Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, j’ai eu l’honneur d’être rapporteur, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, tant de la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle que de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. C’est cette dernière qui a autorisé les collectivités territoriales à établir et à exploiter des réseaux de télécommunications pour pallier l’insuffisance de l’offre privée.

En effet, les élus des territoires ruraux, des territoires de montagne savent ce qu’il en coûte, en termes de développement économique, de dynamisme, d’accès aux services et à la culture, d’être dépourvu d’accès au haut débit ou – car le problème est identique – d’habiter, de travailler dans une « zone blanche » en téléphonie mobile.

L’intervention de la puissance publique est donc nécessaire pour accélérer les connections, favoriser le dégroupage et permettre le développement de la concurrence, condition indispensable pour bénéficier de prix raisonnables.

Cette fracture géographique est-elle en passe de se résorber ? La réponse est ambivalente, surtout dans nos territoires de montagne et dans les zones frontalières. Il est toutefois certain que l’amélioration constante des technologies brouille la donne, puisque la question sera bientôt posée non plus en termes quantitatifs, mais en termes strictement qualitatifs. On se préoccupera de savoir non plus combien de pourcentage du territoire ou de la population ne sont toujours pas couverts ou connectés, mais à quel type de technologie ils le sont et pour quels services offerts.

La fracture, comme sa taille, est, me semble-il, un problème non pas absolu, mais essentiellement relatif qui sépare ceux de nos concitoyens ayant un accès aux technologies les plus innovantes de ceux qui restent à la traîne.

Selon moi, deux facteurs doivent être pris en compte.

Le premier est strictement économique. L’innovation numérique a un coût, lequel, lorsqu’on additionne tous les postes budgétaires, peut devenir un obstacle pour un ménage et même pour une PME.

On rejoint là une problématique classique de la pauvreté entendue, là aussi, de manière relative et non absolue : alors même que, globalement et statistiquement, l’offre de technologies de l’information et de la communication, TIC, se diversifierait, les flux augmenteraient, l’usage se répandrait, la fracture numérique, loin de se résorber, se maintiendrait, voire s’aggraverait, tout simplement parce que le développement profiterait plus à certaines couches de la société qu’à d’autres.

Le second facteur est sociétal. Il n’est évidemment pas totalement déconnecté du niveau des revenus, mais il ne l’épouse pas exactement, loin s’en faut.

Offrir à chaque citoyen la même possibilité réelle d’accès au numérique en particulier, aux TIC au sens large, est indispensable pour permettre à la France de s’inscrire dans l’ambition de l’Union européenne de développer une économie de la connaissance. C’est le gage d’un partage égal et équitable du savoir, et donc l’assurance d’un fonctionnement démocratique du pouvoir.

Comme vous le savez, à l’occasion de son 24e congrès, le 24 octobre 2008 à Saint-Flour, l’Association nationale des élus de la montagne, l’ANEM, à laquelle nombre de sénateurs appartiennent, a voté une motion sur le développement de la TNT et la couverture numérique audiovisuelle du territoire.

Par cette motion, elle demande « la constitution immédiate avec les élus de la montagne d’un groupe de travail conjoint avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel, CSA, pour analyser avec précision le calendrier et les conséquences du basculement prochain de l’analogique vers le numérique ».

Certains amendements que je serai amené à défendre traduiront cette inquiétude majeure des élus de montagne concernant la couverture du territoire.

Il nous faut par ailleurs être en mesure de déterminer et d’anticiper la situation et les coûts du passage au numérique pour les foyers situés dans des territoires n’ayant d’autres recours que le satellite pour la réception de la télévision.

Aussi deux questions sont-elles fondamentales pour l’ANEM : établir non seulement une cartographie précise et motivée de ces territoires, mais également une grille de coût du partage pour le passage au numérique par voie satellitaire.

Plus précisément, dès lors que les trois chaînes peuvent escompter une économie de coûts de diffusion, la question qui se pose est la suivante : hors personnes éligibles au fonds d’aides pour l’acquisition et l’installation d’une réception satellitaire numérique gratuite, quelle est la part supportée par les chaînes et celle qui est supportée par les téléspectateurs des zones non reconduites en couverture hertzienne ?

Il est important d’anticiper la réponse pour nos territoires. Le coût est en effet le premier élément mis en avant par les personnes – entre 8 % et 20 % – que le passage au numérique peut laisser sceptiques !

M. Pierre Hérisson. Le coût d’une réception satellitaire est actuellement dix fois plus élevé que celui d’une réception hertzienne traditionnelle avec achat d’un simple adaptateur.

Il convient que le Gouvernement se saisisse de ces problématiques concrètes parallèlement aux discussions menées entre l’ANEM, le CSA et les chaînes de télévision historiques.

Qu’il me soit permis de conclure mon propos par un vœu puisque la période s’y prête parfaitement : je souhaite que l’on puisse affirmer résolument que l’innovation numérique peut profiter à tous ; je suis convaincu que nous trouverons la solution. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs, le Moyen-Orient est à feu et à sang, la crise appelle la mobilisation de toutes les énergies, l’approvisionnement en gaz russe est « sous tension », le Grenelle est renvoyé de mois en mois comme s’il n’y avait pas péril, les caisses sont vides et, nous, nous allons débattre en urgence du renoncement à une recette privée qui profitait à un outil public, outil dont le développement est dès aujourd’hui hypothéqué par la fragilité de son budget.

Quelle clairvoyance !

Le 17 décembre, à l’Assemblée nationale, madame la ministre, vous avez déclaré : « La réforme sera mise en œuvre dès le 5 janvier prochain avec la suppression de la publicité. » Mais que faisons-nous ici, quarante-huit heures plus tard ?

Un an après que le Président eut exprimé ses intentions inédites de supprimer la publicité des écrans de l’audiovisuel public, et quelques jours après que les chaînes concernées eurent mis en œuvre ce dispositif contraintes et forcées, vous voici, madame la ministre, devant la Haute Assemblée bafouée, mise devant le fait accompli de décisions déjà appliquées. C’est dire le peu de crédit que l’on peut accorder à la prétendue revalorisation du rôle du Parlement !

Six ans après l’année Victor Hugo au Sénat, nous saurons nous inspirer de ce grand républicain qui, à propos d’un autre Sénat, rappelait le mépris que lui vouait Napoléon : « De quel sénat parlez-vous ? […] Est-ce du sénat dont Napoléon disait le 5 avril 1814 : “Un signe était un ordre pour le Sénat, et il faisait toujours plus qu’on ne désirait de lui” ? Est-ce du sénat dont le même Napoléon disait en 1805 : “Les lâches ont eu peur de me déplaire” ? »

Madame la ministre, les temps ont changé ! Malgré la curieuse installation du trône de l’Empereur dans la Salle des conférences, nous allons débattre et nous battre. Le Sénat vous montrera, comme il a su le faire pour certaines décisions scélérates, qu’il est source de résistance et d’exigences démocratiques, en particulier quand il s’agit d’un bien commun comme l’audiovisuel public. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Marie-Christine Blandin. Derrière la proposition, à la fois symbolique et régressive, de la nomination et surtout de la révocation des présidents des sociétés de l’audiovisuel public par le Président de la République, derrière la séduisante disparition de la publicité, se dissimule la mise en œuvre de la fragilisation programmée des chaînes payées par les citoyens, conçues pour les citoyens, et cela au profit des groupes privés nourris d’amitiés élyséennes, de cadeaux réguliers, tels les canaux libérés par le passage au numérique, n’ayant d’autre ambition que de s’enrichir, quitte à abêtir et à abrutir, comme le disait cyniquement Patrick Le Lay à propos de TF 1 : « Ce que nous vendons [...] c’est du temps de cerveau humain disponible. »

D’ailleurs la lecture du Livre blanc de TF 1 est édifiante ! Votre projet en est directement inspiré et sa mise en œuvre s’accompagne de coups de boutoirs contre les règles anti-concentration.

Ils sont tellement sûrs de leur affaire qu’ils ont imposé, dans l’article 7 de l’accord interprofessionnel signé entre TF 1 et les sociétés de gestion collective et les producteurs, d’ailleurs contestable, la phrase suivante : « Il est expressément convenu que TF 1 pourra dénoncer unilatéralement le présent accord; en tout état de cause, en l’absence de mise en œuvre et d’entrée en vigueur des modifications de la législation et de la réglementation en matière de publicité télévisée ... » Eux aussi semblent avoir une très haute idée du rôle des parlementaires !

Le message est clair : si vous ne votez pas la seconde coupure de publicité, nous faisons exploser les accords. Madame la ministre, on ne peut pas, hier, prétendre protéger les auteurs et les œuvres – nous nous souvenons de vos propos dans le débat sur la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, ou HADOPI – et, le lendemain, dire : « Grâce à cet article, TF 1 et M 6 vont pouvoir diffuser des Fellini ou des Visconti dès vingt heures trente. Ce sera un grand acquis. Certes, le prix à payer sera que ces films soient coupés par des interruptions publicitaires, mais cela en vaut la peine. »

Il faut appeler un chat un chat, passer du texte soumis au vote à la projection de ce que vont vivre les spectateurs : La Dolce Vita ou La Voce della Luna interrompus par la publicité sur le camembert qui ne coule pas, Les Damnés ou Les Nuits blanches par la réclame sur les couches anti-fuites et – pourquoi pas ? – Mort à Venise interrompu deux fois par le slogan pour une assurance : « Zéro tracas, zéro blabla » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Franchement, Thomas Mann et Luchino Visconti méritent mieux que cela ; les spectateurs aussi !

Votre titre de ministre de la culture vous invite à éviter ce séquençage vulgaire. Notre mandat parlementaire nous rend responsables non seulement du service public, mais aussi de ce qui se passe sur les chaînes privées.

Le voile étant levé sur les exigences des puissants et gâtés amis du Fouquet’s, j’en viens à trois axes qui sous-tendent votre proposition : la suppression de la publicité, la télévision publique de demain et la nomination du président.

Les Verts appellent de leurs vœux une société plus sobre, plus solidaire, moins productrice de déchets – et de gâchis –, moins consommatrice des ressources dont auront besoin les générations futures. C’est dire combien nous combattons le mécanisme d’embrigadement que nous fait subir la publicité pour vendre des produits inutiles, des fausses voitures écologiques, des lessives qui polluent et des cosmétiques douteux. Quand le Gouvernement, par votre bouche, en appelle à Bourdieu et à Derrida pour combattre la publicité dans le domaine public, nous disons : chiche !

M. Jean-Pierre Sueur. Et, eux, ils se retournent dans leur tombe !

Mme Marie-Christine Blandin. Mais, alors, pourquoi tant de laxisme concernant les enseignes et publicités illégales qui obstruent nos paysages et enlaidissent nos villes ? Pourquoi tant de hargne contre les Déboulonneurs de pub, condamnés par la justice à verser un euro symbolique et contre lesquels l’État a fait appel ? La publicité n’est-elle mauvaise que pour la télévision publique ?

Mais, alors, pourquoi, dans le phasage prévu, privilégier l’« après-vingt heures », au risque de surcharger de publicités le créneau des jeunes téléspectateurs, dont on sait la vulnérabilité ; au risque aussi d’encourager leur consommation d’aliments surchargés de sucre, pour en faire les diabétiques et les obèses de demain ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Ivan Renar applaudit également. )

Nous connaissons le rôle pervers des annonceurs, la distorsion imposée aux programmes, le nivellement vers le bas de la diversité, de l’autonomie individuelle et de la pensée.

Toutefois, avant de toucher à une ressource, il faut définir une ambition, des objectifs, un phasage, des moyens sécurisés par un débat public, enrichi de l’expertise d’usage des professionnels et de la parole des spectateurs.

Ce ne fut pas la méthode du Président de la République. Comment ne pas penser, de nouveau, à Victor Hugo évoquant Napoléon III : « Il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète. […] Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots… »

J’espère du moins que ce texte ne sera pas un coup d’État contre la télévision publique !

Pas moins de huit syndicats sont mobilisés. L’analyse de la situation par les professionnels est instructive ; la voici résumée : un déficit de départ de 135 millions d’euros ; de nouvelles missions culturelles, sociales et technologiques qui ne sont pas suffisamment financées ; des plages libérées qu’il faudra programmer ; des accords d’entreprise incertains et une transition sociale calamiteuse.

La navigation va aller de Charybde en Scylla : soit les ressources humaines serviront de variable d’ajustement, soit, à terme, une chaîne publique sera vendue au privé.

Pourquoi ne cite-t-on pas le nom des chaînes dans ce texte ? Pourquoi ne retrouve-t-on pas le mot « région » ? France 3 est-elle dès à présent promise ?

Déjà sommées de se plier à des créneaux étroits, déjà priées d’apporter leurs moyens humains et techniques à des producteurs extérieurs grassement payés pour des émissions ludiques à l’esprit de compétition douteux, déjà victimes du non-renouvellement du matériel et découragées de réaliser elles-mêmes des fictions, les antennes régionales sont aujourd’hui menacées, alors que la loi n’est même pas votée, de voir certaines de leurs éditions locales d’information supprimées, afin que les précieuses minutes précédant vingt heures soient attribuées à la publicité ! Elles se voient aussi dotées d’un créneau supplémentaire de onze minutes, sans qu’un euro de plus leur soit octroyé : c’est travailler plus, sans moyens en plus.

Les craintes de privatisation à terme ne sont pas des fantasmes. Depuis quelques années, on use des techniques bien connues de l’audit interne ou de l’inspection générale des finances, non pas pour qualifier l’outil, mais pour préconiser l’abandon de la production.

Pourtant, les Français sont très attachés au travail qualitatif des équipes locales de terrain, à leur connaissance des spécificités, à leurs reportages sur les initiatives locales ou sur les déclinaisons des politiques nationales.

Du vécu quotidien des habitants de la ville d’Haumont soufflée par la tempête à l’errance des milliers de sans-papiers de Sangatte, ces équipes nous donnent à voir et à réfléchir.

Le paysage audiovisuel français doit rester équilibré, grâce à un groupe public puissant, gage de force et de diversité pour la création, qu’il s’agisse de fictions ou de documentaires, gage d’indépendance à l’égard des groupes financiers pour ce qui concerne l’information. Les spécificités du service public ont besoin de moyens durables et garantis, rendus encore plus incontestables par la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, n’en déplaise au privé.

Certes, une refondation peut être bienvenue. Pourquoi pas une seule entité, si l’on garantit l’existence et l’indépendance éditoriale des chaînes déjà présentes ? Pourquoi pas un regard sur l’audience, à condition qu’il ne soit pas seulement quantitatif et instantané ? Ne confondons pas la multiplicité de canaux privés avec la pluralité des contenus et la diversité des aspirations culturelles comme des choix politiques, dont seul un service public libre, c'est-à-dire financé de façon pluriannuelle, peut être garant.

Or, aujourd’hui, quand le privé affiche une croissance de 7 %, le public plafonne à 2,5 %. Quand notre redevance stagne à 116 euros, elle atteint 205 euros en Allemagne. Et le Président de la République lance un oukase populiste, bafouant la commission Copé : pas d’augmentation de la redevance ! Alors que son service de communication, qui préconise de préempter des espaces destinés faire de la pédagogie sur les réformes, a vu son budget augmenter de 292 % ! En effet, pour expliquer à une démocratie que l’on supprime les juges d’instruction, il va falloir des heures, des jours et des semaines d’explications !

Au moment où l’on prévoit des taxes sur la publicité des chaînes privées et sur le chiffre d’affaires des fournisseurs d’accès à internet, le clientélisme fonctionne et les taux de ces taxes sont menacés.

Évidemment, dans le fragile attelage que vous préparez, il n’y a pas de place pour les télévisions locales associatives ou l’élaboration d’un label d’intérêt public ou d’éducation populaire : tout cela est à mille lieues de vos préoccupations ! Il n’y a pas non plus de pistes concernant la création d’une véritable contribution « culture et communication » qui serait prélevée sur l’ensemble du marché de la publicité.

Mon dernier point concerne le projet de loi organique et donc la nomination, par le Président de la République, des présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France.

Les arguments mettant en avant l’avis conforme du CSA et des commissions concernées du Parlement peuvent pour l’instant se résumer ainsi : le Président nomme et révoque, avec l’accord de sa majorité. Notre expérience dans cet hémicycle nous montre que le désaccord est exceptionnel. Quand il existe, il se manifeste davantage par des prises de position personnelles,… qui s’évanouissent le jour du vote.

Les démocraties modernes ont depuis longtemps renoncé à ce genre de pratiques, pour bien affirmer la séparation des pouvoirs comme l’indépendance des médias et des journalistes.

Cette décision tournerait le dos à ce principe, d’autant qu’elle s’inscrit dans un faisceau de mesures de restriction des libertés. Dans le classement de l’association Reporters sans Frontières, la France n’arrive que trente et unième, avec la mention : « De nombreuses inquiétudes demeurent en raison de cas de censure persistants, de perquisitions dans des rédactions et d’un manque de garanties concernant la protection du secret des sources. »

Vous n’avez, madame la ministre, ni l’ambition ni l’envie d’un statut de ministre de l’information et de la propagande, à la chinoise. Mais les choses sont plus sournoises quand le pouvoir détient l’épée de Damoclès de la révocation. Point n’est besoin de dire et d’ordonner : ceux qui veulent garder leur poste sentent les choses…

Quand le ministre de l’éducation nationale, M. Darcos, affirme, contrairement informations émanant de l’établissement, qu’il n’y aura pas de suppressions de postes au lycée Voltaire, situé dans le xie arrondissement de Paris, personne ne vérifie !

Si le ministre de l’intérieur de 2006 semble accueilli chaleureusement et qualifié d’« homme providentiel », ce sont des plans rapprochés et des sons habilement choisis qui peuvent le faire croire, alors même que les Antilles protestent contre l’expression « bienfaits de la colonisation ».

Qu’une photographie déplaisante paraisse, on enlève soit le détail qui choque, soit le directeur de la rédaction si le mal est fait.

Tout l’édifice est en place pour un pilotage vertical des médias et l’entrisme du privé : jusqu’à la nomination au poste de délégué interministériel à la communication et de directeur du service d’information du Gouvernement d’une seule et même personne, qui est également à la tête d’une entreprise de communication.

Votre ministère s’est, lui-même, aventuré sur ces chemins hasardeux : je pense non seulement à l’émission très complaisante de Guillaume Durand filmée rue de Valois, mais aussi au site ministériel internet « J’aime les artistes.fr » avec la participation, entre autres, de M6, TF1, Neuf Cegetel, Numericable et Orange.

Ce n’est pas de cette gouvernance que nous voulons pour la chose publique en général et pour la télévision en particulier, et nous refuserons la possibilité de révocation, véritable menace d’inféodation.

Mes chers collègues, nous sommes face à deux défis : sauver l’audiovisuel public, considérablement déstabilisé, et montrer que le Sénat ne se laisse pas mettre devant le fait accompli. J’espère que nous serons nombreux pour les relever. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.

M. Ladislas Poniatowski. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur trois sujets : la suppression de la publicité sur les chaînes de France Télévisions, la nomination du président de cette société, ses missions et programmes.

La suppression de la publicité est, vous l’avez rappelé, une mesure phare de ce projet de loi. Que celle-ci soit entrée en application lundi dernier, alors que la Sénat n’avait pas commencé l’examen du texte, ne me fait pas particulièrement plaisir. Cela me met même mal à l’aise. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

M. Jean-Pierre Sueur. On vous comprend ! Vous n’êtes pas le seul !

M. Ladislas Poniatowski. Attendez la suite, mon cher collègue !

J’ai même le désagréable sentiment d’être pris, pardonnez-moi l’expression, pour un zozo, c'est-à-dire pour un naïf, voire, comme on dit dans ma région, pour le dindon de la farce.

M. David Assouline. Alors, révoltez-vous !

M. Ladislas Poniatowski. Madame la ministre, vous n’êtes pas seule responsable de ce sentiment. L’opposition, qui s’est livrée, à l’Assemblée nationale, à une obstruction agressive, a aussi une grande part de responsabilité.

M. David Assouline. Ne l’avez-vous jamais fait par le passé ?

M. Ladislas Poniatowski. Écoutez ce que j’ai à dire, et pas simplement ce qui vous fait plaisir !

Je vous dis cela d’autant plus sincèrement, madame la ministre, que je ne suis pas, par principe, hostile à la suppression de la publicité. Mon souci est ailleurs.

Cette suppression représente, pour la télévision publique, un manque à gagner estimé à 450 millions d’euros. Or je ne retrouve pas la compensation intégrale de cette somme dans ce projet de loi ou dans les mesures adoptées récemment dans la loi de finances.

M. David Assouline. Et voilà !

M. Ladislas Poniatowski. Si l’on se déclare partisan d’une télévision publique de qualité, il faut savoir que cela a un coût. On n’a pas le droit de faire peser des menaces sur les ressources dont cette télévision publique a besoin.

Or la menace est bien là puisque France Télévisions a présenté un budget pour 2009 qui prévoit déjà un déficit de 135 millions d’euros.

Vous admettrez au passage, madame la ministre, que vous offrez aux chaînes privées un beau cadeau de début d’année. La télévision publique avait en effet pris environ 14 % des parts du marché publicitaire national concernant ce support. Ils iront en grande majorité à TF1 et M6, mais aussi aux nouvelles chaînes de la TNT.

J’ajouterai cependant, chers collègues de l’opposition, que ce n’est pas la première fois qu’un beau cadeau est offert aux chaînes privées.

Mme Catherine Tasca. La chaîne bonus !

M. Ladislas Poniatowski. En 2000, les ministres Mmes Trautmann et Tasca avaient fait adopter une loi limitant la publicité sur les antennes de service public. Elles ont ainsi offert, elles aussi, un beau cadeau, représentant l’équivalent de 150 millions d’euros, à TF1 et M6, puisqu’il n’existait pas d’autres chaînes privées sur le marché à cette époque.

M. David Assouline. Mais on avait augmenté la redevance !

M. Ladislas Poniatowski. C’est vrai, mais le cadeau était proportionnellement le même ! Faites preuve, de temps en temps, d’un peu d’honnêteté intellectuelle !

M. Jean-Luc Fichet. Cela veut dire que vous reconnaissez le cadeau !

M. Ladislas Poniatowski. J’en reviens au texte.

Pour compenser ce manque à gagner, vous proposez un système complexe de taxation des recettes publicitaires des chaînes privées, d’une part, et du chiffre d’affaires des fournisseurs d’accès à internet, d’autre part.

Nos collègues députés ont déjà réduit de moitié la première taxe. Quant à la seconde, il est impossible de chiffrer précisément ce qu’elle va rapporter.

En résumé, de vrais doutes pèsent sur les 450 millions d’euros nécessaires pour compenser la disparition de la publicité après vingt heures sur les chaînes publiques.

De toute façon, cette somme ne peut en aucun cas, financer les nouvelles émissions qu’il faudra produire pour remplacer les espaces publicitaires libérés.

Enfin, la pérennité du financement de l’audiovisuel public n’est nullement assurée au-delà de 2010, car ce sont non pas des principes de financement qu’il faut voter, mais des ressources ! Or nous savons tous, et cela a été dit à plusieurs reprises, que la seule ressource assurée est la redevance. L’indexation de celle-ci sur l’inflation, madame la ministre, est une bonne mesure, mais ce ne peut être qu’une première étape, car elle n’est pas, à elle seule, suffisante.

Je rappelle que la redevance est supérieure à la nôtre de près de 60 % en Grande-Bretagne et de 100 % en Allemagne. Il n’est certes pas question de franchir de tels paliers brutalement, mais il existe donc bien une marge de manœuvre.

Mon regret, madame la ministre, tient à la soudaineté de la décision de supprimer la publicité. D’où ma question : pourquoi cette précipitation, pourquoi ce rythme ?

M. David Assouline. Bonne question !

M. Ladislas Poniatowski. Cette suppression de la publicité arrive au pire moment. Ce n’est pas votre faute : vous ne pouviez prévoir le surgissement de la crise. Mais la crise est là, et il était possible de modifier le rythme de l’entrée en application de la réforme, notamment de l’étaler sur plusieurs exercices, par exemple en diminuant chaque année de quelques minutes le temps dévolu à la publicité et de compenser cette diminution par une augmentation de la redevance.

Mme Catherine Tasca. C’est ce que nous avions fait !

M. Ladislas Poniatowski. Ma seconde observation porte sur la nomination du président de France Télévisions, point qui suscite débat et agitation, voire parfois indignation assez cocasse.

Je résumerai cette seconde observation en une seule formule : plus jamais de Philippe Guillaume !

Vous vous souvenez tous de la désignation par la Haute autorité, contre les souhaits du gouvernement de l’époque, de Philippe Guillaume comme président de France Télévisions. C’était le 10 août 1989, sous le second septennat de François Mitterrand. Vous étiez alors, madame Tasca, ministre déléguée à la communication.

Alors que M. Bourges était le candidat du pouvoir – qui avait même, en la personne de M. Kiejman, un candidat de repli –, la Haute autorité a désigné Philippe Guillaume – par ailleurs neveu de Jacques Chaban-Delmas –, que la majorité de l’époque ne portait pas dans son cœur et que sa nomination a ulcérée.

Ce qui a suivi fut assez scandaleux.