M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Elle l'est !
M. Denis Badré. Alors on pourra dire qu'à quelque chose malheur fut bon...
Le « retour en Europe », monsieur le secrétaire d'État, c'est aussi les symboles. Le choix a été fait de ne plus les « consacrer » dans le traité, dont acte. Ce n'est pas pour autant qu'ils ont moins d'importance dans une Union dont les valeurs constituent l'identité. Et c'est vrai même à Mayotte ; mon cher collègue Adrien Giraud me le rappelait encore à l'instant, en déplorant que cette collectivité ne soit pas encore concernée par les fonds structurels. Monsieur le secrétaire d'État, cette incidente résulte d'un pari : je m'étais engagé auprès de M. Adrien Giraud à citer sa préoccupation, dont nous connaissons tous la réalité et l'importance, concernant Mayotte. (M. Adrien Giraud applaudit.)
Le Président de la République a manifesté son attachement aux valeurs et aux symboles en donnant un sens européen aux cérémonies du 14 juillet et du 11 novembre, et c'était bien. Vous le manifestez vous-même en toutes occasions, monsieur le secrétaire d'État, et je vous en remercie. Je vous sais gré en particulier d'avoir fait pavoiser le Quai d'Orsay aux couleurs de l'Union, aux côtés de nos couleurs nationales, montrant là aussi, en un lieu et d'une manière hautement symboliques, que l'on ne pourra plus opposer intérêts nationaux et intérêts communs.
Une démarche vient d'être lancée par seize États de l'Union pour demander une reconnaissance éclatante de ces symboles que sont le drapeau, l'hymne, la devise et sans aucun doute, même si c'est d'abord un instrument, notre monnaie. Cette démarche va dans le bon sens et nous devrions nous y associer d'une manière ou d'une autre.
Comme va également dans le bon sens la « nouvelle proclamation » de la Charte des droits fondamentaux, aujourd'hui même à Strasbourg, où vous vous rendrez d'ailleurs à l'issue de notre débat de ce matin, monsieur le secrétaire d'État.
Comme doit pouvoir aller dans le bon sens et répondre à l'attente de nos concitoyens la mise en place d'un Comité des sages ou d'un groupe de réflexion à haut niveau chargé de faire des propositions concernant l'avenir de l'Union.
La société change. Elle s'est profondément transformée depuis les pères fondateurs. C'est notamment sur Internet que le « non » l'a emporté, signe de ces bouleversements. Les citoyens veulent « participer » toujours davantage. Il faut prendre en compte leur attente et leur disponibilité, leurs insatisfactions comme leurs ambitions.
Le Comité pourrait donc se demander quelles raisons pousseraient aujourd'hui à la création d'une Union européenne si elle n'existait pas encore, quelle configuration on lui donnerait alors et quel serait son projet au service des Européens et dans le monde ?
Le Comité devra surtout réfléchir aux voies et moyens nécessaires pour restaurer le sens d'un intérêt commun, mis à mal, jour après jour, par des débats tels que celui sur les retours nets. Où sont les « valeurs » là où l'on voit d'abord l'expression des égoïsmes nationaux et des « j'en veux pour mon argent » ?
C'est pour cela que je souhaite, pour ma part, que le Comité s'appuie sur le mandat le plus ouvert possible, que sa composition soit au maximum laissée à la main du président - ou de la présidente - qui sera chargé de l'animer. Ne bridons surtout pas la réflexion et l'imagination. C'est notre avenir qui est en jeu.
Les travaux de ce comité pourront et devront au passage saluer le chemin parcouru depuis la guerre, au fil des élargissements et des approfondissements. On ne le fait jamais assez, tout encombrés que nous sommes des difficultés de l'instant.
On en verra encore une étape, le 21 décembre prochain, avec l'élargissement de l'espace Schengen qui comptera alors vingt-trois États. Vous le rappeliez tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État, pour vous en réjouir. J'ai été heureux à cet égard et très honoré de vous accompagner la semaine dernière en Slovaquie pour voir dans quelles conditions de sérieux et d'efficacité nos partenaires slovaques s'étaient préparés à cette échéance, avec notamment - il faut le dire et nous en réjouir, là aussi - le concours d'experts français.
L'Union ouvre un avenir à notre continent, à chacun de ses peuples, à chacun d'entre nous et à nos enfants. Dans le monde tourmenté d'aujourd'hui, l'Union est un signe d'espérance pour tant de peuples privés des droits humains les plus élémentaires. Ne l'oublions jamais !
Monsieur le secrétaire d'État, c'est dans cet esprit que le groupe UC-UDF vous fait confiance pour aller de l'avant sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que le traité européen modificatif sera signé demain à Lisbonne et que le Conseil européen se tiendra vendredi, sous présidence portugaise, à Bruxelles, c'est avec toute la conviction d'un parlementaire foncièrement européen - mais farouchement opposé à la cause fédéraliste et supranationale - que je m'exprime à cette tribune.
Sachez que j'aurais souhaité applaudir sans réserve au traité simplifié s'il avait marqué une véritable et profonde rupture par rapport au traité constitutionnel que nos concitoyens ont rejeté par référendum, le 29 mai 2005. Hélas ! il n'en est rien.
Bien évidemment, sur le fond, il serait malhonnête de ma part de ne pas reconnaître les avancées obtenues par le Président de la République à l'issue de son élection,...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Philippe Darniche. ... qu'il s'agisse du principe d'un traité réformateur plutôt que refondateur, ou de la place et du rôle plus importants accordés aux parlements nationaux, sans oublier la suppression de la référence à « la concurrence libre et non faussée » au titre des objectifs de l'Union ou le protocole sur les services d'intérêt général.
Mais ne nous leurrons pas, les mécanismes supranationaux que nous avons rejetés, et condamnés, demeurent.
En outre, alors que ce n'était pas le cas jusqu'à présent, nous assistons à la naissance d'un État propre et en devenir, doté de la personnalité juridique pour signer les traités, d'une présidence indépendante des États membres et d'un service diplomatique supranational.
Enfin, trop de compétences seront soumises à la règle de la majorité qualifiée et donc trop de pouvoirs seront directement accordés à la Commission de Bruxelles.
Malheureusement, sur la forme, « tous les chemins mènent bien à Bruxelles » et la logique fédérale continue inlassablement son chemin, mais cette fois-ci par la voie parlementaire et versaillaise.
Oui, monsieur le secrétaire d'État, la forme n'est pas la bonne, car cette nouvelle tentative de relance de la construction européenne s'effectue en l'absence de consentement populaire, et partant en l'absence de véritable légitimité politique !
Faut-il que rien ne change dans le texte pour que rien ne bouge dans l'opinion ? Ce traité est inacceptable, car c'est une Constitution bis, « succédané édulcoré » de celle que nous avons déjà rejetée.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Non !
M. Philippe Darniche. Ce n'est pas moi qui l'affirme, ce sont nos partenaires européens en la personne de la chancelière allemande Angela Merkel, qui affirmait le 29 juin dernier : « La substance de la Constitution est maintenue, c'est un fait ».
Je pourrais également citer le Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, qui indique : « Nous n'avons pas abandonné un seul point essentiel de la Constitution » ; ou encore le Premier ministre irlandais, qui dit : « 90% de la Constitution sont toujours là. Aucune modification spectaculaire n'a été apportée à l'accord de 2004 ».
Derrière l'emballage ou le camouflage, si j'ose dire, du traité simplifié se cache insidieusement la même Constitution remaquillée, qui avait déjà été sanctionnée une première fois - et sans appel - par un camouflet référendaire et populaire des Français et des Néerlandais.
Soucieux de garantir leur propre souveraineté nationale, nos concitoyens ne veulent plus que l'on décide à leur place. À aucun prix, sous couvert d'un intérêt communautaire qui n'existe pas, ils ne renonceront à la défense de leurs propres intérêts nationaux, qu'il s'agisse de dire « non » par référendum à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, qu'il s'agisse de replacer la devise européenne trop chère et qui ruine les Français au service de l'économique et du social et non au seul profit de la spéculation financière internationale, qu'il s'agisse de défendre l'avenir de notre pêche, de nos zones côtières ou de la biodiversité de notre environnement naturel face aux risques à venir des OGM.
Un seul exemple suffira. Alors que la Commission européenne vient de renoncer aux quotas textiles sur les importations chinoises, la France n'a rien dit ! À lire le « maxi-traité » simplifié de 256 pages, il n'y a pas un mot dans le texte, mes chers collègues, sur l'indispensable rétablissement de la « préférence communautaire ».
Petit à petit, la France s'aligne sur les États-Unis. Cet atlantisme proclamé la rend inutile dans le monde, car il lui fait perdre sa véritable vocation historique de puissance d'équilibre face aux empires de la mondialisation. Monsieur le secrétaire d'État, je ne l'accepte pas !
En tant que législateur, je rappelle que seul le peuple français est habilité à se prononcer sur ce nouveau traité.
En tant que parlementaire, j'affirme ici que, à aucun moment, je n'ai reçu de mandat du peuple, pas plus que quiconque d'ailleurs, pour ratifier par la voie parlementaire le transfert de la souveraineté de la France ni même son déclassement en simple « province européenne ».
Une telle décision ne peut faire l'économie d'un référendum, que je réclame officiellement à cette tribune. Car c'est bien en le soustrayant au verdict populaire que l'on kidnappe le débat !
J'achèverai mon propos en rappelant l'étymologie grecque du mot Europe, qui est composé de la contraction du préfixe eurus signifiant vaste, large ou ample et du suffixe ôps évoquant le regard ou le visage. Cette Europe « au vaste regard » est bien celle de tous les horizons, de tous les devenirs des nations qui la composent au sein d'un espace clairement délimité par des frontières intangibles.
Mes chers collègues, face au fédéralisme sclérosant et épuisant, une « autre Europe » est toujours possible, une autre Europe est plus que jamais souhaitable. Je veux parler d'une Europe légitime, respectueuse des démocraties nationales qui la composent, d'une Europe forte, car fondée sur des coopérations différenciées qui en feront toute la richesse.
Car, si nous n'y prenons garde, l'heure viendra où nous devrons rendre des comptes !
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. La semaine en cours, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, est un moment capital dans le processus de la construction européenne.
Aujourd'hui même sera adoptée à Strasbourg la charte des droits fondamentaux, pour laquelle le parti socialiste européen, le PSE, s'est beaucoup battu. Elle constitue le texte fondateur sans doute le plus avancé et le plus précis au monde en matière de droits de l'homme et de droits sociaux. Même si le Royaume-Uni et la Pologne s'en sont exemptés, il s'agit globalement d'une avancée considérable de l'Europe dans le domaine des valeurs de référence qui conditionneront in fine l'ensemble des politiques communes qui seront menées.
Permettez-moi de vous dire, monsieur le secrétaire d'État, que la présence sur notre sol de M. Kadhafi, dont la politique reste, chacun le sait, aux antipodes des valeurs contenues dans cette charte, au moment précis où nous l'adoptons à Strasbourg, est évidemment du plus mauvais effet. Je rappelle notre opposition forte à cet accueil en grande pompe dans la patrie des droits de l'homme.
M. Josselin de Rohan. Il fallait le dire à Mitterrand !
M. Roland Ries. Demain donc, à Lisbonne, les chefs d'État et de gouvernement signeront ce traité de Lisbonne dans la capitale du pays qui préside le Conseil européen.
Je le dis d'emblée, je me félicite personnellement de cette nouvelle avancée de la construction européenne et je n'entrerai pas dans la querelle de la paternité ou de la maternité de cette initiative.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Il y a un père et une mère ! (Sourires.)
M. Roland Ries. Que le Président Nicolas Sarkozy y ait joué un rôle essentiel est évident ; que la chancelière Angela Merkel ait engagé dès janvier 2007, au moment de la présidence allemande, des consultations préparatoires avec l'ensemble des pays de l'Union européenne est une réalité historique ; que l'affaire soit finalisée sous la présidence du Portugais José Sócrates est tout aussi incontestable. Il s'agit donc bien d'un succès collectif où chacun a eu sa part et qui, c'est le plus important, doit permettre de sortir l'Europe de l'impasse institutionnelle où elle s'enlisait depuis 2005.
M. Charles Josselin. Très bien !
M. Roland Ries. Sur ce point, j'adhère complètement à cette phrase de Jean Monnet, qui figure dans ses mémoires, relative au traité de Rome de 1957 : « Je ne me suis pas demandé si le traité pouvait être meilleur. II correspondait à tout le possible du moment et à la sagesse de l'époque ».
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout est dit !
M. Roland Ries. On ne saurait en effet mieux dire et cette vérité reste totalement d'actualité. J'enregistre donc avec satisfaction les avancées que contient ce traité dit « simplifié » en matière de fonctionnement des institutions européennes.
Certes, le traité de Lisbonne s'éloigne de l'ambition constitutionnelle qui était celle du traité constitutionnel européen, le TCE, pour renouer plutôt avec la tradition de la « politique des petits pas ». Mais n'est-ce pas là, au fond, ce qui caractérise presque toute l'histoire de la construction européenne ? De ce point de vue, nous revenons à un exercice plus classique de diplomatie intergouvernementale négociant des « modifications » importantes aux traités existants plutôt que se livrant à une mutation brusque.
Nous sommes donc plus proches, cher Hubert Haenel, de la formule que vous citiez tout à l'heure, issue, semble-t-il, de la sagesse alsacienne : « L'arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ». L'arbre du TCE est bien tombé, mais la forêt européenne peut à présent continuer à pousser. À vrai dire, je ne suis pas sûr que ce soit de la sagesse alsacienne. Il s'agit peut-être de Confucius. (Sourires.)
M. Aymeri de Montesquiou. C'est une pensée universelle ! (Nouveaux sourires.)
M. Roland Ries. Toujours est-il que ce traité comporte de vraies avancées s'agissant du fonctionnement des institutions et de véritables progrès en matière de démocratie européenne.
Tout d'abord, en ce qui concerne la Commission, le système qui entrera en vigueur à partir de 2014 permettra sans doute de sortir des logiques nationales qui structurent sa composition.
Ensuite, en ce qui concerne le Conseil européen, le traité apporte une importante innovation avec la création d'une présidence stable. Élu à la majorité qualifiée par le Conseil européen, le président pourra -- enfin ! - donner une voix et un visage à l'Union européenne. Il pourra assurer la représentation de l'Union sur la scène internationale et présidera les travaux du Conseil européen.
Avec le traité de Lisbonne, le Parlement européen se trouve, lui aussi, renforcé en matière tant législative et budgétaire que de contrôle politique. Il investira le président de la Commission sur proposition du Conseil européen « en tenant compte des élections du Parlement européen ». On ne peut que se réjouir du fait que les choix politiques des électeurs lors des élections des députés au Parlement européen pèseront sur la vie politique européenne.
S'agissant des orientations politiques et économiques de l'Union européenne, nous sommes heureux de constater que le texte supprime la référence à une « concurrence libre et non faussée ». Il n'était pas utile de graver dans le marbre constitutionnel des orientations économiques, qui, outre le fait qu'elles sont loin de faire l'unanimité, n'ont pas leur place dans un traité portant pour l'essentiel sur le fonctionnement de nos institutions.
Toujours au registre des avancées, on peut se féliciter de la reprise du protocole sur l'Eurogroupe ou de la quasi-généralisation de la procédure de la codécision. De même, une clause sociale horizontale et une base juridique sur les services publics sont enfin introduites.
On peut saluer cette orientation qui permettra de sauvegarder les services d'intérêt général en les faisant sortir de la sphère marchande et en admettant des subventions à des entreprises publiques ou privées pour leur permettre d'exercer leurs missions spécifiques.
En résumé, le traité de Lisbonne contient un certain nombre d'avancées essentielles permettant d'améliorer à la fois le fonctionnement des institutions et la répartition des compétences au sein de l'Union européenne. Le parti socialiste européen avait émis un jugement positif à ce sujet, je n'y reviens donc pas.
Pour ma part, dans le droit-fil de la déclaration du PSE, je pense qu'il faut à présent, après les ratifications à venir des vingt-sept pays de l'Union européenne, arrêter de modifier encore et toujours nos règles du jeu institutionnel.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !
M. Roland Ries. Nous en sommes aujourd'hui au cinquième traité négocié et signé depuis la chute du mur de Berlin : Maastricht en 1992, Amsterdam en 1997, Nice en 2000, Rome en 2004 et maintenant Lisbonne, soit un traité tous les quatre ans en moyenne. Cela suffit !
Il convient maintenant de nous concentrer sur le fond des politiques communes, notamment en matière économique et sociale, où il reste beaucoup à faire pour construire une vraie politique alternative à l'ultralibéralisme mondialisé.
Je dirai un mot, à présent, sur les perspectives de ratification de ce traité dans l'année qui vient, puisqu'en principe le traité devrait s'appliquer au 1er janvier 2009.
À ce jour, seule l'Irlande a annoncé qu'elle procéderait par référendum ; la loi en fait une obligation dans ce pays. Les autres pays ont le choix d'organiser ou non un referendum, comme la France, ou ont interdiction de le faire, comme l'Allemagne.
La situation de la France est spécifique : vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, nous avons opté en 2005 pour la ratification par référendum du traité constitutionnel européen et, en principe, la décision souveraine du peuple enregistrée à l'occasion de cette consultation ne peut être modifiée que par une autre décision du peuple consulté selon la même procédure.
C'est donc cette procédure qui aurait ma préférence, étant entendu que, dans cette perspective, un second vote négatif du peuple français ne pourrait plus constituer un veto pour les autres peuples et qu'ils seraient fondés à poursuivre le projet de construction européenne, éventuellement sans la France.
Comme le disait le député européen Bernard Poignant : l'histoire de l'Europe ne peut pas se jouer à la roulette française !
Je dois ajouter, pour être honnête sur cette question, que le Président de la République française avait annoncé pendant sa campagne électorale qu'il soumettrait la ratification du traité au Parlement. Qu'on le regrette ou non, il faut reconnaître que l'engagement était clair et net !
En ce qui me concerne, même si je suis en désaccord sur la forme de cette consultation pour les raisons que j'ai indiquées, je voterai positivement sur le fond...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Bravo !
M. Roland Ries ...afin de ne pas risquer un nouveau blocage dans la construction de cette Europe démocratique, sociale et pacifique, dont le rêve a commencé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dont nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin.
J'ai pourtant bien conscience, mes chers collègues, des insuffisances de ce texte, voire des dangers qu'il comporte.
C'est bien dans le cadre des nouvelles institutions prévues par le traité qu'il faudra donner du contenu politique à la construction européenne.
Le Conseil européen d'après-demain est, de ce point de vue, une étape importante puisque l'ordre du jour en est particulièrement chargé.
Outre les questions institutionnelles, notamment la ratification du nouveau traité et la charte des droits fondamentaux, la question du changement climatique, l'élargissement de l'espace Schengen, la perspective de développement de l'Union méditerranéenne, le partenariat entre l'Union européenne et l'Afrique, ainsi que la lutte contre le terrorisme international constituent les sujets majeurs pour définir le modèle politique original que l'Europe peut proposer à ses citoyens.
Sur ce point, il faut bien reconnaître qu'il existe un danger de voir l'Europe se construire au détriment des droits, de la sécurité juridique et de l'égalité entre les citoyens européens.
Le risque est en effet sérieux de voir se créer au sein de l'Union européenne deux catégories de citoyens : ceux qui bénéficient de droits pleins et ceux qui devront se contenter de la portion congrue. Cette disparité est évidemment dangereuse dans la mesure où elle peut porter atteinte à la citoyenneté européenne globale, alors même que celle-ci n'est encore, pour l'essentiel, qu'une citoyenneté en devenir.
En définitive, toute la question est de savoir si l'on veut une Europe à la carte, différenciée selon les sujets - méthode qui ferait la part belle à l'approche intergouvernementale -, ou si l'on veut, au contraire, favoriser une organisation politique européenne plus intégrée autour d'un corps de politiques publiques communes.
En ce qui me concerne, c'est évidemment cette dernière perspective que je souhaite privilégier, étant entendu que les nécessaires harmonisations fiscales et sociales devront se faire vers le haut et non vers le bas, même si ces rapprochements, à l'évidence, prendront, chacun le sait, beaucoup de temps.
Je terminerai en soulignant que si ce traité constitue un pas dans la bonne direction, les choix politiques principaux restent aujourd'hui en suspens. Quelle Europe voulons-nous construire ? Quels transferts de compétence sommes-nous prêts à accepter dans le cadre de la subsidiarité ? Quel socle commun sur les plans économiques et sociaux serons-nous capables de promouvoir dans la disparité des situations des membres de l'Union européenne ? Quelles frontières souhaitons-nous, à terme, pour l'Union européenne ?
Toutes ces questions sont aujourd'hui ouvertes et il conviendra, dans le cadre notamment de la présidence française de l'Union européenne, de les inscrire à l'ordre du jour.
Il faudra que nous sortions des discussions interminables sur les problèmes institutionnels pour nous concentrer résolument sur les questions de fond. Nos concitoyens européens attendent des réponses sur ces questions essentielles qui concernent leur vie quotidienne.
Au nom du groupe socialiste, mes chers collègues, je voudrais rappeler la nécessité impérieuse de construire l'Europe des citoyens et de les associer à ce projet afin qu'ils se l'approprient. Jean Monnet disait : « Rien n'est possible sans les hommes ».
L'Europe se fera si elle apporte le progrès aux nations qui la composent. L'Europe ne se fera pas si elle apparaît seulement comme une superstructure technocratique. Elle a en revanche toutes ses chances si elle apporte un plus aux nations et aux citoyens qui la composent parce qu'ils se sentiront personnellement concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la qualité et de la richesse de ce débat. Un grand nombre de questions ont été abordées sur des sujets véritablement fondamentaux.
Mes réponses porteront sur le traité, sur le comité de réflexion, sur ce qui a été dit par M. Jean-Paul Emorine - je remercie la commission des affaires économiques de s'être associée pour la première fois à un débat de préparation du Conseil européen - en matière économique et sur le changement climatique ; je terminerai par la question du Kosovo, qui est cruciale pour l'avenir de l'Europe.
En ce qui concerne le traité, MM. Aymeri de Montesquiou, Jacques Blanc et Roland Ries ont parfaitement souligné l'élargissement des objectifs ainsi que le rééquilibrage économique et social. Je retiendrai deux formules : c'est un traité qui ne contraint pas et c'est un traité qui ne bloque pas. Comme l'a souligné M. Aymeri de Montesquiou, c'est une bonne philosophie. Il s'agit, M. Roland Ries l'a dit à juste titre, d'un succès collectif. C'est un traité qui permet tout le possible du moment.
M. Roland Ries a souligné les avancées qui ont été réalisées en matière de service public et d'intérêt général, en ce qui concerne le rôle de l'Eurogroupe et dans d'autres domaines.
M. Jacques Blanc a indiqué les progrès qui ont été accomplis en matière de rééquilibrage des politiques territoriales, qui sont bien conçues dans ce traité. Le rôle qui est donné au Comité des régions est un point également important.
Je veux dire très clairement à M. Philippe Darniche qu'il n'y a aucune régression démocratique ; il n'y a au contraire que des avancées. La présidence du Conseil ne retire aucun pouvoir aux chefs d'État et de gouvernement, qui représentent leur peuple. Sa raison d'être est simplement d'assurer la continuité des travaux.
Le service diplomatique extérieur n'est absolument pas un instrument supranational ou suprafédéral : il permettra de regrouper les moyens qui sont aujourd'hui à la disposition de la Commission européenne. Le service diplomatique qui existe dans le cadre du Conseil permettra d'associer également les représentants des différentes diplomaties nationales, qui seront détachés au sein de ce service.
Il s'agit donc d'un équilibre parfait entre ce qui existe aujourd'hui à l'échelon intergouvernemental et ce qui se pratique au niveau communautaire. La fusion de ces deux approches est réalisée dans une politique extérieure qui garde, dans le cadre du traité, sa spécificité, conformément aux intérêts de chacun. Le Haut Représentant de l'Union européenne, vice-président de la Commission, sera le porte-parole de cette politique. Il en assurera la conduite, mais sous le contrôle, bien évidemment, du Conseil européen.
À l'évidence, ce traité n'est pas une constitution ; c'est un traité modificatif. Je veux dire à M. Robert Bret, en réponse aux arguments qu'il a avancés, que la Conférence intergouvernementale a été rapide grâce à une discussion politique au fond, menée par les chefs d'État et de gouvernement, qui sont les représentants désignés par leur peuple pour faire en sorte que la politique se retrouve au coeur de la construction européenne et de l'élaboration des traités.
Le Conseil européen, qui est entré le plus possible dans le détail et qui se prononcera demain sur le traité, est donc un organe parfaitement démocratique.
Je souligne, simplement pour l'information de la Haute Assemblée, que nous n'avons pas été les seuls à dire non en 2005 à ce traité par la voie référendaire : les Pays-Bas sont dans la même situation. Ils ont consulté leur Conseil d'État, lequel a bien montré en quoi la légitimité du recours à une procédure de ratification parlementaire par rapport au référendum était justifiée en ce cas : c'est un traité qui préserve les État nations et les identités nationales ; c'est un traité qui modifie les traités existants selon les méthodes qui ont été retenues dans les traités antérieurs ; c'est un traité qui confirme une charte des droits fondamentaux déjà protégée dans l'ordre juridique communautaire ; c'est un traité qui précise le partage des compétences entre l'Union européenne et les États membres, compétences qui sont limitées par différents éléments, les États membres pouvant recouvrer leurs compétences lorsque l'Union n'a pas exercé la sienne dans les domaines de compétences partagées.
Par ailleurs, un protocole sur les services publics laisse un large pouvoir discrétionnaire dans l'organisation et la fourniture des services d'intérêt économique général.
Dans le domaine de la coopération policière et judiciaire, des processus permettent aux États membres soit de s'associer à des mécanismes de coopération renforcée, soit de rester à l'écart dans des domaines qui sont essentiels pour la souveraineté.
Enfin, contrairement à ce qui a été indiqué par M. Philippe Darniche, il est clair que ce traité marque une avancée en ce qui concerne le rôle et le contrôle des parlements nationaux : ceux-ci auront la possibilité, dès lors qu'une majorité d'entre eux aura fait valoir des observations sur des propositions ou des actes établis par la Commission européenne, soit de les modifier, soit d'en obtenir le retrait une fois passé le filtre du Conseil et du Parlement européen, à la majorité simple.
Par conséquent, la procédure choisie en France, et qui a été retenue par une très large majorité des autres pays européens, est conforme à l'ordre démocratique, à l'ordre européen.
Voilà ce que je souhaitais répondre aux questions légitimes posées par MM. Robert Bret et Philippe Darniche.
J'en viens maintenant à ce qui concerne la mise en oeuvre de ce traité et aux questions qui ont été posées par MM. Jean François-Poncet et Hubert Haenel.
Il est vrai que des défis importants devront être relevés sous la présidence française dans un laps de temps limité. Il nous faudra effectivement approfondir un certain nombre de politiques communes et ne pas refuser le débat sur la politique énergétique et sur la politique de défense.
À cet égard, M. Robert Bret a souligné qu'il y avait, d'une part, une allégeance à l'OTAN et, d'autre part, un risque de renforcement des politiques d'armement à l'échelle européenne. Cela me paraît un peu contradictoire : si on fait l'un, on ne fait pas l'autre ! Notre ambition, sous la présidence française, est bien de renforcer la politique de défense sur le plan européen ainsi que nos capacités opérationnelles, et de faire en sorte d'apporter des réponses claires aux défis démographiques qui sont les nôtres.
Il est vrai aussi que, dans le même temps, nous aurons à mettre en oeuvre ce traité - je réponds ainsi à MM. Hubert Haenel et Jean François-Poncet -, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2009.
Je signale que, selon nos informations et les contacts que nous avons avec le secrétariat général du Conseil, en liaison avec la présidence slovène, nous aurons à travailler sur plus d'une trentaine de dispositions pratiques permettant la mise en place de ce traité, à laquelle il faut donc s'atteler suffisamment tôt.
Nous devrons aussi être clairs quant à l'articulation entre la présidence stable du Conseil européen et les présidences tournantes des conseils qui subsisteront, qui devront travailler en étroite collaboration. La présidence stable a pour but d'assurer la continuité des travaux du Conseil européen ; les présidences tournantes continuent d'exercer la direction effective de ces conseils, à formuler un certain nombre de propositions par rapport à la nécessaire continuité de l'action du Conseil européen, qui faisait défaut jusqu'à présent, et à travailler en relation avec le président de la Commission. Ce dernier garde son pouvoir d'initiative et voit sa légitimité renforcée compte tenu du fait qu'il sera élu par la majorité issue du Parlement européen. Nous devrons donc trouver, d'ici au 1er janvier 2009, les procédures permettant la meilleure articulation.
Mener à bien ces défis est en effet une gageure, notamment dans le domaine de la défense. Nous devons les relever en veillant - ce sera le devoir des présidences slovène et française - à ne pas compromettre le processus de ratification en cours dans les différents pays.
Il faudra donc réaliser un habile dosage entre le volontarisme nécessaire pour anticiper sur le traité afin de mener les débats qui doivent avoir lieu sur les politiques communes et l'attention portée à la sensibilité de chacun de manière que le processus de ratification soit mené à son terme le 1er janvier 2009. Là est le premier devoir de notre présidence.
En ce qui concerne le groupe de réflexion qu'ont évoqué MM. Hubert Haenel, Jean François-Poncet, Denis Badré et Roland Ries, effectivement il ne traitera pas des institutions parce que, comme l'a dit très justement M. Roland Ries, il est temps de cesser les modifications institutionnelles, déjà trop nombreuses, et de stabiliser le dispositif à vingt-sept grâce à une action collective.
Nous devons - et c'est tout l'objet du mandat donné à ce groupe de réflexion - définir un projet et répondre à la question posée par M. Jean François-Poncet : pourquoi sommes-nous ensemble ? Conformément à l'étymologie rappelée par M. Philippe Darniche, il nous faut donner à l'Europe un large visage, de manière qu'elle se positionne comme un acteur global dans le monde du XXIe siècle.
Mais, dans ce cadre, quand on veut une Europe au large visage qui soit un acteur global, la question de l'identité se pose, surtout lorsque l'on souhaite réunifier le continent. Cela suppose que nous posions la question de la configuration de l'Europe le plus intelligemment possible et en accord avec nos partenaires. Nous devons faire de l'Europe un pôle de puissance au travers duquel doit pouvoir s'opérer, comme l'ont souligné MM. Denis Badré et Roland Ries, un rapprochement entre les citoyens et l'Union européenne.
Trouver la plus juste articulation entre cette nouvelle citoyenneté européenne et la mise en oeuvre d'une Europe qui soit elle-même plus puissante n'est pas le moindre des défis qu'il nous faudra relever dans les années à venir. Nous devons donc veiller, dans ce cadre, à parler de tout, mais en faisant en sorte que ce traité soit ratifié dans les meilleures conditions.
Ainsi que M. Denis Badré l'a souligné, le président, ou la présidente, de ce groupe de réflexion, qui devrait être désigné à Bruxelles vendredi prochain, aura pour mission de formuler des propositions sur la composition de ce groupe qui devrait être soumise au futur Conseil européen. C'est à mon sens une bonne démarche.
J'en viens maintenant aux questions d'ordre économique qui ont été soulevées par M. Jean-Paul Emorine.
Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'il a indiqué sur la stratégie de Lisbonne et sur le fait que l'adaptation et l'actualisation des lignes directrices pour la période 2008-2011 ont marqué un progrès.
Je souscris également aux propos qu'il a tenus sur les conséquences de la conférence de Bali. Il faut un mécanisme d'ajustement aux frontières, des échanges de quotas d'émission, même au niveau international, dans différents secteurs, principalement dans celui de l'aéronautique. Il importe de prévoir des dédommagements pour les déforestations opérées dans un certain nombre de pays et de procéder par voie d'accords sectoriels. Nous devons tendre vers une organisation plus universelle de l'environnement, une « ONU de l'environnement ».
J'en viens à la question très délicate du Kosovo, qui a été évoquée par MM. Jean François-Poncet, Hubert Haenel Roland Ries et Robert Bret.
Je vais être clair : en cas de déclaration d'indépendance du Kosovo - événement que nous aurons probablement un jour à affronter, même si nous ne savons pas quand il interviendra - il n'y aura pas de reconnaissance automatique simultanée, compte tenu de la sensibilité, de l'histoire et des compétences qui sont celles de chacun des États membres
Toutefois, nous sommes d'accord avec nos partenaires - et c'est le plus important dans le développement d'une approche commune - pour affronter cette situation selon nos sensibilités. Je veux rassurer M. Hubert Haenel sur ce point : du temps s'est écoulé depuis 1991 et il n'est pas question de répéter le processus de reconnaissances désordonnées tel qu'il s'était alors déroulé. Nous savons qu'il existe une périodicité, que chacun a sa propre sensibilité et qu'une majorité des États membres soutiendra la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo lorsque celle-ci sera prononcée.
Le plus important est que l'Europe soit unie afin d'assurer la stabilisation du Kosovo et des frontières avec la Serbie, d'assurer la protection des minorités, la surveillance aux frontières et la viabilité de l'État ; ce ne sera pas chose facile, je suis d'accord avec M. Hubert Haenel sur ce point, mais là est la véritable responsabilité de l'Union européenne.
Nous n'estimons pas nécessaire de recourir à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité et nous nous attendons à ce que le Secrétaire général des Nations unies fasse appel à l'Union européenne pour déployer la mission européenne de sécurité et de défense.
Nous devons appeler les deux parties à la retenue, éviter l'humiliation des uns et des autres. Il n'est pas question de créer de nouvelles frontières, c'est-à-dire que nous en restons à la doctrine des frontières internes de l'ex-Yougoslavie. En application des travaux qui ont été conduits par M. Robert Badinter, l'Union est opposée à la partition du Kosovo.
Nous avons conscience qu'il y va de la crédibilité de l'Union européenne. Tous les États membres sont mobilisés et chacun est d'accord pour assumer ses responsabilités face à un problème qui servira de test non seulement pour la politique extérieure européenne, mais également pour l'identité de l'Union européenne.
Nous sommes aussi d'accord pour donner une perspective européenne à ces parties, particulièrement à la Serbie, lorsqu'elle aura rempli ses engagements. Nous devons toutefois veiller au respect des sensibilités des uns et des autres et ouvrir des perspectives d'avenir - ce que nous faisons déjà à l'égard des autres citoyens - au travers de la mise en place du nouveau traité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)