M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je m'en remettrai à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, institution républicaine respectée s'il en est.

D'une part, une réserve interprétative ne peut être d'origine parlementaire, comme l'a rappelé la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 2003 en son point 18. Vous la connaissez, monsieur Charasse, et je ne me risquerai pas à vous faire la leçon en matière constitutionnelle ! (Sourires.)

D'autre part, dans sa décision du 25 mai 2005, le Conseil constitutionnel a jugé que le visa de ses propres décisions était superflu dans les lois de ratification et que l'exposé était tout à fait suffisant.

Donc, compte tenu du caractère superflu des réserves, quelle que soit leur origine, d'ailleurs, et du fait que le traité prévoit également le respect des Constitutions nationales, je vous propose, monsieur Charasse, de bien vouloir retirer l'amendement que vous avez déposé avec M. Mélenchon. Sinon, je serai contraint d'en demander le rejet.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'argumentaire de notre collègue Charasse repose sur l'existence d'un risque pour notre laïcité. C'est l'existence de ce risque qu'il faut apprécier.

Notre collègue Jean François-Poncet estime qu'il n'y a pas de risque. Il s'appuie sur l'alinéa 1 de l'article 16 du traité de fonctionnement de l'Union européenne: « L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient en vertu du droit national les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. »

Il aurait dû pousser sa lecture jusqu'à l'alinéa 3. En effet, celui-ci crée le cadre juridique qui, en toute hypothèse, permet la mise en cause d'une décision à caractère laïque de la République française : « Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ses églises et organisations. » 

Le cadre juridique ainsi posé, voici implicitement une nouvelle difficulté : de quelles églises parle-t-on ? Qui établit cette liste ? Je vous rappelle que la République française est montrée du doigt parce qu'elle caractérise comme sectes un certain nombre de groupes qui s'autoproclament « églises » et qui sont reconnus comme telles par d'autres pays. Je pense, en particulier, à la prétendue Église de scientologie, qui vient d'être reconnue en Espagne et qui est considérée en France comme une secte.

À cette raison s'en ajoute une autre. Elle trouve sa source dans l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux, dont vous nous avez dit à l'instant qu'elle a une valeur contraignante, qui va dorénavant s'imposer et élargir le champ des libertés.

Que dit l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux ? « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. » Avec cela, nous sommes parfaitement d'accord. « Ce droit implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. »

Avec cela, nous ne pouvons pas être d'accord parce que cela veut dire que, sur la base de cet article de la Charte des droits fondamentaux, la loi française qui interdit de se présenter dans un établissement scolaire avec un foulard sur la tête pourrait ne pas être acceptée par l'Union européenne.

On m'a rétorqué que l'article 10 de la Charte n'était que la reprise mot pour mot de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est presque vrai, mes chers collègues. Presque ! Car la Charte n'a pas repris le deuxième paragraphe de cet article, qui permet, précisément, de limiter la liberté religieuse dans l'intérêt public. Or la Charte n'autorise ces limitations à l'article 52-1 que pour des objectifs d'intérêt général, reconnus par l'Union. Mais la laïcité ne fait pas partie des objectifs affirmés par l'Union, bien au contraire !

Enfin, deux cours seraient désormais habilitées à interpréter ces mêmes articles : la Cour de justice des Communautés européennes, celle qui siège à Luxembourg, garante des traités et de la Charte, et la Cour européenne des droits de l'homme, celle qui siège à Strasbourg, garante des droits de l'homme.

Mais il est bien précisé à l'article 52-3 que l'harmonisation des décisions de ces cours différentes ne doit pas faire obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue.

Par conséquent, un juge pourrait faire appliquer l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux s'il estimait qu'il donne une protection plus étendue que la version plus restrictive d'un autre traité. Or la laïcité est considérée comme une restriction de la liberté de conscience par nos partenaires européens et non pas comme son socle, ainsi que le pensent les républicains français.

Il n'y a donc aucune raison que le Parlement ne vienne pas rappeler des réserves qu'il est en droit de formuler après les décisions du Conseil constitutionnel, à moins que vous n'ayez déjà opté pour une autre version de la laïcité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien possible !

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais alors, il serait bien que quelques-uns d'entre vous aient le courage de l'assumer, comme nous-mêmes assumons nos opinions.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Après la brillante mise au point de mon collègue et ami Jean-Luc Mélenchon, je serai bref.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous écoute toujours avec beaucoup d'attention et d'amitié, et depuis très longtemps. Je voudrais vous préciser que je me conforme à la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 2003, que vous venez de rappeler : le Parlement ne peut formuler aucune réserve nouvelle ou supplémentaire, et je m'en garde bien ! Mais puisque certaines réserves existent du fait même des décisions du Conseil constitutionnel et que nous ne les avons pas levées à Versailles, je rappelle leur existence et leurs exigences. Ce n'est pas la même chose ! Si je créais de nouvelles réserves, vous ne manqueriez pas de me dire que je viole la règle de recevabilité définie en 2003 et vous auriez raison.

Les réserves visées par mon amendement sont celles du Conseil constitutionnel. Dans une situation analogue, elles ont été intégrées sans inconvénient dans la loi du 30 juin 1977 approuvant l'élection de l'assemblée européenne au suffrage direct.

Donc, je n'ajoute rien, et je ne méconnais pas la décision de 2003 du Conseil constitutionnel. En fait, je crois que le Conseil avait été saisi à la suite de tentatives de dépôt d'amendements à l'Assemblée nationale pour modifier certains articles d'un traité. C'est une horreur absolue, car le Parlement ne participe en rien à la négociation des traités, qui est une prérogative exclusive de l'exécutif.

Soucieux de ne pas éterniser la discussion à cette heure tardive, je vous pose une seule question, une question très simple : comment le Gouvernement - celui-là ou un autre -protégera-t-il la République et ses principes à l'occasion de la mise en oeuvre du traité si les limites posées par le Conseil constitutionnel ne sont pas respectées ? Pour ma part, je n'ai pas vraiment de doutes sur la manière, a priori loyale, dont le Parlement européen, la Commission européenne, le Conseil européen, le Conseil des ministres appliqueront le traité.

Pour les juges, mon collègue et ami Jean-Luc Mélenchon vient de dire ce qu'il en est. Ce ne serait pas la première fois que la Cour européenne du Luxembourg prendrait des libertés avec le traité !

J'avais appelé l'attention de Jean-Pierre Jouyet sur ce sujet quand a été négocié le traité de Lisbonne. Alors que le traité dit qu'en cas de non-transposition d'une directive la Cour peut infliger une astreinte ou une amende, elle a décidé, toute seule, de son propre chef, de cumuler l'astreinte et l'amende ! Pourtant, dans le traité, figure bien le « ou ». Et les États se couchent devant les juges : ils paient sans rien dire !

Tant qu'il s'agit d'une histoire de gros sous, on peut toujours s'arranger. Quand j'étais ministre, j'ai perdu une fois devant la Cour. Comme j'estimais qu'elle avait violé manifestement les traités, j'ai fait savoir que je ne paierais jamais, que j'allais m'en aller, que je ne viendrais plus au Conseil des ministres et que je ferais la « grève » des contributions françaises. Cela s'est très vite arrangé. Quand on sait se faire respecter, on se fait respecter !

Mais que faire face à une décision de justice qui concerne des tiers et qui leur crée des droits ?

Par conséquent, je vous pose, monsieur Jouyet, cher ami, la question : comment protégez-vous la République ? Le Conseil constitutionnel a très bien cadré les choses, et je suis en plein accord avec ses deux décisions. Je vous demande ce que vous faites si les limites de l'épure sont franchies. (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)

M. le président. Monsieur le secrétaire d'État, souhaitez-vous prendre la parole ? (Non ! sur les travées de l'UMP.)

M. Michel Charasse. Le ministre peut parler, quand même ! C'est une question importante !

M. Dominique Braye. Il y a déjà eu trois heures de débat !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Par courtoisie, je vais répondre, monsieur le président, mais, à cette heure, je m'en tiendrai à l'interprétation et à la décision du Conseil constitutionnel sur cette question.

C'est la plus haute juridiction, et elle est garante de la Constitution. Or l'article 1er de celle-ci est extrêmement clair en ce qui concerne le respect du principe de laïcité et l'article 4 du traité de Lisbonne ne l'est pas moins en ce qui concerne le respect de notre Constitution et de nos principes constitutionnels.

Il n'y a donc pas de risque de débordement : le respect de l'article 4 du traité constitue la meilleure protection des principes fondamentaux de notre République.

M. Jean-Luc Mélenchon. Le jour où il y aura une plainte individuelle, vous verrez !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Ce n'est pas sous l'angle du principe de laïcité que la question de notre collègue Michel Charasse me paraît la plus intéressante, mais sous celui de la dialectique entre la force du droit européen et la force du droit français, y compris celle de la Constitution.

Or cette dialectique a été tranchée de façon très nette dans un arrêt, connu sous le nom de Tanja Kreil/ République fédérale d'Allemagne, rendu par la Cour de justice en 2000 à la suite du recours formé par une jeune femme se prévalant de la directive relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes pour contrecarrer une disposition de la loi fondamentale allemande excluant, ce qui est compréhensible dans le cadre de l'Allemagne, les femmes des emplois militaires comportant l'utilisation d'armes.

Tout ce que je veux dire, c'est que les quelques précautions que nous pouvons prendre, même celles sur lesquelles insiste cet amendement, sont, hélas ! peu de chose : pour moi, il est clair, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice, qu'en ratifiant le traité de Lisbonne nous acceptons de façon absolument définitive la primauté du droit européen, y compris dans ses composantes dérivées, sur notre droit interne et même sur nos normes les plus hautes, c'est-à-dire sur nos normes constitutionnelles.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Avec tout le respect que j'ai pour Bruno Retailleau, je veux lui dire qu'il vient d'énoncer une grossière contrevérité, car il est tout à fait clair que, si une décision de la Cour de justice mettait en cause, de manière directe ou indirecte, la laïcité, nous aurions la possibilité, avec la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006, d'y opposer la Constitution française et nos valeurs !

Vous ne pouvez pas dire le contraire, monsieur Retailleau, parce que c'est la loi.

Pour les besoins d'une démonstration, on peut dire ce que l'on veut, mais, quand il s'agit du droit, il faut tout de même lire les jugements et les articles de loi, et éviter les affirmations gratuites !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président de la commission, la question n'a pas été résolue lors du débat sur le traité constitutionnel et l'on ne sait toujours pas si les décisions de la Cour de justice priment ni si le Conseil constitutionnel peut intervenir sur ces décisions.

M. Jean-Jacques Hyest. Cela n'a rien à voir !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Maintenant, c'est encore pire puisqu'il peut y avoir un conflit de droit entre le Conseil constitutionnel et la Cour de justice, conflit que rien ne permettra de trancher !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Premièrement, je veux bien que l'on utilise tous les arguments, mais citer une décision de la Cour européenne des droits de l'homme en faisant accroire qu'il s'agit d'une décision de la Cour de justice des Communautés européennes est absolument inadmissible !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest. La Cour de Strasbourg a une jurisprudence en matière de droits de l'homme, mais la Cour de justice, elle, fait respecter les traités.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Eh oui ! C'est Luxembourg, pas Strasbourg !

M. Jean-Jacques Hyest. On peut ne pas être satisfait de ses décisions, mais cela n'a rien à voir !

M. Bruno Retailleau. Il s'agissait d'une directive.

M. Jean-Jacques Hyest. Il n'y a pas de directive sur le port d'armes par les femmes !

M. Bruno Retailleau. D'une directive sur l'égalité.

M. Jean-Jacques Hyest. L'égalité, c'est la Cour de Strasbourg !

M. Jean-Luc Mélenchon. Il va se fâcher !

M. Jean-Jacques Hyest. Deuxièmement, je trouve certains de nos débats extraordinaires !

Je rappelle, mes chers collègues, que la révision de la Constitution à laquelle nous venons de procéder a été précédée d'une vérification par le Conseil constitutionnel de la conformité de notre loi fondamentale avec le traité de Lisbonne, vérification qui, bien entendu, s'est étendue à tous les principes fondamentaux énoncés dans les deux préambules, notamment ceux que vous avez évoqués les uns et les autres.

Sur la conformité du traité avec ces principes, le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire. Il s'agit donc d'un faux débat...

M. Jean-Luc Mélenchon. Espérons-le !

M. Jean-Jacques Hyest. ...et de raisonnements que, depuis l'Antiquité grecque, on appelle des sophismes !

M. Michel Charasse. À Marseille, ce sont des jeux de trompe-couillon !

M. Dominique Braye. Au Sénat, c'est de l'enfumage !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 84 :

Nombre de votants 240
Nombre de suffrages exprimés 237
Majorité absolue des suffrages exprimés 119
Pour l'adoption 34
Contre 203

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président. Avant de mettre aux voix l'article unique qui constitue l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean Desessard, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Desessard. Il est deux heures du matin et je comprends que certains, pressés de rentrer chez eux, en aient « marre » de ce débat. Qu'ils me permettent néanmoins de leur rappeler, après Jean-Luc Mélenchon, que, avant le référendum, il y avait eu plusieurs mois de débats, partout en France. Une discussion de quelques heures sur un traité aussi important, nous a-t-on dit, que le traité de Lisbonne, c'est donc bien peu ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Rassurez-vous, mes chers collègues, vous allez voter dans quelques instants, et je sens que vous serez contents,...

M. Jean Desessard. ...car j'avais calculé que, si les parlementaires avaient pu voter le traité constitutionnel en Congrès, il y aurait eu 85 % de « oui ». Pourtant, le 29 mai 2005, 54 % des Français ont voté « non »...

D'où vient un tel décalage ?

Évidemment, à entendre M. le rapporteur, dont je ne sais pas s'il se revendique du gaullisme, un référendum ne sert pas à grand-chose puisque les électeurs répondent non à la question posée, mais à la personne qui la leur pose. Eh bien, je dois dire que ce n'est pas l'impression que je garde du débat sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe !

M. Jean Desessard. Dans tous les journaux, le contenu du traité a été analysé. J'ai participé à de nombreux meetings et réunions publiques : les gens débattaient sur le fond. Dans les bars, dans les restaurants, dans les réunions, dans les dîners, ils parlaient de projets de société et, s'ils étaient partagés, ce n'était pas spécialement sur Jacques Chirac ! Il s'agissait bien de savoir quelle Europe construire. Et ce débat a traversé les familles, les entreprises, toute la société. Il a fait apparaître un doute, et ce n'est pas à 85 % que nous avons ratifié le traité, mais c'est à 54 % qu'il a été rejeté par le peuple français.

Encore une fois, quelles peuvent être les raisons de ce décalage ?

Peut-être y a-t-il des raisons fiscales et sociales ? Peut-être l'Europe n'est-elle pas simplement pour nos concitoyens une construction politique ? Peut-être doit-elle se préoccuper du pouvoir d'achat, de l'emploi, de la lutte contre l'exclusion ? Toutes questions qui sont absentes du traité, dans lequel il n'y a les conditions ni d'une Europe sociale ni d'une Europe fiscale !

Au contraire, l'Union européenne suscite la concurrence entre les salariés comme entre les États, et les Français l'ont bien compris.

Pourquoi donc cette différence entre le vote des citoyens et celui des parlementaires ? Le Parlement est-il vraiment représentatif de la société d'aujourd'hui ? Mes chers collègues, je suis obligé de vous dire que tel n'est pas le cas, et vous allez d'ailleurs le prouver ce soir ! Le Parlement ne représente pas suffisamment les ouvriers, les employés, la diversité ; il reflète les forces politiques majoritaires, mais il ne couvre pas l'ensemble du champ politique français.

Certains affirment que l'écart entre les 85 % de « oui » et les 54 % de « non » proviendrait du fait que le traité aurait fondamentalement changé entre le 19 mai 2005 et aujourd'hui. C'est à peu près la thèse de M. le rapporteur. Pour ma part, j'en doute ! Certains orateurs ont montré que les deux textes se ressemblaient étrangement ...

D'ailleurs, si le traité a fondamentalement changé, pourquoi les autres peuples européens n'organisent-ils pas de référendum ? Comme l'a souligné Mme Borvo Cohen-Seat tout à l'heure, si ce texte est tellement différent, pourquoi les peuples ne se prononcent-ils pas ?

Mes chers collègues, vous allez voter à 85 % la ratification de ce traité, mais je reste persuadé que si l'on avait soumis celui-ci au référendum le résultat aurait été le même que le 29 mai 2005, c'est-à-dire que la majorité du peuple français aurait rejeté le texte.

Le vote du 29 mai 2005 a eu cette particularité, très importante, d'être principalement de gauche.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Comme dans le cas de M. Retailleau ! Lui aussi est un homme de gauche !

M. Jean Desessard. C'est la gauche qui s'est opposée au traité : elle se voulait européenne, mais souhaitait bâtir l'Europe sociale et fiscale. En effet, l'Europe politique est déjà construite. Il faut améliorer son fonctionnement, certes, mais l'Europe politique sans l'Europe sociale et fiscale, cela ne veut rien dire ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Je voterai contre ce texte, pour deux raisons.

La première, je l'emprunte à un fin connaisseur du traité, M. Valéry Giscard d'Estaing, qui soulignait, dans un article paru au mois d'octobre dans le journal Le Monde : « Le texte des articles du traité constitutionnel est donc à peu près inchangé, mais il se trouve dispersé en amendements aux traités antérieurs, eux-mêmes réaménagés. On est évidemment loin de la simplification. Il suffit de consulter les tables des matières des trois traités pour le mesurer ! Quel est l'intérêt de cette subtile manoeuvre ? D'abord et avant tout d'échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire constitutionnel. »

Mes chers collègues, vous me permettrez de ne pas me prêter à cette « subtile manoeuvre », même si d'autres n'hésitent pas à le faire.

La deuxième raison qui me conduit à voter contre ce texte, c'est qu'aucun des motifs qui m'avaient poussé à rejeter le précédent projet de traité n'a disparu, au contraire : avec ce nouveau texte, la BCE peut continuer à imposer le carcan de la déflation aux économies européennes, à mener sa politique de l'euro fort et à se désintéresser de tout ce qui pourrait ressembler à une politique économique et fiscale commune de plein-emploi. Quant à l'Europe sociale, l'expression n'a toujours pas de traduction en bruxellois.

Certes, je le répète, la mention de la concurrence libre et non faussée a été retirée du texte ; toutefois, elle a été réintroduite dans un protocole annexe.

Le traité de Lisbonne, nous affirme-on, représenterait un progrès de la construction européenne. J'estime pour ma part qu'il s'agit d'un progrès sur une voie sans issue, et non sur la grande route de la construction d'une nation européenne capable d'assumer démocratiquement son destin ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 85 :

Nombre de votants 320
Nombre de suffrages exprimés 307
Majorité absolue des suffrages exprimés 154
Pour l'adoption 265
Contre 42

Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

La parole est à M. le président de la commission.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment où s'achève ce débat, vous me permettrez tout d'abord de remercier notre rapporteur, M. Jean François-Poncet, auquel j'adresse un salut tout particulier, car il est, avec M. Maurice Faure., l'un des deux négociateurs français du traité de Rome encore en vie.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je suis certain qu'il s'agit pour lui d'une date importante : cet Européen convaincu se désolait, je le sais, de la panne qu'a connue l'Europe, et il est heureux de la voir redémarrer aujourd'hui.

Notre débat a été digne du Sénat. Chacun a pu s'exprimer et l'a fait avec ardeur. Les orateurs ont exposé leurs convictions et nous les avons écoutés avec beaucoup d'intérêt. Bien entendu, deux camps se sont opposés : ceux qui estiment que ce traité n'est pas une constitution et ceux qui pensent le contraire.

Nous avons d'ailleurs observé, et c'est ce qui fait l'originalité du Sénat, mais aussi son charme (Sourires.), certaines convergences entre le jacobin Jean-Luc Mélenchon et le vendéen Bruno Retailleau dans leur refus de ce traité ; la démocratie autorise de tels rapprochements !

À ceux qui considèrent que le débat n'a pas eu lieu nous avons apporté un démenti, me semble-t-il, et nous sommes même allés au fond des choses. Et à ceux qui estiment que nous avons frustré le peuple français en ne le consultant pas, j'ai le regret de dire que celui-ci a été consulté en 2007.

L'actuel Président de la République a clairement présenté le problème de la ratification future du traité européen. Il s'est engagé sur un traité européen refondu et il a obtenu la majorité des suffrages, ...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous vous répétez !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. ... qui se sont ainsi ralliés, par la force des choses, à la ligne qu'il avait définie.

On ne peut donc pas prétendre que les engagements pris par le Président de la République vis-à-vis du peuple n'ont pas été tenus. Le débat démocratique a eu lieu et, par ailleurs, notre Constitution permet la ratification des traités par la voie parlementaire ou par la voie référendaire.

M. Dominique Braye. Bien sûr !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C'est la voie parlementaire qui a été librement choisie. La République a été respectée.

C'est un jour important pour l'Europe, en même temps qu'un nouveau départ, et je m'en félicite. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voulais m'associer aux remerciements de M. le président de la commission des affaires étrangères et vous exprimer à tous ma gratitude pour ce débat.

Monsieur le président de la commission, je vous remercie de vos interventions et me félicite de la collaboration qui a été la nôtre. Monsieur le rapporteur, je salue la technicité de vos propos ainsi que le rôle éminent que vous avez joué dans la construction européenne. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous sais gré à tous de vos contributions, souvent empreintes d'émotion, notamment lorsque M. Mauroy a rappelé les différentes étapes de la construction européenne. Je vous remercie de ces débats de qualité.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le président de la commission, la démocratie et les principes républicains ont été pleinement respectés.

Le vote d'aujourd'hui est extrêmement important et marque une étape historique, me semble-t-il. Le monde veut une Europe qui soit confiante et sûre d'elle.

L'Europe attendait de la France un signal. Vous le lui avez adressé à une très large majorité, mesdames, messieurs les sénateurs. Je ne puis que vous en féliciter et m'en réjouir pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes
 

10

Transmission de projets de loi

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 200, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du règlement de la Commission intergouvernementale concernant la sécurité de la liaison fixe trans-Manche.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 202, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention de partenariat pour la coopération culturelle et le développement entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 203, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion des nouveaux États membres de l'Union européenne à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, ainsi qu'aux premier et deuxième protocoles concernant son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 204, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la coopération dans le domaine de l'étude et de l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 205, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Australie relatif à la coopération en matière d'application de la législation relative à la pêche dans les zones maritimes adjacentes aux Terres australes et antarctiques françaises, à l'île Heard et aux îles Mac Donald.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 206, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.