Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de mon point de vue, le sujet abordé par cette proposition de loi est tout à fait d’actualité. En tout cas, il n’est certainement pas « décalé », pour reprendre l’adjectif utilisé tout à l’heure par certains collègues à propos d’une question orale avec débat.
Quatre raisons au moins justifient que nous nous saisissions d’une telle question.
Premièrement, nous sommes confrontés à une fragilité accrue des revenus des agriculteurs, phénomène illustré par l’ensemble des accidents survenus ces dernières années du fait des intempéries et des épizooties, qui se multiplient. Selon certains scientifiques, une accélération liée aux changements climatiques est d’ailleurs à prévoir.
Deuxièmement, comme cela a été souligné par M. Yvon Collin et par M. le rapporteur, l’Union européenne a jugé utile de mener une réflexion en ce sens. En effet, chaque année, l’Europe, l’État et les collectivités locales sont sollicités pour faire face à des crises, ainsi qu’à leurs conséquences en termes de perte de revenus.
Troisièmement, seule une mutualisation peut permettre de garantir une solvabilité – j’y reviendrai –, donc de créer une solidarité. Or, et notre collègue Yvon Collin vient de le rappeler, chaque année, les engagements de l’État ont du mal à être respectés et il est difficile de trouver les financements.
Quatrièmement, à mon avis, la présente proposition de loi survient au bon moment, au regard des négociations que vous conduisez au niveau communautaire, monsieur le ministre. Je pense notamment aux articles 68 et 69 du règlement évoqué voilà quelques instants.
Le principe de la généralisation doit être juste, efficace et équitable. Mais deux obstacles se dressent actuellement devant cette généralisation.
D’une part, le milieu agricole est très disparate. Je peux le constater à la seule échelle de mon département. Ainsi, les contraintes financières qui s’imposent actuellement aux agriculteurs ne sont pas vécues de la même manière par tous. En effet, seuls ceux qui disposent de hauts revenus sont en mesure de s’assurer, les petits producteurs ne dégageant pas une marge suffisante pour se le permettre. Même dans les filières où ce serait financièrement possible, seuls les agriculteurs des régions à risques, à fortes variations climatiques, souscrivent une assurance. Mais des productions entières fragiles en sont actuellement écartées.
D’autre part, l’État ne semble pas aujourd'hui en mesure d’assurer les financements nécessaires au bon fonctionnement d’un système généralisé.
Par conséquent, bien que nous soyons favorables à l’instauration d’une assurance récolte obligatoire, nous sommes conduits à penser que la mise en place d’un tel système ne pourrait sans doute être que progressive.
À cet égard, je voudrais vous soumettre deux solutions possibles. La première consisterait à ne généraliser ce mécanisme que sur un type de production, par exemple les céréales, mais en impliquant l’ensemble de la filière. La seconde tendrait à l’expérimenter sur des filières qui, tout en étant indispensables économiquement et écologiquement, n’auraient pas les moyens d’appliquer le dispositif ; je pense notamment à la filière ovine et à celle des fruits et légumes.
Pour notre part, nous sommes favorables au principe qui nous est proposé, mais également réalistes. C'est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi en la considérant comme un texte d’appel (M. Yvon Collin acquiesce) et d’appui à la position que vous défendez dans les négociations, monsieur le ministre, négociations que nous espérons voir aboutir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard de son caractère global et impératif, la proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire, déposée par nos collègues Yvon Collin et Jean-Michel Baylet, appelle un certain nombre d’observations.
En posant le principe de l’obligation de l’assurance récolte sans envisager la question de son financement, de ses modalités de mise en œuvre et de son inscription dans le cadre communautaire et international, le texte soulève beaucoup d’interrogations sans y apporter de réponses.
Mais c’est également là sa principale qualité, car elle suscite ainsi, dans notre assemblée, un débat – d’ailleurs nécessaire – sur la prise en compte des difficultés chroniques auxquelles doivent faire face les agriculteurs, les éleveurs, les maraîchers, les arboriculteurs, les viticulteurs, bref, le monde paysan dans sa globalité.
En effet, leur protection contre les aléas climatiques, sanitaires et économiques n’est pas assurée de manière satisfaisante et semble assez disparate, voire inexistante, selon les filières concernées.
Il existe plusieurs produits d’assurance sur le marché contre la grêle, contre le gel ou encore contre plusieurs risques combinés, avec le soutien de l’État et, souvent, des collectivités locales. Malgré ses imperfections, le Fonds national de garantie des calamités agricoles reste un mécanisme nécessaire dans bien des situations de crise. Cependant, si l’assurance récolte a progressé grâce à l’adoption de la loi du 5 janvier 2006 d’orientation agricole, c’est surtout en direction des grandes cultures.
À ce titre, selon les indications fournies par le rapport de la commission, le taux de prise en charge de la prime d’assurance par le Fonds national de garantie des calamités agricoles a été le même pour toutes les cultures de 2005 à 2008. Compte tenu de la disparité des revenus et des risques entre les cultures, on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une telle décision. C’est pourquoi il est heureux que, pour 2009, soit prévu un taux différencié favorisant les cultures les plus exposées.
Avant d’entrer dans le détail des difficultés posées par l’assurance récolte, dont le constat semble être largement partagé, j’aimerais soulever le problème du revenu des agriculteurs et, à travers lui, évoquer la notion d’« assurance revenu ».
La question de l’assurance récolte ne peut être déconnectée de la question de la garantie des prix aux agriculteurs. Il serait nécessaire de réfléchir à la mise en place d’un mécanisme assurant les volumes produits, peut-être même les prix, afin de tendre vers une régularisation des revenus.
Si le revenu net par actif de l’ensemble de la branche agriculture a augmenté entre 2006 et 2007, ce résultat positif est essentiellement dû à la forte progression de la valeur de la production agricole, qui s’explique à 85 % par les céréales oléagineuses et protéagineuses, dont le prix avait augmenté de 51 % par rapport à 2006. Cette augmentation a notamment entraîné une forte hausse du coût de production de l’alimentation animale, ce qui a mis en difficulté nombre d’éleveurs, parfois déjà affaiblis par des crises sanitaires.
Il faut noter de fortes disparités dans les revenus non seulement entre les grandes cultures susmentionnées et l’élevage, mais également entre celles-là et les autres productions végétales. Or ce sont également ces grandes cultures qui sont le mieux assurées.
Vous le voyez, on ne peut pas traiter la question assurantielle sans prendre en compte les difficultés économiques de bon nombre d’exploitations. Si certains agriculteurs ne s’assurent pas, c’est tout simplement qu’ils n’en ont pas les moyens !
C’est pourquoi, selon nous, il devient urgent que les sénateurs se saisissent de la question d’un prix rémunérateur des produits agricoles dans le cadre de la réflexion sur l’assurance récolte.
Nous le sentons bien, le véritable obstacle à la proposition de loi déposée par nos collègues réside dans l’engagement financier de l’État. En effet, un soutien budgétaire beaucoup plus important que celui qui est prévu aujourd'hui serait nécessaire si l’assurance récolte devenait obligatoire.
Ainsi, les 32 millions d’euros qui sont mobilisés aujourd'hui seraient à multiplier par dix. L’Espagne, pays cité en exemple, a consacré 280 millions d’euros au financement de son dispositif assurantiel.
Dans le contexte actuel de crise économique et financière, alors que le Gouvernement a vidé les caisses de l’État au profit des ménages les plus aisés, alors que le sous-engagement financier de l’État s’accompagne d’une sous-dotation du Fonds national de garantie des calamités agricoles, il serait illusoire de croire que la puissance publique est disposée à engager les sommes nécessaires à la viabilité du système d’assurance obligatoire.
De plus, les décisions relatives au soutien financier d’origine communautaire et à la compatibilité du soutien interne des États membres, c’est-à-dire à la participation aux primes d’assurance, n’ayant pas encore été définitivement prises, il nous semble opportun de ne pas imposer aux agriculteurs des obligations qui les mettraient en difficulté financière.
Lors des débats en commission, M. le rapporteur a souligné que, si certains agriculteurs ne s’assurent pas aujourd’hui, c’est en raison de l’absence d’un produit assurantiel adapté à leurs besoins. Nous partageons cette idée. Avant de rendre l’assurance obligatoire, peut-être serait-il intéressant de réfléchir sur ses modalités et d’envisager des solutions par filières.
La question de la concurrence entre les assureurs se pose également. Comme le notait déjà le rapport de Dominique Mortemousque, deux assureurs proposent des contrats d’assurances multirisques : Groupama, qui détenait, en 2005, les neuf dixièmes des contrats, et Pacifica, filiale du Crédit agricole. Selon le même rapport, si la bonne diffusion de l’assurance récolte pour les grandes cultures peut s’expliquer en partie par la bonne concurrence entre les deux opérateurs, cet élément ne sera certainement pas durable, a fortiori dans un système d’assurance obligatoire.
Il ne faudrait pas non plus sous-estimer le risque que les assureurs profitent de la subvention publique pour augmenter leurs primes, autrement dit que des tarifs prohibitifs consomment l’aide.
Enfin, la présente proposition de loi reste muette quant à la mutualisation puisqu’elle renvoie pour l’essentiel à un décret, et le rapport n’envisage la question qu’en quelques lignes, au travers du principe de l’extension progressive de l’assiette des cotisants.
Il est essentiel de déterminer quel niveau de mutualisation nous voulons dans le cadre d’un système d’assurance récolte obligatoire.
Si nous ne sommes pas catégoriquement opposés au principe d’une assurance obligatoire, nous estimons que sa mise en œuvre est quelque peu prématurée.
À l’heure de la réforme de la politique agricole commune, la présidence française n’a pas su proposer de mesures fortes pour défendre les cultures les plus fragiles et assurer un revenu décent aux agriculteurs. Les politiques européennes de suppression des quotas, de réforme des aides à la production vont dans le sens d’une déstabilisation des revenus et renforcent les inégalités au sein du monde agricole.
Nous considérons donc qu’il convient d’approfondir cette réflexion en prenant en compte un traitement assurantiel par filière, un haut niveau de mutualisation des risques, une participation substantielle de l’État et de l’Union européenne, sans oublier des prix rémunérateurs, une régulation des volumes de production et des marges de la grande distribution.
Or, si j’ai bien compris, notamment à la lecture du rapport de Dominique Mortemousque, ce qui se prépare, c’est le désengagement total de l'État dans ce domaine et son abandon aux appétits des assurances privées.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard César.
M. Gérard César. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous assistons depuis quelques années à une multiplication des incidents climatiques, qui a entraîné des difficultés croissantes de financement du Fonds national de garantie des calamités agricoles, fonds qui indemnise les agriculteurs dans le cadre du régime « calamités naturelles ».
Les pouvoirs publics ont donc souhaité que le relais de ce régime soit pris par des mécanismes d’assurance récolte couvrant non pas un, mais plusieurs risques, conformément aux préconisations du rapport du député Christian Ménard, intitulé : « Gestion des risques climatiques en agriculture », remis le 11 février 2004 à M. Hervé Gaymard, alors ministre de l’agriculture.
Le dispositif d’assurance récolte, lancé par le Gouvernement dès février 2005, vise cet objectif en combinant un financement provenant, pour l’essentiel, des exploitants sur une base volontaire et, d’autre part, des subventions incitatives de l’État.
Cependant, s’il amorce de façon très opportune un développement progressif de l’assurance récolte, ce dispositif reste, en l’état, insuffisant. En effet, il laisse la souscription de contrats d’assurance à la seule initiative des agriculteurs. Or seul un dispositif reposant sur une assiette de cotisants aussi large que possible aurait une réelle portée.
Dans cette perspective, j’avais proposé, en ma qualité de rapporteur du projet de loi d’orientation agricole et avec le soutien appuyé du président de la commission des affaires économiques, Jean-Paul Emorine, d’inscrire dans la loi le principe d’une extension progressive du mécanisme d’assurance récolte à l’ensemble des productions agricoles, un décret devant en fixer les conditions d’application.
En adoptant l’amendement que j’avais déposé au nom de la commission des affaires économiques, le Sénat a étendu de manière progressive le mécanisme d’assurance récolte à l’ensemble des productions agricoles, ce qui a donné lieu à l’article 68 de la loi d’orientation agricole de février 2006.
Développer le recours par les exploitants agricoles à des polices d’assurance multirisques couvrant les sinistres occasionnés à leurs récoltes par des aléas climatiques, telle est la voie dans laquelle le Sénat a demandé que l’on s’engage. Le but de l’initiative de notre commission des affaires économiques était de favoriser une montée en puissance rapide des instruments d’assurance mis en place par le Gouvernement.
En permettant de mutualiser les sources de financement et de responsabiliser les exploitants, le dispositif d’assurance récolte a vocation, à terme, à prendre le relais du mécanisme de solidarité nationale, mécanisme qui, s’il a fait la preuve de son utilité jusqu’à présent, est désormais considéré comme insuffisamment efficace.
Un second rapport, rendu public le 28 février 2007, émanant de mon ancien collègue du groupe UMP, Dominique Mortemousque, parlementaire en mission, est venu compléter la réflexion sur le développement de l’assurance récolte, dressant un nouveau bilan. Intitulé : « Une nouvelle étape pour la diffusion de l’assurance récolte », ce rapport préconise trois grandes orientations.
Premièrement, la gestion des risques et des crises sera un élément majeur des prochains rendez-vous communautaires, notamment s’agissant du « bilan de santé » de la PAC pour l’après-2013 et les propositions françaises en vue d’un cofinancement ne seront crédibles que si l’assurance récolte continue vigoureusement sa progression selon une feuille de route claire et, surtout, consensuelle.
Deuxièmement, les lourds investissements que l’entreprise agricole doit consentir pour une adaptation plus étroite au marché de l’après-2013 nécessitent une couverture plus forte contre les aléas, donc mieux individualisée, tant par une amélioration de la déduction fiscale pour aléas que par l’assurance récolte, plutôt que par la procédure forfaitaire du régime des calamités agricoles, qui correspondait aux besoins de premiers secours d’une agriculture en cours de modernisation.
Troisièmement, les aléas économiques, climatiques et sanitaires n’étant pas indépendants, l’organisation de producteurs est la base logistique appropriée pour bien raisonner s’agissant de l’adaptation au marché, des investissements, des pratiques de prévention, ainsi que des prises de risque individuelles mesurées.
Pour choisir un objectif raisonnable de diffusion de l’assurance récolte, trois scénarios ont été étudiés suivant qu’elle reste cantonnée aux grandes cultures, qu’elle est étendue aux cultures spécialisées, comme la vigne ou les fruits et légumes, ou que l’ensemble des productions, fourrage compris, de la « ferme France » soient couvertes.
Le rapport Mortemousque conclut que, en tout état de cause, l’assurance récolte doit être non pas obligatoire, mais incitative.
Les années qui viennent de s’écouler ont montré que les problèmes rencontrés par les agriculteurs concernent non pas seulement les récoltes, mais également les troupeaux.
Au cours de la dernière décennie, les productions animales ont été touchées par des crises sanitaires majeures. Dans la quasi-totalité des cas, les crises sanitaires ont eu pour origine des contaminations extérieures aux élevages, que les mesures d’hygiène et de prévention appliquées par les éleveurs n’ont pas permis d’éviter.
Ces risques sanitaires, accentués par l’augmentation des échanges à l’échelle de la planète, deviennent des facteurs prédominants de déstabilisation économique et de déséquilibre des marchés. L’influenza aviaire et la fièvre catarrhale en sont des exemples, malheureusement plus que jamais d’actualité.
Il est donc essentiel aujourd’hui de pouvoir couvrir tous les risques, tant climatiques que sanitaires, ces derniers s’étant considérablement accrus ces dernières années du fait de la globalisation.
La question est posée : comment les Américains ont-ils mis en place l’assurance obligatoire ? Le rapporteur l’indiquait tout à l’heure, selon le système américain, l’assurance est obligatoire pour ceux qui empruntent de l’argent auprès des banques. Il faudra sans doute entamer une réflexion en France sur ces problèmes.
C’est la raison pour laquelle il faut englober tous les risques et parler d’« assurance aléas ».
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Gérard César. À cet égard, l’échéance de 2013 sera l’occasion de dresser un premier bilan de l’assurance récolte et d’étudier plus sérieusement l’opportunité de la relayer par un mécanisme d’assurance plus globalisé, et ce à l’échelon communautaire, comme Mme Fischer Boel et vous-même, monsieur le ministre de l’agriculture, l’avez proposé, précisément dans le cadre des articles 68 et 69 du règlement européen.
L’entreprise agricole doit pouvoir désormais être accompagnée plus étroitement dans les nouvelles évolutions qui l’attendent, notamment après 2013. Il s’agit de repositionner les financements de l’État et la mutualisation professionnelle sur un investissement d’avenir pour l’agriculture, qui doit mobiliser toutes les énergies.
La nouvelle étape qui s’ouvre aujourd’hui est celle de la transition du régime des calamités agricoles vers la diffusion d’une « assurance aléas » dans les différentes catégories de productions ou d’élevage.
Si nous adhérons pleinement à l’objectif d’extension de l’assurance récolte, nous ne pouvons toutefois souscrire à la proposition de loi de nos collègues Yvon Collin et Jean-Michel Baylet, qui vise à rendre l’assurance récolte obligatoire.
Sans reprendre les arguments développés par notre excellent rapporteur de la commission des affaires économiques, Daniel Soulage, il est certain qu’une telle mesure se heurte dans l’immédiat à de fortes objections, tenant notamment au coût supplémentaire qu’elle induirait pour l’agriculteur.
En conclusion, le groupe UMP se rallie aux conclusions négatives de la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen aujourd'hui par votre assemblée de cette proposition de loi déposée par Yvon Collin et Jean-Michel Baylet, et tendant à rendre obligatoire l’assurance récolte, nous donne en réalité l’occasion de débattre d’une question centrale.
Même si, je le dis d’emblée, je ne souhaite pas que l’on ferme la discussion aujourd'hui en approuvant ce texte orienté dans une seule direction, je veux vous remercier, monsieur Collin, ainsi que M. Baylet, d’avoir soulevé, par votre initiative, un sujet névralgique, celui de l’exposition des entreprises agricoles aux risques, permettant ainsi au Gouvernement de donner une indication assez précise de ce qu’il souhaite faire à cet égard.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons le même constat, celui de la nécessité de développer les outils de couverture des risques, à commencer par les risques climatiques, et d’en faire, le plus rapidement possible, bénéficier le plus grand nombre. C’est une priorité de mon action depuis dix-huit mois, tant sur le plan communautaire qu’à l’échelon national.
Vous vous en souvenez, sous l’impulsion de votre assemblée, grâce à la force de conviction du président de la commission des affaires économiques, Jean-Paul Emorine, le Gouvernement, par les voix successives d’Hervé Gaymard et de Dominique Bussereau, s’était engagé dans le développement de l’assurance récolte. Le principe de l’extension progressive de cette dernière à l’ensemble des productions agricoles a été ainsi introduit dans la loi d’orientation agricole de 2006 grâce à un amendement de Gérard César, alors rapporteur du texte.
M. Gérard César. Merci !
M. Michel Barnier, ministre. La question qui nous est posée aujourd'hui, par le biais de la présente proposition de loi, est simple : il s’agit de savoir si la meilleure des solutions pour aller plus vite ne consisterait pas à rendre l’assurance récolte obligatoire.
Je serai tout à fait franc : le Gouvernement s’était lui-même posé cette question dès 2005, et je me la suis posée lorsque le Président de la République, à Rennes, m’a fixé comme priorité dans ma feuille de route « la généralisation de l’assurance récolte ».
Finalement, le Gouvernement n’a pas retenu l’obligation d’assurance. Il entend privilégier la responsabilisation des agriculteurs en renforçant de façon significative l’incitation à l’assurance et en inscrivant l’assurance récolte dans le cadre de la politique agricole commune.
Pourquoi avons-nous fait le choix de l’incitation ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai acquis une double conviction, renforcée depuis dix-huit mois.
En premier lieu, notre environnement a changé, devenant plus incertain. M. Raoul l’a excellemment dit, les risques se multiplient et s’amplifient. Les aléas climatiques, les crises sanitaires, l’explosion n’importe où, n’importe comment, de multiples agents pathogènes émergents sous le double effet du réchauffement climatique et de la mondialisation des échanges sont encore aggravés par le récent retournement des marchés. M. Le Cam a évoqué la situation économique liée à cette volatilité.
Tel est le quotidien des entreprises agricoles, qui sont, dans l’économie française, parmi les plus exposées et les plus vulnérables, et en même temps les moins bien protégées de nos entreprises.
Nos outils ne sont plus adaptés. C’est ce que je constate chaque semaine à l’occasion des échanges que j’ai, crise après crise, avec les agriculteurs, avec mes services, avec les élus.
En second lieu, seule une politique globale cohérente de la gestion des risques peut offrir aux agriculteurs une couverture complète. C’est d’ailleurs ce que votre ancien collègue Dominique Mortemousque avait mis en lumière dans son rapport.
Nous allons donc combiner épargne de précaution défiscalisée, assurance récolte volontaire, mais subventionnée, et indemnisation des risques sanitaires, à partir d’un cofinancement des agriculteurs que les pouvoirs publics pourront rendre obligatoire. Gérard César l’a bien rappelé, tous les risques sont liés.
C’est cette double conviction qui m’a conduit, dès mon arrivée rue de Varenne, à plaider l’introduction de la couverture des risques au sein de la politique agricole commune. C’est une première.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Michel Barnier, ministre. Nous avions une occasion avec le « bilan de santé » de la PAC, pour lequel nous abordons la dernière ligne droite. J’ai présidé hier et avant-hier le Conseil des ministres à Luxembourg. J’ai réuni dans des « triangulaires » mes collègues au cours de vingt-six réunions successives avec la Commission pour essayer de trouver les chemins du compromis et du consensus. Je pense pouvoir annoncer que nous sommes sur la voie d’un accord politique concernant ce « bilan de santé » pour le 19 ou le 20 novembre prochain, après avoir pris en compte l’avis du Parlement européen.
Cette grande politique qu’est la PAC – la première politique économique européenne – ne peut pas se réduire à des aides découplées et à un renforcement de la politique de développement rural. Elle doit intégrer cette montée des risques, notamment climatiques et sanitaires. Alors que la Commission avait initialement envisagé de les prendre en compte dans le cadre du second pilier de la PAC, nous avons obtenu que leur couverture devienne un des outils du premier pilier de la PAC.
Je veux dire à Gérard César et à Daniel Raoul, que je remercie de leurs encouragements, que je compte bien mobiliser tous les articles du règlement qui est en discussion dans cette boîte à outils pour aboutir à ce résultat.
C’est pour moi, une avancée importante et une perspective pour l’avenir.
Je rappelle le calendrier : la boîte à outils du « bilan de santé », nous en disposerons, si tout se passe bien, dès le mois de novembre ; il nous faudra six mois pour décider, après un débat franco-français auquel le Parlement sera associé, de la façon dont seront utilisés les outils et dont seront réorientées les aides à l’intérieur du premier et du second piliers ; les décisions que nous prendrons en 2009 seront applicables en 2010.
Nous allons donc pouvoir, dès 2010, mobiliser des moyens prélevés sur les aides pour financer le développement de l’assurance récolte et mieux indemniser les conséquences économiques des crises sanitaires. Nous en négocions dans le détail les modalités pour en améliorer l’efficacité.
Voilà pour l’avancée.
C’est également une perspective pour l’avenir, car nous avons ouvert la voie à d’autres dispositifs assurantiels pour l’après-2013. Nous avons ainsi mis le pied dans la porte pour demain. Monsieur Le Cam, on ne peut envisager pour l’avenir une « assurance revenu » dans la politique commune, puisque c’est ce que vous appelez de vœux, sans avoir préalablement développé, dans cette même politique commune, l’assurance récolte ; de mon point de vue, c’est la première étape.
La double conviction que j’ai acquise m’a également conduit à réorienter fondamentalement notre dispositif national parce que, même si son bilan est positif, il montre des signes d’essoufflement.
Quels enseignements peut-on tirer de ce bilan ?
Le premier est que les mécanismes actuels se « vampirisent » les uns les autres. Coexistent à la fois l’indemnisation publique et l’assurance privée subventionnée, avec en plus une déduction pour aléas qui ne fonctionne pas réellement. Il faut, donc, les clarifier et proposer aux agriculteurs un ensemble cohérent, mais diversifié dans ses outils.
Le deuxième enseignement est que l’assurance s’est développée, mais sa diffusion a été très inégale selon les secteurs. Vous avez donné les chiffres, monsieur le rapporteur : l’assurance récolte est restée concentrée sur les productions les moins risquées. Les secteurs les plus exposés aux risques – les fruits et légumes, ainsi que la viticulture – se sont peu assurés ou ne se sont pas assurés. On sait en outre que, pour les fourrages, l’offre de produits d’assurance n’en est qu’au stade d’une expérimentation, chez un seul assureur.
Il faut, donc, une approche différenciée et inscrite dans le temps, avec une vraie progressivité.
Le troisième enseignement est que la voie du contrat, en l’occurrence du contrat d’assurance, reposant sur la responsabilisation des agriculteurs et un engagement des pouvoirs publics est la voie plus efficace. Elle permet d’atteindre les objectifs de couverture chez le plus grand nombre tout en participant à l’intégration des risques dans la gestion des entreprises agricoles. Je serais tenté de dire : le contrat plutôt que la contrainte !
Il faut, donc, dans un contexte budgétaire tendu – disons la vérité ! –, mobiliser les moyens suffisants.
Au regard du bilan que je viens d’exposer sommairement, notre dispositif évoluera profondément en 2009. Ce sera, mesdames, messieurs les sénateurs, la première étape d’une refonte substantielle de la couverture des risques.
Ainsi, le soutien à l’assurance récolte sera renforcé dans le secteur des fruits et légumes et dans celui de la viticulture ; il passera à 40 %, et à 45 % pour les jeunes agriculteurs. En contrepartie, il sera ajusté à 25 % pour les grandes cultures.
Par ailleurs, les grandes cultures, dont le taux de surfaces assurées est supérieur aujourd'hui à 27 %, ne seront plus indemnisées au titre du Fonds national de garantie des calamités agricoles pour la perte de récolte, mais elles continueront à l’être pour les pertes de fonds.
De surcroît, la déduction pour aléas, la DPA, qui permet aux agriculteurs de constituer une épargne de précaution défiscalisée sera réformée. Son plafond de 23 000 euros sera indépendant du plafond de la déduction pour investissement, la DPI, dont le montant sera de 15 000 euros.
Enfin, pour assurer la cohérence entre les différents outils, le niveau de la DPA sera conditionné à la souscription d’une assurance. Cette épargne pourra être mobilisée pour prendre en charge la franchise non couverte par l’assurance.
Le Gouvernement a donc fait le choix d’une politique ambitieuse de la couverture des risques climatiques en l’inscrivant dans la durée et en augmentant significativement les moyens qui lui sont consacrés.
Ainsi, en 2009, les moyens publics affectés à l’assurance récoltes s’élèveront à 38 millions d’euros. Ils passeront à 100 millions d’euros en 2010, financement communautaire compris et hors FNGCA. À ces sommes, il convient d’ajouter l’impact de la DPA sur les rentrées fiscales, estimé, lui, à 80 millions d’euros.
Pour répondre à Yvon Collin sur la question du financement du Fonds national de garantie des calamités agricoles, je rappelle que le Gouvernement le dote chaque année en loi de finances rectificative, la moyenne sur dix ans s’établissant à environ 90 millions d’euros. Pour mémoire, la sécheresse de 2003 a coûté, elle, plus de 600 millions d’euros.
Je souhaite doter le Fonds national de garantie des calamités agricoles en loi de finance initiale, ce qui a toujours été mon idée. Cependant, cela n’a pas été possible compte tenu des contraintes qui pèsent sur le projet de loi de finances pour 2009 et de la nécessaire maîtrise des dépenses publiques. Ce sera prévu en 2011, dans le plan triennal budgétaire, à hauteur de près de 40 millions d’euros.
Pour répondre encore à une question de M. Collin, je précise que ce n’est qu’en 2010 que le coût budgétaire du développement de l’assurance jouera à plein, en raison du décalage entre le paiement des primes et la souscription des contrats.
En 2010, le financement de l’État est prévu à hauteur de 60 millions d’euros, soit le double de ce qui est actuellement payé. En 2011, le coût total sera supérieur à 100 millions d’euros, mais le financement européen en assurera plus de la moitié. Je négocie actuellement, je vous le répète, dans le cadre du « bilan de santé » un taux de cofinancement européen aussi élevé que possible pour accroître nos marges de financement.
Pourquoi, en fin de compte, n’avons-nous pas opté pour l’obligation d’assurance ?
Selon les auteurs de la proposition de loi, si j’ai bien compris leur intention, l’obligation d’assurance amorcerait un cercle vertueux : tous les agriculteurs étant assurés, les risques seraient mutualisés et le coût de l’assurance en serait réduit.
Cela me paraît relever d’une vision un peu idyllique.