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POLITIQUE DE SÉCURITÉ MENÉE DEPUIS 2002

Discussion d'une question orale avec débat

Ordre du jour réservé

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 22 de M. Jean-Claude Peyronnet à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur le bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002.

Cette question est ainsi libellée :

M. Jean-Claude Peyronnet demande à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, de bien vouloir lui exposer le vrai bilan de l'action gouvernementale menée en matière de lutte contre l'insécurité depuis le début de la législature.

Les chiffres de la délinquance sont tellement divers que chacun peut y trouver sa vérité. L'outil statistique, le même en usage depuis le lendemain de la guerre, montre que les violences « non crapuleuses » contre les personnes n'ont cessé d'augmenter entre mai 2002 et mai 2006. Les atteintes aux personnes ont également progressé.

Les résultats du Gouvernement ne sont pas probants concernant la délinquance des mineurs. Les violences scolaires s'intensifient. Les violences urbaines ont atteint un niveau sans précédent. Nous avons tous en mémoire le cycle de violences urbaines de novembre 2005. Les conditions qui en sont à l'origine demeurent réunies.

Le Gouvernement ne peut se dédouaner de toute responsabilité en se contentant d'incriminer les magistrats qui ne feraient rien pour donner suite à l'action des forces de police et de gendarmerie, elles-mêmes de plus en plus victimes d'agressions.

Dans le combat contre l'insécurité, le Gouvernement a exagérément privilégié le versant répressif policier sans se soucier d'agir durablement sur les causes de la délinquance, de moderniser et renforcer l'administration de la justice, de se préoccuper de l'administration pénitentiaire, avec des prisons déjà surpeuplées.

Il serait temps de s'interroger sur les raisons qui favorisent le développement de ce désordre injuste au sein de notre société.

La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, auteur de la question.

M. Jean-Claude Peyronnet. J'aurais souhaité m'adresser à M. le ministre d'État ; je comprends les raisons de son absence, monsieur le ministre délégué, mais j'avoue qu'il a tellement habitué le Sénat à ses visites éclairs que je n'étais pas étonné outre mesure de ne pas le voir au banc du Gouvernement aujourd'hui.

Cela étant, il est dommage qu'il ne soit pas là, parce que j'avais décidé de commencer mon intervention par une amabilité : je lui aurais dit qu'il n'avait pas la tâche facile en matière de sécurité,...

M. Jean-Claude Peyronnet....mais pour ajouter aussitôt qu'il avait échoué...

M. Charles Gautier. On va le mettre en congé !

M. Jean-Claude Peyronnet....par dogmatisme, précipitation, obsession médiatique, assurance excessive, provocation, même. Après ce que je viens d'entendre, je vois que, dans ce domaine, il a fait école : monsieur Estrosi, vous êtes un bon élève !

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Je vous remercie du compliment !

M. Jean-Claude Peyronnet. M. le ministre de l'intérieur a une lourde responsabilité personnelle, pleine et entière, dans ce qu'il faut bien appeler sa déroute.

C'est un échec d'une extrême gravité pour la société française et il sera très difficile et très long de rattraper l'accumulation de ses erreurs. C'est ce que je vais essayer de démontrer.

La tâche du ministre d'État, je le reconnais, n'était pas facile.

Comme ses prédécesseurs depuis vingt-cinq ans, il est confronté à une évolution qui a vu disparaître un certain nombre de repères, garants de la paix civile.

Les jeunes ne sont plus encadrés comme ils ont pu l'être dans ma jeunesse et même probablement dans la sienne. La progression de l'individualisme rend de plus en plus difficile la vie des associations conviviales, éducatives ou même sportives. L'évolution des moeurs, les difficultés économiques des familles aggravées par la multiplication des divorces et des situations de monoparentalité, ont tendance à libérer trop tôt les jeunes des interdits imposés naguère par leurs parents, lesquels, surtout s'ils sont au chômage, ne peuvent plus prétendre prêcher par l'exemple les vertus de l'effort et du travail.

Les activités périscolaires ne sont plus guère assurées par les maîtres, et encore moins par les associations paroissiales. Mais d'autres enseignements culturels ou religieux peuvent diffuser, avec grand succès, un message de rupture.

Dans ce cas, la révolte naturelle des adolescents contre leurs parents rencontre la perte d'identité : les parents venus d'ailleurs ont tout fait pour s'intégrer dans la société française, même si celle-ci ne faisait guère d'efforts dans leur direction. Les jeunes, en contestant l'autorité parentale, ce qui est fréquent à un certain âge, se trouvent en contestation avec le modèle social dans lequel leurs parents voulaient se fondre.

Tout cela ne serait pas grave si nous vivions dans une société de plein-emploi, mais, dans une cité qui compte 25 % ou 40 % de chômeurs, l'inactivité nourrit la révolte.

L'urbanisme des années soixante a concentré les nouveaux arrivants en les rejetant à la périphérie des grandes villes et, dans ces concentrations d'immeubles et de populations, rien n'était prévu, rien n'était imaginé, sinon le repos chez soi après une journée de travail.

Mais il n'y a plus de travail et rien à faire ou à voir dans la rue ou le square. C'est sûrement là une des causes de la difficulté d'être des jeunes des quartiers.

Cependant, l'ambivalence est totale puisque ce type d'urbanisme, désormais critiqué et condamné par tous, a malgré tout entraîné chez les jeunes un sentiment d'appartenance à un territoire auquel ils s'accrochent, qui est le leur et qu'ils défendent.

Décidément, la France des villages et des quartiers, avec son instituteur respecté et son prêtre, qui connaissait tous les habitants, même ceux qui ne fréquentaient pas son église, son policier ou son gendarme, connu et craint de tous, cette France-là relève d'un monde que nous avons définitivement perdu.

Et la nouveauté de ces dix dernières années est que cette ghettoïsation ne veut plus dire isolement. La rapidité de l'information, par la radio, par Internet, par le téléphone portable surtout, ouvre les territoires sur le monde et leur apprend quasi en direct ce qui se passe à l'autre bout de la planète, mais aussi dans le quartier voisin ou dans la rue proche, ce qui peut prendre valeur d'émulation, d'exemple et, quelquefois, de mauvais exemple.

Cette situation est connue, bien identifiée, et elle constitue, par conséquent, la difficulté de la tâche du ministre de l'intérieur. Ses prédécesseurs l'ont tous abordée avec prudence et humilité. La différence avec eux est que M. Sarkozy l'a fait avec une certaine brutalité et quelquefois même avec arrogance, voulant corriger les dérives dans la précipitation par la certitude de résultats rapides. C'est, bien sûr, le contraire qu'il fallait faire et c'est la cause profonde de son échec.

M. Jean-Claude Peyronnet. Bien sûr, monsieur le ministre délégué, vous allez contester cet échec et m'assener des chiffres - vous avez commencé à le faire par anticipation - des immenses succès que M. le ministre de l'intérieur nous a déjà produits des dizaines de fois et qu'il répète inlassablement dans ses meetings.

M. Christian Estrosi, ministre délégué Ils sont incontournables !

M. Jean-Claude Peyronnet. Jusqu'à ce taux mythique de 8,8 % de baisse de la délinquance générale en quatre ans que vous opposez aux prétendus 17 % de hausse de la période Jospin.

Mais que signifie la délinquance globale ou générale et que veulent dire les pourcentages ?

On peut très bien concevoir - mais je suis sûr que cela n'arrive pas ! - que, dans un commissariat où l'on est « en retard » sur les objectifs que vous avez fixés dans votre culture du résultat, on opère quelques sorties pour remplir le cabas. Il est facile d'interpeller des prostituées pour racolage, et c'est un délit immédiatement élucidé !

M. Jean-Claude Peyronnet. De même pour une opération à proximité d'un lycée : là, on tire le gros lot auprès des fumeurs de « joints », et l'élucidation est aussi immédiate, vous le savez bien !

Vous savez sûrement aussi qu'en 2004, en zone gendarmerie, on a recensé un accroissement de 8 % des infractions, mais que le tiers de l'ensemble concernait des infractions à la législation sur les drogues ; en fait, il s'agissait, pour l'essentiel, des fumeurs de « joints », dont on ne sait pas s'ils étaient occasionnels ou habituels, mais qui ont gonflé les chiffres parce que, à ce moment-là, il fallait le faire !

J'en viens aux téléphones portables. Les vols diminuent de façon spectaculaire. Est-ce dû à la rédemption des voleurs ou à l'action répressive de la police ? Non, c'est dû à la capacité d'en bloquer désormais rapidement l'utilisation. À l'inverse, les vols de GPS non intégrés dans le tableau de bord des véhicules se développent. Gageons qu'une invention technique dans un an ou deux permettra aussi de faire baisser rapidement les statistiques dans ce domaine.

Les chiffres doivent donc être pris avec mesure d'autant qu'on estime que les deux tiers des victimes d'agressions ne portent pas plainte.

Pour autant, je vais utiliser des chiffres récents, issus de l'Observatoire national de la délinquance.

Après les 27 % d'augmentation des « violences non crapuleuses » - j'ai un peu de mal à comprendre la signification de cette expression - entre 2002 et 2006, après les 45 500 voitures incendiées en 2005 et les 21 103 brûlées durant les six premiers mois de l'année 2006, le 2 novembre 2006, l'Office national de la délinquance a publié son rapport. J'en ai extrait quelques chiffres qui vont à l'encontre des vôtres et qui confirment la tendance déjà observée dans les mois précédents, c'est-à-dire une hausse de 6,23 % des violences aux personnes d'octobre 2005 à septembre 2006, soit une augmentation de 5,62 % des violences crapuleuses et de 9,4 % des violences gratuites, avec 9,78 % d'augmentation des violences contre les dépositaires de l'autorité publique.

Je vais faire comme M. le ministre de l'intérieur, car sa méthode est simple : il s'appuie sur une collection d'exemples, si possible sanglants. Avec des trémolos dans la voix et afin de justifier sa politique répressive à l'égard des jeunes, il cite le cas du petit Untel et de la petite Unetelle, et c'est toujours sous le coup de telle ou telle émotion de l'opinion qu'il prend ses décisions.

M. Jean-Claude Peyronnet. Je vais donc vous énumérer des exemples spectaculaires pris dans la presse de ces deux derniers mois seulement.

Mais auparavant je voudrais citer M. Sarkozy : « Il faut en finir avec cette culture de l'excuse permanente [...], le chômage, les discriminations, le racisme, l'injustice ne sauraient excuser de tels actes. »

Mais le ministre d'État ne peut pas rejeter la responsabilité sur les autres après cinq années de pouvoir ! Dès lors, n'aurait-il pas dû demander des excuses pour l'agression de deux CRS, le mardi 19 octobre, dans la cité des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes ? Pour l'agression de cinq policiers, le mercredi 27 septembre, à Toulouse ? Pour l'agression de trois policiers, le jeudi 28 septembre, dans le quartier du Liourat, à Vitrolles ? A-t-il présenté des excuses pour l'agression de sept policiers, le dimanche 1er octobre, dans la cité des Musiciens, aux Mureaux ? De deux policiers agressés dans la cité d'Orgemont, à Épinay-sur-Seine ? Et pour les trois adjoints de sécurité agressés par vingt personnes, le 14 octobre, à Massy ? Et pour les policiers « caillassés », le 18 octobre, à Orléans ? Et pour ceux qui l'ont été, le 21 octobre, à Aulnay-sous-Bois, ou encore le 22 octobre, dans la cité Curial du XIXe arrondissement ?

M. le ministre d'État a, depuis près de cinq ans, la responsabilité de la sécurité des biens et des personnes. S'est-il excusé de n'avoir pas su empêcher la jeune Mama Galledou d'être brûlée à 60 % ? La compassion médiatique ne suffit pas, il est responsable !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est scandaleux et inadmissible !

M. Jean-Claude Peyronnet. Cet échec, dans son ampleur, est de sa pleine et entière responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

À peine arrivé au ministère de l'intérieur, lors d'un voyage à Toulouse, il a sommé les fonctionnaires de police d'un commissariat de modifier le contenu de leur mission - on revient à la police de proximité - déclarant : « Le rôle de la police n'est pas de faire de l'animation sportive [...], elle n'a pas à dialoguer [...], son rôle est d'arrêter les délinquants »- il faut, bien sûr, arrêter les délinquants !

C'était, de fait, la mort de la police de proximité. Elle a été remplacée par la culture répressive du résultat, avec tableaux d'honneur hebdomadaires primés pour les meilleurs et bonnets d'âne pour les autres.

Ajoutées à cela ses déclarations provocatrices, ou tout au moins interprétées comme telles, sur la racaille et le « kärcher », il ne fallait pas être grand clerc pour deviner ce qui allait se passer.

En fait, monsieur le ministre délégué, les zones de non-droit ne cessent d'augmenter, la police est totalement coupée de la population de certains quartiers et elle ne s'y aventure, dans des raids ponctuels, que sous la protection des CRS.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est pour mieux vous faire flageller que vous tendez le fouet !

M. Jean-Claude Peyronnet. Je m'empresse d'ajouter que, bien sûr, il faut continuer à recourir aux CRS, compte tenu de la situation, car, à défaut, c'est envoyer les autres fonctionnaires au massacre !

Monsieur le ministre délégué, je sens que vous vous préparez à invoquer la naïveté des socialistes - vous l'avez déjà fait tout à l'heure - avec leur marotte de la police de proximité et vous ne manquerez pas de dénaturer nos positions, qui n'ont jamais été de rejeter toute répression, mais bien au contraire d'accepter cette répression, y compris l'enfermement des jeunes délinquants, pourvu que la dimension éducative ne soit pas négligée.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est nouveau !

M. Jean-Claude Peyronnet. Pas du tout, c'est votre interprétation qui était mauvaise !

Malheureusement pour vous, nous ne sommes plus les seuls à réclamer une autre politique. Écoutez bien : la dernière critique notable est venue du Premier ministre, M. de Villepin lui-même, qui a dit « comprendre le sentiment de harcèlement que certains jeunes ressentent en banlieue » et de proposer « de combiner une police d'investigation, une police d'interpellation et une police de terrain en contact étroit avec les populations ». Et de dire encore : « Dès lors que vous connaissez bien un quartier et ses habitants, l'atmosphère est différente, la police est plus efficace, les tracasseries et les contrôles peuvent être moins nombreux, la sécurité et la tranquillité publiques sont garanties ».

Quelles excellentes perspectives ! Et elles sont récentes puisqu'elles datent du 24 octobre dernier, donc voilà une quinzaine de jours.

Mais elles exigent un travail de fourmi, loin des médias et, quel qu'en soit le prix, cela n'intéresse pas le ministre de l'intérieur. Pourtant, ce que décrit M. de Villepin et qu'il appelle de ses voeux, c'est très précisément ce qui a été cassé volontairement et qui était en train de produire des effets. Il faudra bien, avec quelques corrections, revenir sur ces questions.

Car, trop c'est trop et, désormais, devant cet entêtement et cette orientation d'une politique qu'il faudra des années à corriger, les policiers eux-mêmes ne ménagent plus leurs critiques. On les comprend : ils sont aux premières loges et les premières victimes de cette politique coup-de-poing.

Il suffit pour s'en convaincre de lire la presse, et encore n'ai-je pas repris les déclarations des policiers parues ce matin dans divers quotidiens.

Un responsable du syndicat des officiers de police, dont je tairai le nom, mais que je pourrai au besoin communiquer, n'hésite plus à déclarer : « On est dans une impasse ».

Un autre gradé du même syndicat, qui n'est pourtant pas composé de révolutionnaires, déclare : « On ne parle plus de risque de divorce avec les jeunes, le divorce, il est consommé depuis longtemps. Désormais, la question est plutôt de savoir comment on va faire pour réparer les dégâts ». Il pense que l'obsession du chiffre interdit tout dialogue avec les habitants, avec les associations de prévention et même avec les polices municipales. Et ce gradé du syndicat des officiers de police ajoute : « Actuellement, on ne fonctionne plus qu'avec des brigades d'intervention, type BAC, qui font des actions ciblées. Et, dans les quartiers sensibles, on intervient avec l'appui des CRS qui sont juste formés pour le maintien de l'ordre. Tout cela n'est vraiment pas de nature à pacifier les relations. »

Restent les élus, notamment les maires ; la future loi prétendument de prévention de la délinquance, encore en discussion au Parlement, en fait les acteurs principaux de la prévention. Mais que disent-ils, comme nous n'avons cessé de le répéter tout au long de la discussion du texte, sinon qu'il n'y a pas de moyens pour cela ?

Les chiffres du Gouvernement ne sont pas faux, monsieur le ministre délégué, mais le préfet de Seine-Saint-Denis, dans la lettre qui a été diffusée, a noté que les postes créés pouvaient être détournés pour d'autres missions, vers la Police aux frontières, vers le Stade de France ou pour assurer la protection de ministres étrangers en visite dans notre pays. Le maire d'une ville de banlieue de 65 000 habitants - je ne citerai pas son nom - regrette pendant ce temps que, certains soirs, seule une voiture patrouille, et il n'est pas un cas unique ; certains élus vont même jusqu'à réclamer le retour de la police de proximité. Et ils ne sont pas tous socialistes, car je me suis attaché à ne retenir que les positions d'élus UMP.

M. Charles Gautier. Ils vont le devenir, socialistes !

M. Jean-Claude Peyronnet. Certains d'entre eux, comme notre collègue Christian Demuynck, sénateur UMP de Seine-Saint-Denis, se plaignent de la baisse des effectifs.

D'autres vont plus loin encore. J'en veux pour exemple les déclarations du maire UMP de Montfermeil, qui souhaite - je le cite, car c'est intéressant - retrouver « une police de proximité efficace telle qu'on l'avait connue à une époque avant 2002. Elle avait donné d'excellents résultats ».

De même, le maire UMP de Chanteloup-les-Vignes a regretté que « la police de proximité et les emplois jeunes aient été supprimés plutôt que réformés ». Et un député de la majorité, dont les propos ont été repris dans Le Figaro du 28 novembre 2005, déclarait déjà : « Au fond, la proximité, c'est comme l'écologie : difficile d'aller contre. »

Quelle avalanche !

Et au bout du bout, au Sénat, pas plus tard qu'hier, et encore aujourd'hui, dans le débat précédent, la mission commune d'information sur les banlieues, dans la proposition n° 34, tire les conclusions des déclarations des élus et préconise de « réactiver une véritable police de proximité ».

Or, malgré tous ceux qui, sans préoccupations politiciennes - vous ne manquerez pas de m'accuser du contraire - vous disent que vous êtes dans une impasse ou que vous allez dans le mur, vous persistez. Vous en rajoutez, même, persuadé, semble-t-il, qu'auprès de votre électorat ces désordres, dont pourtant vous portez une part importante de responsabilité, seront corrigés par un renforcement de la répression. Mais cet électorat finira bien par décortiquer la méthode du ministre d'État. Elle est tellement simple !

D'abord, c'est de la faute des autres, en particulier du laxisme de la gauche ou de la démission des juges. Vous avez même ajouté, tout à l'heure, que c'était de la faute des maires.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. De certains maires.

M. Charles Gautier. Il faudra venir le dire à leur congrès !

M. Jean-Claude Peyronnet. À Neuilly, je le sais bien, il n'y a pas de problèmes : le maire est parfait !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il est parfait aussi à Marseille !

M. Charles Gautier. Cela en fait deux !

M. Jean-Claude Peyronnet. Reste que vous avez mis en cause les maires d'autres communes.

Ensuite, dès qu'il se produit un événement grave, M. Sarkozy va sur le terrain suivi, ou plus souvent, même, précédé par les caméras. Là, devant l'opinion, il s'exprime par de mâles déclarations suivies d'une nouvelle proposition législative. Et puis, comme si, dès lors, le problème était réglé, il passe à autre chose.

Mais qu'a résolu la prodigieuse accumulation de dispositions répressives que nous avons égrenées, en son absence d'ailleurs, lors de l'examen du projet de loi sur la prévention de la délinquance ? Depuis quatre ans et demi, le Parlement a été saisi d'un texte tous les huit mois. Jusqu'à la dernière proposition de M. Sarkozy qui, si j'ai bien compris, est aussi la vôtre, monsieur le ministre délégué, formulée après les dramatiques événements de Marseille : établir pour les jeunes délinquants récidivistes des peines plancher.

Monsieur le ministre délégué, je le dis avec gravité, une telle disposition est contraire à toute notre tradition, à toute notre culture pénale, issue du xviiie siècle, la culture des hommes qui ont rédigé ou inspiré la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la culture de ceux qui ont érigé en principe l'individualisation de la peine.

Personne avant vous n'avait osé proposer d'introduire dans notre droit une telle disposition. Quand je dis personne, ce n'est pas tout à fait exact. Permettez-moi de citer une disposition pénale qui fut appliquée pendant une courte période dans notre pays. Nous avons, en effet, connu une loi qui, dans son article 1er, établissait dans les cours d'appel des sections spéciales chargées, entre autres choses, de réprimer les actions de « subversion sociale et nationale ». Cette loi prévoyait des peines lourdes, et ce « sans que la peine appliquée puisse être inférieure à celle prévue par la disposition retenue pour la qualification du fait poursuivi ».

Cette loi date du 5 juin 1943, et c'est l'honneur du général de Gaulle et de son entourage, issu du Conseil national de la Résistance, que de l'avoir abrogée.

Rassurez-nous, monsieur le ministre délégué : vous n'allez pas vous aventurer sur de telles terres, si étrangères à celui dont vous vous réclamez ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures vingt, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Michèle André.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la question orale avec débat n° 22 de M. Jean-Claude Peyronnet à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur le bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002.

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Patrick Courtois.

M. Jean-Patrick Courtois. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, en premier lieu, je souhaiterais remercier le groupe socialiste d'avoir eu l'idée de déposer cette question orale avec débat.

Bien que la conférence des présidents ait décidé d'inscrire ce débat à l'ordre du jour réservé du Sénat avant les événements tragiques de Marseille, je me félicite de pouvoir confronter aujourd'hui nos positions.

Cependant, je m'interroge : quelle était la volonté du groupe socialiste ?

M. Charles Gautier. Vous n'allez pas tarder à le savoir !

M. Jean-Patrick Courtois. Adresser un satisfecit au Gouvernement pour la politique qu'il a menée depuis 2002 ?

M. Charles Gautier. Le renvoyer dans ses buts !

M. Jean-Patrick Courtois. Affirmer avec nous qu'une politique rigoureuse finit toujours par porter ses fruits ? Ou souhaite-t-il, comme je l'entends depuis quelques jours dans différentes tribunes ou interviews, laisser entendre insidieusement que notre politique serait inefficace et même fautive, voire source d'actes délictueux ?

J'en conviens, l'exercice serait périlleux, mais la cause serait sans doute plaisante à plaider ! D'ailleurs, certains ténors du parti socialiste en quête de surenchère médiatique n'ont pas tardé à s'y employer.

Le plus fascinant, dans cette démonstration, serait de tenter de nous faire croire que, aujourd'hui, l'insécurité augmente, alors que les statistiques baissent depuis 2002. En revanche, sous le gouvernement de Lionel Jospin, ses amis n'ont eu de cesse de nous démontrer que, en dépit de statistiques alarmantes, l'insécurité ne croissait pas et que seul le « sentiment d'insécurité » - délicieuse invention sémantique ! - laissait croire le contraire. Mais le laissait croire à qui ? Certainement pas aux Français, qui ne s'y sont pas trompés, en renvoyant nos collègues à leurs études dès le premier tour de scrutin.

Décidément, les socialistes n'apprennent pas de leurs erreurs !

Faut-il rappeler le constat accablant de cette époque, qui n'est pourtant pas si lointaine ? Une criminalité et une délinquance en augmentation exponentielle et sans précédent de 1997 à 2002 ; une démobilisation des services de l'État ; la faiblesse des moyens alors que les crédits se réduisaient sans cesse ; une police de proximité, qui s'est révélée irréaliste, imposée à marche forcée ; la faiblesse de l'autorité stigmatisée par la peur de punir ; et cette emblématique circulaire de l'éducation nationale demandant aux directeurs d'établissement d'éviter les sanctions.

Ce sont les mêmes qui, aujourd'hui, souhaitent mettre en cause l'action efficace du Gouvernement. Je ne peux pas les laisser faire ! J'ai en effet eu l'honneur de participer à ces réformes en tant que rapporteur pour la Haute Assemblée du projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, puis, quelques mois plus tard, du projet de loi pour la sécurité intérieure.

Si j'ai acquis une certitude en ces occasions, c'est qu'il n'y a pas de fatalité à la spirale de l'insécurité. C'est le message qu'avait voulu délivrer le ministre d'État, ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, dès son arrivée place Beauvau en 2002. C'est l'objectif que nous avons fait nôtre avec succès.

Je me souviens de mines circonspectes sur les travées et de regards désabusés, y compris dans nos rangs, certains doutant visiblement de notre faculté à redresser l'autorité de l'État dans notre pays. Je me souviens aussi d'autres regards, un peu plus condescendants, chez des personnes qui, comme aujourd'hui, étaient promptes à nous donner des leçons, sans tirer les conclusions de leur propre bilan.

Mais les chiffres, les nôtres, les vôtres, monsieur le ministre délégué, sont là. Et ils sont sans appel. Alors que la délinquance a augmenté de 15 % de 1997 à 2002, elle a reculé d'autant depuis. Il n'est pas inutile, parfois, de rappeler ces vérités, non pour se congratuler, mais pour mesurer l'ampleur du chemin parcouru, sans oublier pour autant tout ce qu'il reste à accomplir.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En quatre ans, les faits constatés par les services de police et de gendarmerie ont diminué de près de 9 %. De 1998 à 2002, la délinquance de voie publique avait augmenté de plus de 10 % ; depuis 2002, elle a reculé de près de 24 %. Le nombre d'infractions révélées par l'activité des services a progressé de plus de 40 %, alors qu'il était en recul avant 2002. Le taux d'élucidation est passé de 25 % à 34 %, alors qu'il était également en recul auparavant. Enfin, en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance spécialisée, le taux d'élucidation est passé de 69 % à 85 %, alors qu'il était en recul de plus de 12 %.

Ce succès, c'est d'abord et avant tout celui d'une méthode, celle du volontarisme, et nous gardons sans cesse à l'esprit que nos concitoyens attendent que nous ne ménagions pas notre peine.

Au temps des formules péremptoires sur le tout-éducatif ou le tout-répressif a succédé le temps de l'action et du pragmatisme. À l'instar de nos concitoyens, qui ont souvent plus de mesure et de bon sens que nombre d'entre nous, j'attends d'une politique qu'elle soit avant tout efficace et qu'elle ne s'enferme dans aucune idéologie.

Alors, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, puisque vous n'apprenez pas du passé, puisque j'entends revenir les vieilles antiennes et les vieilles recettes - on se moque bien, finalement, qu'elles n'aient jamais eu de résultats! -, je crois devoir recourir à la pédagogie de la répétition.

Oui - et j'en suis navré -, la police de proximité, au sens où vous l'entendez, est une utopie. Or on ne gouverne pas avec des utopies. Et, ne vous en déplaise, la police sert à arrêter les délinquants et non pas, malheureusement, à faire des relations publiques.

Le monde dans lequel je vis n'est malheureusement pas idéal. Mais, dans mon monde, je vais vous décrire à quoi devrait servir la police et quelles devraient être ses missions.

La police devrait disposer de pouvoirs d'investigation, d'enquête et d'interpellation. Grâce aux coups d'arrêt répétés qu'elle parviendrait à porter aux trafics en tous genres, elle enverrait quotidiennement aux délinquants potentiels des messages de prévention, leur démontrant qu'il existe des risques réels de se faire arrêter lorsque l'on décide de commettre un crime ou un délit.

Dans mon monde - et je n'oublie pas qu'il n'est pas idéal -, la police aurait pour mission d'accueillir les victimes avec au moins autant d'égards que les mis en cause et mettrait tout en oeuvre pour que la justice puisse rapidement condamner les coupables et, ainsi, éviter qu'un délinquant ne réitère son infraction.

Enfin, la police ferait aussi de la proximité, car la police « à proximité », c'est nous qui l'avons créée, en 1995, avant qu'elle ne soit détournée de ses missions, en 1999, par la gauche, qui en a fait une police dépourvue de pouvoirs d'investigation, d'enquête et d'interpellation, une police réduite à faire des relations publiques et de l'îlotage dans les quartiers sensibles, en effectifs réduits, pour ne pas déranger les délinquants. Comme si le fauteur de trouble à l'ordre public était celui qui essayait de le restaurer !

Toujours dans mon monde, les policiers et les gendarmes participeraient quotidiennement aux campagnes de sensibilisation des populations en matière de lutte contre l'insécurité, par leur présence effective sur le territoire et par des actions ponctuelles auprès des structures éducatives.

Pour toutes ces raisons, la politique de redéploiement des forces de sécurité intérieure sur l'ensemble du territoire menée depuis 2002 me satisfait, car son modeste credo a permis de faire en sorte que les policiers et les gendarmes soient là où on les attend et là où ils souhaitent être, sur la voie publique, pour arrêter les délinquants.

Enfin, j'aimerais soulever un dernier point, celui de la sécurité dans les transports publics, qui est particulièrement d'actualité depuis le drame survenu récemment à Marseille. La matière est trop grave pour souffrir que certains s'en emparent pour faire de la cuisine électorale dans un climat de campagne interne, en découvrant tardivement que, oui, les violences dont peuvent être victimes nos concitoyens dans les transports publics existent bel et bien.

Le ministre de l'intérieur n'a pas attendu cette tragédie pour s'emparer de la question de la sécurité dans les transports. Dès 2002, des services spécialisés ont été créés : en Île-de-France, il s'agit du service régional de la police des transports ; tandis que, à Marseille, Lyon et Lille, il existe un service interdépartemental de sécurisation des transports en commun. Comprenant près de 2 000 membres des forces de l'ordre, ces services ont pour mission d'assurer la sécurité sur les réseaux ferrés.

Fort du succès de cette opération, Nicolas Sarkozy a créé, le 1er janvier dernier, le service national de la police ferroviaire, pour coordonner l'action de plus de 2 500 policiers et gendarmes maillant l'ensemble du territoire. Je crois qu'il était bon de le souligner, à l'heure où certains lancent cette idée comme si elle n'avait jamais existé avant eux.

Au demeurant, je me félicite qu'ils nous rejoignent sur ce point. Peut-être cela signifie-t-il que, finalement, ils ont tiré les enseignements du passé et que le débat qu'ils nous ont proposé aujourd'hui vise à nous remercier de l'action que nous menons maintenant depuis plus de quatre ans, action à laquelle nous sommes fiers d'avoir participé ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Charles Gautier. On peut rêver !

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, j'aborde ce débat avec beaucoup d'humilité.

Tirer un bilan de la politique de sécurité menée depuis quelques années paraît difficile, tant il est vrai que la situation est le résultat d'un ensemble, comprenant notamment la politique de l'éducation, la politique de la ville et les actions menées contre le chômage. Tous ces éléments s'intègrent les uns dans les autres et, cela tombe sous le sens, le bilan du Gouvernement ne peut être considéré comme « globalement positif » ou, à l'inverse, « complètement nul ». Tel est mon premier sentiment, monsieur le ministre délégué.

Par ailleurs, la succession des textes que vous faites adopter par le Parlement présente une sorte de contradiction. Ne livrez-vous pas un « combat » aux médias, en présentant des textes-chocs ? Il s'agissait, en 2001, d'un projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, en 2003, d'un projet de loi pour la sécurité intérieure, et, en 2006, il s'agit d'un projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Vous répondez donc en permanence par un texte législatif à une situation qui semble vous dépasser, alors que, dans le même temps, les médias sont là, sur votre initiative ou non.

Au demeurant, je vous donne acte, car j'en demeure persuadé, que les mots « kärcher » et « salopards », de même que les « sauvageons » de Jean-Pierre Chevènement, restent à la surface des choses, sans refléter la nature profonde de la situation. En effet, si ces mots n'avaient pas été prononcés, d'autres facteurs auraient sans doute conduit à une explosion des banlieues. Nous devons donc être, dans ce domaine, extrêmement nuancés.

Pour autant, on peut véritablement dire que vous « donnez la main » aux médias ! Je pense notamment à l'affaire des Mureaux, où la presse, convoquée ou non par vous, peu importe, était sur les lieux à sept heures du matin, alors que le maire, que vous appelez au secours par ailleurs, n'avait pas été informé de l'opération de police ! Je songe également à la lettre du préfet de la Seine-Saint-Denis, parue dans Le Monde, dans laquelle il évoque ses difficultés face à la violence dans son département.

De deux choses l'une, monsieur le ministre délégué : soit vous êtes informé, le préfet recevant votre aval, et vous ne pouvez pas vous plaindre des médias ; soit vous n'êtes pas informé, et vous devez alors sanctionner ce préfet ! Pour l'heure, tout cela n'est pas très clair.

Ne vous plaignez pas ensuite que l'on évoque, toujours par médias interposés, l'anniversaire des événements qui se sont déroulés l'an dernier en Seine-et-Marne. Effectivement, on comprend l'irritation que vous pouvez éprouver devant ce type de situation.

M. le ministre d'État a tenu une conférence de presse le 8 juin dernier, donc en milieu d'année, au cours de laquelle il a constaté que la délinquance avait reculé. Je veux bien lui en donner acte, mais il est toujours très difficile de savoir si la délinquance a diminué ou non. En réalité, tout dépend de la nature des actes.

À la lecture, certes intéressante, des statistiques, on voit que l'on a constaté 23 % d'infractions de moins sur la voie publique ; le nombre des infractions révélées a, quant à lui, progressé de 40 % ; le taux d'élucidation des affaires a connu une progression de neuf points ; le nombre de gardes à vue a augmenté.

À entendre, ce matin, notre collègue Jean-Claude Peyronnet, on se rend bien compte que tout dépend de la manière dont sont abordés les problèmes. En effet, si sont pris en considération les vols de portables, le taux de la délinquance sera en baisse et l'on pourra alors constater que la situation s'améliore beaucoup.

Il n'empêche que des problèmes demeurent. Ainsi, les violences gratuites aux personnes ont augmenté de 27 % depuis 2002, ce qui constitue, selon M. le ministre d'État lui-même, le point noir de son action. Il a d'ailleurs indiqué : « On constate malheureusement cette année une reprise de ces actes de violence, et ce malgré toutes les actions entreprises et en particulier la mise en place d'un plan national de lutte contre les violences aux personnes ».

Je reconnais que l'absence totale d'homogénéité entre les actes de violence rend l'action toujours difficile. De surcroît, il n'est pas aisé d'analyser « par tranches », en quelque sorte, lesdits actes afin d'estimer les points sur lesquels il y a eu progrès ou au contraire dégradation de la situation.

Toutes ces considérations, à vrai dire assez troublantes, me font dire que, en la matière, se pose le double problème des éléments objectifs retenus, c'est-à-dire notamment des décomptes exacts effectués par l'Observatoire national de la délinquance, et de la perception que peut avoir l'opinion des problèmes.

Souvenons-nous : quinze jours avant la dernière élection présidentielle, tous les médias faisaient état des violences dont avait été victime un homme seul et très âgé, à Orléans, et d'aucuns ont prétendu que c'était la raison pour laquelle Lionel Jospin avait échoué. Certes, vous l'avez souligné, pendant cette période-là, la délinquance aurait été en quelque sorte démultipliée. Soit ! Mais même si cela n'avait pas été le cas, pour autant, la perception de cet événement par l'opinion, à la veille de l'échéance présidentielle, aurait ruiné toutes les chances de ce candidat.

J'invite donc, non sans malice, M. Sarkozy, ministre d'État, mais il a d'autres préoccupations à l'heure actuelle, à garder à l'esprit cette dimension du problème, tant il est vrai que des événements peuvent toujours venir troubler le sentiment de l'opinion publique !

Cela étant dit, je me bornerai maintenant à formuler quelques observations, notamment sur la police de proximité.

Vous nous l'avez dit lors du précédent débat, ce matin, les mesures prises par le Gouvernement dans ce domaine n'ont absolument pas empêché l'arrestation des délinquants auteurs de l'attaque de l'autobus à Marseille. Sur ce plan, nous sommes en droit de vous féliciter, monsieur le ministre délégué. Effectivement, la police fait un travail admirable, ce qui mérite d'être souligné. Pour autant, si la police de proximité avait existé, ces événements se seraient-ils produits ? On le voit, tous les arguments sont réversibles. Selon moi, il faut prendre les faits « à l'état brut ».

Je souligne que MM. Türk et André, dans le rapport évoqué ce matin, rappellent que la police de proximité a été plébiscitée par les maires, ainsi que l'ont montré les résultats d'un questionnaire. Cela signifie que nous devons poursuivre la réflexion et que, en attendant, il serait vain de centrer le débat sur la question de savoir s'il faut ou non une police de proximité, car ce n'est pas à cette seule aune que l'on doit juger de votre action, quand bien même elle serait géniale.

Prenons le cas des dépôts de plainte en milieu rural : contrairement à ce que prétendent certains, je constate souvent que la gendarmerie décourage le dépôt de plaintes et que l'on n'hésite pas à demander aux personnes de revenir le lendemain !

M. Paul Raoult. Exactement !

M. Nicolas Alfonsi. J'en viens maintenant au suivi de la délinquance des mineurs. Une candidate à l'élection présidentielle a déclaré que l'on n'avait pas construit un seul centre éducatif fermé. En réalité, c'est inexact. Ces centres sont au nombre de vingt-trois et accueillent 233 personnes. Le Gouvernement prétend que l'objectif fixé par la loi de 2002 sera rempli en 2007, lorsque 450 jeunes pourront être accueillis.

On constate avec satisfaction que la moitié des jeunes qui séjournent dans un centre éducatif fermé ne récidivent pas. Cependant, je pense qu'à ce stade les mesures préconisées ne peuvent pas aller très loin et que nous sommes obligés de nous donner toute une série d'autres moyens si nous voulons obtenir des résultats en ce domaine, s'agissant notamment de l'éducation des enfants et de l'action des parents.

Pour ce qui concerne, maintenant, le terrorisme, le ministre d'État a évoqué, dans sa conférence de presse, le problème en quelques mots. Bien que ce ne soit pas l'objet de la discussion d'aujourd'hui, je suis obligé d'évoquer la situation en Corse, monsieur le ministre. M. Sarkozy avait indiqué que le temps de l'impunité était terminé. Je lui répondrai que le temps de l'impunité continue !

Les attentats sont quotidiens en Corse. Le FLNC donne des interviews et se sert admirablement de ce prestataire de services qu'est la presse, alors que l'on pourrait imaginer qu'une organisation clandestine, par définition, soit obligée de fabriquer ses journaux elle-même. En l'occurrence, c'est inutile, puisque tous les médias, notamment ceux du service public, sont à sa disposition, si j'ose dire, pour faire en sorte que ses messages puissent être diffusés. À l'Assemblée nationale, l'un de mes collègues, Émile Zuccarelli, je crois, a demandé l'ouverture d'une information après la publication, voilà quelques jours, d'une interview du FLNC. Mais peut-être n'en êtes-vous pas encore informé, monsieur le ministre délégué ?

Et aujourd'hui encore, la presse locale se fait l'écho d'actes de « vandalisme », vocable ô combien savoureux dont vous apprécierez le caractère ésotérique quand vous saurez qu'il désigne la destruction de deux engins de chantier, d'une valeur de quelques millions d'euros. Voilà comment on édulcore la réalité de la lutte que se livrent les mafias locales pour s'emparer de certains marchés !

Monsieur le ministre délégué, il y a eu, en dix-huit mois, neuf morts dans la région d'Ajaccio, neuf assassinats !

M. Robert Bret. Des accidents de la route, peut-être...

M. Nicolas Alfonsi. « C'est le milieu ! », me dit-on, et les services de police d'expliquer, certes, de façon officieuse, qu'ils n'ont pas à s'occuper de ce qu'ils considèrent en la matière comme une sorte d'autodestruction naturelle ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Mais on oublie trop que le milieu, c'est aussi le racket, ce sont aussi les menaces permanentes, et que tout cela pèse sur la société civile, qui est atteinte dans ses biens. Si vous voulez, par exemple, acquérir un commerce qui est à vendre, on pourra vous recommander de ne pas bouger et de renoncer, au bénéfice d'autres acheteurs...

Monsieur le ministre délégué, nous en convenons, toute obligation de résultat est très difficile à remplir en la matière. Pour autant, il y a un problème. Depuis vingt ans, je passe mon temps à répéter que l'imbrication permanente entre l'organisation clandestine et les mafias de tous genres crée une situation extrêmement difficile à vivre pour des gens normaux, pour des citoyens ordinaires.

Le référendum est passé par là. Vous en connaissez le résultat. Je n'aurai pas la cruauté de le rappeler, que ce soit à vous ou à d'autres. Normalement, cela devrait, aujourd'hui, donner l'occasion de se ressaisir et de faire en sorte que ce type de situation ne se reproduise pas.

Comme je l'ai dit au début de mon propos, je parle avec humilité. Mais là où il faudrait de la discrétion, de la rigueur, de la persévérance, nous avons le sentiment que vous succombez un peu trop facilement aux médias. Je souhaiterais que puissent coïncider la réalité et le discours, et qu'il n'y ait plus de décalage entre les deux.

La sécurité est la première des libertés, c'est une certitude, et tous les membres de cette assemblée sont pour la liberté. Je ne jetterai donc pas la pierre au Gouvernement, mais j'émettrai quelques réserves sur l'action qui a été conduite, formant simplement le voeu que la sécurité ne soit pas l'occasion de mener une politique partisane. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la question de notre collègue Jean-Claude Peyronnet portant sur le bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002 est bien évidemment à regarder à la lumière des récents événements qui se sont produits dans une partie du pays, un an après ce que l'on appelle communément la « crise des banlieues » de novembre 2005.

Les délits commis à l'occasion de ces événements, si dramatiques, si condamnables soient-ils, viennent, une fois de plus, confirmer l'échec de la politique du ministre de l'intérieur et du Gouvernement tout entier tant sur le plan sécuritaire, certes, que sur le plan économique et social.

Force est de constater que cette politique, aussi libérale que répressive, a conduit le pays dans une impasse, et ce en moins de cinq ans.

Comment expliquez-vous en effet, monsieur le ministre délégué, vous qui représentez dans cet hémicycle un ministre d'État une fois de plus absent, que l'on en soit arrivé à la situation que l'on connaît aujourd'hui, alors que vous êtes aux commandes du pays depuis plus de quatre ans ; alors que vous avez toutes les cartes en main ; alors que l'on ne compte plus le nombre de lois modifiant notre dispositif pénal que ce gouvernement a fait voter par sa majorité parlementaire au nom de la lutte contre l'insécurité ; alors que Nicolas Sarkozy a occupé au sein du Gouvernement tour à tour les postes de ministre de l'intérieur et de ministre des finances, quand il ne s'est pas pris pour le ministre de la justice ?

Qu'en est-il aujourd'hui, alors que Nicolas Sarkozy a eu toute latitude depuis 2002 pour légiférer, pour adresser des circulaires aux préfets, pour dicter sa politique aux forces de l'ordre et ainsi de suite ? C'est l'échec !

Alors, pourquoi un échec si manifeste ?

Serait-ce à cause des magistrats, boucs émissaires tout trouvés, jugés trop laxistes et donc responsables, selon Nicolas Sarkozy, de la situation actuelle, singulièrement en ce qui concerne le traitement de la délinquance des mineurs ? Non ! D'ailleurs, un récent rapport a salué le travail de ces juges. De plus, il faut savoir que le taux de réponse pénale dans les affaires où sont impliqués des mineurs est supérieur au taux de réponse pénale dans les affaires où sont impliqués des majeurs, ces taux étant respectivement de 85 % et de 77 % en 2005.

Serait-ce alors à cause de l'ordonnance de 1945, qui organiserait l'impunité des mineurs ? Non ! D'ailleurs, la justice des mineurs prend un tour de plus en plus répressif. Les sanctions sont de plus en plus lourdes ; le nombre de mineurs en prison est en hausse.

Le principal défaut de cette ordonnance, qui offre au juge un large éventail de mesures, est le manque cruel de moyens humains et matériels qui empêche sa bonne application, essentiellement pour ce qui concerne sa partie éducative. C'est en raison de cette carence de moyens que ce texte est très partiellement appliqué, ce qui fait dire à ses détracteurs que l'ordonnance est inefficace et que, par conséquent, il convient de la réformer.

Or, rapprocher le droit pénal des mineurs de celui des majeurs, comme le veut la droite, n'est qu'un pis-aller, une solution simpliste et démagogique censée rassurer l'opinion publique.

Serait-ce enfin à cause des politiques menées avant l'actuel ministre d'État ? Non ! Ce raisonnement serait trop facile et très réducteur.

Les raisons, multiples, de cet échec sont ailleurs.

Loin de répondre aux inquiétudes, légitimes, de nos concitoyens en matière de sécurité - d'ailleurs, est-ce vraiment l'objectif du ministre de l'intérieur ? Permettez-moi d'en douter ! - la politique pénale qu'il mène, axée essentiellement sur la répression, se révèle pour ce qu'elle est, à savoir injuste et inefficace.

Les choix incohérents du ministre d'État en matière de sécurité, tels que la suppression de la police de proximité, le déploiement de CRS dans les quartiers jugés sensibles, n'ont pas fait reculer les violences, loin s'en faut.

En revanche, ils ont conduit à une stigmatisation de la population, à un véritable harcèlement des jeunes des quartiers populaires, soumis à d'incessants contrôles d'identité, voire à des humiliations.

Or, on le sait, la seule répression ne peut pas tout régler.

Vous aurez beau démultiplier les réformes pénales, augmenter autant que vous le voudrez le quantum des peines, accroître le nombre de places en prison, rien n'y fera, si la répression, qui est nécessaire, ne s'accompagne pas d'une politique globale de prévention, d'une politique économique et sociale digne de ce nom.

Je le dis haut et fort pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté quant à mes propos : je condamne avec la plus grande fermeté tout acte violent - en cet instant, comment ne pas penser à cette jeune Marseillaise encore entre la vie et la mort ? - comme je condamne tout incendie et toute destruction de biens, publics et privés, d'autant que les premières victimes de ces actes sont les populations qui sont déjà les plus défavorisées, les plus précarisées, celles qui subissent de plein fouet les injustices de la « mal vie » et les effets de votre politique libérale, monsieur le ministre délégué.

En effet, ainsi que vous l'aurez constaté, les émeutes se font très rares à Neuilly-sur-Seine ou, d'ailleurs, à Nice !

Les auteurs de ces actes doivent être punis. C'est une évidence. Cependant, à chaque infraction commise, il faut une réponse - mesure éducative, réparation, sanction - permettant de donner des repères à des jeunes qui n'en ont plus, ni au sein de la cellule familiale, ni à l'école.

Pour qu'elle soit comprise et efficace, la sanction doit être individualisée, en opposition au traitement global qu'est l'enfermement, lequel doit demeurer autant que faire se peut l'ultime recours. La sanction, qui doit être proportionnée à la gravité de l'acte, devrait toujours prendre place au sein du triptyque « prévention, dissuasion, sanction-réparation ».

Ce n'est évidemment pas la voie choisie par le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, qui privilégie la « surveillance » et la « punition », comme si elles allaient permettre à la France de se mettre à l'abri des flambées de violence qui l'assaillent.

La répression ne permet de prévenir ni le passage à l'acte délictuel, ni la récidive.

En réalité, la crise des banlieues permet au ministre de l'intérieur de justifier sa politique sécuritaire et de susciter le rappel à l'ordre. Dans ce climat de pré-campagne électorale, lui-même, le Gouvernement et la majorité parlementaire, aimeraient imposer leur thème favori, celui de l'hystérie sécuritaire, comme en 2002. Cependant, cette stratégie de la tension est très dangereuse, je l'ai déjà dit.

La droite porte une grande responsabilité dans la violence de ces derniers jours en répondant à la violence par la violence et la provocation ; surtout, elle n'a rien fait, ni, depuis 2002, pour les jeunes, les quartiers et les populations qui y vivent, ni, a fortiori, depuis novembre 2005, pour apporter des solutions aux problèmes de ces quartiers.

La motivation sociale des auteurs des émeutes de novembre 2005 ne peut plus être niée, non plus que le fait que l'on avait affaire non pas à des voyous tous connus des services de police, mais à des primo-délinquants. L'effusion de violence de l'automne 2005 a bel et bien traduit une crise profonde qui trouve son essence dans des mesures toujours plus inégalitaires faisant le jeu du libéralisme et dans l'abandon des politiques publiques volontaires.

Malgré les efforts du ministre de l'intérieur pour l'occulter, le débat sur la question sociale, sur le chômage de masse et l'inégalité d'accès des jeunes des quartiers populaires au marché du travail, s'est imposé à l'issue de la crise de l'an dernier, débat qui a mis en lumière l'exigence de changements radicaux au profit d'une politique de cohésion, d'intégration et de solidarité en faveur des hommes et des territoires, là où le Gouvernement n'a su qu'apporter une réponse policière à de lourds problèmes sociaux.

Alors que l'on était en droit d'attendre des réponses permettant une politique porteuse de justice sociale et de respect mutuel, ce gouvernement a répondu dans un premier temps par la répression, puis par l'extension des zones franches, le retour du travail des enfants, avec l'apprentissage à quatorze ans, et le fameux CPE.

Un an après les violences urbaines de 2005, force est d'admettre que les inquiétudes, les questions, les colères, sont toujours là. Les problèmes qui ont conduit à cette situation de crise demeurent : le chômage, la précarité, la dégradation de l'habitat, la ghettoïsation, l'éclatement des ZEP, la réduction des subventions accordées aux associations de terrain, la fermeture des services publics de proximité, l'étranglement financier des collectivités en raison de transferts de charges non compensés par l'État, les discriminations, et ma liste n'est pas exhaustive.

Aucune réponse sociale n'a été apportée au profond malaise qui s'est exprimé alors. Au contraire, l'UMP et le MEDEF en ont même profité pour poursuivre leur politique injuste au mépris de la population, tout en accroissant le climat sécuritaire et en aggravant les communautarismes.

Que sont devenues les promesses faites à l'époque par M. de Villepin ? Où est passé son « plan d'urgence pour l'emploi » ? Quid des propositions avancées par le président du conseil général de Seine-Saint-Denis le 15 novembre 2005, en pleine crise des banlieues, pour répondre à l'urgence sociale et aller vers plus de justice et de dignité ?

On le voit, rien de significatif n'a été fait depuis l'an dernier. Si, pardon ! Nous avons eu la loi CESEDA, modifiant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et celui qui instaure, entre autres, la privatisation de GDF : autant de textes qui nous offrent un florilège de certitudes libérales, d'atteintes aux libertés et d'attaques contre le service public !

En revanche, les inégalités à l'origine de la colère sont toujours là, et, surtout, elles s'aggravent d'année en année. J'en veux pour preuve l'enquête menée par le président de l'Observatoire des inégalités. Les petites phrases, les effets d'annonce et les provocations sont également toujours présents, sans parler des descentes de police dans les cités qui se font sous les feux des projecteurs.

Pour résumer, le bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002 par la droite est assez éloquent : on assiste à des flambées de violence comme le pays en a rarement connu. Le malaise et le mécontentement grandissent dans la population, singulièrement celle des quartiers dits sensibles, et surtout chez les jeunes, même si l'on ne souscrit pas à la forme que prend leur colère.

Mais comment pourrait-il en être autrement ? Peut-on sincèrement penser que l'aggravation de la précarité, la privatisation de pans entiers de la vie sociale, économique et culturelle, le racisme et les humiliations permanentes, n'auraient aucune conséquence sur toute une génération ?

Le mécontentement gagne aussi les forces de l'ordre, en sous-effectif chronique dans les zones dites sensibles, malgré ce que vous nous avez dit ce matin, monsieur le ministre délégué, ces forces de police qui se font agresser sur le terrain et paient ainsi, d'une certaine manière, le prix des propos tenus par leur ministre de tutelle.

Il faut arrêter la surenchère sécuritaire, qui est contre-productive et dangereuse pour tout le monde.

Il faudrait un grand débat public sur l'utilisation démocratique des forces de police : quelle police pour quel usage ?

Si le maintien de l'ordre est nécessaire, en revanche, telle ne peut être l'unique voie à suivre en matière de sécurité. Le recours aux BAC, aux CRS et aux GIR ne suffira pas à tout régler. Il faut rétablir une police de proximité en y apportant certaines adaptations tirées de l'expérience passée. Chacun ici doit se rappeler tout l'intérêt du travail de l'îlotage. Il faut renouer le dialogue entre les policiers et la population et mettre à nouveau en place un travail de discussion avec les associations de locataires, les associations sportives et culturelles. Il faut contribuer à apaiser les tensions, à retisser le lien social.

Nous avons besoin d'une police républicaine, respectée et formée.

Pour cela, il faut arrêter d'affecter dans les quartiers les plus difficiles les jeunes fonctionnaires tout juste sortis de l'école de police et fidéliser ceux qui, par leur expérience de terrain, ont acquis une bonne connaissance des quartiers les plus difficiles ; il faut revoir la répartition des effectifs de police sur le territoire, qui est inchangée depuis cinquante ans, arrêter la culture du chiffre, cette politique du rendement axée sur la seule répression, dangereuse pour tous et qui fait peser sur les forces de l'ordre une forte pression hiérarchique.

Le ministre de l'intérieur ne va pas s'en tirer, cette fois-ci, en érigeant en vérités avérées des cas particuliers souvent horribles, ou grâce à ses pirouettes habituelles, lui qui n'hésite pas à énumérer les chiffres qui font l'éloge d'une politique sécuritaire, à annoncer des mesures législatives destinées à durcir encore le dispositif pénal français ou encore à proposer d'amender le texte sur la prévention de la délinquance, le tout sous couvert du sempiternel leitmotiv qui lui est cher - « je dis tout haut ce que d'autres pensent tout bas » - et qui tourne, selon la version, soit à la fanfaronnade, soit au populisme le plus primaire et, donc, le plus dangereux.

À chaque incident dans le pays, la réponse est un article du code pénal ou du code de procédure pénale.

Or, ce n'est pas de cela qu'ont besoin nos concitoyens. Le sujet est trop sérieux, la situation trop grave, pour que l'on puisse se laisser aller à des querelles stériles sur les chiffres de la délinquance, chiffres que chacun interprète d'ailleurs à sa façon, ou à des discours d'autosatisfaction en pleine campagne électorale.

Ce que nous attendons cette fois-ci de la part du Gouvernement, ce sont des annonces concrètes en termes de logement, de santé, d'amélioration de l'habitat, de services publics de proximité en milieu urbain comme en milieu rural, d'éducation, de loisirs, de lutte contre les discriminations, de police de proximité, bref, tout ce qui est susceptible de reconstituer le lien social, afin que le « vivre ensemble » soit plus que des mots.

À mon sens, le tissu social ne pourra se reconstituer qu'au prix de réformes radicales et d'une véritable ambition sociale, mais cela suppose bien évidemment l'octroi des moyens financiers adéquats et, surtout, une réelle volonté politique.

Tel est le prix à payer pour enrayer la spirale de la violence et de l'insécurité engendrée par le fonctionnement même de notre société.

Hélas, à regarder le projet de budget de la France pour 2007, actuellement examiné à l'Assemblée nationale, force est de constater que telle n'est pas la priorité de ce gouvernement, qui se préoccupe davantage d'éponger la dette publique et de supprimer des postes de fonctionnaires que d'apporter des réponses ambitieuses et à la hauteur des besoins qui s'expriment. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, tenter de porter un jugement un peu objectif sur le bilan de l'action du ministre de l'intérieur en matière de lutte contre l'insécurité relève de la gageure.

Manquent toujours les indicateurs fiables permettant d'apprécier la performance : la statistique des « faits constatés » de l'état 4001 ne mesure pas plus de manière fiable l'activité des délinquants que le « taux d'élucidation » ne traduit leur risque d'être rattrapés par la justice.

Sans parler de la délinquance qui demeure inconnue, le recueil statistique 4001 ne concerne ni la totalité des crimes et délits, ni les infractions relevées sur main courante, mais seulement les faits signalés au Parquet, suite à une plainte ou à l'initiative des services.

« On reproche, à juste titre, à l'outil d'enregistrement de la délinquance ou état 4001 d'être insuffisant, partiel, parcellaire, parfois partial », écrit le criminologue Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'Observatoire national de la délinquance. L'AFP nous rapporte ce matin qu'à Lille, par exemple, 4 000 faits ont été enlevés de la comptabilité 2005. M. Alain Bauer remet en cause l'usage d'un indice agrégeant des données très hétérogènes, la pertinence d'un agrégat comme celui de « délinquance de voie publique », qui est pourtant le plus commenté, et celle de la comparaison entre mêmes mois d'années qui se suivent.

Depuis le printemps 2002, les Français sont pourtant convoqués chaque mois afin d'analyser ces indicateurs non fiables.

Nous utilisons le même baromètre que nos prédécesseurs, dites-vous, monsieur le ministre délégué, et vous l'avez encore rappelé ce matin. Oui, et alors ?

De deux choses l'une, en effet : ou l'instrument mesure, même de manière grossière, ce qu'il est censé mesurer, et on peut l'utiliser, ou ce n'est pas le cas, et on ne s'en prévaut pas. Puissiez-vous l'utiliser un siècle, le baromètre dont vous avez parlé ce matin ne vous livrera pas plus la température que l'état 4001 le niveau de la délinquance.

Vous-même, monsieur le ministre délégué, qui êtes sportif de haut niveau et visiblement lecteur d'Alice au pays des merveilles, vous n'hésitez pas à prendre tous les risques : l'état 4001 mesure pour vous non seulement la délinquance, mais aussi le nombre de « non victimes » : « Depuis 2002, nous avons évité à notre pays, par notre politique, un million de victimes », m'avez-vous répondu le 5 octobre 2002.

M. Jean-Patrick Courtois. Eh oui ! Il a raison !

M. Jean-Claude Peyronnet. C'est formidable !

M. Pierre-Yves Collombat. Il fallait oser, vous l'avez fait !

Quant au taux d'élucidation, il ne saurait, lui non plus, être utilisé sans précautions. Son mode de construction fait qu'à nombre de faits élucidés constant il augmente lorsque le nombre de faits constatés dans l'année diminue. Il croît aussi avec le nombre de faits constatés sur l'initiative des services, par définition élucidés à 100 %.

De 2002 à 2005, le taux global d'élucidation peut bien avoir augmenté, pour atteindre 33,7 %, comme vous nous l'avez dit, mais un calcul assez simple montre que le nombre d'élucidations des faits déclarés - ce qui intéresse les gens - n'a pas pour autant progressé.

L'augmentation du taux d'élucidation est la conséquence mécanique de la diminution du nombre de faits constatés et de la progression de l'initiative des services.

Cela dit, un taux d'élucidation de ce niveau laisse à penser qu'on fera plus diminuer l'insécurité en augmentant les risques pour les délinquants de se faire prendre qu'en alourdissant les peines de ceux... qui ne se feront pas prendre !

M. Pierre-Yves Collombat. Avec de tels indicateurs, il suffit que le ministre de l'intérieur apparaisse pour que les résultats soient là.

M. Pierre-Yves Collombat. « Entre janvier et avril, avant que nous arrivions, la délinquance a encore augmenté de 5 %. Depuis le mois de mai, elle a augmenté de 0 %. Au mois d'août, pour la première fois depuis cinq ans, la délinquance a diminué », annonçait-t-il dès l'automne 2002.

M. Sarkozy arrive au ministère de l'intérieur et la progression de la délinquance s'arrête, puis recule, avant même que les mesures décidées par le nouveau gouvernement aient pu avoir un quelconque effet sur le terrain. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

Se trouve ainsi vérifié le théorème bien connu des statisticiens, dit théorème de Demonque : « Sur une courte période, les statistiques de la délinquance varient en proportion inverse de la popularité du ministre de l'intérieur auprès des agents chargés du collationnement des données qui les fondent. » (Sourires.)

M. René Garrec. La réciproque est vraie !

M. Pierre-Yves Collombat. Pourtant, dès que l'on sort du brouillard des statistiques globales, des ratios de convenance et des comptabilités à géométrie variable, pour s'en tenir aux faits les plus incontestables et les plus graves, le paysage change totalement.

Ainsi, loin de diminuer, les violences aux personnes augmentent : calculées sur douze mois glissants, les atteintes volontaires à l'intégrité physique des personnes progressent, selon l'intervalle considéré, de 6,6 % à 8,4 % ; les vols avec violence sont en hausse de 6,2 % et les violences physiques non crapuleuses de 10 %, avec une pointe à 11 % en mai dernier.

Un autre indicateur peu contestable, les incendies de voitures, a, lui, explosé. De 15 000 en 2000, sous la « gauche laxiste », il passe à 45 588 en 2005 et s'établit à 21 000 pour le seul premier semestre 2006, sous la « droite enfin responsable ». C'est qu'en novembre 2005 est survenu un événement majeur, à savoir l'embrasement d'une partie des communes de banlieue, obligeant le Gouvernement à décréter l'état d'urgence, ce qui n'avait pas été fait même en 1968 ! L'image du pays à l'étranger en fut ternie. Le Premier ministre espagnol ne le fera pas dire à M. Sarkozy, venu lui donner des leçons de politique en matière d'immigration.

Le ministre de l'intérieur n'est évidemment pas responsable de l'état des quartiers en difficulté déploré depuis longtemps et de la lente dégradation des conditions de vie de leurs habitants. En revanche, outre de n'avoir rien vu venir, on peut lui faire deux reproches : en arrêtant brutalement la politique de retissage patient du lien social mise en oeuvre par ses prédécesseurs, il a non seulement affaibli les capacités de réponse naturelles des populations à l'incivilité et à la délinquance, mais a aussi aggravé la crise par l'usage ostentatoire et médiatique de la force publique.

Paradoxalement, c'est dans les zones non sensibles que les effectifs de sécurité ont le plus progressé et que les adjoints de sécurité ont le moins diminué.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Pierre-Yves Collombat. Ensuite, mais ensuite seulement viennent les zones sensibles et les zones très sensibles : quelle fine stratégie que de dégarnir ses lignes les plus exposées !

Non seulement les effectifs des forces de sécurité sont donc moins étoffés en zones sensibles et très sensibles qu'ailleurs, mais il en est fait un usage contestable. À cet égard, la mission d'information commune chargée d'évaluer la politique en direction des quartiers, que nous avons évoquée ce matin, souligne dans son rapport : « Cependant, il convient avant tout de revoir les modalités d'intervention de la police et de les adapter aux situations rencontrées. » Elle ajoute même que la multiplication des contrôles d'identité, parfois plusieurs fois par jour, est perçue comme le signe de contrôles au faciès et comme une humiliation.

Pour ma part, j'estime que les opérations « médiatico-policières » ont profondément dégradé les relations de la population avec la police, créant des solidarités contre nature là où il faudrait isoler les éléments violents et délinquants.

La mission observe que, progressivement, s'installent des formes larvées de vendettas personnelles entre population et forces de l'ordre. Quant aux maires, pourtant promus au rang de coordonnateurs de la prévention de la délinquance, ils ne peuvent que constater, de plus en plus impuissants, la dégradation de la situation.

La mission précise encore : « Cependant, la diminution des moyens consacrés à la médiation sociale, la "reconquête" des quartiers par de nouvelles méthodes d'intervention ont éloigné la police de la population. Or, il ne peut y avoir de sécurité sans la population. Un rééquilibrage paraît donc indispensable, de même qu'une relance des partenariats avec tous les acteurs de la prévention. »

Cela revient à affirmer, en termes diplomatiques, que la méthode Sarkozy a échoué. Le ministre de l'intérieur la justifie par la situation et par la gravité des délits, notamment les agressions envers des policiers. Cela n'a évidemment aucun sens : le problème est non pas d'être plus ou moins « compréhensif » envers les délinquants, comme vous essayez de nous le faire croire, mais d'être efficace. Or on ne peut être efficace sans le soutien de la population.

Monsieur le ministre délégué, vous avez évoqué ce matin le cas de la ville de Marseille. Je serais tenté d'être d'accord avec vous, mais, à y regarder de très près, on voit que, si la citée phocéenne est restée calme en novembre 2005, c'est grâce notamment à l'existence d'équipements collectifs plus nombreux qu'ailleurs, à un tissu socioéducatif et culturel ancien et solide.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Vive le maire !

M. Pierre-Yves Collombat. Vivent tous les maires successifs, monsieur le ministre délégué, car ils agissent ainsi depuis trente ans !

C'est grâce aussi à l'intégration de policiers en civil à la population et, surtout, au fait que les habitants des quartiers se sentent Marseillais et en sont fiers.

L'attentat aux conséquences dramatiques qui vient d'avoir lieu est doublement révélateur. Il montre, premièrement, qu'à Marseille aussi la situation est explosive et qu'elle appelle des solutions de fond. Il prouve, deuxièmement, que c'est la solidité de l'encadrement social qui a permis l'identification rapide et l'arrestation des auteurs du crime, sans déploiement de forces particulier. À l'origine, vous l'avez rappelé ce matin, selon le préfet de police, l'information décisive a été obtenue « grâce au travail de fond et de proximité d'un fonctionnaire appartenant à la BAC des quartiers Nord. » À l'évidence, la population a vu dans la police une alliée et non pas, comme trop souvent, une ennemie.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Une vraie police de proximité !

M. Pierre-Yves Collombat. Il serait temps de regarder les choses en face et de rompre avec une politique incantatoire, globalement inefficace et sectoriellement dévastatrice.

La montée d'une violence gratuite de plus en plus difficile à contenir est le signe du délitement du tissu social, de l'absence de repères et de l'inefficacité de l'encadrement social « naturel ». Cette délinquance est encore plus difficile à contenir que celle dans laquelle entre encore en compte un semblant de calcul rationnel.

Dans les secteurs difficiles, les élus de toutes tendances et les préfets décrivent une situation devenue explosive. Je vous ferai grâce des citations, mes collègues vous les ayant données ce matin !

Au demeurant, il n'y a pas que les quartiers réputés difficiles à être touchés par les nouvelles formes de délinquance. Ainsi le nombre d'agressions sur les usagers des transports publics est-il en forte progression dans les villes de province, surtout dans les plus petites.

Même les amis du ministre de l'intérieur s'inquiètent, comme le prouve cet extrait de l'exposé des motifs d'une toute récente proposition de loi de sénateurs UMP : « Depuis lors, les Français assistent inquiets à une montée de la délinquance violente et du terrorisme. Les malfaiteurs semblent faire de moins en moins cas de la vie humaine. Chaque jour désormais ou presque, on enlève et on tue des enfants, on assassine des personnes âgées pour leur dérober leurs économies ; on n'hésite plus à ouvrir le feu sur les représentants de l'ordre dans l'exercice de leurs fonctions. »

Il est difficile de porter un jugement plus sévère sur le bilan de M. Sarkozy !

En conclusion, monsieur le ministre délégué, je vous ferai une confidence. Quand je vous entends chanter les louanges du ministre de l'intérieur, comme vous le faites inlassablement, et ce matin encore, je suis victime d'un curieux phénomène stéréophonique : j'ai l'impression d'entendre, dans mon oreille droite, Edith Piaf chanter : « Avant toi, y avait rien, avec toi, je suis bien » et, dans mon oreille gauche, Dalida lui répondre : « Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots... Parole, parole, parole » ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je me réjouis du fait qu'après avoir débattu ce matin des politiques conduites en faveur des quartiers en difficulté le Sénat aborde maintenant les résultats de la politique de sécurité menée par le Gouvernement depuis 2002, car ces deux questions sont intimement liées, dans mon département de la Seine-Saint-Denis comme ailleurs.

Après mon collègue Jean-Patrick Courtois, je salue votre initiative, monsieur Peyronnet, qui nous permet ici de mettre en valeur les résultats probants en matière de sécurité de l'action de l'actuel gouvernement, et particulièrement de Nicolas Sarkozy. Il est vrai qu'il aurait été difficile d'avoir le même débat, avec des résultats aussi bons, entre 1997 et 2002, étant donné que la délinquance, sur cette période, avait augmentée de 14 %.

M. Charles Gautier. Et le nombre de voitures brûlées ?

M. Christian Demuynck. Cher collègue Peyronnet, vous dénoncez dans le texte de votre question l'outil statistique de mesure de la délinquance, ce qui, selon vous, permet à chacun de trouver sa vérité.

En effet, lorsque vous affirmez que les violences non crapuleuses et les atteintes aux personnes ont augmenté, vous y trouvez votre vérité. Lorsque vous dénoncez les résultats concernant la délinquance des mineurs et les violences scolaires, force est de constater que, là aussi, vous trouvez votre vérité. Tout comme lorsque vous annoncez, sans autre argument, le niveau des violences urbaines.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous vous renvoyez la balle sur la délinquance en faisant monter la pression sur la sécurité : c'est affligeant !

M. Christian Demuynck. Mais vous avez sans doute malencontreusement oublié, car je n'ose douter de votre bonne foi, de spécifier que la délinquance générale a reculé de 8,8 % entre 2002 et 2006. Et ça, c'est la vérité !

M. Thierry Repentin. C'est votre vérité !

M. Richard Yung. On vous a expliqué que c'était l'inverse !

M. Jean-Claude Peyronnet. J'ai cité les chiffres !

M. Christian Demuynck. Même s'il reste, bien sûr, beaucoup à faire, il nous faut néanmoins, en tant que responsables politiques, avoir l'honnêteté de reconnaître ces résultats encourageants, dont nous devrions tous être fiers.

M. Christian Demuynck. Au lieu de cela, vous vous en prenez systématiquement à celui qui est l'artisan de cette baisse, le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy.

Toujours dans le texte de votre question, vous accusez le Gouvernement de se dédouaner de toute responsabilité en incriminant les magistrats. Notre collègue Éliane Assassi vient d'ailleurs de faire de même.

Je me doute à quoi vous faites référence et je crois utile de préciser qu'il faut replacer les choses dans leur contexte et ne pas faire d'amalgame. En effet, les seuls magistrats mis en cause étaient les juges des enfants du tribunal de Bobigny.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont des magistrats à part entière !

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Christian Demuynck. Le saviez-vous, les jeunes délinquants les surnomment les « Pères Noël », tant ils sont cléments à leur endroit ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Et ce n'est pas Mme Assassi qui pourra me contredire ! Alors, parler de démission lorsqu'à peine 8 % des jeunes déférés en 2005 ont été finalement écroués ne me paraît pas exagéré.

Mme Éliane Assassi. Et vous le savez très bien !

M. Christian Demuynck. C'est un élu de la Seine-Saint-Denis qui vous le dit.

Mme Éliane Assassi. Je suis aussi élue de ce département et je vous dis tout autre chose !

M. Christian Demuynck. Je considère bien volontiers la différence de perception qui doit être la vôtre, vu de la Haute-Vienne, mon cher collègue.

M. Bernard Murat. Ou du XVIe arrondissement !

M. Christian Demuynck. La mission principale qui est impartie à un ministre de l'intérieur est de garantir la sécurité de nos concitoyens, et cela partout, car il n'y a rien de plus scandaleux que d'entendre des critiques sur des policiers qui auraient eu une attitude provocante, simplement parce qu'ils ont osé patrouiller ou faire un contrôle d'identité, que ce soit en uniforme ou non, dans des quartiers difficiles.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle honte d'entendre cela !

Mme Éliane Assassi. C'est Sarkozy le provocateur !

M. Christian Demuynck. Les forces de l'ordre doivent être respectées dans n'importe quelle campagne, dans n'importe quelle ville, dans n'importe quel quartier de France. Et Nicolas Sarkozy a cette volonté et le prouve chaque jour ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Pour que les forces de l'ordre soient respectées et soutenues par la population, pour que chaque intervention ne dégénère pas en attroupement hostile, phénomène qui devient d'ailleurs inquiétant, il faut faire évoluer les mentalités, et ce dès le plus jeune âge.

M. Christian Demuynck. Si à l'école, par le développement de l'éducation civique, qui doit retrouver sa place, ou en dehors, par le biais d'actions de sensibilisation et de promotion, comme le fait par exemple l'armée de terre, on donne une image plus humaine des forces de l'ordre, si l'on met en valeur le fait qu'elles sont là avant tout pour protéger chacune et chacun d'entre nous avant de réprimer, alors, il y a fort à parier que la cohabitation sera meilleure.

De plus, durant les derniers événements, le problème de la jeunesse et du manque d'expérience des policiers dans certains quartiers difficiles a été mis en avant.

Monsieur le ministre délégué, ne pourrait-on pas imaginer, pour améliorer les résultats de la police dans ces quartiers, inciter des policiers expérimentés à venir y travailler ? Je propose une revalorisation des aides financières, notamment des aides au logement et de certaines autres primes qui sont aujourd'hui bien trop faibles. Par exemple, à l'heure actuelle, la prime de fidélisation s'élève à 805 euros par an, soit environ 65 euros par mois, ce qui est dérisoire compte tenu des conditions extrêmes de travail auxquelles ces agents sont soumis.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je suppose que c'est ce que vous allez dire au moment de la discussion budgétaire !

M. Christian Demuynck. Il ne s'agit pas là de jeter la pierre à de jeunes fonctionnaires qui sont souvent très compétents et qui font un travail remarquable. Cependant, l'expérience du terrain ne s'apprend pas à l'école : elle s'acquiert au fil du temps.

Ce que je viens de dire pour la police, je peux le redire dans les mêmes termes pour les enseignants.

En effet, la responsabilité éducative de notre société est ici en jeu. Et si le retour à l'ordre et à l'autorité est un préalable dans les écoles de la République, un enseignement de qualité dispensé par des professeurs qui ont l'expérience de la pédagogie ne pourrait que tirer vers le haut ces établissements scolaires, et finalement ces quartiers, en donnant un espoir aux jeunes.

Monsieur le ministre délégué, je terminerai en parlant plus spécifiquement de mon département, la Seine-Saint-Denis, qui est, à bien des égards, symbolique, et malheureusement, trop souvent caricaturé.

Malgré le travail de qualité que les forces de l'ordre et le corps préfectoral effectuent tous les jours sur le terrain, il faut reconnaître que les résultats ne sont pas bons et que l'insécurité progresse. Le contraste avec les chiffres relevés partout ailleurs, qui indiquent une baisse de la délinquance, appelle une réaction.

Comme je le répète inlassablement depuis des années à l'occasion des discussions budgétaires successives, la spécificité de la Seine-Saint-Denis, compte tenu de sa mixité sociale et d'un aménagement territorial qui a montré toutes ses limites, nécessite des moyens particuliers.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous votez le budget, que je sache !

M. Christian Demuynck. À ce titre, à la suite de la polémique qu'a suscitée la lettre du préfet Cordet, dont je voudrais souligner ici le grand professionnalisme, il y a eu une prise de conscience et un renfort d'environ trois cents policiers a été promis par Nicolas Sarkozy. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il avait promis la même chose il y a un an ! Chaque année, c'est pareil, et l'on ne voit rien venir !

M. Christian Demuynck. Madame la présidente, j'aimerais pouvoir terminer tranquillement mon propos sans subir ce brouhaha infernal sur mon extrême gauche !

M. Charles Gautier. Nous sommes trop nombreux pour vous !

M. Thierry Repentin. C'est vrai !

M. Robert Bret. Le brouhaha ne peut pas venir de la droite : il n'y a personne !

Mme la présidente. Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre délégué, pourriez-vous nous indiquer les modalités et le calendrier retenus pour l'affectation de ces fonctionnaires supplémentaires, qui seront loin d'être de trop, je vous le garantis ?

Enfin, je crois utile de préciser, à la suite des propositions que j'ai pu entendre ces derniers jours, que la Seine-Saint-Denis n'a nul besoin d'être une fois encore stigmatisée par le biais d'une loi qui lui serait spécifique. Ce serait selon moi une offense faite aux hommes et aux femmes qui vivent dans ce département et qui l'aiment.

Vous le voyez, monsieur le ministre délégué, je ne suis pas tombé dans l'angélisme et l'autosatisfaction dans l'appréciation que je fais du bilan de la politique de sécurité conduite depuis 2002, car il reste beaucoup de travail à accomplir.

Néanmoins, je mesure le chemin qui a été parcouru depuis quatre ans et tiens à rendre hommage à ce gouvernement et à ceux de Jean-Pierre Raffarin. Il vous appartient désormais de relever les défis qui s'ouvrent encore à nous pour offrir à nos concitoyens le niveau de sécurité qu'ils attendent. C'est là notre responsabilité d'élus et c'est la mission que ce gouvernement s'est fixée. Le reste, ce ne sont que polémiques, calculs politiques, considérations électoralistes, et les Français ne s'y tromperont pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Marques d'ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Thierry Repentin. On verra bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant la campagne pour l'élection présidentielle de 2002, la sécurité était considérée par tous les observateurs comme un, voire comme « le » problème majeur.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ce n'est plus le cas aujourd'hui !

M. Charles Gautier. Un déballage médiatique horripilant a contribué à faire que la campagne a tourné exclusivement, ou presque, autour de ce sujet.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Pen en a alors recueilli les fruits ! Et encore aujourd'hui !

M. Charles Gautier. Rappelons-nous l'histoire de ce vieil homme seul, agressé dans sa maison, qui avait fait la une de tous les médias pendant plus d'une semaine.

Je ne veux pas dire par là que la sécurité est un problème mineur. Je déplore seulement que la médiatisation à outrance d'un cas isolé ait déplacé et détourné le débat politique.

Le gouvernement de Lionel Jospin ne considérait pas la sécurité comme un problème mineur. Son action a d'ailleurs contribué à l'infléchissement de la hausse des violences. À cet égard, le colloque de Villepinte symbolise le climat de l'époque. Mais il faut aussi rappeler la création de la police de proximité, le recrutement de nouveaux effectifs et l'affectation de moyens supplémentaires.

M. Sarkozy n'étant pas parmi nous, je compte sur vous, monsieur le ministre délégué, pour lui transmettre les propos suivants, qui lui sont directement adressés.

Depuis la dernière élection présidentielle, monsieur le ministre d'État, vous êtes au pouvoir. En effet, en cinq années, vous n'avez quitté le ministère de l'intérieur que peu de temps. Quel bilan peut-on tirer de votre action ?

Vous avez purement et simplement supprimé la police de proximité, qui commençait à avoir des effets positifs dans les quartiers, et vous avez concentré les effectifs de police dans les centres-villes, là où le besoin s'en fait le moins sentir.

M. Charles Gautier. Le résultat de cette politique ? Les violences contre les personnes ne cessent d'augmenter ; jamais il n'y a eu autant de voitures brûlées dans les quartiers ; quant aux transports en commun, ils sont devenus des cibles privilégiées.

Ce bilan est désastreux. La société française est plus dangereuse aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été, alors même que vous disposez d'un pouvoir considérable. D'ailleurs, vous ne vous privez pas de vous en servir.

Vous avez ainsi monté un dispositif législatif extravagant, modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, étendant les pouvoirs des forces de l'ordre, multipliant les occasions de créer des fichiers, et j'en passe. Chaque fait divers fut suivi, quelques mois plus tard, d'un nouveau texte.

Pour soutenir toutes ces actions, vous avez usé et abusé de la médiatisation qui avait fait votre succès en 2002.

Et pourtant, nous fêtons aujourd'hui un bien triste anniversaire, avec de bien tristes évènements : une jeune femme de vingt-six ans est actuellement encore dans un état critique ; deux adolescents et un père de famille sont morts l'an dernier ; des millions de personnes subissent toujours les conséquences des violences et des dizaines de milliers d'autres se trouvent sans moyens de transport.

Monsieur le ministre d'État, il y a cinq ans, vous donniez des leçons et traitiez vos prédécesseurs d'incapables.

Or, en cinq ans, vous n'avez fait qu'attiser la haine, qu'attiser le feu. Vous avez fait grandir le fossé entre les jeunes des quartiers et les forces de l'ordre. Vous avez monté les communautés les unes contre les autres et érigé des frontières entre les générations.

Les épisodes de flambée de violence se succèdent depuis deux ans : c'est d'abord, en mars 2005, l'agression de jeunes manifestants contre la loi Fillon par d'autres jeunes venus des banlieues parisiennes ; puis, en octobre et novembre 2005, trois semaines d'émeutes dans les villes les plus défavorisées de France ; enfin, la violente agression par des jeunes casseurs de manifestants anti-CPE.

Les tensions sont de plus en plus vives dans les quartiers, surtout lorsque le Gouvernement leur envoie pour toute réponse des cars de CRS, ce qui ne résout rien.

Les évènements de l'an dernier sont significatifs : ils symbolisent l'échec de vos méthodes.

Ils démontrent d'abord votre incapacité à répondre aux attentes de nos concitoyens en ce domaine. La violence de ces trois semaines d'émeutes avait couvé, puis s'est amplifiée peu à peu à coups de « Kärcher » et de « racailles ». Elle a mûri aussi à force de chômage, de discrimination et d'abandon.

Pour répondre à ces évènements, vous avez déclaré l'état d'urgence. Vous conveniez donc que ces évènements, qui se produisaient quatre ans après votre retour au pouvoir, étaient d'une gravité exceptionnelle.

Vous avez alors eu l'audace de refuser d'indemniser les collectivités locales et les particuliers qui avaient eu à subir les conséquences de votre politique en matière de sécurité ! Or le maintien de l'ordre est de votre responsabilité ; les conséquences du non-maintien de l'ordre sont donc à la charge de l'État.

À maintes reprises, de nombreux parlementaires ont relayé les appels de leurs concitoyens. Ils vous ont alerté sur les difficultés et les craintes de nombreux particuliers qui ont perdu, lors de ces évènements, leur seul moyen de transport pour aller travailler, alors qu'ils comptent parmi ceux de nos concitoyens qui ont le plus besoin de travailler et qui sont les plus fragiles.

Nous vous avons aussi alerté sur les demandes émanant des collectivités territoriales. Certaines communes ont en effet été contraintes de réaliser d'importants travaux à la suite de ces évènements, des gymnases et des écoles ayant été incendiés. Or ces communes sont celles qui connaissent déjà les plus grandes difficultés.

Pour tous ceux-là, particuliers ou collectivités, vous auriez pu faire un geste, car ils doivent souvent faire face à des assurances dont les tarifs ont explosé.

Mais vous n'avez rien fait.

Monsieur le ministre d'État, votre bilan doit vous ramener à plus de modestie. Vous ne pouvez plus vous cacher derrière celui de vos prédécesseurs. C'est vous qui êtes responsable de ce bilan peu glorieux.

Et encore n'ai-je pas évoqué, dans ce court moment qui m'est imparti, la situation de la Corse, qui connaît une recrudescence des violences. Depuis plusieurs mois, il ne se passe pas une semaine sans que s'y produise un attentat ou un incident entraînant des dégâts importants.

Là aussi, monsieur le ministre d'État, vous êtes comptable de la sécurité de nos concitoyens. Un jour ou l'autre, ces incidents tourneront au drame.

Il n'est pas souhaitable que la prochaine campagne présidentielle se déroule dans le même contexte que la précédente. Mais tout laisse à penser que certains l'envisagent pourtant de façon stratégique.

Nous devons tout faire pour éviter cela, car ces sujets entraînent des réactions démesurées, certes compréhensibles, mais qui nuisent au débat politique, débat qui exige au contraire calme et sérénité.

Les problèmes du pays ne doivent pas être relégués au second plan. Monsieur le ministre d'État, les cartes sont entre vos mains pour apaiser les esprits, afin que ce rendez-vous électoral décisif et historique se déroule dans un contexte serein. C'est votre responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, nos pensées se tournent d'abord vers la jeune Mama Galledou, notre compatriote victime de l'attentat dont vous avez tous eu connaissance, qui lutte encore pour sa vie, une vie qui ne sera plus jamais ce qu'elle avait espéré. Nos pensées vont également à sa famille.

Je souhaite répondre à ceux qui se sont interrogés sur le motif d'un tel débat. Mes chers collègues, que pouvons-nous faire pour qu'un tel drame ne se reproduise pas ? Tel est précisément le sens du débat proposé par M. Peyronnet.

L'incendie du bus 32 à Marseille fait malheureusement suite à une longue série de crimes crapuleux, racistes et sexistes : le meurtre d'Ilan Halimi, celui de Jean-claude Irvoas, assassiné alors qu'il photographiait un réverbère pour des raisons professionnelles, celui de Sohane Benziane, brûlée vive, et bien d'autres encore.

Les collègues qui m'ont précédé à cette tribune ont insisté sur l'augmentation de l'insécurité et des actes d'incivilité, qui se manifestent par les incendies d'autobus et de milliers de voitures, ainsi que par le saccage de biens publics et collectifs.

À cela s'ajoutent les agressions dont font l'objet des policiers - parfois pris dans de véritables souricières ou guets-apens - et dont les auteurs doivent être poursuivis et condamnés. C'est un miracle qu'un accident majeur ne se soit pas encore produit ou qu'un homme ne soit pas mort !

Je voudrais rendre hommage ici au courage, au sang-froid et à l'engagement des policiers et des gendarmes qui, sur le terrain, jour après jour, réussissent à maintenir l'ordre dans les zones les plus difficiles, tout en respectant la légalité et en évitant les incidents ou les accidents. Ils ont bien mérité de la République.

Il faut donc restaurer l'ordre républicain partout où il est mis ou remis en cause. Cette démarche doit aller de pair avec la restauration des valeurs fondamentales qui sont à la base de notre société, en particulier le respect des institutions et de la démocratie, le respect de l'autorité, des parents, des enseignants et, pour commencer, le respect de la vie humaine.

Ces valeurs, personne n'en a le monopole : elles fondent notre culture et notre démocratie. Nous les défendons, nous, au moins autant que vous.

À cet égard, je demanderai au ministre d'État de cesser de parler à la gauche et de la gauche avec ce ton de commisération, de mépris, voire de supériorité.

Si l'argument principal de votre ministre d'État consiste à traiter François Hollande « de comique inimitable de la vie politique », vous conviendrez que nous serions en droit de vous répondre, pour filer la métaphore, que, dans ce Médrano permanent, vous êtes quant à vous des gugusses !

Vous répétez à satiété la thèse selon laquelle la gauche serait -- je cite dans le désordre le florilège des qualificatifs - incompétente, laxiste, prisonnière d'un angélisme digne de jeunes pensionnaires du couvent des Oiseaux - j'ignore s'il existe encore - mais, en tout cas, responsable de tout ce qui s'est passé avant et, pourquoi pas, depuis 2002 !

Nous serions ceux qui excusent les marlous, ceux qui laissent courir les assassins, ceux qui ouvrent les prisons. Nous serions avec les agresseurs contre les victimes ! Voilà ce que Nicolas Sarkozy dit de nous, et je vous le dis tout net, c'est inacceptable, surtout de la part d'un ministre d'État qui, les derniers sondages le montrent, inquiète 55 % des Français et n'en rassure que 30 %. Tout cela relève du faux débat, de la caricature et de la mauvaise foi.

Votre ministre d'État a, il y a quelque temps, critiqué injustement les juges du tribunal pour enfants de Bobigny.

M. Christian Demuynck. Justement, très justement !

M. Richard Yung. Outre que le nombre des condamnations et leur durée ne sont pas nécessairement des indicateurs d'une bonne justice, le vrai problème, tout le monde le sait, tient à l'absence des structures nécessaires pour l'incarcération, la rééducation et la réintégration des mineurs après le prononcé des peines.

C'est la grande misère de la protection judicaire de la jeunesse, la PJJ, et des associations qui aident les pouvoirs publics à rééduquer ces jeunes, à les remettre dans le droit chemin, à suppléer les parents démissionnaires ou défaillants.

En fait, cette présentation vise, à mon sens, à cacher votre propre incurie et, sans doute aussi, d'une certaine manière, votre propre déception. Car, sans faire de polémique, tout montre que la situation s'est dégradée depuis quatre ans. Cela a été suffisamment illustré à cette tribune pour que je n'y revienne pas.

Vous commettez pour le moins une erreur de diagnostic. Au pire, vous jouez avec le feu, c'est-à-dire avec la peur des Français ! Vous pensez que la sécurité s'obtient par la seule répression, par la lourdeur des peines, par la réforme permanente et incessante du code pénal et du code de procédure pénale.

À chaque crise, à chaque crime ou délit que nous sommes unanimes à condamner légitimement, le ministre d'État ou le garde des sceaux viennent devant le Parlement pour lui proposer de doubler les peines de prison, de réduire ou de supprimer les sursis, d'introduire des peines incompressibles ou des peines plancher.

Vous êtes donc dans une vision purement quantitative et sécuritaire. Ce que je dis est tellement vrai que certains, dans votre ministère et dans les préfectures -  et je ne vise pas que la préfecture de Seine-Saint-Denis - surprennent en retirant les forces de l'ordre, dans certaines situations graves, pour ramener le calme.

C'est que vous en êtes à votre quatrième loi sur la sécurité : après la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure d'août 2002, la loi pour la sécurité intérieure de mars 2003, la loi sur le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers de janvier 2006, nous attendons maintenant la seconde lecture du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Plus d'une loi par an, si l'on y ajoute les lois contre l'immigration, celle contre les mariages avec les étrangers, que votre collègue de la justice vient de faire passer !

Et nous avons des craintes que vous ne transformiez en outil supplémentaire de répression l'ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants, qui a donné de bons résultats pendant soixante ans. Nos prédécesseurs issus des rangs de la Résistance avaient bien fait leur travail.

Bien sûr, nous sommes conscients de la nécessité de faire évoluer les textes quand la société se transforme ! Mais cela a déjà été en grande partie fait.

Ainsi, la loi du 9 septembre 2002 marque déjà un durcissement sensible de la réponse pénale à la délinquance des mineurs. J'en citerai deux éléments : la possibilité d'exclure, pour les jeunes de seize à dix-huit ans, ce que l'on appelle l'excuse de minorité, qui permet de prononcer une peine équivalente à celle qui serait infligée à un majeur ; la création des centres éducatifs fermés pour les mineurs âgés de treize à dix-huit ans.

Par ailleurs, la cour d'assises des mineurs peut d'ores et déjà prononcer une peine de prison à l'encontre de mineurs de treize ans et plus si les mesures éducatives et de placement ne semblent pas appropriées.

Voilà ce qui existe, aux termes de modifications législatives récentes. Faut-il aller plus loin et modifier une nouvelle fois la loi applicable aux mineurs ? Certainement pas ! Un tel projet ne ferait que s'ajouter à d'autres textes, redondants et inutiles, dont vous êtes habituellement les promoteurs. Il est inutile de déférer les mineurs devant les assises en cas d'agression de policiers, car chacun sait que cette mesure est à la fois inapplicable et bête. Il faut commencer par appliquer les textes en vigueur, mais c'est évidemment plus difficile que d'aller donner quelques coups de menton au journal de 20 heures !

M. Charles Gautier. Très bien !

M. Richard Yung. Nous, nous proposons des solutions qui ont fait leurs preuves, tout en étant conscients de la complexité de la question telle qu'elle a été développée en particulier dans le rapport de la mission d'information commune examiné ce matin par notre assemblée.

En matière de sécurité, nous proposons des mesures indissociables du retour à une police de proximité dotée de capacités judiciaires et pratiquant l'îlotage, en tirant les enseignements de ce qui a été fait entre 1997 et 2002.

Nous proposons la prévention précoce de la violence, dans le cadre d'un plan gouvernemental, et la création de cellules de veille éducative.

Nous proposons l'application de mesures éducatives et de sanctions prononcées, ce qui implique, nous le savons, un effort budgétaire considérable pour les forces de sécurité et pour la justice.

Nous proposons une valorisation des alternatives à la prison en vue de faciliter la réinsertion des mineurs délinquants.

Nous proposons un plan de lutte contre les violences conjugales et familiales, ce qui nécessitera probablement une loi du Parlement.

Nous proposons un renforcement de la présence des adultes dans les écoles afin d'endiguer les comportements violents.

Nous proposons la réduction des délais entre l'infraction, la constatation de l'infraction, la sanction et son exécution.

Nous proposons enfin de redonner un soutien réel et financier aux associations de terrain qui oeuvrent pour la prévention.

Voilà les grandes lignes de ce qu'il faudrait faire, en veillant à y associer la justice, la police et la gendarmerie, les élus, en particulier les maires, et les citoyens dans un effort commun. Voilà ce que nous ferons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Monsieur le ministre délégué, j'avoue que le ton que vous avez adopté à l'égard de la représentation nationale nous incite à répondre comme vous le faites en général : assez vertement et en lâchant les freins !

Monsieur le ministre délégué, le gouvernement auquel vous appartenez n'a eu de cesse, notamment par la voix de son ministre de l'intérieur, de fustiger l'angélisme de la prévention, de railler toute tentative d'analyse et d'explication des phénomènes de violence, de prôner la sanction indifférenciée, remplissant encore, et encore plus, nos prisons.

Au gré de textes législatifs à répétition - trois en trois ans, un record sur le sujet et un triste aveu d'activisme et d'impuissance -, la liste des délits n'a cessé de s'allonger, stigmatisant dans un même amalgame la détention de cannabis, le vol à la roulotte et le stationnement dans une cage d'escalier !

Autant de manquements à la loi soumis à ce que vous appelez la « tolérance zéro », manquements qui n'ont pourtant de commun que la suspicion qu'ils font porter sur les Français de moins de vingt-cinq ans pour peu qu'ils résident dans des quartiers d'habitat social !

Le « tous racailles » serait-il une revanche au « tous pourris » dont sont parfois accusés les politiques ? On n'ose y croire ! Notre responsabilité est bien, au contraire, d'apporter une réponse digne et efficace aux difficultés rencontrées dans les quartiers. Et, pour cela, il convient d'asseoir l'action publique en matière de tranquillité sur ses deux piliers, pour nous d'égale importance, prévention et sécurité.

J'évoquerai pour commencer la prévention, plus généralement les actions d'accompagnement social.

N'en déplaise au locataire de la place Beauvau, les phénomènes de violence sont en effet les conséquences de l'échec d'autres politiques : échec des politiques économiques, avec le chômage massif, la précarité, les discriminations à l'embauche, l'abandon du soutien associatif ; échec des politiques sociales, avec l'exclusion, les assignations à résidence, l'absence de mixité ; échec des politiques éducatives, avec le saupoudrage des moyens dans les ZEP, où les postes vacants sont de plus en plus nombreux.

« La police ne peut donc seule régler le problème des quartiers difficiles et la première forme de prévention est de créer les conditions d'une insertion réussie dans la société. » Cette assertion n'est pas défendue par une gauche irresponsable et angélique. Elle est in extenso tirée du rapport signé par M. Pierre André au nom de la mission d'information commune présidée par M. Alex Türk sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années.

Les élus locaux le répètent, nos collègues le confirment : le quasi-abandon de toute politique de prévention et de médiation sociale a fait des ravages : « Un rééquilibrage paraît indispensable, de même qu'une relance des partenariats avec tous les acteurs de la prévention ». Au premier rang de ces acteurs : les associations.

Ainsi, « les quartiers qui n'ont recensé aucun incident sont ceux où le tissu associatif et social a pu être préservé ». Celui-ci s'adossait à deux dispositifs essentiels à sa vitalité : les emplois-jeunes et les contrats de ville.

Or le gouvernement auquel vous appartenez a brutalement mis fin à l'expérience des emplois-jeunes en 2002.

C'est ainsi que les agents locaux de médiation sociale, les ALMS, qui exerçaient leur activité pour près de la moitié d'entre eux en ZUS, au nombre de 4 000 à la fin 2003, sont à peine plus de 1 300 aujourd'hui.

Pourtant leur utilité avait été éprouvée, à tel point, d'ailleurs, que, à la suite des violences de novembre 2005, le comité interministériel des villes a décidé le 9 mars dernier de recruter 5 000 nouveaux médiateurs sociaux ! Quatre ans de perdus ! Il mobilise pour cela deux nouveaux contrats aidés : les contrats d'accompagnement dans l'emploi et les contrats d'avenir, créés après qu'eurent été supprimés ceux qui existaient antérieurement : emplois-jeunes, CEC, ou contrats emploi consolidés, et autres CES, contrats emploi solidarité...

La mission d'information commune elle-même, dans son rapport, « déplore cette politique de stop and go qui fragilise la crédibilité du dispositif ».

Que de temps perdu, que de déstabilisation des maillages associatifs locaux ! Que de coups portés aux réseaux d'acteurs que sont les mairies, les centres sociaux, les services départementaux, investis tout au long de l'année pour un meilleur vivre-ensemble dans les banlieues !

Quant aux contrats de ville, ils ont vu leur enveloppe considérablement réduite en 2005, mettant les collectivités territoriales face à ce dilemme : constater le recul des actions associatives dans les quartiers ou compenser le désengagement financier de l'État. Certaines n'ont même pas eu à choisir, la faiblesse de leurs budgets les a contraintes à assister, impuissantes, à la suppression de plusieurs fiches actions de leur contrat de ville, faute de moyens.

Le sursaut de la fin de l'année dernière, avec l'annonce de crédits supplémentaires pour les associations, n'est qu'un symptôme supplémentaire de l'inconséquence de l'action d'un gouvernement qui crée les conditions du désastre et, une fois celui-ci constaté, se félicite de prendre des mesures correctrices !

Je pourrais encore développer ici le rôle de l'école dans la prévention des violences, cette école qui doit donner des perspectives d'avenir aux enfants et adolescents, cette école dont l'un des rôles est d'assurer les jeunes qu'ils ont toute leur place dans la société.

Là encore, le rapport de nos collègues André et Türk est sans ambiguïté : « Le facteur majeur de l'entrée dans la délinquance est l'échec scolaire avant la sixième, qui implique un risque trois à quatre fois supérieur d'être impliqué dans des délits ».

Mais, là encore, dans les quartiers défavorisés, la République ne s'est pas donné, ces dernières années, les moyens de ses ambitions : les effectifs restent trop élevés ; la carte scolaire est massivement contournée ; les enseignants sont souvent de jeunes professionnels qui n'ont pas choisi leur affectation et manquent d'expérience ; leur travail est insuffisamment valorisé ; de nombreux postes d'enseignement spécialisé et de santé scolaire sont vacants.

Bref, l'égalité des chances n'est plus qu'un souvenir !

Si la prévention et l'accompagnement social sont donc indispensables, la politique de sécurité proprement dite l'est tout autant.

L'action de la police est, à ce titre, essentielle et doit prendre des formes variées, adaptées au territoire d'intervention. Le rapport de la mission d'information commune est sur ce point d'une grande clarté et contredit complètement ce que vous nous avez dit ce matin.

Tout d'abord, on y rappelle que « la police de proximité a été plébiscitée par les maires » : 82 % des édiles interrogés par la mission ont qualifié de « bon » ou de « très bon » le bilan de la police de proximité, en raison notamment de sa « meilleure présence sur le terrain » et de son « rôle éducatif non négligeable auprès des jeunes ». Alors, soit vous êtes un incompris, soit vous n'êtes pas écouté !

Pourtant, dès octobre 2002, malgré ce bilan, la police de proximité, qui sécurise au quotidien et alimente en informations la police judiciaire, n'est plus considérée comme prioritaire : alors que les deux vont de pair, elle est supplantée par la seule action judiciaire.

Les brigades anticriminalité et les CRS sont alors déployées dans les quartiers difficiles sans pour autant que la hausse des violences aux personnes soit enrayée : elle était de 7,5 % en 2005, le taux étant de plus 8,5 % dans les transports publics, chiffres publiés dans le rapport du Sénat.

Les effectifs en charge de la police de proximité sont, depuis 2002, redéployés vers d'autres services qui deviennent prioritaires aux yeux du ministre, notamment la lutte contre l'immigration, ce dont la police de l'air et des frontières, la PAF, et la DST profitent.

De même, la création d'une police des transports affaiblit la présence policière sur la voie publique et, faute de budget pour le paiement d'heures supplémentaires, des agents de police sont priés de récupérer leurs heures à domicile. Ainsi, dans le commissariat de police que je connais le mieux, celui de ma ville, 10 % de la totalité des effectifs sont assignés à leur domicile, et donc inemployables, sur une période allant de six mois à deux ans !

Pis, « le changement des modes d'intervention de la police s'est traduit par une dégradation des relations entre la police et la population [...], les habitants déclarant craindre des violences ou de l'irrespect ».

La relation de confiance est rompue et le déploiement de forces n'a eu qu'un effet contreproductif.

La mission commune d'information, que l'on ne peut accuser de complaisance, dresse ainsi le tableau des tensions entre police et habitants : augmentation constante des procédures pour outrages ; propension croissante des policiers à se constituer partie civile montrant une personnalisation des conflits ; multiplication des saisines de la commission de déontologie ; contrôles d'identité à répétition - jusqu'à plusieurs fois par jour - vécus comme autant d'humiliations...

Pour faire face au déficit d'encadrement des fonctionnaires de police, il faudrait une meilleure valorisation des rémunérations et des carrières.

Pour atténuer la défiance entre policiers et habitants, il faudrait apprendre aux gardiens de la paix à mieux connaître les jeunes qu'ils côtoient dans les quartiers et les former à la lutte contre les discriminations.

Pour une action au plus près des réalités du terrain d'intervention, il faut réactiver une véritable police de proximité.

Voilà autant de propositions, non pas de la gauche - elles ne sauraient trouver grâce à vos yeux -, mais de la mission commune d'information.

Le regain de tension actuel traduit les manquements de votre gouvernement, qui, au-delà des affichages sécuritaires, n'a su ni prendre la mesure de la désespérance des banlieues ni en déterminer les causes avec justesse. Le rapport de la mission commune d'information en témoigne, les élus que nous sommes le répètent depuis des mois : l'heure est au bilan et au changement de cap.

Nous vous demandons non pas de vous renier, mais simplement d'entendre les appels des élus sur le terrain et des populations, qui n'ont pas choisi leur lieu de vie. Ne serait-ce que parce qu'elles sont assignées à certains territoires, elles méritent plus que d'autres la solidarité nationale pour elles et leurs familles. C'est en tout cas notre conception, et c'est elle qui nous guidera dans la détermination des politiques nationales, sous votre gouvernement comme sous celui qui, je n'en doute pas, lui succédera quand nos concitoyens pourront s'exprimer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur Peyronnet, je tiens à mon tour à vous remercier de votre initiative : c'est une formidable occasion que nous offre à travers vous le groupe socialiste du Sénat d'aborder le bilan de la lutte contre l'insécurité depuis 2002 et de mettre ainsi en lumière l'action ambitieuse et déterminée que Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin ont menée depuis quatre ans et les résultats incontestables de notre politique.

M. Jean-Claude Peyronnet. C'était le but ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je tiens d'abord, au nom du ministre d'État, à saluer une nouvelle fois l'engagement au quotidien des policiers et gendarmes qui ont permis d'obtenir, ces quatre dernières années, un net recul de la délinquance, répondant ainsi, en matière de sécurité, aux attentes, anciennes, de nos concitoyens.

Depuis mai 2002, la délinquance générale a baissé de près de 9 %, résultat que certains ont contesté, mais que je démontrerai dans la suite de mon exposé par des preuves irréfutables.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je rappelle tout de même qu'entre 1998 et 2002 vous utilisiez le même baromètre que nous et qu'il était tous les mois à la hausse !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Personne ne peut contester l'intégrité des fonctionnaires chargés de la lecture de ce baromètre. Or ce sont les résultats communiqués par ces fonctionnaires au ministre de l'intérieur que celui-ci rend publics tous les mois et il se trouve que les chiffres annoncés par les ministres de l'intérieur qui se sont succédé entre 1997 et 2002 faisaient apparaître une montée de la délinquance, la hausse étant allée jusqu'à atteindre 14,5 %, alors que les chiffres font aujourd'hui apparaître une baisse de 9 %. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Dès lors, comment pouvez-vous contester cette baisse ? Vous pouvez continuer d'égrener vos propres chiffres, mais, en tout état de cause, ceux que j'avance sont incontestables.

M. Pierre-Yves Collombat. Tous les statisticiens les contestent !

M. Jean-Claude Peyronnet. L'Observatoire de la délinquance aussi !

M. Charles Gautier. Y compris son président !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. D'ailleurs, depuis le début de cette année, la délinquance a encore reculé de 0,9 %.

M. Richard Yung. Méthode Coué !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je souligne qu'entre 1998 et 2002 elle augmentait régulièrement et inéluctablement.

M. Pierre-Yves Collombat. Jusqu'en mai seulement !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Le taux d'élucidation des crimes et délits a progressé de plus de 40 % en quatre ans.

M. Pierre-Yves Collombat. Alors, tout va bien !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Cette augmentation de 40 %, à laquelle nos forces de sécurité - qui, entre nous soit dit, sont les mêmes qu'avant 2002, mais auxquelles nous avons donné des outils nouveaux - ont pu parvenir grâce à la nouvelle organisation voulue par le législateur, en tout cas voulue par ceux, et ceux-là seuls, qui ont voté la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et la loi pour la sécurité intérieure, est elle aussi incontestable.

M. Pierre-Yves Collombat. Elle n'a pas le sens que vous lui donnez !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. En ce qui concerne plus spécifiquement la délinquance de voie publique, celle qui empoisonne en réalité la vie de nos concitoyens au quotidien, elle a reculé de 23 % depuis mai 2002, alors qu'entre 1998 et 2002 elle avait augmenté de 10,5 %. Là aussi, que chacun assume son bilan ! Nos résultats sont incontestables et l'outil statistique n'a pas été modifié.

Vous semblez, en quelque sorte, mettre en cause l'action des policiers.

M. Richard Yung. C'est faux !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Moi, je veux rendre hommage à leur travail, à leur professionnalisme et à leur courage.

Je ne sais pas de quoi sera fait l'avenir politique de notre pays, mais, quels que soient, dans le respect de la démocratie, les responsables de demain, le devoir de chacune et de chacun d'entre nous, dès lors qu'une baisse de la délinquance succède à la hausse que nous avons connue jusqu'à 2002, est tout de même de tenter d'ancrer durablement ces résultats.

C'est pourquoi Nicolas Sarkozy a souhaité ouvrir de nouvelles perspectives dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance voté en première lecture par le Sénat il y a quelques semaines.

Quant au rôle de la police en matière de prévention, de répression et de proximité, monsieur Peyronnet, vous évoquiez « l'exagération du Gouvernement à privilégier le versant répressif de la police ». Permettez-moi une petite digression sémantique sur le sujet en revenant quelques instants sur la notion de sécurité de proximité. En effet, un faux débat s'est instauré en France à cet égard.

Personne n'a abandonné la proximité,...

M. Thierry Repentin. Dites-le aux maires : ce sont eux qui ont le sentiment d'être abandonnés !

M. Christian Estrosi, ministre délégué.... sauf peut-être le gouvernement socialiste entre 1997 et 2002.

M. Pierre-Yves Collombat. Allez le dire au congrès des maires !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous avez dit voilà quelques instants avoir inventé en 1997 la police de proximité, mais permettez-moi de vous rappeler que c'est le ministre de l'intérieur Charles Pasqua qui l'a créée sous le gouvernement d'Édouard Balladur, entre 1993 et 1995.

M. Thierry Repentin. C'est du révisionnisme !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Hélas ! vous avez vidé ses missions de leur contenu, raison pour laquelle nous avons dû reprendre en 2002 cette politique de proximité que vous aviez abandonnée entre 1997 et 2002 en cherchant à l'adapter à la réalité des problèmes de sécurité pour en venir à une notion de sécurité de proximité.

En effet, vider de sa substance l'action de la police de proximité, c'était en quelque sorte essayer de transformer nos policiers, qui pour beaucoup d'ailleurs s'en sont plaints à l'époque, en « agents d'ambiance »,...

MM. Bernard Frimat et Charles Gautier. Caricature !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous insultez les policiers !

M. Christian Estrosi, ministre délégué.... ce qui n'était pas le but du jeu. C'est pourquoi il nous fallait revenir à une vraie politique de sécurité de proximité.

MM. Jean-Patrick Courtois et Christian Demuynck. Très bien !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Les résultats de l'abandon de cette politique, nous les connaissons malheureusement bien et je les ai rappelés tout à l'heure.

Depuis 2002, la démarche de Nicolas Sarkozy n'est pas doctrinaire : elle est fondée sur une analyse lucide et pragmatique de chaque situation locale. La présence policière a été renforcée aux heures et dans les lieux les plus criminogènes, ce qui, là encore, dénote la grande différence qui existe entre votre notion de la proximité et la nôtre.

Pour vous, la proximité consistait à faire du « relationnel » à partir de neuf heures du matin puis à « tirer le rideau » à dix-neuf heures. Or, ce qu'attendent les Françaises et les Français de notre part, c'est au contraire une sécurité de proximité aux heures où les menaces sont les plus importantes et notamment la nuit. C'est la raison pour laquelle nous avons réorganisé et restructuré les actions de proximité de la police dans ce sens.

Cette démarche n'a pas remis en cause les principes fondamentaux de la police de proximité, mais elle a rééquilibré l'action de la police sur le volet judiciaire et sa présence sur la voie publique. C'est la nouvelle stratégie qui a été définie par la LOPSI et mise en oeuvre par la circulaire du 24 octobre 2002.

La proximité, c'est être à l'écoute des besoins de la population, affirmer pour tous le droit à la sécurité et arrêter les délinquants.

La population attend en effet d'une police de proximité qu'elle lui permette de vivre librement et en sécurité. Elle n'a que faire de policiers qui se promènent sur la place du quartier et parlent gentiment à tel ou tel dont on sait qu'il participe à l'organisation de divers réseaux et au développement de l'économie souterraine, et qui menace tous les soirs dans leur cage d'escalier les gens qui rentrent paisiblement du « boulot ».

Au cours des années qui ont précédé 2002, vous avez laissé se développer la désespérance de la population, laquelle attend des policiers qu'ils interpellent, poursuivent et arrêtent les délinquants qui « pourrissent » la vie de la grande majorité des citoyens qui habitent ces quartiers.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous parlez de la population, mais permettez-moi de vous dire que, si vous êtes sensibles à la situation d'une toute petite minorité, pour notre part, nous sommes attentifs à l'immense majorité des habitants de ces quartiers, qui souhaitent que l'on soit près d'eux, que l'on réponde à leur exaspération et à leurs attentes, qui ne supportent plus de voir jour après jour les mêmes caïds les menacer et les empêcher de vivre paisiblement.

M. Pierre-Yves Collombat. En quatre ans, vous auriez pu les arrêter !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il nous faut encourager plus encore les comportements citoyens. La lutte contre l'insécurité est bien l'affaire de tous. Le partenariat et le contact avec la population doivent donc être améliorés.

En 2002, Nicolas Sarkozy a redéfini les structures en matière de prévention de la délinquance, en créant notamment les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, qui se substituent aux conseils communaux de prévention de la délinquance et aux comités de suivi des contrats locaux de sécurité.

Nous constatons aujourd'hui une plus forte implication des élus et une concertation plus large que par le passé entre les acteurs de la sécurité et de la prévention.

Une grande majorité de maires se montrent très volontaristes. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.) Il serait d'ailleurs intéressant de comparer certaines actions municipales à d'autres qui accusent un manque de volontarisme et d'en mesurer les conséquences en matière de délinquance pour un certain nombre de quartiers.

M. Thierry Repentin. Allez le dire au maire de Montfermeil !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Les maires ont souvent pris en main le suivi et l'animation des actions à mener. Il est donc tout à fait légitime qu'ils soient au coeur du dispositif, comme le prévoit le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, même si la direction des forces de l'ordre revient sans contestation possible à l'État.

Il reste encore une catégorie de faits que la police et la gendarmerie peinent à réduire : les violences aux personnes, particulièrement dans la sphère privée.

De mai 1998 à avril 2002, les atteintes volontaires à l'intégrité physique ont augmenté de 42 %. De mai 2002 à l'été 2006, la hausse s'est poursuivie, mais elle a été contenue à 12 %.

M. Pierre-Yves Collombat. Nous sommes rassurés !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Certes, ces résultats sont insatisfaisants, mais la comparaison méritait d'être faite.

Je tiens tout particulièrement à souligner l'action des forces de l'ordre car, en matière de lutte contre les violences aux personnes - les violences conjugales, les violences individuelles, les violences familiales, les atteintes sexuelles aux enfants, etc. - le taux d'élucidation a progressé de 8,5 %, passant de 48,4 % en 2002, à 56,9 % en 2006. J'ai ici toutes les statistiques relatives à chaque domaine touchant à la violence ! Et Nicolas Sarkozy est déterminé à lutter sans relâche contre cette montée de violence, qui touche également nos voisins européens.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Les dispositifs sont adaptés en permanence pour améliorer encore l'efficacité de la réponse policière.

Dès 2002, le ministre d'État a ainsi souhaité renforcer la sécurité dans les transports. J'entends aujourd'hui certains donner des leçons ; or je me souviens qu'entre 2000 et 2002 l'insécurité dans les transports en commun, notamment en région parisienne, avait augmenté de 30 %.

Nous avons créé le service régional de police des transports pour sécuriser quotidiennement 1 300 trains en Île-de-France. Les résultats parlent d'eux-mêmes : en 2005, la délinquance a reculé de 7,83 %.

En province, en renfort des unités de sécurisation des transports en commun déjà existantes, trois services interdépartementaux ont été mis en place à Lille, Lyon et Marseille. En janvier de cette année, Nicolas Sarkozy a décidé de créer un véritable service national de police ferroviaire, qui regroupe 2 500 policiers et gendarmes. En neuf mois, son action s'est traduite par une baisse de 3,41 % de la délinquance.

Le 26 octobre dernier, les principaux responsables des transports publics et les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales ont été réunis au ministère de l'intérieur. Tout est mis en oeuvre pour renforcer la sécurité des lignes de bus.

Nicolas Sarkozy a tout d'abord décidé de renforcer immédiatement les patrouilles de police et de gendarmerie sur les itinéraires sensibles, aux heures les plus critiques. Concrètement, cela signifie que, depuis le 26 octobre, 4 000 policiers et gendarmes sont déployés en renfort pour répondre aux risques et aux menaces. Dans chaque département, des plans d'action spécifiques ont été élaborés.

Tous les moyens dont nous disposons sont mobilisés. Si nécessaire, nous utiliserons des hélicoptères munis de puissants projecteurs, comme cela a déjà été fait en Seine-Saint-Denis, dans le Rhône ou dans l'Essonne. Tous les services d'investigation sont mis en oeuvre pour procéder à l'identification des auteurs d'infractions.

À Marseille, les mineurs suspectés d'avoir incendié un bus ont été déférés devant les magistrats. À Lille, les auteurs de l'incendie d'un bus le 29 octobre ont été interpellés.

Il y a un an, notre pays a connu vingt-cinq nuits de violences urbaines. Face à ce déchaînement de violence, la réponse des forces de l'ordre et de la justice a été forte : 6 050 individus ont été interpellés pendant ou après les émeutes, 5 643 ont été placés en garde à vue et 1 328 ont été écroués.

Afin de contenir et de combattre efficacement ces dérives urbaines, nous nous devions d'adapter nos dispositifs. Nous avons donc décidé de déployer vingt-deux unités de CRS et sept escadrons de gendarmerie de manière permanente, dans les lieux et aux horaires les plus sensibles, dans le cadre du plan de renforcement de lutte contre les violences urbaines mis en place dans les dix-huit départements les plus touchés par ce phénomène.

Cette présence accrue sur la voie publique permet d'assurer un meilleur quadrillage de l'espace et apporte une réponse à la fois préventive et répressive à tout acte ou toutes prémices de violence urbaine.

En 2005, nous avons utilisé des hélicoptères afin de mieux surveiller certains secteurs. Nous disposons désormais de moyens aériens pour répondre à de nouveaux débordements éventuels.

En complément de cette action coordonnée des services territoriaux - la sécurité publique, les CRS, les renseignements généraux et la police judiciaire -, l'activité des groupes d'intervention régionaux a été orientée vers les quartiers sensibles, afin d'agir en profondeur sur l'économie souterraine. Ce travail contre l'économie souterraine est l'un des axes prioritaires de notre politique.

En quatre ans, les GIR ont permis de saisir plus de 1 650 armes, 1 480 véhicules, 5,2 tonnes de cannabis, 145 kilos de cocaïne et d'héroïne et près de 29,5 millions d'euros issus de l'économie souterraine.

M. Thierry Repentin. Grâce à Doc Gyneco !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Permettez-moi de vous faire remarquer la différence entre notre action et votre vision de la police de proximité, qui consistait à faire des politesses et à acheter la paix sociale en refusant de savoir ce qui se passait réellement dans ces quartiers. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Pour notre part, nous avons décidé de faire agir transversalement la police, la gendarmerie, les magistrats, les douaniers, l'inspection du travail et l'inspection fiscale. Grâce à cette action, nous avons pu démanteler ces réseaux d'économie souterraine où circulaient des milliers d'armes et de voitures volées, des tonnes de cannabis, près de 150 kilos de cocaïne, et qui généraient 30 millions d'euros de recettes,...

M. Christian Estrosi, ministre délégué.... réseaux sur lesquels vous fermiez en quelque sorte les yeux. Voilà des résultats concrets ! Notre vision de la police de proximité est donc bien différente de la vôtre. Nous avons demandé aux policiers non pas de jouer au football ou de serrer des mains, mais simplement d'arrêter les délinquants. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Christian Demuynck. Très bien ! C'est leur « boulot » !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il était également devenu nécessaire de se doter d'un outil performant, capable à la fois de recenser les faits de violences urbaines et de mesurer l'activité des services, pour adapter en temps réel la réponse policière et la rendre ainsi plus efficace.

Cette initiative s'est traduite par la création d'un indicateur national des violences urbaines. L'ensemble du dispositif est désormais coordonné par un bureau national de coordination de la lutte contre les violences urbaines.

Ainsi, au cours des neufs premiers mois de l'année 2006, dans les dix-huit départements bénéficiant de ce plan, 3 016 individus ont été interpellés, dont 1 077 incendiaires ; 2 678 d'entre eux, soit 88,8 %, ont été placés en garde à vue, et 284, soit 9,4 %, ont été écroués. Il est à noter que 46 % de ces mesures de garde à vue concernaient, hélas ! des mineurs.

Parallèlement, l'action des CRS dans ces départements a donné lieu à plus de 20 000 interpellations.

S'agissant des violences aux forces de l'ordre, l'augmentation du nombre d'attroupements hostiles et surtout de prises à partie violentes dans les quartiers sensibles apparaît clairement comme le corollaire de l'intervention directe des services contre des délinquants réfractaires à toute forme d'autorité, qui ont installé leurs trafics au coeur des quartiers.

Certains, tout à l'heure, parlaient de « quartiers de non - droit ». Comment peuvent-ils, dans le même temps, nous reprocher de faire pénétrer dans ces quartiers l'ensemble des forces de police ? Ce n'était pas le cas avant 2002 et cela apparaît quelquefois comme une provocation aux yeux de ceux qui vivaient tranquillement des réseaux qu'ils administraient. Cela ne leur plait pas et ils réagissent contre l'autorité !

M. Pierre-Yves Collombat. Par l'incendie de voitures !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. La présence et l'action soutenue des forces de l'ordre gênent ces individus dans leurs activités illicites. Ils y répondent par une extrême violence pour préserver leur territoire. Vous ne pouvez pas dénoncer l'existence de zones de non - droit et nous reprocher parallèlement d'intervenir au sein de ces territoires, où ceux qui refusent notre intervention tendent des guets-apens à la police nationale.

M. Pierre-Yves Collombat. Et les voitures flambent !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Sur un sujet aussi grave que les atteintes à l'institution policière, il faut être précis !

On ne peut tout d'abord que constater que les violences à dépositaires de l'autorité sont en augmentation constante ces dernières années : en quatre ans, de mai 2002 à avril 2006, elles ont progressé de 34,3 %. On peut s'interroger sur ce chiffre : pourquoi y a-t-il plus d'atteintes à l'institution aujourd'hui qu'auparavant ? Simplement parce qu'il y a davantage de policiers qui interviennent.

Nous avons eu très tôt conscience de ce phénomène et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de moderniser l'équipement des policiers en les dotant de gilets pare-balles ou, plus récemment, de pistolets à impulsion électrique.

Les délinquants n'hésitent plus désormais à s'en prendre directement aux policiers en empêchant physiquement leur action ou en leur tendant des guets-apens. On note un recours très fréquent à des jets de projectiles, d'engins incendiaires, d'objets lourds extrêmement dangereux.

Il s'agit non plus de simples provocations visant à défier l'autorité ou à dénoncer une intervention policière considérée comme injuste,...

M. Pierre-Yves Collombat. La situation se dégrade, alors !

M. Christian Estrosi, ministre délégué.... mais de véritables opérations destinées à porter délibérément atteinte à l'intégrité physique des policiers qui sont aujourd'hui devenus des cibles. En témoignent les événements des Tarterets, des Mureaux, et plus récemment de la Courneuve et d'Épinay-sur-Seine.

Ces attaques ont pour seul et unique but de dissuader les forces de l'ordre de se rendre dans ces secteurs sensibles. En 2005, 4 246 policiers avaient été blessés en mission, contre 2 890 depuis le début de l'année 2006.

Pour combattre cette violence, les forces de l'ordre procèdent à des fouilles régulières des parties communes, des toits et terrasses des immeubles des quartiers sensibles, afin de réduire les lieux de stockage d'objets susceptibles d'être utilisés comme des armes par destination.

Les forces de l'ordre mènent également des opérations de sécurisation, et j'ai demandé que l'on adapte les règles d'utilisation des compagnies républicaines de sécurité dans les quartiers.

Enfin, les forces de l'ordre effectuent un travail de fond, ciblé sur les délinquants particulièrement actifs dans certaines cités, afin de mettre un terme à l'économie souterraine et au sentiment d'impunité, particulièrement propice à la remise en cause de l'autorité de l'État. Cela implique une réponse judiciaire adaptée à la gravité des délits.

Et permettez-moi en cet instant précis, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous dire que la sécurité de nos concitoyens ne se limite pas à l'action de la police et de la gendarmerie : elle dépend d'un certain nombre d'intervenants. Nous avons tous, en héritage, vingt ou trente ans de politique successive en matière d'urbanisme, d'emploi, d'action sociale, d'éducation nationale, de justice, qui rendent la tâche particulièrement difficile.

Nous rendons hommage ensemble, parce que c'est notre devoir d'unité nationale, à l'action de la police et de la gendarmerie depuis 2002 dans le cadre des nouvelles dispositions que nous avons prises, notamment avec la LOPSI et la LSI. Mais lorsqu'on regarde les chiffres, à savoir le nombre d'interpellations et le taux d'élucidation - qui n'ont cessé de croître depuis 2002, madame Assassi ! -, et, en vis-à-vis, les sanctions qui ont été prononcées, nous constatons malheureusement que la colonne des sanctions reste désespérément vide. Il est donc légitime de se poser des questions !

M. Gérard César. C'est vrai !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je comprends la perplexité du policier ou du gendarme qui interpelle un dangereux délinquant le matin, le remet entre les mains de la justice pendant la journée, et l'arrête de nouveau le soir. Il est en droit de s'interroger sur les instructions qui lui ont été données par sa hiérarchie.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Aussi, quand le ministre d'État, ministre de l'intérieur, évoque la nécessité d'appliquer des peines planchers aux multirécidivistes et de réformer certaines des dispositions contenues dans l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, notamment l'âge de la majorité pénale, il apporte une réponse concrète aux problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. Le délinquant mineur de 2006 n'a rien à voir avec celui de 1945 !

On me fait observer que la mise en place de peines planchers serait inadmissible, contraire à la Constitution, à nos principes et aux libertés individuelles. Mais jusqu'à la réforme de 1993, notre code pénal prévoyait des peines planchers, et il comprend encore bien des dispositions, en dehors de la répression de la délinquance, qui permettent l'application de peines automatiques.

Rien ne s'oppose à l'adoption de mesures qui, par exemple, doubleraient ou tripleraient la durée de la peine encourue lors d'une première ou d'une deuxième récidive, afin de doter la chaîne pénale des outils efficaces qui lui permettront de mieux fonctionner.

Comme le soulignait ce matin le ministre d'État, ministre de l'intérieur, lors d'une réunion avec les préfets, les procureurs et les recteurs, quand on construit une maison, il y a nécessairement un plancher et un plafond.

M. Pierre-Yves Collombat. Il y a même des murs !

M. Robert Bret. Et des fondations !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Que je sache, tous nos textes de loi prévoient des peines plafonds. Pourquoi, dès lors, serait-il impossible de prévoir dans notre législation des peines planchers ?

M. Pierre-Yves Collombat. Parce que nous ne vivons pas sous un régime totalitaire !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ceux qui critiquent la volonté du ministre de l'intérieur de créer de telles peines versent donc dans une caricature qui confine à la désinformation, à moins qu'il ne s'agisse d'ignorance.

Si nous tenons à instituer des peines planchers, c'est parce que le sentiment d'impunité favorise la délinquance et que nous voulons qu'un multiréciviste soit condamné a minima. L'État doit apporter une réponse ferme au problème posé par ceux qui ne respectent plus rien ni personne.

Enfin, en matière de délinquance des mineurs, le nombre de ceux qui sont mis en cause est en augmentation constante : 98 864 en 1996, 177 000 en 2001 et 193 000 en 2005. C'est pourquoi nous tentons d'apporter des réponses pragmatiques, adaptées à ces jeunes adultes délinquants qui ont très largement passé l'âge de l'incrédulité.

La sécurité publique dispose de personnels spécialisés et met en place des actions ciblées. Elle participe également à la politique de prévention par le biais, notamment, des centres de loisirs des jeunes et des opérations de prévention d'été.

M. Christian Demuynck. Tout à fait !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Peyronnet, comment pouvez-vous arguer que les forces de police ne font que de la répression ? Et comment pouvez-vous rester aveuglé par l'angélisme de vos camarades, alors même que le comportement de certains de ces jeunes délinquants est tout simplement barbare ?

La réponse aujourd'hui est claire : le statut pénal des jeunes délinquants issu de l'ordonnance de 1945 n'est plus adapté.

Comment pouvez-vous accepter qu'un jeune mineur arrêté pour quelque fait délictuel ou criminel soit déjà connu des services de police pour des faits antérieurs, parfois de même nature ?

Nous ne pouvons plus supporter l'intolérable. C'est pourquoi le projet de loi sur la prévention de la délinquance, que vous avez récemment voté, comporte un large volet sur la délinquance des mineurs.

Nicolas Sarkozy sera intraitable sur ce sujet, alors qu'une jeune femme se trouve aujourd'hui encore entre la vie et la mort après avoir été brûlée dans un bus par une bande d'individus que l'on ne peut qualifier que de barbares.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, sur la question de la délinquance, je vous entends régulièrement évoquer « les jeunes », en général. Permettez-moi de vous dire qu'il s'agit là d'une insulte à l'égard de la jeunesse de nos quartiers...

M. Christian Estrosi, ministre délégué.... qui, à 90 %, est noble, talentueuse, courageuse, travailleuse, désireuse d'ascension sociale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Pierre-Yves Collombat. Et elle adore les contrôles d'identité !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Quant aux mineurs âgés de 15 ou 17 ans qui ont commis un acte aussi atroce contre un bus à Marseille, ce sont non pas des jeunes, mais tout simplement des barbares, et ils ne méritent pas d'autre qualification.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je veux remercier Jean-Patrick Courtois du soutien qu'il a apporté à l'action du Gouvernement. Il peut d'ailleurs s'attribuer une part des résultats du ministre d'État, ministre de l'intérieur, puisqu'il a été, devant la Haute Assemblée, le rapporteur de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et de la loi pour la sécurité intérieure.

Monsieur Alfonsi, j'ai beaucoup de respect pour vous et je vous remercie d'avoir été très modéré dans votre intervention. Vous avez reconnu, notamment, que les chiffres étaient bons, mais vous avez déploré la persistance des problèmes.

Vous avez rendu hommage à la police nationale, et je vous en suis reconnaissant, mais vous avez également affirmé que la gendarmerie dissuadait un certain nombre de victimes de porter plainte. Or il est grave, me semble-t-il, de mettre en cause les militaires de la gendarmerie nationale, qui ont choisi ce métier, qui se sont engagés au service de la sécurité des personnes et des biens et qui travaillent souvent sur des territoires très difficiles ; le département dont vous êtes l'élu, monsieur Alfonsi, est l'un des plus durs de France. Je ne pense pas un instant qu'un seul militaire de la gendarmerie de notre pays puisse être animé d'un tel état d'esprit. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Gautier. C'est de l'angélisme !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Alfonsi, vous avez rendu hommage à la police nationale ; pour ma part, je veux saluer l'ensemble des forces de sécurité intérieure pour leur intégrité, leur courage et leur détermination. Police et gendarmerie sont totalement associées dans cette lutte contre l'insécurité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Thierry Repentin. Vous ignorez la réalité, monsieur le ministre ! Vous pratiquez la politique de l'autruche !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Alfonsi, vous nous avez reproché d'avoir fait voter trop de textes. Mais ne pensez-vous pas que, dans une société en pleine évolution en raison des technologies de l'information, où des risques d'une nature nouvelle apparaissent tous les jours, la responsabilité d'un gouvernement, quel qu'il soit, est d'essayer d'apporter des réponses précises aux problèmes qui se posent ?

À titre d'exemple, après les attentats de septembre 2001 à New York, M. Vaillant, ministre de l'intérieur du gouvernement de M. Jospin, a soumis au Parlement un projet de loi sur la sécurité quotidienne, et l'ensemble de l'opposition de l'époque a adopté ces dispositions, afin de lutter contre les menaces terroristes auxquelles nous étions confrontés.

Je citerai l'une de ces mesures, qui aurait pu être considérée comme une atteinte aux libertés fondamentales : l'autorisation pendant trois ans des fouilles de voitures, réputées jusqu'alors propriétés privées. Pourtant, sans faillir, l'opposition a été présente au rendez-vous et a voté ce texte, au lendemain des attentats de septembre 2001, car elle considérait qu'il était de son devoir d'offrir à la police et à la gendarmerie les outils nécessaires pour lutter contre le terrorisme.

Monsieur Alfonsi, si nous soumettons régulièrement des textes au Parlement, c'est pour répondre à des événements nouveaux. Ainsi, au mois de janvier dernier, au lendemain des attentats perpétrés dans le métro de Londres, nous avons présenté un projet de loi contre le terrorisme en raison des échanges que nous avons eus avec les services de sécurité du Royaume-Uni.

Nous avons donc tout naturellement proposé au Parlement de nous donner les moyens, notamment, d'équiper les lieux publics de caméras de télésurveillance, de conserver les données électroniques et d'exiger des opérateurs qu'ils gardent une trace de leur activité, en particulier quand ils gèrent des lieux publics comme les cybercafés. En effet, ces derniers, nous le savons, sont susceptibles d'être utilisés par des terroristes.

Il est normal que le Gouvernement propose sans cesse d'adapter la législation à l'évolution des événements, afin de doter nos forces de police et de gendarmerie des outils adaptés.

M. Charles Gautier. Encore faut-il appliquer ces textes !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. D'ailleurs, je regrette que, sur tous ces sujets, l'opposition actuelle ne soit pas animée du même esprit de responsabilité que celui dont nous avions fait preuve avant 2002. Elle est même allée jusqu'à déposer un recours devant le Conseil constitutionnel sur la conservation des données électroniques, alors que nous savons combien cette disposition peut être efficace pour éviter des attentats dans notre pays.

Monsieur Alfonsi, vous m'avez également interrogé sur la Corse. Vous avez évoqué, notamment, les neuf assassinats et les onze tentatives de meurtres commises dans l'île depuis le début de l'année. Si je vous réponds que les enquêtes sont en cours, vous ne serez sans doute pas satisfait ! Je soulignerai donc que, depuis le début du mois de janvier, il y a eu 120 interpellations et 17 mises sous écrous.

S'agissant de l'article paru dans le magazine Corsica, auquel vous faisiez référence tout à l'heure, sachez que les deux journalistes concernés ont été convoqués et entendus aujourd'hui par la DRPJ d'Ajaccio et que le parquet de Paris est saisi d'une enquête préliminaire. J'espère que ces indications seront de nature à répondre à vos inquiétudes.

Madame Assassi, je vous ai répondu sur la justice des mineurs et la suppression de la police de proximité.

Vous vous êtes élevée contre la répression policière et les provocations dans les banlieues, en faisant référence, notamment, aux émeutes de novembre 2005. Or la France est regardée partout dans le monde comme un exemple. Elle a connu trois semaines d'émeutes urbaines pendant lesquelles on n'a compté aucun mort...

M. Thierry Repentin. Il y a eu trois morts !

M. Christian Estrosi, ministre délégué.... grâce au sang-froid, à la lucidité et au courage de la police et de la gendarmerie, qui ont particulièrement bien géré cette crise exceptionnelle.

Lorsque nous observons ce qui se passe dans d'autres grandes démocraties en la matière, nous constatons que l'action de la police française face à de tels événements est tout à fait exemplaire.

Monsieur Collombat, vous avez évoqué tout à l'heure la transparence et la fiabilité des données statistiques en matière de sécurité. J'ai déjà répondu sur ce point ; je rappellerai simplement que le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire a décidé de rendre publics chaque mois les résultats des départements en matière de lutte contre la délinquance. Le 4 novembre 2003, il a créé l'Observatoire national de la délinquance, l'OND, qui est présidé par M. Alain Bauer.

L'OND recueille les données statistiques et les exploite en procédant aux analyses globales ou spécifiques de la délinquance. Il permet donc de rendre plus lisible l'état 4001, ce baromètre de la délinquance que nous utilisons depuis longtemps, en lui apportant une expertise statistique supplémentaire et un surcroît de transparence.

D'ailleurs, l'OND prépare actuellement une enquête de victimation sur 20 000 personnes, qui concernera les violences.

Monsieur Demuynck, qui êtes élu de la Seine-Saint-Denis, je vous remercie tout d'abord du soutien que vous m'avez apporté aujourd'hui, et plus largement de votre action constante en faveur des projets du ministre de l'intérieur

Vous m'avez interrogé sur la gestion des nouveaux effectifs de police qui ont été annoncés, ainsi que sur le calendrier de leur mise en place. Je veux vous apporter des réponses précises.

Le 1er décembre 2006, 298 gardiens de la paix de la 208e promotion ont été affectés ; le 1er février 2007, 175 gardiens de la paix de la 209e promotion le seront à leur tour ; le 1er mai 2007, 100 gardiens de la paix de la 210e promotion seront également affectés. Cela représentera 573 arrivées entre le 1er décembre 2006 et le 1er mai 2007, soit, après une prise en compte des départs à la retraite, une progression en solde net de 396 policiers pour le département de la Seine-Saint-Denis.

Monsieur Gautier, vous avez rappelé le colloque de Villepinte. Je dois reconnaître qu'à l'époque j'avais été particulièrement séduit par les débats organisés par le gouvernement Jospin, qui semblaient augurer un changement heureux s'agissant de l'approche des problèmes de sécurité. Malheureusement, vous en êtes restés à des déclarations d'intention : chaque fois qu'il a fallu apporter des réponses concrètes, vous avez reculé. Rappelez-vous notamment l'échec de la tentative de redéploiement, qui avait pourtant été annoncé à grand renfort de publicité au lendemain de ce colloque ! (M. Pierre-Yves Collombat s'exclame.)

Monsieur Repentin, je vous ai déjà répondu sur la police de proximité, mais vous semblez attacher une attention toute particulière à la prévention. Qu'a fait d'autre le ministre d'État en présentant le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, qui a été récemment examiné par le Sénat ? En matière de prévention, monsieur Repentin, non seulement votre contribution est inexistante, mais vous vous êtes même opposé à ce texte ! (M. Thierry Repentin s'esclaffe.) Nos échanges d'aujourd'hui vous amèneront peut-être à réfléchir d'ici à la seconde lecture. Nous prévoyons d'ailleurs de renforcer un certain nombre de dispositions.

Je conclurai en vous remerciant de nouveau, monsieur Peyronnet, ainsi que l'ensemble des membres du groupe socialiste : ce débat a été une formidable occasion de rappeler un certain nombre de vérités.

M. Christian Demuynck. C'est exact !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous vous répétez !

M. Thierry Repentin. Vous avez été très convaincant !

M. Charles Gautier. Rien que des mots !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Au terme de cette discussion, ma conviction est que ceux qui, aujourd'hui, ont voulu une nouvelle fois saisir cette opportunité pour dissimuler leur échec de la période 1997 - 2002,...

M. Pierre-Yves Collombat. Cela fait quatre ans !

M. Christian Estrosi, ministre délégué.... sont ceux qui n'ont cessé de s'opposer depuis 2002 aux mesures que nous avons suggérées pour renforcer l'action de la police et de la gendarmerie.

M. Pierre-Yves Collombat. Ce que vous proposez ne sert à rien !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je pense notamment à la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, qui avait pour objet de corriger vos erreurs fatales en matière d'effectifs de police.

M. Charles Gautier. On a déjà entendu cela !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Les 35 heures, mesdames, messieurs les sénateurs (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.),...

M. Pierre-Yves Collombat. Cela nous manquait !

M. Thierry Repentin. Les fondamentaux !

M. Christian Estrosi, ministre délégué.... ont entraîné la suppression de 9 000 postes dans la police nationale. Et vous n'avez prévu en aucun cas la compensation des effectifs supprimés.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est grâce à la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, à laquelle vous vous êtes opposés, qu'entre 2002 et 2007 les effectifs auront augmenté : 7 500 gendarmes et 6 500 policiers supplémentaires ont été prévus aux termes de la loi de finances pour 2007.

Dois-je évoquer la loi relative à la lutte contre le terrorisme, contre laquelle vous vous êtes élevés ? Dois-je mentionner le fichier national automatisé des empreintes génétiques ? À ce jour, il a permis de résoudre près de 4 800 affaires en matière de crimes les plus odieux dans notre pays et de mettre hors circuit de dangereux criminels. Pourtant, vous aviez déposé un recours devant le Conseil constitutionnel.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ce fichier comporte près de 350 000 noms aujourd'hui, contre 4 000 auparavant ; en cela, il se rapproche de celui du Royaume-Uni, qui avait une large avance dans ce domaine.

Vous vous êtes opposés à ce dispositif, il faut que les Français le sachent. C'est grâce à la majorité que nous avons pu moderniser notre action en matière tant de police scientifique que de prévention de la délinquance. Nous sommes là au coeur du débat. Je sais que, sur ce sujet, votre attitude ne changera pas.

Monsieur Collombat, vous avez terminé votre intervention par ces mots : paroles, paroles, paroles. Je conclurai en disant, au nom de Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur, qu'en ce qui nous concerne c'est : action, action, action ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre-Yves Collombat. Paroles, paroles, paroles !

M. Bernard Frimat. Gesticulation, gesticulation !

Mme la présidente. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.