M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, enfin ! après deux ans de pagaille avérée, vous vous décidez, dans l’urgence, avant le lundi de pentecôte 2008, à revenir sur la loi du 30 juin 2004 instaurant la journée de solidarité.
Rappelez-vous, elle avait été votée dans la précipitation, sous le coup de l’émotion, après la canicule de 2003, qui entraîna 15 000 décès de personnes âgées.
Je ne vais pas bouder mon plaisir à vous rafraîchir la mémoire.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Surtout en période canicule ! (Sourires.)
M. Claude Domeizel. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, le 26 mai 2004, j’avais commencé mon intervention ainsi : « Bravo ! Avec ce projet de loi, vous avez fait l’unanimité…
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !
M. Claude Domeizel. …contre vous : les organisations syndicales, les partis d’opposition et une grande partie de vos sympathisants, le conseil d’administration de la CNAVTS, l’UDF, les professionnels du tourisme, les évêques de France et l’opinion publique. »
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est dur, la solidarité !
M. Claude Domeizel. Sans tenir compte non plus des avis du Conseil économique et social, vous avez fait la sourde oreille à l’ensemble de ces protestations et vous vous êtes obstinés – je parle bien sûr du gouvernement de l’époque, vous l’avez compris, madame la secrétaire d'État. (Mme la secrétaire d'État sourit.) L’obstination conduit toujours à des bêtises, que l’on est obligé de corriger ensuite.
Déjà en 2005, le Conseil d’État avait réaffirmé le caractère férié du lundi de Pentecôte. Qu’importe ! La loi a imposé sa journée de solidarité de Pentecôte à 70 % des entreprises, celles qui ne dépendaient pas des accords d’entreprises ou de branche.
Bien entendu, ce fut la cacophonie : des salariés obligés de travailler, mais des services publics fermés, notamment les services d’accueil dans les crèches, les écoles, sans compter des effets négatifs sur l’économie touristique et les transports routiers, sur les corridas de Pentecôte à Nîmes, etc.
Dans une question posée au Sénat le 12 mai 2005, je disais : « Quand une idée est mauvaise, il faut savoir le reconnaître. » Il vous aura fallu quatre ans pour admettre ce que des millions de personnes avaient compris tout de suite !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Elles avaient surtout compris comment contourner le système !
M. Claude Domeizel. C’est, de la part d’un gouvernement, une attitude inquiétante.
Désormais, la journée de solidarité devient un temps de travail supplémentaire de sept heures qui pourra, le cas échéant, être fractionné.
Certes, devant la confusion totale réitérée plusieurs années, vous vous rendez enfin à l’évidence et vous redonnez au lundi de Pentecôte son caractère férié. Mais, ne nous y trompons pas, vous ne revenez pas sur le principe de base de la journée de solidarité, la journée de travail gratuit. Vous avez inventé le travail non rémunéré, portant ainsi atteinte aux fondements du droit du travail. J’avais même cité, au cours de l’une de mes interventions, la définition du mot « corvée », qui correspondait tout à fait à ce jour de solidarité : « travail gratuit qui était dû par le paysan à son seigneur ».
M. André Lardeux, rapporteur. Ce n’est pas exactement cela !
M. Claude Domeizel. Je ne m’étendrai pas sur cette façon encore inélégante d’attaquer les 35 heures, de modifier la durée légale du travail en relevant insidieusement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Non, le plus grave, c’est que, arguant de la solidarité nationale et jouant de la culpabilisation, vous avez institué un impôt déguisé, qui plus est, réservé aux seuls salariés. C’est encore à eux qu’il revient de supporter exclusivement l’effort.
Vous évoquez avec solennité l’absolue nécessité de mettre en œuvre la solidarité nationale, mais cette solidarité ne s’applique pas à tous les revenus. Pourquoi ? Vous faites porter l’effort sur les seuls salariés, c'est-à-dire une partie de la population active.
M. André Lardeux, rapporteur. Ce sont les seuls qui bénéficient des 35 heures !
M. Claude Domeizel. En voulant imposer une mesure de solidarité ciblée, vous mettez à mal le principe de l’égalité des citoyens. Si vraiment solidarité nationale il doit y avoir, tout le monde doit y participer, et la contribution doit également concerner les revenus des placements et du patrimoine, des stock-options.
M. André Lardeux, rapporteur. C’est déjà fait !
M. Claude Domeizel. Vous connaissez la situation d’aujourd’hui et de demain : le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans va doubler d’ici à 2015. Il serait peut-être temps de proposer un texte qui soit à la hauteur des enjeux.
Cette journée de solidarité, où, curieusement, tout le monde n’est pas tenu à la même solidarité, présente paradoxalement un caractère d’iniquité.
Pourtant, le contexte économique et politique aurait pu influer sur les décisions. Or ces salariés, à qui on demande de participer, sont précisément ceux qui affrontent aujourd’hui une baisse notoire du pouvoir d’achat avec la stagnation des salaires et l’inflation. Partout, il est possible d’entendre des témoignages de foyers qui n’y arrivent plus.
Je lis dans la presse que même dans vos rangs, à droite, madame la secrétaire d'État, des députés de la majorité affirment : « Les réformes sont indispensables, mais elles doivent être justes ! » Eux-mêmes reconnaissent que le paquet fiscal de 15 milliards d’euros est injuste, que la défiscalisation des heures supplémentaires n’a rien réglé, pas plus que la déductibilité des intérêts d’emprunts. Ils réclament une meilleure répartition de l’effort fiscal en proposant que les niches fiscales soient plafonnées. Ils se plaignent de l’effet symbolique du paquet fiscal pendant les élections municipales et font remarquer que dix millions d’électeurs ne sont pas allés voter. Il faut lire, disent-ils, dans ce refus de voter, exaspération et lassitude. On croit rêver : vous avez même réussi, par une politique arrogante et antisociale, à semer le trouble au sein de vos troupes !
« Les caisses sont vides », nous a dit avec désinvolture M. le Président de la République. Il s’attache à trouver, avec le Gouvernement, quelques milliards d’économies pour enrayer la dérive du déficit. Peut-il encore trouver quelques milliards ? Oui, en commençant par revenir sur les mesures du paquet fiscal, le cadeau fiscal de 15 milliards d’euros contenu dans la loi TEPA. (M. Patrice Gélard s’exclame.)
Évidemment, nous sommes dubitatifs sur la portée des 166 mesures annoncées. Nous espérons vraiment que ce ne seront pas nos concitoyens les plus modestes qui en feront les frais, au travers de reculs dans les domaines de l’éducation, de la santé, du logement. Le mauvais exemple des franchises médicales est toujours présent dans nos mémoires.
M. Patrice Gélard. Ce n’est pas le sujet !
M. Claude Domeizel. Voilà, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans quel contexte vous tentez de rattraper une erreur grossière, mais rien en vue pour la cause de la dépendance. Aucun débat de fond à l’horizon !
Prenons l’exemple du financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, dont il serait nécessaire de faire, aujourd’hui, le bilan. La gestion de l’APA par les départements apparaît positive. Mais reste le point noir de l’insuffisance de sa prise en charge financière par l’État.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Qui l’a créée ?
M. Claude Domeizel. Mais, bien sûr, c’est nous ! Et c’est bien de l’avoir instaurée ! (M. Paul Blanc s’exclame.)
M. André Lardeux, rapporteur. En oubliant les moyens de financement !
M. Claude Domeizel. Je vous rappelle, mes chers collègues, que le financement de cette allocation devait être partagé pour moitié entre l’État et les départements. Or aujourd’hui les départements y participent pour plus de trois milliards d’euros, soit 71 % de la dépense totale, contre 1,4 milliard d’euros pour l’État.
M. Patrice Gélard. Hors sujet !
M. Claude Domeizel. Autant dire que vous auriez mieux fait de ne pas m’interpeller ! (Oh ! sur les travées de l’UMP.)
Par ailleurs, je vous rappelle que les fonctions publiques, qui, comme l’a dit notre collègue Détraigne, n’ont pas vocation à engranger des bénéfices, sont tenues de verser la contribution de 0,3 % de la masse salariale. Compte tenu de la conjoncture, autant pour les collectivités locales que pour les hôpitaux, cette situation aggrave les difficultés financières déjà rencontrées. Cela se traduit finalement par un nouveau transfert de charges, ou, dit autrement, une augmentation masquée de la fiscalité. Ce faisant, les salariés sont doublement taxés : une première fois par la journée de travail non rémunérée, une deuxième fois par l’impôt local.
Je suis navré de vous affirmer que les sénateurs socialistes ne voteront pas cette proposition de loi, qui ne vise qu’à rectifier la forme d’une disposition fondamentalement injuste sans évoquer les vrais problèmes liés à la dépendance et au handicap,…
M. André Lardeux, rapporteur. Si vous ne votez pas ce texte, cela veut dire que vous approuviez la mouture précédente !
M. Claude Domeizel. …c’est-à-dire le manque de médecins, d’infirmiers et de personnel soignant, la mise à mal des hôpitaux de proximité, le gel de certains crédits de santé, l’augmentation du coût des soins et des tarifs appliqués au sein des établissements d’hébergement de personnes dépendantes, lesquels laissent à la charge de celui qui est hébergé ou de sa famille des sommes importantes. Prétendre financer la dépendance par un jour de travail non payé est une aussi grande tromperie que laisser croire que le plan Alzheimer pourra être financé par les franchises médicales.
Après avoir relu le compte rendu intégral des débats du Sénat de la séance du 25 mai 2004, je me contenterai d’en citer quelques phrases :
« Faire reposer l’essentiel de l’effort une nouvelle fois sur le travail est contestable, dans le contexte actuel de concurrence économique internationale exacerbée que nous connaissons. Exonérer les professions libérales, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les retraités de tout effort, est-ce juste ? Je ne le crois pas.
« C’est d’autant plus regrettable que notre nouveau gouvernement avait annoncé son intention de mettre la justice sociale au cœur de ses politiques. Comment les Français pourront-ils adhérer à l’effort nouveau que vous leur demandez, monsieur le ministre, s’ils ont le sentiment que cet effort n’est pas partagé équitablement ? » Je vous laisse le soin, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de vous reporter à cette intervention. Celle-ci reflète ce que nous pensions alors, avec bien d’autres sénatrices et sénateurs, et que nous pensons toujours aujourd’hui.
Non, décidément, pour toutes les raisons évoquées, nous ne pouvons adhérer à la journée de solidarité, même avec les aménagements qui nous sont proposés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Annie David applaudit également.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. La solidarité, c’est une exigence difficile !
M. André Lardeux, rapporteur. Et c’est un long combat !
M. le président. La parole est à M. Louis Souvet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Louis Souvet. Cher collègue Domeizel, je ne résiste pas au plaisir de vous répondre. Nous connaissons tous votre sensibilité aux problèmes sociaux. Vous avez dit : « Je ne vais pas bouder mon plaisir », mais si nous n’avions pas fait ce que vous avez appelé une « erreur grossière », vous auriez été privé de ce plaisir. (Sourires.) Et je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler d’autres erreurs, autrement plus graves, que vos amis et vous-même avez commises, dont l’impact économique a été beaucoup plus important,…
M. Claude Domeizel. Je vous vois venir !
M. Louis Souvet. …et que nous avons mis longtemps à réparer.
La canicule de l’été 2003 a révélé les insuffisances de notre prise en charge de la dépendance. Elle a joué un rôle d’électrochoc dans le grand public, mettant au grand jour la situation d’isolement dans laquelle se trouvaient, et se trouvent encore, certains de nos aînés.
Je rappellerai que nous avons comptabilisé au cours de l’été 2003 quelque 15 000 morts. Or 15 000 morts, dans un pays que l’on dit « riche », dans une France bien organisée, c’est une ville moyenne qui disparaît en quelques semaines, ou en quelques mois, à la suite d’un incident climatique. Il s’agit là d’un événement qui interpelle, ou qui, en tout cas, devrait interpeller notre conscience collective, mais le monde est ainsi fait qu’il oublie vite, très vite !
L’espérance de vie s’accroît et la population vieillit. Si cette évolution est le résultat des progrès sociaux et de ceux de la médecine, elle multiplie malheureusement les situations de dépendance des individus et crée une charge supplémentaire pour les familles et pour la société. À l’heure actuelle, 20 % des adultes ont déjà, dans leur entourage proche, un parent qui ne peut vivre seul.
Notre pays ne s’est, hélas ! pas suffisamment préparé à cette réalité : nous sommes en retard dans notre prise en charge des personnes âgées, que ce soit à domicile ou en établissement.
La loi du 30 juin 2004, en posant le principe de la journée de solidarité, a apporté un embryon de réponse à la nécessité de renforcer les moyens disponibles.
Sont ainsi visés non seulement la dépendance liée au grand âge, mais également le handicap.
La journée de solidarité ne constitue pas une nouvelle imposition. En effet, étant donné qu’elle repose sur une augmentation du temps de travail, elle n’entraîne pas de perte de salaire. Elle exige des salariés une présence supplémentaire de sept heures par an. Il s’agissait là de la seule solution possible pour éviter une augmentation de la pression fiscale qui risquait, au contraire, d’être mal ressentie.
La solidarité est l’un des fondements de notre société. Il est rassurant, je pense, de voir cette solidarité s’exprimer à un moment où les liens familiaux se distendent et où, malheureusement, l’indifférence et l’égoïsme se banalisent.
Les études d’opinion effectuées à la suite du drame de la canicule ont montré que les Français, à une large majorité, acceptent de travailler une journée supplémentaire en faveur de leurs aînés et des personnes handicapées.
L’idée n’est pas inédite. Elle est, en effet, expérimentée avec succès par l’Allemagne depuis plusieurs années. Notre voisine a ainsi supprimé la journée nommée Buss und Bettag, fête protestante connue.
En France, la loi de 2004 a créé un organisme bien identifié pour la gestion des fonds : la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ou CNSA. L’État n’a pas voulu que les fonds soient dilués dans son budget ou dans les comptes de la sécurité sociale. Il a créé cet établissement public en le dotant d’un organe de surveillance associant les élus, les parlementaires, les partenaires sociaux et le milieu associatif.
La transparence et la lisibilité de ce dispositif ont été assurées afin de ne pas renouveler l’expérience passée de la vignette automobile qui – chacun s’en souvient – a largement été détournée de sa vocation originelle.
Dans les faits, le produit de la journée de solidarité a bien été affecté à des actions en faveur des personnes dépendantes. La Cour des comptes l’a confirmé dans un rapport en juillet 2006. Il n’y a pas non plus eu d’« effet de substitution », car l’État et la sécurité sociale n’ont pas diminué leur contribution en la matière.
L’efficacité de la journée de solidarité est indéniable : comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, elle a généré plus de deux milliards d’euros. Elle a permis la médicalisation de 110 000 places en maisons de retraite ; en outre, 14 000 places médicalisées pour les personnes âgées dépendantes ont été créées à domicile ou en établissement et 7 000 places pour les personnes handicapées. Le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, a été complété au travers d’une contribution de plus de 400 millions d’euros en 2007, allouée aux départements.
Cette journée devrait, en outre, favoriser l’esprit de fraternité répondant ainsi à une trilogie qui, selon moi, a résisté à l’épreuve du temps : « liberté, égalité, fraternité ».
Nous devons donc nous réjouir que le Gouvernement ait souhaité maintenir le principe de la journée de solidarité.
Cela étant dit, il convenait de prendre en compte les difficultés qui ont été relevées dès son application.
Lors du vote de la loi du 30 juin 2004, nous avons longuement débattu des modalités pratiques de mise en œuvre de la journée de solidarité.
Le choix retenu permettait une certaine souplesse, puisque les accords de branche ou d’entreprises étaient privilégiés. Cependant, sur le terrain, la dynamique de négociation nécessaire ne s’est pas enclenchée. À défaut de choix, la loi avait fixé le lundi de Pentecôte comme journée travaillée, ce qui a donné lieu à des situations les plus diverses.
Ce manque de lisibilité a contribué à l’insatisfaction de la population et de l’opinion, alors même que l’idée d’une journée de solidarité avait été bien perçue.
En 2007, 70 % des entreprises étaient ouvertes ce jour-là, mais elles comptaient moins de la moitié de leurs salariés, essentiellement parce que ceux-ci devaient pallier le problème de la garde de leurs enfants. En effet, les établissements scolaires et les garderies publiques étaient fermés, laissant plus de quatre millions d’enfants de moins de douze ans sans accueil.
Par ailleurs, les jours fériés font partie des traditions de notre société et entraînent une activité économique non négligeable. Le lundi de Pentecôte, notamment, est réservé à des fêtes locales ou religieuses chez les protestants par exemple, qui suscitent des investissements importants. À cet égard, il est à noter la diminution de 60 % de la fréquentation du Mont-Saint-Michel en 2005 ou les problèmes posés à la Feria de Nîmes, point qui a été évoqué par M. Domeizel.
Enfin, il a été relevé un problème spécifique au transport routier, car, pour des raisons de sécurité routière, les transporteurs routiers travaillant le lundi de Pentecôte ne peuvent faire circuler les poids lourds de plus de 7,5 tonnes.
Les difficultés de mise en place de la journée de solidarité ne sont, certes, pas insurmontables, mais elles nécessitent une modification législative.
La solution de bon sens réside, bien sûr, dans la souplesse. Tel est le sens des modifications contenues dans la présente proposition de loi.
Le texte retient l’une des solutions suggérées dans le rapport de M. le secrétaire d’État Éric Besson et aboutit à une grande liberté dans le choix des modalités de mise en œuvre de la journée de solidarité.
Ainsi est respecté l’esprit de la loi du 30 juin 2004 privilégiant le dialogue social et la responsabilisation des acteurs.
L’aménagement des horaires de travail que l’on a connu ces dernières années permet plusieurs types de choix : le travail d’une journée de RTT, le travail d’un jour férié, ou toute autre modalité aboutissant à l’apport de sept heures au pot commun – ce qui ne signifie tout de même pas, comme vous l’avez signalé, une minute par jour !
Parallèlement, le caractère férié du lundi de Pentecôte est rétabli, ce qui satisfera la plupart des familles ainsi que les acteurs locaux organisateurs de festivités ce jour-là.
En votant cette proposition de loi, nous permettrons le retour à une situation saine dès cette année. Nous éviterons ainsi des désordres qui, je pense, auraient été encore amplifiés par les hasards du calendrier, puisque le lundi de Pentecôte succédera, cette année, au « pont » de la commémoration du 8 mai 1945.
Aujourd’hui, alors que la création d’un « cinquième risque » de protection sociale est envisagée, la journée de solidarité représente un puissant symbole. Notre groupe salue la détermination du Gouvernement car nous voulons tous offrir à nos parents, nos proches, nos aînés en général, plus de soins, plus d’attention et des conditions d’existence plus dignes.
Dès lors, bien évidemment, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui ne représente qu’une adaptation technique, destinée à répondre à la demande pressante du patronat, notamment à l’industrie du tourisme, et j’ai bien entendu les derniers commentaires de M. Louis Souvet concernant la Feria de Nîmes ou le transport routier.
Elle prévoit de donner toute liberté aux partenaires sociaux, particulièrement au MEDEF, pour ajuster les modalités de cette journée de travail supplémentaire.
À ce titre, elle n’appelle guère de commentaires de notre part sur le texte lui-même. Je soulignerai simplement que notre collègue André Lardeux, dans son rapport, nous présente une réforme – la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et son pendant, la journée de travail non rémunérée – comme un succès qui serait une œuvre de solidarité nationale largement approuvée par nos concitoyens, alors qu’elle apparaît, au mieux, comme un coup d’épée dans l’eau.
M. le rapporteur omet également, en tentant de justifier cette taxation des seuls salariés, de rappeler que cette invention provient de ceux-là mêmes qui ont instauré les franchises médicales pour faire payer aux malades le prix de leur maladie, qui veulent porter atteinte à la prise en charge à 100 % des affections de longue durée, qui ont préféré taxer les préretraites plutôt que les stock-options et, enfin, qui ont voté, en juillet dernier, 15 milliards d’euros de cadeaux fiscaux pour les plus nantis.
Comment s’étonner aujourd’hui que les caisses soient vides et qu’il faille encore rechercher des économies – plusieurs milliards d’euros – toujours dans les poches des mêmes personnes à travers la « modernisation des politiques publiques » ? Tout se tient, mais le Gouvernement se situe dans une logique et nous dans une autre ! C’est pourquoi je crois bon de vous rafraîchir la mémoire.
Cette proposition de loi nous ramène, à l’occasion d’un débat comme toujours tronqué, à des questions fondamentales sans cesse éludées par le gouvernement actuel et par ceux qui l’ont précédé.
Je suis, pour ma part, convaincue que la spectaculaire croissance de l’espérance de vie – vous avez rappelé tout à l’heure, madame la secrétaire d’État, que le nombre de personnes âgées de plus de quatre-vingt-cinq ans s’élèvera à deux millions en 2015 – appelle une réflexion et des mesures à la hauteur d’un enjeu fondamental, à savoir la place que notre société veut attribuer à chacun de nous et tout au long de la vie, avec, bien sûr, les moyens permettant de répondre à la sous-estimation des besoins des personnes âgées dans notre pays.
Déjà, la loi du 21 juillet 2001 créant l’APA avait suscité au sein de mon groupe des objections qui se révèlent aujourd’hui encore fondées. Même si elle constituait un progrès par rapport au dispositif précédent, à savoir la très inégalitaire PSD, ou prestation solidarité dépendance, l’APA maintenait, avec ses conventions tripartites instaurées, une forte inégalité de traitement entre domiciles et établissements.
Le financement « à tuyauterie » – passez-moi l’expression, mes chers collègues – avait très rapidement été insuffisant. Nous avions également déploré que le Gouvernement ne prenne pas d’engagement quant au nombre d’établissements à créer ou à l’augmentation significative des personnels formés. Enfin, la condition d’âge de soixante ans était maintenue.
À l’époque, nous étions déjà convaincus qu’il fallait créer un cinquième risque – on en a beaucoup parlé aujourd'hui – afin que la dépendance relève de la solidarité nationale.
En mai 2004, lorsque le Sénat examina le projet de loi relatif à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et handicapées, nous affirmions assister à une régression sociale sans précédent, ainsi qu’à une décentralisation à haut risque des questions liées à la dépendance et au handicap, avec pour conséquence que l’égalité des droits ne serait assurée ni sur l’ensemble du territoire ni selon le degré de dépendance. C’est pourquoi mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même nous étions prononcés contre un texte qui n’était que de la poudre aux yeux.
Depuis lors, cette orientation s’est malheureusement confirmée. La création, dans le texte précité, d’une Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, au statut incertain et au périmètre grossièrement défini, constituait déjà, selon nous, l’amorce d’une protection séparée pour les personnes âgées et les personnes handicapées, en contradiction avec les principes de l’assurance maladie, qui a vocation à couvrir tous les besoins de toutes les catégories de la population.
Les associations comme les organismes de sécurité sociale n’avaient d’ailleurs pas été dupes : ils ont rejeté massivement cette rupture du pacte de solidarité. Je vous rappelle, en effet, madame la secrétaire d'État, que l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, la CNAF, la Caisse nationale d’allocations familiales, et la CNAM, la Caisse nationale d’assurance maladie, avaient repoussé unanimement ce dispositif.
Cette volonté de « mettre à part » les personnes âgées et handicapées représentait, en effet, une remise en cause de la solidarité entre les bien portants et les malades, entre les cotisants et les autres. Voilà qui nous rappelle les franchises médicales ! La logique suivie est toujours la même.
La réflexion qui avait présidé à la création de cette caisse signifiait clairement que le vieillissement et la dépendance n’auraient plus vocation à être pris en charge par la solidarité nationale.
Dans le même esprit, il existe, selon moi, un risque de privatisation de la prise en charge de la dépendance, en raison de la volonté clairement affichée par le Gouvernement de privilégier la prévoyance individuelle et assurantielle en matière d’autonomie. Les grandes compagnies d’assurance sont d’ailleurs bien conscientes du marché qui leur est ouvert.
De la même façon, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a institué une prestation de compensation dont le financement reste des plus flous, puisqu’il émarge, lui aussi, à la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Je n’aurai garde d’oublier, dans cette « panoplie », la loi relative aux libertés et responsabilités locales, qui, je le rappelle, a transféré aux départements l’entière responsabilité des trois grandes allocations de solidarité, à savoir le RMI, l’APA et la PCH, la prestation de compensation du handicap, sans avoir l’assurance qu’une dotation couvrirait intégralement les charges transférées.
En effet, le problème de ces prestations demeure, plus que jamais, la répartition de leur financement entre l’État, via la CNSA, et les départements.
Alors qu’une répartition équitable était prévue à l’origine, la participation de l’État a chuté, ce qui suscite des disparités importantes entre les départements. Or l’APA, comme la PCH ou le RMI, constitue une prestation sociale universelle dont les conditions d’attribution sont fixées nationalement par l’État.
Pour dégager des ressources nouvelles, les conseils généraux ne peuvent donc qu’alourdir la fiscalité qui pèse sur les ménages via la taxe d’habitation. Tout se tient : on prend toujours dans les mêmes poches !
Finalement, le débat de fond, que les gouvernements ont sans cesse éludé, concerne bien la définition d’un droit à compensation universel et son financement, fondé sur l’expression d’une réelle solidarité, comme celle qui présida en 1945 à la création de la sécurité sociale sous l’égide du Conseil national de la Résistance.
A contrario, à l’époque, nous avions proposé de créer un cinquième risque de sécurité sociale, portant sur la dépendance, l’incapacité ou la perte d’autonomie, sans discrimination quant à l’âge de la personne ou l’origine de son handicap. En effet, il ne doit pas y avoir de morcellement des mesures séparant les personnes âgées et les personnes handicapées ; ainsi pourrons-nous répondre aux besoins de nos concitoyens les plus fragilisés, de façon plus cohérente, plus universelle et plus solidaire et sans instituer des barrières d’âge, comme il en existe actuellement.
Quant au fond, la question est bien celle-ci : quelle solidarité souhaitons-nous pour la France du XXIe siècle ? Nous, nous voulons continuer de nous fier à la prise en charge collective, qui se trouve au fondement de notre protection sociale depuis 1945 ; vous, madame la secrétaire d'État, vous entendez nous faire croire que ces questions doivent désormais relever de l’initiative privée, de la couverture individuelle d’un risque, comme pour l’assurance automobile.
Pour toutes ces raisons, et surtout parce que notre conception de la solidarité est bien différente de la vôtre, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)