Mme Nicole Bricq. Pas assez !
M. Éric Woerth, ministre. Le président Hyest l’a d’ailleurs indiqué : il est possible de transférer des crédits entre les programmes d’une même mission. Je pense que les choses avaient été soigneusement pesées au moment du vote de la loi organique. Ce serait un risque supplémentaire d’aggravation de la charge publique que d’élargir les possibilités très bien calibrées par la LOLF.
Par l’amendement n° 47 rectifié, monsieur Cointat, vous proposez que ne soient visées que des aggravations « directes » des charges publiques. Cela pourrait nous entraîner dans le débat très complexe de savoir ce qu’est une charge directe et ce qu’est une charge indirecte. Je ferai simplement remarquer que, très souvent, dans la pratique qu’elles ont développée, les commissions des finances des deux assemblées interprètent avec sagesse, c’est-à-dire de façon assez souple, l’article 40 en acceptant des amendements qui contribuent parfois à la création de charges indirectes. Voilà pourquoi je ne suis pas favorable à cet amendement.
Enfin, l’amendement n° 48 rectifié tend à restaurer la règle du préalable parlementaire, qui interdirait au Conseil constitutionnel d’examiner d’office et de censurer un amendement adopté si l’article 40 n’avait pas été invoqué dans la première assemblée saisie du texte. Cela reviendrait à interdire au Conseil constitutionnel de se prononcer sur des amendements inconstitutionnels. Cette limitation ne me semblant pas opportune et .je propose également le rejet de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, contre les amendements identiques nos 146, 200 et 467. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Bernard Frimat. Pourquoi contre ? Il n’a pas le droit ! C’est une explication de vote !
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en vertu de l’article 49, alinéa 6, du règlement, sur chaque amendement, après qu’ont été entendus l’un des signataires, le président ou le rapporteur de la commission et le Gouvernement, un sénateur d’opinion contraire peut s’exprimer, avant qu’on ne passe aux éventuelles explications de vote.
La parole est donc bien à M. Philippe Marini pour qu’il s’exprime contre ces amendements.
M. Philippe Marini. Je souhaiterais en effet expliquer, à la suite de la commission et du Gouvernement, pourquoi il me semble nécessaire de rejeter ces différents amendements.
Le président Jean Arthuis a eu raison de nous rappeler que la Constitution n’est pas tout : il est des constitutions parfaites qui ne garantissent ni une gouvernance optimale ni le bonheur des peuples. Ainsi, la constitution que l’on commentait comme étant la plus parfaite du temps où j’étais étudiant était celle de l’Union soviétique ! (Rires.)
M. Gérard Delfau. Mais où donc avez-vous fait vos études ? (Nouveaux rires.)
M. Philippe Marini. Elle prévoyait tout, avait été rédigée par d’admirables juristes, mais, bien entendu, elle était très loin de la réalité de la société.
Pour en venir à l’article 40, il est vrai que l’essentiel en matière de prévision et de gestion des finances publiques, c’est la volonté, et même la volonté partagée d’un Gouvernement et d’une majorité parlementaire.
M. Gérard Delfau. Eh oui ! D’un gouvernement !
M. Philippe Marini. Que l’article 40 puisse être perçu comme une discipline quelque peu artificielle, parfois comparable à un paravent, voire à un rideau de bambous que l’on déploie un peu à sa convenance, soit. Le président Arthuis a eu, là aussi, le mérite de nous le rappeler. Cependant, quelle que soit la période de la Ve République que l’on considère, et étant entendu que l’article 40 n’a jamais garanti la vertu budgétaire (Sourires.),…
M. Philippe Marini. … il n’en reste pas moins que, d’un point de vue pédagogique, et pour la bonne organisation des travaux du Parlement, le fait de demander aux parlementaires d’être vertueux est, à mon sens, une excellente chose. C’est assurément une orientation utile que d’inciter les parlementaires à faire travailler leur imagination dans tous les domaines possibles, mais sans que s’en trouve détérioré le solde des finances publiques.
M. Gérard Delfau. Tout à fait !
M. Philippe Marini. Si cela était vrai en 1958, à l’époque où la présente Constitution a été élaborée, cela le reste évidemment aujourd’hui.
Par ailleurs, nous sommes désormais en mesure d’appliquer l’article 40 de façon transparente, plus que ce n’était le cas autrefois, du moins en ce qui concerne le Sénat. Notre commission des finances a en effet élaboré un document qui a été présenté, assorti de commentaires, à toutes les autres commissions et qui définit les règles du jeu, c’est-à-dire les conditions d’interprétation de cet article de discipline budgétaire.
Mes chers collègues, sachant les défis auxquels nous sommes confrontés et la difficulté que nous aurons à respecter les critères de convergence vers l’année 2012, de grâce, conservons les procédures qui permettent d’organiser nos débats et qui, dans le droit fil de la volonté des fondateurs de la Ve République, incitent les législateurs que nous sommes à avoir le sens des responsabilités !
Il est toutes sortes de choses qui peuvent se traduire en initiatives parlementaires ; il suffit d’y réfléchir un peu ! Les marges d’amélioration sont si considérables dans tous les domaines qu’il faut vraiment faire preuve de peu d’imagination pour demander des dépenses supplémentaires qui ne soient pas correctement gagées. On peut faire, au sein du Parlement, l’exposé de toute alternative politique en respectant scrupuleusement l’article 40 de la Constitution.
Pour ce qui est de la vertu du Gouvernement lui-même, bien entendu, l’article 40 n’est pas fait pour la garantir. Ce sont les débats à venir, en particulier sur les différents projets de loi qui émaillent le calendrier parlementaire et qui sont susceptibles d’induire des dépenses supplémentaires sans que l’on ait fait l’effort de les resituer dans un cadre global, ce sont ces débats qui nous permettront peut-être, monsieur le ministre, de dialoguer avec vous pour trouver les bonnes règles, les bons principes, les bonnes méthodes afin que le Gouvernement accepte de s’appliquer cette autodiscipline que la Constitution impose aux parlementaires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Tout d’abord, je me réjouis que l’on ait pu concentrer notre discussion sur les amendements financiers et faciliter ainsi la gestion de l’agenda du ministre concerné.
Je n’ai pas d’affection particulière pour les professeurs de vertu. Prôner la vertu est un exercice difficile et celui qui s’y livre s’expose toujours dangereusement. En effet, à professeur de vertu professeur de vertu et demi ! Je n’aborderai donc pas le problème sous cet angle-là.
J’ai été frappé par l’inanité des arguments présentés en faveur du maintien de l’article 40.
Premier argument vain : on peut garder l’article 40 puisqu’il est peu souvent invoqué. On nous dit en quelque sorte, traduit dans le langage simple de quelqu’un qui, comme moi, n’est pas membre – forcément éminent ! – de la commission des finances : « Puisqu’il ne sert pas ou presque pas, cela nous fait plaisir de le garder ! »
Deuxième argument : il est efficace dans la maîtrise des dépenses publiques. (Mme Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Dans la suite de la discussion, le rapporteur et président de la commission des lois nous soumettra un amendement visant à préciser, à l’article 24 de la Constitution, que le Parlement, outre qu’il vote la loi, « en mesure les effets ».
S’il s’agit de mesurer les effets de l’article 40, on pourra inscrire le record d’efficacité au Guinness book !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’y a pas que les lois financières !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Ce serait encore pire si l’article 40 n’existait pas !
M. Bernard Frimat. Ainsi, notre satisfaction est totale ! L’article 40, bouclier brandi par les différents professeurs de vertu qui se sont succédé, nous a protégés de tout déficit, au point que la situation de nos finances publiques fait l’admiration de l’Europe entière ! Et celle-ci, c’est évident, nous envie l’article 40 ! Si nous pouvions toucher des droits d’auteur sur cet article, sans doute pourrions-nous résorber une partie non négligeable de notre déficit ! (Sourires.)
J’ai récemment lu dans la presse une tribune rédigée par deux personnes dont la qualité pour traiter de ces sujets est indiscutable. Il n’est tout de même pas anodin que le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et le président de la commission des finances du Sénat aient éprouvé le besoin d’écrire ensemble,…
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. C’est dangereux ! (Sourires.)
M. Bernard Frimat. Il faut vivre dangereusement, monsieur de Rohan !
M. Bernard Frimat. … et j’ai pourtant cru comprendre qu’ils n’étaient pas d’accord sur tout, …
M. Bernard Frimat. … pour demander que l’on permette aux parlementaires d’être responsables et que l’on arrête de considérer ces derniers comme des enfants, dont les doigts doivent régulièrement subir les coups de cette espèce de règle de bois qu’est l’article 40 ! (Sourires.)
Monsieur Marini, quel est l’intérêt de maintenir un article qui est inefficace, qui est rarement invoqué et qui ne sert guère qu’à se donner le sentiment de défendre la vertu ?
Entre la contrainte et la responsabilité, j’ai la faiblesse de croire à la responsabilité. Celle-ci peut être exercée par le Gouvernement et par les parlementaires dans leur ensemble.
Le groupe auquel j’appartiens soutiendra sans réserve l’initiative tendant à accroître la responsabilité du Parlement.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Il est vrai que l’article 40 paraît à beaucoup de parlementaires, et depuis longtemps, assez anachronique,…
M. Michel Charasse. … et même insupportable,…
M. Michel Charasse. … dans la mesure où nous avons tous en mémoire l’origine du Parlement en France : en 1789, le vote de l’impôt, le vote des ressources, le vote des dépenses, c'est-à-dire quelque chose qui était considéré, à l’époque, comme la première liberté formidable conquise par le peuple et exercée par l’intermédiaire de ses représentants.
Je comprends Jean Arthuis et les auteurs des autres amendements : il est vrai que c’est une discipline très stricte qui a été introduite par Guy Mollet dans le décret du 19 juin 1956 – le rapporteur de la commission des lois l’a rappelé tout à l’heure – et qui a été reprise ensuite dans la Constitution de 1958. Une discipline d’une rigueur tellement absolue qu’il a fallu que les chambres elles-mêmes apportent quelques assouplissements à son application. Je signale en particulier que si, l’on appliquait strictement l’article 40, depuis 1958, nous ne pourrions jamais, par exemple, proposer, sans la gager, une réduction des amendes pénales, pour ne rien dire de leur suppression. On a donc considéré que, dans le domaine pénal, il ne fallait pas appliquer l’article 40, bien qu’il soit applicable.
Depuis 1958, la pratique a conduit à rendre obligatoires et indispensables les gages en ce qui concerne les recettes, mais, comme l’a souligné notre collègue M. Cointat tout à l’heure, il est impossible de gager en dépenses, en raison de l’emploi du singulier et non du pluriel.
On a assisté alors au développement de pratiques très simples : en matière de recettes, des gages, mais il s’agit la plupart du temps, tous les ministres du budget qui se sont succédé le savent bien, de faux gages, la dernière invention étant les droits sur les tabacs. Quant aux dépenses, des gages assez fantaisistes ont été inventés dans les propositions de loi, puisque l’on a admis pour celles-ci – sinon, on ne pourrait jamais en déposer – la possibilité de gager en dépenses, bien que ce soit tout à fait contraire à l’article 40.
Le président Arthuis nous dit que le Gouvernement dispose des moyens de faire écarter les amendements dépensiers. Mais, moi, je ne sais pas quels sont ces moyens ! À part l’article 44, troisième alinéa, sur le vote bloqué ou l’exigence absolue de l’examen préalable des amendements avant qu’ils n’arrivent en séance publique, soit l’article 44, deuxième alinéa, je ne vois pas d’autres solutions ! Par conséquent, ce n’est pas si facile que cela.
Au-delà de ces considérations, je pense que lâcher là-dessus serait un très mauvais signal au moment où la France doit faire des efforts colossaux pour être « dans les clous » de Maastricht en 2012, étant entendu que, pour la première fois dans leur histoire, les Français vont devoir payer leurs dettes, puisqu’ils n’ont plus à leur disposition l’inflation et la dévaluation pour « voler » le livret des caisses d’épargne des grands-mères et les faire payer à leur place.
Au moment où nous devons faire un effort formidable à faire et où il faut mobiliser la nation pour que la France ne perde pas la face en 2012 et ne soit pas ravalée au rang d’État secondaire en Europe, c’est donc un très mauvais signal que de relâcher les disciplines là-dessus.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Michel Charasse. Même si cela ne plaît pas, j’ajoute que l’habitude qui a été prise voilà quelque temps par les parlementaires, surtout dans une autre assemblée – la nôtre n’est pas très coutumière du fait et ce n’est pas particulièrement elle que je vise –, de suivre systématiquement les cortèges de la rue ne me conduit pas à être optimiste dans ce domaine. (M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État, rit.)
Voilà ce que je voulais dire pour justifier les raisons qui font que, à mon grand regret, et même si l’amitié peut peser d’un certain poids, je ne voterai pas les amendements qui visent à supprimer l’article 40.
Il est vrai, mes chers collègues, que cet article n’a pas empêché d’accumuler les déficits, et Jean Arthuis a raison de le souligner. Mais il est vrai aussi ce n’est pas son objet : l’article 40 est un article de discipline à l’usage des seuls parlementaires.
En réalité, la question qui se pose est celle de l’exclusivité de l’initiative sans contrainte qui est donnée au pouvoir exécutif en matière de dépenses. Mais c’est un autre débat. Ce n’est pas le débat sur l’article 40 ; c’est le débat sur la loi organique relative aux lois de finances en ce qui concerne le droit d’initiative en matière de dépenses.
Voilà les motifs pour lesquels, à mon grand regret, je ne pourrai pas suivre les collègues qui proposent une mesure apparemment séduisante.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. J’ai subi, comme certainement beaucoup d’entre nous, les foudres de l’article 40. Cela m’a fait penser à la Sublime Porte : avant de vous étrangler avec le lacet, on vous couvrait de bonnes paroles et de décorations !
Le lacet, c’est le courriel que l’on reçoit : « La commission des finances a décidé que… »
M. Philippe Marini. C’est rédigé autrement !
M. Richard Yung. Cela étant, le président Arthuis, lorsqu’on va le voir, a toujours la courtoisie d’expliciter les méandres du raisonnement qui a conduit à l’application de l’article 40.
Ma première réflexion a consisté à penser que les critères d’application n’étaient pas clairs. Je dirai même qu’ils sont à géométrie variable ! La règle est déjà discutable en elle-même si les critères ne font pas l’objet d’un accord assez large.
Plusieurs d’entre vous ont souligné que l’article 40 était peu efficace, voire inefficace. Cette idée que l’on peut contourner l’article 40 par les gages, soit en recettes, soit en dépenses, n’est pas très sérieuse ; en tout cas, elle affaiblit le dispositif. Nous savons tous que les gages sur les tabacs ou autres ne sont pas très sérieux. Le dispositif présente donc une faiblesse structurelle.
Sur le fond, à partir du moment où il ne peut pas faire de proposition qui ait des conséquences financières, qu’il s’agisse de dépenses ou de recettes, le parlementaire n’a plus la possibilité d’élaborer et de proposer une politique. C’est comme essayer de sauter en hauteur avec une jambe attachée !
L’article 40 empêche donc les parlementaires, quels qu’ils soient, de faire des propositions alternatives, ce qui constitue pourtant, me semble-t-il, le cœur de notre travail. Sans cette possibilité, ils sont des gestionnaires et des contrôleurs, mais alors on n’est plus dans le domaine de la politique.
Mon intervention s’inscrit donc tout à fait dans le sens de la revendication tendant à restituer au Parlement sa fonction fondamentale en donnant des responsabilités pleines et entières aux parlementaires. Je voterai donc ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Je pense que, comme moi, au terme de « vertueux » vous préférerez tous celui de « responsable ». Et je ne crois pas que les parlementaires le soient moins que les ministres !
Mme Nicole Bricq. Monsieur Woerth, je ne sais plus très bien si vous parliez de fermer la porte, d’ouvrir les fenêtres ou du contraire… (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Quoi qu’il en soit, je le dis préalablement à toute autre considération, en matière de responsabilité ou de vertu, comme on voudra, nous ne pouvons donner une prime à tel ou tel gouvernement, car tous, je vous en donne acte, ont eu recours à cet artifice.
M. Michel Charasse. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. Cela étant, pour n’évoquer que la période récente, monsieur le ministre, vous pratiquez des baisses ciblées – j’en resterai à ce qualificatif – d’impôts et, dans le même temps, vous comprimez la dépense. Vous créez ainsi des niches fiscales nouvelles qui viennent s’ajouter à la longue liste de celles qui existaient déjà, et je peux citer nombre d’exemples.
À la fin du mois de mai dernier, le Premier ministre présidait la Conférence nationale des finances publiques, laquelle est censée promouvoir la vertu budgétaire. Or, la veille même, le Président de la République avait annoncé la mise en place d’un crédit d’impôt pour les entreprises qui développent l’intéressement. En l’espèce, où est la vertu ?
N’accusez donc pas les parlementaires de manquer d’esprit de responsabilité ! M. Arthuis, à travers le bilan qu’il a dressé pour l’année qui vient de s’écouler, a montré qu’ils avaient su faire preuve de responsabilité.
Si, lors de l’examen d’un texte dont l’un des objectifs affichés est la revalorisation du Parlement – vous l’avez dit souvent, monsieur le secrétaire d'État, tout comme Mme la garde des sceaux –, nous n’abrogeons pas l’article 40 de la Constitution, nous ne le ferons jamais ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit. – M. le secrétaire d’État s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Cette discussion montre bien que personne n’est dupe, chacun s’accordant à reconnaître que l’article 40 est inefficace.
Pour ce qui nous concerne, nous pensons qu’il vise avant tout à réduire l’initiative des parlementaires dans le cadre de l’ensemble de la procédure législative. Je m’efforcerai rapidement de le démontrer, en me fondant sur des exemples concrets.
Le projet de loi pour l’égalité des chances avait donné lieu au dépôt de 900 amendements et sous-amendements, dont 160 ont été déclarés irrecevables. Sans surprise, 151 de ces amendements émanaient de parlementaires de l’opposition.
Quant au projet de loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, il a fait l’objet de 663 amendements, dont 21 ont été déclarés irrecevables et une dizaine a été « victime » de la procédure du vote bloqué.
Ces chiffres montrent que, sur des textes essentiels, structurants, déterminants quant au sens que l’on souhaite donner à une politique, l’article 40, comme les autres outils de procédure, peut être largement utilisé pour couper court à la controverse parlementaire.
Cependant, quand on veut faire autrement, on le fait ! Ainsi, lorsque le Sénat a examiné en première lecture le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, seuls 4 des 976 amendements déposés sont tombés sous le coup de l’article 40. Et aucun des 450 amendements déposés en seconde lecture n’a fait l’objet d’un tel traitement, alors qu’il est fort probable que certains tendaient à détériorer les comptes publics !
Derrière l’habillage constitutionnel, se profile clairement ce que nous supposions : l’article 40 ne sert qu’à brider, autant que faire ce peut, l’expression des parlementaires, notamment ceux de la minorité, alors même qu’il de voter contre un amendement déclaré irrecevable pour qu’il ne soit pas introduit dans la loi.
L’article 40, c’est le bâton qu’on utilise quand on veut faire sentir que l’on est fort, alors même que le débat parlementaire suffit à faire valoir la règle majoritaire.
Pourquoi, en effet, « organiser » le débat sur la réforme des retraites ou sur le texte pour l’égalité des chances en recourant massivement aux instruments de procédure, notamment à l’article 40, sinon pour brider l’expression de l’opposition, tandis qu’on laissera s’exprimer sans limite les groupes et les parlementaires de la majorité sur d’autres textes, comme ce fut le cas lors de la discussion du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ?
Rien, dans les faits, ne justifie aujourd’hui que l’article 40 soit maintenu dans notre Constitution. Cet élément de procédure est, en fait, largement détourné de son objet et dévalué au profit d’une utilisation tactique et circonstancielle, uniquement guidée par des impératifs politiques.
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Bien entendu, je n’ai pas été étonné de l’avis que vous avez formulé, monsieur le ministre, sur les trois amendements que j’ai présentés. J’aurais même pu écrire votre réponse ! Au reste, il en aurait été de même avec tout gouvernement, quelle que soit sa sensibilité, parce que, malheureusement, dès qu’on touche aux finances, les financiers font bloc ! Il ne faut toucher à rien ! Tout le problème est là !
Par conséquent, si je ne vous en veux pas d’avoir tenu de tels propos, je les regrette cependant. En effet, la souplesse, ce n’est pas uniquement des mots : elle doit aussi se traduire par des actes.
Pour ma part, je suis très attaché, contrairement à d’autres, à l’article 40. Effectivement, moins il servira, mieux sera administrée la preuve qu’il joue son rôle de garde-fou.
Je suis cependant attaché à un article 40 appliqué avec bon sens et réalisme.
Quand on reprend un amendement qui a été d’abord imaginé par Jean Arthuis, puis repris par le comité Balladur, on s’appuie tout de même sur des références solides ! Je rappelle que M. Balladur a été ministre des finances, puis Premier ministre, que M. Arthuis a, lui aussi, été ministre des finances. Bien sûr, n’étant plus aujourd’hui ministres des finances, ils voient les choses autrement ! Toute la différence est là !
Tout se passe en effet comme si nous étions prisonniers de quelque chose d’immuable. J’ai d’ailleurs ressenti cette impression en écoutant les propos extrêmement intéressants de notre excellent collègue Philippe Marini. Son discours montre qu’il y a ceux qui sont les maîtres de la connaissance en matière financière et les autres ! Malheureusement, je fais partie des autres !
M. Philippe Marini. Les maîtres de l’international sont beaucoup plus puissants ! (Sourires.)
M. Christian Cointat. Et pourtant, je crois qu’il faut faire quelque chose.
Je vais vous montrer, monsieur le ministre, que je peux, moi aussi, faire preuve de souplesse : je retire l’amendement n° 46 rectifié, …
M. Christian Cointat. … qui, prétendument, introduirait un facteur de dépense, alors qu’il s’agit en réalité d’un facteur de compensation. Pas plus que vous, cher collègue Philippe Marini, nous n’avons le désir de mettre en péril l’équilibre des finances publiques.
S’agissant de l’amendement n° 47 rectifié, qui autoriserait une aggravation indirecte des finances publiques, je comprends votre réaction, monsieur le ministre. Je le retire donc également.
M. Christian Cointat. En revanche, je maintiens l’amendement n° 48 rectifié, qui ne touche pas véritablement au domaine financier. Sur ce dernier point, il me semble que nous pouvons être crédibles.
Pendant quarante-huit ans, de 1958 à décembre 2006, l’article 40 n’a mis ni rien ni personne en péril ! Dès lors, pourquoi devrions-nous nous incliner devant la décision du Conseil constitutionnel, qui, le 14 décembre 2006, a décidé de changer sa jurisprudence ? Nous devons lui dire : non, ce que nous faisions auparavant était bien et nous voulons continuer à le faire !
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cet amendement. D’ailleurs, la commission ne s’y est pas trompée puisqu’elle a émis un avis de sagesse.
M. René Garrec. Il ne s’agit pas d’une sagesse positive !
M. Christian Cointat. Cela signifie que ce que nous faisions jusqu’au 14 décembre 2006 était bien. Et je vous recommande de signifier au Conseil constitutionnel, mes chers collègues, que vous voulez continuer dans cette voie, qui est celle de la sagesse et du bon sens. Il s’agit en effet d’une application raisonnable et équilibrée de l’article 40.
M’adressant aux financiers, je souligne que, avec cet amendement, nous ne touchons qu’au domaine du droit.
M. le président. Les amendements nos 46 rectifié et 47 rectifié sont retirés.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Cointat a raison, le Conseil constitutionnel a mis le feu aux poudres, en tout cas au Sénat, puisque l’Assemblée nationale avait déjà adopté la procédure permettant de déclarer un amendement irrecevable au titre de l’article 40 préalablement à sa diffusion.
On aurait pu imaginer que, à l’occasion d’une réforme constitutionnelle par laquelle on prétend conférer plus de pouvoirs aux parlementaires, les choses seraient « remises à l’endroit », en donnant aux parlementaires quelques responsabilités – je ne parle pas de pouvoirs ! – en matière de recettes et de dépenses publiques.
Le refus opposé à ces amendements identiques, qu’il s’agisse de celui qui a été déposé par M. Arthuis ou de ceux émanant de l’opposition, montre clairement ce qu’il en est de cette réforme constitutionnelle : il ne s’agit absolument pas de donner des pouvoirs supplémentaires au Parlement. Cela, au moins, c’est très clair !
M. Arthuis nous a donné toutes les raisons pour supprimer l’article 40 : le Gouvernement dispose toujours d’une large palette d’instruments pour s’opposer à des dépenses inconsidérées ou à des initiatives jugées inopportunes. Le premier de ces instruments, c’est en fait la LOLF, qui encadre strictement tout pouvoir budgétaire des parlementaires. Je n’oublie pas pour autant la procédure du vote bloqué et les dispositions des articles 49 et 44 de la Constitution.
M. Arthuis rappelle aussi que toutes ces procédures n’ont pas empêché le gonflement des dépenses publiques et l’aggravation du déficit public.
Franchement, il y a tout de même quelque chose de risible, pour un parlementaire, à se faire administrer des leçons de bonne gestion des dépenses publiques par ceux-là mêmes dont la seule préoccupation est de diminuer les recettes publiques en abaissant les impôts des plus riches, en nous faisant voter le paquet fiscal dès leur arrivée aux affaires, ceux-là mêmes qui ne songent qu’à réduire les dépenses publiques – surtout celles qui, liées aux services publics, sont directement utiles à la population –, ceux-là mêmes qui bradent le patrimoine de l’État, par exemple en vendant pour trois sous à des fonds de pension américains les locaux de l’Imprimerie nationale pour les racheter aussitôt après au prix fort, permettant ainsi aux fonds de pension en question de ramasser au passage beaucoup d’argent !
Ce gouvernement est donc singulièrement mal placé pour donner des leçons de gestion aux parlementaires.
Vous pourriez faire confiance aux élus, y compris à ceux de votre propre majorité, en leur concédant un certain pouvoir dans la gestion des recettes et des dépenses publiques. Cela vous permettrait, du même coup, de faire preuve de modestie et de mettre en accord vos actes et vos paroles puisque vous prétendez vouloir accroître les prérogatives du Parlement !