compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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COMMUNICATION
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en tout état de cause, nous devrons suspendre nos travaux à onze heures cinquante, pour que ceux d'entre nous qui le souhaitent puissent assister à l'hommage aux sénateurs et aux membres du personnel morts pour la France, qui aura lieu à midi en haut de l'escalier d'honneur, en présence des membres du bureau.
Nous reprendrons nos travaux à l'issue de cette cérémonie.
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retrait du bureau du Sénat d'un projet de loi
M. le président. M. le Premier ministre a fait connaître le 9 novembre 2005 à M. le président du Sénat qu'il retirait du bureau du Sénat, pour le déposer sur celui de l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif au retour à l'emploi et au développement de l'emploi (n° 64, 2005-2006), qui avait été déposé le 8 novembre 2005.
Acte est donné de cette communication.
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Modification de l'ordre du jour
M. le président. J'informe le Sénat que la question n° 839 de M. Michel Billout est retirée de l'ordre du jour de la séance du mercredi 16 novembre, à la demande de son auteur, et que la question n° 831 de M. Christian Cambon est inscrite à l'ordre du jour de cette même séance.
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État de préparation de la france face aux risques d'épidémie de grippe aviaire
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 6 de M. Nicolas About à M. le ministre de la santé et des solidarités sur l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire.
M. Nicolas About demande à M. le ministre de la santé et des solidarités de bien vouloir lui faire connaître l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire, que le monde scientifique juge désormais plus que vraisemblable. Il souhaite savoir si des mesures de prévention sont déjà mises en oeuvre, compte tenu notamment de la survenance de cas avérés d'oiseaux infectés par le virus grippal d'Asie du Sud-Est sur le territoire européen, et si les pouvoirs publics envisagent de mener une campagne d'information publique sur cette maladie.
Au-delà de ces mesures préventives, et dans l'hypothèse d'un déclenchement de la pandémie, quelles sont les actions que le Gouvernement prévoit d'engager pour contrôler la propagation de la maladie, pour assurer, dans les délais nécessaires, l'approvisionnement de la population en médicaments rétroviraux, dispositifs de protection et vaccins et pour traiter les malades ?
La parole est à M. Nicolas About, auteur de la question.
M. Nicolas About. Monsieur le ministre, le 6 octobre dernier, vous avez présenté, devant la commission des affaires sociales, les principales mesures du plan national de lutte contre la grippe aviaire et cette audition a montré le très grand intérêt que nous portons, depuis plusieurs mois déjà, à cette question.
La progression de l'épizootie en Asie, l'apparition des premiers cas avérés de la maladie en Europe centrale et les incertitudes liées à la mutation possible du virus H5N1, qui le rendrait transmissible d'homme à homme, font craindre le pire aux scientifiques et alimentent l'inquiétude de nos concitoyens, qui sont tenus quotidiennement informés de la moindre évolution du mal par des médias attentifs.
Cette situation justifie aujourd'hui votre présence, monsieur le ministre, afin de répondre aux questions que se posent légitimement les élus de la nation sur les mesures prévues par les pouvoirs publics pour préserver les Français d'une catastrophe sanitaire et, dans l'hypothèse où celle-ci surviendrait, en limiter les effets.
Permettez-moi d'abord de rappeler quelques données scientifiques, afin de circonscrire le phénomène sans dramatiser sa portée. Si des millions d'oiseaux et des centaines de mammifères - chats, tigres et léopards - ont déjà succombé à la maladie, cent vingt-quatre personnes seulement - oserais-je dire ! - ont été contaminées à ce jour par le virus H5N1, depuis son apparition en 1997. Et soixante-trois d'entre elles sont mortes, le plus souvent en raison de complications respiratoires aiguës. Il s'agit majoritairement d'éleveurs de volailles en Thaïlande et au Vietnam, c'est-à-dire de personnes en contact étroit, fréquent et prolongé avec des oiseaux atteints par la maladie.
A ce jour, malgré quelques cas suspects, la preuve n'est pas établie d'une contamination directe d'homme à homme. Le risque d'une pandémie directement due au virus H5N1 actuel semble donc pouvoir être écarté.
En revanche, une mutation lui permettant d'acquérir les caractéristiques d'un virus humain est possible, tout comme sa combinaison avec un virus grippal humain existant. Ce nouveau virus pourrait alors déclencher une véritable épidémie, d'autant plus dévastatrice que ce virus associerait l'agressivité de la composante aviaire et le haut degré de contagiosité du virus humain. Un tel scénario s'est déjà produit, notamment lors de l'épidémie de grippe espagnole de 1918, qui a provoqué plus de 50 millions de morts, dont 300 000 en France, et qui, on le sait maintenant, était d'origine aviaire.
Les spécialistes s'accordent aujourd'hui pour considérer comme très probable la mutation ou la recombinaison du virus et, donc, la pandémie humaine qui en résulterait. En effet, le H5N1 est désormais présent chez certains mammifères, comme le porc, qui sont susceptibles d'être touchés également par un virus grippal humain. En outre, l'élimination de tous les oiseaux domestiques, à Hong Kong, en 1997, n'a pas permis d'endiguer sa progression. Ce virus est aujourd'hui endémique dans les élevages de volailles du sud-est asiatique et se répand massivement chez les oiseaux migrateurs, qu'il est utopique de penser exterminer. Enfin, il gagne en virulence, si bien que toutes les tentatives de vaccination animale se sont soldées par un échec. Cette remarque doit rester très présente à notre esprit, pour l'avenir, en cas de transmission du virus d'homme à homme.
Le nombre toujours plus important de pays touchés - des cas sont aujourd'hui avérés en Russie, en Turquie et en Roumanie, c'est-à-dire aux portes de l'Europe -, la puissance du virus et sa présence chez les oiseaux migrateurs indiquent que la France n'échappera pas à l'épidémie si les caractéristiques du virus se modifient. Il convient donc de s'y préparer au mieux pour éviter le scénario catastrophe annoncé par l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, qui prévoit, si aucune action n'est entreprise pour contrôler l'expansion de la maladie, la contamination de 9 millions à 21 millions de Français, ce qui entraînerait 91 000 à 212 000 décès.
Toutefois, il n'est pas de fatalité en la matière, notamment pour un pays développé comme le nôtre : les conséquences de la catastrophe annoncée seront moindres si une politique pragmatique de prévention est menée.
En effet, nos atouts sont bien réels. Depuis le bilan dévastateur de la grippe espagnole, notre capacité à identifier rapidement et de façon parfaitement fiable un nouveau virus et, par conséquent, la possibilité de créer un vaccin adapté se sont largement améliorées. En outre, nous disposons de médicaments antiviraux encore efficaces, notamment l'oseltamivir, plus connu sous le nom de Tamiflu, qui permettent de prévenir la maladie ou d'en atténuer les effets s'ils sont pris dans les heures suivant les premiers symptômes.
Il existe également un dispositif épidémiologique performant, piloté par l'InVS et le bien nommé réseau GROG, groupes régionaux d'observation sur la grippe, qui devrait nous permettre de connaître rapidement les premiers cas de grippe dus au nouveau virus dans la population française.
Face à ces atouts, le point faible de la politique de lutte contre une pandémie probable de grippe aviaire tient à l'incertitude existant sur la nature du futur virus, notamment sur sa capacité de contagion d'homme à homme, qui conditionnera l'efficacité des mesures prévues. Toutefois, le risque potentiel justifie, à lui seul, les mises en garde de l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, et la mobilisation des pouvoirs publics français.
Il s'agit, d'abord, d'éviter que la pandémie ne touche notre pays, ce qui, on l'aura compris, paraît difficile. Des mesures de prévention et de protection existent malgré tout et c'est sur cet aspect de la situation, monsieur le ministre, que portent mes premières questions.
En ce qui concerne la seule épizootie de grippe aviaire, quelles sont les mesures prévues en matière de protection des élevages de volailles, notamment ceux qui sont organisés en plein air et pour lesquels cette caractéristique justifie une appellation d'origine contrôlée ?
Les premières estimations laissent entendre que plus de 20 000 emplois pourraient être menacés dans ce secteur d'activité. Certaines entreprises se trouvent déjà en difficulté, du fait d'une diminution importante de la vente de volaille, de 20 % à 25 % selon les estimations. Dès lors, envisagez-vous, monsieur le ministre, de lancer une campagne d'information à destination du grand public, pour rappeler que la consommation de volaille ne présente aucun danger ?
En cas d'épizootie avérée sur notre territoire, comment procèdera-t-on à l'élimination, sans risque pour la santé publique ni pour l'environnement, des volailles contaminées ? Un système de juste indemnisation des éleveurs a-t-il été envisagé ? On sait en effet qu'une indemnité compensatoire par bête abattue qui serait jugée trop faible par rapport au prix du marché pourrait favoriser la non-déclaration de cas, la contrebande et la revente clandestine d'oiseaux contaminés. Ainsi la progression de l'épizootie a-t-elle été plus rapide au Vietnam qu'en Thaïlande, en raison de la quasi-absence d'indemnité pour les éleveurs.
Enfin, la chasse aux oiseaux migrateurs, dont les plumes, en dispersant des particules de fiente, transmettent la maladie, sera-t-elle interdite, ou bien pensez-vous plus opportun d'encourager l'élimination de ces oiseaux ?
Pour ce qui touche à la protection de la France face à un risque venu de l'extérieur, dans quelle mesure est-il possible de contrôler l'entrée sur le territoire national des animaux et des individus porteurs du virus ?
Par ailleurs, les ressortissants français qui pourraient être touchés par la maladie dans un pays étranger seront-ils rapatriés, au risque de contaminer leur entourage, notamment le personnel soignant, ou seront-ils soignés sur place ?
A cet égard, je souhaite rappeler que le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, dernière épidémie humaine mortelle connue, dont le virus était pourtant moins contagieux que celui de la grippe saisonnière, s'est étendu à une trentaine de pays en un temps record, du fait d'un seul passager contaminé arrivant de la province de Canton à Hong Kong.
Une question essentielle se pose également en matière de vaccination contre la grippe saisonnière : faut-il la rendre obligatoire cette année, ne serait-ce que pour les professionnels de santé, les personnes à risque telles que les personnes âgées, les jeunes enfants ou les personnes immunodépressives ? Faut-il également le rendre également obligatoire pour tous ceux qui devront maintenir leur activité en cas de crise sanitaire, à savoir les forces de l'ordre, les pompiers, les enseignants, certains fonctionnaires et les commerçants qui vendent des biens de première nécessité ? Une telle campagne pourrait d'ailleurs être doublée d'une vaccination de ces populations contre le pneumocoque, afin de limiter les risques de complications respiratoires mortelles liées à une mutation du virus de la grippe.
Plusieurs arguments plaident, selon moi, en faveur d'une telle mesure.
Tout d'abord, on peut en attendre la diminution du nombre de grippes ordinaires en cas d'apparition de la pandémie et, par conséquent, un diagnostic plus rapide du nouveau virus, ce qui permettra une prise en charge immédiate des malades et évitera la prescription inutile d'oseltamivir à des personnes qui n'en auraient pas besoin.
Ensuite, il en résulterait sans doute un moindre risque de combinaison entre le virus aviaire et le virus grippal humain, si ce dernier est moins présent dans la population.
Enfin, on peut penser qu'une telle mesure favorisera le développement durable, par les laboratoires, des capacités de production de vaccins antigrippaux, indispensables pour qu'un vaccin spécifique soit produit rapidement et à grande échelle.
En outre, une réflexion plus large mérite d'être conduite sur la possibilité de vacciner l'ensemble de la population française, dans l'hypothèse d'une pandémie aviaire déclarée. A cet égard, est-t-il prévu de favoriser une vaccination prépandémique contre le virus H5N1 non muté ? Ce vaccin aura-t-il une efficacité quelconque sur l'homme, alors qu'il n'en a pas sur les animaux ?
S'agissant de l'usage des médicaments antiviraux, de nombreuses questions se posent également.
Par exemple, convient-il de limiter dès à présent la prescription d'oseltamivir, de façon à conserver les stocks pour une éventuelle pandémie ?
Doit-on favoriser la prise préventive d'antiviraux pour les personnes les plus exposées au risque de grippe aviaire ? Quel risque de résistance du virus une utilisation abusive d'antiviraux en cette période de grippe ordinaire fait-elle courir ? Ces médicaments cesseraient-ils d'être véritablement efficaces s'ils devaient être pris, ensuite, de manière curative ?
Sur le volet préventif de l'épidémie, il importe enfin d'examiner les implications financières. Vous comprendrez que la commission des affaires sociales, qui est chargée de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, s'en préoccupe. Aujourd'hui, une somme de 600 millions d'euros a été débloquée sur le budget de l'assurance maladie pour faire face aux dépenses relatives à la mise en oeuvre du plan national de lutte contre la grippe aviaire.
Monsieur le ministre, cette somme sera-t-elle suffisante en cas de pandémie pour couvrir non seulement les dépenses supplémentaires de masques, de médicaments antiviraux et de vaccins, mais aussi celles qui sont destinées, par exemple, à assurer la sécurité des pharmacies et des hôpitaux ? Si une « rallonge » budgétaire se révélait nécessaire, serait-elle prélevée sur le budget de l'Etat au titre de sa fonction régalienne de protection de la population ?
Par ailleurs, il est nécessaire d'organiser une réaction internationale coordonnée face à la menace pandémique. Il s'agit avant tout de faire preuve de solidarité, mais aussi de bien mesurer que la protection de notre pays sera d'autant mieux assurée que la contagion sera maîtrisée dans les pays où le virus nouveau apparaîtra.
En ce sens, si le virus H5N1 mute dans une autre partie du globe, en Asie du Sud-est par exemple, la France ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur les moyens de venir en aide aux pays touchés. Il est à craindre, en effet, que les pays qui n'ont pu endiguer à ce jour l'épizootie, en raison de l'absence d'un système de surveillance sanitaire vétérinaire efficace, ne soient également les premiers touchés par la pandémie.
L'apparition de la grippe aviaire nécessitera la mise en place de mesures de sécurité sanitaire pour les populations locales et pour ceux qui auront séjourné dans ces pays. De tels dispositifs avaient été déployés en 2003, lors de l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, et avaient permis, en trois mois, son éradication. Je pense notamment aux mesures de restriction des déplacements ou de quarantaine.
Il conviendra alors que la France s'implique dans les actions de distribution d'antiviraux et de matériels de protection à ces pays, ainsi que dans des opérations d'aide à la recherche et à la production de vaccins, qui pourront débuter avec l'identification du nouveau virus.
A cette fin, qu'a prévu la communauté internationale ? Dans quelle mesure, et pour quelle enveloppe budgétaire, la France s'est-elle engagée à intervenir ? L'Union européenne est-elle impliquée dans ces opérations ?
A titre préventif, ne conviendrait-il d'ailleurs pas d'aider les pays les plus touchés par l'épizootie, en favorisant l'indemnisation des éleveurs et l'abattage des bêtes malades ? Cela présente selon moi l'intérêt d'alléger ces économies faiblement développées d'une charge qu'elles pourraient trouver trop lourde au regard de préoccupations hypothétiques de santé publique bien éloignées de leur objectif de subsistance.
Par la suite, la mise en oeuvre de mesures d'urgence dans les premiers pays touchés sera, je le rappelle, essentielle pour ralentir la progression de l'épidémie et limiter le nombre de victimes. Cela laissera également aux laboratoires le temps de concevoir, puis de produire, le vaccin adéquat en quantité suffisante.
Ma dernière série de questions est peut-être plus complexe encore, monsieur le ministre, et je vous prie de m'en excuser. Elle concerne les mesures qui sont envisagées au moment où la pandémie fera son apparition en France.
Deux hypothèses sont concevables. La première, optimiste, suppose que le vaccin a déjà pu être mis au point, dans le cas où la pandémie serait apparue à l'étranger et où sa progression aurait pu être ralentie. La seconde, plus défavorable mais peut-être plus probable, envisage l'absence de vaccin disponible.
Dans les deux cas, l'urgence consistera à éviter les occasions de transmission de la maladie. Quelles seront les mesures à prendre en matière de fermeture des lieux publics, écoles, administrations, entreprises, moyens de transport... ? Comment seront conciliés les impératifs de sécurité sanitaire avec le maintien du minimum de vie économique indispensable aux besoins de la population ?
Il s'agira, ensuite, de traiter les malades et de protéger leur environnement. La France disposera, nous a-t-on dit, au début de l'année 2006, de 14 millions de doses de Tamiflu, dont une partie « en vrac ». Ce stock sera-t-il suffisant en cas de pandémie, notamment si le médicament doit aussi être utilisé de manière préventive ? Le service pharmaceutique de l'armée est-il vraiment en mesure de conditionner rapidement sous forme de cachets l'oseltamivir qui serait conservé « en vrac » ?
Si les besoins devaient être supérieurs aux réserves, les laboratoires français seront-ils à même de compléter la fabrication assurée par le laboratoire Roche, qui possède le brevet du Tamiflu ?
Dans le même ordre d'idée, les 200 millions de masques respiratoires FFP2 qui devraient être disponibles à la fin de l'année seront-ils suffisants en cas de pandémie, alors que leur utilisation n'est efficace que pendant six heures ? Les capacités de production nationales seront-elles à même de répondre à une explosion de la demande ?
Je souhaite également vous interroger, monsieur le ministre, sur la sécurité des personnes et des biens dans un contexte de crise.
Dès lors que les stocks d'antiviraux, de masques respiratoires et de matériel de protection sont, par définition, limités, avez-vous fixé des critères de priorité pour leur distribution, par exemple en faveur du personnel soignant et des forces de l'ordre ?
Le risque d'un mouvement de panique en cas d'épidémie est élevé. Comment sécuriser la distribution de médicaments et de masques, notamment par les officines ? Aura-t-on d'ailleurs les moyens de contrôler les produits de contrebande ou de contrefaçon, qui circulent déjà - nous en avons la preuve -, par exemple sur Internet ?
Par ailleurs, les personnels soignants et les hôpitaux se trouveront en première ligne et risquent de faire l'objet de harcèlement ou de menaces, surtout si, comme le prévoit le plan national de lutte contre la grippe aviaire, seuls les 5 % des malades les plus atteints auront accès à l'hôpital. On imagine mal des parents rester sereinement à leur domicile avec un enfant contaminé sans exiger au plus vite, et par tous les moyens, que des soins lui soient dispensés par un médecin de ville, probablement débordé, ou à l'hôpital.
Les services de santé disposeront-ils alors d'un dispositif de sécurité adapté, de façon à permettre une organisation optimale des soins à domicile et à l'hôpital ?
En outre, de quelle manière sera organisée la campagne de vaccination lorsqu'un vaccin aura été trouvé ? Obéira-t-elle également à des règles de priorité au profit de certains publics ?
La France aurait réservé par avance 40 millions de doses de vaccin de ce type. Cette quantité sera-t-elle suffisante si, comme cela semble évident, un rappel est nécessaire pour assurer l'efficacité du traitement ?
Enfin, la question centrale porte sur le délai de disponibilité d'un vaccin efficace mis au point à partir du virus muté. Est-il réellement concevable que celui-ci puisse être créé, testé et fabriqué en moins d'un an ? Le médecin que je suis reste malheureusement sceptique.
Telles sont, monsieur le ministre, les nombreuses questions que pose aujourd'hui la mise en oeuvre du plan national de lutte contre la grippe aviaire et sur lesquelles nous attendons des réponses. Je souhaite, pour ma part, que soit scrupuleusement respecté le principe de précaution, au moment où l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, déclare qu'il ne s'agit pas de savoir si la pandémie aura lieu, mais quand. Il convient toutefois d'éviter de créer une psychose chez nos concitoyens, qui nuirait à l'efficacité des mesures de prévention et à la prise en charge des éventuels malades.
Les modalités selon lesquelles notre pays, que je souhaite fidèle à sa tradition humaniste, interviendra en faveur des pays touchés par la pandémie méritent également d'être discutées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la mesure où Nicolas About vient de nous présenter un exposé excellent et exhaustif de la situation et comme je partage le temps de parole dévolu au groupe CRC avec ma collègue Gélita Hoarau, je serai bref.
Le risque de pandémie existe. Nous savons que le virus est très contagieux chez les oiseaux et que le virus de la grippe saisonnière mute très rapidement.
Cette menace est suffisante pour que nous exigions au minimum non seulement une information claire à destination de la population, qui doit être associée aux décisions, mais surtout des moyens financiers suffisants.
En effet, selon David Nabarro, coordinateur des agences des Nations unies concernées par l'épizootie, « l'urgence sanitaire mondiale est de juguler la maladie chez les animaux ». Il estime les sommes nécessaires à 180 millions de dollars.
A ce jour, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, n'aurait réuni qu'une trentaine de millions de dollars. L'urgence sanitaire est donc de trouver, dans les semaines qui viennent, les 150 millions de dollars qui manquent. La conférence internationale qui vient de se tenir au siège de l'OMS s'est engagée à dégager des moyens financiers de l'ordre d'un milliard de dollars.
En outre, cette menace de pandémie révèle une nouvelle fois les écarts de niveau de vie et de conditions sanitaires à l'échelon mondial.
Il faut véritablement offrir aux pays du Sud - que ce soit en Afrique ou en Asie - la chance de sortir du sous-développement. Il est évident que, si le Sud n'a pas les moyens de lutter contre la maladie, c'est la planète entière qui en souffrira.
Plus encore, il s'agit de répondre rapidement à la question de savoir qui fabriquera les médicaments et les vaccins.
En raison des menaces de pandémie, les ventes de Tamiflu par le laboratoire suisse Roche se sont élevées à 553 millions d'euros. Je pense d'ailleurs que ce montant doit être revu à la hausse.
Aujourd'hui, ce laboratoire ne peut pas faire face à la demande, mais il est propriétaire du brevet. Il a néanmoins apporté quelques réponses. Depuis 2001, les accords de Doha acquis de haute lutte pour l'accès au médicament contre le sida dans les pays du Sud prévoient la possibilité pour des Etats d'ignorer un brevet afin de produire des médicaments génériques. C'est le système de la licence obligatoire.
Or, de son côté, le laboratoire Roche parle de licence « volontaire », ce qui lui permettrait de choisir les laboratoires qui produiraient les médicaments et de fixer les prix. Des choix, notamment avec sept ou huit entreprises, sont en train de se dégager et les négociations avec les Etats en passe d'aboutir.
Il nous paraît donc très important d'exiger que les vaccins soient produits sous la responsabilité des Etats garants de la santé publique et que cette production ne soit pas laissée au libre choix de l'industrie pharmaceutique. De notre point de vue, le laboratoire Roche devrait abandonner son brevet. Tous les pays, notamment les plus pauvres, doivent avoir accès aux médicaments et aux vaccins.
Ce médicament antiviral pose bien d'autres questions encore, auxquelles il faudra répondre.
Il n'est pas possible d'accroître la charge financière publique sans s'interroger sur la réelle efficacité des médicaments qui sont massivement achetés. Je tiens à rappeler que ce sont les assurés sociaux qui, par leurs cotisations, financent l'achat des médicaments antiviraux, donc du Tamiflu.
Mais ce médicament est-il réellement efficace ? Nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous nous confortiez.
Je tiens juste à rappeler que, le 11 février 2004, la Commission de la transparence a évalué l'efficacité du Tamiflu dans le traitement de la grippe. Le service médical rendu a été estimé « insuffisant ». Il y a là une véritable question à laquelle nous aimerions que vous nous répondiez. Il s'agit certes d'une étude sur l'efficacité du Tamiflu dans le cadre de la grippe et non de la grippe aviaire, mais cela incite tout de même à prolonger les évaluations.
En outre, nous examinerons ici même, la semaine prochaine, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS, pour 2006.
Les menaces de pandémie posent, bien entendu, la question du nombre de médecins, d'infirmiers et d'hôpitaux. Il faut, dès aujourd'hui, stopper les fermetures de lits, de services et d'hôpitaux, car la population ne comprendrait pas que les structures ne correspondent à la réalité des risques encourus. Au contraire, il faut envisager de conforter les structures hospitalières, voire d'en rouvrir certaines.
Enfin, il est malheureusement à craindre que cette menace de pandémie ne serve de révélateur à la politique sociale et de santé du Gouvernement.
Les sans-papiers, les sans domicile fixe et les précarisés sont de plus en plus nombreux aujourd'hui. Ils seront également les premiers touchés, parce qu'ils échappent le plus souvent à la prévention et n'ont pas les moyens d'accéder à un système de santé de plus en plus individualisé. (M. Nicolas About acquiesce.)
C'est pourquoi, au-delà de l'indispensable prévention, il faut de nouveau garantir un système de santé solidaire et efficace, doté de moyens à la hauteur des enjeux auxquels il doit faire face. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. -M. Nicolas About applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sommes-nous menacés par un risque réel de pandémie ? Sommes-nous victimes d'un mouvement de panique aussi irrationnel que criminel pour toute la filière avicole ? Faut-il stocker du Tamiflu et craindre les pigeons ou jouir de la saveur d'un poulet rôti ? En un mot, quelle maladie a-t-on le plus de chance d'attraper : la grippe aviaire ou la « précautionnite » aiguë ? (Sourires.)
A cette question centrale pour le débat qui nous occupe, bien rares sont les Français susceptibles de répondre aujourd'hui avec aplomb. Depuis un mois, les informations les plus floues et les plus contradictoires circulent sur ce thème, alimentant la peur, gonflant sans doute le chiffre d'affaires de quelques laboratoires pharmaceutiques inspirés.
Mais que sait-on au juste du risque de pandémie ? Les associations de consommateurs s'interrogent toujours. Plusieurs éléments semblent acquis. Le virus H5N1 ne menace l'homme que dans des circonstances très marginales. Il ne se transmet qu'à des êtres humains en contact très étroit avec des oiseaux.
Cette contamination est très rare : en deux ans, moins de 70 décès dus au H5N1 ont été recensés dans le monde, alors que des millions de volailles ont été touchés. Lorsqu'elle se produit, la contamination se fait par voie respiratoire et par les yeux.
En revanche, la consommation de viande ou d'oeuf ne peut pas être un facteur de transmission du virus lorsque les aliments en question sont cuits.
Le virus ne se transmet pas d'homme à homme.
A l'aune de ces informations, le risque paraît restreint et les mesures de confinement des élevages de plein air sont, me semble-t-il, exagérées. Dans mon département, que vous connaissez, monsieur le ministre, la fédération des chasseurs de la Somme les a dénoncées, ainsi que l'interdiction de l'utilisation et du transport des oiseaux élevés par les chasseurs pour attirer, par leurs cris, leurs congénères sauvages. L'objet de l'opération est d'éviter les contacts entre ces volatiles et des oiseaux migrateurs porteurs du virus. Ces dispositions ont finalement empêché les chasseurs de la Somme de jouer à plein leur rôle de « vigies de la faune et de l'avifaune ».
M. Nicolas About. C'est un débat.
M. Marcel Deneux. Cela revient à ignorer le fait que les chasseurs pourraient être en mesure, avec leurs oiseaux, de détecter le moindre indice d'apparition du virus sur tout le territoire départemental. Peut-être des aménagements seraient-ils souhaitables. Il y a là une occasion perdue d'accroître le rôle social des chasseurs.
Le confinement des oiseaux appelants se justifie-t-il, dans la mesure où ils peuvent être utilisés comme d'excellents indicateurs sanitaires ? Envisagez-vous d'abroger l'arrêté de confinement au profit d'un système de veille sanitaire mieux adapté, autorisant l'usage de ces oiseaux ? C'est, monsieur le ministre, ma première question.
Les spécialistes craignent que, dans l'avenir, un porc ou un être humain n'attrape le H5N1 alors qu'il est déjà atteint par le virus de la grippe humaine. Dans ce cas de figure, le virus de la grippe aviaire pourrait muter et devenir transmissible d'homme à homme. La pandémie serait possible, une pandémie semblable à celle qui ravagea le monde au sortir de la Première Guerre mondiale.
Serions-nous alors en mesure de lutter contre elle ? C'est à cette question qu'il faut répondre, si possible avec précision.
Afin de lutter contre un tel risque, peu probable mais réel, le Gouvernement a déclaré avoir constitué un stock de 14 millions d'antiviraux de type Tamiflu.
Or, deux questions se posent. D'abord, le Tamiflu est-il efficace ? Ensuite, dans l'affirmative, les stocks constitués sont-ils suffisants ?
L'efficacité du Tamiflu semble en effet très relative. Le médicament doit être administré dans les quarante-huit heures qui suivent l'exposition au virus.
M. Nicolas About. Voire dans les douze heures !
M. Marcel Deneux. Cet antiviral, produit par le laboratoire Roche, agit en théorie sur tous les sous-types de virus grippal, y compris celui de la grippe espagnole de 1918.
Mais son efficacité sur un virus pandémique n'est pas avérée. En sait-on plus sur l'utilité des stocks de Tamiflu, sur les quantités nécessaires pour faire face à une éventuelle pandémie majeure ?
Par ailleurs, plusieurs laboratoires travaillent à l'élaboration de vaccins. Ces travaux sont-ils utiles, dans la mesure où aucun vaccin ne peut être mis au point avant l'apparition du virus pathogène ?
Je poserai une dernière question, qui est sans doute la plus angoissante. Si un virus comme celui de la grippe espagnole refaisait son apparition, serions-nous en mesure de le combattre efficacement ? Les chiffres que j'ai pu recueillir à ce sujet sont des plus contradictoires. Selon certains, les antiviraux suffiraient à sauver des millions de vies. En revanche, selon les scénarios les plus alarmistes, 175 millions de personnes pourraient en mourir. Là-dessus, le public mérite d'être éclairé ; il doit l'être.
M. About a posé une série de questions ; je ne veux pas les répéter, mais j'attends avec intérêt vos réponses, monsieur le ministre. Disposez-vous d'éléments concrets, garantissant une forte crédibilité aux décisions prises et leur bonne adéquation à la situation réelle de la France ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par remercier mon collègue M. Nicolas About d'avoir posé cette question orale avec débat à M. le ministre de la santé et des solidarités sur un sujet si important.
Ce n'est pas encore la psychose de la grippe aviaire, mais l'inquiétude grandit. Selon les experts, une pandémie de grippe est inévitable et peut-être imminente. Un responsable de l'OMS a déclaré que la question n'est pas de savoir si une nouvelle pandémie grippale peut arriver, mais quand. Dans quelques jours, quelques mois ou quelques années ?
Face à une telle menace, il y a urgence pour que chaque pays mette au point, en prévision et en vertu du principe de précaution, des plans de lutte pour limiter les contagions, organiser la prise en charge des personnes infectées et maintenir les activités indispensables à la bonne marche de la collectivité.
En France, l'enjeu est de taille. D'après les prévisions de l'Institut de veille sanitaire, une pandémie grippale d'origine aviaire pourrait toucher 9 millions à 21 millions de personnes et être responsable de nombreuses hospitalisations - entre 455 000 et 1,1 million - et de 91 000 à 212 000 décès !
Bien que ce scénario « catastrophe » ne soit pas d'actualité, les autorités sanitaires ne peuvent plus ignorer de tels risques.
Même si les autorités françaises ont mis en place un « plan national de lutte contre une pandémie grippale », la volonté d'être informé est tout à fait légitime. La plus grande transparence est le meilleur moyen de lutter contre une quelconque psychose.
Effectivement, à l'heure actuelle, des problèmes apparaissent déjà. Ainsi, la découverte du virus de la grippe aviaire en Roumanie et en Turquie a relancé les craintes d'une épidémie humaine.
Même si ces pays ont pris des mesures sanitaires telles que l'abattage d'un grand nombre de volailles et malgré des déclarations rassurantes à la population, l'arrivée de ce virus a provoqué, dans ces deux pays, une ruée dans les pharmacies et l'épuisement, en quelques heures, du stock de l'antiviral Tamiflu.
Aujourd'hui, en France, en raison de la couverture médiatique et des rumeurs, le Tamiflu n'est déjà plus disponible.
Il est important de faire passer l'information, en précisant qu'il est inutile de se précipiter dans les pharmacies pour essayer d'obtenir du Tamiflu. En outre, il est formellement déconseillé d'acheter ces produits sur Internet, sous peine de se retrouver avec un médicament cher et totalement inefficace en cas de véritable épidémie.
Mme Patricia Schillinger. Avez-vous agi en ce sens, monsieur le ministre ?
Nous pouvons comprendre l'inquiétude de nos concitoyens, car, permettez-moi de le dire, en l'absence d'une information claire délivrée par les autorités, des désordres sont apparus. Ainsi, la Commission européenne a expliqué que le virus de la grippe aviaire n'était pas présent en Roumanie, avant de revenir, dès le lendemain, sur ses déclarations. Le public se tourne par conséquent vers les médecins généralistes et les pharmaciens. Il est donc important de faire preuve de plus de transparence en matière de communication.
Par ailleurs, je tiens à préciser que, dans notre pays, le Tamiflu est exclusivement délivré sur prescription médicale et qu'il ne peut être délivré que lorsqu'une épidémie de grippe aviaire est avérée. Pourquoi, ce médicament n'est-il quasiment plus disponible aujourd'hui dans les pharmacies ? Le Gouvernement a-t-il pris des mesures ?
Alors que médecins et pharmaciens, c'est-à-dire les soignants de première ligne, sont submergés par les questions de leurs patients sur la grippe aviaire, pourquoi ne bénéficient-ils d'aucune consigne, d'aucun matériel pédagogique ? Chaque jour ouvrable, les médecins accueillent un million de personnes et les pharmaciens trois millions.
Face à une pandémie, les médecins seront-ils prêts ? Au lieu de leur annoncer le nombre de morts à craindre, ce qui constitue une donnée abstraite, il serait préférable, pour qu'ils prennent mieux conscience du problème, de leur expliquer qu'ils vont devoir prendre en charge 300 patients supplémentaires par semaine.
M. Nicolas About. C'est vrai !
Mme Patricia Schillinger. Le Gouvernement et les autorités de santé doivent donc planifier cette situation et donner les moyens et les outils pour y faire face.
Ce dont la population a surtout besoin maintenant, c'est d'informations simples, pesées, concrètes, objectives et à la portée de tous. En effet, la transparence n'est ni l'alarmisme ni la dissimulation.
J'ai une autre interrogation. Si le virus devenait transmissible d'homme à homme, quelle serait exactement la stratégie française anti-pandémie ? Le plan national de lutte contre ce fléau, régulièrement mis à jour, serait-il suffisant ?
Actuellement, l'objectif est d'éviter toute épidémie animale en France, ou au pire de la contenir et de l'éradiquer, tout en prévenant toute transmission humaine. Pour ce faire, le plan prévoit de renforcer les mesures de surveillance des volailles françaises, de prévenir les importations des pays infectés et d'informer les professionnels de santé et le grand public, en particulier les voyageurs se rendant en Asie ou en revenant.
A ce stade du plan, j'insiste sur le rôle essentiel que les vétérinaires auront à jouer pour améliorer la détection précoce de la grippe aviaire. L'échange rapide et l'analyse d'échantillons de virus peuvent apporter une réponse immédiate. Accroître la prévention nationale et le soutien aux services vétérinaires, plus particulièrement dans les pays en voie de développement, me paraît donc fondamental.
S'il y a épidémie, différentes mesures devront obligatoirement être prises : contrôle et fermeture d'établissements publics et privés, restriction des déplacements, réquisition de tous les moyens de communication nécessaires, ainsi que de tous les locaux et moyens de transport utiles.
Le plan prévoit également la constitution d'un stock important d'antiviraux, essentiellement de Tamiflu, et de masques, ainsi que des pré-commandes de vaccins.
A la fin de l'année 2005, la France devrait ainsi disposer d'un stock de 140 millions de doses de Tamiflu, permettant de soigner quatorze millions de personnes, à raison de deux doses quotidiennes pendant cinq jours, et de quelques centaines de milliers de boîtes de Relenza. Monsieur le ministre, en cas d'épidémie, la France aura-t-elle d'un stock suffisant de Tamiflu ?
De plus, une souche de virus H5N1 résistante au Tamiflu, mais sensible au Relenza, a été découverte au Vietnam.
Dans le cas où le Tamiflu ne serait pas efficace, le Gouvernement a-t-il prévu un stock important de Relenza ? Certains experts estiment qu'il conviendrait de compléter les stocks nationaux de Tamiflu par des stocks équivalents de Relenza. L'utilisation ciblée de médicaments antiviraux et la mise en place de mesures d'isolement permettraient d'éviter une hécatombe, à condition de réagir suffisamment vite.
En outre, comment faire la différence entre une grippe aviaire et une grippe classique ? Existe-t-il des moyens de diagnostic rapide permettant de distinguer les deux cas ?
Comme le soulignent les chercheurs, « l'efficacité de la politique d'endiguement de la pandémie dépend du recensement des cas cliniques et de la vitesse avec laquelle les médicaments antiviraux sont délivrés ».
En effet, si les médicaments doivent être pris précocement, dans les quarante-huit heures suivant les premiers symptômes, la distribution devra être organisée de façon rigoureuse.
Même s'il est impossible de prévoir le moment exact où surgira la pandémie, il est urgent de s'y préparer. Aujourd'hui, le virus ne peut pas prendre l'homme par surprise, car l'alerte est générale et la surveillance internationale. Chaque pays se doit d'établir un principe de précaution.
En cas de pandémie, ce sont, dans un premier temps, les antiviraux qui joueront un rôle important, puis les vaccins. Les problèmes d'approvisionnement et d'inégalité d'accès devront être résolus avec une urgence particulière.
Si l'on ne peut prévoir ni la date de la prochaine pandémie ni sa gravité, les précédents historiques montrent que de tels événements provoquent toujours une explosion du nombre de cas et de décès, entraînant une paralysie temporaire des services publics et de la productivité économique. Le Gouvernement doit donc se préparer à transformer les services de santé, y compris les unités d'urgence et de soins intensifs, et à augmenter le nombre de places dans les morgues, afin de faire face à un accroissement soudain et considérable des besoins.
Une autre conséquence sera l'absentéisme accru, qui touchera tous les secteurs de l'activité économique, et une réduction temporaire des capacités des services publics essentiels, concernant les soins de santé, la police, les transports, l'eau, le gaz, l'électricité, les télécommunications, la défense, les prisons. Seront concernés aussi les parlementaires.
Pour éradiquer une pandémie, outre la constitution de stocks de médicaments, il faut prévoir d'autres mesures, telles que des exercices de simulation, la mise en quarantaine d'une zone ou un isolement. Monsieur le ministre, sommes-nous prêts à prendre de telles mesures ?
Il ne faut pas oublier que, dans la plupart des hôpitaux, les services restent centrés sur la gériatrie, la pédiatrie, les maladies cardio-vasculaires et la chirurgie. De nombreux services infectieux ayant été fermés, le niveau de préparation a baissé. Ainsi, les infirmières en milieu hospitalier ont-elles reçu les consignes vestimentaires d'usage pour prendre en charge un malade contagieux. Des chambres d'isolement existent bien, mais leur nombre est insuffisant, tout comme les capacités d'accueil, qui seront très limitées.
Par ailleurs, nos hôpitaux ultramodernes doivent évoluer : souvent constitués de grands bâtiments monoblocs, ils sont moins bien conçus que les structures pavillonnaires d'autrefois, qui permettaient de limiter les risques de transmission de l'infection. Avons-nous les moyens suffisants pour réagir rapidement ?
La lutte contre une pandémie ne se fait pas qu'au niveau national, il faut également aider les pays en voie de développement. En effet, prévenir une pandémie, c'est également aider les pays confrontés à des épizooties de grippe aviaire à s'en débarrasser et à stopper celles-ci avant qu'elles ne s'étendent ou, pis, qu'elles ne se transforment, d'où l'importance d'une action et d'une mobilisation internationales.
Monsieur le ministre, quel est votre plan pour les Français établis à l'étranger ?
Même si des déclarations de bonnes intentions marquent une avancée en termes de coopération avec les pays en voie de développement, elles demeurent cependant limitées. Il faut aider ces pays à planifier leur propre production de vaccins, évaluer les possibilités de leur transférer les techniques de fabrication et mettre au point des projets pilotes.
Si l'épidémie surgissait aujourd'hui, la production actuelle d'antiviraux permettrait de couvrir les besoins de 2 % de la population. Même si les laboratoires Roche entendent augmenter leur production, nous sommes loin de pouvoir offrir un traitement au monde entier !
Concernant la production de vaccins, les mêmes problèmes se posent, d'autant plus que, à la différence des antiviraux, ces produits ont une durée de vie très limitée.
Monsieur le ministre, avez-vous débloqué des fonds pour les pays en voie de développement ?
Pour conclure, j'insiste sur le fait qu'il faut engager une action déterminée en matière de protection et de prévention contre une éventuelle et future pandémie de grippe humaine. Cela relève de la responsabilité du Gouvernement de dégager des moyens importants et de s'appuyer sur le système français de santé publique, sur la sécurité sociale, les hôpitaux publics et militaires, qu'il faut maintenant coordonner de manière active.
Le Gouvernement doit assurer une information transparente et régulière de tous les acteurs politiques, de santé, mais également de l'opinion publique. Seule une transparence totale permettra de lutter contre une quelconque psychose et de préparer la façon dont nos concitoyens devront se conduire. Il faut conjuguer prévention, veille sanitaire, politiques publiques et solidarité internationale. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, comme je l'avais annoncé, nous allons interrompre nos travaux pendant vingt minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à douze heures dix.)
(M. Philippe Richert remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.)