M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est déjà avec un vif enthousiasme que, lors de la discussion générale, nous abordions l’examen du projet de loi généralisant le revenu de solidarité.
Parvenus au terme de nos travaux, nous sommes plus que confortés dans ce sentiment. Oui, ce projet de loi est un grand texte, qui restera sans doute comme l’un des plus importants de la législature !
C’est la première fois que notre pays se dote d’un mécanisme vraiment ambitieux, réfléchi, pertinent et expérimenté de lutte contre les trappes à inactivité créées par le système des minima sociaux.
Le présent projet de loi identifie les deux grandes limites du dispositif du RMI et de l’API que sont la faiblesse de l’intéressement jusqu’ici prévu en cas de reprise d’une activité professionnelle, particulièrement pour les petites reprises d’emploi, et l’effet indirect des droits sociaux connexes aujourd’hui attachés au statut de RMIste et non aux revenus de la personne susceptible d’y prétendre.
Sur ces deux points, le projet de loi apporte une véritable solution, celle d’un intéressement pérenne et mieux ciblé, c’est-à-dire plus élevé pour les petites reprises d’emploi qui concernent les personnes les plus éloignées du marché du travail, et, finalement, un intéressement sans les effets de seuil que l’on observait dans l’ancien système. Il apporte aussi la solution de droits connexes déconnectés du statut de leur bénéficiaire et seulement attachés aux revenus de la personne.
Cette mesure, nous l’attendions. Elle avait été proposée par Valérie Létard, alors membre du groupe de l’Union centriste, dans son rapport d’information sénatorial du 18 mai 2005 et reprise dans la proposition de loi, adoptée par la Haute Assemblée le 23 janvier 2007.
Mais, sur ce point, le dispositif présenté au Sénat était très incomplet. Il ne concernait que les droits sociaux connexes aux minima qui sont nationaux. C’est pourquoi nous nous félicitons que notre amendement étendant ce principe aux droits sociaux locaux ait été adopté par la Haute Assemblée, comblant ainsi une grosse lacune du texte.
Pour que le système soit équitable, tous les droits sociaux connexes, qu’ils soient nationaux, comme le prévoyait le projet de loi soumis au Sénat, ou locaux doivent être attribués en fonction des revenus du foyer et non de tel ou tel statut. Les droits sociaux forment un tout susceptible ou non, en fonction de leurs critères d’attribution, de peser sur la reprise d’activité professionnelle.
Aussi, monsieur le haut-commissaire, suivrons-nous de près l’avancée des travaux du parlementaire dont vous avez annoncé l’envoi prochain en mission pour mettre en œuvre le dispositif que tend à instaurer notre amendement.
Le projet de loi présente un autre point d’emblée très positif : il simplifie les politiques d’insertion, ce dont elles avaient cruellement besoin. Il prévoit la fusion du RMI et de l’API, comme le préconisait le rapport de MM. Mercier et de Raincourt du 16 décembre 2005, et la création du contrat unique d’insertion. Ce sont deux mesures de simplification qui devront substantiellement renforcer tant les minima que les contrats aidés.
Enfin, la solution finalement adoptée par l’Assemblée nationale pour répondre à la question du financement nous semblait bonne. Le plafonnement des niches fiscales est non seulement adapté en termes financiers, mais aussi équitable : il était indispensable que les plus aisés, et non uniquement les classes moyennes, contribuent à cette mesure de solidarité.
Au début de nos travaux, nous n’avions qu’une seule inquiétude : elle concernait les moyens fournis aux départements pour remplir leurs nouvelles missions. Et quand je parle de moyens, je pense autant aux moyens financiers qu’aux moyens juridiques et techniques. Or, sur ce point, nos travaux ont permis de réelles avancées.
La Haute Assemblée a incorporé au texte les dispositions de la proposition de loi renforçant le contrôle comptable du RMI, déposée par M. Michel Mercier, proposition de loi qu’elle avait adoptée le 13 mai dernier. Ces dispositions sont très importantes pour aider le département à remplir correctement ses missions, en particulier pour faire respecter le principe selon lequel le RSA, s’il est un droit, comporte aussi des devoirs.
Reste juste un point sur lequel le texte nous semble encore faible : la question de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA. Cela est regrettable parce que l’ensemble du système du RSA repose sur les deux principes suivants : mieux inciter à la reprise d’un emploi et mieux accompagner pour la reprise d’un emploi.
Ce second volet, pourtant capital, pourrait être un peu négligé en l’état actuel des choses. En effet, une vue dynamique du système du RSA conduit le Gouvernement à estimer qu’il sera possible d’accompagner plus et mieux à enveloppe quasi constante. Hélas ! ce n’est pas ce qui risque de se produire. Les premières expérimentations du RSA ont démontré que l’efficacité du dispositif est conditionnée à une très forte implication des départements en matière d’accompagnement des bénéficiaires.
Les premières années, cette plus forte implication des départements aura un coût. Or, si le projet de loi opère bien une répartition entre les charges qui incombent aux départements et à l’État au titre de la prestation du RSA, il ne prévoit pas les modalités selon lesquelles les dépenses de fonctionnement nouvelles que devront assumer les conseils généraux en matière d’accompagnement social renforcé des bénéficiaires seront prises en compte.
Vous nous avez dit, monsieur le haut-commissaire, avoir budgété 150 millions d’euros susceptibles d’être utilisés à cette fin. Mais, d’une part, la loi qui va être adoptée à l’issue de nos travaux ne le garantit pas et, d’autre part, cette somme pourrait s’avérer insuffisante. Il serait extrêmement dommage que, de ce fait, les bénéficiaires du RSA ne reçoivent pas l’accompagnement qu’ils seraient en droit d’attendre et que les performances du dispositif soient limitées. Cette économie pourrait être très contre-productive.
D’un autre côté, si les départements ne lésinaient pas sur l’accompagnement et si leurs charges augmentaient alors substantiellement, ces dernières devraient être dûment compensées. Aussi serons-nous particulièrement attentifs à cette question dans les mois et les années à venir.
Je veux maintenant évoquer les spécificités de l’outre-mer qui font ressortir l’urgence et la nécessité de l’application d’un dispositif tel que le RSA. Mais elles rendent aussi cette application plus complexe parce que des outils spécifiques existent déjà. À ce propos, je sais que René-Paul Victoria, député de la Réunion, doit rédiger un rapport sur l’application du RSA dans les régions ultra-marines. De ce fait, le projet de loi prévoit de différer l’entrée en vigueur du RSA dans ces régions.
Quatre questions se posent : le devenir de l’allocation de retour à l’activité, instituée en 2001, le revenu de solidarité outre-mer, véritable préretraite réservée aux bénéficiaires du RMI, les agences départementales d’insertion chargées de mettre en place la politique d’insertion du département, l’application du contrat unique d’insertion, qui soulève des difficultés car il repose sur le contrat initiative emploi, lequel n’existe pas outre-mer.
J’ai la conviction, monsieur le haut-commissaire, que le RSA peut représenter pour l’outre-mer une réelle opportunité, en ouvrant à une grande partie de la population active, qui en est actuellement exclue, des perspectives d’insertion dans le monde du travail.
Je prendrai, à cet égard, l’exemple de la Réunion qui détient un triste record : le chômage frappe près de 30 % de la population active. Une étude récente de l’INSEE révèle que 51 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Monsieur le haut-commissaire, je souhaite que le Gouvernement mette en place dans chaque département d’outre-mer une instance partenariale regroupant tous les acteurs concernés, chargée de définir les conditions d’application du RSA.
Si, en métropole, l’objectif est de favoriser l’insertion professionnelle dans le monde de l’entreprise, il est illusoire de penser que, à la Réunion, l’économie concurrentielle pourrait à elle seule fournir un nombre d’emplois correspondant à l’ampleur de la demande sociale.
Pour ma part, je pense possible de faire émerger une véritable économie alternative ou solidaire, génératrice de milliers d’emplois, articulée autour de deux secteurs : les services à la personne, d’une part, et la préservation de l’environnement, d’autre part.
Vous l’aurez compris, monsieur le haut-commissaire, malgré cette incertitude sur la question de l’accompagnement, nous sommes extrêmement favorables à la grande réforme que vous portez, d’autant plus que, avec vous, nous avons trouvé un interlocuteur soucieux de faire progresser la cause des plus démunis et de l’emploi, au-delà de toute considération de nature partisane et politique.
Les débats que nous avons eus dans cette enceinte ont été menés dans un esprit honnête et constructif. C’est pourquoi les membres du groupe de l’Union centriste voteront le projet de loi généralisant le RSA et réformant les politiques d’insertion. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le haut-commissaire, nous avons pu constater, au cours de nos débats, à quel point vous étiez attaché à ce projet de loi. Nul ne met en doute votre sincérité quand vous le défendez. Vous y croyez et vous ne ménagez pas votre peine pour nous faire partager vos convictions.
Néanmoins, nous ne sommes pas convaincus. Il faut dire que nous avons d’excellentes raisons de nous méfier des projets de loi déposés par ce gouvernement. En deux ans, le code du travail a été entièrement réécrit. Au nom de la modernisation, c’est l’état de droit dans l’entreprise qui a été mis à bas. Dans quel but ?
Denis Kessler, ancien numéro 2 du MEDEF, l’avouait benoîtement dans une interview au magazine Challenge : « La liste des réformes du Gouvernement peut donner une impression de patchwork, personne n’arrive à en voir la logique. Mais en réalité la logique existe, il s’agit de défaire méthodiquement tout ce qui a été fait en France, après la guerre, à partir du programme du Conseil national de la résistance. »
On a pu constater, dans la réalité, les effets concrets de cette accumulation de réformes.
Dans une série de reportages diffusés ce dimanche dans le magazine Capital, on a pu voir des salariés subir un chantage à la délocalisation pour les conduire à accepter de travailler 40 heures payées comme s’ils en avaient effectué 35. Ceux d’entre eux qui refusaient de se plier à cet oukase ont été licenciés facilement grâce à la fameuse négociation de gré à gré censée mettre sur un pied d’égalité l’employeur et l’employé. Des cadres au forfait en jours ont vu la durée de leur travail exploser et leur salaire horaire baisser. Le titre de l’un des reportages était d’ailleurs explicite : Ces entreprises qui profitent du chômage.
Lorsque nous avons dénoncé ces risques dans cet hémicycle, la droite n’a pas manqué de nous accuser de sectarisme, de nous reprocher notre lecture idéologique de ces réformes. La réalité nous a malheureusement donné raison.
Aujourd’hui, à votre tour, vous refusez d’admettre que certaines de nos craintes puissent être fondées, notamment celles qui sont relatives à l’exercice d’une pression à la baisse sur les salaires dans le cadre d’un emploi à temps partiel subi.
Malheureusement, vous n’offrez pas d’autre réponse à ces questions que votre intime conviction.
Nous dénonçons le fait qu’une société dans laquelle le travail ne paie pas est une société qui sape la valeur du travail. Si fournir un complément de revenu à ceux qui travaillent à perte est une nécessité pour eux, une telle démarche met le couvercle, si je puis dire, sur la mise en œuvre d’une véritable politique salariale. Ce n’est pas pour rien qu’à l’université d’été du MEDEF nombre de patrons se frottaient les mains en disant que le RSA réglerait les revendications salariales concernant leur secteur d’activité.
C’est d’autant plus vrai que le projet de loi en faveur des revenus du travail, que nous examinerons lundi et mardi prochains, porte en germe la fin du SMIC
Votre projet de loi, monsieur le haut-commissaire, s’inscrit dans un contexte qui fragilise votre démarche. Il recèle également en son sein des effets pervers qui justifient nos réticences.
Vous ne nous avez pas convaincus sur la prise en charge de l’accompagnement social, indispensable pourtant pour ceux qui sont éloignés de l’emploi. Or c’est le manque de fonds disponibles pour l’accompagnement qui explique largement l’échec du volet « insertion » du revenu minimum d’insertion, le « I » du sigle RMI.
Le financement du RSA, pour sa part, pose un problème moral dont nous avons longuement débattu. Le fait que les plus riches des Français échappent à leur devoir de solidarité grâce au bouclier fiscal est choquant. Nous vous l’avons déjà dit et répété, ce qui est en cause, c’est non pas le montant des sommes en jeu, mais le symbole, à savoir celui de l’existence d’une caste de privilégiés exonérés de tout devoir de solidarité.
Mais nous avons surtout un désaccord de fond. Je sais que tel n’est pas votre objectif, monsieur le haut-commissaire, mais cette droite qui a multiplié le nombre de travailleurs pauvres, précarisé le travail et appauvri les salariés instrumentalise ce texte pour se refaire à peu de frais une virginité. Sa soudaine vocation charitable n’en est que plus insupportable.
Prendre acte ainsi du fait que le travail n’a plus vocation à assurer l’autonomie de l’homme, c’est accepter l’exploitation, et demander à la société de se substituer à l’employeur pour payer le prix réel du travail n’est en aucun cas une avancée sociale.
Néanmoins, monsieur le haut-commissaire, des milliers de personnes vont bénéficier de ce revenu de solidarité active qui vous tient à cœur.
Certaines d’entre elles ont un nom et un visage pour moi. Ce sont des mères de famille qui prennent le risque de laisser dormir leurs jeunes enfants seuls, de les laisser se réveiller et se préparer seuls pour aller à l’école parce qu’elles n’ont trouvé comme emploi que le nettoyage de 240 bureaux à Paris, alors qu’elles habitent à vingt kilomètres de là, soit trois heures de ménage, à cinq heures du matin, pour une rémunération équivalente au SMIC. La perception de 100 euros ou de 200 euros supplémentaires sera précieuse pour ces femmes, notamment.
Par ailleurs, nous savons que ce gouvernement prépare encore nombre de réformes qui ne feront qu’aggraver la situation de ces personnes les plus fragiles, les plus en difficulté.
Nous savons aussi que le patronat, parce qu’il est inconditionnellement soutenu par le Gouvernement le plus dur que nous connaissions depuis longtemps, n’hésitera pas à profiter du RSA pour développer encore les emplois à temps partiel subi, rémunérés le moins possible.
C’est pourquoi, monsieur le haut-commissaire, avec regret, les membres de mon groupe ne voteront pas en faveur de votre projet de loi et s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne voterai pas en faveur de ce projet de loi pour quatre raisons.
Premièrement, je ne suis pas certain que cette réforme, surtout en période de récession, soit suffisante pour doper le taux de sortie du RMI vers l’emploi à temps partiel.
Le passage de 150 euros d’intéressement à 200 euros de RSA et la fin de la limite de douze mois ne me semblent pas, en effet, de nature à changer notablement la situation que nous connaissons aujourd’hui.
Les taux de retour à l’emploi dans les départements soumis à une expérimentation sont trompeurs. Ils portent sur des expérimentations insuffisantes qui, aux dires de François Bourguignon, président du comité d’évaluation du RSA, n’ont, à ce jour, apporté aucune réponse significative.
Il eût été plus prudent, me semble-t-il, de conduire les expérimentations jusqu’à leur terme, c’est-à-dire pendant une durée de trois ans, et d’en évaluer ensuite les résultats, avant de soumettre le projet de loi au Parlement. Toutefois, il n’en a pas été ainsi, hélas.
Deuxièmement, cette réforme ne s’attaque nullement, comme elle aurait dû le faire, au problème structurel qui mine les dispositifs qui se sont accumulés au fil des années en ce qui concerne le travail à temps partiel, le SMIC, le RMI et la PPE, dont la complexité et le manque de visibilité se trouveront aggravés avec la création du revenu de solidarité active.
Pour illustrer mon propos, je prendrai un seul exemple, à savoir la persistance de deux dispositifs distincts, l’un pour les salaires à temps partiel, géré par les caisses d’allocations familiales suivant la logique des minima sociaux, l’autre pour les salaires à temps plein, dont s’occupe l’administration fiscale selon une logique de crédit d’impôt.
Pourtant, avec ce projet de loi, vous aviez l’occasion de mettre fin à un système qui est techniquement absurde, puisqu’il comporte deux dispositifs administrés suivant des règles et des juridictions différentes. Par exemple, vous pouviez intégrer l’ensemble des mécanismes du RSA et de la PPE sous forme de crédit d’impôt. Or vous ne l’avez pas fait, et c’est tout à fait regrettable.
Troisièmement, le RSA peut être considéré comme une forme de subvention au travail à temps partiel ; les employeurs ne manqueront pas de profiter de cette aubaine et de proposer plus d’emplois de ce type.
D'ailleurs, pour tous ceux qui occupent déjà un emploi à temps partiel, la création du RSA, couplée avec le gel annoncé de la PPE pour les salariés à temps plein, aura pour conséquence une forte réduction de l’écart de revenus entre les emplois d’une durée de 20 heures et ceux qui sont de 35 heures, d’où de moindres incitations à passer du temps partiel au temps plein.
Il est fort possible que cet effet négatif, que les expérimentations n’ont malheureusement pas eu le temps d’évaluer, l’emportera sur les modestes conséquences positives de ce projet de loi.
Quatrièmement enfin, le financement de ce projet est assuré grâce à une taxe sur les revenus de placements.
Or le recours au plafonnement de certaines niches fiscales pour réduire le taux de cette imposition ne saurait nous faire oublier que, depuis son arrivée au pouvoir, Nicolas Sarkozy a créé plus de 15 milliards d’euros de nouvelles niches fiscales dans un système qui en compte déjà beaucoup trop : pas moins de 254 !
Cerise sur le gâteau, avec le bouclier fiscal, les gros patrimoines seront de facto exonérés de cette taxe, ce qui fait que le prélèvement aura la particularité d’être dégressif !
En outre, globalement, le financement du RSA se fait au détriment des départements, et singulièrement des plus pauvres d’entre eux.
Bref, vous nous proposez, monsieur le haut-commissaire, une réforme brouillonne, bricolée sur le fond, inaboutie, mal financée, inéquitable et dont l’effet sera sans doute très éloigné de l’objectif visé.
Dans ces conditions, vous comprendrez que je ne puisse voter ce texte, malgré la très haute estime que je vous porte. Votre générosité et vos talents se seraient mieux épanouis avec une autre majorité, me semble-t-il, qui vous aurait permis d’aboutir à un projet de loi beaucoup plus favorable aux bénéficiaires des minima sociaux. Dans ces conditions, j’aurais sans doute pu le voter ; hélas ! il n’en a pas été ainsi, et nous devons tous ici le regretter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Mes chers collègues, vous me permettrez d'abord de m’exprimer sur la forme qu’a prise notre débat.
Monsieur le président, je tiens à vous remercier, ainsi que tous ceux qui se sont succédé pour présider la séance au cours de l’examen de ce projet de loi. J’ai ainsi fait la connaissance d’un certain nombre de nouveaux vice-présidents, et j’ai apprécié qu’ils s’inscrivent dans la tradition d’une animation rigoureuse mais compréhensive des séances du Sénat, afin de permettre le débat.
Monsieur le haut-commissaire, je vous félicite pour vos talents explicatifs, votre ténacité et, bien sûr, votre connaissance du public confronté à la pauvreté.
Madame le rapporteur, je vous suis reconnaissant de vos réponses, de votre tranquille assurance et de votre amabilité. Je remercie également M. le président de la commission des affaires sociales de son soutien.
Certes, j’aurais apprécié que l’on trouve une forme juridique plus satisfaisante en ce qui concerne mon amendement relatif aux déclarations mensuelles. Même si je commence à l’oublier, j’avoue que je le regrette encore un peu ! (Sourires.)
J’en viens au fond de ce projet de loi.
Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà souligné au cours de la discussion générale : monsieur le haut-commissaire, la réforme que vous proposez offre bien des avantages. Elle permet de favoriser le retour au travail d’un certain nombre de personnes et de lutter – un tout petit peu ! – contre la pauvreté, du moins à l'échelle des individus, car, pour ce qui est de la collectivité, nous devons attendre pour en juger.
J’ai bien noté que les conditions d’application de cette réforme posaient encore problème. La simplification administrative n’est pas avérée, et il faudra lancer ce processus. Le RSA ne constitue pas encore un revenu inconditionnel, et nous avons vu quelles formes de contrôle social impliquait une telle allocation. Enfin, les jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans restent exclus du dispositif.
On pourrait estimer que ces lacunes ne sont pas suffisantes pour refuser de voter ce texte, dès lors que ce dernier semble aller dans le bon sens. Toutefois, monsieur le haut-commissaire, nous sommes malheureusement obligés d’adopter une perspective politique, …
M. Jean Desessard. … et de considérer que le RSA constitue un outil, qui peut être utilisé de différentes façons. Avec la même bêche, un jardinier peut aussi bien enlever les mauvaises herbes que couper tous ses plants de salade, notamment s’il est malvoyant ou si la politique qu’il mène n’est pas la bonne… (Marques d’ironie sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)
Or nous sommes quelque peu méfiants à l’égard d’un gouvernement qui souhaite adapter le code du travail à la mondialisation, c'est-à-dire parcelliser le travail, diminuer les rémunérations, mettre les salariés en concurrence avec ceux des pays émergents, notamment de la Chine, dont les conditions de travail sont très différentes. En un mot, nous soupçonnons le Gouvernement de vouloir casser les acquis sociaux !
Dans un tel contexte, quelles chances avez-vous d’atteindre vos objectifs, monsieur le haut-commissaire ? Votre projet de loi va-t-il subir la domination des impératifs économiques ou parviendra-t-il à leur échapper ?
Tel est bien le problème ! Dès lors que, aujourd'hui, nous ne sommes pas aux commandes de l’action gouvernementale, vous comprendrez que nous soyons méfiants !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Desessard !
M. Jean Desessard. C’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs Verts s’abstiendront.
Si vous me le permettez, monsieur le président, je ferai une remarque supplémentaire.
J’ai lu dans Le Parisien de ce matin un article dirigé contre les avantages du Sénat. (Murmures sur les travées de l’UMP.)
Mme Bernadette Dupont, rapporteur. Quel rapport avec ce projet de loi ?
M. Jean Desessard. Je ne hurlerai pas avec les loups, car j’ai entendu le président, les vice-présidents et les autres membres du bureau du Sénat affirmer qu’ils voulaient changer, rénover, moderniser notre institution et la rendre plus transparente.
Je sais aussi que c’est en général au moment où l’on s’attaque aux problèmes que ceux-ci apparaissent… Il en est ainsi du dopage dans le tour de France : c’est lorsque l’on a commencé à organiser des contrôles que l’on s’est aperçu que certains coureurs étaient dopés ! (Sourires.)
Je ne puis qu’encourager cette démarche de rénovation du Sénat.
Toutefois, notre débat, qui concerne directement les départements, dont le travail des trois ou quatre prochaines années sera précisément de gérer le RSA, aurait beaucoup gagné à bénéficier de l’éclairage de nos collègues présidents de conseil général ! Or, sur les trente-quatre présidents de conseil général que compte le Sénat, seuls quatre ont fait acte de présence. Ce n’est pas sérieux ! (Mme Nathalie Goulet applaudit.) Si nous voulons rendre tout son rôle à la Haute Assemblée, une réelle participation des sénateurs à la séance publique est indispensable.
Pour conclure, monsieur le haut-commissaire, je sais que vous allez être très occupé par la mise en place du RSA. Mais j’aurais apprécié, si cela avait été possible, que vous consacriez fût-ce une petite partie de votre fougue et de votre pouvoir de conviction à attaquer les parachutes dorés et les revenus des hauts dirigeants d’entreprise ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) J’aurais tant aimé que vous mettiez toute votre conviction et tout votre souci de la justice à combattre ces salaires exorbitants !
Je vous souhaite donc bon courage, monsieur le haut-commissaire, en espérant que les bonnes idées et les objectifs louables que vous nous avez présentés ne seront pas dévoyés par le système économique et par la politique du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je voudrais simplement saluer l’intelligence, la sensibilité et la détermination de M. le haut-commissaire, car, sans ses qualités, un tel texte n’aurait à mon avis jamais été examiné par le Parlement et n’aurait donc jamais été adopté. Il me semble que cet aspect n’a pas été assez souligné. Je ne sais pas si ce texte portera son nom, mais en tout cas il en portera la marque, et je veux donc le remercier du fond du cœur.
Je veux aussi féliciter notre rapporteur, Mme Bernadette Dupont. Nous avons tous remarqué et apprécié la façon dont elle a su allier à une maîtrise technique de ce dossier difficile l’approche humaine et sensible que celui-ci méritait. (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
J’exprime ma gratitude envers tous les sénateurs qui ont participé activement à nos travaux ainsi que, s’ils me le permettent, à Jean Desessard et aux différents présidents de séance. J’associe bien sûr à ces remerciements le personnel du Sénat.
Ensemble, dans quelques instants, nous allons non pas seulement adopter une réforme tout à fait exceptionnelle, mais aussi garantir son financement, ce qui est suffisamment rare pour que je le fasse remarquer. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je souhaite simplement vous remercier, monsieur le président, ainsi que tous ceux qui vous ont précédé et qui ont présidé la séance pendant ces trois jours de débats.
Je voudrais m’associer aux remerciements de M. le président de la commission des affaires sociales envers Mme Bernadette Dupont, que je ne connaissais pas et dont j’ai découvert la capacité à prendre en charge un texte et à le faire progresser, sans le déformer, en rendant service à chacun. J’ai aussi trouvé extraordinaire qu’elle ait répondu, en 1954, à l’appel de l’Abbé Pierre…
Je salue également M. Éric Doligé, rapporteur pour avis de la commission des finances, qui, comme on l’a bien vu la nuit dernière, a fait preuve d’une grande loyauté à l’égard à la fois de l’Assemblée des départements de France, du projet de loi et de l’intérêt général.
Je suis aussi très reconnaissant aux deux présidents de commission qui ont participé à nos débats.
Tout d'abord, je salue M. Nicolas About qui, depuis le début de nos travaux, a mis toute son autorité bienveillante au service de ce projet de loi. Voilà quelques instants, il a bien voulu affirmer que, si ce texte a été discuté devant le Parlement, c’était grâce à certaines de mes qualités, mais il en a surtout été ainsi parce qu’on savait qu’il soutenait ce projet de loi …
Ensuite, j’exprime ma gratitude à M. Jean Arthuis, qui, en sa double qualité de président de la commission des finances et de président de conseil général, a réalisé plusieurs interventions tout à fait percutantes afin de soutenir ce texte.
Si vous le permettez, monsieur le président, je saluerai également tous les sénateurs qui ont participé à nos travaux.
La pauvreté doit effectivement faire l’objet de débats d’ordre politique, faute de quoi cette question ne sera pas traitée comme elle le mérite. Je l’affirme d’autant plus volontiers que je ne suis pas un homme politique professionnel. Le problème de la pauvreté gagne à être abordé dans ce lieu noble qu’est le Parlement, où il est enjeu de passions et objet de débats.
Monsieur Desessard, le rapport auquel M. Fischer a fait allusion à plusieurs reprises suggère d’indexer la rémunération des plus hauts dirigeants des entreprises sur l’inverse du taux de pauvreté. Peut-être cette idée vous inspirera-t-elle une proposition de loi… Quoi qu'il en soit, un débat politique est nécessaire sur la question de la pauvreté, sinon la « France invisible » restera oubliée.
J’associe à mes remerciements le personnel du Sénat, grâce auquel les débats se sont déroulés au mieux.
Enfin, même si c’est peut-être inhabituel, je voudrais exprimer ma profonde gratitude envers mon équipe, c'est-à-dire envers les membres de mon cabinet et les fonctionnaires des ministères concernés.
Comme vous l’avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, bien des gens, venus d’horizons différents, issus de partis politiques, d’associations ou du monde professionnel, diplômés ou non, croient en cette réforme. Ils lui ont déjà consacré plusieurs années de leur vie et ils continueront de le faire pour qu’elle entre en application. Ils savent en effet que, grâce à elle, des personnes pourront franchir le pas vers l’activité et s’en sortir. Ils ont estimé qu’il y avait là une réforme qu’il fallait faire avancer contre vents et marées.
À tous, je veux dire merci de donner sa chance à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)