M. Jean Desessard. La France entière !
M. Jean-Luc Mélenchon.… mais la seule leçon à tirer de nos débats, c’est, comme vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, que le code du travail est l’histoire du rapport de force social dans notre pays.
Ainsi que le disait Démocrite au Ve siècle avant notre ère, « la lutte est mère de toute chose » : sans rapport de force, pas d’acquis sociaux pour les travailleurs ! Jamais aucune conquête – je dis bien, aucune ! – n’a été concédée dans ce pays autrement que par la loi et le mouvement social.
La période n’est certes pas propice à notre tendance politique. Mais c’est lorsque nous perdons les élections que la différence entre la droite et la gauche apparaît au grand jour : la droite fait en effet payer durement, très durement, tout échec électoral à l’opposition ! Puissent tous ceux qui nous écoutent s’en souvenir !
Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre, le temps de travail constitue un puissant levier de répartition de la richesse. En effet, lorsque je travaille, je produis de la richesse et, suivant la manière dont je suis rémunéré pour accomplir ce travail, je conserve une part plus ou moins importante de la richesse produite.
Monsieur le ministre, vous avez, en plusieurs étapes, déplafonné le contingent des heures supplémentaires pour le porter à un niveau tel que la quantité disponible légalement n’est même pas intégralement consommée par l’économie française considérée dans sa globalité.
Vous ne cherchez donc pas à satisfaire l’intérêt général, mais simplement à modifier le rapport individuel de force entre les travailleurs et leurs employeurs, afin que ceux-ci puissent les faire travailler autant qu’ils le souhaitent !
Dans ce projet de loi, vous proposez de faire tomber le taux de majoration des heures supplémentaires à 10 %. Il est évident que le nombre d’heures supplémentaires va augmenter. C’est ce que Karl Marx appelait la « plus-value relative » : les gens vont travailler plus longtemps, mais pour une plus faible rémunération. Ils vont donc produire davantage de richesse, mais celle-ci leur échappera en plus grande partie. Cela montre bien, s’il le fallait encore, que le partage des richesses est la question centrale de l’organisation des sociétés humaines. Et, dans ce registre fondamental, dès que la gauche perd une élection politique, la sanction est immédiate !
Vous pensez, monsieur le ministre, que nous proposons de partager le travail existant. En réalité, nous n’avons pas cette vue simpliste du partage du temps de travail.
M. Alain Gournac, rapporteur. Vous oubliez Mme Aubry !
M. Jean-Luc Mélenchon. Lorsque le travail est contingenté, ce qui n’est pas fait par l’un est fait par l’autre et, ce faisant, la quantité globale de travail augmente. En effet, lorsqu’une personne supplémentaire accède à la ressource que constitue un salaire, elle fait tourner la machine économique par sa consommation, cette dernière ayant tendance à augmenter proportionnellement au temps libre dont dispose le salarié.
Telle est notre vision du temps de travail, monsieur le ministre !
Il faut en effet se poser la question du dividende que représente, pour la société, le temps de travail. Le temps libre de chaque individu, c’est aussi un profit pour la société tout entière ! Ne me dites pas, monsieur le ministre, que la société n’a pas un intérêt à ce que les parents puissent s’occuper de leurs enfants !
Mme Annie David. Exactement !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne me dites pas non plus que, lorsque les citoyens peuvent participer à la vie associative, cela ne fait pas du bien à la société tout entière ! La vie en société ne se résume pas à produire des objets et à les consommer !
Je me souviens qu’ici même, dans cet hémicycle, vous avez prétendu, monsieur le ministre, qu’il serait faux de dire que les gens font tourner la machine économique durant leur temps libre, car ils n’ont tout simplement pas les moyens financiers pour le faire.
Mais, à supposer qu’ils aient des revenus supplémentaires - nous démontrerons dans un instant qu’ils n’en auront nullement -, pouvez-vous me dire, monsieur Bertrand, de quel temps libre vont bien pouvoir disposer les salariés qui seront passés au forfait-jour tel que vous le proposez dans l’article 17 du projet de loi ?
M. Jean Desessard. Le problème, c’est le nombre de personnes qui travaillent !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je ne peux laisser passer tous les propos théoriques qui viennent d’être tenus – rappel à Marx, évolution des rapports entre l’individuel et le collectif, etc. – sans vouloir apporter un éclairage légèrement différent.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il sera le bienvenu !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il convient tout d’abord de souligner ce point essentiel : dans la compétition internationale, notre pays recule, ainsi qu’en attestent toutes les statistiques européennes et mondiales.
M. Alain Gournac, rapporteur. C’est clair !
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous reculons pour plusieurs raisons.
La première tient au fait que nous nous sommes un peu trop polarisés sur la consommation des ménages comme moteur principal de la croissance économique. Or c’est une vision simpliste ! En matière de croissance, il y a, partout dans le monde, trois moteurs : la consommation des ménages, l’exportation et les investissements. Les deux derniers ne doivent pas être négligés !
Il se trouve qu’en matière d’exportations notre position dans le monde recule fortement. J’étais récemment en voyage, en tant que sénateur, à Taïwan : nous exportons là-bas quatre fois moins que nos partenaires allemands et trois fois moins que nos partenaires italiens.
M. Alain Gournac, rapporteur. C’est vrai que l’Italie est très bien placée !
M. Jean-Pierre Fourcade. Dans tous les pays asiatiques, l’Italie exporte beaucoup plus que nous.
Nous reculons ! C’est incontestable ! Il faut donc que nous prenions un certain nombre de mesures.
Parmi elles figure l’assouplissement de tous les mécanismes qui régissent les conditions de travail, dans lequel le Gouvernement s’est engagé depuis quelque temps.
Quand j’entends dire – ce fut le cas, hier, dans cet hémicycle - que le temps de travail se situe, en France, au niveau de la moyenne européenne, je m’inscris en faux !
M. Alain Gournac, rapporteur. Effectivement, c’est archi-faux !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le temps de travail moyen en France est inférieur à 1600 heures par an quand la plupart de nos véritables compétiteurs, y compris les Italiens ou les Hollandais, sont plus proches de 1800 heures par an. Ces 200 heures de travail perdues expliquent en grande partie la difficulté de notre pays à s’adapter aux nouvelles conditions de la compétition mondiale.
M. Jean-Luc Mélenchon. Et que faites-vous de la productivité ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Trois choses nous séparent de vous, monsieur Mélenchon, et de vos collègues.
Premièrement, nous pensons que, lorsque notre pays recule dans les classements internationaux, il ne faut pas l’accepter, mais au contraire essayer de trouver des mécanismes susceptibles d’enrayer ce recul et d’augmenter sa compétitivité.
On peut citer toute une série de raisons qui permettent d’expliquer notre recul : le coût du travail, la lourdeur des prélèvements fiscaux, l’endettement, l’insuffisance de la formation initiale et de notre système d’enseignement supérieur, etc. Il faut s’attaquer à toutes ces causes. C’est ce que le Président de la République a fait en engageant un certain nombre de réformes dans l’ensemble de ces secteurs.
Sur le point qui nous occupe actuellement, M. le ministre nous a dit très clairement qu’il prenait ses responsabilités. L’amendement n° 77 que vient de nous présenter M. Godefroy aurait, s’il était adopté, pour conséquence de renvoyer à plus tard le nécessaire assouplissement du régime des heures supplémentaires. Mais ce serait alors un, deux, trois, voire quatre points de compétitivité qui disparaîtraient et, à la fin de l’année 2009, nous serions alors véritablement réduits à la portion congrue dans les échanges mondiaux. (M. Desessard s’exclame.)
M. Guy Fischer. On en reparlera !
M. Jean-Pierre Fourcade. En conséquence, je crois que la position défendue par M. le ministre est courageuse. C’est pourquoi nous l’appuyons.
Nous la soutenons également parce que trois idées fausses dominent ce débat.
La première porte sur le partage du travail. Monsieur Mélenchon, c’est avec plaisir que je vous ai entendu dire qu’il s’agissait d’une conception dépassée ! En effet, si le travail augmente, c’est que, par définition, il doit augmenter. Il est donc inutile de s’appesantir davantage sur cette question.
M. Alain Gournac, rapporteur. Le partage du travail, c’est zéro ! Pourtant, Mme Aubry y a cru !
M. Jean-Pierre Fourcade. La deuxième idée fausse concerne l’équivalence qu’il y aurait entre l’embauche d’un nouveau salarié et le recours aux heures supplémentaires. Jamais vous ne pourrez faire comprendre à des entreprises de taille moyenne, lorsqu’elles ont de nouvelles commandes à honorer, qu’elles doivent embaucher et former de nouveaux salariés. Dans ce cas, seul le recours aux heures supplémentaires leur permet de s’adapter, dans les meilleures conditions, à l’évolution de leur carnet de commandes.
Enfin, la troisième idée fausse consiste à opposer les salariés et les non salariés. Aujourd’hui, sur une population active de vingt-trois millions de personnes, il y a deux millions de chômeurs. Nous essayons de les faire réintégrer le marché du travail. Le taux de chômage a déjà beaucoup baissé – il se situe actuellement à 7,5 % de la population active - et, si nous continuons sur cette lancée, nous nous dirigeons vers un taux de chômage de 6 % à la fin de l’année prochaine.
M. Guy Fischer. Vous oubliez la précarité qui augmente !
M. Jean-Pierre Fourcade. Non, monsieur Fischer, la précarité n’augmente pas ! Les chiffres sont stables.
Mme Annie David. Comment pouvez-vous dire cela ? Que faites-vous de l’augmentation de la pauvreté ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous sommes confrontés à deux problèmes que ne connaissent pas, avec la même acuité, nos voisins européens.
En premier lieu, trop de jeunes sortent du système scolaire sans qualification. Il y a là un vrai sujet de débat, sur lequel on pourrait, à mon avis, trouver un consensus au sein de la classe politique.
En second lieu, les séniors partent trop tôt à la retraite. On a cru qu’en embauchant des jeunes à leur place, on pourrait régler le problème du chômage. Or ce n’est pas vrai ! Les États dans lesquels la proportion de séniors qui travaillent est plus importante que chez nous – les pays scandinaves, l’Espagne, l’Allemagne – ont tous un taux de chômage plus faible que le nôtre !
M. Alain Gournac, rapporteur. Vous avez raison, c’était une illusion !
M. Jean-Pierre Fourcade. Voilà les points qui nous séparent, monsieur Mélenchon.
Nous soutenons donc le projet du Gouvernement. Qu’il s’agisse des heures supplémentaires ou du forfait, les solutions proposées sont à mettre en œuvre rapidement, sauf à ce que la France soit emportée par la conjoncture internationale et par les difficultés que ses entreprises rencontrent actuellement.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Nous aurons certes l’occasion de revenir sur ces questions plus avant dans notre discussion, mais M. Fourcade m’incite à réagir dès à présent.
Nous nous sommes déjà exprimés sur la première partie du projet de loi. S’agissant plus particulièrement de la réforme du temps de travail, on peut se demander quels sont véritablement les objectifs visés par cette septième réforme.
Mme Isabelle Debré. Et ce n’est qu’un début !
M. Guy Fischer. Les six dernières réformes engagées auraient dû avoir des conséquences positives sur les grandes données macro-économiques – endettement, commerce extérieur, etc. Pourtant, monsieur Fourcade, depuis que vos amis sont au pouvoir, cette inversion des données macro-économiques, nous l’attendons toujours !
Mme Isabelle Debré. Mais le chômage baisse !
M. Guy Fischer. On se demande quels objectifs vous poursuivez véritablement avec ce projet de loi.
Vous n’avez réalisé aucune étude d’impact nous permettant de mieux cerner les conséquences du développement des heures supplémentaires. Quelles sont les conséquences attendues en termes de création d’emplois ? En la matière, s’agissant des jeunes et des séniors, la réponse ne viendra certainement pas de cette loi !
Mme Annie David. Effectivement, elle ne résout rien !
M. Guy Fischer. Quelle sera l’amélioration de la compétitivité ? J’attends de voir ! On sait en effet que la compétitivité, la productivité des travailleurs français est déjà l’une des meilleures au niveau européen.
Dès lors, monsieur le ministre, où comptez-vous faire des gains de productivité ? Comment allez-vous améliorer la compétitivité des entreprises ?
Mme Annie David. Vous ne donnez aucun chiffre !
M. Guy Fischer. Quel ratio de distribution des richesses envisagez-vous ? Cette question nous semble pourtant fondamentale. Si tant est qu’il y ait création de richesse, et c’est ce qui devrait résulter de ces réformes, on constate parallèlement un écrasement des salaires et des retraites.
M. Alain Gournac, rapporteur. La faute aux 35 heures !
M. Guy Fischer. Ce sujet mériterait un véritable débat.
Bien sur, nous nous dirigeons vers plus d’individualisation, ainsi que vers une inversion de la hiérarchie des normes en matière sociale. Mais le nivellement par le bas des conditions sociales nous préoccupe également. Tout à l’heure, M. le ministre s’est gardé de nous ramener aux normes minimales européennes. Mais, qu’il le veuille ou non, le nivellement au niveau européen se fait bel et bien ! Si ce projet de loi est adopté, la négociation apparaîtra comme la variable d’ajustement du droit social, et cela pèsera de plus en plus sur l’emploi.
M. le président. L’amendement n° 231, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 16, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L’article L. 3132-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 3132-1. - Il est interdit de faire travailler un même salarié plus de cinq jours par semaine. »
II. — L’article L. 3132-2 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 3132-2. - Le repos hebdomadaire à une durée minimale de quarante-huit heures consécutives auxquelles s’ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévu au chapitre Ier. »
III. — L’article L. 3132-3 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 3132-3. - Le repos hebdomadaire est constitué de deux jours consécutifs, dont le dimanche. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Par cet amendement, nous proposons de limiter la semaine de travail à cinq jours consécutifs et, par conséquent, de préciser que le repos hebdomadaire est de quarante-huit heures en continu.
Cet amendement est, bien sûr, contraire aux propositions du Président de la République, qui trouvent, à l’Assemblée nationale comme parmi nous, d’ailleurs, un certain écho : ainsi, madame Debré, je me souviens qu’en commission vous avez vanté les mérites du travail dominical, utile selon vous, puisque réglant le problème de la garde des enfants.
Mme Isabelle Debré. Je n’ai pas dit que cela !
Mme Annie David. M. Cornu, quant à lui, expliquait que les salariés dans les situations les plus précaires sont heureux de travailler le dimanche, puisque, de toute façon, ils n’ont pas d’argent pour partir en week-end.
Mme Isabelle Debré. Moi, j’ai dit cela ?
Mme Annie David. Non, M. Cornu !
Nous considérons, nous, membres du groupe CRC, que la modernité ne consiste pas à instaurer une version nouvelle des temps modernes.
La question est de savoir si la société que nous voulons doit être tournée vers la satisfaction des besoins sociaux et humains ou vers celle des marchés.
Chacun, dans cette enceinte, l’aura compris, et M. Fischer vient de le préciser à l’instant dans son intervention : pour nous, ce sont les besoins humains qui doivent primer. Nous considérons donc que le repos hebdomadaire doit être de deux jours consécutifs, afin de permettre au corps de se reposer et aux familles de se construire et de se consolider.
Notre amendement est d’autant plus important que demain, à cause de l’augmentation du contingent d’heures supplémentaires et de la généralisation du forfait jours à tous les salariés, les journées de travail seront de plus en plus longues. Et je ne parle pas de la directive européenne qui pourrait avoir pour conséquence de porter la journée de travail à dix, voire douze heures.
Mme Annie David. Comment, dès lors, imaginer la construction d’une vie privée et familiale épanouissante ? Comment imposer de telles durées de travail et exiger de l’éducation parentale qu’elle soit irréprochable ? Comment imposer une telle amplitude de travail sans jamais proposer aux familles des solutions publiques de garde des enfants, sans renforcer une médecine du travail moribonde ?
Décidément, sur cette question du temps de travail et de l’organisation du travail, les différences entre la gauche et la droite sont immenses.
Mes chers collègues de la majorité, vous vous faites passer pour les défenseurs du progrès, quand les membres de l’opposition seraient, quant à eux, les représentants de l’archaïsme, mais ce discours ne résiste pas à l’analyse.
Est-ce un progrès que de réintroduire les contrats de mission, d’imposer des cadences de travail abandonnées depuis le début du XXe siècle ?
En fait, comme le disait tout à l’heure M. Desessard, sous le poids des gouvernements libéraux et des diktats financiers, plus la société avance, plus elle recule. Les capitaux se portent au mieux. Jamais la société n’a été si riche, mais jamais les peuples n’ont été si pauvres et si malades.
Monsieur le ministre, j’espère que vous m’excuserez, mais lorsque, voilà un instant, vous évoquiez l’individualisation des droits, rappelant votre volonté de ne pas aller dans le sens d’une telle individualisation…
Mme Annie David.… et de maintenir des droits collectifs, je ne pouvais vous croire.
M. Desessard disait que vous aviez une facilité à vous exprimer. Je vous reconnais également cette facilité. Chez moi, dans mon petit coin de campagne, on dirait que vous êtes un bonimenteur de grande qualité (sourires), qui sait bien enrober ce qu’il veut faire passer.
M. Guy Fischer. Dans « bonimenteur », il y a « menteur » !
Mme Annie David. La lecture de ce projet de loi, monsieur le ministre, m’empêche de vous croire.
M. le président. Madame David, restons dans les limites de ce qui est acceptable !
M. Guy Fischer. On peut sourire !
M. Alain Gournac, rapporteur. Ce n’est pas acceptable ! Si on est républicain, on respecte le ministre.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, vous nous parlez de « dialogue social ». Cette expression se compose de deux mots : « dialogue » et « social ». Un dialogue se noue entre deux parties ; quant à l’adjectif social, il suppose, me semble-t-il, que l’on respecte les uns et les autres, ainsi qu’une certaine normalité des droits.
En tout cas, ce que vous appelez, vous, le dialogue social, je ne le reconnais absolument pas comme tel. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.).
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Il ne faut pas laisser passer cela, monsieur le président ! Je veux bien que chacun avance ses arguments, et je respecte les arguments des autres. Je souhaite, d’ailleurs, que les nôtres soient également respectés. Cependant, je ne peux tolérer que ceux qui se prétendent des « super-républicains », comme ils l’ont fait hier, traitent ici, au Sénat, le ministre de bonimenteur. (Mme Annie David proteste.)
Madame David, vous vous êtes exprimée, permettez que je m’exprime à mon tour. Je regrette vivement que l’on s’adresse de la sorte au ministre. M. Xavier Bertrand représente ici le Gouvernement, la République. Si l’on est républicain, on ne peut le qualifier de la sorte. Je m’élève vigoureusement contre l’emploi du mot « bonimenteur ».
M. Jean-Guy Branger. C’est inconvenant !
M. Guy Fischer. Ne vous fâchez pas !
M. Alain Gournac, rapporteur. Je ne me fâche pas ! Vous le savez très bien.
M. Guy Fischer. Il n’y a pas de quoi vous mettre en colère !
M. Alain Gournac, rapporteur. De tels dérapages verbaux se produisent souvent ailleurs. Je ne dis pas où, mais vous voyez ce que je veux dire… Des jeunes, dans les tribunes, assistent à la séance ; ils ne doivent pas repartir en pensant que nous pouvons employer n’importe quel mot et dire n’importe quoi.
M. Guy Fischer. Ce n’était pas une insulte !
M. le président. Nous avons bien compris que le terme qu’a utilisé Mme David était à mettre entre guillemets. Je souhaite que nous en restions là et qu’il n’y ait pas de dérapage consécutif à ces propos.
Néanmoins, je rappelle que nous devons choisir avec soin les termes que nous utilisons. En effet, une fois sortis du contexte dans lequel ils ont été prononcés, ils peuvent prêter à confusion.
C’est la raison pour laquelle les précisions qui ont été apportées étaient utiles. Nous allons en rester là. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. J’approuve votre point de vue, monsieur le président.
J’en viens à l’amendement n° 231.
Comme chacun ici le sait, le dimanche est le jour de repos hebdomadaire mentionné dans le code du travail. Prévoir un second jour de repos hebdomadaire serait totalement contraire à la logique d’encouragement à l’augmentation de la durée du travail prônée dans ce projet de loi.
Selon nous, ceux qui le souhaitent doivent pouvoir travailler davantage. Comment pourrions-nous leur offrir cette possibilité et, aussitôt, l’assortir de restrictions ?
Je tiens également à confirmer que les conventions ou accords de branches ou d’entreprises peuvent, bien sûr, prévoir que le samedi est un jour de repos. Nous ne souhaitons pas restreindre le champ de la négociation collective sur ce point. Cependant, ce n’est pas dans le présent texte que cette possibilité doit figurer.
La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Si je me permets de prendre la parole, c’est parce que j’ai été mise en cause. Vous me permettrez de répondre, monsieur le président.
Madame David, j’ai la faiblesse d’espérer que vos propos ont, une fois de plus, dépassé votre pensée. (Protestations sur les travées du groupe CRC.).
Les choses peuvent être dites avec plus de maintien et plus de dignité.
M. Jean Desessard. On a droit à la colère aussi !
M. Jean-Luc Mélenchon. On est les élus du peuple, on ne sait pas bien parler !
M. le président. Mes chers collègues, nous avons, les uns et les autres, écouté toutes les interventions sans réagir, y compris les interventions fortes de MM. Desessard et Mélenchon. J’aimerais que nous ayons la même attitude envers Mme Debré, parce que la meilleure façon de travailler dans le dialogue, c’est de s’écouter.
Mme Isabelle Debré. Et se respecter ! On peut avoir des points de vue différents et se respecter.
S’agissant du travail dominical, vous avez, madame David, tenu des propos qui sont exacts mais un peu réducteurs. Vous avez enlevé du contexte une ou deux phrases.
Il est vrai que je réfléchis actuellement à une éventuelle ouverture le dimanche de certains commerces – je précise bien que cela concerne des commerces –, mais il ne faut pas oublier que je l’accompagne de plusieurs éléments très importants : le droit au refus, une majoration du salaire et un repos compensateur.
Depuis que je travaille sur ce dossier, j’ai reçu beaucoup de courriels, d’appels, de lettres de femmes élevant seules leurs enfants : elles me font part de leur désir de se voir offrir ce choix, fortes de l’assurance de bénéficier d’un repos compensateur de deux jours, d’avoir le droit de refuser ce travail dominical. Vous avez raison, madame David : elles affirment rencontrer beaucoup moins de difficultés pour faire garder leurs enfants le dimanche et se réjouissent de pouvoir passer deux jours dans la semaine avec eux, dont le mercredi.
C’est pour cette raison que je ne voterai pas votre amendement. Je ne veux pas que soit figé le jour de repos hebdomadaire. Ceux de nos concitoyens qui tiennent un commerce, notamment, ont le droit de pouvoir choisir leur jour de repos.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Si, maintenant, les communistes défendent le jour du Seigneur ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je salue l’habileté de ceux qui sont parvenus à faire passer Mme Annie David pour quelqu’un d’excessif dans son vocabulaire. C’est très fort !
M. Alain Gournac, rapporteur. Je n’ai jamais dit cela !
M. Jean-Luc Mélenchon. Moi, j’aimerais que se manifeste la même indignation lorsque certain collègue siégeant de l’autre côté de l’hémicycle – je précise que « certain » est bien au singulier ! – nous accable de sarcasmes qui ne sont pas toujours très élégants. Je reprends cet adjectif, puisque, madame Debré, vous avez bien voulu nous donner une leçon d’élégance. Je vous donne acte du fait que vous êtes la mieux placée pour le faire et que nous la recevons de vous avec le sourire,…
Mme Isabelle Debré. Merci !
M. Jean-Luc Mélenchon.… qui plus est, un sourire d’amitié et d’estime.
Cependant, il n’empêche que les plaisanteries totalement déplacées du collègue qui a l’habitude de jouer sur nos noms de famille ne font pas l’objet des mêmes rappels à l’ordre que cette parole de Mme David.
Mme Annie David. Ce n’était pas une insulte !
M. Jean-Luc Mélenchon. De plus, il y avait dans ces propos quelque chose de sympathique : bonimenteur, certes, mais de qualité ! Que M. le ministre retienne cette précision, et l’affaire sera entendue.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Personne ne vous en veut, madame David !
M. Alain Gournac, rapporteur. Certainement pas moi !
M. Jean-Luc Mélenchon. J’en viens au débat de fond qu’a ouvert Mme David. Mme Debré et elle ont chacune leur propre philosophie politique.
Madame Debré, je vous le dis haut et fort : nous, nous souhaitons que le jour de congé soit le même pour tout le monde. Nous refusons de faire semblant de croire que la liberté de choix est laissée aux travailleurs.
Cette femme qui préférerait travailler le dimanche pour avoir deux jours de repos dans la semaine est, en fait, dans une situation de contrainte. Ce qui serait juste, c’est que, dans la semaine, elle puisse faire garder ses enfants et accomplir son métier dans des conditions normales, afin de passer le dimanche avec eux. C’est le minimum, on peut le respecter ! La vie, ce n’est pas que le travail !
Pour une fois, c’est nous, du camp des laïcs, des rouges, des partageux, des mal polis, qui sommes favorables à l’application de la prescription biblique : le septième jour, même le Créateur s’est arrêté.