise les savoir-faire locaux qui se transmettent de génération en génération, celle qui reste toujours perfectionniste et qui lie souvent agroalimentaire et terroir, celle qui, au-delà des chiffres d'affaires, a toujours fait l'honneur et l'identité de la France, celle qui est capable d'accepter tous les sacrifices pour continuer à être présente dans nos territoires, celle qui reste toujours capable de nourrir les hommes pendant les plus grandes crises, celle qui, pour résister, se diversifie en plusieurs métiers, parfois en plusieurs vies, et qui est toujours fière d'être encore là, toujours présente ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Sans l'agriculture, la France ne serait certainement pas la France !
Monsieur le représentant du gouvernement de la France, que faites-vous de cette agriculture-là, celle qui régénère et réconcilie chaque dimanche les Français avec la ruralité parce qu'elle participe elle aussi à l'économie de notre pays ? Et comment évoquer le terme d'orientation agricole en ne mettant pas l'accent sur la multifonctionnalité et la pluriactivité ?
L'agriculture, ce sont avant tout des hommes et des femmes, et pas seulement des hectares, comme je l'ai entendu dire tout à l'heure.
Je salue à cet égard la reconnaissance du statut de conjoint concubin ou pacsé, qui nous avait d'ailleurs été refusée, je le rappelle, lors de l'examen de la loi relative au développement des territoires ruraux.
M. André Lejeune. Exactement !
M. Jean-Marc Pastor. Quel cadre de vie voulons-nous proposer à ces femmes et à ces hommes ? Quel lien rural vont-ils conserver ? Comment la formation au métier d'agriculteur est-elle abordée ? Quel encadrement - car il en faudra bien un - prévoir dans la démarche très libérale que vous nous proposez ? Nous n'échapperons pas à cette question ! Le métier est soumis à trop d'aléas pour ne pas prévoir des couvertures, des garanties et des protections.
Les pistes sont inexistantes. Or nous sommes prêts à retravailler cette question de l'encadrement, qui est la contrepartie indispensable à l'ouverture, et donc au risque de fragilisation de l'agriculteur.
Quelles sont les perspectives s'agissant de la fin de l'activité ? Les retraites agricoles demeurant trop basses par rapport au statut du cadre paysan que vous voulez ouvrir, que peuvent espérer les agriculteurs ? Très rapidement, nous risquons de trouver les limites d'une trop forte libéralisation dans le domaine de l'agriculture. Cette double ou multiple agriculture est une nécessité pour la France, mais votre texte interroge plus qu'il ne rassure.
Comment apporter de la solidarité dans ce métier ? Comment poursuivre l'accentuation de la mutualisation et la coopération, en dépit des souhaits qu'ont certains de regrouper au maximum l'offre, notamment par l'ouverture des parts sociales à des ressources financières ?
Le fonds agricole pourra-t-il constituer une réponse ? Il faudra certainement aller plus loin dans cette approche, non seulement pour pouvoir disposer d'une vision à dix ou quinze ans, mais encore, comme nous l'enseigne la sagesse chinoise, parce que s'il est nécessaire de faire de petites choses, il faut que ce soit en grand nombre, et la petite exploitation s'inscrit dans cette logique.
Les transformations sont importantes et rapides. Les agriculteurs de notre pays, qui sont de moins en moins nombreux, cherchent à ne pas perdre pied dans un Europe qui s'élargit à d'autres nations agricoles. Pourtant, ils entendent dire, notamment outre-Manche - et davantage encore depuis le 29 mai -, que, pour la tourner vers l'avenir, il faudrait réorienter l'agriculture vers d'autres horizons que la PAC, une PAC qui symboliserait le passé. L'épisode du sommet européen de la semaine dernière atteste l'importance de la crise européenne sur ce sujet !
J'ai un moment pensé que la posture idéologique des deux France, la France d'en haut et la France d'en bas, avait fait long feu. Or l'impression générale demeure que ce projet avantagera certainement la France d'en haut, celle qui tirera profit de la concurrence, et moins sûrement celle d'en bas, celle des terroirs, celle qui peine à vivre, celle qui avait vu en la personne du Président de la République un rempart contre la mondialisation.
Comment satisfaire aux deux objectifs de l'Union européenne, à savoir la multifonctionnalité et la compétitivité de l'agriculture ?
Il est exact que le marché peut apporter une première réponse pour rétribuer l'acte agricole. Le fonds agricole participe de cette démarche.
Les soutiens publics aux services non marchands de l'agriculture sont également nécessaires, et les amendements que nous vous proposerons, monsieur le ministre, vont dans ce sens : ils visent à promouvoir l'existence et la coexistence de ces agricultures à la française, l'une tournée vers l'exportation et la compétition mondiale, l'autre, celle des territoires ; ils visent également, en vertu de notre principe républicain, à accentuer la solidarité entre elles.
Ce projet, monsieur le ministre, n'est pas entièrement nouveau. Certaines dispositions - et parmi les plus importantes - reprennent une proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture, déposée en octobre 1997 par M. le rapporteur, Gérard César. Elles étaient « urgentes » à l'époque. Aujourd'hui, après l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la PAC entre avril 2002 et juin 2003, ce projet apparaît davantage comme une adaptation à une réforme de la PAC déjà adoptée.
Si, il y a trente ans, le foncier était indispensable, aujourd'hui, il faut également gérer les DPU, devenus marchands en liaison avec le fonds agricole. Mais comment et par qui seront-ils gérés ? La légalisation de la marchandisation des aides publiques ne peut aller sans une définition de la nouvelle exploitation agricole ! Le risque est que le fonds agricole, à l'instar du fonds de commerce, puisse être créé demain par une personne morale ou physique qui aurait le nom d'exploitant sans en avoir la qualité.
Si le bail cessible entraîne un renchérissement néfaste pour le preneur, il peut apparaître comme un outil à double tranchant. Il faut s'interroger à cet égard sur le rôle des SAFER, car affaiblir leur rôle de contrôle va de pair avec une mécanique plus libérale de la gestion des outils de production. Pourtant, il conviendrait certainement de prévoir des modifications dans le fonctionnement de ces structures, dont certaines ont parfois eu tendance à déraper, et de leur donner une véritable mission dans le domaine du contrôle.
Une clarification est nécessaire et bienvenue s'agissant de l'organisation des producteurs et de l'élevage, monsieur le ministre. Nous vous accompagnerons dans ces démarches. A cet égard, le soutien à l'agriculture de groupe, par le biais d'ateliers communs, mérite d'être encouragé.
Si la réforme du fonds de garantie des calamités agricoles a aujourd'hui pour objet d'inclure dans ses missions l'assurance, rien ne nous porte à croire que le système hybride des vases communicants à sens unique entre l'enveloppe « calamités » et l'enveloppe « assurance » soit adapté ou suffisant.
L'orientation donnée à une agriculture productrice, entre autres, de biocarburants, de bioénergies et d'huiles végétales pures, à laquelle nous adhérons pleinement, devrait aller beaucoup plus loin dans la défiscalisation, monsieur le ministre. En effet, l'attente de notre pays est forte en la matière, et il conviendrait de ne pas le décevoir.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. En définitive, ce projet de loi est inspiré par une certaine vision de l'agriculture, plus soucieuse d'obtenir des performances économiques sur les marchés extérieurs à l'Union européenne que de défendre une agriculture diversifiée et vivante sur l'ensemble du territoire.
Ce texte ne peut faire l'unanimité, car cette conception tend à maintenir la coexistence entre deux agricultures dont l'une serait axée sur le marché mondial et trouverait son aire de croissance privilégiée dans les zones agronomiques les plus favorisées, tandis que l'autre subirait des handicaps naturels, serait fragile et bénéficierait prioritairement des aides publiques.
Ce dualisme a été largement favorisé, avouons-le, par les mécanismes qui ont existé à l'échelon communautaire depuis les débuts de la construction européenne. C'est précisément cet état de choses qu'il fallait modifier, non seulement à Bruxelles, mais aussi à Paris, dans le Massif central et ailleurs. J'avoue cependant que les assises auxquelles j'ai participé voilà plus d'un an et demi ne correspondent en rien au texte que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre. Aucune réelle perspective pour les paysans ne se dégage à la lecture de ce projet de loi !
Pour conclure, je vous poserai une dernière question, monsieur le ministre : l'agriculture n'est-elle destinée qu'à devenir une strate de l'iceberg agroalimentaire, qui serait détenue demain par on ne sait qui ? Et, pour reprendre l'image de la fable Le laboureur et ses enfants que vous avez évoquée, monsieur le ministre, n'oubliez pas que « c'est le fonds qui manque le moins » ! Oui, monsieur le ministre, de grâce ! conservons malgré tout une agriculture humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de dire à M. Pastor que M. le ministre, M. le rapporteur et M. le président de la commission ont bel et bien apporté des réponses positives aux propositions du groupe d'études sur le développement économique de montagne, ce qui prouve que l'agriculture est effectivement prise en compte dans ces zones difficiles.
Cela étant, monsieur le ministre, je tiens à vous féliciter et à vous remercier d'avoir su analyser objectivement l'attente de nos agriculteurs. Vous avez répondu à leurs interrogations ainsi qu'à celles de nos concitoyens dans un monde en mouvance où l'agriculture a sa place, dans une Europe en difficulté.
Vous présentez une perspective, un dessein, et vous apportez des réponses concrètes dans ce texte qui avait été souhaité par le Président de la République, Jacques Chirac, par le Premier ministre d'alors, Jean-Pierre Raffarin, et par votre prédécesseur, Hervé Gaymard.
Vous avez réalisé avec vos collaborateurs un travail d'une grande efficacité et je vous remercie de l'esprit d'échange et de dialogue que vous avez su instaurer, non seulement avec certains députés mais aussi avec certains sénateurs. Je m'exprime d'ailleurs sous le contrôle de M. le président de la commission des affaires économiques et MM. les rapporteurs souscriront sans doute à mes propos, y compris à ceux que j'ai tenus lors des réunions du groupe d'études sur le développement économique de montagne créé au sein de notre assemblée.
Le monde d'aujourd'hui nous inquiète. Le mouvement et le traitement des produits sensibles créent des situations nouvelles qui affectent, au-delà de la protection des indications géographiques, les spécificités traditionnelles.
Nos agriculteurs ont parfois le sentiment qu'ils vont être dépassés, qu'ils n'ont plus de repère dans cette situation, d'autant que la politique agricole commune est souvent considérée comme archaïque alors que, grâce à de formidables travaux de recherche, le monde de l'agriculture a fait preuve d'une capacité exceptionnelle d'adaptation et s'est rapproché du secteur de la recherche génétique, et plus généralement de l'ensemble de la recherche humaine.
Je me souviens que, dans un discours prononcé à Vassy, M. Valéry Giscard d'Estaing avait dit que l'agriculture allait devenir le « pétrole vert » de la France. C'est aujourd'hui le cas, et vous avez très justement positionné votre démarche, monsieur le ministre, par rapport aux grandes lois d'orientation agricole Debré-Pisani de 1960.
Une révolution est en train de voir le jour dans le domaine de la politique agricole. Ainsi, vous avez osé dire tout à l'heure, monsieur le ministre - je vous en félicite et je vous en remercie - que la préférence communautaire faisait partie des principes de base qu'il fallait défendre. Or tous ceux qui ont suivi de près les évolutions en la matière savent que ce n'était pas aussi clair il y a quelques années. Il y a donc là un progrès.
En revanche, vous le savez, les évolutions mêmes de cette politique, à savoir l'introduction des aides directes, à partir desquelles sont apparus les principes d'éco-conditionnalité, constituent de bonnes pratiques agri-environnementales. Il en est de même du deuxième pilier de la PAC, alors que l'agriculture et le développement rural sont en pleine mutation. Heureusement, la France n'a pas introduit tel quel le régime de paiement découplé et a pris en compte des paiements non liés à l'acte de production.
Tout cela crée une situation qui méritait que le cap soit défini. Or c'est précisément ce que vous faites, ce qui permettra à nos jeunes agriculteurs de retrouver l'espoir et d'envisager un avenir meilleur. Ils oseront même aller s'installer en zone de montagne ! Ils ne seront pas des mendiants dépendants de subventions de mode, mais ils auront un revenu, fruit de leur travail, grâce au développement des marchés et aux prestations payées sous différentes formes.
Une agriculture qui concilie son approche patrimoniale et sa démarche d'entreprise est la meilleure réponse, me semble-t-il, aux interrogations des uns et des autres. Et si j'ai un peu bousculé M. le président de la commission - je le prie de m'en excuser -, c'est parce que j'ai été investi par le groupe d'études sur le développement économique de montagne pour formuler des propositions.
M. Gérard César, rapporteur. Vous n'avez pas besoin d'être investi pour le bousculer ! (Sourires.)
M. Jacques Blanc. Quoi qu'il en soit, je le remercie de son soutien.
Je souhaite également remercier M. le ministre d'avoir confirmé tout à l'heure ses engagements. En effet, la réponse qu'il apporte aux besoins de repérage et d'identification du problème particulier de l'agriculture en montagne montre bien, sans faire de misérabilisme, qu'elle répond à un projet de société. L'agriculture de montagne peut effectivement prendre différentes formes et la vie en montagne ne se maintiendra que s'il existe au préalable une agriculture... et une forêt, M. Gaillard ne me démentira pas. (M. Yann Gaillard sourit.)
Nous souhaitions donc qu'un chapitre traite du développement durable, parce que nous n'avons pas de complexe à cet égard : l'agriculture de montagne est bien une agriculture extensive. Et n'oublions pas que l'Europe a inventé, à travers l'indemnité spéciale montagne - M. Badré doit s'en souvenir -, la prime à la vache tondeuse pour y préserver les sols.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, nous vous remercions de pouvoir développer la qualité spécifique de la montagne, à côté de sa vocation économique. Cela étant, je pense qu'il ne faut pas segmenter les appellations et qu'il faut au contraire favoriser la qualité, même s'il semble intéressant de savoir si le terme AOC peut s'appliquer à la montagne.
Mais il faut aller de l'avant et, à cet égard, il est important de reconnaître la vocation de la montagne. Son environnement est fragile, et il faut donc la traiter avec douceur (M. le ministre sourit), tout en respectant les éléments qui la constituent. En effet, la montagne est formidable ! Nous avons besoin, dans notre société, de retrouver une montagne protégée, une montagne vivante.
Après la loi relative au développement des territoires ruraux, le projet de loi d'orientation agricole doit permettre d'y parvenir, grâce aux nombreuses mesures qui ont été adoptées à l'Assemblée nationale afin de favoriser une plus grande simplification dans un secteur qui est toujours un peu compliqué. En simplifiant, nous pourrons ainsi mieux affirmer notre volonté à Bruxelles.
A ce propos, je me félicite de la fermeté dont vous avez fait preuve, monsieur le ministre, face à M. Mandelson. Lorsque l'on a un peu fréquenté les rouages des institutions européennes, on sait que cela n'est pas toujours très facile. Et, s'il est vrai que le Premier ministre et le Président de la République vous soutenaient, vous avez agi sans excès, et je tiens à vous en remercier. Vous avez ainsi affirmé la nécessité d'une compensation financière du surcoût, ainsi que l'existence des prestations non marchandes. (M. Jean-Marc Pastor s'exclame.) Oui, monsieur Pastor, nous voulons inciter à la politique de qualité, renforcer la fonction agri-environnementale et préciser les missions des SAFER en montagne.
Monsieur le ministre, en tant que sénateur de la Lozère, je représente ici un département de montagne qui n'est pas parmi les plus riches mais parmi les plus beaux. Son agriculture nous apporte de bons produits identifiables et identifiés, et j'en profite pour vous dire, monsieur le ministre, qu'il faudra avancer sur la question de la reconnaissance de la spécificité traditionnelle garantie « Feta lait de brebis de France ». (Sourires.)
Pour conclure, je voudrais féliciter l'ensemble des collaborateurs de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, ainsi que ceux du service de la séance. Mais il est vrai que, pour faire avancer la montagne, il faut bousculer les choses de temps en temps. Je l'ai fait assez gentiment, et les résultats sont là ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte communautaire et international en perpétuelle évolution, le monde agricole français souffre. Bien que très combatifs et toujours prêts à s'adapter, nos agriculteurs ne récoltent pas suffisamment les fruits de leurs efforts.
Depuis plus d'une dizaine d'années, beaucoup d'entre eux - si je dis « beaucoup d'entre eux », c'est pour ne pas créer une rupture trop forte avec le discours précédent - connaissent une baisse régulière de leurs revenus. Dans nos campagnes, les producteurs doutent, le découragement s'installe, les jeunes hésitent à reprendre l'exploitation familiale. La précarité - c'est un phénomène récent - survient parfois de façon brutale au gré de la conjoncture.
Alors que l'industrie agro-alimentaire est l'un des fleurons de notre économie, ceux qui travaillent durement en amont de ce secteur sont les premières victimes d'un marché de plus en en plus concurrentiel, soumis à la pression incessante de l'OMC.
Pourtant, l'agriculture contribue à l'équilibre économique, social et environnemental de notre territoire. A ce titre, elle doit continuer à faire l'objet d'une attention soutenue de la part des pouvoirs publics, surtout du ministre de l'agriculture. En effet, parce qu'elle occupe encore aujourd'hui 700 000 actifs, parce qu'elle est le poumon de plusieurs milliers de villages, parce qu'elle structure fortement nos paysages, nous devons tout faire pour l'aider à surmonter ses difficultés.
Le projet de loi d'orientation agricole dont nous débattons aujourd'hui va-t-il dans la bonne direction ? Votre texte, monsieur le ministre, permettra-t-il à l'ensemble des agriculteurs de mieux s'armer pour l'avenir et d'espérer ?
Hélas ! la réponse est non. La déception est à la mesure des attentes et, manifestement, nous n'entendons pas tous la même chose. Ainsi, dans mon département - et certainement pas seulement dans le mien -, grande est la déception.
Seuls les gros exploitants, qui sont déjà mieux organisés, peuvent s'y retrouver. Mais qu'en est-il de tous les autres ? Je pense aux agriculteurs du terroir, c'est-à-dire à ceux qui contribuent au maintien de la diversité sur nos étals, à ceux qui, par la dimension humaine de leur exploitation, peuvent offrir des produits de qualité, à ceux qui, finalement, sont au coeur du tissu social de nombreuses régions.
Qu'offrez-vous à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui se battent quotidiennement pour exercer leur métier malgré les aléas ? Vous leur accordez finalement peu de choses, puisque toutes vos mesures convergent vers une logique très libérale, presque monopolistique.
Ainsi, que dire de la création du fonds agricole, qui prendra en compte l'ensemble des biens d'une exploitation, qu'ils soient matériels ou immatériels ? Cet outil ouvre la porte à la marchandisation du droit au bail et des droits à produire. Il n'est pas nécessaire d'encourager la survalorisation des actifs de l'exploitation alors que les candidats à la reprise sont souvent peu nombreux !
S'agissant de la cessibilité du bail hors du cadre familial, qui était attendue, l'actuelle rédaction de l'article 2 déséquilibre les relations entre le propriétaire et le locataire, puisque le premier bénéficie d'une revalorisation des fermages ainsi que de la possibilité de choisir son locataire.
Indispensable au maintien des exploitations de petite taille, le contrôle des structures est pourtant démantelé par l'augmentation des seuils de contrôle, la suppression pour certains dossiers de l'avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, ou encore l'assouplissement du contrôle des ateliers hors-sol.
Quant au volet social, en dehors de quelques mesures en faveur du statut d'aide familial, de celui de conjoint collaborateur et de la création d'une aide au remplacement pour congé, il est quasiment inexistant. Il faudra pourtant s'atteler à uniformiser les droits sociaux des agriculteurs, qui varient beaucoup d'un statut à l'autre.
Je pense également aux retraites agricoles, qui n'ont plus connu d'avancées depuis le dernier plan quinquennal de revalorisation. Nous y reviendrons bien entendu dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2006.
Par ailleurs, ce texte présente de nombreuses faiblesses.
Ainsi, vous ne jetez pas les bases de l'organisation économique de l'agriculture. Confrontés à des marchés de plus en plus ouverts et à une concentration des acheteurs, les agriculteurs s'inquiètent des débouchés pour leurs produits. La possibilité pour les organisations de producteurs de se concentrer juridiquement sous une forme commerciale ne suffira pas à régler cette question.
Plus que d'une reconnaissance, les organisations de producteurs ont besoin de moyens afin de remplir leurs missions et de négocier avec des centrales d'achat déterminées. La filière des fruits et légumes, en particulier celle des fruits, est particulièrement demandeuse d'un véritable contrepoids face à la distribution.
Nous déplorons également l'absence de mesures en faveur de la multifonctionnalité de l'exploitation et de la pluriactivité des agriculteurs. L'agriculture biologique, qui s'inscrit souvent dans ce cadre, n'est pas spécifiquement traitée alors qu'elle est une réponse aux exigences croissantes de la société en matière de sécurité sanitaire et alimentaire et de gestion de l'environnement.
D'une façon générale, ce texte privilégie les grandes exploitations, qui ont en effet intérêt à se comporter en entreprise. D'ailleurs, elles le font déjà, et ce sans le statut de fonds de commerce ou de fonds artisanal que vous voulez leur attribuer sous la dénomination de « fonds agricole ».
Monsieur le ministre, ce ne sont pas des arrangements juridiques qui résoudront subitement les difficultés auxquelles sont confrontées depuis plusieurs années les exploitations, notamment les plus petites d'entre elles. Toutes ces dispositions ne suffiront pas à maintenir un nombre satisfaisant d'exploitations, à sécuriser les débouchés et à garantir les prix agricoles.
Nous attendions une réforme structurelle concernant l'ensemble des agriculteurs et pas seulement 20 % des plus gros producteurs, car notre agriculture est riche de sa diversité : il faut le dire et s'en souvenir !
On demande beaucoup aux agriculteurs : ils doivent sans cesse s'adapter aux normes, respecter l'environnement, accepter les aléas climatiques, digérer les crises conjoncturelles. Ils méritent en retour une politique plus rassurante, une politique destinée à les aider à mieux affronter l'avenir, une politique capable de leur assurer autre chose que la survie.
Dans ces conditions, vous comprendrez mon désaccord avec ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, un orateur de chaque groupe s'étant exprimé, je donne maintenant la parole à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a indiqué le rapporteur, M. Gérard César, le texte ambitieux que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans le prolongement de la loi du 23 février dernier relative au développement des territoires ruraux.
Avec l'adoption du projet de loi d'orientation agricole, la législature actuelle aura donc permis de définir un nouveau cadre pour l'agriculture et le monde rural. A cet égard, je tiens à souligner combien il est important, d'un point de vue tant symbolique que juridique, que ce projet de loi soit discuté et adopté avant la fin de l'année. L'avancement de son calendrier d'examen permettra en effet de le rendre applicable au 1er janvier 2006, date d'entrée en vigueur de l'ensemble des mesures liées à la réforme de la politique agricole commune dans notre droit national. Il était important que le Parlement relaie le message auprès du monde agricole.
Cependant, si le projet de loi d'orientation agricole reçoit un accueil très favorable de notre part, je me permettrai, monsieur le ministre, de développer plus longuement deux points particuliers qui me tiennent à coeur et que ce texte ne reprend pas entièrement.
Le premier a trait à l'exonération progressive de la taxe sur le foncier non bâti.
Cette question sera abordée lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006, mais elle s'inscrit tout à fait dans le cadre du présent débat. Je tiens donc à vous donner dès à présent mon sentiment sur la mise en oeuvre de ce que j'appellerai un dégrèvement plutôt qu'une exonération.
Tous les sénateurs sont très attachés à l'autonomie financière des collectivités locales. Or, à partir du moment où ces dernières subiraient une perte de recettes, il faudrait prévoir une compensation financière de l'Etat.
La taxe sur le foncier non bâti est payée par le propriétaire. Si celui-ci est exploitant, il bénéficiera du dégrèvement. Si le propriétaire n'est pas l'exploitant, ce dernier ne paiera pas sa participation à hauteur de 20 %.
Ce système est donc assez facile à mettre à oeuvre, puisque le Gouvernement pourrait être amené à dégrever à hauteur de 20 % la taxe sur le foncier non bâti. Le propriétaire bénéficierait du dégrèvement et le répercuterait en ne faisant pas appel à la participation financière du locataire.
Cela étant, la collectivité locale disposerait toujours du même niveau de recettes, puisque la taxe sur le foncier non bâti serait intégralement payée par le propriétaire, qui serait, en quelque sorte, remboursé par l'Etat.
J'essaie de défendre cet argument afin d'essayer de rassurer nos collègues sur l'autonomie financière des collectivités locales car, je le rappelle, la taxe sur le foncier non bâti peut faire l'objet d'exonérations pour la part régionale et la part départementale et qu'aujourd'hui seules la commune et l'intercommunalité bénéficient de la taxe sur le foncier non bâti quand il y a une fiscalité additionnelle.
Je réitérerai cette suggestion au moment de l'examen du projet de loi de finances, afin d'essayer que la mise en oeuvre du dispositif soit compréhensible par tous les acteurs du monde agricole et que l'allégement des charges attendues par les agriculteurs puisse être efficace.
Le deuxième point que je souhaitais aborder concerne le développement de l'assurance récolte. Il s'agit d'un sujet récurrent depuis maintenant plusieurs années, dont la concrétisation est très attendue dans le monde agricole.
Mais replaçons le débat dans son cadre général.
La couverture des risques agricoles s'articule aujourd'hui autour d'une architecture à plusieurs piliers. Deux d'entre eux sont constitués de systèmes d'indemnisation obligatoires et collectifs : le régime dit de « calamités agricoles » et le régime dit de « catastrophe naturelle ».
Si ces deux systèmes ont historiquement prouvé leur utilité, ils souffrent aujourd'hui de nombreuses limites et insuffisances : application conditionnée à des critères très stricts, longueur et complexité des procédures, faiblesse des indemnités octroyées, précarité du financement du fonds ...
Deux systèmes d'indemnisation facultatifs et privés ont donc vocation à en prendre le relais, conformément d'ailleurs aux orientations du projet de loi : d'une part, le dispositif de la dotation pour aléas, la DPA, dont l'article 20 assouplit les modalités d'utilisation ; d'autre part, les produits d'assurance, plus particulièrement le mécanisme de l'assurance récolte.
Conformément aux conclusions du député Christian Ménard, vous avez souhaité, monsieur le ministre, promouvoir un dispositif de ce type couvrant plusieurs risques climatiques et combinant un financement provenant pour l'essentiel des exploitants sur une base volontaire à des subventions incitatives de l'Etat.
La première campagne de souscription de ces contrats d'assurance récolte multirisques est un succès, puisque 55 000 à 60 000 d'entre eux ont été conclus, couvrant approximativement les deux tiers des exploitations qui pouvaient y souscrire.
Si la direction prise est bonne, il convient aujourd'hui d'aller plus loin en élargissant au maximum l'assiette de ce dispositif assurantiel. En effet, seule une telle extension lui assurera une véritable portée et une efficacité satisfaisante. De plus, elle est indispensable pour permettre aux mécanismes assurantiels de prendre, à terme, le relais d'un système d'indemnisation publique aujourd'hui essoufflé en mutualisant le financement des risques. Enfin, elle permettra de responsabiliser et de mieux sécuriser les agriculteurs face à des aléas climatiques dont l'occurrence et l'intensité tendent à s'accroître.
Cette solution m'apparaît plus porteuse de sens et plus viable que l'idée d'assurance « revenus », qui a été évoquée tout à l'heure.
L'amendement n° 664 rectifié bis, que je présenterai à l'article 18 et qui est cosigné par M. Gérard César ainsi que par M. Dominique Mortemousque, prévoit la généralisation progressive de l'assurance récolte, ce qui pourrait être une mesure forte de la loi. J'y attache une importance particulièrement grande, monsieur le ministre, et j'ai bon espoir que vous partagerez mon point de vue à ce sujet.
Tels sont, brièvement résumés, les quelques points que je souhaitais évoquer. Le débat qui nous attend devrait être très fourni, si l'on en croit la richesse des discussions que nous avons déjà eues en commission sur certains points. Je ne doute pas qu'il sera également très fructueux ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole à l'Assemblée nationale, ma collègue de la Réunion, Mme Huguette Bello, a fait adopter un amendement supprimant le système du colonat. Ce régime, hérité du Moyen Age, étendu chez nous pendant la période coloniale, perdure malheureusement encore, bien que de nombreux parlementaires demandent sa suppression depuis des décennies.
Il y a soixante ans déjà, les députés réunionnais nouvellement élus à l'Assemblée constituante déposaient un projet de résolution visant à améliorer le sort des colons réunionnais, l'« un des plus méprisables qui soit », expliquaient-ils. J'appelle donc mes collègues sénateurs à accepter, comme l'ont fait les députés, la modification proposée afin de rendre justice à un combat mené depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Cette avancée, saluée par l'ensemble des acteurs à la Réunion et outre-mer, intervient cependant dans un contexte particulier, marqué par de multiples inquiétudes.
En effet, le 22 novembre prochain, le conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne se prononcera définitivement sur le projet de réforme de l'OCM-sucre qui lui est soumis. La baisse de 39 % du prix du sucre, étalée sur quatre campagnes, est présentée comme inévitable. En contrepartie, les producteurs recevraient une compensation financière qui ne couvrirait que 60 % des pertes de revenu.
Pour leur part, les industriels ne sont pas assurés de trouver l'intégralité de l'aide leur permettant de transporter vers l'Europe le sucre produit afin d'y être raffiné.
De telles remises en cause inquiètent et déstabilisent profondément les acteurs de la filière canne-sucre de la Réunion.
L'évolution actuelle des paramètres économiques - salaires, prix des matières premières, des engrais et des herbicides orientés à la hausse -, suscite plusieurs interrogations.
D'abord, comment les planteurs pourront-ils supporter une telle baisse du prix du sucre ? Ensuite, comment celle-ci sera-t-elle répercutée sur le prix de la tonne de canne, lequel, depuis la convention tripartite signée voilà dix ans, ne dépend pas de Bruxelles, mais d'une décision concertée de l'Etat, des planteurs et des industriels ?
En l'absence de mesures fortes et adaptées au choc de grande ampleur qui s'annonce, il nous faudra nous préparer à affronter une véritable catastrophe économique, sociale, écologique et énergétique ! Notre île, qui connaît déjà une situation de chômage aggravé, sera dans l'impossibilité de supporter ces bouleversements.
Pourtant, il n'est pas question de renoncer à un secteur d'activité qui emploie des milliers de personnes, qui contribue à notre production d'énergie via la bagasse et qui demeure notre meilleur gage de protection des sols contre l'érosion.
Le Gouvernement nous a assuré à plusieurs reprises qu'il était, lui aussi, extrêmement préoccupé par cette situation et qu'il était prêt à agir fermement auprès de Bruxelles pour obtenir les meilleures solutions possibles.
La mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés s'est fortement exprimée au cours de la dernière période.
Dans ces conditions, afin de pouvoir proposer des solutions aux instances communautaires, un audit doit absolument être réalisé sur les richesses produites, sur leur montant et sur leur répartition.
L'Etat, qui dispose déjà d'une grande partie des compétences nécessaires à cet audit - services fiscaux, douane, direction départementale de l'agriculture et de la forêt -, doit en prendre la responsabilité.
Il appartiendra ensuite aux différents acteurs du secteur d'apporter les éléments complémentaires et les précisions relevant de leurs activités respectives. Ainsi les planteurs pourront-ils faire connaître les éléments constitutifs de leurs coûts de production. Les industriels pourront en faire autant et indiquer la plus-value réalisée par les deux usines produisant de l'énergie à partir de la bagasse et du charbon, de même que sur les autres produits dérivés de la canne à sucre.
En outre, il sera possible d'étudier les évolutions constatées depuis la mise en oeuvre du règlement sucrier en cours, lequel a débuté en 2001 et s'achève avec l'actuelle campagne.
Cet audit permettra également de faire un peu de prospective, en évaluant ce que sera la situation au cours des quatre campagnes durant lesquelles s'étalera la réforme.
Afin de susciter la confiance, l'audit devra être réalisé dans la transparence la plus complète, ce qui permettra ensuite de déterminer les efforts auxquels chaque acteur de la filière pourra raisonnablement consentir.
Je vous saurai donc gré, monsieur le ministre, de l'attention que vous porterez à cette proposition et de me faire part de votre sentiment à ce sujet.
Nous ne devons ni nous bercer d'illusions ni céder au catastrophisme.
Il faut sauver la filière canne-sucre, en particulier les petits et les moyens planteurs, ainsi que les usiniers, dont les sorts respectifs sont étroitement liés.
Rien n'est encore perdu, mais il faut agir vite. Face à la crise sans précédent qui menace l'agriculture réunionnaise, vous pourrez compter, monsieur le ministre, sur notre engagement et sur nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative gouvernementale. A défaut de résoudre tous les problèmes, celle-ci a au moins le mérite de permettre au Parlement d'engager une véritable réflexion sur l'avenir de notre agriculture.
Il est toutefois regrettable que ce projet de loi d'orientation agricole ait été déclaré d'urgence. En effet, certaines des inquiétudes qui s'expriment justifieraient un débat plus approfondi sur un sujet que nous savons tous essentiel : l'avenir de l'agriculture française.
Pour conforter notre agriculture et soutenir nos agriculteurs, lesquels ont besoin de retrouver confiance afin de mener à bien la nouvelle mission qui est la leur, ce projet de loi d'orientation agricole semble indispensable.
En soixante ans, notre agriculture a connu plus d'évolutions - je dirai même de bouleversements - que pendant des siècles !
En 1945, l'agriculture avait encore pour mission unique de nourrir les hommes. A l'époque, près de 70 % des Français étaient agriculteurs et s'alimentaient essentiellement grâce aux fruits de leur labeur. Il n'y avait alors pratiquement pas de mécanisation, le travail manuel était pénible et les rendements faibles. Nous étions très loin des 35 heures ! Pourtant, même si nos paysans vivaient chichement, ils étaient heureux, car la vie était simple : il n'était pas question de quotas, de PAC ou d'OMC ! Nul, d'ailleurs, ne les envisageait.
Mais cette situation ne pouvait perdurer. Les progrès techniques nationaux, européens et mondiaux ont permis à notre agriculture de devenir beaucoup plus productive et même excédentaire. Dès lors, les termes de « performance », de « gestion », et d' « innovation » sont devenus des mots-clés pour assurer la pérennité de ce si beau métier.
L'ouverture européenne et mondiale des marchés a rendu nécessaires les aides compensatoires des handicaps ou des revenus. Dans les années 1970, les découplages n'étaient pas encore à l'ordre du jour. En revanche, à cette époque, notre pays s'est engagé dans une politique agricole où les actions de soutien sont devenues incontournables.
Mon collègue Daniel Soulage a déjà abordé avec clarté et détermination les enjeux essentiels du débat sur l'avenir de notre agriculture.
Permettez-moi toutefois d'exprimer, en ma qualité d'élu de la montagne - qualité que je partage évidemment avec d'autres -, le sentiment des habitants de ces régions dans lesquelles les handicaps naturels pénalisent la rentabilité économique, génèrent des surcoûts et rendent plus difficile leur accès au genre de vie propre à notre époque.
La montagne, qui représente une partie importante du territoire français, est sans doute l'un des espaces les plus difficiles du monde rural.
Or, et je le dis sans le moindre esprit de polémique, je constate que les problèmes spécifiques de la montagne ne sont pas abordés dans le présent projet de loi. C'est pour nous une véritable déception. Nous estimons en effet que le Gouvernement doit agir en faveur de toutes les composantes de notre agriculture, laquelle est, nul ne l'ignore, extrêmement diversifiée.
La France rurale s'appauvrit de jour en jour. A chaque coucher de soleil, des dizaines, voire des centaines, d'exploitations agricoles s'éteignent.
Certes, il y a encore peu de terres totalement désertifiées. Pourtant, dans certains cantons classés en zone de revitalisation rurale, en ZRR, les prémices d'une évolution démographique irréversible sont bien présentes. Ce que redoutent les agriculteurs, monsieur le ministre, ce n'est pas d'avoir plus de terres à cultiver, mais de ne plus avoir de voisins !
Adrien Gouteyron, qui préside actuellement nos débats, pourrait en témoigner : plusieurs cantons de Haute-Loire comptent moins de 4,5 habitants au kilomètre carré ! D'aucuns parleront de la « France profonde » ; moi, je préfère parler de la « France difficile ». L'expression « France profonde » me paraît avoir une connotation très péjorative ! En effet, les hommes qui vivent dans ces territoires sont attachés à leur pays ; ils ont gardé le sens du travail et de l'effort. Ils veulent rester des acteurs du monde rural et des producteurs.
Oui, l'agriculture existe aussi dans ces zones de montagne ! Elle y apporte une contribution sociale, humaine et économique.
Non, la France rurale ne veut pas se contenter d'être une spectatrice passive de son déclin ! Elle souhaite, au contraire, être actrice de son renouveau, grâce à la qualité et l'innovation de ses productions.
Les territoires ruraux de montagne ne doivent pas être laissés à l'abandon. L'engagement de l'Etat y est plus qu'ailleurs nécessaire. En effet, l'Etat est le seul à même de garantir la parité et l'équité au coeur de ces territoires fragiles, fidèle en cela à l'esprit de notre République.
Alors que ce projet de loi d'orientation agricole constitue une nouvelle étape pour le développement de notre agriculture, la France des territoires ruraux de montagne y est oubliée. Ses nouvelles missions ne sont ni identifiées ni même mentionnées. Vous comprendrez, monsieur le ministre, que cette France-là soit déçue !
Notre ami et collègue Jacques Blanc, président du groupe d'études sur le développement économique de montagne, porte le message de la montagne avec compétence, détermination, chaleur, voire - et pourquoi pas ? - avec passion. Il est en effet élu dans l'un des trois départements français dont le territoire est intégralement classé en ZRR.
Reconnaissons que, depuis des années, les gouvernements successifs n'ont jamais fait montre, en l'espèce, d'une détermination et d'un courage suffisants. La défense du monde rural, c'est d'abord un état d'esprit. N'oublions pas que c'est un monde souvent silencieux, qui ne s'exprime pas dans la rue et qui dispose de peu de relais institutionnels. C'est la France de la terre, celle qui a gardé de nombreuses richesses humaines ou professionnelles et qui a souhaité les transmettre aux générations futures.
Depuis toujours, les agriculteurs de montagne réclament non pas des privilèges, mais simplement la justice. Ils demandent seulement que l'on atténue les handicaps liés à la topographie, au relief, au climat, à la dispersion de l'habitat et au surcoût des transports, qui pèse notamment sur la collecte du lait et la construction ou l'entretien des bâtiments d'élevage.
Aucun gouvernement n'a eu le courage ou le bon sens de prendre des mesures suffisamment incitatives pour inverser certaines évolutions ou, du moins, pour les atténuer, par des activités raisonnables, adaptées au secteur et marquées du sceau de la qualité.
Les zones de montagne sont des grands espaces, dans lesquels l'utilisation d'herbicides, de pesticides ou de fertilisants est depuis toujours réduite.
Il n'est certes pas question de sectoriser les appellations d'origine contrôlée : celles-ci ne sont pas liées à l'altitude, mais à un cahier des charges. Toutefois, mes chers collègues, ne pensez-vous pas que la montagne en tant que telle devrait bénéficier d'une reconnaissance à la fois compensatrice, valorisante et sécurisante ? Mais je sais que l'Union européenne y fait pour le moment obstacle.
Les agriculteurs des zones de montagne ont des raisons de douter de leur avenir. En effet, dès 1964, un grand responsable communautaire indiquait que l'agriculture n'avait plus aucune raison économique de rester en zone de montagne !
Je conclurai en rappelant à mon tour que, si le monde agricole s'inquiète quant à son futur, il souffre également dans le présent d'une insupportable rigidité administrative, souvent décourageante. Certes, des règles sont nécessaires, mais elles doivent être appliquées avec bon sens et cohérence à tous les niveaux, afin de ne pas provoquer de disparités.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir écouté le message en forme d'appel d'un élu de ces territoires ruraux qui, comme beaucoup de ses homologues, est aujourd'hui désarmé face à cette situation et ne sait pas toujours répondre aux inquiétudes qui s'expriment. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà exactement un an se tenaient dans nos territoires les débats préalables à l'examen du projet de loi de modernisation agricole, instaurés par votre prédécesseur. Comme nombre de mes collègues, j'y ai participé, craignant - a priori, je l'admets - que, comme cela avait été le cas lors des fameuses assises sur la décentralisation, les participants ne puissent s'exprimer ou échanger leurs points de vue et que, par conséquent, ces débats ne servent à rien.
Or, dans ma région, la Bretagne, ces débats ont été particulièrement intéressants et suivis. Ils ont suscité un certain nombre de réflexions consensuelles et donné lieu à des propositions concrètes qui ont dû, je le suppose, parvenir à votre ministère par le canal des divers organismes et associations participants, notamment le Comité agricole régional.
N'ayant pas trouvé dans le texte qui nous est soumis les orientations prônées dans les documents produits à cette occasion, j'ai pris la peine de relire ceux-ci attentivement. Bien sûr, ils ne reflètent que la vision de la Bretagne, mais celle-ci est, me semble-t-il, monsieur le ministre, l'une des régions agricoles les plus importantes, l'agriculture et le secteur agro-alimentaire étant les piliers de son développement économique.
Votre texte, monsieur le ministre, ne répond pas aux attentes et aux espoirs que son intitulé avait suscités chez certains.
M. Louis Le Pensec. C'est ce qu'on appelle la « perte en ligne » ! (Sourires.)
Mme Odette Herviaux. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des conclusions de ces débats, mais permettez-moi de vous rappeler deux d'entre elles.
La première avait trait à la définition de l'exploitant agricole.
« Un exploitant agricole n'est plus uniquement un producteur de biens de consommation, mais est aussi un producteur de services.
« L'exploitant ne sera pas seulement celui qui assure la maîtrise d'un cycle biologique animal ou végétal, mais comprendra aussi celui qui a diversifié ses activités, exécutant notamment les activités nécessaires au maintien d'une population en milieu rural.
« Le lieu d'activité agricole doit servir d'emplacement pour l'exercice des activités de diversification. »
La seconde portait sur les relations entre la société et les agriculteurs, notamment en ce qui concerne les missions et les objectifs qu'ils peuvent partager : « produire l'alimentation de nos concitoyens ; occuper et entretenir le territoire ; produire des biens non alimentaires ; diversifier les produits et les activités. En résumé, des missions qui se diversifient et conduisent à des types d'agricultures différents. [...] et, pour répondre à cela, des prix rémunérateurs au niveau des marchés pour les produits et services marchands et un système contractuel pérenne pour les fonctions non marchandes. »
Nous sommes loin de la vision qui sous-tend votre texte, monsieur le ministre. En effet, celui-ci va uniquement dans le sens d'une agriculture productiviste, risquant ainsi de remettre en cause la diversité de notre modèle agricole. En réalité, ce projet de loi ne vise qu'à anticiper la prise de mauvaises décisions à l'OMC et l'abandon d'une véritable politique agricole commune. Toutefois, monsieur le ministre, vos propos semblent indiquer que nous sommes « en phase » sur ce point. (M. le ministre fait un signe d'approbation.)
Ces conclusions ne traduisent pas une quelconque vision passéiste, monsieur le ministre. En effet, cela fait bien longtemps déjà que, dans nos départements, tous nos agriculteurs, y compris ceux qui revendiquent le terme de « paysan », sont devenus de véritables entrepreneurs, dont le courage, le sérieux et le savoir-faire ont permis à notre agriculture de figurer parmi les meilleures et les plus importantes. Or la dérive libérale que certains prônent actuellement risque de leur poser problème !
Une chose est en tout cas certaine : si le texte qui nous est aujourd'hui soumis va au bout de sa logique, il aura des conséquences humaines, sociales et économiques très lourdes - je dirai même considérables -, qui pèseront évidemment sur les collectivités territoriales.
Je m'associe donc aux avertissements lancés par certains de mes collègues s'agissant de l'état de désespérance, voire de révolte latente, que nous ressentons dans nos campagnes. Alors que les prix de vente sont en baisse, que les charges augmentent, que des contraintes de toutes sortes pèsent sur les agriculteurs - vous l'avez vous-même reconnu, monsieur le ministre - et que ceux-ci n'ont aucune visibilité à long terme, c'est à eux, comme à chaque fois que l'on restructure une filière, que l'on demande de consentir les plus gros efforts !
A cela s'ajoutent quelques tracasseries bien françaises - pas seulement européennes -, comme le contrôle des surfaces primées par l'ONIC, l'Office national interprofessionnel des céréales. A ce sujet, j'observe que, dans mon département, certains contrôleurs de cet office semblent ignorer les arrêtés préfectoraux relatifs à la préservation des talus et des haies, qui font par ailleurs l'objet de financements des collectivités locales afin d'améliorer la qualité de l'eau.
Dans ces conditions, vous comprendrez aisément que le moral soit au plus bas !
Plus grave encore, me semble-t-il, il n'y a plus un agriculteur en activité, du moins parmi ceux que je connais, qui souhaite que l'un de ses enfants prenne sa suite !
Que dire, donc, d'un projet de loi d'orientation agricole qui ne permettrait pas le renouvellement des générations d'agriculteurs ?
Pour assurer son avenir, le monde rural a besoin de paysans en nombre sur tous ses territoires. De plus, le niveau et les conditions de vie des agriculteurs doivent être en adéquation avec ceux du reste de la société.
Face aux départs en retraite massifs attendus des actuels exploitants agricoles, ni le fonds agricole, ni le bail cessible, ni le « crédit transmission » ne permettront à eux seuls, me semble-t-il, de surmonter les freins, de plus en plus nombreux, à l'installation de nouveaux agriculteurs.
Monsieur le ministre, comme on se lasse parfois de jouer les Cassandre, permettez-moi de faire preuve d'optimisme - certains parleront d'« utopie » -, et de vous proposer un voyage dans le temps.
Projetons-nous après 2013, dans une petite commune rurale - pourquoi pas en Bretagne ? -, et suivons un jeune couple ayant décidé de s'installer sur une exploitation laitière: Ce cas de figure est en effet le plus courant dans cette région.
Oh, cela n'a pas été simple ! Mais les terres agricoles ont fait l'objet d'un véritable plan de sauvegarde. Des regroupements et des échanges destinés à optimiser les installations ont pu être réalisés, grâce à la collaboration entre la SAFER - son rôle, important, a été redéfini et son droit de préemption élargi - et la communauté de communes - celle-ci a intégré l'agriculture dans sa compétence « développement économique ».
Bien sûr, il y a bien eu quelques tentatives de sur-agrandissement - certains n'en ont jamais assez ! - mais, heureusement, la CDOA, la commission départementale d'orientation de l'agriculture, dont le fonctionnement a été simplifié et dont la mission et les moyens ont été renforcés, a pu pleinement jouer son rôle.
La vocation de ces jeunes non issus du milieu agricole leur est apparue assez tôt. Cela s'explique par trois raisons.
Tout d'abord, la profession a fait une communication efficace. Elle a vanté les mérites et les avantages d'un métier qui présente enfin des perspectives d'avenir depuis que l'Europe et quelques autres pays associés sont parvenus à faire admettre à l'OMC que les produits agricoles ne pouvaient être une simple variable d'ajustement et que l'agriculture, tout comme la culture, n'est pas monnayable. On a enfin admis que la désertification de nos campagnes ne permettrait pas d'aider les pays les plus pauvres à se développer et à être autosuffisants. L'Europe elle-même a compris la nécessité de revoir les orientations de la PAC, tout en maintenant coûte que coûte une politique digne de ce nom, notamment en abondant le deuxième pilier et en votant un budget global représentant plus de 1,5 % des budgets nationaux.
Ensuite, ces jeunes ont suivi une formation agricole de qualité. Ils ont acquis les connaissances nécessaires en matière de culture, d'agronomie et d'élevage, mais également dans les domaines de l'écologie et en termes de relations sociétales et de gestion. Par ailleurs, ils connaissent toutes les formes d'exploitation possibles.
De plus, la société a reconnu les efforts réalisés par la profession dans le domaine environnemental et en termes de qualité et de traçabilité, répondant ainsi aux demandes des consommateurs. Le métier a donc été revalorisé.
En outre, pour s'installer, ces jeunes ont bénéficié d'aides spécifiques et importantes de la part de l'Etat et des collectivités locales. Leur projet ayant été validé par les partenaires, ils ont facilement obtenu des prêts auprès des organismes bancaires, toujours nécessaires, malgré le « crédit transmission ». Le statut des femmes en tant que partenaires dans les exploitations agricoles ayant été revu, ils ont choisi d'être tous deux à égalité dans la structure.
Enfin, la transmission a été facilitée, d'abord parce que les retraites des cédants ont été revalorisées, ensuite parce qu'une grande loi sur le foncier a permis d'améliorer les conditions de l'acquisition ou de la location.
C'est donc avec sérénité que nos jeunes envisagent l'avenir, d'autant que le prix du lait est stable. Les quotas ont été confirmés et, surtout, la mise en place d'une caisse de péréquation a permis à la filière agro-alimentaire, enfin restructurée, de maintenir des prix identiques et rémunérateurs pour tous les producteurs, essentiellement grâce à une organisation forte de ceux-ci au sein de la filière.
Ces jeunes ne sont pas les seuls à s'être récemment installés dans cette commune et chacun a pu trouver le type d'exploitation qui lui convenait.
Nombreux sont encore ceux qui ont choisi la production laitière. Leur plus proche voisin a, quant à lui, opté pour la polyculture bio et sa production est entièrement commercialisée par sa coopérative. Dans la commune voisine, un autre agriculteur, nouvellement installé lui aussi, mais beaucoup plus âgé, a fait le choix, sur une petite exploitation, de pratiquer la vente directe. Un autre agriculteur encore, en GAEC, a choisi la diversification et valorise ses bâtiments par un accueil à la ferme et l'organisation de séjours pédagogiques.
Il n'est pas rare non plus de voir coexister, y compris dans un même groupement, une exploitation porcine « label rouge » sur paille et une autre sur caillebotis, respectant les normes environnementales européennes les plus performantes du moment, en autonomie énergétique grâce à la méthanisation et à l'huile de colza - les tourteaux sont, bien sûr, sans OGM - pour valoriser leur marque.
Bref, monsieur le ministre, il fera bon vivre dans quelques années dans ce monde rural où le maintien et l'installation de nombreux agriculteurs auront permis de conserver des services publics efficaces et adaptés.
Bien sûr, cela n'est qu'une fiction.
Hélas, monsieur le ministre, je crains que les dérives d'un système ultralibéral, axé uniquement sur la rentabilité et l'agrandissement sans fin, ne compromettent l'avenir de nos agriculteurs, de nos régions agricoles et agroalimentaires, voire du monde rural dans son ensemble.
Même si vos propos se veulent rassurants, je ne vois pas ce qui, dans ce projet de loi, pourrait empêcher de telles dérives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque.
M. Dominique Mortemousque. Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à vous remercier. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) En effet, depuis plusieurs mois, vous avez mené des consultations approfondies avec l'ensemble des installations agricoles. Vous avez également fait preuve d'équité et de pragmatisme dans le cadre de la préparation du présent projet de loi d'orientation agricole.
Par ailleurs, je remercie Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques, qui a mis à profit son expérience et sa connaissance des rouages pour préparer, à l'intention de notre assemblée, un canevas adapté à la mise en place du projet de loi d'orientation agricole, avec l'appui du président de la commission des affaires économique, Jean-Paul Emorine. Il a d'ailleurs rappelé tout à l'heure quels étaient les enjeux de cette loi et je fais miens les propos qu'il a tenus.
Enfin, je remercie Joël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances, ainsi que les services du Sénat et ceux du ministère de l'agriculture et de la pêche, qui ont beaucoup travaillé sur ce projet de loi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi d'orientation agricole est utile. Il ne faut pas oublier, en effet, que le ralliement massif des agriculteurs au camp du « non » le 29 mai dernier, à l'occasion du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen, fut l'effet non pas d'une humeur ponctuelle, mais d'un réel et profond malaise de leur part.
Les causes de ce malaise sont multiples. La concurrence internationale s'intensifie. La PAC est attaquée de l'extérieur et contestée de l'intérieur de l'Union européenne. La situation économique des agriculteurs est fragile. Le revenu courant a encore baissé en 2004. C'est le paysan, l'agriculteur que je suis qui vous le dit, monsieur le ministre, car il le vit dans sa propre exploitation.
Nous, agriculteurs, nous sentons asphyxiés par les contraintes et les réglementations qui étouffent le besoin et l'envie d'entreprendre.
Dans le même temps, une partie de l'opinion publique estime que beaucoup a déjà été fait en faveur des agriculteurs, que le bilan de la PAC est pour le moins contestable et que le recul de l'agriculture française est inéluctable. Pourtant, l'agriculture remplit des fonctions vitales pour la société, et en premier lieu au regard de la sécurité des approvisionnements alimentaires.
Dans vingt ans, notre planète comptera plus de six milliards d'êtres humains, soit plus de cent fois la population française actuelle. Sur cette base, la France ne représentera plus alors que 1 % de la population mondiale.
Compte tenu de l'ampleur du défi alimentaire mondial des prochaines années, la sécurité des approvisionnements ne saurait être considérée comme acquise dans un contexte géopolitique devenu complexe et instable.
Les effets de l'agriculture sur l'emploi sont loin d'être négligeables : si l'emploi agricole stricto sensu ne représente qu'environ 3 % de la population active, l'agriculture crée des emplois en aval, notamment avec les industries de première et seconde transformation, l'outillage et la machinerie, par exemple. Rappelons que l'industrie agroalimentaire française est le premier secteur industriel du pays, devant l'industrie automobile, set que l'ensemble de l'emploi agro-alimentaire représente plus de 15 % de la population active du pays.
Ensuite, l'agriculture assure la préservation de l'espace rural ainsi que l'entretien des paysages et contribue à la lutte contre l'effet de serre.
Jusqu'à présent, les agriculteurs organisaient leur production en fonction des aides maximales qu'ils pouvaient percevoir. Mais, à partir du 1er janvier 2006, en vertu de la réforme de la politique agricole commune, ils devront travailler pour le marché et prendre en compte directement ses besoins. C'est un changement de cap majeur, et ce projet de loi d'orientation va indéniablement constituer le point de départ de l'agriculture de demain. Il permettra aux agriculteurs de notre pays, particulièrement aux jeunes, de relever les défis auxquels ils sont aujourd'hui confrontés afin d'assurer la pérennité de notre agriculture.
La réforme du secteur agricole ne se fera pas contre les agriculteurs, elle se fera avec eux. Le projet à bâtir collectivement est celui d'une agriculture multiforme de développement économique et d'aménagement du territoire, de responsabilités et de libertés retrouvées pour les agriculteurs.
Il faut donc admettre une rupture avec l'époque passée et adapter le statut de l'agriculture en tenant compte, de façon sincère et réaliste, des bouleversements intervenus ces dernières années.
Plus de quarante ans après la naissance de la PAC, il est urgent de définir de nouvelles orientations, de nouvelles perspectives pour l'agriculture.
Dès lors que l'on redonnera au monde agricole les conditions d'une certaine réussite économique, il retrouvera l'envie d'entreprendre.
Dans la gestion des exploitations, il est urgent de stopper le système administratif actuel et d'en mettre en place un nouveau, simplifié.
Les agriculteurs doivent pouvoir consacrer leur temps à la production, à la gestion et s'épargner les tracasseries administratives qui pèsent sur eux aujourd'hui.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est sûr !
M. Dominique Mortemousque. Qui peut se satisfaire d'un système comprenant 300 aides, qui font l'objet de 200 directives et règlements européens et d'un nombre équivalent de textes nationaux d'application ?
Dans le commerce des produits, aujourd'hui, nos 600 000 exploitants agricoles travaillent avec environ 6 000 organismes économiques et s'adressent à six distributeurs.
Face à cette situation, tout le monde peut comprendre qu'il est essentiel de soutenir les interprofessions qui permettent aux producteurs de contractualiser face à un nombre restreint d'interlocuteurs.
A cet égard, je citerai l'exemple du Danemark, qui commercialise cinq fois sa production de porcs avec une approche commerciale globale unique pour tout le pays. Je ne sais pas si ce comportement efficace relève du collectivisme ou de l'ultralibéralisme, mais, pour moi, c'est du réalisme !
Aussi, je crois que nous devons bâtir une force commerciale puissante, adaptée à notre monde agricole d'aujourd'hui et tournée vers l'avenir. Nous pourrons ainsi occuper une place de premier rang sur les marchés national, européen et mondial, tout en maintenant l'équilibre entre les producteurs et les distributeurs ; à cet égard, l'aide de l'Etat est indispensable.
Nous devons aussi créer un environnement propice au renforcement de la compétitivité de l'agriculture française en axant l'effort de recherche sur des priorités nettement affichées, comme les biocarburants et les biotechnologies. L'enjeu est de développer une agriculture organisée, harmonieusement répartie sur l'ensemble du territoire, respectueuse de l'environnement dans le cadre du développement durable, afin de renouer la confiance entre l'agriculture et la nation.
Il faut enfin faire un effort en matière de communication pour remédier, notamment, à l'incompréhension grandissante entre les citoyens et le monde agricole.
Ce projet de loi d'orientation doit recréer une ambition pour l'avenir entre le monde agricole et la nation tout entière.
A cet égard, il me paraît important de souligner que les artisans ont su réhabiliter les métiers et relever certains défis. Je citerai l'exemple de la boulangerie. Voilà quelques années, beaucoup prédisaient la fin de ce métier face à l'expansion de la grande distribution. Or que voit-on quinze ans après ? La grande distribution s'est développée, mais à côté d'elle, il y a des boulangers qui sont fiers de leur métier et qui en vivent.
Le projet de loi d'orientation agricole a pour objectif d'accompagner les principales évolutions de l'agriculture française pour les vingt prochaines années en promouvant une logique d'entreprise, en sécurisant les revenus des agriculteurs et en améliorant leurs conditions de travail tout leur permettant de répondre aux attentes des citoyens.
Les principales mesures du projet de loi d'orientation agricole visent en fait à dépasser l'approche patrimoniale de l'agriculture pour aller vers une démarche d'entreprise. En effet, l'exploitation familiale est une notion pratiquement dépassée. Aussi ce projet de loi vise-t-il à moderniser le statut des exploitations afin qu'elles deviennent des entités économiques dégageant de la valeur ajoutée susceptible d'assurer un revenu aux associés.
Celles et ceux qui ont fait le choix de l'agriculture doivent pouvoir en vivre décemment Comment inciter des jeunes à s'engager dans le métier si ceux qui l'exercent n'en retirent pas des revenus suffisants ?
Le dispositif phare du texte est donc la mise en place d'un système de fonds agricole, inspiré du fonds de commerce, qui vise à faciliter et à sécuriser juridiquement la transmission des exploitations agricoles.
Il convient enfin d'encourager la multifonctionnalité de l'agriculture, que nul ne conteste plus aujourd'hui, et d'ouvrir de nouveaux débouchés non alimentaires aux producteurs, notamment avec les biocarburants.
Il est également nécessaire de réorganiser le dispositif des signes de qualité des produits afin d'améliorer la lisibilité du dispositif pour les consommateurs et de faciliter la vente en circuit court, c'est-à-dire du producteur au consommateur. En effet, dans certains départements comme le mien, la Dordogne, cela correspond non seulement à un besoin, mais aussi à un véritable gisement d'activités complémentaires - et non contradictoires - d'une production agricole qui se commercialise au niveau européen ou mondial.
Je ne saurais achever mon propos sans dire un mot de la cohésion sociale.
Les agriculteurs sont des citoyens comme les autres. Ils sont d'accord pour acquitter les charges sociales correspondant à leurs revenus réels disponibles, mais ne veulent payer que leur part, rien que leur part. Le niveau des cotisations des actifs agricoles est tel qu'il ne peut pas être encore élevé.
Au moment d'évoquer les retraites agricoles, j'ai le plaisir de saluer la présence dans les tribunes de M. Drapeyroux, président de l'Association nationale des retraités agricoles de France, accompagné de responsables agricoles de la force vive du Périgord qui suivent de près cette affaire.
M. André Lejeune. Vive la Creuse !
M. Jean-Marc Pastor. Il veut être réélu !
M. Dominique Mortemousque. Vous comprendrez, monsieur le ministre, que je vous fasse part, une fois de plus, de mon amertume devant la précarité dans laquelle se trouvent encore certains habitants de nos campagnes. Certes, des mesures d'amélioration des retraites des non-salariés agricoles ont été prises depuis dix ans mais il reste beaucoup à faire pour les conjoints, les veufs ou les veuves, les aides familiaux.
M. Roland Courteau. Ça, c'est vrai !
M. Dominique Mortemousque. S'agissant de personnes qui ont consacré leur vie à travailler la terre, et qui ont travaillé dur, nous ne pouvons pas leur envoyer à la figure des arguments comme l'insuffisance des cotisations, la baisse démographique ou le déficit du régime, etc. Il est légitime qu'ils vivent convenablement leur vieillesse, tout comme les autres citoyens : c'est une question de justice !
M. Roland Courteau. Sur ce point, vous avez raison !
M. Dominique Mortemousque. Sur le reste aussi ! (Sourires.)
Monsieur le ministre, si le projet de loi d'orientation répond en partie à nos attentes, les amendements proposés par la commission vont sensiblement améliorer le texte.
Pour ma part, j'ai déposé un certain nombre d'amendements qu'il me paraît important d'adopter pour enrichir certaines dispositions. Je vous remercie, par avance, de l'accueil que vous voudrez bien leur réserver.
En conclusion, monsieur le ministre, votre projet de loi d'orientation arrive au bon moment, car il a pour ambition de donner au monde agricole les armes dont il a grand besoin pour affronter l'avenir sur tous les marchés de façon offensive, notamment à la veille du sommet de Hong-Kong sur l'Organisation mondiale du commerce.
Avec mes collègues du groupe UMP, nous y apporterons notre soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre de l'agriculture, il fallait de l'audace pour se lancer dans une telle aventure législative. En effet, votre position est difficile : vous savez que la gestion d'une exploitation agricole s'établit sur le long terme et vous devez en permanence faire face à des changements multiples. Néanmoins, vous avez déclaré vouloir dessiner l'agriculture pour les prochaines décennies.
Pourtant, le « non » français à la Constitution européenne fut une catastrophe politique ; elle a notamment privé la France de son autorité morale de membre fondateur, qui lui permettait d'affirmer le rôle spécifique de l'agriculture en Europe.
Si les dernières propositions du commissaire Peter Mandelson, en particulier la baisse moyenne des droits de douane de 46 %, étaient acceptées, elles auraient une incidence forte, non pas tant parce qu'elles constitueraient une perte de recettes pour le budget de l'Union - les montants ne sont pas élevés - mais parce qu'elles permettraient des importations en provenance de pays où les coûts de production sont bien moindres.
Ces deux faits sont, bien sûr, extérieurs à votre projet de loi d'orientation, mais le second peut bouleverser les prévisions sur les revenus des agriculteurs français, et donc appeler de votre part des mesures plus fortes.
Les agriculteurs français sont désorientés. La baisse de leur revenu est planifiée. Devront-ils pousser leurs enfants à leur succéder ? La baisse des installations est le meilleur révélateur de cette inquiétude. Elle fragilise l'ensemble du monde rural et, en particulier, toutes les activités annexes liées au tourisme rural, qui représente un gisement d'emplois déjà exploité mais toujours prometteur.
Dans ce contexte, vous avez une obligation pour ne pas perdre leur confiance : toutes les décisions doivent être simples et lisibles ; pour eux, lisibilité et sincérité sont étroitement liées.
Je voudrais saluer votre méthode de travail et la concertation menée tant avec les organisations professionnelles qu'avec les parlementaires. Dans ce contexte très préoccupant, le dialogue est vital et donc indispensable.
Monsieur le ministre, vous proposez au monde agricole de s'adapter à ces nouvelles règles communautaires et internationales. Dans ce projet de loi d'orientation, vous couvrez en effet les principaux sujets : vous tentez de répondre tout à la fois aux attentes des agriculteurs en matière de lissage des revenus et de lutte contre les aléas, aux nouvelles exigences économiques, au souci environnemental, au besoin d'un véritable élan pour les débouchés non alimentaires.
Pour cela, vous proposez des mesures fiscales à hauteur de 80 millions d'euros ; sera-ce suffisant ? La fiscalité, élément essentiel de la survie des exploitations, doit être simple ; elle constitue un facteur primordial pour générer la confiance, et donc le dynamisme.
En effet, face au réaménagement progressif de la PAC, à la disparition programmée de la préférence communautaire, vous ne devriez pas craindre d'utiliser toutes les armes légales pour soutenir les agriculteurs français.
Un exemple : pourquoi nos agriculteurs ayant choisi le bio ne bénéficient-ils pas déjà d'une aide au maintien, comme leurs homologues britanniques, belges ou allemands ?
Ce projet de loi d'orientation offre de nouvelles perspectives et je retiendrai trois sujets sur lesquels vous apportez des améliorations notables : l'installation, la valorisation des productions et la simplification administrative.
Permettre le renouvellement des générations et la fluidité de la transmission des entreprises agricoles est essentiel pour notre pays puisque 250 000 exploitants devraient partir à la retraite à l'horizon 2020. C'est vital, en particulier pour mon département, le Gers, le plus rural de France.
M. Roland Courteau. Il y en a d'autres !
M. Aymeri de Montesquiou. Je me réjouis en particulier de la création du « crédit transmission », permettant l'étalement du paiement, applicable à tous les jeunes qui souhaitent s'installer.
La facilitation de la transmission et celle du financement des exploitations vont de pair. En créant le fonds agricole sur le modèle du fonds de commerce, vous avez réussi à faire sauter un tabou et à faire évoluer l'exploitation agricole vers l'entreprise agricole, qui réunit l'ensemble des facteurs de production, les biens matériels et immatériels. La vente et donc l'achat seront facilités par un droit de mutation fixe de faible montant, 75 euros.
Vous avez aussi libéré les baux en les rendant cessibles hors du cadre familial. Mais quelle sera l'incidence de cette mesure sur le droit de propriété ?
Monsieur le ministre, toutes ces dispositions mettent un terme à une vision peut-être trop patrimoniale des exploitations. Espérons qu'elles apporteront une vraie solution pour l'avenir. Rendez-la lisible et répondez à toutes les interrogations qu'elle suscite.
La deuxième priorité, c'est la mise en valeur de nos productions afin qu'elles séduisent toujours plus de consommateurs. Nous disposons d'outils pour identifier les produits selon leur origine et leur qualité. Je partage votre souci de simplifier et d'articuler parfaitement nos symboles avec les signes communautaires.
Initialement, je n'étais pas favorable à ce que le Gouvernement légifère par ordonnance sur ce thème, eu égard à notre responsabilité d'élu vis-à-vis des producteurs et des consommateurs.
M. André Lejeune. Vous aviez raison !
M. Aymeri de Montesquiou. Cependant, monsieur le ministre, pourquoi modifier l'appellation de l'Institut national des appellations d'origine, dont l'acronyme INAO est parfaitement identifié tant en France que dans le monde, à l'heure même où il exerce avec succès son expertise à l'étranger ? Je vous signale que le nouveau sigle que vous proposez de retenir, IQO, signifie « enfant niais » en japonais... (Sourires.)
Concernant la défense de nos productions nationales, je me réjouis tout d'abord de la présence, dans ce texte, d'un article tendant à protéger le foie gras : c'est le fruit du groupe de travail ad hoc que vous avez mis en place, monsieur le ministre, et au sein duquel j'ai eu l'honneur de représenter les producteurs du Gers. Par ailleurs, pour des raisons de sécurité comme pour des raisons de qualité, je souhaite l'adoption de mon amendement visant à rendre obligatoire l'embouteillage de l'armagnac dans l'aire de production.
La troisième priorité est la simplification administrative, qui permettra à nos agriculteurs de mieux employer leur temps et de se consacrer davantage à la commercialisation de leur production.
A cet égard, vous redéfinissez les missions des offices agricoles, vous réduisez le nombre de ceux-ci et vous créez l'agence unique de paiement des aides agricoles, l'AUP, chargée de verser les aides relatives au premier pilier de la PAC, le CNASEA, le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, versant celles qui relèvent du second pilier. Il faut aller plus loin et travailler à l'instauration d'un système unique pour le versement de ces deux catégories d'aides.
De manière plus générale, pourquoi avoir en France des réglementations plus complexes et plus strictes que les exigences communautaires ? C'est à nouveau le cas s'agissant de l'agriculture biologique.
Monsieur le ministre, le 4 octobre dernier, soit huit mois après l'adoption de la loi relative au développement des territoires ruraux, les décrets d'application de certaines dispositions intéressant le monde agricole, relatives par exemple à la protection des espaces agricoles et naturels périurbains, aux conditions de production des vins de pays ou à la création de l'Agence française d'information et de communication agricole et rurale, étaient encore attendus ! Vous n'avez pas manqué de détermination en proposant ce texte, alors ne décevez pas les agriculteurs par des annonces qui ne seraient pas suivies d'effet.
Nous pourrions rêver d'une agriculture d'un autre temps, d'une France autarcique où chaque exploitant vivrait du seul approvisionnement des marchés locaux, mais la mondialisation est un fait, l'agriculture un secteur économique à part entière, même si sa responsabilité va au-delà. Nos agriculteurs savent produire : à nous de ne pas les brider et de les appuyer pour qu'ils aillent conquérir de nouveaux marchés.
Dans cette perspective, le présent projet de loi d'orientation agricole ouvre des pistes et devrait permettre aux agriculteurs de prendre des initiatives. Oui, notre agriculture peut être « compétitive et écologiquement responsable » : la France a en elle les ressources humaines et techniques suffisantes pour cela. De plus, chacun a conscience, mais nous devons le rappeler, que l'agriculture est un élément essentiel d'harmonisation dans de nombreux domaines pour notre collectivité nationale et qu'elle a contribué à la grandeur de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques années, le thème choisi par les jeunes agriculteurs pour leur congrès annuel fut : « Quelle agriculture avec combien d'agriculteurs ? »
Cette interrogation était prémonitoire : même s'il ne sert à rien de s'apitoyer sur le passé, il faut tout de même rappeler que l'agriculture française a perdu, en quarante ans, 80 % de ses effectifs. Il ne reste, à l'heure actuelle, que 600 000 exploitations agricoles, et les experts nous prédisent que, dans moins de dix ans, elles ne seront plus que 100 000 !
Cela explique le profond traumatisme subi par le monde agricole et rural français, traumatisme d'autant plus pénible que ne s'offre véritablement aucune perspective d'avenir pour de nombreux jeunes qui souhaiteraient s'engager dans ce noble métier.
Ce traumatisme a également été aggravé du fait de l'évolution de la rémunération des agriculteurs : au lieu d'être rémunérés au juste prix pour leurs productions, ils ont été transformés en « sous-fonctionnaires » de l'Union européenne, et obligés de remplir des formulaires de plus en plus complexes afin de pouvoir bénéficier des aides versées au titre de la PAC.
Ils sont d'ailleurs de plus en plus inquiets. En effet, si l'actuel contrôle des aides européennes leur paraît d'ores et déjà inutilement tatillon, qu'adviendra-t-il quand sera mise en oeuvre, dès 2006, la conditionnalité desdites aides ? Pourquoi ne pas prévoir une politique de contrôles et d'inspections intelligente, c'est-à-dire qui ne soit pas redondante ni inutilement tatillonne ? Pourquoi ne pas envisager la mise en place d'un mécanisme d'évaluation par les pairs, qui rendrait les contrôles plus acceptables, tout en maintenant néanmoins un système de contrôles aléatoires ?
J'ajoute que, si l'agriculture française a vu fondre ses effectifs, tel ne semble pas être le cas pour ce que j'appellerai la « technostructure agricole ». On nous dit en effet que, pour 600 000 exploitations agricoles, il existerait plus de 370 structures administratives compétentes dans le domaine agricole et que 56 000 fonctionnaires travailleraient dans les divers services se rapportant à l'agriculture ; il faudra probablement réduire un jour ces effectifs, afin que l'on ne dénombre pas, dans dix ans, un fonctionnaire pour deux agriculteurs, voire deux fonctionnaires pour un agriculteur !
Si de nombreuses dispositions de votre projet de loi vont dans le bon sens, monsieur le ministre, j'observe néanmoins, même si c'est en toute amitié, qu'une dizaine des trente-cinq articles du texte relève de l'habilitation du Gouvernement à légiférer à notre place par voie d'ordonnances. Or vous savez que nous sommes plutôt allergiques au recours à cette procédure (M. le rapporteur approuve.), car nous estimons que les neuf mois de la session unique devraient nous permettre de faire notre travail de législateur.
MM. Michel Teston et Jean-Marc Pastor. . Très bien !
M. Claude Biwer. J'ose espérer que le Parlement sera, d'une manière ou d'une autre, associé à la rédaction de ces ordonnances, et je crois pouvoir compter sur vous pour qu'il en aille bien ainsi.
La consolidation du revenu agricole vient en tête des préoccupations ayant guidé l'élaboration de ce projet de loi : je souscris pleinement à ce choix, mais je pense que cela passe aussi par le rétablissement d'un rapport de force plus équilibré entre les producteurs et la distribution.
Monsieur le ministre, il faut mettre fin à cette exception française qui veut que cinq centrales d'achat régulent le commerce dans notre pays et tentent par tous les moyens de réduire de façon drastique les prix payés aux producteurs, afin non pas de vendre moins cher aux consommateurs, mais plutôt de réaliser le maximum de profits.
Dans cette optique, les interprofessions agricoles devraient s'attacher à encadrer certaines pratiques commerciales subies par les producteurs, telles que les enchères inversées, les remises, les ristournes, les rabais, les marges arrière, afin d'aboutir à la suppression de celles qui n'amènent pas de contreparties en termes de volumes achetés ou de fréquence d'achat.
Cela étant, il faudrait également que les textes existants soient effectivement appliqués : je pense à celui qui permet de faire cesser la pratique de prix abusivement bas en cas de crise conjoncturelle, ou encore à la disposition résultant de l'adoption d'un amendement présenté par notre collègue Daniel Soulage et relative aux coefficients multiplicateurs dans le secteur des fruits et légumes.
Je me demande d'ailleurs si, face aux centrales d'achat, les producteurs ne devraient pas s'organiser en créant des « centrales de vente » qui leur permettraient de mieux lutter contre les pratiques de la grande distribution et d'augmenter ainsi leur revenu.
Une autre manière de redonner des marges de manoeuvre à nos agriculteurs consisterait à mieux prendre en compte ce que l'on appelle les fonctions non marchandes de l'agriculture : les agriculteurs ne sont pas que des producteurs, ils sont également des protecteurs de l'environnement et de la biodiversité, des « séquestrateurs » de carbone, des garants de l'entretien des paysages.
Ces fonctions ne sont, pour l'heure, pas rémunérées ; pourquoi ne pas envisager de financer effectivement ces services qui constituent une véritable valeur ajoutée pour notre société ? On pourrait, pour ce faire, utiliser les réserves importantes d'aides européennes disponibles au titre du second pilier de la politique agricole commune, axé sur le développement rural ?
Il conviendrait également de favoriser le développement de nouveaux débouchés pour notre agriculture, et je pense tout naturellement ici aux biocarburants. A l'Assemblée nationale, le Gouvernement a accepté de relever les objectifs de production inscrits dans le plan « biocarburants », mais il faudrait en outre encourager la recherche sur des procédés de fabrication de biocarburants ligno-cellulosiques de synthèse. L'Allemagne et la Suède s'intéressent déjà à la production de biodiesel de synthèse, et les Etats-Unis, grâce à leur ambitieux programme de recherches, devraient devenir dès 2010 le premier producteur mondial de carburants.
Avant de conclure, monsieur le ministre, je souhaiterais énumérer rapidement quelques pistes de réflexion sur des points qui me préoccupent en tant qu'élu de la Meuse, et à propos desquels nous défendrons d'ailleurs plusieurs amendements.
J'évoquerai tout d'abord le renforcement des actions des SAFER, au service et, souvent, à la demande des collectivités territoriales.
Je voudrais ensuite mentionner la possibilité d'établir des baux précaires et révocables, quelquefois consentis par des collectivités territoriales lorsqu'elles disposent de terrains n'ayant pas d'utilisation immédiate. Dans certains cas, de tels terrains ne sont pas loués pour éviter les contraintes d'un bail, ce qui est tout de même regrettable.
Cette situation s'observe d'ailleurs particulièrement dans mon département de la Meuse, où le monde agricole connaît des baux précaires et révocables consentis par le ministère de la défense. De nombreux terrains militaires sont concédés ou rachetés progressivement par les collectivités territoriales, qui décident ensuite soit de les mettre en fermage, soit de ne pas les louer. Dans les deux cas, cela pose des problèmes.
Je ne saurais passer sous silence les retraites agricoles, qui doivent connaître l'évolution prévue dans le cadre des engagements antérieurement pris.
Enfin, je n'aurai garde d'oublier que mon département est largement voué à la production et à la transformation du lait, et a en outre une vocation forestière très affirmée.
Le prix du lait constitue, nous le savons, une préoccupation constante et suscite souvent des controverses entre producteurs et transformateurs. Il faut que les producteurs de lait puissent bénéficier d'un prix rémunérateur, sans lequel la viabilité de leurs exploitations serait mise à mal.
S'agissant de la forêt et de la filière bois, nous n'en avons toujours pas fini avec les conséquences des terribles tempêtes de 1999, et j'observe que les engagements financiers pris par les pouvoirs publics en matière de reconstitution des forêts ne sont pas toujours respectés, ce qui entraîne un retard particulièrement préjudiciable à ce secteur d'activité.
Monsieur le ministre, notre agriculture et notre industrie agro-alimentaire représentent des pôles importants de notre économie : il faut que les agriculteurs se sentent soutenus, que les jeunes puissent se voir proposer des perspectives d'avenir. Le projet de loi d'orientation agricole que vous nous présentez aujourd'hui et que nous allons améliorer au fil de nos travaux concourra, je l'espère, à leur redonner confiance. C'est la raison pour laquelle je le soutiendrai. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.
Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques mois après mon arrivée au Sénat - il y a sept ans déjà ! -, j'avais participé à l'élaboration de la d'orientation agricole dite « loi Le Pensec-Glavany » - je salue d'ailleurs notre collègue Louis Le Pensec -qui faisait suite aux grandes lois agricoles des années soixante.
Voilà déjà trois ans, le président Chirac nous annonçait un nouveau texte. Vous nous le présentez enfin aujourd'hui, monsieur le ministre,...
M. Josselin de Rohan. Vous êtes impatiente !
Mme Yolande Boyer. ... mais après déclaration d'urgence !
A l'origine, de surcroît, douze de ses trente-cinq articles étaient concernés par le recours aux ordonnances. Certes, vous avez fait marche arrière à l'Assemblée nationale, mais la méthode en dit long sur le rôle dévolu au Parlement !
Cela confirme en tout cas que nous avons affaire à un texte qui n'a d'orientation que le nom. Comme d'autres avant moi, je le qualifierai de projet de loi de modernisation ou, pis encore, d'adaptation temporaire à la réforme de la PAC.
Dans l'optique de la préparation d'une loi d'orientation, il eût été intéressant de réaliser une étude d'impact. A ma connaissance, tel n'a pas été le cas.
Par ailleurs, un projet de loi d'orientation devrait tenir compte des textes antérieurs et s'inscrire notamment dans la dynamique de la loi d'orientation agricole de 1999. Or votre texte ignore cette dernière, ce qui est bien dommage ! Manque également la cohérence avec la loi relative au développement des territoires ruraux, qui aurait permis une approche intégrée du développement rural.
De mon point de vue, les objectifs d'une loi d'orientation sont les suivants : premièrement, redonner des perspectives durables à l'agriculture tout en préservant la diversité des territoires et des productions ; deuxièmement, définir les rapports entre agriculture, territoires et société ; troisièmement, se préoccuper des enjeux des prochaines décennies.
Quels sont ces enjeux ? J'en citerai quelques-uns : la souveraineté alimentaire, la présence d'activités sur l'ensemble du territoire, l'entretien de paysages variés, l'aménagement et la préservation de l'environnement, le développement d'industries agroalimentaires novatrices et dynamiques, le soutien à l'innovation et à la diversification des modes de production et de distribution, la promotion de la recherche et de l'initiative, la production de biocarburants.
Mais une loi d'orientation digne de ce nom doit aussi susciter l'espérance, la confiance en notre avenir. L'agriculture est au coeur des questions de société. Nous savons bien qu'elle prend une part déterminante dans notre santé, notre environnement, nos paysages, notre culture aussi !
Pour établir cela, il faut une vision, une volonté, un contrat. Mon propos est de montrer le manque de perspectives, même si, j'en conviens, on doit tenir compte des évolutions et du cadre réglementaire européen, ainsi que du contexte de la mondialisation des échanges. Cependant, il faut croire en notre agriculture et en ses capacités, comme le préconise le très intéressant rapport du Conseil économique et social.
Nous pouvons y croire si plusieurs conditions sont remplies.
Tout d'abord, nous devons inscrire pleinement notre agriculture dans la ruralité. On ne peut en effet parler d'orientation agricole sans vouloir un tissu rural vivant. S'il n'y a pas de services à la population, il n'y aura pas d'agriculture vivante. De même, il n'y aura pas d'économie rurale sans activité agricole dynamique.
Par ailleurs, nous devons avoir la volonté de maintenir l'agriculture dans sa diversité sur l'ensemble des territoires et, pour cela, il nous faut parler des agricultures possibles.
Il faut oser parler de variété et de beauté des paysages, du charme de nos campagnes...
Mme Yolande Boyer. ...- c'est notre patrimoine - et rappeler très concrètement que nous sommes la première destination touristique au monde, avec plus de 60 millions de visiteurs par an.
Cette multifonctionnalité est indispensable, et indissociable de l'agriculture. Or cela n'apparaît pas dans ce projet de loi.
On ne dira jamais assez que la fonction première des agriculteurs est la production pour nourrir les femmes et les hommes de notre pays. C'est ainsi qu'ils font vivre les territoires, mais ils les font vivre également par d'autres activités. Les agriculteurs et les agricultrices sont au centre de l'animation et de la vie en milieu rural, car ils ont une mission d'intérêt général, de services à la collectivité.
L'intérêt général, c'est aussi préserver le foncier et permettre aux collectivités locales de jouer leur rôle. Je me fais la porte-parole de nombreux maires et élus locaux qui s'interrogent, aujourd'hui, sur l'annonce du président Chirac concernant la suppression de la taxe sur le foncier non bâti. Il s'agit d'une mesure destinée à « calmer les campagnes », comme l'indique le rapport du Conseil économique et social !
Je veux rappeler que cette taxe représente environ un cinquième des recettes fiscales directes des 21 000 communes de moins de 500 habitants et que cette suppression porte atteinte au principe constitutionnel d'autonomie financière des collectivités.
En outre, ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, par cette mesure, de mettre les agriculteurs « à part », de casser le lien entre eux et le reste de la population ?
Ajoutons que cette taxe participe à l'effort des communes pour l'aménagement du monde rural.
J'ai néanmoins noté que vous nous proposiez de réduire cette taxe de 20 % seulement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006.
Prendre en compte l'intérêt général, c'est aussi savoir entendre les attentes des citoyens, attentes qui ont évolué et qui continueront à le faire : qualité des aliments, traçabilité, sécurité sanitaire, demande de proximité, de respect de l'environnement, maintien des paysages, activités touristiques.
Je préside moi-même, en Bretagne, un de ces pays touristiques nés grâce à la volonté des professionnels et des élus locaux de maintenir la vie sur leur territoire et de faire connaître leur richesse à d'autres. Quelle dynamique est tirée de cette conjonction des énergies ! Parmi les acteurs, figurent bien sûr les agriculteurs, qui diversifient leurs activités, s'ouvrent à d'autres et accueillent concitoyens et étrangers. Ils font ainsi connaître et aimer la réalité de nos campagnes et, au-delà, de notre pays.
Toute l'activité paysanne, marchande ou non marchande, doit être reconnue. Elle existe et doit être valorisée. Or la notion de contrat entre l'agriculteur et l'Etat a totalement disparu.
Le contrat territorial d'exploitation permettait d'affirmer ce lien entre pouvoirs publics, société et agriculture. Il reconnaissait la diversité des agriculteurs selon leur région, leurs productions, leurs activités et aussi leurs difficultés. Il s'agissait d'une véritable orientation politique et philosophique, d'un outil innovant ; vous l'avez cassé. Il consacrait les diverses fonctions de l'agriculteur, certes producteur avant tout, mais également aménageur, entrepreneur, architecte du paysage, acteur social.
Vous provoquez la rupture avec l'ambition sociétale de l'agriculture qui apparaissait dans la loi d'orientation de 1999.
Vous nous proposez un recul de la spécificité agricole, notamment par l'assimilation des exploitations agricoles à des entreprises.
Vous nous proposez un nouveau paysage agricole, l'agrandissement des exploitations au détriment du lien social, du paysage et de l'emploi, au détriment également du renouvellement souhaitable des générations.
Le présent texte valorise les grandes exploitations aux dépens des petites et ne prend en compte les dimensions environnementales que de façon marginale. Il privilégie la compétitivité individuelle, en installant des milliers de petites exploitations dans une situation de précarité. N'êtes-vous pas déjà en train d'imaginer un monde rural sans paysan ?
L'Etat, en tout cas, ne joue plus son rôle d'organisateur, de régulateur. Il doit avoir un projet de territoire qui garantisse l'équilibre des espaces, la préservation des paysages et du cadre de vie. Le rôle de l'Etat est de définir une stratégie globale et d'en assurer la cohérence, après concertation, bien entendu !
Nous réaffirmons fortement la nécessité de l'intervention publique. Nous voyons bien, à travers ce texte, que nous sommes confrontés à deux conceptions opposées : vous vous orientez définitivement vers une agriculture libérale qui ne laissera aucune chance aux plus faibles et cela, nous ne l'acceptons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos agriculteurs ont besoin de perspectives et d'une orientation pour répondre aux changements de leur environnement international, aux évolutions récentes de la politique agricole commune, aux défis imposés par les nouvelles missions et enjeux qui, dans une société moderne, leur incombent. Ils attendaient donc cette loi d'orientation agricole.
Présentant de nombreuses avancées, ce texte n'abordait cependant pas les problématiques liées au foncier qui, pourtant, méritent toute notre attention. Or, comment envisager d'ouvrir de nouvelles perspectives à notre agriculture sans que soient prises en compte les nouvelles dimensions de notre espace, support de développement incontournable ?
Je me félicite donc de l'initiative de notre excellent rapporteur qui a proposé la création d'un titre spécifique à l'aménagement foncier, titre dont les dispositions apporteront d'ores et déjà quelques réponses sur le sujet.
M. Gérard César, rapporteur. C'est vrai !
M. Bernard Murat. Permettez-moi toutefois de penser, monsieur le ministre, que cela ne suffira pas.
Maire de la plus grande ville d'un département rural, comme tous les autres élus de ce territoire, je suis régulièrement confronté aux questions liées à la gestion du foncier. C'est donc sur le terrain que s'est forgée la conviction qui est aujourd'hui la mienne : nous avons un besoin urgent d'engager une politique foncière ambitieuse, et ce tant pour la protection de l'activité agricole - le foncier étant une déterminante vitale de la constitution d'exploitations agricoles viables - que pour le maintien de l'attractivité des espaces ruraux.
Comme le faisait remarquer le Conseil économique et social dans l'un de ses derniers avis, l'agriculture et le monde rural sont intimement liés par leur développement respectif. Au-delà de sa fonction première, qui est de nourrir les hommes, l'agriculture assure des fonctions variées en matière d'aménagement du territoire, d'environnement, de services, d'entretien des paysages.
Ainsi, la question foncière, jusqu'à présent strictement agricole, se pose désormais en des termes beaucoup plus généraux qui intéressent la société tout entière. C'est ce qu'ont amplement mis en évidence les débats régionaux préparatoires à la loi d'orientation.
La terre disponible, en particulier la terre agricole, est convoitée par tous : par les urbains qui veulent vivre à la campagne, par les collectivités qui souhaitent créer des zones d'habitat ou d'activités et des infrastructures. Cette demande de foncier, cette surenchère sur les terres contribuent à miter l'espace agricole et à compliquer les conditions d'exploitation.
Les exploitants sont obligés de subir les contraintes et les rythmes urbains. Les nouveaux habitants n'acceptent pas l'activité agricole préexistante et ses nuisances.
L'installation des jeunes agriculteurs peut être bloquée par les coûts désormais inaccessibles du foncier : les prix payés par les urbains sont sans rapport avec la rentabilité agricole des terres, mais c'est pourtant sur ces prix que les agriculteurs de mon département, la Corrèze, doivent s'aligner.
Quant au bâti, il est convoité pour des résidences principales ou secondaires de ressortissants nationaux et étrangers. J'ai d'ailleurs reçu dernièrement le consul général de Grande-Bretagne, qui a confirmé tout l'intérêt qu'ont ses compatriotes à venir s'installer en Limousin, où les prix de l'immobilier sont pour eux extrêmement intéressants. Ce bâti échappe donc aux exploitants, notamment aux jeunes : trouver sa maison d'habitation, son siège d'exploitation, à proximité de son élevage devient un casse-tête. Cette réalité est aussi vécue par les artisans qui souhaitent s'installer en milieu rural.
L'engouement pour l'immobilier sur notre territoire extrêmement rural - et ses conséquences sur les prix - est aujourd'hui un handicap pour nous, car il devient difficile d'attirer ou de garder les jeunes ménages dans nos petites communes. Cet état de fait sert ensuite de justification aux fermetures d'écoles, de services au public ou de proximité, tels que médecins et infirmières.
Le mitage de l'espace a aussi un coût pour les collectivités contraintes d'apporter les éléments de viabilisation de base aux nouveaux résidents, puis les infrastructures nécessaires et les services collectifs.
Jusqu'à présent, la politique foncière urbaine a consisté à accompagner le développement des infrastructures et la croissance des villes.
Dans ce cadre, les terres agricoles ont été considérées comme une réserve, une ressource inépuisable à « artificialiser ». Je ne citerai qu'un seul chiffre : chaque année, en France, l'extension urbaine « consomme » environ 60 000 hectares de terres agricoles.
Néanmoins, la terre est le support des activités humaines. A ce titre, elle doit être multifonctionnelle. L'ensemble des activités et des besoins humains doivent pouvoir cohabiter en harmonie, et l'affectation des terres doit se faire de façon équilibrée, dans une optique de gestion durable et transversale de notre patrimoine spatial.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, nombreuses sont les collectivités qui ont compris tout ce que l'agriculture pouvait apporter à la ville et qui mettent en oeuvre d'importants moyens pour conserver leur agriculture périphérique.
Si l'agriculture entretient les espaces de nature, enjolive le cadre de vie, elle permet aussi l'approvisionnement des marchés locaux et joue un rôle dans l'animation du lien entre la ville et la campagne, qui est le garant d'une certaine stabilité sociale.
Il convient donc de mieux organiser la répartition entre les différents usages du foncier, en intégrant chaque demande d'espace dans un projet global qui respecte avant tout les usages agricoles et naturels des terres, et en s'assurant que le projet retenu est celui qui consomme le moins de foncier et qu'il respecte la vocation des espaces à fort potentiel, voire - pourquoi ne pas le dire ? - les traditions.
Le laisser-faire risquerait d'augmenter la consommation de terres pour des usages non agricoles et, ainsi, de faire croître les prix de façon anarchique, en engendrant des conflits entre les agriculteurs et les autres catégories d'utilisateurs.
L'augmentation non maîtrisée des prix pourrait compliquer les projets d'aménagements des élus et poser des difficultés, en particulier aux élus des petites communes qui souhaitent réhabiliter l'habitat rural pour attirer des résidents et assurer un mouvement de revitalisation rurale.
Un développement rural durable ne pourra se faire sans une maîtrise du foncier. La sauvegarde de l'espace agricole repose sur l'existence de campagnes dynamiques qui requièrent, elles, un aménagement du territoire soucieux du maintien d'une agriculture vivante et s'accompagnant du développement d'industries agro-alimentaires, d'entreprises coopératives, artisanales et commerciales, de la présence des professions libérales ainsi que du maintien des services publics.
Monsieur le ministre, compte tenu de l'espace dont nous disposons, l'extension urbaine est possible, tant en faveur du logement qu'en faveur des activités commerciales, artisanales et industrielles. Néanmoins, elle doit être mieux orientée et soucieuse de la préservation des terres agricoles. Nous ne pourrons donc faire l'économie d'un grand débat sur la gestion de l'espace foncier.
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne se prête peut-être pas à ces observations, mais je me fais ce soir l'interprète des agriculteurs et des très nombreux maires ruraux de notre France profonde qui souhaitaient voir ce sujet abordé ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Motion d'ordre
M. le président. Mes chers collègues, avant de suspendre nos travaux, je voudrais soumettre au Sénat une motion concernant les modalités de discussion de l'article 2 du projet de loi.
Cet article fait l'objet de deux amendements de suppression qui, déposés respectivement par le groupe CRC et le groupe socialiste, ont pour effet mécanique de mettre en discussion commune cinquante-cinq amendements.
Pour la clarté de notre débat, je vous propose, en accord avec la commission des affaires économiques, d'examiner séparément et en premier lieu les amendements de suppression de cet article, puis d'examiner les autres amendements par articles du code rural.
Notre débat y gagnera en lisibilité et en efficacité.
Il n'y a pas d'opposition ? ...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi d'orientation agricole.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle loi d'orientation agricole est-elle utile ? On peut en effet s'interroger sur la nécessité de proposer un nouveau texte alors que, depuis quarante ans - on parle toujours de la loi Pisani ! -, beaucoup de textes ont été votés, certains ayant été perçus comme des voeux pieux, des incantations aux effets très limités.
Cependant, il est vrai que notre agriculture continue d'évoluer à un rythme rapide et l'on peut donc penser qu'une nouvelle loi d'orientation agricole permettrait de répondre à la déprime, au malaise des paysans d'aujourd'hui. La rentabilité de leurs exploitations continue de se dégrader - le résultat courant avant impôt a diminué de 4 % en 2004 - et leur taux d'endettement, de croître.
Par ailleurs, les enquêtes d'opinion montrent amplement qu'il y a des attentes fortes de la société, qui est devenue exigeante sur la qualité alimentaire. Nos concitoyens expriment aussi un besoin de nature et de qualité environnementale, qui peut parfois paraître en contradiction avec les pratiques culturales.
Chaque loi d'orientation agricole précédente a prétendu favoriser l'installation. Or on constate que le nombre d'exploitations diminue inexorablement : 2 millions en 1960, 1,2 million en 1980 et environ 600 000 actuellement. L'agriculture a perdu 3 millions d'emplois en quarante ans. Cela signifie que, quels que soient les discours ou les actions mises en oeuvre, on est devant une situation d'échec. La détermination des politiques n'a pas permis de stopper l'hémorragie, au point que la population active agricole est passée de 26 % en 1962 à 4 % en 2001.
Peut-on aujourd'hui arrêter définitivement cette hémorragie ? C'est un pari difficile et pourtant ô combien nécessaire. Certaines micro-régions voient aujourd'hui leur agriculture et leurs agriculteurs disparaître complètement. Les moyens juridiques, législatifs et réglementaires dont nous disposons ne sont plus pertinents. Ceux que vous proposez dans votre texte, monsieur le ministre, sont bien timides face aux progrès de la productivité, de l'intensivité, de la mécanisation, qui suppriment irrésistiblement des emplois et des exploitations tout en permettant de produire toujours plus.
La question que je viens de poser en introduit donc deux autres : n'est-on pas arrivé à un « taquet environnemental » ? N'est-il pas temps de mieux maîtriser les progrès de la productivité, qui peuvent se faire au détriment de notre potentiel naturel, et en particulier celui des sols ?
Nous voici à la croisée des chemins : il nous faut définir réellement un développement durable de notre agriculture, en cassant le rythme de l'agrandissement permanent des exploitations et de l'intensivité de l'agriculture, qui elle-même a ses limites.
Un autre problème se pose en termes d'aménagement du territoire. Notre intérêt général est de maintenir un réseau suffisamment dense d'agriculteurs capables d'entretenir correctement notre paysage agraire, qui fait partie du patrimoine naturel, culturel et esthétique de notre pays. Les paysans restent les animateurs, certes minoritaires mais décisifs, du monde rural. Aussi, nous devons nous interroger sur le type d'agriculture que nous voulons favoriser. Mon sentiment est qu'aujourd'hui se présentent trois cas de figure contradictoires : soit l'évolution vers l'abandon, la forêt, la friche ; soit l'évolution vers une agriculture extensive, autour de très grandes exploitations et avec très peu d'emplois ; soit une agriculture intensive dans les régions les plus favorisées, avec des produits du terroir, une agriculture de proximité.
On voit bien que ces trois scénarios s'entrechoquent en raison d'un manque de clarté dans la définition de nos objectifs, ce qui conduit à une insuffisante lisibilité de notre politique agricole et contribue au désarroi de nos agriculteurs en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent.
Nous devons donc favoriser plus nettement le scénario qui créerait le maximum d'emplois dans une agriculture de proximité, respectueuse de l'environnement.
L'autre évolution significative, c'est l'étalement urbain, périurbain et l'accélération de la spéculation sur le foncier. Ce phénomène se déroule au détriment des agriculteurs. La spéculation foncière s'enflamme sur l'ensemble du territoire. L'installation ne va-t-elle pas être encore plus difficile si le prix des terres, des bâtiments et des maisons continue de progresser à un rythme aussi vertigineux ? Nos outils actuels sont largement insuffisants pour maîtriser l'espace foncier réservé à la production agricole. Dans ce domaine, le rôle des SAFER doit être renforcé ; elles doivent être financièrement soutenues beaucoup plus qu'elles ne le sont aujourd'hui et il convient de prendre des engagements forts dans ce domaine.
La troisième évolution significative depuis quelques années est la part croissante des subventions, en particulier européennes mais aussi nationales, dans le revenu agricole, 9,7 milliards d'euros venant de l'Union européenne et 2,5 milliards d'euros de notre propre pays. Les agriculteurs sont presque transformés en récepteurs d'aides publiques. Cette situation devient difficile à gérer, à faire admettre par l'opinion publique.
En même temps, compte tenu de la mise en place progressive du découplage et des DPU, nous sommes très pessimistes quant au maintien de ces subventions dans les dix prochaines années. La dissociation entre subvention et acte de produire sera vécue comme la mort annoncée des subventions dans un avenir plus ou moins proche. Le découplage est en fait le moyen le plus sûr de délégitimer les aides aux yeux du reste de la société.
Je m'inquiète donc de l'avenir des revenus agricoles si on les rend de plus en plus dépendants des marchés mondiaux. Les marchés sont, avec les nouvelles technologies, de plus en plus volatils. Ils ne peuvent être la référence pour garantir les revenus agricoles. Or, depuis une quinzaine d'années, l'Union européenne aligne de plus en plus les prix européens sur les prix mondiaux. On l'a vu encore récemment à propos du prix du lait et, tout dernièrement, en ce qui concerne la betterave à sucre. Résultat : aujourd'hui, l'Union européenne est - on ne le dit pas assez - déficitaire de 10,9 milliards d'euros s'agissant de ses échanges de matières premières agricoles, notamment en protéines.
Je voudrais donc rappeler cette vérité élémentaire, trop vite oubliée : l'agriculture, c'est la garantie de notre subsistance et donc de notre sécurité.
Les économistes nous conduisent dans l'impasse en nous faisant croire que l'on pourrait très facilement et très régulièrement s'approvisionner sur les marchés mondiaux.
Or, vous le savez, en particulier pour ce qui des produits agricoles, les marchés ont tendance à amplifier les déséquilibres et les tensions. S'en remettre au fonctionnement des marchés pour garantir la sécurité alimentaire en quantité et en qualité est, dès lors, une folie.
Le général de Gaulle disait qu'un pays qui ne peut pas se nourrir lui-même n'est pas un grand pays. Eh bien, nous devons, par des outils législatifs, organiser les marchés, garantir un prix minimum promettant aux agriculteurs de vivre de leurs productions, de leur travail.
Il vaudrait mieux, à la limite, faire disparaître les subventions et augmenter le prix de notre subsistance. Je rappelle que les prix des produits agricoles français ont baissé de 60 % depuis 1960 et que la part de l'alimentation dans le budget des ménages est passée de 36 % à 18 %.
Ce sont là des réalités qu'il faut bien avoir à l'esprit avant de dire qu'il est plus facile d'acheter dans n'importe quel magasin pratiquant le hard discount. Il faut payer le prix que l'on doit aux agriculteurs par rapport au travail qu'ils fournissent pour produire notre alimentation.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Paul Raoult. D'ailleurs, qui peut dire que les prix mondiaux des produits agricoles ne vont pas augmenter de la même façon que ceux de l'énergie et des matières premières actuellement ? Ayant laissé notre agriculture s'affaiblir, nous serions alors obligés de réagir dans le désordre et l'improvisation, ce qui nous ferait sans doute aboutir à un système encore plus coûteux que celui qui existe aujourd'hui.
Même si je refuse l'idée d'une économie administrée, je considère qu'il faut protéger les agriculteurs des incertitudes du marché. Or votre projet de loi d'orientation agricole, monsieur le ministre, par certains aspects, fragilise d'avantage notre agriculture et rend son avenir incertain.
Il faut donc éviter que les paysans ne deviennent des entrepreneurs de la chaîne agroalimentaire, marginalisés dans le rapport de force politique. Nous avons besoin d'une agriculture viable, qui redonne de la fierté aux agriculteurs.
Votre réponse, monsieur le ministre, me paraît bien timide, voire parfois dangereusement néolibérale. Elle n'est peut-être pas à la hauteur des défis qu'il nous faut relever. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le ministre, monsieur le président, monsieur le rapporteur, après ces considérations fort intéressantes - un peu passéistes, certes, mais fort intéressantes -, je me contenterai de parler de la forêt de façon plus technique et plus précise.
Dans cette loi d'orientation agricole, le ministre de la forêt que vous êtes également, monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, a inséré plusieurs dispositions qui nous intéressent, nous, forestiers.
Agriculture et forêt sont les deux piliers du développement rural. Ce propos ne constitue certes pas une grande nouveauté. En effet, le projet de règlement de développement rural pour la période 2007-2013, pour ne citer qu'un exemple, l'intègre pleinement et il se retrouvera sans doute - en tout cas, je le souhaite fortement - dans la déclinaison nationale du règlement européen en cours d'élaboration à votre diligence, monsieur le ministre.
Je note avec une grande satisfaction la présence d'un certain nombre de dispositions dans ce projet de loi d'orientation.
Tout d'abord, la baisse du taux de TVA en faveur du bois-énergie sera un élément d'incitation très positif dans l'objectif, partagé par tous les acteurs du monde rural, d'un fort développement de cette source d'énergie renouvelable. Les communes forestières, avec votre soutien, monsieur le ministre, montent dans ce but un réseau de développement de la filière bois-énergie en milieu rural.
Sur ce thème de la TVA, je souhaite cependant rappeler l'engagement que vous avez pris d'étendre le taux réduit aux abonnements à des réseaux de chaleur à base de bois dès que la mesure en sera rendue possible par la sixième directive européenne sur la TVA, qui est en préparation. Pourrez-vous nous dire où en est ce dossier ?
Je salue avec encore plus de reconnaissance et d'enthousiasme la contribution que votre texte apporte à la question de la gestion forestière et de la valorisation des produits forestiers dans la réduction des émissions nationales des gaz à effet de serre et leur introduction dans les mécanismes de marché correspondants.
Oui, la forêt stocke du carbone pour la simple raison que les arbres se construisent à partir du gaz carbonique de l'air. Oui, le bois utilisé dans la construction est du carbone stocké dans la durée. Oui, le bois-énergie se substitue aux énergies fossiles et réduit ainsi les rejets dans l'atmosphère de ces gaz qui modifient le climat. Oui, il est juste et sain d'organiser un retour de cette contribution en direction des produits forestiers. L'article 11, qui les met en parallèle avec les produits agricoles, constitue à cet égard une avancée dont nous vous félicitons. Il reste néanmoins à en trouver la forme technique, une forme qui soit synonyme de dynamisation de la gestion forestière, d'accroissement de la récolte de bois à usage de bois-énergie et de bois-construction dans le cadre de la gestion durable des forêts.
Les communes forestières souhaitent, monsieur le ministre, être associées à cette réflexion. Nous n'ignorons pas qu'il s'agit d'un problème extrêmement ardu, qui doit être envisagé en liaison avec la réglementation internationale et le protocole de Kyoto. Il nous faudra certainement travailler tous ensemble de manière assidue pour arriver à quelque chose de précis. Il reste que c'est certainement la meilleure ressource que nous avons à proposer pour l'avenir de nos forêts.
Afin de rationaliser pleinement les apports de la forêt dans les massifs de montagne, j'ai déposé un amendement ; vous m'avez fait connaître votre accord quant au principe, mais il semble que quelques difficultés subsistent. Cet amendement concerne la généralisation des schémas stratégiques forestiers de massif à l'ensemble des massifs de montagne. A cette échelle du grand massif de montagne, le schéma forestier organise la stratégie forestière et en planifie les actions en faveur de la valorisation des différentes fonctions de la forêt, de la mobilisation de la ressource forestière, de la compétitivité de la filière et de la création d'emplois ainsi que du développement des usages du bois.
J'aurais aimé, enfin, que la loi reprenne la disposition d'aide à l'exploitation des peuplements de montagne à fort handicap d'accessibilité, disposition que vous avez prise par une circulaire datée du 16 août, à titre d'essai et pour une durée limitée à deux années. Certes, la circulaire existe, mais nous aurions aimé une consolidation législative. Pourriez-vous, en tout état de cause, me confirmer que, si les résultats sont positifs comme nous l'escomptons, ces dispositions de soutien au débardage et aux plateformes de stockage seront pérennisées. A travers cette mesure il s'agit, là encore, de renforcer la contribution de la forêt à la gestion des paysages, à la mise en valeur et à l'équilibre des territoires de montagne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. M. le ministre et M. le rapporteur nous ont dit en début d'après-midi que le débat à l'Assemblée nationale avait enrichi le projet de loi. Mais la véritable question est de savoir s'il va enrichir les petits agriculteurs,...
M. Alain Vasselle. Les agriculteurs !
M. Jean Desessard. ... s'il va empêcher l'exode des paysans et empêcher la désertification du monde rural.
Dans un mois, les négociations seront âpres au sein de l'Organisation mondiale du commerce, à Hong-Kong, pour déterminer le taux de libéralisation des échanges. Or nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter de la politique agricole de la France, au sein de l'Europe, pour les quinze prochaines années. Force est de constater que nous aborderons ces négociations non pas avec une vision claire, non pas avec de grandes orientations, mais avec un simple projet d'adaptation au compromis de Luxembourg.
M. Gérard Le Cam. Eh oui !
M. Jean Desessard. Tout comme l'année dernière nous étions déçus par le projet de loi d'orientation sur l'énergie, qui n'engageait pas d'audacieuses politiques pour l'avenir énergétique de la France, aujourd'hui encore nous constatons la timidité des mesures qui nous sont proposées.
Nous entérinons seulement les modifications de la PAC de 2003. Alors que la PAC, pilier historique de la construction européenne, constitue désormais un casus belli entre les pays fondateurs, faut-il rappeler que les agriculteurs ont massivement voté contre le traité constitutionnel européen au printemps dernier ? N'y a-t-il pas là comme un hiatus qui mériterait examen ? Quelles que soient les raisons de ce vote, il semble évident que le monde paysan a besoin d'être écouté et rassuré par des mesures à long terme qui répondent à la crise de certains secteurs, à l'entrée des nouveaux pays dans l'Europe des Vingt-Cinq, puis des Vingt-Sept, à la mondialisation, mais aussi qui prennent en compte les crises sanitaires et les innovations technologiques.
N'est-ce pas le moment de reconsidérer notre agriculture et de prendre le temps d'apporter des solutions respectueuses du travail des agriculteurs, de l'environnement qui les entoure et de la santé des populations ?
En 2013, le budget de la PAC sera revu à la baisse. Que ferons-nous alors ? Il est probable que nous serons encore obligés d'élaborer de nombreuses lois qui ne seront que des lois d'adaptation et non pas des lois d'orientation.
Les accords de Luxembourg ont produit des mesures kafkaïennes ! Le calcul et la mise en application des droits à paiement unique sont tellement compliqués que peu de gens semblent en maîtriser réellement toutes les subtilités, y compris au sein des directions départementales de l'agriculture et de la forêt. Il aurait fallu élaborer des politiques visibles pour le maintien des productions agricoles de proximité, le maintien de prix agricoles rémunérateurs, le soutien plus affirmé à l'agriculture biologique et les aides aux zones défavorisées et de montagne.
S'agissant du fonds agricole, qu'il soit optionnel ou pas, la question n'est pas tant de savoir si une exploitation peut ou doit se transformer en entreprise pour survivre à la conjoncture actuelle, que de savoir quelle agriculture nous souhaitons créer en France et en Europe pour les vingt prochaines années.
De nombreuses exploitations céréalières se sont déjà constituées en exploitation agricole à responsabilité limitée ou en société à responsabilité limitée. Que va leur apporter ce nouveau droit ?
Aujourd'hui, on nous propose la modernisation par la fuite en avant, une standardisation, une homogénéisation. Mais entrer dans le XXIe siècle, n'est-ce pas plutôt prendre le temps de réfléchir, de mettre en oeuvre le bon sens et de s'appuyer sur la mosaïque de l'agriculture française, qui porte en elle des potentialités et des initiatives qui gagneraient à être valorisées ?
Prenons l'exemple des biocarburants et des agrocarburants. Les Verts ne peuvent qu'approuver la manière dont la préservation de l'environnement et le soutien aux biocarburants sont évoqués dans ce projet de loi. Bravo ! Mais quelle frilosité ! Au lieu de propositions dynamiques, on nous soumet des mesures d'adaptation prudentes.
Il est dommage que le projet de loi mette l'accent simplement sur l'aspect économique des biocarburants et non pas sur la nécessité de les développer afin de respecter le protocole de Kyoto. Pour preuve, le soutien aux biocarburants est réalisé sans discernement. Aucun cahier des charges n'est réclamé et les agrocarburants, issus des productions agricoles, ne sont pas dissociés des biocarburants, qui sont, eux, issus de productions biologiques.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Desessard. Ainsi, l'ethyl-tertio-butyl-éther, l'ETBE, et le diester, sont issus de l'agriculture intensive et sont donc nuisibles à l'environnement de par leur mode de production, qui utilise du pétrole, et de par leur utilisation, alors qu'ils sont abusivement présentés comme d'efficaces carburants de substitution à l'essence. Mais pour qui sont-ils efficaces ? Quel est leur véritable bilan énergétique ?
De leur côté, les huiles végétales pures, dont l'écobilan est positif, sont mises sous cloche et font l'objet d'une discrimination dans le présent projet de loi, qui en limite sérieusement le développement.
De même, rien n'est fait en matière de recherche pour inciter les fabricants automobiles à adapter les injecteurs et les carburateurs aux huiles végétales.
Ainsi, l'essor et le soutien des agrocarburants profiteront peut-être aux agriculteurs, mais surtout aux lobbies agricoles et aux grandes firmes pétrolières ; ils ne sont pas suffisamment analysés en fonction du réchauffement climatique.
Les agrocarburants et les biocarburants deviennent plus rentables que le pétrole. Profitons-en pour accélérer la recherche dans ce domaine.
Enfin, il n'est pas assez question de la méthanisation des déchets végétaux et fumiers, malgré les recommandations de la Commission européenne. Pourtant, les systèmes sont parfaitement au point et permettent de ne pas laisser s'échapper dans l'atmosphère le méthane, l'un des gaz les plus « toxiques » pour l'effet de serre.
L'avenir des territoires ruraux n'est pas dans une mondialisation qui laisserait ses acteurs sur le carreau. Redynamiser les territoires ruraux et préserver l'environnement sont deux enjeux qui vont de pair et se rejoignent dans la prise en compte de la pluriactivité et de la multifonctionnalité de l'agriculture, mais aussi dans la mise en place des circuits courts. Il faut interpréter cette volonté d'autonomie protéinique et d'autosuffisance alimentaire non pas comme un retour en arrière et, encore moins, comme un idéal d'autarcie déplacé, mais comme une mesure de bon sens où tout le monde sera gagnant.
Pour l'environnement, les circuits courts permettent des économies d'énergie par la réduction considérable des transports. Mais si l'on utilise les huiles végétales pures, c'est aussi le moyen de créer des échanges entre agriculteurs, de procurer à ces derniers un complément de revenus, de favoriser les services publics dans des régions où les stations-service sont très espacées et où les collectivités locales sont demandeuses de moyens économiques et écologiques pour maintenir le car scolaire ou favoriser les déplacements de la camionnette de La Poste.
Par ailleurs, je suis surpris de voir écrit noir sur blanc dans ce projet de loi que les produits phytopharmaceutiques peuvent contenir des OGM. Voilà encore un moyen d'inscrire dans la loi des questions qui ne sont pas encore tranchées.
A l'heure actuelle, les animaux d'élevage sont nourris avec du tourteau de soja provenant du Brésil ou d'Argentine. Ces pays ont fait, en grande partie, le choix de cultures d'OGM. Ainsi, alors qu'en France le débat sur les OGM est loin d'être tranché, l'élevage français se nourrit d'OGM importés, malgré le refus massif des consommateurs.
S'il avait orienté l'agriculture française vers la mise en place des circuits courts, ce projet de loi aurait pu apporter une solution à ce problème. A titre d'exemple, le développement dynamique de la production d'huiles végétales pures à la ferme aurait permis de produire des tourteaux de tournesol ou de colza, qui ne seraient pas des OGM, qui n'auraient pas besoin de franchir des milliers de kilomètres et qui pourraient apporter un revenu complémentaire aux agriculteurs.
J'en reviens à la fonction de l'agriculture. Il ne s'agit pas simplement d'une activité visant à produire du blé, de la viande, des légumes ou du lait, comme cela a été dit à plusieurs reprises. L'agriculture produit aussi des paysages, qui constituent notre patrimoine. Non figés dans le temps, ils évoluent depuis des millénaires. Il faut cesser de considérer qu'un espace non urbanisé est un espace vierge en voie d'urbanisation. Nous protégeons nos forêts au même titre que le patrimoine bâti, mais n'oublions pas les champs et les vergers.
L'agriculture est aussi la sauvegarde de l'environnement. Les espaces agricoles favorisent le maintien des sols, la préservation de la biodiversité. Dans l'esprit de beaucoup, la biodiversité reste encore un luxe un peu abstrait. C'est pourtant un .pilier essentiel non seulement de la protection de notre milieu naturel, mais aussi de la sécurité sanitaire. Il n'est que de voir l'exemple des ravages causés par la vache folle dans le cheptel des Prim Holstein. Peut-être l'avenir nous montrera-t-il que la grippe aviaire s'est propagée en raison de la standardisation du capital génétique. Véritable barrière en cas de pandémie, la variété des espèces pourra certainement nous être utile face au changement climatique qui nous est annoncé.
C'est la raison pour laquelle je m'interroge au sujet des articles de ce projet de loi qui prévoient la certification des semences pour les ruminants. Il m'avait pourtant semblé que nous allions dans le sens d'un retour à la diversité des races avec la réhabilitation du baudet du Poitou ou de la pie noire bretonne, sauvée in extremis de la disparition.
J'en viens à la qualité de notre alimentation. Deux choses devraient aller de pair : la qualité gustative et la qualité sanitaire. Mais, trop souvent, ce vocable « sanitaire » n'est que le souci hygiéniste pastorien. Jamais n'est prise en compte l'accumulation des toxiques chimiques dont sont remplies les cuves des pulvérisateurs agricoles.
Trop souvent dans ce projet de loi, les consommateurs, ainsi que leurs associations dont le rôle de veille est essentiel pour les parlementaires que nous sommes, sont oubliés des organismes consultatifs.
Trop souvent, le respect de l'environnement et la protection animale sont oubliés des processus de labellisation des produits ou des conditions indispensables à l'obtention d'un soutien financier.
Où sont les projets pour une agriculture raisonnée, moderne par son souci de réduire les intrants, de redynamiser les territoires, de donner leur place aux grandes comme aux petites exploitations ? Quelles sont les perspectives dans le domaine de la recherche qui permettront de développer une agriculture intelligente dans les années à venir ?
Si nous prenons l'exemple du maïs, je ne vois rien dans le présent texte qui incite concrètement à réfléchir sur cette culture extrêmement consommatrice en eau. En ces temps de dérèglements climatiques et d'épuisement des ressources, faut-il exploiter le maïs différemment et, si oui, comment ? Ou bien faut-il en arrêter progressivement la culture dans certaines régions ou l'associer à d'autres cultures ?
Ce projet de loi entend adapter le monde agricole à la libéralisation des échanges, à la recherche du prix minimum. Ce n'est pas la direction que les consommateurs, les agriculteurs, les Verts et leurs parlementaires souhaitent prendre.
Dans le cadre actuel de crise environnementale, c'est pourtant de l'agriculture que viendront les solutions. Productrice d'énergie verte, génératrice d'échanges et d'emplois, implantée dans le monde rural en équilibre par rapport à la ville, l'agriculture moderne sera écologique, sociale, ou ne sera pas. Ce n'est évidemment pas dans cette direction que nous oriente la nouvelle loi agricole, puisqu'elle est sans véritable orientation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le temps de parole qui m'est imparti ne me permet pas de disserter sur le sujet, mais il est suffisant pour remercier M. le ministre de s'être attelé à la tâche et de défendre au mieux, dans le cadre des rencontres européennes et internationales, notre profession agricole, qui a quelques états d'âme par les temps qui courent !
La nouvelle politique agricole commune, au travers des DPU, est plutôt source d'inquiétude. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les orateurs qui m'ont précédé et, à quelques nuances près, je n'ai que peu de choses à ajouter aux propos qui ont été tenus sur les travées aussi bien de droite que de gauche. Ainsi, lorsque M. Raoult a demandé que la production agricole soit payée à son juste prix, j'ai failli applaudir des deux mains. Mais j'ai eu quelque retenue, craignant que ce soit peut-être mal vécu par mes collègues de la majorité, à laquelle j'appartiens. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
J'ai constaté qu'il n'y avait pas véritablement de critiques fortes sur ce projet de loi d'orientation agricole : simplement quelques regrets et, selon certains, notamment notre collègue Jean Desessard, un manque d'ambition pour aller beaucoup plus loin. Mais l'ensemble des mesures présentées vont dans la bonne direction.
Cependant, j'ai eu l'impression d'un texte portant « diverses mesures d'ordre agricole », à l'instar du début des années quatre-vingt-dix, lorsque les gouvernements nous présentaient assez régulièrement des textes de loi portant diverses dispositions d'ordre social ou diverses mesures d'ordre financier.
Il est vrai, monsieur le ministre, à votre décharge, que la politique agricole se détermine aujourd'hui non pas en France, mais à l'échelon européen, et même bien au-delà, lors des négociations qui sont menées au sein de l'organisation mondiale du commerce. Votre marge de manoeuvre est donc très étroite. Mais je constate que vous l'avez totalement utilisée pour essayer de contenir, d'aménager ou d'améliorer le contexte juridique, économique et social dans lequel l'agriculture sera appelée à évoluer dans les prochaines années.
De ce point de vue, je ne peux que me féliciter de l'action du Gouvernement et de sa volonté d'aller vite pour répondre à l'attente forte de la profession agricole.
Je me félicite également des propos qui ont été tenus par les rapporteurs. J'ai parfois la dent un peu dure et il m'est arrivé de m' « accrocher » avec le président Jean-Paul Emorine sur certains sujets - pas encore avec mon collègue Gérard César, mais peut-être m'en fournira-t-il l'occasion s'il émet un avis défavorable sur mes amendements. (Sourires.) Cela étant, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les propos de Joël Bourdin qui s'exprimait au nom de la commission des finances.
Néanmoins, sur le plan fiscal, je reste sur ma faim. Car ce n'est pas dans le présent texte que nous allons examiner diverses mesures fiscales : c'est dans le cadre de la prochaine loi de finances. Qu'en sera-t-il réellement ? J'espère, monsieur le ministre, que vous serez alors au banc du Gouvernement, aux côtés du ministre des finances, pour défendre les amendements accompagnant l'ensemble des mesures prévues dans ce projet de loi.
M. Emorine a évoqué le foncier non bâti, sujet auquel je ne suis pas insensible. Nous évoluons vers une nouvelle notion, a-t-il dit, puisque l'on parle non plus d'exonération, mais de dégrèvement.
M. Gérard César, rapporteur. Oui !
M. Alain Vasselle. Monsieur le ministre, nous devons rester vigilants sur ce point. Deux aspects sont à considérer.
Le premier est celui de la compensation de l'exonération : il ne faut pas que le vocabulaire utilisé ou le type de mesure employée soient l'occasion pour le ministère des finances de s'affranchir de la compensation aux collectivités locales. Autrement dit, l'Etat ne doit pas s'abriter derrière des questions purement sémantiques pour déclarer qu'un dégrèvement n'est pas une exonération et n'ouvre pas droit à compensation.
Second aspect : vous voulez faire bénéficier les fermiers des dispositions concernant le foncier non bâti, ce qui est juste compte tenu de leur pouvoir d'achat qui est particulièrement atteint. Mais il ne faut pas oublier les bailleurs ! J'ai déposé un amendement visant à faire en sorte que la réduction d'impôt sur le foncier non bâti profite totalement non seulement aux fermiers, aux exploitants agricoles, mais également aux propriétaires bailleurs.
La semaine dernière, un journal agricole de mon département annonçait une nouvelle baisse de l'indice du fermage, ce qui signifie que les propriétaires bailleurs voient le produit de la location de leurs terres baisser, alors qu'ils subissent dans le même temps un accroissement du poids de leurs charges et de leurs impôts.
Je vous rends grâce, monsieur le ministre, d'avoir prévu des dispositions visant à améliorer quelque peu les relations entre le fermier et le propriétaire et à redonner aux bailleurs un peu plus de droits sur leurs propriétés. Je défendrai d'ailleurs quelques amendements tendant à conforter les mesures qui sont prévues dans ce sens. Mais il faut, mes chers collègues, que nous trouvions un juste équilibre entre la préservation des droits des propriétaires et la nécessité de satisfaire les besoins des exploitants, qui voient leur pouvoir d'achat s'éroder d'année en année.
Pour ma part, je ne souhaite pas la mise en place d'une troisième ou d'une quatrième politique agricole commune, car à chaque nouvelle PAC les aides à la profession diminuent. La modulation qui accompagnera les DPU représente une atteinte au pouvoir d'achat et à la capacité d'investissement de la profession.
Qu'en sera-t-il en 2013, en 2014, lorsque les cartes seront redistribuées ? Je l'ignore, mais si l'on y ajoute le poids des contraintes environnementales, tout à fait légitimes, cela devrait faire l'objet d'une compensation financière en faveur de la profession, compensation qui n'existe pas dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune.
Notre collègue de La Réunion s'est inquiété du règlement « sucre », qui constitue une préoccupation majeure des betteraviers. J'espère, monsieur le ministre, que vous saurez défendre les intérêts de notre pays. Je compte sur vous et sur le Président de la République pour que, dans le cadre des négociations menées au sein de l'OMC, la France fasse valoir son droit de veto, car nos concitoyens, et les agriculteurs en premier lieu, ne comprendraient pas que la France cède devant les propositions que le représentant du Royaume-Uni se prépare à présenter au nom de l'Europe. (M. Jean Desessard s'exclame.)
Sans vouloir être trop long ni décliner les différentes mesures prévues dans le texte, tels le fonds agricole, le bail cessible, les mesures en faveur des exploitants agricoles, l'assurance récolte - chère à notre ami Jean-Paul Emorine, dont je soutiendrai les propositions -, je voudrais encore évoquer deux aspects du texte.
Tout d'abord, je rappellerai que les biocarburants ne doivent pas être source d'illusions et de faux espoirs pour la profession agricole. Compte tenu de la flambée des cours du pétrole, dont le baril a dépassé les 100 dollars, tout le monde convient qu'il est nécessaire de trouver de nouvelles énergies pour satisfaire les besoins énergétiques du pays et que les biocarburants représentent la solution de substitution à l'utilisation du pétrole, du fuel ou de l'essence. Encore faudra-t-il que la profession voie sa production payée à son juste prix ! Si le quintal de colza, la tonne de betterave ou le quintal de blé sont achetés à des prix qui ne représentent pas les coûts de production, à 50 francs le quintal de blé ou légèrement plus pour le colza, peu nombreux seront les agriculteurs qui s'engouffreront dans cette voie de production !
Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes convaincu de cette nécessité ; il faut maintenant que les mesures fiscales qui accompagneront le dispositif permettent de concilier à la fois les besoins énergétiques de la France et ceux de la production agricole.
Ensuite, vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que je ne puisse pas passer sous silence les dispositions du texte concernant l'exonération de certaines charges sociales dans le cadre de la politique de l'emploi en faveur de la profession agricole. En ma qualité de professionnel, je ne vois aucun inconvénient à ce que soient prises de telles mesures, bien au contraire. Mais je suis également le rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale, et je tiens comme à la prunelle de mes yeux à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Si nous n'avons pas encore réussi à l'atteindre, nous nous sommes fixé pour objectif d'y parvenir en quelques années. Encore faut-il que chacune des mesures d'exonération que nous prenons soit intégralement compensée ! J'espère que sur ce point, monsieur le ministre, vous saurez nous rassurer.
Enfin, même s'il ne fait pas l'objet du projet de loi d'orientation agricole, il me paraît difficile de ne pas évoquer le fonds de financement des prestations sociales agricoles, le FIPSA, qui connaît aujourd'hui une perte nette de 3,2 milliards d'euros, car c'est l'avenir des retraites des agriculteurs qui est en jeu. M. Copé a annoncé à l'Assemblée nationale qu'il envisageait de faire figurer dans le projet de loi de finances pour 2006 des dispositions permettant de faire au moins la moitié du chemin, et que la seconde moitié serait traitée dans le projet de loi de finances pour 2007. Je souhaite, monsieur le ministre, que cela soit écrit noir sur blanc et que le Gouvernement prenne des engagements très clairs : pourriez-vous nous confirmer les propos de M. Copé et, par là même, nous rassurer sur ce point ?
Restera cependant le déficit annuel, qui représente 1,7 milliard d'euros. Nous aurons environ 300 millions d'euros qui permettront d'en compenser une partie, mais il nous faudra trouver 1,4 milliard d'euros de ressources nouvelles pour assurer l'équilibre des comptes du FIPSA. Il me paraît important, mes chers collègues, avant même l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, que nous réfléchissions aux dispositions à prendre pour assurer l'équilibre du budget des assurances sociales agricoles et garantir l'avenir de ces dernières. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Claude Lise.
M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'annonce d'une loi d'orientation agricole ne pouvait a priori qu'être accueillie avec intérêt dans les régions d'outre-mer, où une grande partie de l'activité économique et le maintien de nombre d'emplois dépendent de l'activité agricole : à titre d'exemple, en Martinique, la population agricole demeure trois fois plus nombreuse, en proportion, qu'en métropole.
Pourtant, monsieur le ministre, je dois vous faire part d'une double déception.
Tout d'abord, la demande quasi unanime et maintes fois réitérée des socioprofessionnels et des représentants politiques d'outre-mer que soit adoptée une loi spécifique susceptible de répondre aux enjeux particuliers de l'agriculture ultramarine n'a pas été satisfaite. On ne peut en effet, monsieur le rapporteur, assimiler les quelques mesures du titre V à une telle loi.
Ensuite, à défaut d'un texte spécifique, le Gouvernement n'a même pas tenu compte des recommandations de la Commission nationale d'orientation, mise en place en septembre 2004 par le ministre Hervé Gaymard, à laquelle les représentants des régions d'outre-mer ont très activement participé.
En effet, les travaux de cette commission ont souligné un certain nombre de particularités de l'outre-mer en termes de types de productions, de structure des exploitations, d'organisation foncière et d'organisation économique. Ces particularités sont tout autant dues à des facteurs naturels, tels que le climat en zone tropicale ou équatoriale, l'insularité, diverses caractéristiques géographiques, qu'à des facteurs hérités de l'histoire et des pratiques du passé : je pense plus spécialement à la monoculture d'exportation qui a longtemps dominé l'agriculture antillaise, ou encore aux effets de l'utilisation de pesticides, restée hélas trop longtemps courante dans les exploitations de bananes, sur la qualité des sols et de l'eau.
Dans son avis, la Commission nationale ajoute que ces particularités justifient que l'on fasse, département par département, la part respective des outils et procédures qui s'appliquent ou pourraient s'appliquer comme dans l'Hexagone, de ceux qui doivent être adaptés, et de ceux, enfin, qui restent à créer de façon spécifique. A l'évidence, le projet de loi qui nous est présenté ne satisfait pas suffisamment à cette triple exigence. Il ne peut donc pas vraiment répondre aux grands enjeux de l'agriculture ultramarine, notamment à ceux de l'agriculture antillaise, que je souhaite rappeler succinctement.
Le premier enjeu est celui de la protection du foncier agricole dans un contexte de « périurbanité » majoritaire et de parcellisation très forte, avec pour facteur aggravant l'acuité du problème de l'indivision. La stabilité du foncier pour l'agriculture n'est pas assurée aux Antilles. A titre d'exemple, en trente ans, de 1973 à 2000, ce sont 37 % de la surface agricole utile martiniquaise qui ont été détournés de l'usage agricole. Des mesures audacieuses doivent donc être prises si l'on ne veut pas, à terme, mettre en danger le maintien d'une activité agricole sur de tels territoires exigus.
Le deuxième enjeu concerne le statut de l'exploitant agricole, dans un contexte de pluriactivité généralisée sur des surfaces moyennes d'exploitation très restreintes. En Martinique, par exemple, 86 % des exploitations agricoles ont une surface inférieure à 5 hectares.
Le troisième enjeu, enfin, concerne le fonctionnement et le financement des institutions nécessaires à notre agriculture. Je pense en tout premier lieu à l'Office de développement de l'économie agricole dans les départements d'outre-mer, l'ODEADOM, qui a pour mission d'être un outil de cohérence des politiques en faveur de l'outre-mer, mais qui, on le sait, souffre d'un manque de moyens et d'un fonctionnement beaucoup trop lourd.
Monsieur le ministre, vous l'aurez compris, la position qui me semble répondre le mieux aux enjeux de l'agriculture ultramarine, agriculture marquée par la diversité des situations, par de nombreuses spécificités et par le caractère aigu des crises que traversent certaines productions - est-il besoin d'évoquer le problème de la banane en ce moment ? -, ma position, donc, est qu'il est indispensable que soit élaborée une loi d'orientation agricole spécifique à l'outre-mer.
Au cours des débats à l'Assemblée nationale, il me semble que vous avez indiqué qu'à titre personnel vous n'étiez pas opposé à cette idée. Pouvez-vous aujourd'hui nous dire si le Gouvernement y est favorable ? Ce serait évidemment une bonne nouvelle pour l'outre-mer.
Quoi qu'il en soit, se pose le problème de l'application, ne serait-ce que dans un premier temps, du présent projet de loi. A l'évidence, celui-ci n'aurait guère d'effets bénéfiques ; il pourrait même comporter, dans certains domaines, des effets incontestablement négatifs.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai quelques amendements. Le sort que vous leur réserverez, monsieur le ministre, sera, vous le comprendrez, révélateur de l'intérêt réel que porte l'actuel gouvernement à l'agriculture et aux agriculteurs de l'outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Monsieur le ministre, vous nous avez présenté d'une manière très claire et précise le projet de loi d'orientation agricole que le Gouvernement soumet à la Haute Assemblée après son examen par l'Assemblée nationale.
Les rapporteurs, Gérard César, qui s'est fortement investi, Joël Bourdin, pour la commission des finances, ainsi que Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques, ont complété cette présentation en indiquant les orientations et précisions que se propose d'apporter le Sénat. Je partage pour l'essentiel leur point de vue, et j'aurai l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles.
Je soulignerai un point particulier traité dans l'article 1er, pour, bien sûr, dire ma satisfaction. En effet, il me souvient avoir suggéré, lors de l'examen d'un précédent projet de loi d'orientation agricole, la création du « fonds d'exploitation agricole » pour permettre de bien identifier l'outil de production et faciliter sa transmission. Je me réjouis de le voir aujourd'hui figurer dans le texte, ce qui me conduit à ne pas désespérer qu'il soit encore amélioré à l'occasion de la discussion de lois à venir.
Je voudrais en cet instant axer mon propos sur les orientations à prendre pour l'avenir. Vous avez dit, monsieur le ministre, je ne sais si je vous répéterai mot pour mot, mais je pense en tout cas respecter l'esprit : « Nous croyons que l'agriculture française a besoin de perspectives et d'orientations. Il y a de la part des agriculteurs une attente forte. »
M. Jean-Marc Pastor. Il l'a dit !
M. Charles Revet. Vous avez ajouté que ce secteur économique n'était pas délocalisable, et pour cause !
Je partage totalement ces affirmations. La France a la chance de disposer d'un espace agricole important qui permet de développer des productions nombreuses, diversifiées et de qualité. C'est bien sûr le travail d'hommes et de femmes qui ont prouvé leur savoir-faire. Mais ces femmes et ces hommes s'interrogent : quel va être leur devenir ? Si, pendant des décennies, il leur a été demandé de produire pour couvrir les besoins alimentaires de la nation ainsi que ceux d'autres pays européens déficitaires, s'ils sont vécu une première évolution sensible, voilà une quinzaine d'années, lorsque les prix de certaines productions ont été alignés sur les cours mondiaux et que des mesures financières compensatrices ont été établies dans le cadre de la PAC, aujourd'hui, le contexte auquel ils sont confrontés ne manque pas de les interpeller.
La mondialisation de l'économie s'est accentuée avec l'arrivée de nouveaux pays producteurs, l'élargissement à vingt-cinq de la Communauté européenne, la remise en cause par certains partenaires du budget agricole, le fait que de nouveaux arrivants, dans le même temps qu'ils sont des concurrents en termes de production, sollicitent leur part de l'enveloppe budgétaire. Certes, monsieur le ministre, comme vous l'avez souligné - et il faut s'en féliciter -, le Président de la République a obtenu la pérennité de l'enveloppe financière dont bénéficie la France jusqu'en 2013. Mais 2013, c'est demain ! Si l'on y ajoute l'augmentation considérable et, on peut le penser, durable du prix du pétrole, tout cela montre que le contexte a fortement changé et nécessite une réorientation de notre agriculture. L'examen de ce projet de loi en offre l'occasion.
Quelle agriculture voulons-nous bâtir pour demain ? C'est à cette question que nos agriculteurs souhaitent que nous apportions une réponse qui les sécurise à moyen et à long terme.
La première mission de l'agriculture est bien sûr d'assurer la couverture des besoins alimentaires de la population et, à travers les exportations, de participer à l'équilibre de la balance commerciale. A cet égard, les produits labels ou similaires constituent un atout important par la qualité et la sécurité des produits qu'ils apportent, en permettant en même temps une meilleure valorisation.
Des sucriers m'expliquaient récemment que, prix du pétrole oblige, le Brésil, gros producteur de sucre et d'alcool, force actuellement sur l'alcool et diminue sa production de sucre.
M. Alain Vasselle. Exact !
M. Charles Revet. En conséquence, les cours mondiaux augmentent. Or les sucriers m'ont affirmé qu'ils n'auraient pas l'autorisation, même à des cours mondiaux intéressants, d'exporter le sucre supplémentaire parce que la Communauté européenne s'y opposerait, alors qu'ils ne demandent pas de subvention !
Si c'était le cas, ce serait d'une gravité extrême !
M. Alain Vasselle. Exactement !
M. Charles Revet. Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous apporter le moment venu quelque information sur ce point.
L'agriculture joue un rôle essentiel dans l'entretien et l'aménagement du territoire, mais il faut développer de nouveaux débouchés ; on pense, bien sûr, à l'utilisation de produits agricoles pour des usages non alimentaires. De nombreuses possibilités existent, mais celle qui s'impose en termes tant de volume que de pérennité, c'est l'utilisation énergétique de ces produits.
C'est une démarche que je défends depuis de nombreuses années. Rappellerai-je, monsieur le ministre, que j'ai fait circuler sur les routes de France - je suis même entré avec ce véhicule dans la cour de l'Assemblée nationale - une voiture fonctionnant à l'alcool pur de betterave du pays de Caux ? Pourrais-je le faire demain dans les mêmes conditions ? Je ne vous cache pas - et c'est pourquoi j'ai déposé un amendement dans ce sens - que je me pose la question. Je souhaiterais que vous puissiez nous apporter quelques éclaircissements sur ce point.
C'est l'orientation qu'ont choisie le Brésil, les Etats-Unis et certains pays de l'Europe du Nord. Pourquoi pas la France, qui améliorerait ainsi son indépendance énergétique en offrant de nouveaux débouchés à notre agriculture ?
Monsieur le ministre, le Gouvernement doit donner un signe fort de sa volonté de développer les biocarburants, d'une part, parce qu'il s'agit d'une attente de la profession, d'autre part, parce que la recherche peut permettre une amélioration importante de la productivité au niveau tant des produits agricoles servant de matière première que des techniques de transformation, ce qui permettrait une meilleure compétitivité des biocarburants. Mais il faut pour cela que les laboratoires susceptibles d'engager ces recherches aient confiance dans le développement durable de la filière.
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions que je souhaitais soumettre à notre Haute Assemblée. Je suis bien conscient que nous ne maîtrisons pas l'ensemble des paramètres. Vous nous avez déjà montré votre volonté et même votre fermeté de voir nos intérêts pris en compte. Soyez-en remercié et félicité. Ce que je souhaite, c'est que nous élaborions ensemble un texte de loi qui offrira de nouvelles perspectives à nos agriculteurs et qui leur donnera confiance en l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. André Lejeune.
M. André Lejeune. Monsieur Revet, nous avons le même souci : préparer l'avenir du monde agricole ; la volonté de lui proposer une direction claire, crédible et durable paraît être partagée sur l'ensemble des travées de notre Haute Assemblée.
L'exposé des motifs du présent projet de loi d'orientation agricole rappelle, à juste titre, les qualités du monde agricole, qui a dû et a su se moderniser durant les Trente Glorieuses, faisant de la France, en 2005, le premier pays exportateur de produits agricoles transformés et le deuxième exportateur de produits agricoles bruts dans le monde.
Cette incontestable réussite ne doit pas cependant cacher la part d'ombre : en 1945, les agriculteurs étaient 4 300 000 ; actuellement, ils ne sont plus que 500 000.
En 2020, selon un rapport de l'Institut Montaigne, véritable inspirateur des dispositions de votre projet de loi, monsieur le ministre, notre pays n'en recensera que 150 000, tous voués à devenir au final des capitaines d'industrie, à en croire la page 81 de ce rapport publié en juillet 2005.
En réalité, votre objectif, monsieur le ministre, s'inscrit dans ce même dessein idéologique : il donne tout à une infime catégorie d'agriculteurs et abandonne les autres. Ce n'est pas de l'exagération : 80 % des aides vont toujours à 20 % des exploitants agricoles, et le 1 % du produit intérieur brut que versent les Etats au budget européen ne fera qu'aggraver la situation, puisque dix nouveaux pays sont entrés dans l'Union européenne. Le gâteau sera donc partagé ! Dès lors, ce n'est pas 1 % qu'il nous faut ; c'est au moins 1,4 %.
Aussi, votre silence sur la question des retraites agricoles est révélateur de l'indifférence que vous manifestez vis-à-vis du sort des petits et moyens exploitants. Votre projet de loi prétend être salutaire pour l'agriculture, mais il méprise en fait l'avenir des agriculteurs.
Pourtant, nous savons tous ici l'importance que revêt ce sujet pour nos concitoyens par le biais de nos permanences. Leurs principales préoccupations concernent « l'après activité », souvent vécue pour beaucoup dans la misère.
A cet égard, comment ne pas être bouleversé face aux témoignages de ceux qui, nombreux, avec des carrières complètes, ne touchent pas plus de 490 euros par mois ?
Quelles réponses sérieuses peut-on apporter à leurs épouses qui, à durée de travail égale, reçoivent au titre de la retraite agricole six fois moins que le SMIC ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. André Lejeune. Enfin, pensez-vous, monsieur le ministre, qu'il était accessoire d'expliquer dans votre projet de loi comment le Gouvernement compte garantir à deux millions de retraités agricoles le seuil minimum de retraite de 75 % du SMIC décidé par la loi du 1er octobre ?
M. Gérard Le Cam. Eh oui !
M. André Lejeune. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous avez trouvé la parade à votre inaction. En incluant dans la cession de propriété les droits à produire, vous allez créer une plus-value, qui représentera certes un petit pécule pour les cédants, mais qui n'est qu'une supercherie. En effet, cela empêchera la reprise pour nombre de jeunes et, pour ceux qui pourront le faire, ce sera une charge supplémentaire. Ils devront payer davantage pour s'installer sans être assurés de pouvoir revendre ces DPU puisque leur pérennité n'est pas garantie après 2013.
M. Gérard Le Cam. C'est vrai !
M. André Lejeune. Sur cette question, la droite et la gauche n'ont pas le même bilan. De 1997 à 2002, le gouvernement socialiste et de gauche a entrepris de répondre réellement aux attentes des retraités agricoles. Concrètement, cela s'est traduit par un effort de 3,55 milliards d'euros. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Le Cam. Il n'y a pas eu de suite !
M. André Lejeune. Je pensais être applaudi à droite...
Ces 3,55 milliards d'euros consacrés au relèvement des retraites les plus faibles ont représenté, au cours de cette mandature, une hausse des retraites de base de 29 % pour les chefs d'exploitation, 49 % pour les veuves et 79 % pour les conjoints.
Quant à votre bilan, il est simple : en 2002, c'est zéro euro ; en 2003 c'est zéro euro ; en 2004, c'est zéro euro. Zéro plus zéro plus zéro égale zéro !
M. Roland Courteau. Cela ne fait pas beaucoup !
M. André Lejeune. Donc, depuis 2002, c'est zéro euro en matière de revalorisation des retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Ce n'est pas moi qui l'ai inventé, cela a été dit à l'Assemblée nationale !
M. Gérard Le Cam. C'est un beau réquisitoire pour les retraites !
M. André Lejeune. Une profession peut-elle accepter que, sur une longue période, la précarité frappe de manière permanente ses anciens ? C'est là, à coup sûr, le défi le plus angoissant auquel est confronté ce corps social et autour duquel se joue, en fait, sa stabilité ou son déclin. En effet, comment peut-on attirer des jeunes vers cette activité alors que ceux-ci voient basculer leurs prédécesseurs dans l'extrême pauvreté ?
Tout examen lucide et sérieux des problèmes actuels de l'agriculture aurait dû faire de cette inquiétude collective un préalable. Tel n'a pas été le cas dans votre projet de loi, monsieur le ministre. Le groupe socialiste le regrette, en particulier mon collègue Bernard Cazeau qui s'investit beaucoup dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, ce projet de loi d'orientation agricole arrive à un moment charnière pour notre agriculture, avant l'échéance de 2013 et les négociations à l'OMC, et alors que celle-ci doit impérativement s'adapter aux contraintes de la mondialisation et que l'on ne sait si, dans huit ans ou dix ans, les subventions européennes existeront encore. Nos agriculteurs ont donc besoin de perspectives et la morosité actuelle vient en grande partie de ne pas savoir de quoi demain sera fait.
L'exploitation familiale change et il faut l'adapter aux mutations actuelles : des propriétaires fonciers qui ne sont plus toujours exploitants, une main-d'oeuvre de plus en plus saisonnière, une exigence de gestion et de technicité toujours plus grande pour l'exploitant mais aussi pour ses salariés.
L'évolution du statut vers une logique d'entreprise est donc nécessaire ; elle contribuera à la modernisation de notre modèle agricole et lui donnera les moyens d'une compétitivité renforcée. Car n'oublions pas, monsieur le ministre, qu'avec des prix toujours tirés à la baisse, et toutes les interrogations non seulement sur l'après 2013 mais aussi sur ce qui se passera à l'OMC avant la fin de l'année, les agriculteurs ont besoin d'avoir des assurances et d'être accompagnés dans leurs investissements, que ce soit en matière d'équipement, de bâtiments ou de mise aux normes. A cet égard, nous pouvons nous féliciter de l'action qui a été conduite pour les bâtiments d'élevage et souhaiter que cette politique puisse perdurer voire être développée tant ces investissements sont lourds mais indispensables pour poursuivre la modernisation de notre agriculture.
J'approuve particulièrement les dispositions du texte qui permettent de renforcer l'organisation économique ; je pense aux articles 14 et 15. Nous assistons, depuis plusieurs années, à un déséquilibre de plus en plus grand entre les producteurs et la grande distribution, au bénéfice de cette dernière, et il est vital de renforcer le poids des interprofessions ainsi que leur pouvoir de négociation. En effet, 60 % des produits alimentaires sont commercialisés par cinq grandes enseignes. Il existe donc, d'un côté, une extrême concentration et, de l'autre, la masse des producteurs qui doit impérativement s'organiser et s'investir dans les organisations de production et les comités économiques.
Plus les filières seront solides, mieux elles seront à même de promouvoir les produits agricoles, d'investir pour l'exportation ou d'intervenir dans la gestion des crises.
Autre avancée importante de ce texte : l'instauration d'un crédit d'impôt représentant la moitié du coût de l'emploi d'un remplaçant. Monsieur le ministre, j'avais déjà attiré votre attention l'an dernier, lors de l'examen de la loi de finances, sur la nécessité de favoriser les services de remplacement. Les agriculteurs, et principalement les éleveurs, ne peuvent pas s'absenter ou prendre des vacances sans mettre en péril leur exploitation. Cela peut devenir dramatique lorsqu'il s'agit de longue maladie ou d'accident. Ce genre de mesure, qui rassure et facilite la vie, contribue à favoriser l'installation des jeunes agriculteurs et est en phase avec l'évolution de notre société.
Tout comme mes collègues, j'approuve l'article 12 relatif aux biocarburants. Il était temps, dans le contexte actuel de hausse continue du prix du pétrole, de valoriser les débouchés non alimentaires de l'agriculture. Produire plus de biocarburants, c'est bien, mais je regrette que l'utilisation d'huiles végétales pures soit limitée à un usage agricole. Ne pourrait-on pas l'élargir ? Est-ce prématuré ? De toute manière, c'est le début d'un « cercle vertueux » et j'espère que, dans un proche avenir, les biocarburants occuperont une place beaucoup plus importante. Cette production d'énergie ne peut que contribuer à la dynamique du secteur en termes de revenu et d'emploi.
Je n'oublie pas que nous avons 1 200 000 hectares de jachères qui peuvent - qui doivent ! - être utilisés à cet effet pour la production d'énergie, mais aussi pour le chauffage et pour la fabrication de nombreux produits tels que des emballages.
J'en viens au soutien de la démarche de qualité. Nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à la qualité et à la traçabilité des produits. Tout le monde connaît les atouts que sont pour une région ses produits AOC. Dans mon département, le Jura, on sait l'importance de nos filières Comté, Morbier et bleu du Haut Jura.
Les producteurs qui s'attachent depuis des générations à fournir des productions sous le label de qualité AOC font vivre la montagne Je souscris aux propositions de mon collègue Jacques Blanc en faveur de la montagne, notamment la désignation d'une commission spécialisée composée en majorité de représentants des organisations professionnelles agricoles, qui sera consultée sur les décisions administratives autorisant ou non l'emploi de la dénomination « montagne » intéressant le massif concerné.
Je sais, monsieur le ministre, que vous souhaitez aborder la protection du foncier agricole dans un projet de loi spécifique. Je m'en réjouis, car il y a urgence, mais je considère qu'il est tout aussi urgent de protéger les sièges d'exploitation ; je pense notamment à la zone des cent mètres. La modernisation agricole conduit les agriculteurs à utiliser des matériels, des équipements qui peuvent être bruyants ou dérangeants. Les riverains s'émeuvent du bruit, des odeurs, des nuisances, et les éleveurs se voient ensuite refuser tout permis de construire pour des aménagements ou des agrandissements pourtant indispensables pour eux. C'est pourquoi j'ai proposé un amendement à ce sujet.
J'en viens à la modification importante de notre dispositif génétique français qu'apporte l'article 28 du projet de loi.
La loi sur l'élevage de 1966, dite loi Edgar Faure, qui est bien connue dans mon département, a permis d'améliorer notoirement le patrimoine génétique de notre cheptel et de hisser nos races parmi les premiers rangs mondiaux. Vous nous proposez, pour suivre les instructions de Bruxelles, de supprimer le monopole de zone et d'ouvrir à la concurrence le dispositif de mise en place de la semence et de certification de la filiation. Un service universel de l'amélioration génétique serait institué. C'est très bien, mais soyons vigilants, monsieur le ministre : ne cassons pas un système qui nous a permis de préserver de nombreuses races adaptées aux spécificités de notre territoire ! Soyons très sérieux, car de la qualité des cheptels dépend la rentabilité des élevages en général et des élevages laitiers en particulier. Attention aux prix bas ! Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des assurances sur ce nouveau système ?
Je souhaite aussi que vous nous rassuriez sur l'évolution des crédits destinés à la génétique. Nos unités nationales de sélection et promotion de la race, UPRA, et donc les éleveurs, s'inquiètent beaucoup : il semble que l'abaissement, de 4 millions à 2 millions d'euros, du gel budgétaire des crédits ne sera pas respecté. Ce serait très dommage pour les organisations d'éleveurs, qui doivent s'adapter aux nouveaux enjeux et à la préservation de notre patrimoine génétique. J'espère que vous en tiendrez compte, monsieur le ministre.
Enfin, je ne peux pas terminer sans aborder les retraites agricoles. Ce dossier a déjà été évoqué cet après-midi par Dominique Mortemousque. A l'instant, mon prédécesseur à cette tribune a déclaré que, sous un certain gouvernement, les crédits avaient été abondés. Mais alors comment expliquer le faible niveau qu'atteignent ces retraites aujourd'hui ? Heureusement, monsieur le ministre, vous nous avez donné l'assurance que vous vous pencheriez sur cette question.
J'ai consulté la caisse de la mutualité sociale agricole de mon département pour connaître plus précisément le montant des retraites agricoles. Ainsi, en 2004, la MSA a versé 54,6 millions d'euros à 13 918 d'affiliés, soit une moyenne mensuelle de 327 euros - ou 2 145 francs. Or, certains affiliés, qui exercent des activités multiples, cotisent à la MSA car ils exploitent quelques hectares de terres, sans être pour autant considérés comme des agriculteurs. J'ai donc été amené à réduire de plus de la moitié le nombre des bénéficiaires. Il reste alors 6 245 exploitants véritables, soit 45 % des 13 918 affiliés.
Parallèlement, j'ai soustrait des 54,6 millions versés par la MSA les sommes correspondant aux prestations que percevaient les cotisants pluriactifs. J'obtiens alors un niveau moyen de retraite de 512 euros, soit 3 300 francs par mois. Pourtant, ces exploitants, comme leur épouse, ont été agriculteurs durant toute leur vie. Ce sont eux qui, pendant ces trente dernières années, ont fait de notre pays une des premières puissances agricoles. Nous devons leur en être reconnaissants. L'opinion publique ne sait pas qu'un agriculteur qui a consacré sa vie à son métier ne perçoit en moyenne que 512 euros de retraite par mois. Ces chiffres sont ceux de mon département, mais je pense qu'ils sont identiques dans d'autres départements.
Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes sensible à ces problèmes et je me réjouis de votre détermination à y remédier.
Comme je l'ai indiqué au début de mon intervention, le projet de loi d'orientation agricole était attendu par nos agriculteurs, inquiets pour leur avenir. Nous espérions, certes, qu'il serait un peu plus riche en crédits, mais nous connaissons le niveau d'endettement de notre pays. Cette future loi apportera néanmoins au monde agricole un peu d'oxygène et ouvrira aux jeunes, je l'espère, de nouvelles perspectives. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré.
M. Benoît Huré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi vise à donner de nouvelles orientations à l'agriculture et aux agriculteurs, mais aussi à la politique économique et internationale de la France.
Nous mesurons en effet l'atout exceptionnel que représente l'agriculture pour notre pays dans ses développements actuels, qui sont essentiellement la production de biens alimentaires, et nous appréhendons de mieux en mieux les développements des productions de demain, qui sont non alimentaires et très prometteuses à bien des égards.
Dans ces deux domaines de production, l'alimentaire et le non-alimentaire, nous devons donner à l'agriculture tous les moyens lui permettant de renforcer sa place dans un secteur d'activités qui, à la fois, procure le plus d'emplois dans notre pays - 2,5 millions d'emplois, vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre - et, par ses exportations, apporte d'importantes rentrées de devises ; avec 8 milliards d'euros, l'agriculture se place au deuxième rang de nos exportations.
Revenons un instant sur la première mission de l'agriculture, qui est la production des biens alimentaires. L'agriculture offre en effet à nos concitoyens l'indépendance alimentaire, avec une production de grande qualité, abondante, variée et sécurisée, avec la meilleure traçabilité au monde, tous les experts s'accordent sur ce point.
Le développement de la production agricole, qu'il faut renforcer, devra permettre à la France de prendre toute sa place aux côtés des grands pays producteurs qui devront relever le défi alimentaire mondial de ce début du XXIe siècle. Demain, il faudra nourrir 9 milliards d'hommes et de femmes. Pour cela, il faudra au moins doubler la production alors que, dans le même temps, la surface agricole continuera de se réduire.
En Chine, les simples besoins d'urbanisation absorbent depuis cinq années plus d'un million d'hectares par an ; je rappelle que la surface agricole utile de la Chine est de 115 millions d'hectares.
Alors le charabia, le blabla des disserteurs sur les excédents agricoles est désormais dépassé, voire indécent. Depuis plus de cinq ans, la production mondiale est devenue inférieure à la consommation solvable, elle-même très en deçà des besoins. Pour les seules céréales, les stocks mondiaux sont à peine équivalents à deux mois de consommation. La consommation solvable depuis cinq ans augmente de 30 millions de tonnes par an.
Si l'agriculture française a encore d'importants développements à faire dans le domaine de la production dite alimentaire, elle doit s'attaquer à un autre défi, celui de la demande croissante d'utilisation non alimentaire des productions agricoles, appelée aussi la chimie verte.
Cette demande se décline dans le domaine de biocarburants, car réduire notre dépendance énergique et la facture qui s'ensuit est devenu une ardente obligation, surtout à l'heure où la ressource pétrolière s'assèche.
La chimie verte se décline aussi dans le domaine de la production de produits tensioactifs, avec toutes les perspectives d'élaboration de matériaux industriels à base de fibres végétales, par nature biodégradable.
La chimie verte se décline encore dans le domaine des cultures biomoléculaires pour répondre aux nouveaux besoins de l'industrie pharmaceutique.
Bref, la chimie verte semble sans limite. A partir d'une plante on peut fabriquer, entre autres, des aliments, des carburants, des produits industriels, des produits pharmaceutiques, des articles de beauté, des détergents. Tous ces produits sont biodégradables. En outre, les agro-ressources sont inépuisables, puisque sans cesse renouvelables, et de surcroît « indélocalisables ».
Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grands enjeux, les défis majeurs que notre agriculture doit relever en ce début de XXIe siècle. Le projet de loi d'orientation agricole s'inscrit dans cette perspective puisqu'il vise à donner aux agriculteurs les moyens de relever tous ces défis.
Ce projet de loi est l'aboutissement du travail de concertation que vous avez conduit, monsieur le ministre, avec l'ensemble des représentants du monde agricole. Il tend à moderniser le statut de l'exploitant, à faciliter l'exercice du métier, sous forme associative ou sociétaire, à permettre, par une contractualisation équilibrée et plus équitable pour les agriculteurs, d'améliorer leurs relations avec les autres acteurs de la filière. Il dotera aussi les exploitants de meilleurs outils pour gérer les risques et aléas de la production.
Le présent projet de loi a aussi pour objet de simplifier les procédures et réglementations administratives, souvent tatillonnes, il faut le reconnaître, que subissent les agriculteurs.
Ce projet de loi, monsieur le ministre, est un bon projet de loi. Enrichi du travail des sénateurs il deviendra, je n'en doute pas, une très bonne loi, une grande loi, comme le fut en son temps la loi dite Debré-Pisani.
Avec cette loi et ses déclinaisons budgétaires à venir, nous voulons donner aux agriculteurs des raisons de croire en leur métier en vivant dignement de leur travail, en retrouvant des capacités d'investir et d'oser entreprendre. Nous voulons aussi les conforter dans leur rôle irremplaçable en matière d'aménagement du territoire. Nous voulons leur donner les moyens de pratiquer une agriculture durable, respectueuse de l'environnement. Oui, cette future loi permettra de garantir l'avenir des agriculteurs et de conforter un secteur important pour la prospérité de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Henneron.
Mme Françoise Henneron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, que de chemin parcouru par l'agriculture française, depuis un demi-siècle ! Au cours des cinquante dernières années, le monde agricole a relevé avec succès le défi de la modernisation de notre agriculture : performance économique, indépendance et sécurité alimentaires, maintien de territoires vivants.
Pourtant, la mutation de notre agriculture n'est pas terminée : une loi d'orientation était nécessaire pour lui redonner un nouveau souffle, un nouvel élan.
Ce texte doit tracer l'avenir de l'agriculture, sans pour autant proclamer des évidences, sans se tourner avec nostalgie vers un passé qui n'est plus, mais sans pour autant renier ce passé : quels enjeux !
Voilà la difficile équation que le projet de loi d'orientation agricole doit résoudre : donner à notre agriculture les moyens de se maintenir, tout en développant ses potentialités pour l'avenir.
Jusqu'à présent, l'agriculture française peut être fière de ses réussites et de sa faculté d'adaptation à des conditions économiques et environnementales ardues. Mais les agriculteurs n'en sont pas moins confrontés à des difficultés face à une situation économique de plus en plus fragile. Une véritable crise d'identité s'est fait jour au fil des épreuves qu'ils ont eu à traverser.
Les défis que nos agriculteurs continuent de relever sont aussi nombreux que leurs attentes : nous avons plus que jamais besoin d'une agriculture forte, écologiquement responsable, qui participe à la puissance économique de notre pays, qui valorise les territoires, qui assume ses responsabilités en matière alimentaire et non alimentaire.
Autant d'objectifs que doit permettre d'atteindre ce texte en redessinant le cadre de notre agriculture pour lui permettre d'entrer dans une nouvelle ère, en prise plus directe avec les marchés.
D'où la notion pivot de ce texte : celle de l'entreprise agricole qui modernise le statut des exploitations, mais s'accompagne d'un allègement des contraintes administratives, de la modernisation du statut des exploitations, de la sécurisation du revenu des agriculteurs et du renforcement de l'organisation économique du monde agricole. Ce sont autant de leviers d'action pour accompagner les mutations à venir et répondre aux enjeux de demain.
Le texte qui est aujourd'hui soumis à notre Haute Assemblée comporte des avancées notables : reconnaissance de l'entreprise agricole, renforcement des organisations de producteurs et développement des missions des interprofessions, modernisation du statut de la coopération, ou encore volonté de mettre en place une structure de gestion des aléas.
Je salue d'ailleurs à ce propos le travail de nos collègues députés, dont les amendements ont enrichi ce projet de loi. Cependant, si nous voulons adopter un texte ambitieux, il est de notre responsabilité de revenir sur certains points qui ont été modifiés à l'Assemblée nationale au mois d'octobre dernier.
S'agissant du fonds agricole, les députés ont adopté un amendement rendant ce fonds optionnel, avec une déclaration au niveau de l'administration. Ils ont soutenu que le fait de prendre en compte les droits incorporels servant à l'exploitation donnerait une valeur à ces éléments, et que l'accès des jeunes au métier serait ainsi plus onéreux.
Toutefois, la création du fonds agricole ne peut, en soi, aboutir à un surcroît de valeur et à un renchérissement des transactions. Au contraire, c'est l'approche patrimoniale qui conduit souvent à surévaluer la valeur des actifs.
Par ailleurs, il me semble souhaitable de revenir sur la question de la cessibilité du bail avec l'accord du propriétaire. La logique du bail cessible est de séparer l'exploitation et le foncier. L'exploitant est un chef d'entreprise, à la tête d'une unité économique de production, qui cherchera à assurer la pérennité de son entreprise en préparant sa succession.
Permettre le choix du concessionnaire par le bailleur peut déséquilibrer le système. C'est comme si, en matière commerciale, le propriétaire des murs pouvait se substituer au propriétaire du fonds lors d'une cession. Toute la difficulté est de tenir compte également des petits propriétaires fonciers, qui ne sont pas tous des investisseurs, et qui souhaitent garder un droit de regard sur l'utilisation de leurs terres.
La question de l'organisation des producteurs prévue par le texte est, elle aussi, importante. Cette organisation est nécessaire pour donner aux producteurs les moyens de gérer l'approvisionnement du marché face à la concentration de la demande par les centrales d'achat.
Pour qu'une négociation s'effectue dans les règles, il est indispensable que la propriété des marchandises ait été transférée à l'organisme qui négocie avec la centrale d'achat. Le projet de loi d'orientation agricole tend à inciter les organisations de producteurs à rendre plus équitables les relations entre la distribution et la production. Nous avions obtenu quelques avancées à ce sujet dans la loi relative au développement des territoires ruraux.
En ce qui concerne la valorisation non alimentaire des produits agricoles - je pense notamment aux huiles végétales pures -, le texte initial allait dans un sens plus favorable à la recherche de débouchés durables que celui de l'Assemblée nationale. Il est clair que la France souffre, aujourd'hui encore, d'un retard en matière de valorisation non alimentaire des produits agricoles, et je le regrette. C'est une attente forte des agriculteurs, mais les débouchés sont encore trop confidentiels.
Des mesures simples pourraient être prises : on pourrait par exemple clarifier les conditions du traitement fiscal des biocarburants. Cette visibilité rendrait possible le développement de ces filières dont l'équilibre économique dépend également d'un allégement de la fiscalité. Mes collègues ont d'ailleurs déposé à ce sujet des amendements que je soutiendrai.
On le voit, ce texte a une réelle ambition : créer les outils juridiques et économiques d'un nouveau modèle agricole et accompagner les principales évolutions de l'agriculture française des prochaines années. Il est en rupture avec la logique territoriale qui prévalait dans la loi d'orientation votée par la gauche en 1999.
M. Charles Revet. Il faut le dire !
Mme Françoise Henneron. Ce projet de loi nous donne l'occasion d'adresser deux messages forts : l'un en direction du monde agricole, l'autre en direction de la société. De ce fait, il nous permet d'atteindre un double objectif : rapprocher le secteur agricole dans toutes ses dimensions des autres secteurs économiques et maintenir le lien fort qui existe entre les agriculteurs et les citoyens, en donnant aux uns les moyens de répondre aux attentes des autres.
La défense de notre agriculture est une cause juste et nécessaire. Elle exige la plus grande détermination et une réelle ambition, qui peut être partagée sur toutes les travées de la Haute Assemblée.
M. Charles Revet. Tout à fait !
Mme Françoise Henneron. En votant ce texte, sachons entendre le monde agricole et creuser le sillon de l'agriculture de demain, afin de lui permettre d'être en phase avec les attentes de tout un pays. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il est évident que nous devons tout mettre en oeuvre pour que le financement de la politique agricole commune et de la politique de développement rural ne soit pas remis en cause à l'échelon européen.
Aussi le projet de loi d'orientation qui nous est soumis mérite-t-il d'être largement approuvé : il va permettre l'adaptation de notre secteur agricole à l'évolution du contexte mondial et européen, ainsi qu'aux modifications des attentes de nos concitoyens en termes de respect de l'environnement, de traçabilité et de qualité des produits.
Les dispositions de ce texte ont été très bien analysées par le rapporteur de la commission des affaires économiques, Gérard César. Je concentrerai donc mon propos sur l'installation des jeunes, condition de la pérennité de l'agriculture, et le développement des biocarburants.
Aujourd'hui, 642 000 personnes sont employées dans les industries agricoles et alimentaires, qui constituent le premier secteur industriel français, avec un chiffre d'affaires de 136 milliards d'euros. Les effectifs s'y accroissent régulièrement.
Dans le même temps, le nombre des exploitations agricoles dites « professionnelles » diminue de 2,3 % à 2,5% par an, ce qui est logique, compte tenu de l'accroissement de la taille des exploitations lié aux contraintes de rentabilité et d'amortissement des matériels.
Dans ces conditions, l'installation des jeunes agriculteurs est un sujet majeur. Or force est de constater que les deux dispositifs validés par la Commission européenne - le programme pour l'installation et le développement des initiatives locales et la dotation jeune agriculteur - ne permettent pas de transmettre convenablement une exploitation hors du cadre familial.
Cela conduit au démantèlement des exploitations sans successeur et à l'obligation, pour les jeunes qui s'installent hors du cadre familial, de reconstruire une exploitation à chaque génération.
L'instauration d'un « crédit transmission » est susceptible de remédier à la difficulté que j'évoquais. Ainsi, les vendeurs d'une exploitation agricole domiciliés fiscalement en France bénéficieront d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des intérêts perçus au titre du différé de paiement qu'ils accorderont à un jeune agriculteur reprenant l'exploitation.
La création du fonds agricole, la cessibilité du bail hors du cadre familial, ainsi que l'amélioration du statut sociétaire permettront une réelle consolidation des activités agricoles. Les exploitants qui le souhaitent auront désormais la possibilité d'inscrire leur exploitation dans un cadre économique de long terme.
Se posera néanmoins une question, monsieur le ministre : quelles seront, dans ce nouveau cadre légal, les modalités d'aide complémentaire que les collectivités locales pourront éventuellement apporter, étant précisé qu'elles peuvent déjà s'associer au dispositif d'aides de l'Etat ? Cette aide complémentaire est accordée dans mon département, en accord avec la profession, et cela donne satisfaction.
En bonne logique, de jeunes agriculteurs s'installeront d'autant plus facilement que les débouchés de leur production seront assurés. Le développement de nouveaux débouchés non alimentaires tels que les biocarburants, qu'ils soient issus de la filière éthanol ou de la filière des huiles végétales, est donc de première importance.
Le Gouvernement a décidé d'avancer le calendrier d'application des objectifs communautaires relatifs aux biocarburants en portant la consommation de ceux-ci à 5,75 % du total des carburants consommés dès 2008 et à 10 % en 2015. Cet effort mérite d'être salué. L'appel d'offres ministériel lancé pour 1 800 000 tonnes d'agréments nouveaux permettra de multiplier par six le niveau de production et les surfaces correspondantes à l'horizon 2008.
Il est également prévu d'exempter de taxe intérieure de consommation les huiles végétales pures utilisées en autoconsommation comme carburant agricole dans les exploitations. Cette mesure était doublement souhaitable : d'une part, elle mettra fin à une situation illégale ; d'autre part, elle ouvrira une deuxième étape au cours de laquelle pourra être autorisée la commercialisation par les agriculteurs de l'huile qu'ils ont produite comme carburant agricole.
Des interrogations subsistent sur ce point. Il est par exemple possible de considérer que les débouchés des huiles devraient davantage être orientés vers les combustibles. Je souhaiterais savoir si vous envisagez d'engager des études plus poussées dans ce sens, monsieur le ministre.
Enfin, je ne peux conclure sans mentionner les importantes avancées sociales apportées par ce projet de loi d'orientation. Je citerai en particulier l'extension de la couverture sociale agricole, le crédit d'impôt pour le remplacement des exploitants ou encore la revalorisation des retraites des femmes polypensionnées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, proposer une loi d'orientation agricole est toujours un moment fort non seulement pour notre agriculture, mais aussi pour le pays tout entier, car, plus que jamais, l'agriculture est au coeur de notre société.
Souvenons-nous de la loi d'orientation agricole de 1960, qui avait confié à notre agriculture la délicate mission d'assurer la couverture alimentaire des Françaises et des Français.
En 2005, l'environnement socioéconomique ayant profondément évolué et l'agriculture étant entrée dans une économie de marché, il convient de passer d'une vision patrimoniale à une vision entrepreneuriale de l'agriculture française. Parallèlement, nous devons assurer une parfaite intégration de l'agriculture au sein de cette société dont les aspirations ont, elles aussi, beaucoup changé.
Les Françaises et les Français veulent davantage de qualité, de sécurité sanitaire, de typicité, et également de l'environnemental et du bien-être animal - que de missions ! - ainsi que, tout récemment, à la suite à l'explosion durable des coûts de l'énergie, la fourniture de biens non alimentaires.
Cette loi d'orientation répond à toutes ces demandes, avec pertinence et détermination. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous en féliciter et de vous assurer de mon total appui.
Je ne mettrai l'accent que sur deux points.
Le premier est la vocation non alimentaire de l'agriculture, approche désormais essentielle ; c'est même la grande évolution de l'agriculture de ce XXIe siècle. Cette « chimie verte » doit produire non seulement des biocarburants, mais aussi des biolubrifiants, des cosmétiques, des acides gras spécifiques, des acides aminés essentiels...
La production de ces molécules industrielles, dont la toute première transformation pourra être réalisée « au champ », est une vraie révolution, qui permettra de diversifier profondément notre agriculture et d'assurer une régulation plus fine de nos volumes de production des filières proprement alimentaires.
Sur ce sujet particulier, monsieur le ministre, permettez-moi d'insister sur le nécessaire partage de la valeur ajoutée entre l'agriculteur et l'industriel, gage d'une indispensable équité, et sur la pertinence de l'utilisation des biotechnologies dans le domaine non alimentaire, afin de répondre à la demande de l'industrie tant en quantité qu'en spécificité de production des molécules concernées. Actuellement, 1 200 000 hectares sont en jachère. Je me réjouis que l'agriculture française puisse trouver une destination spécifique à ces surfaces au travers du non-alimentaire.
Le second point sur lequel je veux mettre l'accent est l'intégration de notre agriculture dans un environnement très concurrentiel à l'échelon international.
A la veille des négociations de l'OMC à Hong-Kong en décembre prochain, nos débats d'aujourd'hui n'ont que plus d'importance encore pour conforter nos agriculteurs et nos industries agroalimentaires, afin que les uns et les autres puissent affronter les marchés dans de meilleures conditions. Soyons particulièrement conscients de l'importance grandissante des tensions sur les marchés, qu'ils soient de matières premières ou de produits transformés.
Monsieur le ministre, permettez-moi de regretter qu'en juin 2003 - c'était hier ! -, lors de l'Accord de Luxembourg, nous ayons été un peu trop vertueux - c'est le qualificatif qui convient - en réformant trop fortement la politique agricole commune. A cette époque, je m'étais exprimé contre l'ampleur des mesures proposées par M. Franz Fischler et portées à l'OMC par M. Pascal Lamy, notre commissaire européen de l'époque. Certes, la stratégie était bonne, mais le dosage ne l'était pas ! Face à nos partenaires, notamment les Etats-Unis, nous n'avons plus aujourd'hui qu'une infime marge de manoeuvre dans la négociation.
Monsieur le ministre, les négociations avec M. Portman, secrétaire d'Etat américain au commerce extérieur, vont se dérouler alors que ce dernier n'aura aucune maîtrise sur la réforme du Farm Bill, programmée après Hong-Kong, au cours de l'année 2007. Seul le congrès américain aura les pleins pouvoirs et, aujourd'hui, personne ne peut être sûr qu'il renouvellera au président Bush, au travers de la procédure dite du fast track, son autorité économique.
Nous serons alors dans une totale impasse, avec des aides américaines à hauteur de 20 000 dollars par farmer, à comparer aux 14 000 dollars par agriculteur français, ...
M. Paul Raoult. Très juste !
M. Jean Bizet. ... ce qui représente 350 dollars de contribution par américain, à comparer aux 250 ou 270 dollars par citoyen européen. J'ajouterai à cela une politique agricole américaine fortement soutenue par l'aide alimentaire et les marketing loans. Monsieur le ministre, vous êtes bien conscient que le compte n'y sera pas et j'oserais dire que le timing n'y sera pas non plus !
Ne soyons ni agressifs ni naïfs ; soyons tout simplement lucides : il faut que l'Union européenne envisage de se doter d'outils rigoureusement identiques - je veux parler de l'aide alimentaire et des marketing loans - pour assurer la régulation du marché intérieur, d'une part, et les soutiens transitoires aux exportations, d'autre part.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Jean Bizet. Dans l'hypothèse où le négociateur américain ne voudrait pas évoluer sur ces deux sujets, nous n'aurions en effet d'autre alternative que d'exiger de nous doter des mêmes procédures, afin d'obtenir un parallélisme rigoureux de nos politiques agricoles.
En conclusion, monsieur le ministre, au travers de ce débat sur le projet de loi d'orientation agricole, je voudrais, au-delà de cet hémicycle, m'adresser aux agriculteurs de ce pays pour leur dire qu'ils doivent être conscients de la pertinence du modèle agricole français et fiers de leur engagement. Je voudrais également m'adresser à nos concitoyens pour leur dire qu'ils doivent précisément faire confiance à ces mêmes agriculteurs et les assurer de leur soutien, car la période à venir sur le marché international s'annonce lourde de turbulences ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Monsieur le ministre, si je me permets, à cette heure tardive, de distraire quelques instants d'un temps qui vous est précieux, c'est tout d'abord pour vous remercier et vous féliciter de nous soumettre cette loi d'orientation agricole - j'insiste sur le terme « orientation » -, dont notre agriculture a grand besoin.
Pour raccourcir mon propos et éviter les redites, je vais essayer de démontrer, en partant d'un seul exemple - peut-être est-ce prétentieux ? -, d'une part, que cette loi est effectivement une loi d'orientation et, d'autre part, qu'elle répond à un réel besoin immédiat.
Comment ne pas reconnaître, en effet, que notre agriculture n'attire plus les jeunes aujourd'hui et qu'elle est incomprise, voire mal aimée de notre société trop fortement urbanisée et donc éloignée de la nature ? Il est donc temps de redonner à l'agriculture française une raison d'être qui soit aussi, pour ses acteurs, un moyen de gagner honorablement leur vie.
Trop peu de nos concitoyens ont en mémoire le formidable essor de notre agriculture vivrière depuis la fin de la dernière guerre, qui nous a conduits à un remarquable excédent du commerce extérieur pendant des décennies dans ce secteur d'activité, plaçant la France au deuxième rang des exportateurs de produits agroalimentaires dans le monde.
Aujourd'hui, à l'évidence, la seule vocation alimentaire de notre agriculture s'avère insuffisante pour assurer la juste rétribution de ses acteurs face à des cours mondiaux très inférieurs au simple prix de revient des produits agricoles français.
Comment ne pas s'inquiéter de la stagnation désormais certaine des gains de productivité qui ont jusqu'alors permis cette formidable modernisation, mais qui demeureront désormais bloqués par un souci écologique bien nécessaire, certes, mais limitant de plus en plus, à l'avenir, les amendements des sols et les manipulations génétiques ?
Comment ne pas être troublé de constater par ailleurs l'augmentation des surfaces céréalières dans toute l'Europe du fait du découplage des aides et de l'évolution du régime sucre, ce qui nous prive d'une majeure partie des débouchés rentables pour les céréales françaises ?
Enfin, comment ne pas prendre en considération l'évolution très probablement défavorable - mon ami Jean Bizet vient de l'évoquer à l'instant - des négociations de l'OMC en la matière ?
Face à l'évolution sombre de l'agriculture française, le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, tout comme ses prédécesseurs immédiats d'ailleurs, n'est pas resté immobile. Vous avez en effet compris que le développement de l'agriculture à vocation énergétique était un moyen nécessaire, tant sur le plan économique que par rapport au strict souci d'indépendance énergétique de notre pays. En disant cela, j'abonde, bien sûr, dans le sens des propos qui ont été tenus sur ce sujet par mes prédécesseurs à cette tribune, que ce soit Charles Revet, Alain Fouché, Benoît Huré ou encore, à l'instant, Jean Bizet.
Vous avez déjà fait évoluer les objectifs d'incorporation des biocarburants jusqu'à 7,5 % en 2010. Vous avez fixé un accroissement de 50 % de la production directe de chaleur à partir de la biomasse à la même échéance et vous vous êtes fixé pour objectif, toujours en 2010, de porter à 21 % la part d'électricité d'origine renouvelable dans la production nationale, tout cela en respectant les recommandations fortes de la directive européenne relative à la promotion des biocarburants et surtout en satisfaisant pleinement aux normes d'émission de gaz à effet de serre qui résultent du protocole de Kyoto. Ainsi, vous ouvrez la voie à une agriculture nouvelle écologique et énergétique, dont nous avons besoin aujourd'hui pour définir notre indépendance.
Monsieur le ministre, l'aide du Parlement vous sera nécessaire pour réussir cette mutation énergétique indispensable et aller plus loin, plus vite et plus efficacement dans cette voie. Nous sommes décidés à vous y aider, mais il vous faudra vaincre les résistances très fortes des transformateurs d'énergie fossiles, qui se cramponnent à leur monopole et donc à leurs privilèges.
En effet, alors que l'utilisation en direct du bioéthanol aboutit à une réduction de l'émission de gaz à effet de serre deux fois supérieure à l'adjonction de l'ETBE, alors que ce procédé a déjà été utilisé par de nombreux pays européens, alors que les distributeurs indépendants français confirment cette vérité première par des essais récents de grande envergure, comment se fait-il que certains services administratifs français en soient encore à préconiser de nouvelles études ?
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser une question précise sur un dysfonctionnement majeur de votre administration. Comment se fait-il que, pour l'application de la TGAP en cas d'insuffisance d'incorporation de biocarburants - je vous rappelle, mes chers collègues, qu'il s'agit d'une mesure adoptée par le Parlement à l'occasion de la loi de finances de 2005 -, le Bulletin officiel des douanes ait retenu, quelques mois plus tard, des normes favorisant toujours ce même ETBE produit par la chimie du pétrole au détriment de l'éthanol agricole ?
Monsieur le ministre, avec ce seul exemple, je veux vous convaincre de la nécessité d'imposer cette mutation énergétique de notre agriculture. Mais vous devrez faire preuve de beaucoup de courage et être animé d'une volonté farouche, qui est aussi la nôtre, vous l'avez constaté en écoutant les différents orateurs qui se sont exprimés avant moi.
Je voudrais vous interroger sur quelques points précis, qui ont d'ailleurs été évoqués par la plupart des intervenants.
Quels avantages fiscaux souhaitez-vous apporter à la culture de produits destinés à fabriquer des biocarburants ? Que pensez-vous de la mise en jachère des 1 200 000 hectares disponibles ? Que pensez-vous d'un partenariat, fortement incité par le Gouvernement, entre la coopération agricole et les banques pour installer, sur l'ensemble du territoire, à proximité des lieux de production bien sûr, des unités de distillation ou de fabrication de diester ?
Monsieur le ministre, vous redonnerez ainsi une véritable raison d'être à nos agriculteurs, qui seront non plus des pollueurs aux yeux de leurs concitoyens, mais, au contraire, des producteurs d'énergie salutaire à l'économie nationale et essentielle à notre environnement et à celui de nos enfants.
En imprimant cette orientation énergétique à notre agriculture, en défendant la ruralité, à laquelle les citoyens deviennent à nouveau sensibles, en défendant nos merveilleux paysages, à l'entretien desquels les agriculteurs sont indispensables, vous marquerez durablement votre passage et vous assurerez notre indépendance énergétique.
Monsieur le ministre, personne ne doutera plus alors de l'utilité de la loi d'orientation agricole que vous nous présentez aujourd'hui et que nous soutiendrons, car elle conditionne tout simplement l'avenir de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Bussereau, ministre. Je ne répondrai que brièvement à chacun des orateurs qui sont intervenus et j'apporterai ultérieurement des réponses plus détaillées aux questions précises qui ont été évoquées ; je pense notamment à René Beaumont qui vient de poser une série de questions particulièrement intéressantes.
Je tiens tout d'abord à remercier Gérard César, rapporteur, du travail approfondi qu'il a réalisé. Ses conclusions permettront d'améliorer ce projet de loi en le clarifiant, en le simplifiant et en le complétant.
M. Gérard César, rapporteur. C'est notre souhait !
M. Dominique Bussereau, ministre. Monsieur le rapporteur, j'ai bien noté votre adhésion aux dispositifs centraux proposés dans ce texte, à savoir la cessibilité du bail et la création du fonds agricole. Je confirme mon accord sur le caractère optionnel de ce fonds.
Par ailleurs, je suis très ouvert à tous les aménagements que vous proposez pour adapter des dispositions relatives aux sacs plastiques ou aux huiles végétales pures.
Je partage également votre souci de clarifier ce texte. S'agissant du contrôle des structures, par exemple, le projet de loi tient compte du livret qui a été élaboré en y associant les organisations professionnelles agricoles et la représentation nationale.
De façon générale, les sociétés sont traitées à égalité avec les exploitations individuelles. Le contrôle de la double participation est maintenu. Les modifications proposées dans ce projet de loi sont donc limitées : elles concernent essentiellement la réduction du nombre d'associés et la répartition interne du capital entre les associés. Les contrôles spécifiques aux sociétés ont été peu utilisés compte tenu de leur complexité et des risques de contentieux qu'ils présentent.
Nous aurons l'occasion de revenir sur vos principales propositions, monsieur le rapporteur, lors de la discussion des articles.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez, à juste titre, évoqué les incertitudes qui pèsent sur l'évaluation des DPU. Il est vrai que nos prévisions s'arrêtent à 2013, mais cela représente tout de même 10 milliards d'euros par an d'ici là !
Vous avez également abordé les conséquences fiscales de la création du fonds agricole, ce qui est compréhensible en votre qualité de rapporteur de la commission des finances. Je puis vous apporter des assurances en la matière : d'une part, la création de ce fonds n'aura aucune conséquence fiscale au moment de sa création ; d'autre part, en cas de mutation à titre gratuit, le régime fiscal sera le même que pour l'exploitation individuelle, avec, pour le cédant, une exonération des plus-values si l'activité est poursuivie, et des trois quarts des droits de mutation pour les héritiers. En cas de vente, les plus values du cédant bénéficieront des exonérations prévues dans la loi Dutreil et le repreneur ne devra acquitter qu'un droit fixe de 125 euros, disposition qui a été introduite par les députés.
Enfin, je veillerai à ce que le dispositif relatif à l'exonération des plus-values prévu pour la cession des fonds de commerce d'une valeur inférieure à 300 000 euros, qui doit être revu lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006, soit étendu au fonds agricole. Sur ce point, vous aurez donc satisfaction, monsieur le rapporteur pour avis.
Je tiens également à remercier le président de la commission des affaires économiques de sa contribution. S'agissant de l'exonération de la TFNB, il a développé une argumentation simple, que je partage. Il est par ailleurs très attaché à l'assurance récolte.
L'un des objets du projet de loi est bien d'encourager la compétitivité de notre agriculture, donc d'alléger les charges. Pour ce faire, le Premier ministre a décidé de diminuer progressivement la taxe sur le foncier non bâti. Je le répète, un débat vous sera proposé à ce sujet dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2006. Cette mesure représente quand même 140 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable pour les exploitations agricoles. Cette diminution sera intégralement compensée par l'Etat aux communes. Le dispositif proposé permettra de la répercuter totalement sur les exploitants agricoles. J'ai bien entendu l'appel quelque peu différent de M. Vasselle en la matière.
Monsieur Emorine, vous souhaitez par ailleurs développer le mécanisme d'assurance récolte, qui a rencontré un franc succès, avec plus de 65 000 adhésions la première année. Le monde agricole est donc intéressé ! Je partage votre analyse : il est nécessaire d'élargir l'assiette, afin de mutualiser les risques. Le Gouvernement examinera favorablement l'amendement que vous proposez et qui vise à étendre progressivement ce mécanisme à l'ensemble des productions agricoles.
Monsieur le Cam, nous avons des visions stratégiques divergentes sur l'agriculture. Peu d'articles du texte recueillent votre approbation, et je le regrette. Je tiens toutefois à corriger, si vous permettez cette expression, quelques points.
Les quotas laitiers n'ont pas de valeur marchande et n'ont donc pas vocation à faire partie du fonds agricole. S'agissant de l'article 14 relatif à l'organisation économique des producteurs, le transfert de propriété n'est pas l'unique voie de reconnaissance pour les organisations de producteurs. Nous avons prévu une certaine souplesse dans le mécanisme.
Vous avez également évoqué les « mesurettes » prises en faveur des producteurs bio. On peut toujours, il est vrai, faire plus, mais les dispositions prévues représentent déjà 22 millions d'euros par an, ce qui n'est pas négligeable. On sait que l'agriculture biologique dispose d'un créneau économique dans notre pays.
Monsieur Soulage, vous avez parlé du calendrier quelque peu serré de l'examen de ce texte, des biocarburants, de la filière des fruits et légumes, de l'assurance récolte. Je vous remercie d'avoir rappelé que l'agriculture constitue un atout essentiel pour le dynamisme économique de nos régions. Ce projet de loi est cohérent avec la mise en oeuvre de la réforme de la PAC. Nous avons souhaité utiliser la procédure d'urgence, car il est essentiel que les décrets d'application soient publiés avant le 1er janvier 2006.
Vous avez également abordé la question des biocarburants, comme l'avait fait à l'Assemblée nationale votre collègue du Lot-et-Garonne Jean Dionis du Séjour.
Le développement non alimentaire des produits agricoles est désormais un objectif à part entière de notre politique agricole. Comme M. Beaumont vient de l'indiquer, le Gouvernement s'est engagé sur des objectifs concrets quantifiés.
En ce qui concerne les huiles brutes, nous avons mis en place un dispositif, avec une phase d'observation, afin d'éviter que le développement trop rapide et non contrôlé des huiles brutes ne remette en cause celui de l'éthanol ou du diester. Nous essayons de parvenir à un équilibre. Naturellement, nous pourrons revenir sur ce point, car il s'agit d'une question importante.
S'agissant de la filière des fruits et légumes, votre département, comme bien d'autres - notamment ceux du Tarn-et-Garonne, du Vaucluse, ou encore des Bouches-du-Rhône -, est touché par la crise que connaît ce secteur. Nous voulons lutter contre les distorsions de concurrence au niveau européen. J'ai récemment envoyé un courrier à la commissaire européenne à propos des importations massives ou mal contrôlées qui ont eu lieu l'été dernier.
Nous avons également pris de bonnes mesures en faveur de l'emploi saisonnier, car ce secteur y a largement recours. L'organisation économique de cette filière doit être améliorée ; j'ai engagé des démarches en ce sens au niveau européen, car les dispositifs de gestion de crise font actuellement défaut. Il est vrai que nous ne disposons pas des bons outils eu égard tant aux règles de concurrence qu'aux règles de gestion des marchés. Avec un grand nombre de pays, nous faisons donc pression sur la Commission européenne pour avancer dans ce domaine.
M. Pastor, quant à lui, a notamment estimé que le texte était un peu libéral. Il a évoqué les petites entreprises, la multifonctionnalité. Les petites entreprises agricoles bénéficieront de toutes les mesures contenues dans ce texte ; j'emploie à dessein le terme « entreprise », car la forme sociétaire n'est pas, à mes yeux, opposée au fait que l'exploitation conserve son caractère familial. Mais il faut bien prendre en compte les évolutions actuelles.
La multifonctionnalité est au coeur du texte de Jean Glavany ; elle passe par le développement de nouveaux débouchés pour l'agriculture. Selon moi, ce texte ne représente pas une marche arrière, bien au contraire !
M. Jacques Blanc a défendu avec passion, comme bien d'autres, la nécessité de prévoir un volet « montagne ». Il a beaucoup travaillé sur ce sujet en commission, avec le rapporteur et le président. Il a même, à un certain moment, poussé à la roue. Quarante amendements ont été déposés à ce propos ; nous verrons le sort qui leur sera réservé.
L'idée est de reprendre les mesures déjà introduites par l'Assemblée nationale, en particulier le code de la montagne, et, si vous le décidez, d'y ajouter d'autres dispositions. Par exemple, M. Blanc a proposé de prendre en compte les handicaps naturels ou le soutien à la fonction agro-environnementale de l'agriculture de montagne. Mais cela peut aussi intéresser la politique de la forêt.
M. Baylet a indiqué que ce texte privilégiait les grandes exploitations. C'est faux ! Ce texte ne se résume pas à cette logique. Je ne crois pas que le volet social soit inexistant. La suppression de la cotisation de solidarité pour les associés non exploitants, la mise en place d'un congé formation en faveur des exploitants agricoles, le congé de remplacement pour les éleveurs, l'amélioration de la protection sociale des petits exploitants - exploitations d'une superficie inférieure à une demi-SMI - sont autant de mesures qui démontrent que ce texte prend bien en charge le volet social.
Madame Hoarau, vous avez évoqué deux sujets importants pour la Réunion.
Tout d'abord, la suppression du colonat, une demande ancienne des agriculteurs réunionnais, est une mesure essentielle du projet de loi.
Vous avez également souligné la crise que traverse l'agriculture réunionnaise du fait de la situation de la production sucrière.
Vous le savez, la Commission européenne a engagé une réforme de la filière du sucre. Nous nous battons pour obtenir des aménagements en faveur de l'outre-mer : une moindre baisse du prix du sucre, le rétablissement de l'aide à l'écoulement dans l'enveloppe financière accordée à la filière ou encore des mesures très spécifiques pour l'outre-mer.
Lors du Conseil des ministres qui s'est tenu la semaine dernière, nous avons indiqué très clairement à la Commission que ce texte devait être amélioré dans son volet ultramarin et pour les petites sucreries qui ne se situent pas dans les grands secteurs de production de la métropole. Si la Commission persistait dans une attitude de blocage sur les négociations de l'OMC, nous serions conduits à revoir l'approbation de principe que nous avons donnée à propos de la réforme du sucre.
Quoi qu'il en soit, nous souhaitons préserver les intérêts de l'outre-mer et ne pas oublier les pays les moins avancés, telle l'île Maurice, une grande part de leur activité économique et de leurs exportations dépendant de la production sucrière. Nous devons, dans notre politique, tenir compte des liens anciens que nous avons depuis les accords de Lomé.
M. Jean Boyer a surtout évoqué les zones de montagne, qu'il connaît bien dans le département de la Haute-Loire, et les compensations du handicap naturel. Les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale sont traitées dans différents titres du projet de loi, ce qui nuit à leur lisibilité. Sur l'initiative de votre rapporteur, de Jacques Blanc et de vous-même, elles seront regroupées. Elles formeront, je l'espère, un véritable volet « montagne », sachant que la loi relative au développement des territoires ruraux avait déjà largement abordé ces questions.
Mme Herviaux a évoqué le décalage existant entre ce projet de loi et les débats régionaux. Certes, nous n'avons pas pu tenir compte de tous les débats qui se sont déroulés dans les vingt-deux régions métropolitaines et les régions d'outre-mer, car ils ont naturellement été très riches et divers, mais c'est vraiment à partir de cette consultation que nous avons élaboré ce texte.
La Bretagne étant une grande région agricole, je n'ose imaginer qu'une partie des propositions que nous avons reprises n'aient pas été évoquées par cette région.
Vous avez décrit l'évolution de l'agriculture dans un petit village breton. J'ignore si c'est celui de la bande dessinée, mais j'ai trouvé votre histoire imaginative. (Sourires.) L'issue de nombre des actions ou des situations que vous décrivez dans ce paysage idéal dépend de dispositions contenues dans le présent projet de loi d'orientation. Aussi, j'espère que vos rêves les plus chers lui laisseront quand même une petite place si, bien sûr, il est voté par la Haute Assemblée. En tout cas, vous avez présenté les choses de façon très astucieuse.
M. Mortemousque a évoqué de nombreux sujets- il a beaucoup travaillé sur ce texte - notamment les multifonctionnalités et la simplification. Il faut insister sur les multifonctionnalités. Il est nécessaire d'accompagner les évolutions agricoles dans une logique d'entreprise, laquelle est parfaitement compatible avec la valorisation des produits locaux de qualité, des produits labellisés - je sais que vous y êtes attaché, en particulier dans votre département de la Dordogne -, avec la diversification et avec l'accueil à la ferme. A cet égard, votre département est un exemple de cette agriculture double. Ces deux agricultures se complètent et ne sont pas adverses. Il faut simplifier l'application des réglementations. Le projet contient un certain nombre de dispositions en ce sens, mais nous pouvons encore progresser dans cette voie.
Je veux dire quelques mots sur les retraites. Vous avez évoqué la présence dans les tribunes du président d'une très active association de retraités. Les mesures en faveur des retraites ne figurent pas dans ce projet de loi d'orientation agricole puisque, par nature, elles trouvent leur place soit dans un projet de loi de finances, soit dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Depuis 1994, de nombreuses mesures ont été prises en faveur des retraites, et ce par tous les gouvernements. Néanmoins, il convient de noter que, depuis 2002, les pensions de base ont été revalorisées de 43 % pour les chefs d'exploitation, de 80 % pour les personnes veuves et de 93 % pour les conjoints aides familiaux.
Votées à l'unanimité - ce qui est positif - à l'approche d'un grand débat national, sur l'initiative d'une majorité, ces mesures ont été financées par une autre majorité. A la suite du changement intervenu après les élections, chacun a pris ses responsabilités. Ces mesures représentent néanmoins un effort annuel de 1,5 milliard d'euros de la collectivité nationale en faveur des retraités agricoles. (M. Dominique Mortemousque approuve.)
Votre majorité a mis en place, mesdames, messieurs les sénateurs, dans un contexte budgétaire très difficile, la retraite complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles. Elle représente en moyenne 1 000 euros supplémentaires par an pour 435 000 retraités. C'est également cette majorité qui a voté la mensualisation de la retraite, répondant ainsi à une demande très forte et très ancienne des retraités agricoles, ainsi que l'a souligné M. Bailly. Pour autant, de gros efforts doivent encore être faits en leur faveur. Nous savons tous, par exemple, pour les recevoir dans nos permanences, ce que représente la retraite mensuelle des veuves retraitées.
Je remercie M. de Montesquiou du soutien qu'il apporte au texte. Il a évoqué le coût que représentent l'ensemble des mesures prévues, à savoir 80 millions d'euros. C'est peut-être peu, mais, dans la conjoncture budgétaire actuelle, c'est important. En outre, il convient d'ajouter à cette somme les 140 millions d'euros correspondant à la première tranche de baisse de la taxe sur le foncier non bâti, ce qui représente, au total, 220 millions d'euros.
S'agissant de l'armagnac, alcool aussi important que le cognac, nous pourrons sans doute satisfaire vos voeux par la voie réglementaire. Je vous propose que vous-même, les producteurs et le ministère travaillent sur ce sujet. Je veillerai à ce que cela se fasse rapidement. En cas d'accord, nous aurons réglé cette affaire dans deux à trois mois. Rien ne s'oppose à ce que nous apportions une réponse à votre demande dont je comprends parfaitement la justification.
M. Biwer a évoqué la démographie des agriculteurs ainsi que celle des fonctionnaires, et a établi des comparaisons. Il a souhaité une politique intelligente des contrôles. Nous avons fait beaucoup d'efforts en cette matière : nous avons essayé de les limiter dans le temps et d'organiser de meilleurs rapports au moyen d'une charte. Tout s'est relativement bien passé cette année, sur le terrain, mais les efforts doivent être poursuivis.
Il nous faut également assurer la protection des contrôleurs. Nous avons tous en mémoire le drame survenu en Dordogne. Il y a quelques semaines, M. Mortemousque et moi-même étions sur place afin de rendre hommage à ces contrôleurs qui ont été assassinés dans des conditions épouvantables. Il faut donc pacifier les relations et mieux organiser le dialogue afin que les agriculteurs n'aient pas le sentiment que leur exploitation est soumise à une multitude de contrôles sans suites et sans coordination.
Mme Boyer a rappelé la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, dont je ne conteste pas certains effets positifs. Le projet de loi qui vous est soumis s'adapte aux exigences d'aujourd'hui, qui ne sont pas exactement les mêmes qu'à l'époque, compte tenu de la réforme de la PAC et des questions liées à l'OMC. Nous avons veillé à ce qu'il soit cohérent avec la loi relative au développement des territoires ruraux. Il existe une complémentarité entre l'économie agricole et les enjeux du développement rural. Ce projet doit donner confiance aux agriculteurs, qui ont un rôle de producteurs de biens agricoles, mais également de biens non alimentaires.
Je confirme à M. Vasselle, qui a une connaissance tant professionnelle que politique de ce sujet, que nous avons cherché à utiliser toutes les marges de manoeuvre disponibles dans les cadres communautaires et internationaux. Il faut être positif. Nous pouvons agir en de nombreux domaines. J'ai bien noté vos remarques sur la TFNB, sur le FIPSA, sur l'équilibre du PLFSS, dont vous êtes le rapporteur. Nous aurons des débats sur le financement du FIPSA lors de l'examen du PLFSS ou lors de l'examen du projet de loi de finances, à tout le moins avant la fin de cette année calendaire.
J'ai souhaité saisir l'occasion de ce projet de loi pour définir, à travers le bail cessible, un nouvel équilibre entre bailleur et preneur. Je me réjouis du caractère très constructif de la concertation que nous avons menée avec l'ensemble des parties. Nous avons réussi à trouver un équilibre qui ne lèse aucune d'entre elles. Nous nous situons dans un scénario « gagnant-gagnant », que nous pourrons toujours améliorer au moment de la discussion des articles.
M. Raoult a parlé de la compétitivité de l'agriculture, de sa dépendance à l'égard des marchés mondiaux et de la solidité de nos industries agroalimentaires. Il est vrai que la garantie des prix est une nécessité de bon sens : des prix plus élevés aux plans européen et international sont préférables aux aides. C'est la raison pour laquelle nous nous battons, au sein de l'OMC, afin que la spécificité des produits agricoles soit reconnue et, au niveau national, pour que l'organisation économique et celle des interprofessions soient améliorées. Nous souhaitons aider les agriculteurs à préserver les prix et à les augmenter en amont. C'est le meilleur service que nous puissions leur rendre.
M. Gaillard, comme toujours, a évoqué la forêt, qu'il connaît bien en tant que président de la Fédération nationale des communes forestières, la FNCOFOR. La forêt couvre 30 % de notre territoire et sa surface croît dans tous les départements. C'est une importante filière, qui représente 450 000 emplois. Elle fera prochainement l'objet d'un comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires.
Nous avons retenu la possibilité de mieux mobiliser nos ressources forestières par l'utilisation du bois en tant que matière première énergétique et par la valorisation, au moyen des mécanismes de marché, du carbone stocké par la forêt. Il nous faut maintenant réussir à mettre en oeuvre cette mesure. Vous avez proposé de nous faire profiter de votre connaissance remarquable de la forêt. J'y souscris volontiers. Nous pourrons installer un groupe de travail pour travailler sur les dispositions prévues à l'article 11 du présent projet.
M. Desessard a parlé des biocarburants. Il est vrai que cette question ne concerne pas uniquement l'agriculture. La production de biocarburants nécessite l'utilisation à grande échelle de terres agricoles, ce qui est toujours préférable à leur mise en jachère - M. Beaumont a évoqué ce point tout à l'heure. Avec les biocarburants, les exploitants trouveront de nouveaux débouchés. S'agissant des huiles végétales pures, l'article 12 du projet de loi d'orientation apporte un changement : ce qui était jusqu'à présent interdit est désormais autorisé dans un cadre expérimental, cette autorisation ayant naturellement vocation à être pérennisée. Les exploitants pouvant utiliser une énergie dont ils sont producteurs, leurs charges s'en trouveront certainement diminuées.
M. Murat a évoqué la question foncière. La loi relative au développement des territoires ruraux a donné lieu à de longs débats sur les relations entre l'agriculture et l'utilisation de l'espace rural. Un certain nombre de dispositions ont été prises concernant les services au public en milieu rural.
Nous avons essayé d'améliorer le volet foncier en nous inspirant du rapport Boisson. A cette fin, nous avons introduit plusieurs mesures afin de mieux prendre en compte les intérêts agricoles dans les procédures liées à l'urbanisme. Vous connaissez tous le phénomène de la périurbanisation : le développement des lotissements communaux a naturellement pour conséquence d'empiéter sur l'espace agricole. En même temps, nous ne voulons plus de grands ensembles. Là réside la difficulté. Il nous faut trouver le moyen de mieux organiser la « cohabitation » entre les communes et les agriculteurs.
M. Lise a parlé de l'agriculture ultramarine. Il est vrai que seul le titre V contient quelques mesures spécifiques en sa faveur. Cependant, les autres dispositions prévues dans le présent projet s'appliquent aussi à l'outre-mer, qu'il s'agisse de l'organisation économique, des biocarburants, du traitement des produits phytosanitaires, du foncier ou de l'emploi. Ce sont autant de mesures en faveur de l'ensemble des exploitations françaises, qu'elles soient métropolitaines ou ultramarines.
Il serait effectivement intéressant que soit présenté, un jour, un projet de loi spécifique à l'agriculture et à la pêche ultramarines - cette idée a été lancée à l'Assemblée nationale par plusieurs de vos collègues ultramarins - ou qu'un texte, qui serait préparé par François Baroin, contienne un volet agricole. Nous en parlerons avec lui, mais je suis très ouvert aux propositions des parlementaires ultramarins pour bâtir en commun un tel texte.
Je remercie M. Revet d'avoir évoqué de nombreuses perspectives d'avenir. L'enjeu consiste à permettre à notre secteur agricole et alimentaire de rester innovant et performant, de conserver sa place sur le marché mondial, d'être un facteur de cohésion nationale. Un autre enjeu, tout aussi noble, est de consolider le revenu des agriculteurs en favorisant de nombreux débouchés, en stabilisant les prix, en renforçant les systèmes d'assurance. C'est dans ces conditions que nous attirerons des jeunes dans le métier.
J'ai bien noté, monsieur Revet, les questions plus précises et plus techniques que vous avez posées, en particulier sur le sucre et sur la filière de la betterave. Nous vous donnerons des réponses rapidement.
M. Lejeune nous a rappelé l'arithmétique la plus simple, à savoir l'addition des zéros. Vous avez été un peu dur, monsieur le sénateur. Sur la question des retraites, le Gouvernement et sa majorité n'ont pas de leçons à recevoir ! Un travail sérieux a été effectué, même si l'on peut toujours mieux faire.
M. Bailly a évoqué la loi du 28 décembre 1966 sur l'élevage. Le schéma de financement de cette réforme est désormais stabilisé. Dans les années qui viennent, les crédits de l'Etat consacrés à la génétique animale seront d'un niveau suffisant pour attendre la montée en puissance progressive de la réforme.
Je souhaite vous rassurer s'agissant du court terme. En effet, de nombreuses questions écrites me sont posées sur ce sujet, en particulier par les sénateurs. Il est vrai que les crédits de la génétique animale ont fait l'objet d'un gel assez significatif. Toutefois, une fraction de ces crédits sera dégelée avant la fin de l'année, permettant ainsi de satisfaire une partie des besoins. Je vous répondrai sur d'autres points plus techniques ultérieurement.
Je remercie Benoît Huré de son soutien sur les différents aspects du projet : enjeux économiques, traçabilité, chimie verte, simplification de procédures trop complexes. Vous avez mis l'accent, monsieur le sénateur, sur les orientations fortes de ce projet de loi. Nous ne ferons de ce texte une « grande loi pour l'avenir » qu'à la condition que, dans cet environnement international difficile, le Sénat nous aide à lui donner plus de cohérence et plus de contenu.
C'est également l'analyse que fait Mme Henneron de ce texte. Le projet donne les moyens de renforcer la compétitivité de notre agriculture, de nos entreprises agricoles - grâce au fonds agricole -, de constituer des unités pérennes et transmissibles, les formes sociétaires, plus sûres sur le plan économique, pour de meilleures conditions de vie et une organisation du travail plus rationnelle. Nous partageons ces objectifs.
Monsieur Fouché, vous avez parlé de l'installation des jeunes et des biocarburants. S'agissant du premier point, je sais que la collectivité que vous présidez est très active dans ce domaine.
Le concours des collectivités, quelle que soit leur couleur politique, est très utile pour renforcer les initiatives nationales et européennes et augmenter fortement les enveloppes. A l'occasion du sommet de l'élevage, j'ai constaté l'intervention de la région Auvergne et de plusieurs de ses départements en faveur des bâtiments d'élevage. Les efforts des collectivités seront payés de retour : elles tireront bénéfice des installations et des équipements nouveaux, qui favoriseront l'animation de leur territoire.
Vous avez évoqué les biocarburants. Nous travaillons afin que leur utilisation soit pleinement satisfaisante. Je sais que la région à laquelle vous appartenez est très intéressée par cette question.
M. Bizet nous a fait part de ses analyses, et je l'en remercie, sur l'importance des produits non alimentaires pour l'agriculture et sur le rôle de l'OMC. C'est un sujet qu'il connaît bien. Pour notre part, nous sommes déterminés à préserver la réforme de la PAC. Nous aurions peut-être dû nous y prendre autrement que par le passé, mais nous devons défendre le mieux possible la copie qui est celle de la France et de l'Europe.
M. Beaumont a évoqué de nombreux points, en particulier les enjeux économiques de l'agriculture. Il m'a interrogé sur les mesures fiscales : elles figureront dans le projet de loi de finances. L'Assemblée nationale a d'ores et déjà adopté des amendements destinés à accompagner le plan sur les carburants.
Je réponds par l'affirmative en ce qui concerne la jachère. Nous aurons certainement besoin de la quasi-totalité des jachères actuelles pour atteindre l'objectif de 5,75 % en 2008. Cela suppose de prendre rapidement un certain nombre de décisions.
Le plan annoncé par Jean-Pierre Raffarin prévoyait six nouvelles unités de fabrication de biocarburants, qu'il s'agisse d'usines neuves ou d'unités transformées. Avec le gain de deux ans apporté par Dominique de Villepin pour l'objectif 2008-2010, nous devrions bénéficier de deux unités de fabrication supplémentaires. Nous réfléchissons actuellement, avec l'ensemble des membres du Gouvernement, à leur bonne localisation sur le paysage français. Nous voulons les répartir de la façon la plus harmonieuse possible en fonction des productions locales et des exigences de l'aménagement du territoire.
Monsieur le président, je vous prie de m'excuser d'avoir été un peu long, mais je souhaitais répondre à chacun des orateurs. Je tiens à remercier les uns et les autres, en particulier les rapporteurs, de leur participation très constructive à ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Le Cam, Billout et Coquelle, Mmes Demessine, Didier et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 576, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation agricole (n° 26, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Evelyne Didier, auteur de la motion.
Mme Evelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'énergie, c'est aujourd'hui le secteur agricole que le Gouvernement entend livrer aux effets dévastateurs de la déréglementation. Et il entend le faire selon les procédures que sont l'urgence et le recours aux ordonnances.
Ne nous y trompons pas : la procédure législative ne constitue pas une question de forme ; bien au contraire, elle est la garante de l'exercice des droits fondamentaux que détient le Parlement. Le caractère récurrent de ces deux procédures, ajouté à leur utilisation sur des textes fondamentaux pour l'avenir de notre pays, comme les lois d'orientation, constitue un véritable déni des prérogatives de notre assemblée et de l'opposition.
Encore une fois, le débat parlementaire est tronqué et le recours aux ordonnances permettra que des dispositions essentielles de la réglementation agricole soient définies en dehors du Parlement.
Cela s'ajoute au fait que ce projet de loi d'orientation agricole s'inscrit directement dans le processus de soumission de notre agriculture aux objectifs ultra-libéraux de l'OMC et ne constitue qu'une adaptation à la réglementation issue de la réforme de la politique agricole commune de 2003.
Vous le savez, monsieur le ministre, l'objectif consiste à tirer vers le bas les prix à la production, à déconnecter le coût du produit agricole de celui du travail des agriculteurs, et à développer une agriculture dans laquelle les petites et moyennes exploitations n'ont plus leur place. Ainsi, c'est tout un équilibre, souvent fragile, qui risque d'être déstabilisé par les politiques menées à l'échelon national et international.
Pour mémoire, rappelons qu'à ses débuts, en 1962, la PAC avait pour objectif d'assurer l'autosuffisance alimentaire en Europe tout en maintenant un revenu convenable aux agriculteurs.
En 1992, un premier infléchissement a été apporté à cette politique au motif qu'il fallait corriger les excédents, maîtriser les dépenses et prendre en considération les atteintes à l'environnement. Sont instaurées alors les primes aux jachères et sont mises en place des aides directes aux revenus en compensation de la baisse du soutien au prix.
Ainsi, l'Europe abandonne toute politique de soutien des prix pour une politique de soutien des revenus. Le processus de la baisse des prix mondiaux de l'agriculture est ainsi encouragé. Dès 1999, sont instaurées de nouvelles aides dites de « développement rural ». Puis, le découplage entre les aides et la production est érigé en principe en 2003.
Ce bref rappel historique montre bien comment les agriculteurs, face à des prix qui ne sont plus rémunérateurs, ont dû, pour survivre, se soumettre à la loi du marché, celle de l'industrie agroalimentaire, des centrales d'achat et de la grande distribution. L'Europe remet aujourd'hui en cause la garantie des revenus à travers la diminution du montant des aides compensatoires versées aux agriculteurs.
Par ailleurs, l'absurdité de cette politique de découplage est renforcée par son application nationale. En effet, la valeur des droits à paiement unique sera fonction, en France, des aides versées pendant la période de référence 2000-2002. Le Gouvernement favorise ainsi les plus grosses exploitations, les 20 % qui touchent 80 % des aides. (M. .Alain Vasselle s'exclame.)
Cette concurrence organisée à l'échelon national est également renforcée à l'échelon international par la politique de l'OMC.
Le 28 octobre dernier, la Commission européenne a rendue publique une offre de réduction des droits de douanes sur les produits agricoles, de 35 % à 60 %, dans le cadre des négociations commerciales internationales. Cette décision risque de placer les paysans européens dans une situation de concurrence insoutenable face à des pays qui s'exonèrent des contraintes sociales et environnementales.
Ainsi, la suppression de toutes les protections tarifaires se poursuit, laissant la place à l'instauration de prix mondiaux uniques des denrées agricoles, les plus bas possibles, bien entendu.
L'agriculture devient un domaine où coexistent ceux qui, ayant investi des capitaux, souhaitent obtenir une rémunération, et les salariés.
Les politiques agricoles déterminées au sein de l'OMC et de l'Union européenne visent la suppression de toute aide pour insérer de plus en plus l'agriculture dans les rouages du capitalisme mondialisé. Et le projet de loi d'orientation agricole organise la mise en oeuvre de cette politique ultralibérale.
Le projet de loi va relancer la sélection par l'argent et la course aux hectares des grandes exploitations au détriment de l'installation des jeunes.
A titre d'exemple, la création d'un fonds agricole ne peut que favoriser une financiarisation de l'agriculture, notamment au regard de la question de l'intégration dans ce fonds des droits à prime. La cessibilité du bail est largement incompatible avec la dimension collective du contrôle des structures. Le foncier étant intégré au fonds agricole, l'accès au foncier sera le privilège du plus offrant.
Pour lutter contre le pouvoir écrasant de la grande distribution, vous proposez, par exemple, de mieux organiser l'offre par le regroupement des organisations de producteurs en entités à forme commerciale. Mais ces mesures restent largement insuffisantes tant que rien ne sera fait pour que les prix agricoles soient rémunérateurs pour l'ensemble des agriculteurs.
Enfin, le projet de loi d'orientation agricole va pousser au rendement, alors qu'il faudrait privilégier une agriculture durable en limitant l'utilisation des biocides ainsi que la consommation d'eau. Le Gouvernement n'engage pas de réflexion sérieuse en matière d'environnement. La préoccupation environnementale est d'abord un affichage de bonnes intentions, alors que la politique du Gouvernement - cela ne trompe personne ! - reste marquée par une approche consumériste de notre patrimoine environnemental, préférant la réparation à la prévention.
De plus, l'intérêt pour un certain nombre de produits issus de l'agriculture est guidé, avant toute chose, par le besoin de diversification des débouchés des productions agricoles.
Pour conclure, je souhaite rappeler que l'agriculture remplit de multiples fonctions : production de denrées, structuration de l'économie rurale, protection de l'environnement, valorisation des patrimoines et des savoir-faire. Mais sa première mission vitale est de nourrir les hommes. La nourriture joue un rôle unique dans la culture et la sécurité des populations. Elle constitue bien plus qu'un produit qui se vend et s'achète ; elle satisfait divers besoins humains culturels, psychologiques et sociaux. On ne peut donc pas la traiter comme les autres biens de consommation.
Il importe de créer une exception agricole dont la première expression pourrait être une loi d'orientation agricole garante pour tous de la qualité et de la sécurité des aliments, de la diversité des productions, de la juste rémunération des agriculteurs et de la pérennité des savoir-faire agricoles.
Parce que votre projet de loi d'orientation agricole s'oppose à cette conception de l'agriculture, parce qu'il est l'instrument de la déréglementation du secteur agricole organisée à l'échelon tant mondial que communautaire, parce que sa mise en oeuvre aura des conséquences dramatiques et irréversibles pour notre agriculture, pour les agriculteurs et pour nos concitoyens, nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Je ne peux souscrire à l'idée que sous-tend cette motion : le projet de loi d'orientation ne répondrait pas aux besoins des agriculteurs. Au contraire, ce texte donne aux agriculteurs les atouts nécessaires pour répondre aux opportunités qui s'offriront à eux.
Les auteurs de la motion évoquent également les difficultés sociales. Or le projet de loi d'orientation comportera un volet social très important qui fera date, j'en suis convaincu, pour le monde agricole.
Je ne reviendrai ni sur les éléments que nous avons abordés lors de la discussion générale ni sur ceux que j'ai exposés dans mon rapport écrit, mais vous comprendrez aisément que la commission des affaires économiques émette un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 576, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 5 :
Nombre de votants | 323 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l'adoption | 120 |
Contre | 203 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
TITRE IER
PROMOUVOIR UNE DÉMARCHE D'ENTREPRISE AU SERVICE DE L'EMPLOI ET DES CONDITIONS DE VIE DES AGRICULTEURS
CHAPITRE IER
Faire évoluer l'exploitation agricole vers l'entreprise agricole
Articles additionnels avant le titre Ier (avant l'article 1er) ou avant l'article 1er
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 459, présenté par MM. Pastor, Bel, Piras et Lejeune, Mmes Herviaux et Y. Boyer, MM. Raoult, Courteau, Trémel, Dussaut, Lise, Saunier, Repentin, Teston et Cazeau, Mme Bricq, MM. Le Pensec, Marc, S. Larcher, Collombat, Signé et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant le Titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
La politique agricole prend en compte les fonctions économique, environnementale et sociale de l'agriculture. Elle participe à l'aménagement du territoire, en vue d'un développement durable. Elle oriente les pratiques agricoles dans le respect de la diversité biologique et des ressources naturelles et promeut l'amélioration de la qualité des produits.
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Le présent projet de loi d'orientation agricole apparaît emprunt d'une vision libérale de l'agriculture, qui conduira à accentuer les dérives de l'agriculture intensive et de l'agrandissement perpétuel des exploitations qui se produit depuis les grandes lois agricoles du début des années soixante.
La rupture prônée, qui consiste dans la promotion de l'agriculture d'entreprise, que le rédacteur du projet de loi se garde prudemment de définir, n'apparaît ainsi que comme un leurre cachant la fuite en avant de la désertification et de la concentration des exploitations.
En fait, ce texte rompt surtout avec le mouvement institué par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, qui a permis la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture, en marquant notamment le rôle prééminent de l'agriculture comme activité économique essentielle pour le maintien de la biodiversité, l'aménagement et l'entretien du territoire.
La loi de 1999 a marqué l'importance écologique d'une activité agricole durable. L'actuel projet de loi semble ignorer cette présentation essentielle. Cet amendement tend donc à réparer cette omission.
M. le président. L'amendement n° 681, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
La France, comme tous les autres pays du monde, doit tendre vers l'autosuffisance agroalimentaire au niveau national, puis au niveau régional, tout en garantissant un revenu satisfaisant aux paysans et en impulsant un renouveau des territoires ruraux basé sur une agriculture paysanne, durable et biologique.
Il s'agit de permettre le droit vital à l'alimentation, aussi bien en France que dans le reste du monde, de mettre en place la sécurité alimentaire pour toutes les populations, de promouvoir la baisse des pollutions agricoles, de lutter contre l'effet de serre et le réchauffement climatique.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Cet amendement a pour objet de présenter une tout autre vision de la politique agricole de notre pays et de celle que devrait conduire l'Europe.
L'agriculture productiviste promue en France, en Europe et dans le monde est particulièrement absurde en termes énergétiques. Prenons l'exemple d'une ferme française : quelle est exactement la dépendance aux hydrocarbures dont souffre notre agriculture ?
La consommation énergétique d'une ferme classique, qui produit du lait mais aussi un peu de viande, est de 36 % en énergie directe, à savoir le fioul et l'électricité nécessaires aux trayeuses et aux machines agricoles, et de 64 % en énergie indirecte.
L'efficacité de cette ferme, c'est-à-dire le rapport entre les sorties et les entrées - et il ne s'agit là que d'un maillon de la chaîne agroalimentaire -, est de 0,69, ce qui est très bas. Du point de vue énergétique, elle se situe dans la moyenne des exploitations productivistes comparables.
Si on analyse les dépenses énergétiques de ce type de ferme, on s'aperçoit que la proportion d'énergie directe est plutôt faible : elle représente 36 % de la consommation totale d'énergie, dont environ 15 % concernent le fioul et 20 % l'électricité. La valeur économique est, elle aussi, assez faible : de l'ordre de 1 500 à 2 000 euros.
Ce sont la fertilisation et les achats d'aliments qui pèsent le plus, puisqu'ils représentent plus de la moitié de la consommation d'énergie et une valeur beaucoup plus élevée. Etant donné le coût de tous ces intrants, fertilisants azotés ou produits phytosanitaires, un agriculteur moyen doit dépenser de 7 000 à 8 000 euros pour pouvoir pratiquer ce type d'agriculture productiviste.
Encore faut-il souligner que ces chiffres ont été relevés il y a deux ans, à un moment où le prix du baril de pétrole était de l'ordre de 35 dollars. Désormais, le prix du baril, et de l'énergie en général - gaz, électricité, charbon, etc. - connaît une hausse tendancielle sous l'effet de trois facteurs : géologique, économique et géopolitique.
Parmi les différents secteurs économiques, les premiers touchés seront bien évidemment les agriculteurs et les marins pêcheurs. Des mouvements apparaissent déjà chez nos concitoyens oeuvrant dans ces secteurs, qui s'alarment de la montée du prix du fioul et du gazole, déjà trop élevés pour eux.
Dans une période de hausse du prix du pétrole, et à une époque où la production agricole est fondée sur ce type d'énergie, on peut s'attendre à des coûts extrêmement élevés et particulièrement absurdes en la matière.
M. le président. L'amendement n° 683, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
La France, par son rôle au sein de la politique agricole commune, s'efforcera d'orienter l'agriculture européenne vers le contrôle et la réduction des importations alimentaires aux frontières de l'Europe en limitant les denrées déjà produites à l'intérieur de l'Union et en refusant les productions OGM. Ce droit de limitation des importations doit être celui de tous les pays du monde.
Dans ce cadre, elle défendra la réduction, puis l'élimination des surplus agricoles européens exportés à prix de dumping et utilisés contre l'autosuffisance alimentaire des pays pauvres.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Tous les pays seront encouragés à poursuivre l'autosuffisance alimentaire. Ils ne pourront importer et exporter que dans l'objectif de progresser vers une production locale soutenable et l'entretien du renouveau rural. Le commerce de denrées alimentaires impossibles à produire sur un territoire est réalisable lorsque ces denrées sont produites sur un territoire voisin.
Le commerce à longue distance sera limité aux aliments indisponibles dans la région. Les pays exportateurs de denrées alimentaires utiliseront leurs revenus commerciaux afin d'accroître leur propre sécurité alimentaire, de telle sorte que cela bénéficie aux communautés rurales.
Cet amendement défend une logique très différente de celle qui est présentée par le projet de loi, puisqu'il s'agit de produire dans le pays, alors que le projet de loi envisage des échanges mondiaux plus importants.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. L'amendement n° 459 est une déclaration de principe sur les objectifs de la politique agricole. Un raisonnement juridique me conduirait à écarter cet amendement, qui n'a pas de portée normative. Cela étant, il est important que nous ayons un débat sur les objectifs de l'agriculture sans pour autant en faire une disposition législative.
Monsieur Pastor, étant donné que c'est le premier amendement que vous défendez, plutôt que d'émettre un avis défavorable, je préfère vous inviter à le retirer. (Sourires.)
Avec l'amendement n° 681, M. Desessard veut encadrer les exportations agricoles et limiter l'activité agricole aux productions biologiques. Or, chacun le sait, ces dernières sont fortement encouragées par certaines dispositions du projet de loi d'orientation. En outre, elles ne permettent pas à elles seules de nourrir notre population.
La commission a donc émis un avis défavorable.
L'amendement n° 683 vise à demander que la France oriente l'agriculture européenne vers la réduction des importations alimentaires aux frontières de l'Europe et qu'elle refuse les productions d'OGM. M. le ministre l'a dit tout à l'heure : un texte de loi sur les OGM sera proposé au Parlement. Il est en effet important que nous puissions débattre de ce sujet.
Quoi qu'il en soit, monsieur Desessard, demander que l'Europe renonce à des exportations agricoles alors que nous sommes un pays fortement exportateur serait un non-sens. La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Pastor, l'amendement n° 459 est-il maintenu ?
M. Jean-Marc Pastor. Nous avons déposé deux amendements, qui cherchent à rappeler quelques grands principes : l'un tend à définir ce qu'est l'agriculture à un moment où elle subit des mutations, comme le montre d'ailleurs le présent projet de loi ; l'autre n'a pas encore été examiné, mais il vise à préciser ce qu'est aujourd'hui un agriculteur.
Nous maintenons donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 683.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article additionnel avant le titre Ier (avant l'article 1er)
M. le président. L'amendement n° 602, présenté par MM. Lise, S. Larcher, Gillot et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport en vue d'élaborer une loi d'orientation agricole spécifique à l'outre-mer.
La parole est à M. Claude Lise.
M. Claude Lise. Cet amendement vise à engager le Gouvernement à présenter au Parlement, dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente loi, un rapport en vue d'élaborer une loi d'orientation agricole spécifique à l'outre-mer. Cette demande, qui fait l'unanimité des professionnels concernés, n'est pas nouvelle ; je l'avais déjà présentée lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.
J'ai bien évidemment noté avec grand intérêt, monsieur le ministre, que vous n'étiez pas opposé à l'élaboration d'une loi spécifique à l'outre-mer et que vous envisagiez même d'en discuter avec le ministre de l'outre-mer, M. François Baroin.
Cependant, je pense que mon amendement garde tout son intérêt. En effet, il vise à préciser la méthode à adopter et à fixer un délai. Son adoption rassurera, j'en suis convaincu, tous ceux qui sont impatients de voir élaborer un texte prenant vraiment en compte toute la diversité et les nombreuses spécificités de l'agriculture de l'outre-mer.
Je tiens à le préciser, cette agriculture, à côté d'incontestables handicaps et de très grandes difficultés, possède de réels atouts.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Cet amendement a pour objet de demander au Gouvernement la présentation d'un rapport au Parlement en vue d'élaborer une loi d'orientation agricole spécifique à l'outre-mer.
M. Lise, qui a été très présent aujourd'hui en commission des affaires économiques, peut parfaitement comprendre mon allergie aux rapports. Nous le savons, ces rapports ne sont jamais établis ou, lorsqu'ils le sont, en particulier grâce au concours de sénateurs qui en élaborent d'excellents, ils ont tendance à dormir sur les étagères. Je suis donc particulièrement défavorable au fait de réclamer un rapport de plus.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, ministre. Monsieur Lise, j'ai entendu votre appel. Je le répète, nous prendrons des mesures en faveur de l'agriculture ultramarine, en liaison avec le ministre de l'outre-mer. Je suis donc hostile non pas à l'objectif poursuivi, que je comprends parfaitement, mais à l'introduction de cette disposition dans le projet de loi d'orientation.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI constitutionnelle
M. le président. J'ai reçu de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et des membres du groupe communiste républicain et citoyen une proposition de loi constitutionnelle tendant à créer un titre nouveau de la Constitution relatif au droit de vote et à l'éligibilité des étrangers aux élections municipales.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le n° 61, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
5
DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président. J'ai reçu de M. Yves Détraigne une proposition de loi visant à garantir le droit d'expression de tous les élus locaux.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 59, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de MM. Jean-Pierre Michel, Jean-Pierre Bel, Mmes Jacqueline Alquier, Maryse Bergé-Lavigne, M. Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Michel Charasse, Roland Courteau, Jean Desessard, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Frimat, Charles Gautier, Alain Journet, André Lejeune, Claude Lise, Roger Madec, Jacques Mahéas, Jean-François Picheral, Bernard Piras, Mme Gisèle Printz, MM. Paul Raoult, Daniel Reiner, André Rouvière, Jacques Siffre, Jean-Pierre Sueur, Michel Teston, Jean-Marc Todeschini, Pierre-Yvon Trémel, André Vantomme, Richard Yung et Mme Michèle San Vicente une proposition de loi relative à la conservation des objets placés sous main de justice.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 60, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
6
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la mise sur le marché d'articles pyrotechniques.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2986 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et le Royaume de Thaïlande. Proposition de règlement du Conseil concernant la mise en oeuvre de l'accord conclu par la CE à l'issue des négociations menées dans le cadre du paragraphe 6 de l'article XXIV du GATT de 1994, et modifiant l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2987 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil portant modification et mise à jour du règlement (CE) n° 1334/2000 instituant un régime communautaire de contrôles des exportations de biens et technologies à double usage.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2988 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet d'action commune du Conseil relative à la mission de police de l'Union européenne pour les Territoires palestiniens.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2989 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet d'action commune du Conseil modifiant et prorogeant l'action commune 2004/847/PESC du 9 décembre 2004 relative à la mission de police de l'Union européenne à Kinshasa (RDC) en ce qui concerne l'unité de police intégrée (EUPOL « Kinshasa »).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2990 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Programme législatif et de travail de la Commission pour 2006 - Libérer tout le potentiel de l'Europe - Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, et au Comité des régions.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2991 et distribué.
7
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, jeudi 3 novembre 2005 :
A neuf heures trente :
1. Nomination des membres de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine ;
2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 26, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation agricole.
Rapport (n° 45, 2005-2006) de M. Gérard César, fait au nom de la commission des affaires économiques.
Avis (n° 50, 2005-2006) présenté par M. Joël Bourdin, au nom de la commission des finances.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
A quinze heures et le soir :
3. Questions d'actualité au Gouvernement ;
4. Suite de la discussion du projet de loi (n° 26, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation agricole.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements
Question orale avec débat n° 6 de M. Nicolas About sur l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 27, 2005 2006) sur la proposition de loi de M. Philippe Marini complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (n° 59, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 8 novembre 2005, à dix-sept heures.
Débat de contrôle budgétaire sur le rapport d'information établi par M. Roland du Luart au nom de la commission des finances sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire (n° 478, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 3 novembre 2005, à zéro heure trente.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD